| | | (#)Mer 13 Fév 2019 - 14:18 | |
| « Il faut changer ce passage, ça ne va pas… rien ne va… » un stylo à la main je barrais une à une les phrases qui ne voulaient rien dire… je me demandais encore qui avait pu faire rentrer cette stagiaire à ABC. Qui avait pu accepter qu’une étudiante avec un tel manque de compétence puisse tenter sa chance chez nous. J’avais même beaucoup de mal à croire qu’on puisse faire autant d’étude avec un niveau si bas. « Tu ferais mieux d’aller voir Tony, il pourra t’expliquer comment aligner deux mots… » Tony était bien plus patient que moi lorsqu’il s’agissait d’être diplomate. Il savait mieux s’y prendre et je me demandais encore de qui il pouvait tenir ça. Ni notre mère, ni notre père ne savait aussi bien garder son sang-froid. A peine sortie de mon bureau, je pouvais l’entendre glousser, semblant s’effondrer en larme dans le couloir. Les grandes baies vitrées qui composaient l’open space ne lui rendaient pas service, se donnant en spectacle à la vue de tous. Enfin, elle ne serait pas la première… Tony ayant pris pour siège le bureau en face du mien me lança un regard désapprobateur. Je savais bien que mes techniques ne lui plaisaient pas, mais il m’était réellement impossible de rester de marbre face à quelqu’un qui n’avait pas sa place dans ce milieu. Il ne manqua pas de se lever assez rapidement pour venir me voir. « Qu’est-ce qu’elle a fait ? Ton café n’était pas assez chaud, c’est ça ? » Assise à mon bureau, fallait-il réellement que je lui rappelle que nous n’étions pas à la maison ? « Tony, s’il te plait. Je ne remets pas en doute tes capacités d’animateur de radio nocturne à une heure de grande écoute certaine… je ne te permets pas, de ton statut qui n’est pas celui de mon frère ici mais bien d’animateur… » Je l’adorais mais il ne fallait pas tout mélanger, le boulot, c’est le boulot. « Message compris ! » il semblait un chouïa vexé par ma remarque mais qui semblait être juste. Il était sorti de ce bureau aussi vite qu’il n’en avait fait l’irruption. Me voilà de nouveau plongée dans ces dossiers qui jonchaient mon bureau, des documents à lire et à valider avant la prochaine émission qui avait lieu deux heures plus tard. Sauf que dans moins d’une heure, j’avais aussi une réunion avec l’équipe de nuit pour calibrer l’émission et m’assurer que tout se passe bien avant que je ne quitte mon poste. En autres mots : le temps me manquait et je n’avais pas le luxe de perdre une minute avec des stagiaires qui ne comprenaient rien à une ligne éditoriale d’une radio publique. Je m’accordais un café qui allait me permettre de tenir le cap, alors que je sortais de mon bureau, au bout du couloir, Alfred Maslow sorti du studio de radio. J’avais oublié qu’il devait intervenir aujourd’hui d’ailleurs et même si la radio était diffusée à toute heure dans nos locaux, je n’y prêtais plus vraiment attention. Il tombait à pic, mauvais timing certes, mais j’étais ravie de le croiser ! Je levais la main pour qu’il me remarque de l’autre côté du couloir. « Alfred ! » Ayant capté son attention, je lui fis signe de me rejoindre dans mon bureau, le café attendra. Tout était parfaitement bien rangé et chaque chose avait une place bien précise dans ce bureau, je tirai un tiroir et en sortie un document composé de quatre pages. « Je suis ravie de te voir par ici aujourd’hui ! » lui fis-je une fois qu’il était devant le seuil de ma porte. « Entre, installe toi. Tu as quelques minutes ? » je posais les documents sur le bureau de manière à ce qu’il puisse les lire. « j’ai une proposition à te faire. » ce document qui s’apparentait tout à fait à un contrat, fait sur mesure pour lui. Je lui avais souvent glissé à l’oreille qu’il avait tout à fait sa place parmi nous à ABC et qu’il ferait un membre d’excellence à la hauteur de mes attentes. Il avait toujours refusé mon offre, toujours très poliment d’ailleurs, mais je savais qu’il finirait par craquer. J’avais forcément une pensée pour Jules, ma dernière carte à jouer. |
| | | | (#)Jeu 14 Fév 2019 - 3:29 | |
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EVA & ALFIE ⊹⊹⊹ An act of kindness Is what you show to me, Not more than I can take, Oh, not more than I can take. Kindness is what you show to me It holds me 'till I ache, Overflow and start to break.
Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas mis les pieds dans les locaux d’ABC qu’il en était venu à se demander s’il n’avait pas été remercié sans en être informé. Pour cette raison, Alfie avait passé, il y a environ deux semaines, une nuit blanche sur internet dans l’espoir d’y trouver un code du travail, n’importe quoi, qui pourrait l’aiguiller sur les droits d’ABC à agir de la sorte. Il avait procédé de cette manière non pas parce qu’il n’arrivait pas à dormir (bien-sûr que non) ou parce qu’il n’avait rien de mieux à faire de son temps, mais bien parce que ce travail lui tient à cœur et que sans intention aucune de coller un procès à ABC si le groupe était effectivement tenté par cette option, il voulait simplement être tenu au courant d’un tel cas de figure. Fort heureusement pour lui, il avait fallu qu’il s’inquiète pour son poste (car ironiquement, il n’a jamais travaillé pour qui que ce soit d’autre que l’université et est, tant mieux pour lui, complètement ignorant des procédures de licenciement), pour que la chaîne le contacte afin d’intervenir dans l’une de leurs émissions de radio. Si au téléphone il l’avait joué presque blasé, en réalité il avait sautillé sur place pendant une bonne dizaine de minutes à la suite de ce coup de fil – pas qu’il lui fallait des excuses pour ne pas tenir en place, de toute manière. C’est donc pour cette raison qu’Alfie erre dans les couloirs de la radio aujourd’hui, faisant les cent pas tout en relisant sans cesse son texte, s’assurant encore et encore qu’il soit suffisamment pertinent et clair pour toucher un grand nombre d’auditeurs. Ce n’est pas qu’il est stressé – c’est très rarement le cas – c’est que, comme toujours, le sujet sur lequel on lui demande d’intervenir lui tient particulièrement à cœur. Et tant pis si cela implique de se mettre une partie des auditeurs à dos ; car ce sera le cas en présentant la si adorée fête nationale comme étant problématique aux yeux d'une partie de la population, et plus particulièrement les indigènes. Il a déjà une idée de la réception de son intervention en prenant en compte les commentaires d’un ou deux collègues qui s’agacent que « tout soit sujet à la polémique aujourd’hui, même l’Invasion Day », ce à quoi le jeune homme n’a pas manqué de répondre que le simple fait de nommer cette « fête » ainsi devrait les amener à des questionnements, si seulement ils étaient dotés de plus de deux neurones (réflexion qu'il avait formulé avec bien plus de diplomatie, mais qui avait eu le même résultat). Ce n’est pas pour autant qu’il a le temps de se lancer dans un débat – et Dieu sait qu’il l’aurait voulu, à cet instant – puisqu’on lui fait bientôt signe de rejoindre le plateau. Passant une serviette sur son front – parce que bordel, qui est l’imbécile qui a eu l’idée de lui imposer une veste de costume, par les chaleurs actuelles et surtout quand ce n’est pas filmé ?! – il rejoint le plateau sans plus attendre, laissant dans le couloir ses réflexions désobligeantes et la mauvaise humeur qui l’atteint quand on touche aux sujets qu’il prend à cœur de défendre.
L’émission se passe bien, même s’il peut lire à plusieurs reprises le malaise sur le visage de la présentatrice principale à mesure qu’il déconstruit le mythe de la fête nationale australienne et met en évidence la célébration non pas d’une nation, mais bien de l’arrivée des colons britanniques. Poliment, clairement, intelligemment, avec conviction, car les buts est moins d’agresser les auditeurs que de les sensibiliser sur certains comportements et actes. Alfie est remercié, l’émission touche à sa fin, et dès lors qu’il est libéré, il s’empresse d’ôter la veste de costume qu’on lui a imposé et pour laquelle il n’a finalement pas bronché, si avoir l’air sérieux (même à la radio) peut permettre à son message d’être écouté, c’est un effort qu’il fait sans problème, quand bien même les températures extérieures flirtent avec les 40 degrés. C’est en voyant le regard sceptique d’un collaborateur sur sa chemise qu’il baisse les yeux avant de relever la tête et de hausser les épaules, l’air de dire « j’suis même pas désolé » d’autant plus s’ils n’ont aucun sens du style. Elle est très bien sa chemise et personne ne pourra le persuader du contraire. Saluant finalement les animateurs après avoir échangé quelques mots avec eux, il quitte le studio, la sensation du devoir bien fait accompli, et détendant peu à peu ses traits qui deviennent fermés, voire froids, dès lors qu’il cède la place au Alfie professionnel, consciencieux, qui diffère tant avec celui du quotidien. La veste en main, sautillant presque dans les couloirs, il entreprend de se diriger vers les loges pour la rendre, sans réellement prêter attention à ce qui l’entoure maintenant qu’il a mis toute sa concentration dans son intervention. Ce n’est que lorsqu’il entend son prénom, complet précisons-le, que le jeune homme s’arrête en chemin avant de froncer les sourcils. Fuck, il songe, alors qu’il relève les yeux, l’air penaud sur le visage, prêt à se faire passer un savon comme il en a l’habitude lorsqu’on l’interpelle de cette manière. Et lorsqu’il constate que ce n’est pas sa mère, mais bien Eva qui se tient un peu plus loin et qui est à l’origine de cette fausse frayeur, son visage se détend à nouveau et il fait quelques pas en sa direction. « Je te l’ai déjà dit, Eva, en dehors des studios, c’est Alfie. Il y a que ma mère qui m’appelle Alfred, et crois-moi, c’est pas très agréable pour toi d’être associé à elle, ni pour moi de faire une mini attaque quand on m'interpelle ainsi, d’ailleurs. » Comme à son habitude, il ne se gêne pas pour dire ce qui lui passe par la tête à ce moment-là, et reprendre Eva sur son interpellation ; et bientôt sur sa proposition puisque c’est de ça dont il est question, maintenant qu’ils ont pris place dans son bureau et qu’il se veut silencieux quelques instants pour lire les documents déposés devant lui. C’est avec un rire franc qu’il accueille la proposition, avant de relever les yeux vers Eva. « Je note qu’on passe un cap tous les deux ; tu as précisé ‘’quelques minutes’’, parce que tu sais très bien quelle est ma réponse. On progresse. » Aucune animosité dans ses propos, bien au contraire, c’est maintenant un sourire amusé qui habille ses lèvres, alors qu’il n’a aucune gêne à dire le fond de sa pensée à Eva, elle qui terrorise pourtant pas mal de monde dans ces locaux – le fait de se savoir dans ses bons papiers y est sûrement pour beaucoup dans cette liberté qu’il s’octroie face à elle. « Vraiment, Eva, c’est gentil, mais je vais t’éviter de gaspiller ta salive ou de perdre ton temps, et le mien par la même occasion, je suis toujours pas intéressé. » Même si cette fois c’est bien plus concret qu’une proposition glissée à la hâte après une collaboration, et qu’il ne peut s’empêcher de zieuter à nouveau le document posé sur le bureau. Finalement, il relève la tête, l’air amusé qui fait place à une moue plus sceptique. « Attends, c’est pas une tentative pour me foutre dehors, au moins ? Genre, tu me proposes un contrat que je ne peux pas refuser, et comme c’est ce que je compte faire, alors t’as l’excuse idéale pour te passer de mes services ? » Il demande, alors qu'il s'appuie contre le bureau et croise les bras sur son torse. Et donc, au-delà des interrogations quant aux éléments qui pourraient la convaincre de se passer de lui, posons les vraies questions : Alfie aurait-il un don de voyance qu'Eva s'apprête à confirmer ?
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| | | | (#)Dim 17 Mar 2019 - 19:28 | |
| « Je te l’ai déjà dit, Eva, en dehors des studios, c’est Alfie. Il y a que ma mère qui m’appelle Alfred, et crois-moi, c’est pas très agréable pour toi d’être associé à elle, ni pour moi de faire une mini attaque quand on m'interpelle ainsi, d’ailleurs. » Ca avait au moins le mérite de l’interpeller et puis, ca appuyais le caractère important de mon appel. La signature de ce contrat ! « Promis, j’arrêterai, quand t’auras signé ça ! » les contrats sous les yeux, c’était maintenant ma condition pour qu’il accepte. Alfie dégageait quelques chose de très positif, une attitude bienveillante à chaque fois que je le croisais, il était naturellement solaire et ce qu’il reflétait avait tendance à m’apaiser. C’était sans doute la raison pour laquelle j’avais absolument envie qu’il rejoigne l’équipe d’ABC pour de bon, qu’il signe ce contrat. Nous avions besoin de quelqu’un comme lui chez nous, pas seulement trois heures par mois ici et là, mais constamment. Que ce soit pour la radio ou pour la télévision d’ailleurs, bien que nous étions des entités distinctes, il était de moins en moins rare que l’on mutualise certains postes et le sien pourrait en être un. Ca lui apporterait aussi un peu de polyvalence et peut être un sentiment de ne pas être cloisonné à certaines tâches et de toujours travailler avec les mêmes personnes. « Je note qu’on passe un cap tous les deux ; tu as précisé ‘’quelques minutes’’, parce que tu sais très bien quelle est ma réponse. On progresse. » je lève les yeux au ciel, faut que je le travaille au corps. « Vraiment, Eva, c’est gentil, mais je vais t’éviter de gaspiller ta salive ou de perdre ton temps, et le mien par la même occasion, je suis toujours pas intéressé. » je m’installe en face de lui, qui n’a pas pris la peine de s’asseoir d’ailleurs, mais je lui fais de nouveau signe de prendre place confortablement. « tu prendras un café ? Après tout ce temps passé en studio, tu dois avoir soif ! » je décroche le téléphone et compose le numéro de l’assistante de direction pour lui demander d’apporter deux cafés. Elle se fera surement un plaisir de me dire en présence d’Alfie qu’elle est l’assistante de la direction et non de la rédactrice en chef mais, quelle différence ? Son taf reste de faire des copies, des mails et du surtout du café. Et comme je ne lui laisse pas le temps de répondre à ma requête, elle se sent obligée de le faire. Pendant ce temps, j’observe Alfie qui, curieux tout de même, jette un œil à la proposition devant lui. Jules, tout ça, c’est pour toi ! « Attends, c’est pas une tentative pour me foutre dehors, au moins ? Genre, tu me proposes un contrat que je ne peux pas refuser, et comme c’est ce que je compte faire, alors t’as l’excuse idéale pour te passer de mes services ? » eh bien, si c’était ce qu’il fallait lui faire penser pour qu’il accepte… allons-y. « Je savais pas tellement comment te dire autrement… » la porte s’ouvrit brutalement et l’assistante débarqua avec un plateau et deux tasses fumantes dessus. « Son altesse est servie, c’est la dernière fois. » plateau posée délicatement sur le bureau, un petit sourire en guise de remerciement et me voilà de nouveau concentrée sur Alfie. « vous êtes deux sur le coup. Celui qui accepte le contrat reste, l’autre doit dégager. Et autant te dire que si je devais faire un choix, t’es en haut du tableau, mais si tu refuses, on va devoir arrêter les contrats. C’est pas de moi. Ca vient du boss. » suspens. |
| | | | (#)Mar 2 Avr 2019 - 18:18 | |
| La manière dont Eva l’interpelle lui provoque aussitôt une grosse frayeur et un instant, il s’étonne que l’évolution n’ait toujours pas atteint le stade où les êtres humains peuvent se transformer en état liquide dès lors qu’ils veulent s’échapper d’une situation qui s’annonce délicate, comme il le présage à cet instant. Alfred. Il se revoit, âgé d’une dizaine d’années, à tenter de contenir un rire à chaque fois que sa mère pointait un doigt sur lui, la veine du front bien dessinée et s’époumonant face à ses bêtises qui allaient « lui causer un infarctus ». À croire que toutes ses années au service de Dieu lui avaient permis d’être dans ses bonnes grâces et de s’éviter ainsi une mort prématurée dont elle avait joué bien trop longtemps pour tenter de contenir un fils qui n’en faisait qu’à sa tête. Et si avec le recul Alfie avait compris les raisons pour lesquelles elle s’agaçait autant de lui, face à Eva il passe très rapidement en revue ce qu’il aurait pu faire pour qu’elle lui passe un savon – sans toutefois trouver la réponse, qui est en réalité toute simple : c’est son prénom, tout simplement. Il tend à l’oublier et à s’imaginer d’office qu’il est synonyme de troisième guerre mondiale par habitude, mais dans le cas d’Eva, il semblerait que ce soit simplement par pure politesse de ne pas écorcher l’identité qu’on lui a donné la naissance et à cette pensée, il se détend, cessant de faire le dos rond ou d’ancrer son regard sur le sol comme s’il était prêt à recevoir un coup de babouche – alors qu’en général c’était plutôt la claque simple et efficace. Il esquisse un sourire en imaginant une Eva lui courant après, pantoufle en main, qu’il réprime rapidement lorsqu’il réalise qu’il pourrait être amené à lui expliquer la raison de cette humeur versatile, elle ne comprendrait pas – pas grand monde comprend ce qui lui passe par la tête, en réalité, pas même lui. « Oh, je vois. Il me reste plus qu’à m’y habituer, alors. Promis, j’essayerai de pas t’appeler maman. Ou papa, les matins où t’es enrouée. » Il rétorque simplement lorsqu’elle parle de cette fameuse signature qu’elle tente d’obtenir de sa part depuis quelques temps, saisissant l’occasion pour la préparer à un nouveau refus, comme toujours. Il est surpris qu’elle s’accroche encore à cette proposition. Pas qu’il remette en doute la persévérance d’Eva – non, c’est bien une qualité qu’il a remarqué dès le départ chez la jeune femme – mais parce qu’il n’est pas habitué à autant de sollicitations. Le trentenaire passe régulièrement pour un imbécile à cause de son naturel qui tend à laisser penser qu’il n’a rien dans le cerveau, il doit souvent faire ses preuves pour obtenir des opportunités auprès de ceux qui ne le connaissent pas, mais Eva lui a accordé sa confiance très rapidement. Pour cela, il lui en sera toujours reconnaissant, et c’est la raison pour laquelle il a malgré tout réfléchi à son offre, et qu’il la décline à chaque fois avec toute la politesse dont il est capable, alors qu’avec d’autres il se serait très rapidement agacé d’avoir à se répéter de la sorte. Et peut-être, aussi, parce que finalement la proposition en question n’est pas déplaisante, et que viendra un jour où il sera réellement tenté de dire oui. C’est déjà le cas, en réalité, mais la seule chose qui le retient est qu’accepter ce nouveau travail reviendrait à tirer une croix sur celui pour lequel il s’est formé, et il lui est absolument inenvisageable d’abandonner l’anthropologie. Il ne perd pas espoir de l’exercer à nouveau sur le terrain, et tant qu’il refuse cette offre, cette envie, ce besoin même, est encore accessible.
Cédant face à une Eva qui lui indique une nouvelle fois la chaise face à elle, Alfie finit par prendre place tout en restant muet quant à son invitation à partager un café – parce qu’elle n’a vraisemblablement pas besoin de sa réponse pour passer commande. Silencieux le temps qu’Eva termine son appel, le trentenaire jette malgré tout un coup d’œil au document, uniquement parce qu’il est curieux de savoir si les termes du contrat ont changé depuis la dernière fois. À première vue, ce n’est pas le cas. Il peut donc reformuler son refus sans se donner la peine de feuilleter les pages avec autant d’assiduité qu’il ne l’a fait la dernière fois. C’est ce qu’il ne tarde pas à faire, d’ailleurs, anticipant la rencontre de manière à ne pas faire perdre son temps à une Eva qu’il imagine sans difficulté être débordée. Comme à chaque fois, il conclut avec une touche d’humour afin de ne pas vexer la jeune femme, et lorsqu’elle débute sa phrase avant qu’ils ne soient interrompus, Alfie fronce les sourcils, oubliant au passage toute formule de politesse et ne remerciant pas l’assistante pour le café qu’elle vient de lui servir. Il écoute attentivement Eva, et un instant il est presque satisfait que le scénario imaginé soit véridique – preuve en est que parfois, ça a du bon d’envisager des dizaines de possibilités à une situation. Très vite, il reprend son sérieux, se braque en réalité, alors qu’il porte le café à ses lèvres pour en boire une gorgée, par acquis de conscience plus que par envie. Car, présentement, il a surtout envie d’envoyer balader cette tasse, et ce document posé devant lui par la même occasion. « Je vois. » Il rétorque simplement dans un premier temps, tentant de garder son calme, alors qu’il sent l’agacement et la colère se frayer un chemin dans ses veines, jusqu’à ses poings qu’il serre machinalement. « Donc vous rompez avec moi ? Il tente de plaisanter, plutôt que d'admettre que ça le touche que son contrat s’arrête de cette façon, bien que le ton de sa voix trahisse d’un début de ressentiment. Ça fait mal, quand même, outch. Si j’avais su qu’on me planterait comme ça aujourd'hui, j’aurais remplacé cette veste par une cuirasse, puis j’aurais même porté un gorgerin ou un heaume, tant qu’à avoir la panoplie complète pour essayer de protéger mon petit cœur et mon pauvre esprit qui se demande ce qu'il a fait. » Parce qu'il ne peut s'empêcher de penser qu'il y a autre chose derrière ce remerciement expéditif. Un travail mal fait, des plaintes, une source pas assez fiable. « Et il y a une raison derrière tout ça ? Restriction budgétaire, insatisfaction de la direction, … ? » Il questionne alors qu’en fin de compte, la réponse lui importe peu, sa décision est prise. « Et bien, une nouvelle fois, merci pour la proposition, je… Il hésite un instant, perdant ses mots le temps de faire le tri dans ses pensées. Un sourire sincère s’affiche sur ses lèvres, tandis qu’il se relève rapidement. Mais si mon embauche se fait déjà de cette manière, ça me donne un bon aperçu de l’ambiance de travail qui va suivre et c’est très clairement inenvisageable pour moi de bosser dans des conditions qui reposent sur une forme de chantage. How ironic, quand on connaît sa vie personnelle. Alors, je vais te faciliter la tâche et ‘’dégager’’ de mon propre chef. » Rarement énervé, Alfie l’est pourtant à cet instant, face aux propos d’Eva. Il se raisonne en se remémorant que cela ne vient pas d’elle, mais du boss, pour autant il trouve l’usage des mots maladroits. Dégager, comme s’il n’était qu’un vulgaire rat qui s’est frayé un chemin jusqu’ici par le plus grand des hasards et non parce qu’ils avaient besoin de ses analyses et qu’il leur a, jusqu’à aujourd’hui, toujours apporté satisfaction. Il est d’autant plus agacé de constater que l’une des seules choses qui lui plaît réellement dans son quotidien, ces quelques interventions qui lui donnent l’impression de presque exercer son véritable travail, s’arrêtent de manière aussi abrupte. Comme quoi, il a réellement des dons de voyance, et le pressentiment qui ne l’a pas quitté pendant plusieurs semaines fait désormais sens. « Merci pour tout, Eva, ça a été un plaisir de collaborer avec toi. » Il conclut finalement, en lui tendant la main, parce qu’il fait les choses en bonne et due forme, lui. Et si dans d’autres circonstances il se serait battu pour défendre sa place, la manière dont sont présentées les choses ne lui donne aucune envie de perdre son énergie et son temps pour des personnes qui ne le méritent pas.
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| | | | (#)Lun 27 Mai 2019 - 12:39 | |
| Le dilemme était posé : en quelques mots c’est tu prends ce contrat ou on ne te voit plus jamais chez ABC. Bien sûr, il n’en était absolument pas question au départ mais Alfie m’avait lancé une petite perche que j’étais obligée de saisir. La concurrence, l’esprit de compétition, c’est ce qui m’avait toujours animé. J’étais motivée par le fait de me dépasser et surtout de dépasser les autres. Le premier rang, la première place, j’étais toujours très frustrée de n’être que sur la deuxième marche du podium et les challenges étaient l’huile le mon moteur. Cette proposition, mettre Alfie au pied du mur allait me permettre de voir s’il avait la gagne ou non, s’il était joueur ou non. Voulait-il vraiment de ce poste à ABC ou n’était-ce qu’alimentaire pour lui ? Tenait-il vraiment à ces chroniques ici ? Je jouais avec le feu, sa réaction était quitte ou double et les conséquences aussi. Comment me rattraper dans le cas où il reste sur ses positions et continue de décliner mon offre ? Surtout, ne pas perdre pied. « Donc vous rompez avec moi ? » Le ton plaisantin du jeune homme trahit tout de même pas sa voix frêle laisse un sourire narquois sur mon visage. « Ça fait mal, quand même, outch. Si j’avais su qu’on me planterait comme ça aujourd'hui, j’aurais remplacé cette veste par une cuirasse, puis j’aurais même porté un gorgerin ou un heaume, tant qu’à avoir la panoplie complète pour essayer de protéger mon petit cœur et mon pauvre esprit qui se demande ce qu'il a fait. » J’ai bien l’impression qu’Alfie ne me prend pas au sérieux. Soit il a compris, soit il se moque vraiment de ce job. « Tu pars du principe qu’avec cette proposition nous rompons avec toi, je pars du principe que je t’ai choisi toi en premier lieu et que si nous devons nous séparer, tu m’auras largué. » et manquerait plus qu’il finisse par m’envoyer sa réelle décision par SMS et j’en serai achevée. « Et il y a une raison derrière tout ça ? Restriction budgétaire, insatisfaction de la direction, … ? » Balancer des excuses bidons pour pouvoir se séparer d’un collaborateur, là, j’avais un paquet de faux argument en poche, surtout, qu’il venait de me les citer, me mâchant le travail. « On est un service public… tu vois bien que tout est de plus en plus compliqué… moins de moyens et ce pour tous les domaines… la radio, la télévision et c’est encore pire pour la presse écrite… » J’ai l’impression de me laisser prendre à mon propre jeu… mais, je suis finalement persuadé qu’il acceptera. « Et bien, une nouvelle fois, merci pour la proposition, je… Mais si mon embauche se fait déjà de cette manière, ça me donne un bon aperçu de l’ambiance de travail qui va suivre et c’est très clairement inenvisageable pour moi de bosser dans des conditions qui reposent sur une forme de chantage. Alors, je vais te faciliter la tâche et ‘’dégager’’ de mon propre chef. » C’est moi ou Alfie n’a absolument rien compris de ce que je viens de dire ? « De quel chantage parles-tu ? » je m’agace finalement de voir qu’il n’y avait vraiment rien pour lui faire accepter ce foutu contrat. « Bienvenue dans le monde impitoyable du travail Alfred ! » parce que si ca avait été réel tout ça, il se serait vraiment contenté de me dire non merci au revoir ? On dirait bien ! « Tu vas pas pouvoir rester comme ça toute ta vie et enchainer des contrats à l’heure par ci par là. C’est rien de sérieux et je suis sûre que ça ne te convient pas ! Je t’offre une belle opportunité avec ce contrat et ça n’a rien à voir avec du chantage ! Il n’y a qu’une place, vous êtes deux. Je te propose ce contrat en premier choix, si tu refuses ce sera pour l’autre et avec beaucoup de regret. C’est à prendre ou à laisser… » je reprends le contrat sous ses yeux, m’étant un peu trop pris au sérieux une fois de plus. « Merci pour tout, Eva, ça a été un plaisir de collaborer avec toi. » je range les contrats dans mon bureau et me dirige à nouveau vers Alfie pour une dernière poignée de main. « je te laisse deux jours pour réfléchir à la proposition. Et ne me largue pas par SMS, s’il te plait. » |
| | | | (#)Dim 9 Juin 2019 - 6:33 | |
| Alfie n’est pas, n’est plus, de nature colérique, pour autant il doit reconnaître que son tempérament est mis à l’épreuve face à l’annonce d’Eva, qui confirme ce pressentiment qui le suivait depuis plusieurs semaines avant que les studios ne se décident à le recontacter, tout cela seulement pour lui annoncer son futur licenciement à l’issue de ce qui a été sa dernière chronique. Bien-sûr, la jeune femme ne présente pas les choses sous cet angle – psychologie d’entreprise oblige, et besoin de se dédouaner pour faire de l’employé le facteur responsable de toute situation problématique. Et peut-être qu’effectivement, elle ne pense pas à mal, toujours est-il que de son point de vue Alfie prend très mal la chose. Et s’il savait qu’arriverait un jour où Eva en aurait marre de formuler encore et encore cette proposition qui demeure depuis le début sans réponse, et qui le serait restée encore longtemps, il ne pensait pas que cela se traduirait par une mise à la porte en bonne et due forme. C’est sa manière de voir les choses, et les explications d’Eva ne parviennent guère à le convaincre du contraire. Au-delà de cette frustration à l’idée de voir l’une des seules choses qui illumine son quotidien disparaître, il y a surtout la façon dont cela se fait qui l’agace ; et tout en étant parfaitement conscient de son simple statut de conseiller qui ne lui confère aucun droit particulier, il pensait malgré tout mériter mieux. Il leur a toujours apporté satisfaction – du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à aujourd’hui – ils n’ont jamais eu à la reprendre sur son travail, ou à la rigueur pour lui demander de raccourcir certaines interventions quand il s’anime un peu trop, au-delà de ça il n’a jamais eu de plaintes de collègues, ni de spectateurs quand bien même il lui est arrivé plus d’une fois de lancer un débat sur des questions sensibles. Malgré son besoin de conserver une certaine contenance et de dissimuler sa colère sous le couvert de l’humour, Alfie s’exaspère des propos d’Eva, et là où il est le premier à prendre en compte que chaque individu a une manière de voir les choses qui lui est propre, il n’arrive pas à rejoindre la vision d’Eva dans cette situation spécifique, trop aveuglé par sa propre interprétation de cette rencontre. Pour autant, Alfie questionne et écoute les raisons qui ont poussé la direction à estimer que cette intervention serait son dernier contrat, levant les yeux au ciel sans même essayer de s’en cacher lorsqu’Eva retourne une nouvelle fois la situation à l’avantage de la chaîne, et acquiesçant de manière distraite lorsqu’elle évoque le service public. Ça se tient, mais… mais il y a toujours un truc qui cloche, continue-t-il de penser. Et là où dans d’autres circonstances il se serait empressé de reprendre la parole pour obtenir de vraies justifications, Alfie abdique face à la colère qui pointe de plus en plus le bout de son nez ; et malgré tout il apprécie suffisamment Eva pour ne pas faire d’elle son bouc-émissaire. Ainsi, il se relève, se permet malgré tout de partager son ressenti, tentant de conclure la rencontre avec plus de diplomatie qu’il le voudrait réellement. Et lorsqu’Eva reprend la parole, il abandonne très vite cette envie. « Je te parle du « tu acceptes ou tu dégages », c’en est dans ma vision des choses. » Et peu importe l’histoire de restriction qu’il peut y avoir derrière, dès le moment où elle met en évidence que la survie de son travail ne dépend que du fait qu’il accepte ce contrat qu’elle lui propose depuis des mois, il l’interprète comme tel, parce que le choix ne lui est pas réellement laissé et qu’il ne pourra pas trouver une manière de concilier ses envies avec celles d’Eva. Alfie est définitivement piqué lorsqu’Eva mentionne sa manière de vivre de son travail, et c’est un long soupir qui s’échappe d’entre ses lèvres alors que ses billes roulent une nouvelle fois. « J’ai toujours fonctionné sur ce principe, Eva, et ça me va parfaitement bien, merci de t’en soucier. » Que ce soit dans le cadre de son emploi ici ou celui pour lequel il a été formé, Alfie a toujours travaillé sur la base de contrats, qui l’engagent parfois sur le long terme, mais desquels il peut toujours se détacher et bénéficier d’une liberté qui lui est propre. « Je sais reconnaître une belle opportunité quand j’en vois une, et c’est le cas, oui, mais m’enfermer dans un emploi comme celui-ci, ça relève du cauchemar pour moi et je sais que c’est des engagements que je ne pourrais pas tenir. » Même si rien ne l’empêcher de casser son contrat dès qu’il en aura marre, malgré tout quelque chose lui dit que dans le monde des médias, cela ne se passe pas exactement ainsi et que s’il signe et décide finalement de partir, le préavis sera plus long que deux mois. « Ma décision est prise, Eva, j’adore ce que je fais, je faisais, à ABC, mais tout ça… c’est pas mon job. Je suis pas journaliste, reporter ou que sais-je, et j’ai pas pour ambition de le devenir. J’ai un travail qui me plaît, et que je n’ai pas envie de quitter, c’est tout. » Et il ne parle pas de son travail pour l’université, mais bel et bien de ce métier d’anthropologue qui lui manque de plus en plus. Il commence à prendre conscience que ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’il ne glisse l’idée à l’institut de recherche de la fac pour qu’ils songent à nouveau à lui suggérer un terrain, et qu’il se remette à des recherches qui justifieront un départ à l’étranger à la première occasion. « Bonne continuation. » Qu’il conclut avec un sourire, sa main rejoignant celle d’Eva pour attester de son énième refus.
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