Alfie déboule à mes côtés un peu après le nuage de monde qui avait décidé d’élire place devant nous, que j’ai noyé d’un coup de coude et d’un autre, de façon à les dégager la mine haute le sourire piquant l’oeil brillant, sans que personne ne soupçonne la pauvre petite rousse au visage de porcelaine qu’elle ait fait exprès de les pousser, de leur piler sur les orteils. Le chewing gum que je fais claquer sur ma langue acérée, le sourcil que j’hausse, quand y'en a une qui décide qu’elle veut tout de même se tâter à se remettre devant mon champ de vision, et qui s’heurte à mon épaule pas du tout diplomate à la seconde où elle fait un pas dans ma direction. Tiens, voilà, bien fait, maintenant dégagez, la parade va commencer. Le brun observe la scène, je lui demande même pas d’agir ni de faire quoi que ce soit d’autre que de tenir mon pop corn le temps que je m’occupe de nous assurer des places de choix, parce que c’est pas dit que je suis venue me faire chier ici pour en plus me coltiner des têtes devant les yeux, des cheveux hirsutes qui bloquent le dragon apparemment aussi impressionnant qu’un vrai. Laissez-moi rire. La vérité, c’était que je trouvais ça cool, comme activité. Que ça changeait du duo "folie à GQ" + "promotion de mon livre" des derniers temps, qui avait fini par me faire m’ennuyer de Brisbane en elle-même et de ce genre d’attractions. Mais je le disais pas trop fort, je conservais l’attitude de celle qui s’emmerde mais qui est là par pur support local. Alfie qui a écopé d’être mon date du jour, et qui a traîné sa propre copine à la clé qu’on a perdue de vue dans la foule quand elle s’est arrêtée pour se taper une discussion de deux heures (ok, deux minutes, mais du moment qu’elle parle, c’est l’impression que j’ai) avec des collègues de travail. Elle devrait venir nous rejoindre d’une minute à l’autre, du coup, j’ai pas de temps à perdre. « C’est cool, Jules est pas chiante aujourd’hui ça fait du bien. » mon sourire est condescendant au possible, je le complète d’une poignée de pop corn que j’enfourne dans ma bouche de gamine gâtée. Bien sûr, elle est pas chiante parce qu'elle est pas là, ça aide.
Mais je sais aussi qu’Alfie apprécie pas trop ce genre de commentaire, qu’il essaie vraiment, qu’il veut à fond que ça marche. Juste, la mention est presque basée sur du positif, je le jure, y’a du progrès entre elle et moi, et depuis qu’elle s'est bel et bien installée dans la vie de celui que je considère comme un de mes meilleurs potes, on a eu plus de bas que de hauts, mais au moins quelques hauts. Ça compte. « J’rigole. » je précise, le maïs éclaté qui craque sous ma dent. « Promis. » j’ajoute, une lonnnngue gorgée de coca cerise plus tard. « Presque. » c’était un secret pour personne que je préférais et de loin les journées rien qu’avec lui, que du moment où elle était dans les parages il changeait, il tentait d’être un autre, il lui cachait des trucs, il se léchait de tous bords tous côtés pour lui plaire, pour sauver les meubles. J’en aurais beaucoup à dire sur le sujet, sur eux, j’en aurais énormément à critiquer et à soulever comme pistes de solution, mais je dis rien. Tant qu’on me demande pas, je dis rien. Et puis, j’ai déjà perdu assez de temps à parler d’elle alors que je devrais en profiter pour rattraper les moments manquants des derniers jours avec lui. « Ouh, je t’ai pas dit, cette semaine au gym, ils ont prévu nous mettre en team de combat. » ma voix passe à un autre registre, l’excitation qu’on entend de suite se déceler de quelques décibels haussés. La boxe c'était pas mal devenue une de mes passions depuis longtemps, et je pouvais pas être plus heureuse que de partager ça avec lui. « Tu penses qu’on sera l’un contre l’autre encore? » et dans mon regard, un voile d’enthousiasme à peine camouflé.
ARIANE & ALFIE ⊹⊹⊹ 'Cause honey I'll come get my things, but I can't let go, I'm waiting for it, that green light, I want it. Oh, I wish I could get my things and just let go, I'm waiting for it, that green light, I want it.
Profitant du silence dont le gratifie Ariane pendant quelques instants – si l’on fait abstraction de ses coudes qui froissent sans la moindre délicatesse les vêtements des quelques téméraires qui s’osent à lui refuser le droit de passage (et il a une réelle admiration pour ces derniers face à l’innocence qu’est la leur en pensant sincèrement empêcher Parker d’accéder au but qu’elle s’est fixée – quand bien même ce but n’est que d’atteindre le bord du trottoir), le regard d’Alfie papillonne de la chevelure rousse devant lui à la brune qu’il cherche dans la foule. Ce n’est que le début de l’après-midi ; et le déroulement de celui-ci demeure indéterminable, ce qui n’aurait pas été pour lui déplaire dans d’autres circonstances, mais qui tend à le gêner en cet instant. Ce n’est pas faute d’avoir envisagé de nombreux scénarios, pourtant, afin de se positionner quant au degré de potentiel foireux (puisqu’il ne peut pas en être autrement) de l’idée : convier Jules (l’imposer, plutôt) à cette sortie proposée par Ariane ; Scénario A : Jules et Ariane parviennent à se comporter comme des adultes (et ça tombe bien, elles sont censées l’être – oui, et c’est lui qui fait cette réflexion, how ironic), et peut-être qu’elles flasheront sur le même cerf-volant coloré, de quoi leur faire réaliser qu’elles ont des points communs – et tant pis si c’est aussi superficiel qu’un aérodyne en toile dont la durée de vie après cette parade sera équivalente à la fausse cordialité entretenue par les deux femmes. Évidemment, c’est le scénario rêvé, et par conséquent, Alfie le sait, celui qui ne se réalisera pas, à moins qu’il soit sur son lit de mort. Réflexion qui donne naissance au scénario D. Potentiel foireux : 18%, élevé à 99% si la possibilité d’être sur son lit de mort est saisie. Scénario B : Jules et Ariane oublient qu’elles sont des adultes (et ça tombe bien, c’est le cas de figure qui se présente quotidiennement), et s’écharpent tout l’après-midi, sur des sujets aussi profonds que la couleur du dragon star de la parade ou aussi futiles que la présence d’Alfie à Brisbane (ou est-ce l’inverse ?). Évidemment, c’est le scénario crédible, et par conséquent, Alfie le sait, celui qui se réalisera. À moins qu’un des badauds s’agace des échanges entre les deux femmes qui gâchent la fête. Réflexion qui donne naissance au scénario E. Potentiel foireux : 64%, élevé à 100% si on prend en compte la proximité du trottoir et des véhicules de la parade. Scénario C : Jules et Ariane essaient de jouer aux adultes (et ça tombe bien, c’est ce qu’Alfie leur demande), et se contentent de banalités certes insignifiantes, mais qui donnent l’impression qu’elles peuvent se supporter pour lui et qu’il peut espérer passer une bonne journée avec deux personnes chères à son cœur. Potentiel foireux : 4%, pas de raison de penser que cela va dégénérer. Scénario D : Alfie profite de la parade pour se jeter devant le camion qui tracte le char principal, réconciliant ainsi les deux jeunes femmes alors qu’il pousse son dernier soupir. Potentiel foireux : carrément mortel. Scénario E : Le jeune homme cherche une tête qui lui inspire suffisamment confiance dans la foule pour la soudoyer d’un billet (ou encore plus économique, d’un sourire), et s’interposer avec rage lorsque les deux femmes commenceront leur énième dispute. Scénario qui peut se cumuler avec le scénario B quand on y pense ; et le besoin de remettre ce spectateur à sa place devient un point commun qu’elles se trouvent. Potentiel foireux : 35%, élevé à risque potentiel de mort si elles réalisent qu’il est derrière tout ça.
C’est le commentaire d’Ariane sur Jules qui l’empêche de passer à la suite de ses réflexions et éteint son mode pilote automatique maintenant qu’il réalise qu’ils ont atteint le bord du trottoir et qu’ils sont aux premières loges pour la parade. « Ariane. » C’est un regard noir dont il fustige la rousse, et un coup de coude sans aucune délicatesse pour lui faire manquer sa bouche alors qu’elle se saisit de pop-corn. Qu’elle n’apprécie pas sa moitié, ça lui importe peu (non, en réalité il aimerait réellement qu’elles puissent s’entendre, et c’est bien pour ça qu’il a forcé le destin aujourd’hui en les réunissant), mais qu’elle ne se montre pas insultante. « C’est marrant, elle doit se dire exactement la même chose que toi, et pile au même moment. » Il ajoute, dans un vague haussement d’épaules et avec une moue entendue avant de lui refourguer son pop-corn dans les bras sans délicatesse, pour sortir de sa poche un paquet de pois chiches au wasabi chipé à l’un des stands ; à défaut d’avoir eu le temps de s’arrêter pour déguster un bibimbap – et il pourrait presque, presque, être tenté de provoquer une dispute entre ses deux accompagnatrices pour s’échapper et satisfaire son estomac qui ne demande qu’à goûter à cette spécialité depuis que l’odeur lui a chatouillé les narines une demi-heure plus tôt. « Oh, wait ! Mais ça vous fait un point commun ! » Il force, Alfie, avec ce sourire d’imbécile sur les lèvres, criant presque comme s'il venait de décrocher le jackpot (et ce n'est pas si éloigné de la réalité, finalement) mais c’est de bonne guerre avec ce qu’elle ajoute. Il ne relève pas – ou juste par un roulement d’yeux presque théâtral, et se contente d’entamer son paquet de pois chiches alors qu’il scanne la foule dans l’espoir d’entendre le bip accompagné du signal lumineux rouge s'excite dans son esprit ; signe qu’il a retrouvé le visage doux de Jules parmi tous ceux qui l’entourent. Son regard revient toutefois à Ariane alors qu’elle s’adresse à nouveau à lui. « J’espère, que je puisse te botter le cul pour ce que tu viens de dire. » Il lui adresse un coup d’œil en biais, profitant de leur différence de taille de manière à accentuer le côté réprobateur lié à son précédent commentaire. « Et carrément t’achever si tu continues sur cette voie-là. It would be a shame… » Qu’il glisse avant de s’interrompre au milieu de sa phrase, comme souvent, mais cette fois-ci poussé par le regard noir de la vieille dame à côté d'Ariane, prête à appeler une ligne d'écoute pour les victimes de violences conjugales. Tapotant le haut du crâne d’Ariane, toujours avec ce sourire d’abruti sur les lèvres, son attention ne tarde pas à se porter sur une autre chose ; en l’occurrence quelqu’un d’autre et Alfie recherche à nouveau le visage de Jules dans la foule. « Elle va manquer le début. » Il soupire, non pas pour enfoncer le clou auprès d’Ariane, mais par simple constat, et par léger agacement, aussi. « J’en ai pour deux minutes, ne m’attendez pas ». Elle n’aurait pas osé, si ? Les perdre volontairement ? À moins que… « hm, elle s’est peut-être perdue. Ça commence quand ? » Autrement dit, est-ce qu’il a le temps de se lancer à sa recherche ? Et est-ce qu’il a le temps d’aller prendre un bibimbap à l’emporter, aussi ? Et pendant un instant, il n’est plus certain de l’ordre de ses priorités.
À trop piquer sur Jules, je sais d'office qu’Alfie va râler. En même temps, l’inverse serait amplement étonnant, totalement décourageant. Il se faisait tellement chier dans toute cette histoire, je le voyais à ce point se tordre dans tous les sens pour lui plaire à elle, que s’il n’avait pas le moindre contre-argument aux frasques que j’alignais sagement, le sourire aux lèvres sous ses yeux horrifiés, on allait avoir de la difficulté à justifier le pourquoi du comment il était toujours en couple avec elle. Sa voix sérieuse qui gronde provoque un rire et un autre, je secoue la tête de la négative, faussement affligée. « Alfie. » et je pèse mes mots autant que les siens, arquant même la nuque pour plus d’ampleur. Qu’il se la joue grand dadais au ton grave ne me fait pas un pli, gobant bruyamment mon pop corn avec l’air de la gamine prise sur le fait qui s’en balance complètement - ce qui, en somme, est totalement mon cas. Mais il me pousse, j'échappe ma cargaison salée au sol, je grogne. Déjà que je faisais bien attention de me gérer en présence de sa première dame (lol, à qui tu mens Ariane), si je devais me censurer en plus quand on n’était que lui et moi, la vie serait longue et ennuyante pour tout le monde. Qu’il se réjouisse des propres pensées que sa brune doit convoiter au même moment que moi fait du sens, j’avais jamais osé penser que Jules me portait naïvement dans son coeur, et c’était bien un truc que j’aimais chez elle, le fait qu’elle ne jouait pas non plus aux hypocrites avec moi. Elle m’aimait pas, ça se savait, je lui rendais bien l'ascenseur, mais jamais elle n’aurait minaudé sous mon nez et sous celui d’Alfie pour faire joli. Elle était diplomate, au moins, fallait lui donner. Mais bien sûr, jamais vous ne me l’entendrez dire à voix haute. Par principe. « L’exception qui confirme la règle, essaie pas. » une nouvelle bouchée de pop corn plus tard, et je laisse mon regard dériver sur les derniers préparatifs de la parade qui ne mettra pas énormément de temps à battre son plein. Autour de nous, ça se resserre, les conversations s’enthousiasment, des enfants repèrent des personnages colorés au loin, ça bouge.
La boxe qui revient tout naturellement sur le sujet, un truc de plus qui nous unissait bien Alfie et moi. Et le plan de match du prochain cours qui semble lui faire briller le regard d’envie, prêt à régler ses (nos) comptes alors qu’il oublie que là où il a la stature, j’ai la vitesse, le coup aussi agile que traître. Je dirai jamais que j’étais plus forte que lui ; juste meilleure. « C’est beau tu sais, à quel point l’espoir te fait vivre. Presque aussi beau que le paquet de cicatrices que je t’ai occasionnées à chacune de mes victoires. » ma voix roucoule, mes doigts passent un fraction de minute à sillonner les différents endroits dévoilés où on peut voir une marque et une autre, un reste de bleu, aussi. Y’avaient certains vestiges qui ne venaient pas de nos bagarres à la boxe, et ceux-là on les gardait bel et bien dans le dossier tabou d’un passé trouble qu’il n’abordait jamais. Le reste, un melting pot de nos guerres bon enfant à la boxe, de nos courses cahoteuses en skateboard en bordure de la plage. Ses menaces de mort hypothétiques m’arrachent un long, un franc éclat de rire, qui ne ravit pas particulièrement les pauvres humains ayant tenté un peu plus tôt de se faufiler devant moi. Si en plus de les pousser derrière je fais dans les décibels haussés, ils risquent de regretter tout dans leur planning de la journée. Même pas désolée. « J’aimerais bien te voir essayer, seulement. » elle a confiance en ses capacités, quand même, faut lui donner Ariane. Mon clin d’oeil supporte le fait que j’ai une supporter tout derrière moi que je ne remarque que bien plus tard, et le pauvre Alfie qui se complaît dans un silence de malaise pour sa connerie. God, j’adore être une femme de nos jours.
L’absence de Jules se fait sentir ; pour lui. Je daigne même pas regarder ma montre le temps qu’il parcourt la foule des yeux, la musique déclare d’elle-même que la parade commence, les différents chariots s’alignent, les créatures apparaissent à la ligne de départ, orchestrées et dispersées de façon à pouvoir chacun entrer au bon moment. « Maintenant, apparemment. » il ne lâche pas prise, même pas lorsque je glisse ma main dans la poche de son jeans pour en extirper victorieuse son téléphone encore bien chargé, allumé, le son au maximum. Je le brandis sous ses yeux, gage de liberté. « Tu sais, t’es pas au Moyen-Âge, on a la communication de nos jours, c’est bon, chill out mate. Elle pourra te téléphoner si y’a un dragon qui l’a engloutie vivante. » oh, sweet dreams.
10 points for Ariane, pour être parvenue à attendre l’absence de Jules pour se permettre un commentaire sur cette dernière. 10 points for Jules, pour s’être éloignée avant de perdre patience. Minus 100 points for Alfie, pour être incapable de gérer la situation comme il se doit et de défendre sa petite amie comme il est supposé le faire. Dans la course aux bons points, Jules et Ariane se retrouvent à égalité – un nouveau rapprochement qu’il se garde bien d’évoquer à voix haute pour ne pas lancer une compétition qui manque encore à l’hostilité entre les deux femmes et, par extension, dans une tentative également de conserver l’usage de la parole et de ses muscles faciaux, ce qui ne sera pas le cas si elles découvrent qu’il juge le bienfait (ou non) de chacune de leurs actions. Pour autant, Ariane perd l’avantage (et une centaine de points) lorsqu’elle se permet d’utiliser le qualificatif « chiant » pour désigner Jules, et la pénalité n’aurait pas été la même si elle avait opté pour une autre désignation ; « ennuyeuse » lui aurait valu une pénalité de dix points, « gênante » une petite vingtaine, « fade » lui en aurait coûté cinquante et « désagréable », par exemple, n’aurait pas justifié de malus ; c’est ainsi que Jules qualifie Ariane la plupart du temps – et ça aurait été un juste retour des choses. Mais Alfie n’apprécie pas l’idée que la rousse soit insultante, quand bien même il la connaît par cœur et que c’est pour cette raison qu’il ne se faufile pas au travers de la foule après lui avoir adressé un majeur bien tendu (outre le fait que les gens se soient si entassés qu’il lui est impossible de se frayer un chemin sans que sa sortie de drama queen perde de sa saveur et de son ampleur ; outre également le fait que ses mains soient bien trop occupées à tenir et à piocher dans le paquet de pois chiches au wasabi pour faire l’effort d’utiliser ses muscles pour un tout autre effort qui nécessiterait de trahir son estomac qui crie famine). Ainsi, ce sont les âmes innocentes de quelques grains de pop-corn qui écopent de la sanction destinée à Ariane, à laquelle s’ajoute un regard désapprobateur mais probablement peu convaincant. Pourtant, convaincu, Alfie l’est ; Jules n’est pas chiante. Jamais de la vie. Bien-sûr, son opinion est biaisée, mais c’est bien l’une des raisons pour laquelle il a tenu à ce qu’elle soit là aujourd’hui, outre l’envie de rapprocher les deux femmes : tous les moments passés en sa compagnie sont agréables, et il a particulièrement besoin de se raccrocher à ceux-ci ces jours ; il a besoin de se coucher le sourire aux lèvres et les pensées d’une journée fabuleuse avec elle plutôt que de se réveiller avec le regard suspicieux posé sur elle et les reproches qui s’immiscent doucement dans son esprit. La voix d’Ariane résonne à nouveau dans celui-ci, et il repose les yeux sur elle. « J’essayerai jusqu’à ma mort, je vous coucherai toutes les deux sur mon testament si ça peut vous forcer à trouver un terrain d’entente, je viendrai vous hanter jusqu’à ce que vous deveniez suffisamment folles pour devenir amies. » Nouveau sourire d’imbécile alors qu’il verse quelques pois chiches dans sa main, qu’il engloutit aussitôt. « Et tu sais à quel point j’excelle dans ce dernier domaine, j’hésite même à l’inscrire sur mon c.v. tant je me considère comme un pro. » Dans l’art de rendre fou les autres, donc. Le plus désagréable dans toute cette situation, c’est qu’il est persuadé que Jules et Ariane pourraient s’apporter beaucoup si elles mettaient leur fierté de côté. Jules qui se plaint parfois de ne pas être suffisamment extravertie, Ariane qui fait fuir toutes les présences féminines à ses côtés – mais pas Jules, toujours pas, peu importe les efforts qu’elle y met. La rousse ne comprend peut-être pas, mais c’est important pour Alfie, Jules est présente, Jules ne fuit pas, Jules s’accroche ; Jules ne cherche pas mieux ailleurs, elle.
Jules qui n’est toujours pas là, surtout. Et ses yeux cherchent la présence douce et rassurante de sa petite brune, son esprit occulte Ariane jusqu’à ce qu’elle se rappelle à lui avec un sujet qui lui tire aussitôt un sourire : la boxe, et leur partenariat efficace (pour elle plus que pour lui, à vrai dire) à travers cette activité. Il soupire, amusé, ne retient que ce qu’il veut retenir des propos d’Ariane, fait fit de la manière dont elle contemple et touche ses œuvres, et seulement les siennes. « C’est presque beau, aussi, cette confiance retrouvée au détriment d’un homme à-... terre, et il jure, un instant, avoir cru apercevoir Jules dans la foule, l’empêchant de poursuivre sa phrase, sans autre raison qui aurait pu l’interrompre, tu vois, l’avantage c’est que moi, je ne peux que progresser, toi par contre, t’en arrives à un stade où tu vas forcément régresser. Alors profite, Parker, ton règne touche à sa fin. » Le temps qu’il reprenne des forces, même s’il lui est encore difficile d’admettre que plus d’un an après, il est toujours diminué. Et que ce n’est finalement pas prêt de s’améliorer, Alfie Translate ayant interprété le « ménagez-vous » du médecin par « continuez ainsi » comme si de rien n’était, parce que ce n’est pas si éloigné de la vérité et l’important est qu’il se sente bien, ce qui est le cas lorsqu’il fait du sport, malgré que son dos se rappelle parfois à lui, mais rien qu’un ou deux antidouleurs ne puissent faire disparaître. Comme Alfie aimerait présentement disparaître, d’ailleurs, alors que la femme aux côtés d’Ariane lui lance un regard assassin après avoir évoqué la manière dont il l’achèverait, et son amie qui profite – consciemment ou non – de la situation. « Mwehehe. » Qu’il marmonne pour seule réponse, ce qui donne lieu à un « me tente pas » une fois la phrase passée au traducteur, qu’il est incapable de formuler sans prendre le risque d’être viré de la parade par la force ; et on peut même ajouter une deuxième interprétation au murmure en vue de la grimace digne d’un gamin qui apparaît sur son visage, la tête se balançant et le « nananère » pas loin qui veulent dire « tu vas me supplier de t’épargner, Parker ».
Il s’interroge sur l’absence de Jules, sait pertinemment qu’Ariane va râler, c’est de bonne guerre. Mais ce n’est pas seulement parce qu’il voudrait que la jeune femme soit à ses côtés, c’est aussi parce que son comportement l’a intrigué, pas suffisamment toutefois pour qu’il puisse imaginer le pire, le mauvais côté des choses – le fait qu’elle ait réellement voulu les éviter. Perdu dans les multiples scénarios que son esprit produit – allant du plus évident tel que le fait que la jeune femme se soit perdue au plus loufoque qui imagine déjà un accident à base de sauce soja déversée par terre qui l’aurait amenée à glisser et à se rattraper au bras d’un bel étalon face auquel il ne peut guère rivaliser et en compagnie duquel Jules est déjà en chemin pour l’aéroport – Alfie ne remarque même pas la manière dont Ariane prend ses aises, ou peut-être qu’il y est habitué depuis le temps. Se saisissant du téléphone en laissant échapper un soupir vaincu, sa main palpe son autre poche pour s’assurer de la présence de son porte-monnaie, et lorsque c’est le cas, il glisse celui-ci dans la poche avant de sa chemise histoire de ne pas avoir de mauvaise surprise – puisqu’il n’est même pas foutu de réaliser qu’Ariane et sa délicatesse toute relative se sont aventurées à l’intérieur de son espace vital. « You wish. » Il marmonne alors qu’il a la tête baissée, les doigts qui s’affairent sur l’écran de son téléphone, et les yeux captés par le message de Jules qui surgit pile au même moment.
Jules a écrit:
Galère de vous retrouver, je reste avec mes collègues. On se retrouve après, disons devant le stand de bibimbap ?
Alfie a écrit:
… Tu sais comment te faire pardonner. C’est d’accord.
Affichant un sourire amusé à la réflexion de sa moitié, Alfie prête finalement attention à ce qui se passe autour de lui quand la musique commence enfin à raisonner – du moins, à ses oreilles. « Bien, je compte sur toi pour la secourir si ça arrive, alors, vu que c’est à cause de tes mauvaises ondes, là … » Il s’interrompt, libère une de ses mains pour la faire tourner en cercle sur le crâne d’Ariane, ne poursuit pas le fond de sa pensée, repose ses yeux sur la rue, précise un « elle nous retrouve après » pour informer Ariane, reporter son regard sur elle, le sourcil arqué, la défiant presque quant à sa réaction. Son attention se porte ensuite sur la première œuvre qui défile devant eux, celles qui l’entourent, celles qui se dessinent partout ailleurs, de près, de loin, et soudain, le tintement dans son cerveau. « Ouuuh, je crois que j’ai repéré ton sosie ! Enfin, ton sosie, hm, non, j’irai pas jusque-là, c’est pas super gratifiant d’être associé à un truc poilu en papier mâché, mais quand même, me semble qu’il y a un air, il …, il s’interrompt, plisse les yeux, compte les participants jusqu’à celui qu’il croit avoir repéré, entame le calcul dans sa tête, à hauteur d’environ quatre kilomètres/heure, sachant qu’il doit être à environ 2 passages d’eux, si on prend en compte les arrêts volontaires, un facteur d’imprévisibilité – un enfant qui déboule sur le chemin, par exemple –, admettons qu’il est à un bon kilomètre d’eux, … devrait arriver d’ici une quinzaine de minutes, j’ai hâte. » Trépignant d’impatience, sautillant même sur place, le jeune homme ne prête plus tellement attention à la parade jusqu’à ce que le dragon repéré plus tôt arrive enfin devant eux. Il frappe énergiquement l’épaule d’Ariane avec le dos de sa main à plusieurs reprises. « Il arrive, il arrive, il arrive. » Il s’enthousiasme alors qu’apparaît devant eux un dragon bleu ciel. Pointant du doigt la bestiole, il s’abaisse légèrement pour être au niveau de l’oreille d’Ariane. « Tu vois, des yeux de biche, mais des dents acérées. » Les yeux dans le vague, il affiche un sourire pincé, faussement ému. « Le digne fils de sa mère. » Et cette vague d’émotion a besoin d’être apaisée, ce que sa bouche à nouveau remplie de pois chiches s’affaire à réaliser.
Parfois, je donnerais tout pour entendre ce qui se tramait dans la tête d’Alfie. Je m'installerais confortablement dans un canapé doublé d’une immensité de coussins, me servirais une énorme coupe de vin. J’allongerais mes jambes avec une grâce tacile sur la table basse, tamiserais la lumière, allumerais même des chandelles pour la peine. Une petite musique instrumentale de fond, le truc juste assez transcendant sans être dérangeant. et j’écouterais ce qu’il déblatère à s’en essoufler les neurones, à se fouler le cerveau. Je désamorcerais chaque crise de panique avortée, chaque déferlement d’angoisses et de questionnements, chaque interrogation vomie mentalement jusqu’à finir par se casser sur ses lèvres en une vanne et/ou une interjection, jamais certaine s’il était en train de relancer la joute verbale ou à même de me faire un ACV entre les mains. Et d’autres fois, comment maintenant, j’avais juste envie de soupirer un bon coup, rouler des yeux jusqu’à m’en tordre le nerf oculaire, et lui remettre les idées bien en place le temps qu’il arrête de se prendre pour un héros, aussi immense et mastodonte soit-il. « C’est toi le vieillard ; encore un peu de chance et d’années au compteur et tu reviendras me voir en pleurant pour me demander de te changer tes couches et de te mettre sur talc sur tes fesses en peau d’orange calcinée. La classe. » parce que dans le scénario, aussi chiant et bavard et vampire d’énergie pouvait-il être, autant j’imaginais pas vraiment grandir et devenir une adulte et quitter la fleur de l’âge sans son cadavre de vieux mal articulé en parallèle. Il était dans ma vie depuis une bonne dizaine d’années, il s’était accroché alors que plusieurs autres profitaient du quotidien pour se barrer, se tirer sans demander leur reste, et rien que pour ça, Maslow avait gagné sa place de choix sur le podium des gens que je faisais chier, mais un peu moins que les autres. Douce médaille de participation, carton vert à utiliser en temps et en heure pour se sauver de mon courroux.
Puis, on est de retour au programme principal, et sa Jules qui manque à l’appel. Justement, je le lui rappelle, qu’on a des outils de communication, qu’il peut arrêter de jouer sa drama queen de comédie romantique approximative de fin d’après-midi pour lui téléphoner, la texter même question d’avoir sa position et de pas empiéter sur notre précieux temps en duo à fabuler sur des scénarios catastrophes où Jules est emportée façon Magicien d’Oz dans d’autres contrées - ah non, ça, c’est moi qui fabule. Et dans ma version, c’est Freddy Krueger à la place de la Wicked Witch. You wish? « Don't break my character. Is this real or just a dream? » que je susurre, can’t blame dreamers for dreaming mon beau. Apparemment, je suis utile, puisqu’il se sert de mon conseil - dont il ne me remercie même pas, le goujat - pour clarifier la situation et se mettre au pouls d’où sa brune se cache (volontairement, I guess - I hope). Elle va venir nous rejoindre après de ce qu’il me mentionne, ce qui me donne amplement le temps de profiter de mon pote avant de m'éclipser en fin de parade pour une urgence au magazine c’est vraiment étrange Alfie je pensais pas recevoir d’appel de la team mais on me mentionne que y’a un soucis avec l'équipement de podcast trop désolée tu diras salut à Juliiiie adieuuuuuu. Le plan est parfait, mon sourire en est ravi, le timing me branche ; et il me fout sa pression sur les épaules en pensant que ça va m’atteindre et que mieux encore, je vais m’excuser. Ahahah, ahah, ah. « Hey oh, j’suis clean moi, tu oublies que ma mère c’est la queen des chakras alignés. Mon karma sent le patchouli et est purifié à chaque 24e minute de chaque heure. » petite piqûre de rappel sur l’état cosmique, psychédélique et oh combien chamanique de ma précieuse petite maman, qui soit dit en passant adorait l’âme d’Alfie. Ouais, elle avait vu sa couleur, c’était en plein dans sa palette. Oh well.
Son enthousiasme remplace rapidement ses airs d’emo kid et je ne pourrais pas en être plus heureuse. Et voilà qu’il passe de simplement heureux à machiavélique, de joyeux à psychotique. Dude, chill. « Sérieux, si t’as fumé et que t’as pas pensé à partager avec moi, j’fais une scène Alfie. » je plisse les yeux, scrute ses prunelles, cherche le moindre voile dans ses prunelles et/ou rouge et/ou luisant sans trouver de preuves tangibles à l’appui. Plus pour la blague que pour le vrai, quand on connait le personnage, et que ce genre d’épisodes est plus que fréquent. Limite, je l’imaginais pas sur du speed, le mec deviendrait probablement hyper zen sous l’influence. À tester. Il me pointe mon fils alors, ma progéniture, le fruit de mes entrailles. Et comme il pouffe Alfie, comme il rigole, comme il assiste aussi à un immense sourire qui fend mon visage, une paume qui s’écrase sur son torse pour le repousser rien que parce que, mais mes rires finissent bientôt à se mêler aux siens. « J’ai des gènes de malade, regarde son port de tête, tu peux pas avoir plus distingué et féroce que ça. » je fausse le sérieux, pointe du doigt, renchéris, assume surtout. « Ah, ça tu vois, c’est plus à propos. » et à l’instant où je détourne la tête, c’est une armée de petits gamins de rouge et d'orange vêtus, avec des tambours à leur suite, qui les posent tous sur des structures parallélépipèdes aménagées pour l’occasion, font un vacarme de malade, énervement à un niveau impossible et leurs décibels qui me forcent à hausser la voix, et à coller mes lèvres à proximité des tympans d’Alfie rien que pour le plaisir d’être plus intrusive encore. « Aussi chétifs que toi, et aussi agressants. »
Si, précédemment, il a imaginé plusieurs scénarios quant au déroulement de cet après-midi, la déconvenue ressentie en réalisant que les deux jeunes femmes ne sont pas réellement disposées à profiter de l’occasion pour mettre leur animosité de côté n’atteint pas l’optimisme d’Alfie. Bien au contraire, c’est une reconfiguration totale de son système interne qui s’opère ; et de nouvelles idées qui se présentent à lui.
Idée numéro une : puisque forcer le destin n’a pas été couronné de succès – pas encore ! – reste à laisser les choses se faire et à profiter d’un quelconque événement futur où ils seraient conviés tous les trois pour espérer que l’entente se fasse plus cordiale et la conversation plus naturelle : un anniversaire (manque de pot, le sien ne tombe qu’à la fin de l’année, mais au stade où il en est, il est capable de falsifier son certificat de naissance et inventer une théorie du complot à base de « mes parents m’ont menti pour me préserver de la malédiction des 33 ans, l’âge de la mort du Christ, et en fait j’en ai déjà 36, je le découvre seulement, je suis trop choqué ma vie est un mensonge s’il vous plaît aimez-vous » ; le potentiel crédible n’en serait que renforcé en vue de son travail et des tracas que celui-ci lui cause et qui commencent à se voir sur son visage vieilli par certaines préoccupations). Mais Alfie ne chipote pas, et un barbecue entre amis pourrait aussi être une solution (nope, trop dangereux en réalité, éloignons les enfants et les liquides inflammables), mieux (sauf pour le principal concerné) l’enterrement d’un ami, mais puisqu’Alfie n’a aucunement l’intention de dire au revoir à l’un de ses proches, les funérailles du poisson rouge de l’un d’eux fera également l’affaire, bref, il est ouvert à toute proposition, et il est prêt se muer organisateur de fêtes pour permettre à Ariane et Jules de se côtoyer plus régulièrement ; peu importe si cela veut dire organiser une sauterie à la gloire de la seconde dent de lait du fils d’un couple d’amis, toute opportunité est bonne à saisir. Idée numéro deux : organiser des dîners-thérapies calqués sur le modèle de ceux que lui faisaient subir ses parents durant sa jeunesse : les talents culinaires en plus, la crainte de mourir empoisonner en moins. La nourriture calme tous les esprits (enfin surtout le sien), d’ailleurs à ce sujet il est surpris que personne n’ait envisagé de réunir Kim Jong-un et Donald Trump autour d’un buffet à volonté pour discuter de la question du nucléaire, il est certain qu’une avancée considérable serait à noter avec des estomacs calmés. C’est à peu de choses près la situation qui pourrait se présenter entre Ariane et Jules, des estomacs bien calmés (par du quinoa, évidemment, quoi d’autre), pour amorcer une discussion bien sincère. Un talking pillow pour modérer la chose, et voilà qu’elles se disent l’une face à l’autre ce qu’elles se reprochent afin d’enfin mettre les choses à plat. Quelques plaisanteries de la part d’Alfie pour détendre l’atmosphère (ou pour qu’elles se trouvent un ennemi commun), une accolade sincère et quelques « mais qu’est-ce qu’on a été stupide » plus tard, le tour est joué et ils ont définitivement intégré le monde merveilleux des bisounours. Idée numéro trois : s’inspirer de plusieurs grands classiques du cinéma américain et enfermer les deux jeunes femmes dans la même pièce (non, risque de s’entretuer beaucoup trop élevé) dans deux pièces différentes pour forcer une collaboration afin de se sortir de ce mauvais piège instauré par un esprit fortement psychotique (c’est-à-dire l’esprit d’Alfie le jour où il ne parviendra plus à voir les choses sous un angle positif). Pas assez dérangé toutefois pour proposer des pièges à base de lames de rasoir ou de scie circulaire ; un peu trop quand même pour avoir songé à cette méthode tordue. Idée numéro quatre : la plus évidente, laisser les choses telles qu’elles sont, cesser de croire en la possibilité utopique que les deux femmes puissent un jour se rapprocher, s’habituer à les voir chacune de leur côté, mais cela implique quelques problèmes logistiques, comme le fait de ne pas pouvoir inviter Ariane à son mariage avec Jules ou de mettre en place des répétitions non pas de la cérémonie mais du comportement que la rouquine devra adopter en ce jour si particulier.
Il se fige un instant. Est-ce qu’il vient réellement d’envisager cette nouvelle étape avec Jules ? Pas déplaisante, l’image engage pourtant une crise de panique désamorcée par la voix d’Ariane qui résonne à ses oreilles, par rapport à une conversation qu’il a déjà oubliée et dont il parvient à se remémorer après quelques instants d'effort. « Remarque, à aucun moment cette possibilité apparaît dans mon scénario, c’est toi qui le suggère, c’est bien qu’elles te manquent un peu, mes petites fesses. Busted. » Il se permet de plaisanter parce qu’ils ont passé le cap d’être gênés par ce genre de plaisanterie qui renvoie à ce qui a pu les unir il y a presque dix ans de cela, et qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à leur si bonne entente qui n’est que pure amitié désormais. Ariane a certes une place de choix dans son cœur, mais la majeure partie de ce dernier est occupée par Jules. Cette dernière se cache toujours d’eux, d’ailleurs, et Alfie fait la moue, parce qu’il aurait voulu qu’elle soit là, au point d’envisager de se lancer à sa recherche, d’autant plus lorsqu’Ariane évoque un scénario catastrophe. « Can you read my mind ? » Et tu auras ta réponse. Ariane reste Ariane, certes, il ne s’attendait pas à beaucoup de compassion de sa part, mais présentement il est en train de la pousser dans la gueule dudit dragon évoqué plus tôt, et elle peut donc sans autre deviner ce qu’il a en tête en un simple regard. Bon, qu’elle se rassure, il viendra la sauver avant que le dragon ait le temps de la digérer – après Jules, mais hé, l’ordre n’a pas d’importance tant qu’elles restent toutes les deux vivantes. Réalisant qu’il s’égare de nouveau, c’est le nom de Jules sur son téléphone qui le ramène sur terre – décidément même à distance elle parvient à gérer cet esprit trop fatigant pour son propriétaire. Elle les rejoint plus tard, il peut donc entièrement se concentrer sur la parade, Ariane et les mauvaises ondes de cette dernière. « Hm, ouais, enfin, c’est ta mère justement, elle dirait et ferait n’importe quoi susceptible de te faire passer pour la personnification de la perfection, donc bon, moi j’en dis qu’il faut pas trop la croire. Et puis le patchouli, please, c’est so 2015. Naaan, sérieux, écoute le vieux sage, va falloir travailler tout… Il s’interrompt, fait de nouveau des cercles avec sa main, devant le visage de la rouquine cette fois-ci, ça. » Il glisse, avec un grand sourire, le rire qui suit et le coup de coude bon enfant qu’il lui adresse.
La musique résonne, le rappelle à l’ordre après quelques instants, ses yeux guettent tout ce qui est de près ou de loin dans son champ de vision, son esprit s’active afin de se focaliser sur quelque chose et bingo, c’est un dragon probablement encore inexistant pour la majeure partie de la foule qui est le centre de son intérêt pour les prochaines minutes. Ça l’enthousiasme, ça le fait trépigner sur place, ça le fait être fier de sa connerie avant même d’avoir pu la partager avec Ariane. Il se calme un bref instant lorsqu’il adresse un regard suspicieux à son amie lorsqu’elle parle d’avoir fumé – depuis le temps elle devrait savoir qu’il n’a pas besoin de tout ça pour être constamment à la limite de l’euphorie. D’autant plus que … « ah voyez-vous ça, elle tient pas le même discours la Parker qui vient mettre mon appart sens dessous-dessous une fois par mois. » Il précise, le regard qui s’accroche ailleurs et l’air d’être déjà passé à autre chose, au-delà d’une conversation qu’il ne veut pas avoir, mais dont elle a très bien cerné le sujet. Les checkups réguliers d’Ariane ne sont pas dérangeants, en réalité, parce qu’il sait qu’il n’a rien à se reprocher, plus de ce côté-là, du moins. Réduit au silence un bref instant, il reprend la parole, presque en hurlant, quand le dragon repéré plus tôt arrive enfin à leur niveau, et après avoir massacré l’épaule d’Ariane (juste retour des choses pour le nombre fois où il est le massacré), il lui fait part de la ressemblance qu’il lui trouve avec son fils. La main d’Ariane qui s’abat contre lui pour le repousser et les éclats de rire qui suivent ne font que confirmer qu’il a vu du juste dans sa connerie, et il rit de plus belle. « Mouais, moi je trouve surtout qu’il titube vachement le petit, il a pas pris que les bons gènes. » Il poursuit, en souriant, sans aucune pique dissimulée derrière cette réflexion. Sans surprise, Ariane lui rend la pareille et trouve bientôt le groupe dans lequel Alfie pourrait se fondre sans difficultés. « Et aussi stylés ! » Il hurle presque Alfie, provoquant une réflexion de la femme à côté de lui, qui s’agace certainement d’un trop plein de joie venant des deux amis. « Que voulez-vous, on vient de retrouver nos enfants, nous sommes émus. » Sourire d’imbécile heureux sur les lèvres, la femme en question lève les yeux au ciel et Alfie reporte son attention sur Ariane. « Bien qu’un peu dépités qu’ils aient réussi à retrouver leur chemin, on les avait si bien semés, je crois qu’il va falloir... » Les noyer, la prochaine fois, mais Alfie s’abstient en réalisant qu’il va réellement finir par être expulsé de cette foule entre la violence conjugale et désormais l’infanticide. « Ah, non, ça c’est vraiment moi, regarde ! » Ses yeux se portent sur un nouveau dragon, relativement similaire à celui associé à Ariane, mais plus foncé et avec moins de fioritures. « Simple, élégant, magnifique, qui en impose, c’est beaucoup plus approprié que les gamins qui font du bruit, vraiment je comprends pas oÙ TU TROUVES LA COMPARAISON. » Il conclut en hurlant dans l'oreille d’Ariane, aussi agressant qu’il est.
Can you read my mind? « I don't mind, if you don't mind. » of course I can, of course he’s letting me. Ça fait des années qu'on se connaît maintenant, j’ai des référents - mais encore une fois, j’ai des cachets aussi pour le mal de tête quand je tente de me caler sur son flot de pensées qui frôle l’abus de surutilisation, à la seconde, parfois fraction de. Parce que Gosh que ça roule vite là-dedans, et que si la fracture, si la fêlure, si la cassure de membranes cervicales était une réalité de nos jours, ou du moins un truc en vedette sur WebMD, Alfie serait la photo qui résume la chose sans le moindre doute de ma part. Sûrement que le cliché qui accompagnerait l’article serait pris à la volée alors qu’il fait la pire tête de con de l’humanité aussi, infinité de points pour le dude en charge d’illustrer l’onglet soit dit en passant. Et on passe à mes péchés, ou du moins, à mon karma qui apparemment malgré mes frasques nombreuses et autres mauvais coups diamétralement élaborés sur la pyramide de celle qui s’est jamais fait chier des autres depuis bientôt 30 années de vie, il constate que les méthodes de ma mère manquent de nouveauté, que l’ère du temps n’est pas arrivée à temps justement, sur le porche de celle qui m’a mise au monde entre une rasade de kombucha au bamboo et une prière céleste saupoudrée de cristaux divinatoires. « Tu lui dis alors, parce que sérieux, son santal, je le changerais bien pour de la oh-so-trendy sauge à ce point. Je suis ouverte à n’importe quoi pour la faire évoluer vers des techniques plus abruptes sinon. Le sacrifice de chèvre vivante, ça m’a toujours branché. » parler d’elle me rapelle qu’il faut absolument que je renfloue son stock de weed d’ici la fin de la semaine sinon elle va râler, et que je suis dû pour mon tirage mensuel de tarot également. J’avais amené Alfie une fois recevoir une lecture divine, il avait passé le triple du temps à demander à maman de lui expliquer toutes les significations de toutes les cartes du paquet, fun times alors que je vidais la réserve maternelle de chicha aux fruits rouges.
Parlant de substances illicites et autres joyaux, y’a Alfie qui me reproche mes fouilles chez lui, quand le tabou entre nous voulait clairement tenir pour quelque chose en particulier. « Si t’avais pas la tendance à tout garder pour toi aussi, on en serait pas là honey. » fût un temps il était vraiment pas bien le gars, fût un temps il me brisait le coeur presque à ramper comme une vraie loque humaine, une carcasse vide qui me faisait mal à voir. Pas de pitié alors, quand je me chargeais du checkup nécessaire, même si ma confiance en lui avait atteint un niveau assez important pour regarder d’un oeil un seul lorsque je visais ses tiroirs et sa pharmacie. Il avait grandi Alfie, il avait évolué, il était mieux, tellement mieux maintenant. Je prenais aucun crédit en vrai parce que c’était tout lui ce travail acharné, mais à la moindre occasion juste pour le faire chier je bombais le torse, récoltais tous les honneurs rien pour que flatter mon ego qui n’en avait clairement pas besoin.
La parade va bon train, je regrette pas une seule seconde de m’être donnée pour mission de passer la journée avec Alfie et autre - notez la politesse du qualificatif ici, je mérite une médaille, vraiment - quand autre est justement introuvable. Yep, définitivement, mon karma est impeccable ces temps-ci. Et il râle le gars, prévisible, quand 95% de nos conversations se calquaient sur des critiques et des vannes et des piques qui se terminaient en agacement de gamins aussi cons qu’innofensifs. « J’ai rien contre les bâtards moi, ça m’choque pas. Et puis c’est comme les cafards, une guerre atomique et ils survivent pendant des siècles et des siècles, amen. » et je le rassure sur son nouvel alter-ego, non sans prendre le temps de le détailler de la tête aux pieds pour accepter le jugement qui tire sur le résultat positif. Les paires d'yeux environnantes qui nous dévisageaient plus tard ont repris en intérêt, je remarque même pas, occupée à me faire crier dans les oreilles par 34 going on 14 qui change son comparatif pour un frère du mien, qui se gâte à nous relier par le sang dragonnien avant que j’arbore l’air trop sérieux pour l’être vraiment. « On pourrait facilement passer pour la même famille parce que l’inceste apparemment c’est trendy depuis l’ère Game of Thrones, hen. » ça tousse d'incoNfort à ma gauche, la même qui tout à l’heure était all about les droits des femmes et la revanche sur les mecs qui nous oppressaient, là, elle est zéro down avec ma connerie. « Et on a accessoirement des fans, aussi. » un coup d’oeil lourd de sens vers elle, et je reporte mon attention vers Maslow en battant des paupières avec condescendance, la bouche en coeur comme toujours. Et j'ai parlé, pensé trop vite tout à l'heure. Parce que je jurerais que c'est Jules, là, qui erre au loin. Karma : -1000000. « C’est pas ta première dame, là? Attends que je repère un truc juste assez beige, juste assez ennuyeux, juste assez blah pour qu’elle fasse partie du jeu elle aussi! »
Spoiler:
SI Y'A UNE JULES SAUVAGE QUI VEUT FAIRE SON ENTRÉE
S’il y a un trait de caractère du trentenaire qui semble inébranlable, c’est bien son optimisme à toute épreuve. Alfie pourrait se retrouver coincé au fond d’un canyon façon 127 heures, avec pour seule compagnie les restes d’un vautour desséché et pour seul festin son urine et sa main découpée qu’il parviendrait encore à trouver satisfaction à bénéficier d’un peu d’ombre plutôt que d’être exposé en plein soleil au risque de choper une insolation (parce qu’il est évident que prendre un coup de chaleur aurait été son plus grand problème dans une telle situation, of course). C’est un trait qu’il ne possédait pas étant plus jeune et dont l’apprentissage s’est fait au fil des années ; pour autant cela est presque devenu une seconde nature en vue de la conviction qu’il met dans les projets futurs qu’il envisage pour Jules et Ariane sans réellement prendre en compte l’avis des deux principales intéressées – qui n’ont rien à dire à partir du moment où l’une le force à rester sur le sol australien et l’autre se permet de débouler dans son appartement tous les quatre matins pour y checker chaque recoin par peur d’une éventuelle rechute. Et c’est justement son optimisme qui lui fait remarquer que malgré une flagrante animosité, les deux jeunes femmes ne se détestent pas ce qui suffit à convaincre Alfie que ses efforts ne sont pas nécessairement vains et qu’un jour ou l’autre, il parviendra à ses fins. La composition du corps humain, ajustée à l’échelle de la composition de leur lien – ou plutôt non-lien – est façonnée à 65% d’antipathie gratuite, à 18% de sérieux mépris, à 10% d’indifférence générale, à 3% sympathie forcée et les 4% restants sont composés d’un savant mélange de tout le reste – dont un sérieux (environ 0.15%, belle marge pour lui qui pensait ce seuil plus proche du 0.01%) potentiel d’affinité. Et ni le comportement de l’une, ni celui de l’autre, ne pourra changer cette vision des choses car après tout, Ariane a bien accepté la présence de Jules à cette parade, tout comme Jules n’a pas cherché d’excuse (au départ) pour rester à la maison. Grossière erreur de la part des jeunes femmes qui permet à Alfie de les imaginer déjà, assise ensemble à la même table, un café devant elle, riant des blagues de l’une et l’autre et se faisant des œillades traduisant de leur affection et de cette sérénité retrouvée – comme dans les plus beaux spots commerciaux pour un médicament censé réguler le transit. Alors qu’on se le dise, si Ariane pense le dissuader de poursuivre ses efforts avec ses réflexions, elle se trompe grandement ; il est plus déterminé que jamais, d’autant plus maintenant qu’il est forcé de s’acclimater à Brisbane de manière définitive. Si autrefois elles pouvaient s’abstenir de se côtoyer sous prétexte que sa relation avec Jules n’était pas actée par un bail et justifiait qu’il les voit séparément, maintenant qu’ils vivent en couple et que leurs projets se conjuguent à deux, difficile pour Ariane d’échapper à la présence de Jules dans la vie de l’anthropologue. Et il n’a guère envie d’endosser le rôle de l’enfant de divorcés qui tente de réconcilier ses parents pour qu’ils parviennent à se supporter le temps d’un anniversaire ou tout autre événement méritant d’être célébré, il préfère celui de l’enfant rêveur qui n’arrive pas à envisager que ses géniteurs se soient séparés et qui persiste naïvement dans des efforts que beaucoup jugeraient vains.
De la même manière que les efforts de maman Parker sont vains pour rétablir le karma de sa fille qui dégage une infinité de mauvaises ondes, tel un vestige de Fukushima – la comparaison est parfaitement appropriée parce que ce sont des accidents dévastateurs qui s’annoncent en présence de la rouquine, et c’est bien pour ça qu’il l’apprécie autant, hm. Mais comme à son ordinaire, il n’est pas sérieux, Alfie, il se moque, les ondes d’Ariane sont plaisantes sans quoi il ne se serait jamais gêné pour l’envoyer balader et lui retirer son affection. « Dommage, il aurait été question de taureau j’étais ton homme. » Parce qu’il a plus donné dans ces bêtes-là que les chèvres dans le cadre de son travail. « Pas de soucis, en tout cas, si je me souviens bien ta mère m’adore tellement que je peux la convaincre de n’importe quoi. Il affiche une moue en haussant les épaules, l’air de dire « normal qu’elle m’adore, sérieux, regarde-moi ». Une autre demande, par la même occasion ? Une mise en relation avec l’esprit de Steve Jobs pour lui demander de baisser le prix des macs ? Un coup de fil à Christopher Nolan pour savoir si elle peut acheter la batmobile plutôt que de continuer à se coltiner son vieux vélo ? Oh, non, mieux, qu’elle lance un sort pour te débarrasser de ton patron tyrannique ? Ce ne sont que des propositions parmi d’autres. M’enfin, tout ça pour dire que d’ici la fin de la semaine, elle ne jurera que par la sauge, au point où elle s’en fera des petits paravents tressés, en séchera en guise de p.q., et coudra même les feuilles pour t’en faire une jolie robe, je t’assure, c’est réglé, compte sur moi. » Voilà le genre de sacrifice dont il est capable, passer une journée entière avec maman Parker pour la convaincre d’avoir pitié de sa fille qui tend à devenir patchoulophobe. Parce qu’il est évident que passer des heures assis par terre à parler de l’infinité du monde autour d’un verre de lait de quinoa est représentatif d’un calvaire pour lui ; en réalité, c’est le genre de journée type qu’il aimerait vivre encore et encore une fois au paradis – manque de pot pour lui, il est prévu selon ses parents qu’il finisse en enfer, partons donc du principe que le lait de quinoa sera remplacé par de l’eau à la menthe, un véritable enfer pour le jeune homme qui doit d’ores et déjà s’y préparer psychologiquement pour être prêt le moment venu, même si c’est dans (idéalement) une bonne cinquantaine d’années. Car c’est l’espérance de vie qu’il s’imagine – même si au fond, il ne l’espère pas, ne serait-ce que pour s’épargner les déplacements à 2km/h lui qui a tendance à courir partout. De la même manière que son esprit tend à se dissiper partout lorsqu’Ariane évoque cette autre tendance – désormais reléguée au passé, quand il est question de substances en tout cas – de tout garder pour lui. Il a un moment de flottement durant lequel il ne sait plus quel est le sujet – ou peut-être qu’il prétend seulement pour l’éviter. Lorsque ses yeux se posent enfin sur Ariane à côté de lui, c’est une moue plus sérieuse qu’il affiche, paumé qu’il est, une confusion qui se traduit par un haussement d’épaules l’air de dire « je ne vois pas de quoi tu parles » ponctué par un « moi ? Je suis un livre ouvert, pourtant. » convaincu et convaincant pour couper court à la conversation.
Il n’a pas besoin de trouver d’autres excuses pour écourter celle-ci – bien qu’il avait déjà une multitude de possibilités en tête, prêtes à être utilisées, du « oh oui partageons tout, et laisses-moi te parler de mes problèmes intestinaux pendant que tu me parles des tracas de ta région intime » bien gênant qui aurait eu vite fait de plomber l’ambiance au peu subtile « hé, regarde, c’est pas Ghandi là-bas ? Wow vachement bien conservé pour un mort » en passant par l’efficace « Ariane t’as un truc coincé entre les dents » – que la parade débute, lui permettant, il le croit, de stabiliser sa concentration sur les différentes créatures en papier mâché devant lui ; il y parvient, mais avec difficultés. Il ne fait guère attention à ce qu’il se passe devant lui, trop occupé à faire papillonner ses prunelles partout et nulle part à la fois, s’accrochant finalement sur un dragon au loin, qu’il envisage très vite comme étant le sosie d’Ariane et qu’il ne tarde pas à lui présenter une fois à distance raisonnable d’eux pour qu’elle puisse admirer le moindre détail qui lui a permis de faire le rapprochement. Les yeux de biche, les dents acérées et le port de tête fière comme elle le rajoute à son tour. « Amen pour eux, bon courage pour les espèces qui survivront et devront se les coltiner, j’suis sûr que ce sera pas une partie de plaisir s’ils sont les dignes enfants de leur mère, le genre à étouffer la seule plante verte qui parvient à repousser parce qu’elle leur bouffe de l’oxygène, ou à réduire en esclavage la colonie de fourmis voisine parce qu’elles ont dépassé la frontière imaginaire entre leurs deux peuples. » Oui, dans l’imaginaire d’Alfie l’apocalypse se traduit notamment par une guerre froide entre cafards et fourmis, avec l’avantage numérique et physique de ces premiers sur les secondes – bien que celles-ci soient suffisamment fourbes pour élaborer un plan susceptible d’inverser la tendance sur le long terme. Damn, ça ferait un bon film d’animation pour sensibiliser les enfants à certaines problématiques actuelles – regardez où la planète va, respirez tant que vous le pouvez encore et n’oubliez pas de remercier vos parents (en suggérant que le remerciement en question prenne la forme d’un majeur bien tendu via des images subliminales à la Fight Club). C’est le bruit des tambours qui ramène Alfie sur terre, au bon moment puisqu’il fait face à la ribambelle de gosses qu’il aurait pu enfanter – ou peut-être est-ce l’inverse. Pas le temps d’apprécier la danse de leurs baguettes (sans mauvais jeux de mots), le regard d’Alfie se pose sur un autre dragon, dont la ressemblance avec lui-même est flagrante (non). Mais c’est quand même plus valorisant d’être une bestiole légendaire qui impose le respect qu’un gamin qui a l’air sorti d’un épisode de Dragon Ball Z. La réflexion d’Ariane lui tire un rire, en opposition au soupir de la femme à côté d’eux. « Désolé, on se rend pas compte, pour nous c’est habituel, si tu le fais pas avec ta sœur, tu le fais avec personne et puis vous savez, ça facilite les repas de famille. » Il rajoute avec un haussement d’épaules alors qu’il entoure l’épaule d’Ariane de son bras pour la presser contre lui, parfaite petite image du couple incestueux aux neurones traduisant de certains dérèglement liés à cette bonne vieille tradition GOTienne. Il reprend son sérieux lorsque la voix d’Ariane parle de sa « première dame » et à vrai dire le terme le fait sourire. Le commentaire qui s’ensuit, à l’inverse, lui provoque un soupir las. Optimiste, Alfie, sois optimiste. « Oh non, elle j’ai déjà tout trouvé ; c’est le feu d’artifice qui clôture la parade. » N’en déplaise à Parker, et c’est justement ce sourire de parfait abruti qui orne dorénavant ses lèvres. Il n’a pas le temps de suggérer à son amie de rejoindre Jules que la parade arrive à son terme, et toujours le bras qui la rend prisonnière de son emprise, il la tire hors de la foule avec une délicatesse toute relative – c’est pas comme s’ils avaient l’habitude de l’être entre eux, de toute manière. « Oh, la parade est terminée, c’est le moment de rejoindre Jules comme c’était prévu. » Et Ariane qui essaie de s’y opposer, de traîner des pieds, et Alfie qui a toujours ce sourire de connard sur les lèvres alors qu’il ouvre le chemin, qui la prend au piège de son propre jeu – parce que sans son commentaire il n’aurait pas remarqué la présence de Jules. Son bras reprend sa place le long du corps du trentenaire quand ils arrivent à une distance raisonnable de Jules et que celle-ci les repère, empêchant Ariane de faire demi-tour sans passer pour une parfaite impolie – et il la sait suffisamment fière pour ne pas vouloir donner l’impression de se défiler. « Heeey. » Son bras qui entoure la hanche de Jules tandis qu’il s’apprête à lui voler un baiser, s’interrompant en cours de route, se reculant et la jugeant de toutes ses forces, les sourcils froncés, le regard désapprobateur. « Pas de bibimbap, pas de bisou. » Et toujours son sourire d’imbécile sur les lèvres, cette fois destiné à sa moitié. « Alors, t’en as pensé quoi, de la parade ? Il questionne, alors qu’il adresse un regard à Ariane. Nous, ça nous a plu en tout cas, d’ailleurs on a trouvé mon parfait sosie, c’était le quatrième dragon, le plus grand, là, celui qui était… de quelle couleur déjà, Ariane ? Ou peut-être que toi il t’a marqué aussi, Jules ? » « S’il vous plaît, aimez-vous ». Et quiconque jugerait du sujet de conversation lancé par Alfie comme étant peu propice à la discussion n’a jamais participé à un débat sur le bleu Klein.
Je pense qu’on peut dire sans mentir que je dois être l’une des filles les plus romantiques et fleur bleue existant sur cette planète et pourtant, aujourd’hui, je crois que c’est au moins la cinquantième fois que je me dis que, vraiment, l’amour ça craint. Quand j’ai parlé de cette sortie organisée par Alfie à ma mère, j’ai eu le droit au long discours moralisateur maternel disant que « l’amour demande aussi de faire des concessions » et le fameux « tu sais avec ton père… » et blablabla. Il est vrai que j’ai toujours eu une admiration sans faille pour le couple formé par mes parents et que j’ai donc très souvent compté sur les conseils maternels pour prendre les bonnes décisions quand j’étais incapable de les prendre par moi-même. C’est un peu triste quand on considère que j’ai dépassé la trentaine, je pensais qu’à cet âge, on ne demandait plus constamment conseil à ses parents, il faut croire que mon cerveau n’a jamais voulu se mettre en mode adulte responsable depuis tout ce temps. Sauf que, même si ma mère est toujours de bon conseil, j’admets que quand la concession est rousse, plutôt bien foutue et un peu trop dans les pattes de mon mec à mon goût, j’ai un peu de mal à l’envisager. C’est plus fort que moi, je n’arrive pas à me faire à l’idée que cette fille soit l’amie d’Alfie. J’aurais peut-être un peu moins de mal à l’imaginer sans le passif existant entre les deux. Être amie avec ses ex, c’est mal, ça devrait être interdit par la loi et en plus ça me fait psychoter. Quand je sais qu’ils sont tous les deux, je me fais les pires films possibles et imaginables et quand je ne sais pas s’il est avec elle ou non, j’imagine qu’il l’est. C’est ridicule, j’en ai conscience, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas confiance à Alfie, il ne m’a jamais donné de bonnes raisons de ne pas avoir foi en lui. Mais même en lui accordant toute la confiance possible, je n’arriverais jamais à donner la même chose à Ariane, cette fille me sort par les yeux, et malgré tous mes efforts pour la détester un peu moins, il suffit qu’elle ouvre la bouche ou fasse un geste même involontaire pour que je me rappelle à quel point je ne l’aime pas. Ce n’est pas vraiment de ma faute, je suis sûre qu’elle le fait exprès en réalité, elle est trop tout, trop dans l’excès, trop joyeuse, juste trop. A dire vrai, j’ai même du mal à expliquer réellement l’antipathie que j’éprouve envers elle, j’ai bien essayé d’en parler à Leo, mais même lui n’a pas eu l’air d’être super convaincu par mon explication. Je sais qu’il faut que je fasse preuve de plus de maturité et que le fait qu’elle soit jolie n’est pas une raison suffisante de ne pas l’aimer. Je travaille dessus. Il y a encore un long chemin à parcourir.
Me perdre dans la foule et me retrouver coincée avec mes collègues en laissant tranquillement Ariane et Alfie profiter de la parade ensemble est, à mon sens, un très mauvais début d’après-midi, mais je fais bonne figure en regardant la parade devant moi, me désintéressant totalement du débat sur la liseuse qui anime mes collègues, débat auquel j’ai si souvent participé que je finis par le trouver d’un ennui mortel. La parade est magnifique, je dois bien le reconnaitre, mais j’admets que j’aurais préféré y assister dans d’autres circonstances. Alors qu’elle s’achève, je prends congé de mes collègues, prétextant que le devoir m’appelle pour rejoindre le stand de bibimbap, lieu de rendez-vous sélectionné de manière totalement intéressé car je sais que c’est une idée qui plaira forcément à Alfie. Arrivée à destination, je scrute la foule pour apercevoir mon amoureux, un large sourire illuminant mon visage lorsque celui-ci s’approche de moi, entourant sa taille de mon bras avant de me faire un odieux chantage. « Comment peux-tu être aussi cruel ?! » J’essaie tant bien que mal de conserver mon sourire alors que mon regard dérive vers Ariane qui n’a pas eu la bonne idée de se faire emmener discrètement par un des dragons de la parade, malheureusement. Je vois bien qu’Alfie fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir une ambiance agréable et détendue et je me dois de l’aider à y parvenir. « Ah ouais, ton sosie ? Ariane a réussi à repérer un dragon hyperactif ? Je ne savais pas que ça existait. » Je me moque gentiment, prenant la jeune fille à parti, essayant au maximum de ne pas avoir l’air d’un glaçon même si l’envie ne m’en manque pas. « Le quatrième, ce n’était pas le vert ? Ou le grand bleu ? J’avoue, je ne les ai pas vraiment comptés. » En plus, en bonne littéraire qui se respecte, je dois reconnaitre que les mathématiques et moi, ça fait deux, donc j’évite tout ce qui ressemble de près ou de loin à du calcul. « T’étais sérieux pour le bibimbap ? » C’est une heure peu conventionnelle mais Alfie n’a jamais été un grand fan des conventions alors je ne m’étonne plus de rien. « Tu en veux aussi Ariane ? Je vous invite. » Et avec un peu de chance, elle s’étouffera avec… Mon dieu, je suis horrible, ça ne me ressemble pas du tout. L’important dans tout ça, c’est que j’aurais enfin mon bisou, si ça peut rendre cette journée un peu moins pourrie, ça sera déjà ça.
Code by Sleepy
Spoiler:
La Jules sauvage apparaît. x) Désolée pour cette entrée en matière minable, j'ai eu troooop de mal à reprendre tout le contexte en route. Je ferais mieux après, promis !
D’avoir notre propre petit public rend la chose particulièrement plus distrayante, j’en conviens. Et l’armée de mamies qui comprennent absolument que dalle des conneries qu’on peut raconter à foison, mais qui sont au taquet à la moindre remarque qui vient secouer leurs croyances et énièmes diktats de vieilles aigries au possible. Ça m’amuse pas mal, en plus de voir qu’Alfie est sur la même longueur d’ondes que moi et que donc, il peut facilement dériver comme le con qu’il est, comme la machine à paroles qu’il personnifie, comme le pote parfait que j’ai appris à aimer dans tous ses tics, dans toutes ses idioties qui m’énervent la majorité du temps, m’attendrissent le reste des moments qu’on passe ensemble à refaire le monde et à se faire chier à outrance à travers. « Si les Lannister le font, I mean... » c’est absolument pas dans mes habitudes de juger les kinks sexus des couples aussi wrong que chouchous du petit écran, non mais voyons, pour qui on me prend. Et je laisse un grand sourire carnassier orner mon visage, alors que le Maslow s’enfonce dans ses comparatifs, qu’il pointe et s’exclame, qu’il crie dans mes oreilles, que je renchéris dans les siennes. On est loud et on énerve tout le monde, et c'est probablement pour cela que je fais pire à la moindre occasion, que je renchéris, éclate de rire, suis ses stupidités le sourire aux lèvres et l’oeil qui brille de malice, l’étincelle qui s’éteint à la seconde où il mentionne l’autre pot-de-colle qui par miracle ne colle pas à l’instant. « Tant qu’elle explose - de plaisir, de joie, de bonheur et autres synonymes. » je me rattrape à peine sur la fin, la voix trop mielleuse pour l’être vraiment. Et apparemment, parler d’elle a suffit à la faire se manifester, à peine la parade qui tire à sa fin. D’emblée je tente de repérer les sorties de secours, le truc se passant à l’extérieur faut dire que j’ai de la marge, pas le moins du monde envie de me faire chier avec leurs scènes de ménage beige à souhait. Alfie est toujours plus cool et plus sympa quand il vient en format solo, quand Jules est dans les parages, ça vire vite à la mauvaise comédie romantique, et leur jeu du bisou en mode menace ne fait pas exception à la règle. Je m’assure tout de même de conserver mon soupir d’exaspération et mes yeux qui se roulent d’eux-même loin du champ de vision d’Alfie, attendant que son visage se barbouille des stupidités trois octaves trop hautes que sa bimbo lui roucoule à l’oreille.
On parle de moi? Les dragons qu’on énumère, et je lève le nez de mon portable d’où je textais Kane et Levi des gifs de chiens occupés à gerber toutes leurs tripes le temps de répondre à Jules, l’air niaise au possible. « Han dommage, c’était juste avant celui qui ressemblait trop à une harpie et la nana qui faussait avec ses chants sacrés. » your people, en somme. J’y ajoute un autre faux sourire, un autre clin d’oeil entendu, avant de me pencher un peu plus sur ce qu’ils ont à dire et donc sur l’art de leur conversation actuelle. Et quand je sens qu’on me sollicite à nouveau, c’est avec une facilité désarmante que je rebondis sur la discussion. Parce qu’il y a de quoi faire pour piquer, parce que je suis qu’une gamine quand il s’agit de renvoyer la balle à Juliana, et que le plus honnêtement du monde, tant que je peux piquer à son intention, je me sens toujours comme la plus légère et la plus inspirée des femmes. « T’étais sérieux pour le bibimbap ? » « Les gens qui le connaissent savent qu’il rigolait pas, non. » oh, c’est pas ce qu’il faut dire, quand la copine de son pote aime pas trop le fait qu’une ancienne flamme d’il y a presque une décennie rôde encore autour, qu’ils ont une excellente complicité, et qu’elle peut facilement se targuer de le connaître mieux que bien des gens, et apparemment, dans la minute, mieux que sa douce moitié? Oups. Vraiment désolée. Mes paupières battent la mesure, mon visage s’illumine, mes mains vont se fourrer dans les poches de mon jeans et j’hausse avec nonchalance l’épaule en vrillant mes prunelles d’une innocence à peine forcée dans celles de la brune. « Mais c’est cute, ça veut dire que vous êtes encore dans la phase des découvertes même après tout ce temps. » ce qui est presque joli en somme, faut leur donner. Et un compliment, un. Ma gentillesse presque pas déplacée influençant Jules apparemment, et elle se tourne vers moi en chantonnant, son offre de bibimbap qui m’occasionne un « Je pensais pas m’éterniser... » laissé en suspens un temps, avant de commencer à repérer le stand dans notre proximité. « … par contre, si tu offres. » déjà prête à parier que mon appétit fera augmenter la facture de sa si généreuse offre.
Spoiler:
Trop désolée du délai les amourssssssssssss, et tout le love à Jules, promis, après son bol Ari retourne terroriser d'autres pauvres gens
C’est certainement la raison pour laquelle Ariane fait toujours partie de sa vie autant d’années après leur rencontre ; parce qu’elle est aussi marquée du gène « gamin chiant » qu’elle partage avec Alfie, et qui manque cruellement à la majorité de la population qui ont le conformisme qui coule dans leurs veines. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une réflexion prononcée trop haute pour ne pas gêner les autres, jamais une mauvaise blague qui oh mon dieu pourrait choquer certaines oreilles (la plupart, en réalité). Ils ne font de mal à personne, les deux amis, ils n’obligent pas Grandma Yetta et Soccer mom Susan à tendre l’oreille pour les écouter, ni à rester collées à eux comme si elles cherchaient à participer au délire par procuration parce que les seuls sujets qu’elles s’autorisent en public c’est sur la beauté des arbres en cette saison ou sur la belle organisation de la parade. Ils s’arrêtent pas, Ariane et Alfie, malgré les soupirs et autres yeux exaspérés levés au ciel des badauds qui les entourent, qui les maudissent silencieusement, qui les tuent mentalement. C’est bien pour cette raison qu’il apprécie autant la rouquine, parce qu’avec elle, il n’y aucun interdit, aucune censure, elle accueillie ses réflexions ; peu importe ce qu’elle pense de celles-ci. Et s’ils veulent prôner l’amour à la Lannister parce que ça leur semble être le meilleur sujet à aborder au milieu d’une foule semi-outrée, qu’ils le fassent, elle suit l’idée. La réflexion de la jeune femme lui provoque un léger sourire amusé, vite oubliée alors que la parade bat son plein. Ils commentent tout, se cherchent des sosies, s’en amusent – pour le plus grand malheur, encore une fois, de leurs voisines diplômées de l’académie des balais dans le cul. Pourtant, Soccer mom Susan qui se désolait de voir aussi peu de monde cette année, parce que les gens ne prennent plus le temps de se déplacer et préfèrent vivre les choses au travers d’écrans (et on peut la renommer Généralités Susan), devrait se réjouir ; Alfie et Ariane vivent littéralement la parade, se personnifient en créatures en papier mâché alors que tant d’autres prennent des photos par dizaines et esquissent un simple hochement de tête pour signifier d’un intérêt tout relatif quant à ce qu’il se passe devant leurs yeux. Et quand Ariane envisage de personnifier Jules pour la faire participer au jeu, Alfie interrompt ses recherches car la conclusion a déjà été pensée par ses soins. Et sans surprise, Ariane n’est pas d’accord avec son interprétation. « Come on, t’es juste jalouse parce que pour une fois tu seras pas le centre d’intérêt, ni le bouquet final pour lequel on se déplace. » Il rétorque au commentaire d’Ariane, le regard qui la zieute en coin et le sourire d’imbécile, juste assez pour l’énerver, juste assez pour venger sa dulcinée.
Elle peut râler autant qu’elle veut, Ariane, elle peut continuer à critiquer, il en reste que c’est bel et bien elle qui a repéré Jules dans la foule avant son propre copain, et rien que pour ça, Alfie y voit un nouveau signe qu’il y a un infime pourcentage que les deux jeunes femmes puissent s’apprécier – parce qu’il est évident que si Ariane a reconnu Jules d’aussi loin, parmi toutes ses foules, c’est évidemment parce qu’en réalité, elle a un crush amical sévère sur la jeune femme, mais sa fierté l’empêche d’admettre la terrible vérité. Ainsi, Alfie s’empare du bras de la rouquine pour la tirer jusqu’à sa Némésis et l’empêchant ainsi de fuir sa destinée ; après tout, c’est de sa faute s’il en fait cette interprétation. Un regard amusé échangé avec Jules lorsqu’elle se plaint de sa cruauté, c’est très vite la panique qui le gagne alors qu’il n’est pas dupe, Alfie, la personnification en question est désormais celle de la guerre froide, et il lui faut trouver un moyen de forcer les choses, encore plus suite au ton qu’emploie Ariane. En réalité, il n’a pas besoin de se forcer, car c’est un naturel « ah ouais, y’en avait un qui ressemblait à une harpie ? étonné qui s’échappe d’entre ses lèvres. Mais, oui, c’est évident maintenant que j’y pense ! C’est celui qui avait de la dentelle guipure ! Pourquoi tu l’as pas dit, j’aurais pu en parler à la grand-mère à côté de nous ! J’suis sûr que si elle était aussi désagréable, c’est parce qu’elle était triste de pas avoir de dragon à son image. » Ariane aurait pu faire un effort dès le départ, peut-être qu’ils auraient pu mettre un peu de baume au cœur de Grandma Yetta. « Toi, j’ai décidé que t’étais le feu d’artifice final. » Il conclut à l’attention de Jules. La conversation dérive sur le sujet préféré d’Alfie : la nourriture, et il se dit que cette fois-ci, il n’y a pas de risque d’étincelles puisque cela reste une conversation qui met en général tout le monde d’accord, ou qui ne permet pas de débats laissant places aux attaques personnelles dans le cas contraire ; et dans la finalité si c’en devient le cas, il y a toujours l’excuse de devoir manger pour ne pas avoir à parler. L’utopie d’Alfie se heurte au commentaire d’Ariane, et le jeune homme lui adresse un regard noir. « Ouais, mais maintenant que je suis près des stands de nourriture, je sais plus vraiment, y’a le pajeon qui a l’air pas mal aussi, puis là cette odeur de bánh xèo me tente assez, mais en même temps je voulais prendre un roulé au matcha pour le dessert, alors je sais plus. Non, mais, allez, je reste sur ma première envie. » Qu’il précise en haussant les épaules, tentant de faire abstraction du commentaire de la rouquine et de noyer celui-ci au milieu de son indécision. Il est toutefois l’arroseur arrosé de sa propre stratégie ; puisque le voilà maintenant qui hésite réellement entre tous ces plats. « Ah tu vois, voilà quelque chose que tu peux conseiller à tes lecteurs : ne dites pas tout, tout de suite, ça vous permet de garder un peu de magie au fil des années. Il s’amuse, passant son bras autour des épaules de Jules et lui adressant un regard. Alors, qu’est-ce que ça fait d’être un modèle pour d’autres couples ? » Il laisse échapper un léger rire, maintenant parfaitement détendu ; il ne pouvait espérer meilleur schéma qu’une invitation de la part de Jules qui se retrouve rapidement acceptée par Ariane, et c’est un sourire qui naît sur ses lèvres à cette idée, même s’il se maudit intérieurement de ne pas y avoir pensé plus tôt : la nourriture remplit les estomacs et rapproche les cœurs (et il fera graver ça sur son épitaphe, oui).
Les minutes s’écoulent à une lenteur impressionnante et je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui m’a pris d’accepter cette sortie. Tous les éléments étaient pourtant réunis pour me pousser à trouver tous les stratagèmes possibles et imaginables pour ne surtout pas être présente, ou au moins inviter une amie à venir avec nous, histoire d’avoir un peu moins l’impression de me jeter dans la gueule du loup. Mais il a fallu que je fasse preuve d’optimisme, que l’enthousiasme d’Alfie soit contagieux et que je finisse par me dire qu’après tout, ça ne pouvait pas être si terrible et que si ça lui faisait plaisir, je pouvais bien faire ça pour lui. Malheureusement, la réalité commence déjà à me donner tort, et si j’ai réussi à m’éclipser, le temps de la parade, je ne peux pas m’enfuir éternellement et je me retrouve prête à subir le reste d’une journée qui a déjà mal commencé, tentant malgré tout de faire bonne figure et d’avoir l’air un minimum amical. Pour une raison qui m’échappe plus ou moins, Ariane n’a jamais vraiment l’effort de paraitre sympathique en ma présence, ou alors elle est comme ça tout le temps ce qui devrait m’inquiéter quant aux choix de compagne qu’est capable de faire Alfie. Croire qu’elle pouvait elle aussi faire un effort pour qu’on passe un moment un peu moins mauvais que prévu était vraisemblablement de l’ordre de l’utopie puisqu’il lui suffit d’une simple comparaison pour enclencher le bouton on de cette guerre froide dont nous ne sommes jamais vraiment sorties. Je me retiens difficilement de lever les yeux au ciel ou de soupirer, lassée par ses piques incessantes qui n’arrangent rien à nos relations, n’ayant pas besoin de me forcer à répondre puisqu’Alfie vole plus ou moins à mon secours avec un enthousiaste – que j’adore habituellement – exaspérant. Sa comparaison avec un feu d’artifice ne décrispe pas le sourire que j’ai malgré tout réussi à conserver – heureusement parce qu’avec Ariane, il vaut mieux éviter de se vexer rapidement puisqu’une fois qu’elle commence, rien ni personne ne peut l’arrêter –, j’imagine qu’il a dû me trouver d’obscurs points communs avec ledit final. « Parce que j’attends bien sagement la fin du show pour exploser ? » Je demande, l’air de rien, dans un avertissement à peine voilé que je dirige vers lui plutôt que vers Ariane parce qu’après tout, ce n’est pas de sa faute si nous devons encore nous confronter l’une à l’autre. « Il y a de l’idée. » Tu es prévenu, à toi de canaliser le pitbull que tu as choisi pour amie, Alfie. Pas de doute, il va certainement regretter d’avoir eu cette idée pour tenter un rapprochement qui n’a aucune chance d’avoir lieu.
La suite de la conversation me confirme évidemment que ce qui ressemblait aux prémices du one woman show d’Ariane Parker l’était réellement et qu’elle n’a pas fini de s’amuser de la situation qui me parait de plus en plus inconfortable. En pleine bataille navale, j’aurais sûrement râlé de lui accorder deux touchés-coulés en deux coups, m’insurgeant contre la chance insolente dont elle fait preuve. C’est malheureusement le problème avec Ariane, elle vise juste à tous les coups et je ne sais pas ce qui m’énerve le plus, savoir qu’elle va s’amuser de mon incapacité à lui rentrer dedans en présence d’Alfie que je tiens à préserver, qu’elle parvienne à m’atteindre à chaque fois ou encore que je ne sois pas en mesure de laisser ses mots couler sur moi sans être touchée par ses paroles. Peut-être que s’il n’y avait pas eu ce passif entre eux, il m’aurait été plus facile d’encaisser sans flancher, mais il m’est toujours difficile quand je les vois côte à côte de ne pas me rappeler qu’ils ont un jour partagé le même lit et que leurs sentiments ont donc dépassé le cadre strict de l’amitié. Malgré les années qui s’écoulent, personne ne m’enlèvera de la tête que si elle est encore – et toujours – là, c’est qu’elle attend un peu plus qu’une simple amitié. Je n’ai jamais eu confirmation de ce doute persistant, mais j’attends patiemment le moment où elle se trahira et où je pourrais mettre une distance, que je rêve d’imposer, entre nous. Evidemment, c’est une fois de plus Alfie qui saisit au vol la pique qu’elle me lance pour tenter de la noyer dans son flot de paroles qui ne trompe personne. Je reste sagement en retrait, comme promis, prenant sur moi pour ne pas mettre toutes mes idées de tortures à exécution. C’est tout juste si je n’entends pas le Jules, enfin, tu n’as pas été élevée comme ça, prononcé par ma mère à chaque fois que je tentais de faire des bateaux en papier avec la feuille de chants distribuée pour la messe. Je ne vois d’ailleurs toujours pas où était le problème, je suis sûre que Dieu a le sens de l’humour, lui aussi. Je me félicite de parvenir à faire preuve d’autant de patience, je conseille à quiconque la cohabitation avec un Alfie – de préférence pas le mien – pour développer cette qualité utile dans de nombreuses circonstances. Je retiens avec brio l’idée de lui demander si elle veut découvrir ma main sur son visage au sourire narquois ou si elle a déjà conseillé à ses lecteurs de ne pas perdre leurs temps à courir pendant des années après un ex désormais en couple. Félicitations, moi. Je n’arrive pas non plus à apprécier les efforts que fait mon petit-ami pour éviter qu’elle m’enfonce encore davantage parce qu’après tout, il est le premier coupable de la situation bien trop désagréable dans laquelle il vient de me mettre. « J’ai déjà trouvé le titre du livre que je compte écrire pour nos fans. » Je plaisante, avec un enthousiasme modéré, n’oubliant pas que ma proposition de déjeuner tient toujours et qu’elle est la raison pour laquelle Ariane a soudainement décidé de s’éterniser, même si à mon avis, elle serait restée dans tous les cas, trop heureuse de pouvoir me torturer encore davantage. « Vous êtes décidés, je peux aller commander ? » Plus vite on aura commandé, plus vite nous pourrons mettre fin à cette sortie qui menace de tourner à un remake d’un mauvais film d’horreur. Je rêve de voir sa tignasse rousse s’éloigner alors que nous repartirons de notre côté et si elle peut malencontreusement se faire rouler dessus par un bus sur le chemin du retour, je promets de lui confectionner la plus jolie des couronnes de fleurs pour son enterrement et de tenter d’avoir l’air sincèrement attristée lorsque ses proches – enfin ceux qui lui restent – se relayeront pour le discours d’adieu.
« Toi, j’ai décidé que t’étais le feu d’artifice final. » ils le verront pas, malheureusement, le roulement d’yeux que je leur dédis, mon visage qui se détourne pour faire les choses bien, mais mon soupir qui est un octave trop fort pour qu’on le manque anyways. Alfie fait ce qu’il sait faire de mieux, babiller à outrance, et avec le temps et les années et la proximité toujours développée, j’en viens à m’étonner d’être si habituée de l’entendre, comme une musique ambiante, presque comme la radio qu’on laisse jouer pour combler les silences. Sa voix fait office de white noise, de trame apaisante quand la foule autour me fait chier, quand les gamins qui filent en hurlant dans tous les sens me font chier, quand la vie en général me fait chier, surtout depuis que Jules a décidé de débarquer comme une fleur – alors que c’était prévu depuis le début, on se calme, Ariane – et que mon pote que je vois à peine ces temps-ci a décidé de jeter son dévolu sur elle – c’est sa copine girl, give him a break. Et j'expire. « Ah tu vois, voilà quelque chose que tu peux conseiller à tes lecteurs : ne dites pas tout, tout de suite, ça vous permet de garder un peu de magie au fil des années. Alors, qu’est-ce que ça fait d’être un modèle pour d’autres couples ? » mes iris passent de l’une à l’autre, et ils sont blasés, parce qu’en vrai je savais un peu ce qui se tramait entre eux à coup de regards trop insistants, de remarques d’Alfie que je retenais. C’était pas la love story dont tout le monde rêvait, y’avaient des soucis sous la surface, et qu’ils se minaudent à l’oreille ça le faisait pas pour moi – je connaissais la backstory. « Je prends des notes alors. » ma voix pourrait pas être plus condescendante, mon ton pourrait pas être plus piquant, quand je bats des cils, les laisse avoir leur moment dégoulinant de cheesy alors que mon attention cherche déjà à capter où, quand, comment je pourrais me nourrir, affamée par tous ces choix à proximité, ennuyée par la conversation qui parle de bouffe sans m’en donner à la clé.
Par contre, quand Juliana se lance dans un discours où, au final, je me retrouverai avec de quoi me mettre sous la dent autre que leurs répliques communes clichées, c’est mon estomac qui prend le relai, qui s’assure de lui faire savoir que je reste dans le coin, que je bouge pas, que je fais dans l’opportunisme à un niveau plus que déplacé. « J’ai déjà trouvé le titre du livre que je compte écrire pour nos fans. » du calme, Liz Gilbert. Elle se la joue yeux brillants et paupières battantes, je le vois tout de suite dans son attitude qu’elle se moque la brune, qu’elle fait ce qu’elle peut pour m’envoyer le signal d’aller voir ailleurs, qu’elle tente de marquer son territoire mais que je suis beaucoup trop braquée pour lui laisser le moindre millimètre de jeu. « Ah ouais ? Allez dit, ça m’intéresse. » si elle laisse du suspens comme ça, c’est parce que son idée est nulle de chez nul. Autant lui offrir la tribune pour se ridiculiser, elle me rend l’affaire si facile que j’ai même pas aucun effort à faire, suffit juste de lui préparer la scène et de m’assurer de faire du popcorn pour tous ceux qui assisteront à sa déchéance. Je me régale, je suis patiente le pire, le moindrement pressée, je préfère bien plus la voir se démerder que de réagir concrètement, avec la moindre intention voilée. Puis, revient la conversation sur la bouffe et sur ce qui se commandera, et évidemment que je m’incruste, le sourire aux lèvres, les mauvaises intentions à la clé. « Vous êtes décidés, je peux aller commander ? » c’est l’histoire d’une vie de laisser Alfie choisir, de lui donner accès à un menu et à tous ses aléas, ses extras et ses options variées. Mon sourire lui, il est moqueur, il se marre, il s’amuse comme jamais, quand je me sacrifie, quand je joue à la bonne copine, à la nana qui care, alors que vraiment, je pourrais pas plus m’en foutre. « Ma pauvre, y va pas toute seule, tu arriveras pas à tout ramener. » et je suis Jules, je suis au taquet derrière elle, à commander pour deux mais à manger pour à peine une seule personne, prévoyant partir avec les boîtes de restes sans demander l’autorisation à qui que ce soit. Elle paie et elle se démerde pour suivre la cadence de ma commande, je joue de toute ma fausse gratitude en lui lançant un « Merci encore. » bien chantant, bien chiant aussi, avant de filer vers Alfie en la laissant ramener le tout sans même m’en inquiéter. « Elle est dans une bonne journée, l’autre. Ça fait du bien. » c’est sûr que ça aide, qu’elle ait payé pour mon appétit d’ogre.
Dans ce jeu de personnification, évidemment que Jules prend des airs de bouquet final, au sens littéral en les rejoignant à l’issue de la parade, comme au figuré en prenant en compte l’importance conférée par ce statut de grand final. Pétillant, coloré, magnifique, un poil bruyant malgré tout (mais elle est obligée de l’être en partageant sa vie avec Alfie), la comparaison lui apparaît parfaitement adaptée même si, autant auprès d’Ariane que de la principale intéressée, elle ne semble faire sens qu’à ses yeux. Qu’importe, ce n’est pas comme si cette impression est inhabituelle pour Alfie, et tant qu’il y trouve satisfaction, il se satisfait de cette idée. À un détail près, si Alfie a associé Jules au feu d’artifice pour tous les bons côtés de celui-ci, il en a oublié les mauvais, dont le plus important : c’en reste des explosifs qu’il faut manier avec délicatesse, un peu comme Jules lorsqu’elle se retrouve dans le même périmètre que celui d’Ariane. Alfie pince les lèvres à la réflexion de Jules, grimace et penche légèrement la tête de côté. « Nan, nan, c’est… c’est pas ce que j’aurais dit. » Il a parfaitement saisi le message que sa petite amie tente de lui faire passer, mais il préfère jouer à plus idiot qu’il ne l’est réellement, même si c’est un « parce que tu es magnifique » visant certes à détourner son attention mais qui n’en demeure pas moins sincère, qui s’échappe d’entre ses lèvres dans un murmure à son oreille, à l’abri de Parker et son regard qui jauge, se moque et vomit, qu’il ne connaît que trop bien pour avoir eu longtemps le même – et peut-être que s’il s’observait, il l’aurait toujours. Ariane peut juger, mais l’experte n’est jamais loin, et c’est bien elle qui s’émerveille (oui, ce mot va parfaitement de pair avec le prénom Ariane) de la façon dont le couple se découvre encore après trois ans de relation. Alfie rebondit, surjoue, fait abstraction de la raison pour laquelle Ariane s’est permis cette remarque en premier lieu – pour piquer, pour pointer du doigt une maladresse de Jules, pour faire son Ariane en somme, celle qu’il adore en temps normal, et qu’il déteste presque lorsqu’elle se présente à sa compagne. Alors il s’en amuse, Alfie, il tente de reprendre l’avantage de la conversation, pour ne pas admettre que tout cet après-midi était une mauvaise idée, et que jamais il ne devrait tenter de forcer les choses entre les jeunes femmes – c’est l’idée, il sait pertinemment qu’il recommencera d’ici la semaine prochaine parce que Jules lui aura demandé innocemment s’il a vu Ariane et qu’il y verra une envie de la voir aussi, ou parce qu’Ariane n’aura que le prénom de la brune à la bouche pour la critiquer, et dans les deux cas Alfie y verra de nouveau ce signe que son optimisme s’évertue à pointer de signaux lumineux clignotants et visibles à des kilomètres à la ronde. Pour l’heure, le coup de foudre qu’il espère toujours avoir lieu entre les deux jeunes femmes a déplacé le rendez-vous, et il est donc question de gérer cette conversation qui prend des allures d’alerte à la bombe : fais gaffe, Alfie, ça va t’exploser à la gueule dans une poignée de minutes si tu t’occupes pas de désamorcer la situation. « Oh, et moi, tout le monde s’en fout de mes idées ? Génial, je vois, solidarité féminine tout ça, on s’en contrefout de ce qu’Alfie peut proposer, hm, j’apprécie. » Il apprécie réellement, en fait, en vue de la manière dont il vient d’interpréter les choses. Et il observe les deux jeunes femmes, l’air de dire « j’ai parlé de solidarité féminine c’est un nom de code dans votre milieu, non ? Alors aimez-vous, ENFIN, merci ». Alfie va sérieusement commencer à envisager de coller des étiquettes « free hugs » dans le dos de la brune et la rousse, tels des poissons d’avril qui imposeront un rapprochement, car c’est bien connu que forcer les choses est la meeeeeeeilleure solution, et tant qu’à être qualifié d’emmerdeur, autant en avoir la réputation qui le justifie.
Plutôt que d’essayer (vainement) de gérer cette tension ambiante, l’anthropologue pourrait tout aussi bien abdiquer, reconnaître qu’elles sont trop différentes pour s’entendre, trop têtues pour envisager de changer d’avis, trop forcées pour laisser les choses se faire. Mais ce serait mal connaître Alfie que de penser qu’il est capable d’abandonner aussi facilement (enfin, si, en réalité il abandonne les trois quart des choses qu’il entreprend), et lorsqu’il a une idée derrière la tête, il ne lâche pas celle-ci tant qu’elle ne s’est pas réalisée. Et tant que Jules et Ariane n’iront pas cueillir des pâquerettes main dans la main (oui, il tient à cette image), il n’abandonnera pas. Parce qu’au-delà de vouloir être un emmerdeur en bonne et due forme, il est surtout question d’un problème qui s’impose à lui ; et cette impression qu’il ne peut passer du temps avec l’une sans forcément agacer la seconde. Et parce qu’elles ont toutes les deux un rôle important à jouer dans sa vie, un rôle qui justifie le besoin de parler de l’une à l’autre, et devoir sans-cesse faire attention aux mots qu’il peut prononcer, aux choses qu’il a envie de partager en est sérieusement agaçant. Il ne demande pas grand-chose, seulement un minimum de cordialité qui ne lui donne pas l’impression d’être un communiste perdu au milieu des États-Unis en période de Guerre froide. Et lorsqu’Ariane se propose d’aider Jules à passer commande, c’est une mine surprise qui prend possession du visage d’Alfie, bientôt remplacée par un sourire, alors qu’il se voit déjà cocher des numéros au loto avec la certitude d’être le prochain millionnaire du pays. Malgré tout, Alfie ne peut s’empêcher de surveiller la scène du coin de l’œil, restant en retrait comme si les quelques secondes en tête-à-tête allait justifier un soudain amour l’une pour l’autre – ou comme s’il attendait à devoir les séparer parce que l’une à jeter son plat de nouilles sur l’autre (et c’est plutôt cette option qui a ses faveurs, en réalité). Et si une part de lui est ravie de constater qu’il s’est trompé lorsqu’Ariane revient à son niveau après avoir planté Jules (question de gaspillage alimentaire évité), une autre est furax (autant qu’Alfie peut l’être). « On peut pas en dire autant de toi. Qu’il soupire, même pas amusé, alors qu’il esquisse un plat, lui soufflant un fais la maligne, mais ça va se payer cher à la boxe » une fois à sa hauteur tandis qu’il presse le pas pour aller donner le coup de main qu’Ariane a refusé à Jules. « Je sais pas ce qu’elle a, peut-être qu’elle a ses… WARNING, nope, nope, nope, mauvaise justification, on oublie. … Son Arianitude. Explication hautement satisfaisante, évidemment. Tu… tu veux cracher dedans ? Je dirai rien. » Qu’il demande en soulevant légèrement une des assiettes qu’il a en main, les sourcils légèrement écarquillés comme s’il lui donnait le feu vert – reste à déterminer si c’est lui ou Ariane qui écopera de sa vengeance. Une vengeance qui n’est toutefois pas à l’ordre du jour puisque Jules est trop bien élevée pour se rabaisser à ça (contrairement à lui, qu’on se le dise, mais qu’Ariane se rassure, ce n’est pas pour autant qu’il épice son plat). Revenant finalement vers la rouquine, Alfie pose ce qu’il a dans les mains sur un bout de table à leur hauteur, mimant un « très cher » à l’attention d’Ariane, alors qu’il s’empresse de goûter à son bibimbap comme si celui-ci était une potion magique susceptible de le fournir en énergie pour supporter les minutes qui suivent. L’atmosphère est glaciale, et lorsqu’il voit Ariane en passe de reprendre la parole, c’est un énorme « nope » scintillant qui s’affiche dans son esprit et l’oblige à la couper. « Bibimbap, c’est marrant comme nom, quand même. Nouvelle bouchée. Vous trouvez pas ? Il enchaîne alors même qu’il n’a pas terminé la précédente. V’ran’ment faut qu’j’me rencheige dessus. Qu’il précise, la bouche pleine. Ché bon, en t’cas. Il approuve, alors qu’il mâche frénétiquement et ne savoure absolument pas les saveurs du plat. Nouveau silence, très vite rattrapé alors que Jules est celle qui entreprend cette fois-ci d’ouvrir la bouche. Non, vraiment, bibimbap, c’est fascinant. Qu’il lance, avant de reprendre une nouvelle bouchée. On dirait un chlogan. Léger toussotement, il manque de s’étouffer. Genre, bim, bim, map, ça fait début de comptine, non ? Qu’il suppose entre deux bouchées, poussant un soupir alors qu’il a l’impression d’être une oie engraissée en vue de Noël (des pratiques contre lesquelles il s’oppose fermement et qui lui ont déjà valu de s’attacher à un abattoir pour protester, mais là n’est pas le débat). Ou mau’aise chène d’un polar a’ec le tueur qui choi’it sa ‘ictime. Ok, il a englouti les trois quarts, encore un petit effort. Ou qui déchigne l’sur’vivant. Nouvelle bouchée, et il commence enfin à se demander si ce plat est bon vu qu’il s’est pas vraiment occupé de la question. Genre, bim t’mort, bim t’mort, map, t’as un’car’te d’fidél’té à la su’vie. IT’S THE FINAL MOUTHFUL. Quelques secondes pour assurer une certaine crédibilité (non), un soupir, une main sur le ventre, et finalement il relève les yeux vers les deux jeunes femmes. Jules j’comprends pas je suis trop mal, on rentre ? » Et leur empêcher d’échanger le moindre mot valait bien le sacrifice de son estomac. Quant à savoir si le bibimbap tant attendu était bon, Alfie n’en sait rien et ne le saura jamais (parce qu’il va probablement le rendre une fois arrivé à l’appartement).
L’avantage de passer quelques heures en compagnie d’Ariane et d’Alfie, c’est que j’apprends à maitriser parfaitement la notion de prendre sur soi, résistant à l’envie folle d’envoyer chier la rouquine à chaque fois qu’elle ouvre la bouche, ou presque, puisque c’est en général pour balancer des propos sans intérêts, méchants, ou qu’elle doit sans douter juger drôle mais qui ne le sont certainement que pour elle. Savoir qu’Alfie éprouve de l’intérêt pour cette fille – et en a même éprouvé encore davantage à une époque pas si lointaine que ça – est carrément désespérant et chaque seconde qui s’écoule m’incite davantage à me poser cette ô combien pertinente question : POURQUOI BORDEL ?! Mais il faut beau, c’est une journée festive, le ciel est bleu, la nourriture a l’air bonne et je ne peux donc être que paix, amour et joie de vivre pour ne pas gâcher cette magnifique journée. La comparaison que fait Alfie m’incite toutefois à être un peu moins sympathique que je me le suis promis, ou en tout cas, de prétendre pouvoir l’être un peu moins si elle continue à être aussi chiante, message que ne semble pas forcément recevoir mon petit-ami ou qu’il feint d’ignorer à la perfection. La politique de l’autruche est parfaitement maitrisée, il faut croire. Je suis évidemment obligée de me radoucir devant le compliment qu’il murmure à mon oreille – je suis faible, j’assume parfaitement – et c’est bien un sourire sincère qui apparait sur mon visage en guise de remerciement au lieu de celui nettement plus figé et forcé pour lequel j’avais opté précédemment. Mais s’il a réussi à me faire changer d’attitude, ce n’est que provisoire car la conversation forcée que nous essayons vainement d’avoir dans une ambiance des plus tendues n’a rien de très réjouissant et bien que je tente de me prêter au jeu pour ne pas laisser Alfie seul dans ce combat – et pourtant, il le mérite puisque tout est sa faute –, je n’arrive pas vraiment à me défaire de l’envie de mettre ma main dans la figure de Parker à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. J’ignore superbement sa question sur le titre de notre futur livre imaginaire, n’ayant pas vraiment d’idée à proposer en réalité, et si avec une toute autre personne j’aurais pris la peine d’y réfléchir pour trouver quelque chose d’amusant, je n’ai pas l’intention de me creuser la tête pour elle. Heureusement, Alfie rebondit sur ses propos, voyant dans la question de la jeune femme un élan de solidarité qui n’est probablement visible que pour lui. A trop vouloir prendre ses rêves pour des réalités, il va finir par avoir de vrais problèmes, j’attends le moment où mon téléphone sonnera et qu’il me dira d’une voix toute excité « je te jure, Jules, je viens de rentrer et je suis certain d’avoir aperçu un alpaga sur le balcon, je t’assuuuuuure, je vais prendre une photo si tu ne me crois pas ». Je serais bien tenté de lui répondre un « La solidarité féminine envers les connasses, ça n’existe pas » mais ce serait malvenu et je n’ai pas été éduquée comme ça. « Eh, les livres c’est censé être mon domaine, ne brimes pas ma créativité. » Je le taquine sans un coup d’œil à la rouquine qui doit être en train de lever les yeux au ciel, geste qu’elle maitrise parfaitement bien à chaque fois que j’apparais dans son champ de vision.
Manger aurait dû être une activité un peu moins risquée que tout ce qu’on aurait pu choisir d’autre, d’autant plus parce qu’il est impossible de parler la bouche pleine mais c’était sans compter les multiples et inutiles interventions de Parker qui teste une fois de plus ma capacité à contenir mes nerfs. Je me félicite d’y parvenir aussi bien d’ailleurs, même si une fois la commande prise, la décision de la jeune fille de m’accompagner me surprend tellement que je retiens de justice un par pitié, surtout pas alors que j’entrevois déjà à quel point je vais détester le discours qu’elle va me tenir durant le court laps de temps durant lequel Alfie ne sera pas en mesure d’entendre nos propos. En me dirigeant vers le comptoir, je me prépare à une joute verbale musclée, connaissant parfaitement la capacité de la jeune femme à m’écraser aussi facilement qu’un petit insecte sur un coin de table. Je suis donc particulièrement étonnée qu’elle se tienne sagement à mes côtés, commandant bien trop de nourriture pour une seule personne, certes, mais gardant ses remarques acerbes pour elle ce qui est pour le moins surprenant. Alors que nos commandes reviennent vers nous, c’est moi qui finis par briser le silence ce qui n’est pas forcément très pertinent mais beaucoup trop plaisant. « Tu as fait de gros progrès. » Je la félicite, telle une petite mamie de quatre-vingt-dix ans flattant la tête de son caniche nain d’un âge canin quasiment similaire parce qu’il a réussi à contenir sa vessie bien amochée par les années jusqu’à la porte de l’immeuble. Les progrès ne sont malheureusement que de courte durée puisque j’ai à peine le temps de réceptionner tous nos plats que je vois la jeune femme tourner les talons pour rejoindre une table sans me prêter main forte. J’envisage un instant le lancer de soupe façon frisbee qui viendrait atterrir pile dans son dos accompagné par un « Oups, elle m’a échappée des mains, désolée » qui ne serait absolument pas crédible mais ô combien libérateur. Seule la proximité de nombreuses personnes autour de nous et le mouvement d’Alfie qui s’empresse de me rejoindre pour m’aider m’empêche de mettre mon projet à exécution. Le fait qu’il ait l’air de trouver son comportement étonnant m’exaspère et ce n’est pas cracher dans la soupe qui y changera quoi que ce soit. « Je la trouve fidèle à elle-même, personnellement. » Il va falloir arrêter de vivre dans le déni, Alfie, c’est une connasse, c’est tout. « Ce n’est pas un crachat que j’aimerais mettre dans son plat mais plutôt du cyanure. » Je propose, l’air de rien. « Je pense même que ça mériterait une récompense pour service rendu à l’humanité. » Sinon, à part ça, on est vraiment sur le point de devenir les meilleures amies du monde, ne t’inquiètes surtout pas mon chéri. J’espère qu’il viendra me rendre visite en prison. Je commence sincèrement à désespérer de voir cette journée se terminer alors que nous nous retrouvons devant nos plats, je commence à en avoir marre de Parker et ses réflexions minables et je ne sais pas comment je vais réussir à supporter ça encore longtemps. Alfie semble comprendre l’urgence de la situation puisqu’il se met à avaler son plat à une vitesse impressionnante alors que je le regarde, interloquée, sans même avoir touché au mien, incapable de comprendre ce qu’il est en train de dire entre deux bouchées trop vite avalées. Ce n’est que lorsqu’il prétend se sentir mal que je comprends enfin il voulait en venir et je me garde bien de lui préciser qu’il était inutile de se rendre réellement malade pour être crédible puisque de toute façon, toutes les personnes présentes avaient certainement envie de mettre un terme à ce carnage. « Je te ramène. » J’acquiesce, en essayant de ne pas avoir l’air trop enthousiaste à cette idée. « Je te laisse mon plat. » Je lance en direction d’Ariane. « T’as l’air d’avoir vraiment très faim. » Je poursuis, sans vouloir donner un double sens à cette phrase, évidemment voyons, ce n’est pas du tout mon genre. « A la prochaine. » Jamais, de préférence. Je tourne les talons sans plus attendre, entrelaçant mes doigts entre ceux d’Alfie autant pour me montrer pathétiquement possessive tant que nous serons dans le champ de vision d’Ariane que pour me frayer plus facilement un passage dans la foule sans le perdre de vue et quitter au plus vite cet endroit de malheur.