Le chemin vers chez Tad était simple de chez simple, enregistré, programmé parfaitement maîtrisé. Si jadis lorsqu’on était gamins, c’était une question de quelques pas à peine, une rue et une autre, une signalisation, un parc plus tard pour me rendre de chez moi à chez lui, là, c’est l’autobus qui s’en mêle. Mais Noah adore prévenir à l’avance des arrêts, il se régale de se rappeler du coin, de pointer les affiches qu’il reconnaît, les commerces aléatoires où parfois on s’arrêtait sur la route, sachant qu’on arrivait en avance chez mon meilleur ami, et qu’une poignée de minutes supplémentaires pour lui laisser le temps de faire couler du café et réchauffer des pizzas seraient suffisantes pour une expérience optimale. Aujourd’hui, on avait décidé de faire un stop au disquaire du coin, y’avait quelques albums que je voulais regarder de proche, et Noah devait absolument acheter des cordes arc-en-ciel pour sa guitare empruntée sans date de retour officielle à Tad, lui montrer à quel point il s’en occupait bien de la relique qu’on avait sortie du grenier des Copper des mois plus tôt.
On débouche sur le pallier, l’héritier avec son énergie infatigable qui grimpe les escaliers deux par deux bordé de l'enthousiasme de celui qui semble désespérément ne pas avoir vu son parrain depuis des millénaires alors qu’on était avec lui pas plus tard qu’avant-hier, à regarder des films et à manger des tacos (végés pour moi, mélange de viandes sans caractéristiques précises autres que d’être caoutchouteuses pour eux) jusqu’à pas d’heure.
Trois tocs séparés d'abord, cinq rapprochés suivent, un dernier hyper bruyant. La tête blonde a parfaitement retenu leur code secret à ce que je vois. « Bonjour, Taddeus. » la tête de mon meilleur ami dans l’embrasure de la porte, et Noah relance, trop poli pour l’être vraiment. « Il a décidé de jouer au jeu des prénoms complets aujourd’hui. J’regrette de pas avoir choisi de venir voir quelqu’un avec un truc qui s’étale sur deux lignes sur son passeport, ç’aurait été plus drôle au moins. » je pouffe, exhibe le duo de gobelets de café d’office comme sésame pour entrer. Noah file entre nos jambes, la guitare toujours bien accrochée à son dos, près pour la traditionnelle leçon hebdomadaire. « Virginia Mary Elisabeth, je vais au salon. » je roule des yeux, retire mes baskets, secoue même la tête aussi attendrie que dépassée. « Mes parents seraient si heureux de l’entendre jacasser comme ça. » encore heureux, ils n’auraient pas ce privilège maintenant que je célèbre une belle année complète sans leur avoir adressé la parole. God, ça fait déjà un an, really?
Cela aurait pu être un samedi comme un autre. Mais Tad avait fait la promesse de prévoir un entier week-end de chill et de jeux vidéo avec Noah et Ginny quand il était venu chez eux deux jours plus tôt pour déjà chiller et jouer aux jeux vidéo et même si sa promesse n’avait rien d’exceptionnel par rapport à leurs activités habituelles, elle avait le mérite de se dérouler chez lui et ça, ça devait nécessiter un léger effort de sa part pour la réaliser parce que plusieurs cycles lunaires ont dû avoir lieu depuis la dernière fois où un coup de poussière a été passé à l’appart (littéralement, la dernière fois où il a gardé Noah il dirait) et que, en raison de la santé passée du garçon, Tad préfère malgré tout s’assurer que ce dernier ne choperait pas quelque chose à cause d’un champignon mutant qui aurait réussi à se développer quelque part. Le garçon avait beau arborer une santé d’acier, Tad resterait toujours très préventif afin d’éviter que cet état se termine. Il a à peine le temps de poser le balai que le signal retentit de l’autre côté de la porte et sans attendre, Tad se dirige vers l’entrée afin de répondre au code et demander une seconde confirmation. Qui aurait cru qu’apprendre le morse n’avait rien d’amusant ? Malgré le sos, ça sauve toujours la vie, ça lui évite d’ouvrir à la voisine du dessus qui viendrait râler parce qu’il a osé jouer de la guitare après dix-neuf heure. Vérification faites, la porte s’ouvre sur un petit garçon visiblement content d’être là. « Bonjour, Taddeus. » annonce la petite tête, haute comme trois pommes, avant de partir en direction du salon où se trouve la console. Tad reste muet, pas prêt psychologiquement à être appelé par son prénom entier. « Il a décidé de jouer au jeu des prénoms complets aujourd’hui. J’regrette de pas avoir choisi de venir voir quelqu’un avec un truc qui s’étale sur deux lignes sur son passeport, ç’aurait été plus drôle au moins. » explique Ginny en lui présentant le liquide sacré du matin qu’il n’a pas eu le temps de prendre (aka le café) « J’imagine qu’on est dans un de ces moments où tu regrettes encore de ne pas être Daenerys Targaryen ? » Qu’il répond en se saisissant de son cup de café avant d’ajouter « Remarque, s’il continue comme ça, il peut faire une très prometteuse carrière au Starbucks et ça, ça veut dire qu’on aura le p’tit dèj à l’œil. » déclare Tad, déjà rêveur de ce petit garçon dont la plèbe ferait de lui celui qui sait écrire des prénoms correctements sur des cups, des milliers de personnes se déplacerait à Brisbane pour voir ça. « Virginia Mary Elisabeth, je vais au salon. » rajoute Noah, faisant au moins autant pouffer que Tad que Ginny il y’a quelques secondes. « Mes parents seraient si heureux de l’entendre jacasser comme ça. » Il acquiesce en revisitant le souvenirs de ces deux personnes, c’est chose si rare avant d’ajouter. « Je sais pas toi, mais de me faire appeler par mon nom complet, j’ai surtout l’impression d’avoir fait quelque chose de mal » Et il éclate de rire, parce que de mémoire d’homme, à chaque fois que leur patronyme entier avait été prononcé, c’est bien parce qu’une bêtise a été faite.
Et Noah évolue dans l’appartement de Tad comme s’il le connaissait par coeur lui aussi, tout autant que le chemin, ce qui ne m’étonne pas du tout en soit sachant à quel point on était venus de nombreuses fois, où il se complaisait à passer même que pour quelques minutes sans option de rester aussi longtemps que lorsqu’il avait séjourné de longues semaines ici l’an dernier. Je le regarde du coin de l’oeil prendre possession des lieux, restant tout de même en retrait avec mon meilleur ami à lui expliquer les frasques du jour, et l’humour du gamin de 8 ans qui à chaque fois arrivait toujours à me surprendre autant qu’à me fasciner. J’ignorais d'où on avait décidé de mettre sur mon chemin pareil petit être humain, mais il ne me laissait jamais l’occasion d’être autre chose qu’émerveillée de le voir grandir aussi bien, et surtout à son rythme. Les bribes de la maladie que je m’efforce chaque jour d’oublier en ne voyant que le bon, que le beau qui nous attend, de plus en plus à l’aise avec le quotidien sans avoir l’impression que chaque jour au réveil, c’est une épée de Damocles qui s’agite au-dessus de ma tête, la sienne. Enfin, que je pense, soulagée, le réalisant un peu plus au fil des mots blagueurs d’un Tad tout aussi farceur que Noah. La journée s’augure parfaitement. « Ou que tu ne sois pas un droïde dans Star Wars, avec la combinaison de chiffres qui n’en finit plus. » et je rigole de plus belle autant à sa référence qu’à la mienne, profitant de l’embrasure de la porte qui nous sépare de l’entrée au salon pour m’y appuyer un temps, pensive, Noah qui se balance qu’on l’observe le temps qu’il dégaine le contenu de son sac à bandoulière - c’est-à-dire la totalité de sa bibliothèque de jeux vidéos prête à être testée et retestée avec Tad et moi comme partenaires (surtout adversaires). Quand Cooper pense aux gobelets Staburcks parfaitement nommés et aux petits-déjeuners à la clé, je manque de m’étouffer avec la gorgée de café que je bois en choeur avec lui, le regard qui de suite devient beaucoup trop brillant pour que je sois prise au sérieux comme mère, comme adulte. « T’es un génie. Va chercher les marqueurs, qu’on le mette à l’essai direct. » je sais plus s’il les range dans le tiroir à ustensiles ou dans la commode de sa chambre, peut-être même sont-ils déjà trônant fièrement sur la table du living prêts à compiler nos tableaux de scores au fil des heures qui passeront, et de nos nez collés respectivement à l’écran. Puis, Tad apporte un point particulièrement important à considérer, et voilant parfaitement le sujet de mes parents que ni lui, ni moi n’a envie d’aborder plus qu’en surface, je rattrape au vol. L’index levé, le menton qui lui fait signe de suivre mon regard, j’interpelle mon gamin qui s’est depuis faufilé derrière le téléviseur pour effectuer les divers branchements. « Noah Scott McGrath? » et de suite, il corrobore les paroles de mon meilleur ami, s’immobilisant dans son élan, les yeux gros, la tête vrillée vers moi. « Oui, quoi? » et j’éclate de rire, mon visage d’abord sérieux reprenant son air rieur habituel. « Rien, je faisais un test. Tu te sens comment? » et comme il n’a vraiment aucun référent d’un moment ou d’un autre où j’aurais pu utiliser ce genre d’interjection pour le disputer - parce qu’au final, je ne le dispute jamais vraiment, il répond d’emblée, voix chantante, bouche en coeur, oeil qui pétille. « Très bien. On joue? » pfffff. Je roule des yeux, bois une nouvelle gorgée de café, encourage Tad à me suivre au salon alors que je m’affale sans grâce aucune sur le canapé, Noah se lovant contre moi la seconde d’après. « Juste si t’as pas peur de perdre. » d’un geste rapide, je tends la manette à Tad qui lui revient, prête à lancer les hostilités.
Son regard reste vissé sur la petite tête, toujours haute comme trois pommes qu’il observe gambader à travers l’appartement jusqu’à s’installer près de son spot préféré : la console. Tad reste amusé de ce nouveau jeu que Noah semble s’être inventé, tout en s’disant que ça doit être merveilleux à cet âge que de découvrir des choses sur des adultes qui l’entourent, même quand c’est aussi simple qu’un nom complet. Il quitte l’émerveillement pour en revenir à l’explication de Ginny, non sans prédire un grand avenir au petit garçon dans le monde du café à emporter, ce qui soit dit en passant ne serait même pas étonnant quand l’on observe que le café dispose d’une place très importante chez beaucoup de membre de son entourage. « Ou que tu ne sois pas un droïde dans Star Wars, avec la combinaison de chiffres qui n’en finit plus. » L’envie de répondre à cette affirmation en sifflant tel un R2D2 se fait ressentir mais parce qu’il sait que le gag n’en finirait pas, il reste humble et contient son élan avant d’ajouter en haussant les épaules. « Tu peux aussi l’entrainer à appeler les gens par leur numéro de téléphone, ça s’en rapprocherait et tu n’aurais pas à te trimballer un carnet d’adresse. » Bien que, qui de nos jours tient encore un carnet d’adresse ? Tous ceux qui ont déjà eu affaire un jour au décès inopiné d’un téléphone suite à une chute dans un bol de café. Nota bene que le café, on y revient toujours. « T’es un génie. Va chercher les marqueurs, qu’on le mette à l’essai direct. » Qu’elle suggère, Tad répond d’un clin d’œil avant de pointer du nez le p’tit garçon qui semble encore prêt là où les adultes préfèrent papoter sur du véritable n’importe quoi. « Noah Scott McGrath? » Que Ginny appelle après avoir reçu la confession de Tad qu’entendre son prénom entier rappelait de mauvais et perturbant souvenirs où les mains de sa mère volaient dans les airs, mimant des paroles faites du fameux prénom et de tout un tas de reproche sur son comportement qui l’embarrasse. « Oui, quoi? » demande le garçon, pétrifié sur l’instant, bien que Ginny n’ait rien de comparable à sa très chère mamma. « Rien, je faisais un test. Tu te sens comment? » Houspillé, Tad tenterait de répondre. Mais le mot ne sort pas de sa bouche vu que le garçon réagit plus vite et affiche un grand sourire avant d’ajouter sans perdre le nord. « Très bien. On joue? » Ne reste qu’aux deux grands à venir eux aussi s’asseoir, les conversations attendront. « Juste si t’as pas peur de perdre. » Tad se contente d’hausser les épaules, de suivre Ginny dans le recoin de l’appartement qui sert de salon, son chemin à lui qui dévie vers le meuble du salon alors qu’elle a déjà tout préparé pour que la partie commence le plus rapidement. C’est alors que Tad extirpe une boite encore dans son emballage d’origine. C’est la surprise du week-end qu’il tient dans les mains, le super smash bros ultimate qu’il a tardé à acquérir, qu’il tend au garçon avant d’ajouter. « J’ai pensé que démarrer un nouveau jeu tous ensemble nous permettrait d’instaurer un point d’égalité. » Qu’il explique tout en tendant le bras vers le gamin, pour que ce soit lui qui ait l’honneur d’ouvrir le jeu pour la première fois. « Puis, on essaiera de travailler un nouveau wombo combo. »
Le répertoire téléphonique me fait hausser le sourcil, toujours appuyée aux côtés de Tad, toujours à sourire comme la grande gamine que je pouvais être dès que j’assistais à l’une des frasques de mon fils, encore plus lorsqu’il la mettait au point, la peaufinait avec un Tad toujours aussi complice, toujours aussi moqueur. « Les gens utilisent encore leur téléphone pour appeler de nos jours? » fallait dire que de toute façon, il m’avait amplement conquise à la seconde où il avait mentionné le petit-déjeuner et le café à la clé et qu’après ça, j’en avais que faire des arguments qu’il pouvait mettre en place et déployer au sujet d’un poste ou énième emploi pour lequel Noah avait apparemment de nouvelles compétences bien affûtées. Hilare, j’assiste à leur joute verbale la tasse bouillante en main, quand jamais un moment avec eux deux n’était identique, ennuyant. Quand chaque anecdote même la plus banale, même la plus sotte, restait un souvenir tout en douceur que je gardais gravé dans ma mémoire, attentendrie, dégoulinant de gratitude. Life is good, life is finally really good. Tad file au salon une fois la console bien installée, et Noah s’écrase sans grâce aucune maintenant que le nouveau jeu du jour est prêt à être déballé, dévoilé à nos paires d’yeux ravies. « C’est toi qui a peur de perdre Taddeus. » y’a un coup d’oeil qui part vers mon meilleur ami, rien que pour lui confirmer d’un grand merci silencieux d’avoir pensé à ça, petite attention, rien de phénoménal pour des gens de l’extérieur, mais pour moi, ça valait beaucoup, tellement. Qu’on se construise de nouveaux souvenirs ensembles, qu’on ne soit pas juste toujours à gratter ceux d’avant ; qu’on avance. Qu’on aime assez la routine dans laquelle on s’instaure nous-même que les détails, que les moments aussi simples que ça, valent tout l’or du monde. « Ça sonne comme un discours de perdant, ça, Noah Scott. » puis de retour au rez-de-marrée de piques qui nous arrachent autant de rires que de vannes communes. « Virginia Mary Elisabeth, aurais-tu peur que je gagne contre vous deux? » mon regard veut tout dire ; tu peux bien essayer bonhomme, mais si on s’allie Tad et moi, c’est plus de 20 ans de complicité qui démonteront pour te ficher en bas du podium. Oui, oui, c’est ma chair et mon sang. Oui, oui, je l’aime d’un amour infini. Mais, you know. Gagner super smash bros ultimate, c’est toute une religion. Parlant de. Tad propose un nouveau combo, Noah s’exclame de tout son coeur son entrain d’un cri bien aïgu, bien enjoué. « Et juste comme ça, tu gagnes la palme du meilleur parrain ever. » Noah fronce du nez, pas sûr du tout, lance le jeu, choisi déjà son personnage. « Ou une période de sursis? » il secoue toujours la tête, pas du tout convaincu. « Ou rien du tout? » un grand oui bien décidé, avant que la musique du premier tableau ne se retrouve crachée à travers les hauts-parleurs.
« Les gens utilisent encore leur téléphone pour appeler de nos jours? » pointe Ginny face à la remarque de Tad. Les bras lui en tombent parce que sa remarque est d’une perspicacité comme il n’en a jamais vu et alors qu’il se prend un méchant coup de vieux, qu’il revisite ses derniers échanges sociaux avec d’autres êtres humains. La fatalité le touche. Effectivement, plus personne n’utilise le téléphone pour téléphoner. C’est bien trop simple. Non, l’humanité se contente de message, de vidéos, de selfie mais échanger quelques mots en direct pendant quelques minutes, ça ne se fait plus et il se sent bête et vieux désormais. « Tu marques un point. » Qu’il lui accorde bien volontiers, tout en restant encore sur le cul de sa réalisation. Lui qui se sentait déjà vieux avec son carnet, il est désormais officiellement bon pour l’hospice. Revenant à leurs moutons, et surtout, au but principal de la journée, c’est afin d’éviter une énième partie d’un jeu que Ginny et lui connaissent par cœur qu’il se décide à en proposer un tout nouveau. Parce qu’après tout, les années d’avance qu’ils ont sur Noah ne sont pas vraiment justes et c’est pourquoi aujourd’hui, tout le monde repart de zéro. « C’est toi qui a peur de perdre Taddeus. » rétorque Noah, amenant un regard plein de surprise sur le visage de Tad qui ne s’attendait pas à autant de vantardise venant du bonhomme. Le poussant du doigt, pour la blague et non par réel envie de le pousser, il rétorque. « Attends d’avoir du poil au menton avant de jouer les durs gamin ! » Tel sera le conseil de Tad, mais si dans les faits, il n’a jamais joué les durs de sa vie et ne s’en porte pas plus mal. « Ça sonne comme un discours de perdant, ça, Noah Scott. » rajoute Ginny, sûrement aussi compétitive que Tad dès qu’il s’agit de sauver son honneur à Super Smash. Si Tad avait eu un conseil à Noah, ça aurait été de profiter de sa bouille pour attendrir ses adversaires et gagner avant que l’adolescence ne lui rende la tâche plus ardu. Toujours est-il qu’enfant ou pas, Tad n’allait pas se coucher. « Virginia Mary Elisabeth, aurais-tu peur que je gagne contre vous deux? » Ouh là, sur quel terrain allait-il s’aventurer ? Ne savait-il pas que le wombo combo, c’est presque une de leurs inventions, que Ginny, c’est le ying de Tad sur la console et inversemment. Noah doit apprendre encore. « Et juste comme ça, tu gagnes la palme du meilleur parrain ever. » rajoute Ginny, alors que sans se laisser démonter, le musicien propose tout de même d’apprendre à faire des trucs cools. Le petit garçon ne semble pas de son avis. « Ou une période de sursis? » Toujours pas. « Ou rien du tout? » termine Ginny alors que le jeu se lance sur la console. Semblerait que les esprits se soient échauffés. « Parfait, je ne comptais pas faire dans le sentimentalisme. » poursuit Tad, alors que maintenant, la lutte commence. « Je ne vais même pas te juger si tu prends Kirby petit, alors que tout l’monde sait qu’il est cheaté. » C’est mal de provoquer ainsi un enfant mais quelque part, Tad en est un aussi alors sommes-nous surprise ? Viens le moment de choisir les personages. Fox est son choix et aussitôt que Ginny fait le siens, la partie démarre. « Je dirais que le perdant offre le lunch. » propose Tad, sachant pertinemment que dans les faits, ça se jouera entre Gin et lui.
Tad entre dans son jeu alors que j’éclate de rire de les voir se piquer aussi facilement l’un l’autre. Sachant à quel point Cooper était proche de mon fils, comment ils cumulaient les intérêts et les passes-temps communs, les sorties à deux, leur monde qu’ils construisaient, y'a absolument rien qui me dérange dans les piques qui sortent comme des banalités hilarantes à mes oreilles. La manette entre les mains, je les laisse s’obstiner sur quel personnage est plus facile à jouer - ou absolument truqué au choix - alors que mon curseur à moi trouve sans surprise Link qui revêt son costume traditionnel, après une petite pirouette et sa mastersword bien brandie en l’air. Ginny 15 ans is back. « Il est pas cheaté, il est juste vraiment plus fort que les autres. » je pouffe dans mon hoodie, affalée sur le canapé la tête appuyée sur l’épaule d’un Tad concentré qui prend Fox comme toutes les années de sa vie où je l’ai vu jouer à une ou l'autre des itérations de ce jeu-là. « Ça va, c’est cool, comme ça ton score final ne sera pas si gênant que ça. » Noah me tire la langue, je renchéris, il roule des yeux, je reporte mon attention sur l’écran sans la moindre intention de l’en dégager d’ici la fin de la partie. Partie qui ma foi part sur les chapeaux de roues quand je réalise que mon fils en a dans le ventre et dans la gâchette. J’en ai presque autant peur pour notre cumulatif de points que pour la pauvre manette entre ses doigts qui vit la vie dure, qui reçoit pléthores de simagrées, chaque bouton enfoncé avec violence et la silhouette du bambin qui finalement se rapproche de l’écran à la course pour cumuler passe et combo en solo, maintenant que Tad et moi on tente de suivre son rythme de sprint, tous deux bien plus aptes à faire du marathon. « Noah, bonhomme, t’es en feu. » je tente de calmer ses ardeurs, prévoyant déjà investir dans un nouveau controller si celui-ci ne survit pas au tout premier tableau du jeu. « Et je suis aussi affamé. En pleine croissance, tout ça. » il pique le gamin, il s’esclaffe aussi, il tente une pirouette, une autre, saute en direct sous nos yeux dans le salon, avant que je tourne la tête vite fait vers Tad, qu’on se comprenne d’un seul coup d’oeil comme tant d’autres fois avant. « Mais pas assez. » et la seconde d’après, Fox propulse Link, l’écran pétarade de points et de lumières, de couleurs, d’éclats, de musique. Kirby’s out. For now.
S’il avait été un vrai adulte, il n’aurait pas été fier de son comportement. Mais étant donné que mentalement, il peut facilement passer pour le frère aîné du jeune garçon, on ne retiendra pas la puérilité de sa réaction face à la provocation de Noah. Après tout, Tad régnait en maitre sur le monde du jeu vidéo, il était normal pour lui de défendre son titre à coup de punch line qui restent malgré tout gentillette vu qu’elles s’adressent à un enfant. Seul un vrai adulte pourrait être désolé du spectacle. « Il est pas cheaté, il est juste vraiment plus fort que les autres. » rétorque Noah, sélectionnant comme Tad l’a prédit la petite boule rose qui passe son temps à avaler les autres. Evidemment, Tad en rigole avant de frotter le haut de son crâne et d’ajouter « C’est ça, il est cheaté ! » Il en remet une couche, riant de plus belle au regard fustigateur que lui renvoit Noah. Tout le monde prend place pour le jeu, les personnages sont élus et même Ginny en met une petite couche, décidément, les enfants ont été laissés sans surveillance. « Ça va, c’est cool, comme ça ton score final ne sera pas si gênant que ça. » Tad ricane, ce qui pousse Noah à bouder un peu alors que le jeu se lance pour de vrai, que les nouvelles techniques d’attaques (et de défenses) commencent à être explorée du bout de doigts lui faisant penser qu’il aurait du prendre une réservation aux urgences pour les trois tendinites à venir. Noah se bat bien, répondant parfaitement à l’éducation donnée par Ginny et Tad en la matière, rendant fier le vieux maitre jedi qu’il est alors qu’il galère au moins plus qu’il ne le pensait à faire valoir sa place de grand maitre. « Noah, bonhomme, t’es en feu. » glisse Ginny, le laissant supposer qu’elle galère au moins autant que lui à faire valoir sa supériorité. La musique du jeu n’est plus que rythmée par le bruit des boutons qui sont pressé à une vitesse olympique. « Et je suis aussi affamé. En pleine croissance, tout ça. » balance le petit garçon, amenant une expression de surprise sur le visage de son parrain, c’est qu’en plus le même semble gagner en répartie. Tad hallucine autant qu’il se marre et alors que le timer de l’écran semble prêt à se terminer, il suffit d’un regard entre les deux acolytes de toujours pour que le grand jeu soit sorti. Après tout, il ne faut pas que tout soit trop facile pour Noah. « Mais pas assez. » ajoute Ginny, donnant le top départ pour que le Fox de Tad fasse voler son Link, qui à son tour, propulse irby hors de l’arène. La fin de la manche sonne. Tad en a autant le cœur brisé qu’un sourire plein de joie de sa victoire. « Tu t’rend compte qu’on vient de battre la chair de ta chair de façon dégueulasse alors que la société nous aurait dit de le laisser gagner ? » pointe Tad, amusé et en même temps, désolé. Allez, il paiera le lunch !
La partie qui se déroule comme les 40 000 autres qu’on a au compteur, comme une chorégraphie autant calculée et répétée et habituelle qu’improvisée tellement on connaît les combinaisons. Tellement qu'on a mémorisé le tout dans un coin de notre cerveau beaucoup trop grand et dédié pour que ce soit bien vu par la société qui s’attend à ce qu’à cet âge si respectable que nous avons tous les deux, Tad et moi soyons devenus des adultes. Mais oui, of course, à la place de penser à nos finances et à nos factures, ce sont les combos de postures et d’attaques qui priment sur tout le reste. Sue us. Noah qui tombe dans le panneau le pauvre, et qui me fait douter de l’apport que j’ai dévoué à son éducation pour l’empêcher de devenir trop candide, pour lui éviter de croire tout ce qu’on tente de lui faire croire justement. Parce que nos ruses ne sont même pas camouflées, parce qu’on ne se cache même pas, parce que la moquerie dans mon ton ne fait pas le moindre effort de se dissimuler, alors que je lance le signal et que Tad suit sans même lever le pouce - ou du moins, l’index suivant avec pour appuyer sur les boutons nécessaires à reproduire le schéma qu’il faut. La défaite est cuisante, mais pas totale, pas dérisoire. Pas assez pour que la confiance de mon gamin soit complètement démolie pour le reste de ses jours et que je doive me coltiner avec lui des rencontres mère-fils chez le psy en espérant qu’un jour il se sorte des séquelles que mon incapacité à le laisser gagner auraient causé, mais c’est tout comme. Mon meilleur ami qui constate l’horreur qu’on vient de faire, en commun, cruels alliés, et mon ton qui flirte entre l’amusement et le presque-dépit. « Ça sonnait beaucoup moins sadique dans ma tête quand je voyais notre pointage défiler fièrement à l’écran, j’en conviens. » Noah est renfrogné, la manette entre les mains, mon sourire passe de Tad à lui, avant de finir par enrouler mon bras autour des épaules du pauvre qui a mis tous ses espoirs en Kirby sans demander son reste. « Tu nous en veux? » il met une longue seconde avant de répondre, assez pour laisser la culpabilité monter dans le coeur de sa chère mère. He’s good, he's very good at this. « Est-ce vous allez payer la pizza si je dis oui et que je pleure en prime? » j’échange un coup d’oeil avec Tad, le menu de la pizzeria bien en vue, l’heure du lunch même pas encore prête à sonner que Noah a les yeux sur le prix. « Probablement. » « Alors oui, je suis dévasté. »
C’est toujours la même chose de toute façon. La pointe de culpabilité qui nait juste après avoir fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire, c’est-à-dire battre Noah à place couture alors que celui-ci n’est qu’un enfant et qu’il aurait aisément pu le laisser gagner mais que bien sûr, comme tout être humain, la compétition n’avait pas rendue ça possible. Heureusement que Ginny est là, sourire auxlèvres face à la victoire, l'éburnéen de ses dents réfletant parfaitement, le rassure au moins un p’tit peu quant au fait qu’ils ne sont pas complètement des êtres abjects sans aucun sens de la morale. « Ça sonnait beaucoup moins sadique dans ma tête quand je voyais notre pointage défiler fièrement à l’écran, j’en conviens. » dit-elle alors que Noah leur joue la scène de l’enfant qui s’est laissé victimiser par deux adultes. Ginny pourra en rire autant qu’elle veut, mais ça n’empêche pas Tad d’y être très sensible et d’être à deux doigts de se laisser berner par le petit maintenant que la culpabilité l’habite. « Tu nous en veux? » lui demande t-elle, par acquis de conscience. Le silence est dur à supporte pour Tad qui serait prêt à proposer une énième partie pour se laisser battre à plate couture (le reste sera donc à déterminer lequel de la culpabilité et l’égo est le plus fort) « Est-ce vous allez payer la pizza si je dis oui et que je pleure en prime? » Que Noah répond, montrant qu’il ne perd pas le nord, faisant baisser par la même occasion la pression que Tad commençait à ressentir. Pauvre garçon, il n’est jamais très bon pour ce qui est de gérer quelque chose d’immoral. « Probablement. » De toute façon, perdu ou non, ils n’allaient tout de même pas laisser un enfant prendre sur son argent de poche pour payer le repas donc, à ce niveau-là, il était couvert. « Alors oui, je suis dévasté. » précise t-il, faisant rire tout l’monde au passage. Reposant la manette sur la table basse, Tad ne perd pas de temps à se lever avant de prendre son blouson. « En revanche, tu as intérêt à te tenir prêt rapidement si tu ne veux pas rater le rendez-vous à la pizzeria ! » Il n’en faut pas plus pour que l’enfant se presse, quitte à être le premier alors que les deux adultes prennent leur temps pour le rejoindre.
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Le chemin vers chez Tad était simple de chez simple, enregistré, programmé parfaitement maîtrisé. Si jadis lorsqu’on était gamins, c’était une question de quelques pas à peine, une rue et une autre, une signalisation, un parc plus tard pour me rendre de chez moi à chez lui, là, c’est l’autobus qui s’en mêle. Mais Noah adore prévenir à l’avance des arrêts, il se régale de se rappeler du coin, de pointer les affiches qu’il reconnaît, les commerces aléatoires où parfois on s’arrêtait sur la route, sachant qu’on arrivait en avance chez mon meilleur ami, et qu’une poignée de minutes supplémentaires pour lui laisser le temps de faire couler du café et réchauffer des pizzas seraient suffisantes pour une expérience optimale. Aujourd’hui, on avait décidé de faire un stop au disquaire du coin, y’avait quelques albums que je voulais regarder de proche, et Noah devait absolument acheter des cordes arc-en-ciel pour sa guitare empruntée sans date de retour officielle à Tad, lui montrer à quel point il s’en occupait bien de la relique qu’on avait sortie du grenier des Copper des mois plus tôt.
Cela aurait pu être un samedi comme un autre. Mais Tad avait fait la promesse de prévoir un entier week-end de chill et de jeux vidéo avec Noah et Ginny quand il était venu chez eux deux jours plus tôt pour déjà chiller et jouer aux jeux vidéo et même si sa promesse n’avait rien d’exceptionnel par rapport à leurs activités habituelles, elle avait le mérite de se dérouler chez lui et ça, ça devait nécessiter un léger effort de sa part pour la réaliser parce que plusieurs cycles lunaires ont dû avoir lieu depuis la dernière fois où un coup de poussière a été passé à l’appart (littéralement, la dernière fois où il a gardé Noah il dirait) et que, en raison de la santé passée du garçon, Tad préfère malgré tout s’assurer que ce dernier ne choperait pas quelque chose à cause d’un champignon mutant qui aurait réussi à se développer quelque part. Le garçon avait beau arborer une santé d’acier, Tad resterait toujours très préventif afin d’éviter que cet état se termine. Il a à peine le temps de poser le balai que le signal retentit de l’autre côté de la porte et sans attendre, Tad se dirige vers l’entrée afin de répondre au code et demander une seconde confirmation. Qui aurait cru qu’apprendre le morse n’avait rien d’amusant ? Malgré le sos, ça sauve toujours la vie, ça lui évite d’ouvrir à la voisine du dessus qui viendrait râler parce qu’il a osé jouer de la guitare après dix-neuf heure. Vérification faites, la porte s’ouvre sur un petit garçon visiblement content d’être là. « Bonjour, Taddeus. » annonce la petite tête, haute comme trois pommes, avant de partir en direction du salon où se trouve la console. Tad reste muet, pas prêt psychologiquement à être appelé par son prénom entier. « Il a décidé de jouer au jeu des prénoms complets aujourd’hui. J’regrette de pas avoir choisi de venir voir quelqu’un avec un truc qui s’étale sur deux lignes sur son passeport, ç’aurait été plus drôle au moins. » explique Ginny en lui présentant le liquide sacré du matin qu’il n’a pas eu le temps de prendre (aka le café) « J’imagine qu’on est dans un de ces moments où tu regrettes encore de ne pas être Daenerys Targaryen ? » Qu’il répond en se saisissant de son cup de café avant d’ajouter « Remarque, s’il continue comme ça, il peut faire une très prometteuse carrière au Starbucks et ça, ça veut dire qu’on aura le p’tit dèj à l’œil. » déclare Tad, déjà rêveur de ce petit garçon dont la plèbe ferait de lui celui qui sait écrire des prénoms correctements sur des cups, des milliers de personnes se déplacerait à Brisbane pour voir ça. « Virginia Mary Elisabeth, je vais au salon. » rajoute Noah, faisant au moins autant pouffer que Tad que Ginny il y’a quelques secondes. « Mes parents seraient si heureux de l’entendre jacasser comme ça. » Il acquiesce en revisitant le souvenirs de ces deux personnes, c’est chose si rare avant d’ajouter. « Je sais pas toi, mais de me faire appeler par mon nom complet, j’ai surtout l’impression d’avoir fait quelque chose de mal » Et il éclate de rire, parce que de mémoire d’homme, à chaque fois que leur patronyme entier avait été prononcé, c’est bien parce qu’une bêtise a été faite.