Tu avais passé la matinée au Death Before Decaf, le café/bar de ton cousin afin de lui donner un coup de main pour réaliser un inventaire et rétablir sa gestion des stocks apparemment mis à mal par des soucis informatiques ou des cahiers comptables disparus comme par magie. Tu n'avais pas cherché le pourquoi du comment, surtout que tu soupçonnais ton cousin de chercher des excuses pour ne pas avouer qu'il était purement et simplement en retard sur cette paperasse administrative. Certes, il t'avait offert un regard incrédule quand tu lui avais annoncé que tu pouvais très bien l'aider à comptabiliser sa marchandise, ses recettes et ses dépenses, comme si le fait que tu n'aies jamais décroché le moindre diplôme - dont celui du secondaire - était incompatible avec le fait que tu saches compter. Tu n'étais pas idiot, tu avais juste préféré partir à la pêche le jour de l'examen puis voguer les océans au lieu de chauffer les bancs de l'université.

Pendant cette matinée, la radio avait battu son plein dans la réserve du bar de manière à ce que tu puisses découvrir cette chaîne et aussi t'éprendre à un jeu radiodiffusé. Les animateurs posaient des questions d'ordre musical donc autant dire que ça t'interpellait sans difficulté. A force d'essayer d'obtenir la ligne téléphonique pour jouer en direct, tu avais fini par avoir un des chroniqueurs au bout du fil et avait décroché des tickets pour le salon du geek de BrisAsia Festival. L'entrée au salon était gratuite mais apparemment, pour participer à certaines activités et prendre part à certains jeux, il était nécessaire de débourser des tickets. De toute évidence, tu n'allais pas rester avec ceux-ci en souvenirs, donc tu décidais que tu allais passer l'après-midi à ce fameux salon. Puis, une personne t'était naturellement toute désignée pour t'y accompagner : Ginny, la geek de la famille.

Tu n'avais rien d'un "geek" et la définition que tu te faisais de ce mot était vraiment très floue. S'ils étaient censés être doués en informatique, tu avais pour ta part déjà du mal à manier ton nouveau téléphone portable qui datait de plusieurs générations selon ton cousin donc tu te situais probablement à l'opposé de ces personnes en termes de compétences. Mais tu te disais que de cette manière, cet après-midi, tu apprendrais plein de choses et étendrais ta culture. Tu étais toujours partant pour de nouvelles expériences, tu serais ainsi gâté. Qui plus est, il était tant que tu passes une après-midi complète avec l'artiste nerd de la famille. Cependant, en pénétrant les lieux et constatant à quel point chacun savait quoi faire et étaient si passionnés qu'ils en arboraient pour une partie des costumes nommés cosplays, tu te disais qu'il ne devait pas y avoir énormément de personnes totalement ignares de ce domaine comme toi. Une partie de ton être espérait que Ginny se pointerait en civile et non accoutrée aux teintes d'un personnage d'anime, de manga ou quoi que ce soit d'autre qui dépassait ton entendement. Tu sortais ton téléphone d'une poche de ton pantalon afin de t'assurer que tu n'avais pas manqué d'appel ou de SMS de la part de la plus jeune du clan McGrath.

Noah dévale les escaliers à la vitesse de l’éclair, si fort et si rapidement et si bruyamment que j’ai la pensée rapide, vive et inquiète qu’il s’est probablement cassé tous les os du corps, fracturé le crâne contre la rampe, et qu’il gît au pied de la dernière marche dans une silhouette désarticulée lorsque j’aboutis en panique au salon. Mais il est là le gamin, tout fier tout stoïque, les épaules bien roulées vers l’arrière et le plus grand sourire de l’univers qui illumine son visage. Essoufflé de sa course-poursuite contre lui-même, il s’exclame de suite, la voix joueuse au possible, enthousiasmé comme jamais. « C’est le meilleur, Levi c’est le MEI-LLEU-RRRRR. » et j’éclate de rire, approuve de la tête d’un oui évident.

J'étais particulièrement heureuse que depuis quelques semaines, ma terreur ait l’occasion de pouvoir passer un maximum de temps avec son oncle. Ils ne s’étaient pas énormément vus durant les dernières années, et même si les cartes postales de mon cousin avaient tout eu pour charmer mon fils à chaque envoi, chaque réception, pour faire naître des étoiles dans ses yeux et leur créer un monde magique rien qu’à eux deux, n’en restait que plus les événements et les activités avec Levi se multipliaient, plus j’étais heureuse d’y traîner Noah, de les laisser vivre leur moment à deux. Faussement autoritaire, juste pour la blague, j'ajoute. « Calme ton hyperactivité, et choisis lequel des deux tu assumes le plus aujourd’hui. » moment à trois, apparemment, lorsque je dégaine de derrière mon dos ma palette d’orangé et de rouge de la gauche, et celle de jaune bien doré de la droite.  « Charmander, ou Psyduck? » Noah a entre les bras le t-shirt de l’un, le hoodie de l’autre. On n’a pas eu le temps d’élaborer un costume plus poussé que celui tiré des fringues Pokemon qu’il avait reçue de la part de Justine à Noël après la proposition de Levi de venir le rejoindre pour l’après-midi en mode bien geek. Fallait faire avec les moyens du bord.

Maquillés au meilleur de mes capacités, Charman-duck (il a pas réussi à choisir, le pauvre) et ma version artsy de Jigglypuff aka un pull XL de laine rose pastel, deux chignons éméchés et un micro en jouet piqué dans les affaires de bébé de Noah, notre duo finit par arriver à proximité d’un Levi qui me semble totalement perdu dans ses pensées. Sac à dos rouge, casquette empruntée à long terme à même la collection d’Isaac et Pokeball de rigueur, je tends l’attirail pour m’assurer que mon aîné soit tout aussi dans le thème que nous. J’ai pensé à tout. No one is left behind. Pour une fois. « Tu me remercieras en crédit voyage autour du monde. » mes paupières battent avec amusement, mon sourire n’en finit plus de grandir. « T’as fait le tour déjà? » je m'attarde à détailler l’étendue de ce qui nous entoure le temps que Levi passe son inoffensif déguisement et que Noah s’exclame qu’il est plus que temps d'immortaliser le tout en selfie.

Tu te perds sur ton téléphone portable, celui que Matt t'as si généreusement offert, comme un appel à te moderniser ou devenir - enfin - accessible à tous - ou plutôt, n'avoir aucune excuse de ne pas l'être désormais. Le modèle du smartphone est loin d'être dernier cri, mais il est assez élaboré pour que tu sois prodigieusement paumé. Toutes ces fameuses app' te font tourner la tête. T'as le sentiment d'avoir un couteau suisse entre les doigts sans savoir comment en dégainer les outils. Tu es franchement reconnaissant que Matt n'avait pas plus sophistiqué en réserve, parce que sinon, ce n'était certainement pas assuré que tu parviennes à confirmer que Ginny ne t'avait pas envoyé de SMS. Elle ne devrait ainsi pas tarder à arriver.

C'est vêtue d'un gigantesque pull de laine rose pastel, coiffée de deux gros chignons ressemblant à des soufflés au chocolat et munie d'un micro que ta cousine attire ton attention. Tu la dévisages de longues minutes, aussi intrigué par son accoutrement que des différents accessoires qu'elle te tend. Un sac à dos, une casquette, des balles colorées. Tu ajoutes le tout à ton look du moment sans poser davantage de question et scrutes un Noah hybride. T'es complètement largué et ça se lit aisément sur ton visage. Cependant, quelque chose te dit que tu devrais savoir ce que ces deux membres de ta famille représentent et ça te la fout un peu mal d'être aussi inculte sur le coup. Ça devrait te revenir, avec le temps. Tu l'espères. « Tu me remercieras en crédit voyage autour du monde. » « J'attends que ça ! » Tu assures avec sincère enthousiasme, attirant Ginny contre toi dans une étreinte affectueuse, au risque de recevoir un chignon dans l’œil. Tu acceptes toutes les raisons de lever l'ancre et en plus, si tu as l'occasion de mettre les voiles avec ta cousine et son enfant, l'excursion promet d'être fantastique. Qui plus est, tu as investi dans des nouvelles lignes de vie récemment, si bien qu'il n'y aura aucun risque de perdre misérablement Ginny en cours de navigation. « Et toi, moussaillon, tu es prêt à me laisser encore plus de place dans ton emploi du temps de ministre pour qu'on parte à l'aventure con tu madre ? » Il ne faut pas croire que tu n'apprends que des bêtises au blond. Tu lui inculques quelques savoirs maritimes, culturels et linguistiques.

« T’as fait le tour déjà? » Tu hoches la tête en signe de dénégation. « Nah. J'vous attendais pour commencer. Qu'est-ce qui vous intéresse ? » Parce que personnellement, tu débarques sur cette planète et tu n'as développé pour l'instant aucune particulière préférence entre ces multiples inconnues. Noah appelle à un selfie ce qui te provoque un nouveau froncement de sourcils interrogateur. « Vous avez apporté à manger pour vos... » Selfie, ça te fait penser à self puis à nourriture. Et vu que tu as Ginny et Noah en face de toi, tu considères ton guess franchement légitime. « POKÉMONS ! » Tu t'exclames. Voilà ce qu'ils sont. Des pokémons. Ou un mixte de ces créatures. T'as l'image des différents guides et mangas écrits à leur sujet que tu as croisés ici et là. « Ça mange quoi, les pokémons ? » Tu questionnes, conservant cette moue d'incrédulité, appuyant bien sur le nom de la créature tant tu es fier de le connaître et de t'en rappeler. « Des baies ? » Et tu comprends que selfie doit étrangement rimer avec photographie car Ginny a enclenché son appareil, prête à immortaliser le moment. « POKÉMOOOON ! » Tu troques le traditionnel "Cheese" ou "Ouistiti" en chantonnant devant l'objectif et invitant tes deux compères à t'imiter, tentant par la même occasion de te fondre dans l'atmosphère du moment.

« Et toi, moussaillon, tu es prêt à me laisser encore plus de place dans ton emploi du temps de ministre pour qu'on parte à l'aventure con tu madre ? »   « Ouaaaaaaaaais. » qu’il s’enthousiasme Noah, qu’il saute sur place, voit déjà les week-ends à l’aventure, les cours de navigation qu’il grattera à Levi le sourire aux lèvres l’œil qui pétille. J’ai l’attention diffuse vers la gauche à repérer une réplique de Stormtrooper particulièrement bien réussie quand le gamin, quand le rusé mini-humain attire Levi vers lui, tire son t-shirt de sa petite main potelée, et chuchote à son oreille. « Mais on garde nos escapades tous les deux quand même, hen? » j’aurais même pas été heurtée, si j’avais entendu ça le pire. Parce que leurs moments ensembles étaient sacrés, parce que je le comprenais amplement. Mais apparemment, mon fils me cache des trucs, il commence à laisser la préadolescence et son esprit relativement rebelle prendre le dessus. Nos pas ne sont pas dirigés volontairement, on prend le temps. Ils me rattraperont tous les deux assez rapidement faut dire, juste à temps pour m’empêcher de me faire arnaquer par un vendeur de BDs qui m’invente un rabais finissant bien plus élevé que la somme des cartoons sur lesquels je lorgnais avidement.

« Nah. J'vous attendais pour commencer. Qu'est-ce qui vous intéresse ? » Noah trépigne, il danserait presque s’il n’avait pas peur qu’on utilise cette information à son sujet pour en faire notre chorégraphe étoile à toute nouvelle célébration. « TOUT. » il s’exclame, il crie, il pointe aussi, tout autour. « T’as entendu la figure d’autorité du duo. » mes mains s’occupent à resserrer un chignon puis un autre, une multitude de mèches qui ont commencé à s’en dégager depuis les quelques pas que j’ai multipliés ici. Et c’est évidemment le moment que choisit Noah pour appeler à immortaliser le tout, lui qui dégaine mon portable de la poche arrière de mon jeans avec beaucoup trop de facilité pour que je n’ai pas peur qu’il commande multitude d’apps sous mon compte sans que je ne puisse l’arrêter.  « Ça mange quoi, les pokémons ? » pauvre Levi complètement perdu, sa moue qui me confirme qu’il est complètement à l’ouest. Mais je suis trop occupée à le resserrer près de moi en prévision de la photo pour avoir pitié. « D’autres Pokémons. » « C’est très cannibale comme propos, ça, bonhomme. » faussement outrée, hypothétiquement choquée, et le déclencheur se charge de croquer le cliché la seconde d’après. Je suis pas certaine de l’absence de grimaces sur le résultat final – on verra bien, en temps et lieu. « On va là! » qu’il s’exclame, le morveux, ses doigts enlacés avec les miens, et avec ceux de Levi, une main chacun. Et il nous tire fort, il a remarqué un stand que je n’avais absolument pas vu avant, et il encourage le mouvement, il nous arracherait probablement même le bras si on restait immobiles derrière à refuser son entrain. « On va là, apparemment. »

C'est acté, ta cousine et ton neveu ont désormais signé pour davantage d'expéditions sur l'océan. Ça te réjouit autant que la demi-portion blonde qui répond affectueusement au nom de Noah et tu prends un air grave lorsque l'écolier s'inquiète de l'éventualité que ces sorties en trio diminuent le nombre de vos virées maritimes entre hommes. « Mais on garde nos escapades tous les deux quand même, hen? » « Bien sûr ! Tu rigoles, elles sont non-négociables ! » Toutes les excuses sont parfaites pour que tu quittes la terre ferme, et pouvoir justifier tes départs de Brisbane à Ariane la gendarme en évoquant ta famille remporte à coup sûr sa sympathie. Une histoire avec son père, tu soupçonnes. En quelques sorte, Ariane dispose de la même sensibilité de Batman quand on évoque son géniteur - sauf que le sien l'a quitté d'une différente façon. D'ailleurs, étrangement, lorsque tu croises une jeune femme arborant un costume de Poison Ivy, tu ne peux t'empêcher de la fixer, te demandant s'il ne s'agissait pas de la forme naturelle de ton amie de longue date. Ariane Parker est un bon nom pour l'humain qui se cache derrière le super héro ; après tout, il y a bien Peter Parker en Spiderman qui pourrait ainsi faire partie de sa famille. Tu te demandes s'il existe des familles des superhéros. Si dans cet univers, certains de ces personnages fantastiques reçoivent leur talent phénoménal via des gênes, et non des mutations génétiques comme les X-Men. Quoi qu'il en soit, contrairement à Superman et la kryptonite, tu te réjouis qu'Ariane ne te mette pas K.O. bien qu'il faut l'avouer, elle a la main mise sur pas mal de tes décisions.

Après que l'on t'explique que tous les stands et activités mises en place par le salon geek intéressent tes deux compagnons de la journée, Noah t'apprend que les pokémons mangent d'autres pokémons, ce qui te fait grimacer légèrement. Quelle violence. Tu évites une horde de jeunes filles en jupe très courtes et s'étant inspirées sans doute de personnages de mangas pour te heurter violemment à un Power Ranger. « Désolé. » Il y a vraiment des geeks de tous les horizons. Ton neveu extirpe le téléphone portable de sa mère afin de procéder à un selfie - ou une multitude de ceux-ci. Les premières sont forcément réalisées avec vos meilleures grimaces et poses les plus loufoques - de quoi rendre fier Deadpool -, l'ultime étant plus sérieuse, comme si faire une photo dite ordinaire justifiait la folie des précédentes. Pendant votre shooting photo, un jeune homme déguisé en Flash vous a même proposé de saisir un cliché, ce que tu trouvais assez douteux en soit, vu son nom. Et oui, tu as crains pour qu'il se dérobe très promptement avec l'outil de ta cousine. Tu n'aurais pas dit non à ce que Bruce Wayne s'y colle cependant : avec tous les gadgets qu'il a, il aurait pu utilisé un super appareil photo.

« On va là! » s'exclame le gamin en pointant une sorte de seconde zone par laquelle il fallait entrer en passant sous une ogive. Tu es incertain face à la présence de cette architecture gothique dans un tel salon et redoutes ce que vous trouverez en son sein. Néanmoins, devant la nonchalance de la mère McGrath - digne de Shazam -, tu te dis que vous ne risquez rien. « En route, mauvaise troupe. »

Tu sursautes lorsque La Chose vous accueille à l'entrée de l'annexe et présente le but de ce lieu et concours proposés. Tu es totalement ignorant de la nature des Quatre Fantastiques et sincèrement, un tel énergumène ne te laisse pas de marbre - sans mauvais jeu de mot. A tes yeux, il ressemble à une sorte de Hulk en plus féroce. En revanche, lorsque tu perçois un vendeur de pizzas abusant de la référence des Tortues Ninjas, tu te sens tout de suite plus à l'aise. « On se prend de la pizza ? » Tu poses la question sans avoir à entendre la réponse. Tu sais pertinemment que Ginny a légué à son fils la condition d'estomac sur patte. « Alors on a la Leonardo, Donatello, Raphaello, Michelangelo et oh - la Splinter et la Shredder. » Tu observes tes deux interlocuteurs, patient. Pour ta part, tu vas opter pour une Leonardo et tu vas aussi en profiter pour prendre un Coke. Ça fait une éternité que tu n'as pas pu une telle boisson. Tu reçois ton rafraîchissement dans un gobelet réutilisable à l'effigie des Avengers que tu dévisages un petit moment, à la recherche de leur identité. T'es vraiment inculte dans ce domaine, sans doute aussi mauvais que les films de Green Lantern.

Une fois les en-cas servis, vous vous installez sur un banc aux couleurs d'Iron Man et tu suis du regard un petit groupuscule féminin composé de Harley Quinn, Elektra, Catwoman et Wonderwoman. « Tu penses que ta mère est plutôt laquelle ? » Tu demandes à ton neveu qui a déjà avalé la majeure partie de sa part de pizza.

Et Levi s’émerveille autant plus presque, il essaie fort, que Noah. À un moment, y’a mon fils qui implore de grimper sur ses épaules, et son petit index potelé qui se charge de pointer les quelconques points d’intérêts qui aux yeux de qui que ce soit d’autre qu’eux n’en seraient probablement pas. Ils sont parfaits, et bien sûr que je prendrai des photos de leur duo à leur insu, de tous angles et de tous côtés. « On se prend de la pizza ? » Levi s’enquiert, mon sourcil se hausse d’office. Celui de Noah également, ma copie conforme, qui attrape mon regard au vol presque outré. « Alors on a la Leonardo, Donatello, Raphaello, Michelangelo et oh - la Splinter et la Shredder. » comme s’il avait besoin d’arguments, comme s’il devait défendre son point, comme si en l’instant, il y avait le moindre doute qui s’immisçait entre nous. Il était à peine l’heure du lunch, ça ne nous arrêterait absolument pas. « Depuis quand tu demandes? » je questionne. « Depuis quand on choisit?! » Noah renchérit, rappelant le plus naïvement du monde à quel point sa mère était une ogresse qui commanderait bien sûr tout sur le menu.

Les gars filent de leur côté, je m’occupe de passer pour celle qui abuse en défilant chaque pointe disposée pour en garnir deux plateaux qui, je vous le donne, devaient faire d’excellents paris pour tous ceux autour de moi qui m’ont vu lutter pour amener le tout sans tomber, sans rien échapper, sans renverser les boissons – et pas de couvercles, je les ai jamais trouvés. T’as juste mal regardé Ginny – non non je jure je les ai pas vus – ils sont là, juste là – oh mince, j’y vais – non attention, recule pas avec tes deux plateau girl tu vas… - ouh, c’était moins une, là – bien rattrapé Gin.

« Tu penses que ta mère est plutôt laquelle ? » victorieuse d’aucun dégât – devant témoin, parce qu’ils n’ont pas vu l’immensité de serviettes en papier et les 4 rondes d’ustensiles de plastique qui se sont bêtement échoués à mes pieds, je suis leur regard vers le groupe déguisé, curieuse d’entendre la réponse de l’héritier. « Ça dépend si elle a dormi ou pas. » j’ai la bouche pleine de pizza, les lèvres tartinées de sauce tomate, le cœur aussi heureux que l’estomac et le regard qui roule sur lui-même. « C’est pas si pire que ça. » oui, oui, c’est si pire que ça.

La table laissée derrière nous et les vestiges d’un repas sur lequel j’ai encore trop abusé plus tard, et nos pas nous mènent vers un autre stand, un où les casques au millier de boutons et les télés aux énièmes scénarios confirment ce que j’articule les yeux brillants, le sourire jusqu’aux oreilles. « Oh. De la réalité virtuelle. » y’en a un avec des puzzles complexes, un autre avec des robots, Noah semble être attiré par celui inspiré de Pokémon – aucune surprise ici – et j’enfile d’emblée celui qui propose un scénario de zombies. Laissant le temps à Levi de se choisir son propre truc, en espérant qu’il voit celui qui offre une expérience de plongée sous-marine dans des coraux à travers le monde, j’actionne mon propre casque. « Bienvenue au 21e siècle. » la voix qui chante, la malice de bonne joueuse.

Ta proposition d'investir le stand de pizzas à l'effigie des Tortues Ninjas est naturellement approuvée par le duo mère-fils, ces derniers ne se privant pas pour te souligner que ton interrogation relève d'un pur dérisoire : « Depuis quand tu demandes? » « Depuis quand on choisit?! » Tu lèves les yeux au Ciel, te défends sans scrupule aucun : « Excusez-moi d'être le bienséant du groupe. » Au regard que te lancent ton neveu comme ta cousine, tu assimiles très vite le fait que tes propos n'ont aucune valeur ni crédibilité à leurs yeux. Depuis quand tu suis les règles de bonne conduite, Levi ? Tu ne conserves pas ton sérieux très longtemps, éclatant de rire, fort d'auto-dérision.

Le stand littéralement cambriolé, tu t'installes sur un banc avec Noah tandis que Ginny offre un spectacle d’équilibriste de haute voltige, qui attire davantage l'admiration de passants que des deux membres de sa famille, coutumiers à ce genre de démonstration de sa part. Tu te pousses pour accorder davantage d'espace à l'artiste ainsi que sa cargaison puis questionne son fils sur quel super-héros au féminin d'une bande de cosplayers passant devant vous sa mère ressemble le plus. « Ça dépend si elle a dormi ou pas. » Un léger rire file entre tes lèvres, tu lances un regard complice à la McGrath qui tente de se défendre. « Et moi, j'serais quel super-héros ? » A ce moment-là, tes interlocuteurs ont tout le loisir de se payer férocement ta tête, vu ta culture en Marvel et compagnie frisant le zéro absolu.

Parlant d'ignorance absolue, une fois votre festin terminé et la poubelle à quelques mètres du banc que vous avez occupé pour votre razzia remplie de vos déchets, une zone de réalité virtuelle est découverte par la trentenaire. Tu fronces les sourcils, incrédule. « Comment une réalité peut être virtuelle ? » Tu vas bientôt le savoir. Noah ressemble déjà à un robot, Ginny revêt les grosses lunettes accompagnées d'un casque sans se faire prier. Tu observes les différents thèmes et les imites. D'innombrables « wow. » sortent de ta bouche alors que tu découvres des fonds marins et tu sursautes grandement quand Noah t'attrape par le bras, ayant cru à un requin. Tu ôtes ton casque et entends le garçonnet te vouer les mérites des prix à remporter à un jeu de canne à pêche qui ferait presque tâche dans le salon du geek si le tout n'était pas si pixelisé. « Tu peux gagner steuplait ? » Challenge accepted. Tu embarques le gosse, laissant Ginny derrière vous. Tu saisis une des cannes à pêche et sous les encouragements véhéments de Noah, t'efforces à attraper le plus possible de cartes à l'effigie des peluches que ton neveu pourra troquer plus tard auprès de l'animateur parce que les termes comme Squirtle, Snorlax, Mew, Lugia et Lucario ne te disent absolument rien. « Ginnyyyyy ! Tu veux quoi ? » Je lance à l'adresse de la jeune femme qui vient d'enlever son casque et que je ne quittais pas tant des yeux que ça. A mesure des secondes qui défilent, Noah devient de plus en plus excité, trépigne d'impatience en récoltant les cartes et les plaquant contre son buste précieusement. « Encore ! Encore ! » Le chrono défile, tu ne ralentis pas la cadence, pour l'honneur comme le gain.

Mis à part la nourriture – sucrée, on s’entend – il n’y avait absolument rien d’autre qui pouvait me mettre dans cet état d’euphorie enfantine autant que les jeux vidéos. J’avais des collections et des boîtes pleines, de consoles, de cassettes, de manettes, des trucs qui n’arrivaient même pas à prendre la poussière tellement ils étaient en rotation constante à la maison. J’avais initié mon fils à tous les classiques, l’entraînais à chaque semaine à dépasser ses records à Mortal Kombat, le testais en improvisant des puzzles à la Zelda lorsqu’il cherchait ses chaussettes le matin, ou qu’il voulait se négocier une double part de dessert après le dîner.

« Comment une réalité peut être virtuelle ? » et évidemment, la réalité virtuelle m’emballe plus que de raison. Parce que c’est plus juste un joystick que j’ai entre les doigts et l’écran à quelques mètres – centimètres, plus on avance dans la partie, plus je me rapproche – qui me permettent de jouer. Là, c’est un casque que j’enfile, des écouteurs que j’ajuste, un fusil de plastique qu’on me met entre les mains et ma silhouette qu’on dirige à part au même moment où on lance la trame de fond apocalyptique où ma mission, si je l’accepte, sera de sauver l’humanité de vilains bouffeurs de chair fraîche. Love it. « Comment un artiste peut être si factuel? » j’ai un sourire moqueur aux lèvres quand devient mes yeux, tout devient noir.

Horrible mère que je suis de n’entendre Noah s’exclamer de joie que de longues minutes plus tard, après m’être sauvée d’un raid en sautant dans les égouts, en plaquant ma silhouette contre le mur putride que le jeu me renvoie, mais qui n’a rien de dégoûtant dans la vraie réalité.  « Ginnyyyyy ! Tu veux quoi ? »  je sursaute, tourne sur moi-même, reste dans mon univers, alors qu’eux sont dans le leur. « Là, tout de suite? » je relance la gâchette, me défend virtuellement comme je le peux, Levi qui a l’air d’évoluer dans son propre truc lui aussi, et Noah comme plus fidèle supporter.

« Que les zombies meurent, tous, décapités, explosés. » j’ai pas trop le temps de me laisser réfléchir que j’assène un coup de plus, tire vers leurs têtes décomposées, sens les pulsions de compétition McGrath qui remontent en moi comme des vagues de chaleur presque effrayantes quand on s’arrête pour les constater. « Et une part de gâteau à la cerise. » j’adoucis, hilare. Les lunettes du casque m’affichent la fin du tableau, les pointages défilent à travers les verres pour me confirmer que j’ai battu mon score de la partie précédente. Ça me suffit pour passer le casque par-dessus ma tête, dégager mon visage poisseux post-partie et ébouriffer encore plus mes cheveux si c’est possible. « Oh, tu voulais dire comme prix? » ma mine de gamine amusée relance, avant que mon attention soit encore une fois sollicitée autre part.

« NOAH! » je hurle, je crie, je pointe. « Y’a des auto-tamponneuses de Mario Kart! »

« Comment un artiste peut être si factuel? » Ginny interroge alors que vous vous plongez tous trois dans cette réalité virtuelle qui t'intrigue tant. Bien vite, te voilà au fond des océans marins tandis que tu perçois ta cousine aux prises avec une armée de morts-vivants et Noah s'exclamer de ses propres aventures fictives. Une quinzaine de minutes plus tard, tu donnes ta place pour un jeu de canne à pêche qui intéresse férocement le garçonnet du trio qui passe déjà commande au niveau des gains potentiels. La barrière de connaissances geek s'imposant, tu optes pour récolter toutes les cartes que l'écolier pourra échanger contre des peluches plutôt que de tenter de déterminer à quel nom correspond quelle créature. Vraiment, il y a toute une culture à faire te concernant ; heureusement, tu arrives quand même à te dépêtrer avec ton savoir-faire IRL marin.

Tu interpelles la jeune mère sur ce qui lui plaît comme prix, elle révèle son avancée dans son propre jeu et un rictus amusé étire tes lippes devant ses propos sanguinolents. Vraiment, au sein du monde du jeu vidéo, la brune expose une facette éclatante de sa personnalité. Bien sûr, les sucreries ne sont jamais bien loin des vœux de son cœur et il ne reste que quelques minutes au compteur quand Virginia revient dans votre univers, visage rougi et en sueur, cheveux ébouriffés, yeux alertes. « Oh, tu voulais dire comme prix? » Tu hoches la tête à l'affirmative, te retenant difficilement de rire, narquois. « Mh-mh. » Et Noah qui plaque contre son buste les différentes cartes remportées, que tu soupçonnes prêt à ne pas les partager - ou les troquer contre des privilèges.

« NOAH! » Ginny hurle à t'en percer les tympans et te faisant friser l'arrêt cardiaque, le décompte de la fin de ta partie voilé par la voix de la jeune femme. « Y’a des auto-tamponneuses de Mario Kart! » Ton regard suit l'attention des deux McGrath, tu suggères : « Allez-y, j'm'occupe du butin. » Noah te tend les cartes et tu t'avances vers le responsable du stand préalablement dépité de se voir bientôt dépouillé.

Une dizaine de minutes plus tard, tu as le sentiment d'être une sorte de Père Noël avec tes peluches dans un grand sac - que tu traînes sur le dos, tant qu'à faire. Tu t'arrêtes au stand à côté de la piste des auto-tamponneuses pour faire un stock de bretzels sucrés - même si vous venez de dévorer des tonnes de pizzas - et poses ton regard sur des jeux de Guitar Hero. Pas le choix, il faut que t'ailles tenter ça. Tu attends patiemment le retour du duo de lurons pour leur suggérer : « On fait une partie ? On fait des paris ? Qui gagne remporte ça ? » Tu ajoutes, mettant en jeu le sachet de bretzels.

La vie a enfin un sens, ou du moins la mienne : les autos-tamponneuses de Mario Kart à proximité qui brillent tel le Graal. Et Noah à qui je m'adresse comme s'il fallait qu'il apprenne que la seule et unique priorité qu'il devait avoir désormais pour réussir à atteindre le bonheur dans sa vie, c'est un manège comme celui-ci. « Allez-y, j'm'occupe du butin. » Levi se délègue les tâches d'adulte quand je n'ai rien fait pour avoir l'air d'en être une, un « Mon héros! » qui remercie sa silhouette nous quittant momentanément pour finaliser la transaction. « Mon héroooos! » Noah m'imite, il rigole, il crie aussi, survolté. Je pense que le surplus de sucre commence à faire son effet chez lui, et c'est là pile le moment où je doute de mes capacités à lui faire apprivoiser les brocolis au fil des années qui passent si je continue à le nourrir ainsi à la moindre occasion possible.

Levi revient chargé de dessert, mon regard brille autant parce que mon cousin est bel et bien là - et que je me fais encore quotidiennement à l'idée qu'il est véritablement installé à Brisbane pour un moment et pas juste une escale - que parce qu'il nous nourrit généreusement. Les priorités. « On fait une partie ? On fait des paris ? Qui gagne remporte ça ? » un solo de Guitar Hero nous donne la réponse de ce à quoi il a dédié son attention, Noah esquisse une moue piteuse la seconde suivant. « Tu triches Levi, t'es meilleur que nous à la guitare! » mes doigts s'écartent quand je me recroqueville pour lui chatouiller les côtes, lui arracher un rire et un sourire. Et accessoirement chasser l'expression lourde de tristesse qui, même si elle est fausse, me fait mal au coeur de voir prendre place sur son joli minois. « Pff, y'a pas de cordes, on a nos chances. »

Mon regard brille de défi, mon bras passe sous celui de Levi, et Noah s'accroche à la première basse de plastique qu'on lui passe autour du cou. Pour ma part, c'est sur la batterie que j'ai jeté mon dévolu.  « De toute façon, peu importe qui gagne maman mangera la majorité des bretzels, on le sait tous. » qu'il chuchotera à l'oreille du musicien, quand mon gamin fin renard l'aura invité à se pencher à sa hauteur. La seconde d'après, les notes défilent à l'écran, les rires cachent le score, et les bretzels sucrés deviennent peu à peu ma nouvelle lubie.