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 life happens ⊹ alfie

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyDim 3 Mar 2019 - 14:30

Alfie & Stephen mars 2017
because if you're very wise and very strong, fear doesn't have to make you cruel or cowardly. fear can make you kind.

"Je devrais aller chez le coiffeur." qu'avait lâché Rachel en laissant filer ses doigts dans ses longs cheveux bruns. Les sourcils froncés, un air concentré qui arrivait presque à durcir ses grands yeux rieurs, l'australienne avait ramené ses pointes devant elle pour mener une inspection minutieuse des fourches qui entravaient ses efforts de présentation chaque matin. "Tu penses quoi d'un carré ? Un carré c'est bien, ça fait tout de suite plus sérieux." Jaugeant de cette coupe à venir en attachant ses boucles brunes devant le miroir de l'entrée, la jeune femme semblait attendre les mots de son mari alors qu'elle lui jetait des regards appuyés depuis l'autre bout de la pièce. "Oui, pourquoi pas." De longues secondes de patience lui avaient été nécessaires pour obtenir une réponse que Stephen lui avait fournie sans même relever le nez de l'écran de son ordinateur portable. ".... et j'avais aussi pensé à changer de couleur." "Excellente idée." qu'il marmonnait en retour, certainement pour la forme. Absorbé par le contenu de sa lecture, le kinésithérapeute -dont l'acquisition de son cabinet se ferait dans quelques semaines au mieux-, semblait à peine concerné par cette conversation à sens unique que menait sa femme à quelques mètres de lui. Installé dans un recoin de leur salle à manger au travaux, le brun ne prêtait que peu d'attention à la réflexion somme toute assez futile que menait la brunette. Sans doute qu'il savait très bien que Rachel ne sacrifierait jamais ses longs cheveux ondulés pour une coupe aussi banale. Ou peut être qu'il se détournait volontairement du sujet pour éviter à son cerveau de trop cogiter ; ou alors un savant mélange des deux. " .... du vert. C'est joli le vert." S'approchant à pas de loup, elle s'était glissée entre l'ordinateur et son mari dans une tentative un brin forcée de le faire décrocher. Encerclant son cou de ses bras, attrapant son regard de ses prunelles noisette, la jeune maman semblait rayonner d'un amusement que Stephen n'avait pas su percevoir à sa juste valeur. Depuis l'incident - à ce stade, inutile d'essayer de lui faire placer des mots sur l'issue dramatique de la virée en voiture qui avait permis aux médecins de déceler la tumeur- ses neurones semblaient placer le mot cancer à la moindre fêlure. Même s'il ne le formulerait jamais verbalement ; quelques jours à peine après la découverte de la maladie, ses yeux le trahissaient déjà.

Rachel avait perdu de son éclat au moment même où Stephen avait saisi la gravité de la situation. Il l'avait aimée presque dès le départ, pour tout un tas de choses ; parce qu'elle était belle, pétillante, qu'elle arrivait à cerner son caractère et qu'il trouvait un havre de paix dans le creux de ses bras. Elle lui apportait un schéma familial dont il avait tant rêvé : une figure paternelle qu'il s'autorisait à prendre, une maison pleine de travaux et d'opportunités, une énergie similaire à la sienne lorsqu'il s'agissait d'établir des plans sur la comète. Aujourd'hui tout semblait différent, en l'espace de quelques semaines tout juste. Repoussant la chaise de ses pieds pour laisser un espace suffisant à Rachel pour s'installer correctement, Stephen nichait son visage dans le creux de son cou comme il l'avait déjà fait des dizaines de fois. L'odeur familière de son parfum apaisait ses craintes ; du lilas, une note de mandarine. Elle n'avait pas encore disparu. "A quelle heure vient Alfie ?" qu'il demandait finalement pour chasser ses idées sombres. "Vingt heures. Il ne devrait pas tarder. Jules ne sera pas là, au fait. C'est mieux, je suppose. Pour qu'on puisse discuter, tu sais." Elle soufflait presque, portait son pouce à ses lèvres pour en mordiller l'ongle dans un geste qui laissait transparaître toute sa nervosité. "J'ai peur de sa réaction" Et bien, nous y voilà, qu'il songeait. Est ce que parler de ce foutu cancer à Alfie rendrait les choses concrètes ? Certainement. C'était le début. Le début d'une longue série de déchirements chaque fois qu'ils aborderaient le sujet avec quelqu'un qui leur était proche. Seigneur, qu'est ce qu'il pouvait être dans le drama. "... sérieux Rach, arrête d'y penser. Plus t'en parles et plus c'est sérieux. On va passer au dessus, t'as pas à t'en faire." Le ton un brin trop sec, une raideur musculaire qui n'avait pas pu échapper à la jeune maman puisqu'elle se tenait sur ses genoux : Stephen était mal à l'aise à l'idée d'évoquer cette tumeur, comme si le simple fait d'en parler rendait les choses concrètes, dramatiques. Personne ne crevait d'un cancer à trente ans. Elle le fixait avec son regard voilé de tristesse, même si dans un éclat de colère légitime, elle se relevait en le repoussant de l'épaule. "Je parlais du mariage." Abandonnant son projet de carré, elle glissait ses doigts dans ses longueurs avant d'arpenter le salon pour y faire les cent pas. Rachel avait toujours été la plus modérée de leur duo, même si sur l'instant, elle donnait l'image inverse. Stephen s'était toujours dit que la maternité avait du aiguiser sa patience. Ou alors c'était d'avoir grandi dans une famille aux principes étriqués. Quoiqu'il en soit, alors qu'il se passait une main fatiguée sur le visage, elle poursuivait d'une voix qu'il jaugeait méthodique. "... on va d'abord lui parler du mariage." Les bras croisés, les lèvres pincées, elle hochait la tête, comme pour se convaincre elle même de la marche à suivre, comme si on lui avait refilé un manuel. Stephen lui, n'arrivait pas vraiment à cacher son agacement face à tout ce manège. Il se relevait à son tour, fit quelques pas pour la rejoindre et se planter devant elle. "T'es pas sérieuse j'espère. Tu lui as caché que t'avais eu un accident de voiture en prétextant qu'on était en lune de miel. Tourne pas autour du pot. Tu lui dis, on combat ce truc, et on reprend nos vies. Tu fais des cérémonies pour rien." Chacun de ses mots était ponctué d'un geste de la main, comme si son opinion était supérieure, comme si sa manière prévalait sur la sienne. Il était à des kilomètres de s'imaginer qu'ils faisaient le même effet qu'autant de couteaux aiguisés plantés directement dans son cœur déjà bien amoché. "T'es qu'un sale con." Tu l'as cherché, Holloway. Le regard assombri d'un mélange d'incompréhension, de colère, d'amertume et de rancoeur, il la fixait, s'apprêtait à rétorquer quelque chose qu'il finirait sûrement par regretter d'ici quelques secondes. C'est le bruit de la sonnette qui mit fin à cette dispute à venir. Rachel s'était presque empressée de quitter la pièce pour ouvrir la porte tandis que lui reprenait contenance en se passant une énième fois une main fatiguée sur le visage pour dérider ses traits.
Il entendait sa femme accueillir son cousin dans un éclat de joie. Une étreinte, des salutations échangées avec une émotion qu'il percevait sans avoir besoin de l'avoir sous les yeux, Stephen avait fini par les rejoindre après quelques secondes, à peine remis de son récent ascenseur émotionnel. "Un mixeur ? t'as envie qu'elle m'empoisonne ?" s'adossant contre le mur, il observait d'un oeil radoucit l'échange entre Alfie et Rachel. Le brun semblait être encombré d'un bras par un appareil ménager supplanté d'un ruban dont l'esprit tourmenté de Stephen n'eut pas besoin de trop cogiter pour deviner qu'il s'agissait d'un présent pour leur mariage. Et dire que la jeune femme s'inquiétait de sa réaction face à cette union express.. Alfie avait toujours été son seul soutien face à ses choix de vie. Il n'était pas du genre à s'offusquer de ne pas avoir été convié à un rendez vous à la mairie pris sur un coup de tête. "Je te débarrasse. Et.. merci." Un sourire franc avait finalement réussi à se loger sur les lèvres pincées de Stephen qui fit quelques pas en la direction de son désormais officiellement cousin par alliance pour l'étreindre comme à l'accoutumée, le sentiment que cette rencontre serait foncièrement différente de leurs précédents échanges l'enveloppant soudainement. "J'ai sorti du vin." qu'avait coupé Rachel en s'imposant entre eux, les entraînant par la même jusque dans la pièce à vivre où traînaient encore pots de peinture et autres outils de bricolages. Du vin. Il lui fallait sans doute au moins ça pour avoir le courage de dire ce qu'il lui pesait.    

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyJeu 7 Mar 2019 - 20:52


STEPHEN & ALFIE ⊹⊹⊹ If ever your world starts crashing down, Whenever your world starts crashing down, Whenever your world starts crashing down, That's where you'll find me.

Dans la bataille de regards qui l’oppose à l’appareil face à lui, arbitrée par le vendeur presque plus bavard que lui dont les discours enflammés n’atteignent pas son esprit, Alfie se défend sans avoir à rougir. Obnubilé, les sourcils froncés, passant en revue chaque détail de l’objet avec une concentration qui lui est rare, il tente de sonder la machine à gaufre dans l’espoir de prendre sa décision : sera-t-il le chanceux appareil au bras duquel il va repartir ? Rien n’est moins sûr, maintenant que ses prunelles se sont fixées sur une table de cuisson dernière génération, supposée s’adapter aux aliments à cuire. « (…) et avec la sécurité enfant, … monsieur ? Vous êtes plus intéressé ? » « Mouais. Non. » Qu’il marmonne par automatisme alors que sa silhouette s’est précipitée avec engouement près du nouveau gadget qu’il a dans le viseur. « Ah, ça, c’est un best-seller en ce moment, je peux vous dire que (…) » Alfie voit du coin de l’œil les mains du jeune vendeur s’agiter, contrairement aux siennes étonnamment prostrées dans ses poches tandis que son regard pensif s’accroche cette fois-ci sur un réfrigérateur connecté vers lequel il se dirige en oubliant une nouvelle fois la présence du jeune garçon se maudissant probablement de devoir faire ses preuves avec un client aussi pénible – ou peut-être que c’est un bon défi, justement. « Oh, très bon choix aussi, avec lui le stock de vos aliments (…) » Alfie pousse un soupir tandis qu’il jeter un coup d’œil à sa montre et constate que ça fait bien une heure qu’il erre dans ce magasin, et un quart de ce temps qu’il se récupère ce chiot abandonné par ses supérieurs. Ses yeux se fixent ensuite sur le dénommé Marshall à en croire son badge, dont les lèvres se meuvent avec une rapidité que pourrait jalouser Alfie, et dont les paroles, encore une fois, se heurtent à l’esprit du trentenaire qui fait une sélection de ce qui est intéressant ou non – et ses discours n’en font pas partie. « … Vous savez pas trop ce que vous voulez, en réalité, hein ? » La voix du vendeur le ramène sur terre et Alfie hausse les épaules avec son sourire d’abruti sur les lèvres, partagé entre la gêne et le fou rire. « Ouais, j’en ai pas la moindre idée, je sais juste que je recherche un truc bien naze mais utile quand même et que je pensais trouver mon bonheur ici, mais faut croire que… » L’anthropologue s’interrompt lorsqu’il réalise que ses propos pourraient être mal interprétés ; il en a la confirmation lorsque le vendeur soupire et tourne les talons. L’avantage, c’est que le silence dans lequel il est désormais prostré ne fait que lancer la machine qu’est son cerveau, et alors qu’il papillonne sur chacun des appareils ménagers ayant retenu au préalable son attention, il commence à faire son choix.

Option une – la machine à gaufre : qui mange encore des gaufres maison en 2017, alors qu’il y a un café qui en propose à chaque coin de rue ? À croire que les gens se trompent de réelle cible lorsqu’ils imaginent un futur apocalyptique ; ce ne sont pas les zombies qui domineront le monde, mais bel et bien les gaufres, ennemi ô combien plus sournois qu’un mangeur de chair humaine, tapies dans l’ombre, provoquant l’engraissement progressif de leurs victimes pour mieux les faire mourir de diabète. Oh, et accessoirement Anabel préfère les pancakes, de toute manière.
Option deux – la table de cuisson ultra moderne : pas une mauvaise option, quand on songe au talent de Rachel pour rater la cuisson de carottes à l’eau. Peut-être qu’il serait temps qu’elle cesse de confondre la cuisson al dente de ses légumes avec celle croquantes de ses pâtes. Mais dans la continuité des choses, le futur apocalyptique qu’Alfie imagine implique des robots qui prennent le contrôle, et même si la table de cuisson n’est pas dotée de pieds (pas qu’il sache, du moins, mais on a bien vu avec Transformers qu’il ne faut pas se fier à la première apparence), il n’a aucune envie que celle-ci se rebelle au milieu de la nuit parce qu’elle a dû cuire son pire cauchemar – des choux de Bruxelles, quoi d’autre) et qu’elle décide de faire monter la température jusqu’à provoquer l’incendie de la cuisine et, par extension, de toute la maison et des âmes qu’elle abrite. On oublie.
Option trois – le frigo connecté : parce qu’on est justement en 2017 et que le peuple humain est incapable de survivre sans quelques milliers d’ondes quotidiennes qui brouillent leurs cerveaux – ce qui expliquerait bien des choses, cela paraît la meilleure option. Pour autant, il est dubitatif sur la capacité d’un frigo à tenir le stock des aliments qu’il contient. Partons du principe qu’il confonde un pomelo blanc avec un citron, ou des airelles avec des grains de poivre rose – mais on peut alors se demander ce que ça fait au frigo – et voilà, votre repas pour dix personnes est foutu parce que vous vous êtes trop concentré sur le stock indiqué par le frigo qui a décidé de se la jouer fourbe parce qu’il a rien d’autre à foutre de ses journées et qu’il a besoin de pimenter celles-ci.

Et finalement, comme dans les meilleures comédies romantiques, c’est le coup de foudre lorsque son regard croise un mixeur multifonction, hachoir, batteur, la panoplie complète du parfait petit cadeau ménager pour rester dans le cliché. Pile ce qu’il cherche – parce que tant qu’à ne pas le tenir au courant de leur mariage, les Holloway n’ont qu’à assumer le cadeau pourri qui va avec cet oubli. Pas qu’il compte s’arrêter à ça, Alfie, mais le vrai cadeau – celui qui en vaut vraiment la peine – attendra qu’il savoure une quelconque réaction gênée, outrée, ou peu importe, de ses hôtes du soir, ne serait-ce que par (gentil) esprit de vengeance. C’est donc avec le mixeur sous le bras qu’il quitte le magasin, avant de faire un bref détour chez son chez lui du moment – un studio qui ne paie pas de mine mais c’est la seule chose qu’il a trouvée aussi rapidement après son retour à Brisbane et qu’il pourra rendre avec la même facilité d’ici quelques mois – de manière à se rendre présentable pour le moment fatidique. Un échange de sms à Jules plus tard, il est en route pour aller voir les désormais nouveaux mariés.

Vingt heures tapantes, Alfie frappe la porte avec toute l’énergie qui le caractérise – c’est-à-dire sans aucune délicatesse. La silhouette de Rachel est la première à l’accueillir, dessinant aussitôt un énorme sourire sur les lèvres de son cousin, qui l’entoure de son bras libre en guise de salutations. « Salut, la cachotière. » Qu’il s’amuse, alors que Stephen les rejoint et ne manque pas de commenter le paquet qu’il tient dans l’autre bras. « Tu sais, tu peux toujours l’échanger contre un broyeur si tu veux vraiment te débarrasser de lui. » Il dit à l’intention de sa cousine, non sans prendre soin que Stephen puisse l’entendre. Mais il est trahi par le sourire amusé sur ses lèvres alors qu’il file saluer celui qui fait désormais officiellement partie de sa famille. « La télé écran plat, ça se mérite, genre, par une invitation au mariage, enfin, je dis ça, je dis rien. » Qu’on ne s’y méprenne pas, Alfie s’en amuse mais n’en est pas pour autant vexé – bien qu’il aurait assisté avec grand plaisir à ce jour important. « Sinon, j’avais pensé à une compilation des discours du reste de la famille aux repas du dimanche, mais après je me suis dit qu’Anabel risquait de tomber sur la cassette et d’en être traumatisée à vie. » Cédant son cadeau à Stephen après l’avoir étreint, Alfie ne tarde pas à reporter son attention sur Rachel, avec une mine un peu plus tendue, et le regard sceptique. « Du vin ? » Il répète, un peu surpris. Rachel le connaît mieux que personne, et elle devrait savoir qu’il n’en consomme pas. « Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait à ma cousine ? Qu’as-tu fait à ma cousine ? » Il exagère alors qu’il pose sa main sur le front de Rachel et qu’il adresse un regard à Stephen, comme si c’était un reptilien qui venait de révéler son vrai visage maintenant qu’il est officiellement lié à Rachel. Et pour accentuer aussi son rôle de « grand frère » qu’il aime jouer de temps en temps. Voyant la mine un peu plus fermée de Rachel, Alfie se reprend rapidement. « Tranquille, je plaisante. » Passant son regard de Rachel et Stephen, le trentenaire ne tarde pas à reprendre. « Hé, détendez-vous, je viens pas en porte-parole de la famille, donc rassurez-vous, toi, il se tourne vers Stephen, tu vas pas finir au bûcher, et toi, il s’adresse cette fois à sa cousine, je vais pas t’embarquer pour te donner en offrande à tes parents. » S’ils sont encore en vie à cette heure-ci, car aux dernières nouvelles, ils frôlaient la crise cardiaque à cause de leur fille. « Je suis venu pour célébrer votre mariage comme il se doit, même si ce sera juste avec de l’eau pour ma part, s’il te plait. » Il assure. Il est vrai qu’il a hésité à se ramener avec une bouteille de champagne (sans alcool, évidemment), pour marquer la nouvelle, et il s’est ravisé en songeant aux multiples commentaires des partisans de l’alcool, et qui estiment que tout équivalent sans est une insulte. « Je vais te chercher ça. » Rachel disparaît un bref instant, et Alfie se retourne vers son désormais cousin par alliance. « Tout va bien ? » Jetant un coup d’œil autour de lui, il reprend sans laisser le jeune homme lui donner réponse. « Si c’est les travaux qui vous stressent, la proposition de venir vous filer un coup de main tient toujours, hein. En plus, c’est pas comme si j’avais grand-chose d’autre à faire en ce moment. » Et suite à cela, il se veut enfin silencieux, bien que les deux jeunes mariés le connaissent suffisamment pour savoir que cela ne va pas durer longtemps.

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyJeu 14 Mar 2019 - 0:09

Alfie & Stephen mars 2017
because if you're very wise and very strong, fear doesn't have to make you cruel or cowardly. fear can make you kind.

L'atmosphère changeait au moment même où Alfie entrait dans la maison. Amenant avec lui une dynamique différente ; lumineuse et enjouée, il désamorçait une dispute entre les deux jeunes mariés que l'on pouvait désormais à peine soupçonner. Rachel avait accueilli son cousin avec une tendresse qui lui était propre, le serrant contre elle à peine le seuil de la porte d'entrée franchi, le tout sans laisser transparaître le moindre signe d'agacement. Elle n'était pas de celles dont on devinait d'un coup d’œil le fond de sa pensée. La jeune maman avait constamment les yeux rieurs, comme entourée d'une aura bienveillante. Stephen avait toujours trouvé que cette particularité, cette retenue dont sa femme faisait preuve la rendait plus forte. Elle ne se plaignait jamais pour n'avoir à s'expliquer sur rien. Il était encore à des lieues de s'imaginer que ce trait de caractère lui ferait perdre de précieux moments d'ici quelques mois. « Salut, la cachotière. » que lançait Alfie en encerclant sa taille de ses bras. Cachotière. Les lèvres pincées, Stephen fronçait les sourcils à l'écoute de ce surnom tout trouvé. Si Rachel n'était pas un livre ouvert, lui en revanche était un paquet de nerfs dont les traits semblaient garder en mémoire un long moment ses périodes d'agacement.  Rejoignant le duo, les yeux du brun accrochaient l'appareil ménager qu'avait amené Alfie, qui commentait d'ailleurs : « Tu sais, tu peux toujours l’échanger contre un broyeur si tu veux vraiment te débarrasser de lui. » Pour toute réaction, Stephen levait les yeux au ciel, se déridant un peu face à ce trait d'humour. Il s'approchait pour étreindre son désormais cousin par alliance, lui ôtant des bras le présent supplanté d'un ruban. « La télé écran plat, ça se mérite, genre, par une invitation au mariage, enfin, je dis ça, je dis rien. » Le ton avait beau être léger, les mots justes avaient été placés, de quoi les faire réagir tous les deux. Le couple n'avait invité personne ou presque pour cette union express. Si Stephen avait demandé Rachel en mariage, il n'avait pas prévu de se retrouver dans un bureau poussiéreux de la mairie quelques jours plus tard à échanger ses vœux dans une paire de jeans et des Stan Smith aux pieds. Il avait rêvé de la belle cérémonie, de la robe blanche et de la pièce montée, du cliché dans toute sa splendeur. C'était Rachel qui avait fait preuve de spontanéité ; c'était toujours elle. "Je pourrais te dire que c'est une longue histoire ... mais c'est des conneries. J'ai eu droit à une jolie demande... " qu'elle commençait à expliquer en agitant ses doigts devant elle pour mettre en valeur sa bague de fiançailles, le ton exagérément enjoué pour masquer sa nervosité. "... puis Monsieur ici présent m'a vite ramenée sur terre en nous emmenant choisir une date pour la cérémonie. L'employée de mairie nous a donné des délais astronomiques.. mais avait, je cite : une place disponible cet après midi. J'ai dit oui. Dans tous les sens du terme." un débit presque trop rapide pour être audible, Rachel avait résumé en quelques secondes un engagement pour la vie qu'elle avait pris sur un coup de tête. Après coup, elle ressentait une pointe d'amertume face à l'absence de ses proches lors de la cérémonie. Elle s'était dit qu'ils organiseraient une grande fête plus tard, sans savoir à ce moment ci que plus tard finirait par ne plus du tout avoir la même consonance après le passage aux urgences qui changea sa vie de la pire des façons. "Mais j'ai trop parlé." Dans un éclat de rire qu'elle aurait voulu un peu moins nerveux, la petite brune avait attrapé le bras de son cousin pour l'attirer jusque dans la pièce à vivre encore en travaux, lui proposant par la même occasion un verre de vin (qui ne serait sans doute pas de trop au vu des révélations qu'elle avait à lui faire.) Stephen était demeuré silencieux, presque en retrait. Il se sentait de trop face à ce qu'il percevait encore comme un cinéma. Il craignait que Rachel ne lâche pas le morceau, qu'elle ne veuille pas inquiéter le membre de sa famille dont elle était la plus proche. Perdu dans un océan de scénarios que son esprit se chargeait lui même de construire, il entendait à peine l'anthropologue répliquer : « Du vin ? Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait à ma cousine ? Qu’as-tu fait à ma cousine ? » Quoi ? Stephen relevait le nez, décroisait les bras. Visiblement, le tu lui était destiné. Alfie avait plaqué une main sur le front de Rachel comme si la fièvre lui était tombée dessus, et lui relevait les paumes de main en l'air pour se dédouaner. "Vois ça avec elle" qu'il lâchait simplement en guise de réponse, ce qui lui valait un regard noir de la part de sa femme. Comme piquée au vif, la brunette fit quelques pas pour rejoindre la table basse sur laquelle elle avait disposé des dizaines de choses en prévision de la soirée de ce soir, s'assurant au passage qu'elle avait bien sélectionné autre chose que du vin pour accompagner les crudités entassées dans des petits bols. « Tranquille, je plaisante. » Le regard alternant entre les deux jeunes mariés, Alfie semblait avoir deviné que quelque chose clochait, que la Rachel qui se foutait éperdument du menu lorsqu'elle recevait s'était faite éclipsée par une boule de nerfs dont la nervosité n'était pas simplement due à sa récente union. Ses gestes maladroits et les traits durcis de Stephen ne semblaient pas le tromper. « Hé, détendez-vous, je viens pas en porte-parole de la famille, donc rassurez-vous, toi, tu vas pas finir au bûcher, et toi, je vais pas t’embarquer pour te donner en offrande à tes parents. Je suis venu pour célébrer votre mariage comme il se doit, même si ce sera juste avec de l’eau pour ma part, s’il te plait. »  qu'il avait lâché avec conviction, se tournant tantôt vers Stephen, tantôt vers Rachel pour illustrer son propos. Si le kiné hochait la tête en se laissant glisser dans le canapé, une main fatiguée qui passait sur ses traits, ce n'était pas le cas de la jeune maman qui se rendit méthodiquement dans la cuisine en répondant : « Je vais te chercher ça. » d'un ton entendu, comme sur pilote automatique. A peine sa silhouette disparue dans l'autre pièce qu'Alfie demandait alors : « Tout va bien ? » Son regard accrochait aux pots de peintures, aux accessoires de bricolage qui traînaient un peu partout, et naturellement, il poursuivait : « Si c’est les travaux qui vous stressent, la proposition de venir vous filer un coup de main tient toujours, hein. En plus, c’est pas comme si j’avais grand-chose d’autre à faire en ce moment. » Secouant négativement la tête, Stephen prit quelques secondes pour formuler quelque chose de cohérent ; vaste échec. Il se redressait sur son assise, jetait un coup d'oeil de l'autre côté de la pièce pour s'assurer que Rachel ne l'entendrait pas, puis d'un ton plus doux, tentait enfin de fournir des explications sur cette scène qui se jouait là bien malgré lui : "Les travaux c'est le cadet de nos soucis." Un haussement d'épaules accompagnait ses mots qu'il aurait aimé se faire plus précis. Ce n'est pas à toi d'en parler Holloway. "Anabel va bien" qu'il précisait, les lèvres brûlant encore de lui livrer le fond du problème. "Je... je comprends pas vraiment pourquoi elle veut faire tout ça. Pourquoi elle s'obstine à ... " D'un soupir, le brun venait se passer une main nerveuse sur le visage, prenant à nouveau quelques secondes d'une lenteur atroce pour n'en faire qu'à sa tête, à savoir : ne pas tourner autour du pot. "Non, ça va pas. Rien ne va" qu'il lâchait, rapidement interrompu par un projectile -un bout de tissu, sans doute un essuie main qui traînait- qui lui arrivait en plein visage. "T'as osé, t'es gonflé. C'est encore MA vie Stephen." comme une furie, Rachel était revenue dans la pièce au mauvais moment. Elle avait du entendre la toute fin de sa conversation avec Alfie et observait à présent les deux hommes d'un regard voilé de colère et de tristesse. "Tu ne dis plus le moindre mot." qu'elle menaçait en pointant son mari de son index. Désormais réduit au silence, il se confinait dans un coin du canapé, ne détachant pourtant pas le regard de ce petit bout de femme à deux doigts de s’effondrer devant eux. Il lui fallut un temps pour reprendre contenance. Ses mains se posaient contre ses paupières un instant avant de glisser contre ses hanches. Elle hochait la tête, ayant visiblement peu apprécié de se faire souffler de la sorte par sa moitié. "J'suis malade, pas muette." qu'elle lâchait finalement avant de porter son attention vers Alfie dont le visage semblait passer par une dizaine d'expressions différentes.       

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyMar 2 Avr 2019 - 10:13

Alfie aurait évidemment assisté avec joie au « plus beau jour » de la vie de sa cousine – ce terme tend à le faire sérieusement rire, entre autre parce qu’il peine à comprendre qu’on puisse avoir une telle assurance quand il reste généralement entre quarante et cinquante ans à vivre à la suite d’un mariage et qu’on peut difficilement avoir la certitude que d’autres jours ne seront pas meilleurs que celui-ci, et surtout parce qu’il ne voit pas en quoi être à deux doigts de la crise psychotique durant les mois que demandent l’organisation d’un tel événement, devoir gérer les amitiés et inimitiés entre les convives et se retrouver avec un crédit pendant dix ans pour payer ce qui ne durera qu’une poignée d’heures puissent être aussi agréables qu’on le prétend. Pour autant, il n’est pas vexé d’en avoir été tenu à l’écart, car il sait que ce n’était pas une volonté de la part des jeunes mariés de le laisser dans l’ignorance pour le simple plaisir de lui faire des cachoteries. À vrai dire, il comprend parfaitement que Rachel se soit abstenue de tenir au courant leur famille, sûrement parce qu’elle voulait effectivement que ce soit le plus beau moment de sa vie et que les Forbes, s’ils avaient été dans la confidence, n’auraient eu aucune difficulté à ruiner cet instant avec leurs idées bien arrêtées quant à ce qu’est un mariage traditionnel. Il n’aurait d’ailleurs probablement jamais eu lieu si les jeunes mariés avaient voulu faire les choses en bonne et due forme, Alfie imaginant sans difficulté que le père de Rachel n’aurait jamais donné sa bénédiction – ce qui semble être une nécessité pour eux, encore à l’heure actuelle. De son côté, Alfie a apporté très rapidement son soutien à Stephen, car la seule chose qui lui importe est que Rachel soit heureuse, ce qui est le cas au côté de son désormais mari. Et même dans le cas contraire, l’avis d’Alfie ne serait pas légitime compte tenu de la situation qui le concerne pas, seulement, il ne compte pas faire de la vie de Stephen un enfer pour le faire fuir – ce qui aurait probablement été le cas s’il avait pris Holloway en grippe et Dieu sait qu’Alfie peut se montrer très créatif. Alors que Stephen se rassure, il ne se retrouvera pas volontairement alcoolisé par son cousin par alliance pour prendre des photos compromettantes avec les employées du Lusty Panther, ils ne partiront pas en road trip jusqu’à l’autre bout du pays pour qu’Alfie oublie « malencontreusement » le jeune homme sur la première aire d’autoroute au chemin de retour, il ne payera pas non plus un gosse pour qu’il suive le kiné dans la rue en l’appelant « papa ». Stephen a passé sans difficulté le test d’entrée dans la vie de Rachel auquel l’a soumis Alfie sans qu’il ne le sache, et c’est en partie l’une des raisons pour lesquelles Alfie se réjouit de cette union plus qu’il s’agace d’avoir été dans l’ignorance. Cela ne l’empêche pas de plaisanter sur la situation, ni sur l’hypothèse qu’il voudrait se débarrasser de son cousin par alliance avec le cadeau qu’il apporte – tradition oblige. Rachel ne tarde pas à monopoliser la parole pour justifier les circonstances, et Alfie quitte enfin des yeux un Stephen dont la retenue l’interpelle pour accorder toute son attention à sa cousine. Saisissant la main de cette dernière pour l’approcher jusqu’à quelques centimètres de ses yeux, il observe la bague avec toute l’expertise qu’il a dans le domaine – c’est-à-dire aucune. « Hm, quand même, ça manque d’un ou deux carats, t’aurais pu faire un effort. » Il râle légèrement, dans une tentative de faire réagir Stephen et de l’obliger à participer à la conversation – car s’il tire la tronche toute la soirée, ça risque d’être compliqué. « Elle est très jolie. Il reprend, avec sérieux. Une jolie demande, alors ? » Il s’adresse toujours à Stephen, toujours dans cette optique de ne pas le laisser dans son coin quand bien même il semble le vouloir, et aussi parce qu’il est curieux, et que Rachel ne s’attarde pas assez sur les détails à son goût. « Au moins, vous pourrez vous vanter d’avoir porté des tenues confortables à votre mariage et de ne pas avoir eu à supporter l’oncle raciste et bourré en fin de soirée, pas tout le monde peut en dire autant. » Il ajoute, non sans laisser échapper un léger rire. « Je suis heureux pour vous. Vraiment. » Il précise, profitant cette fois d’avoir les bras libres pour accorder une vraie étreinte à sa cousine.

Se laissant traîner jusqu’à la pièce principale, l’anthropologue laisse divaguer son regard sur les divers pots de peinture qui encombrent encore les lieux, avant de reporter son attention sur Rachel qui lui parle de vin, lui confirmant définitivement que l’ambiance n’est pas aussi légère qu’il le pense, et qu’il y a réellement quelque chose qui cloche. C’est peut-être une proposition anodine aux yeux de Stephen, mais elle est lourde de sens de la part de Rachel, qui a traversé son adolescence avec Alfie – ou plutôt, qui a aidé son cousin a traversé la sienne. C’est elle qui est toujours restée à ses côtés même lorsqu’il la repoussait, c’est elle qui venait le récupérer aux urgences lorsqu’il y finissait à deux doigts de l’overdose, c’est elle qui lui tenait la main à chaque bad trip, c’est elle qui épongeait le vomi dans sa chambre pour cacher la vérité aux parents Maslow, parce qu’elle savait pertinemment qu’ils devaient être tenus au courant, mais seulement lorsqu’ils seraient prêts à accepter les travers de leur fils et qu’elle aurait l’assurance que ce serait un soutien qu’ils lui apporteraient, et non des reproches qui auraient certainement pu le faire disparaître de leur vie sans qu’il ne soit en mesure de se soigner avant. Il lui doit beaucoup, encore plus quant à toutes les choses qu’elle garde encore pour elle dont cette rechute d’il y a quelques années et qu’elle vient inconsciemment de lui balancer à la figure par une simple proposition. Il ne lui en veut pas – c’est bien la dernière personne au monde à qui il peut en vouloir – au contraire, il s’inquiète. C’est elle qui a besoin de vin. Quelque chose cloche, et tant qu’il demeure dans l’ignorance, cette boule qui se forme au creux de son ventre continuera de grossir jusqu’à ce qu’elle en devienne véritablement insupportable. Mais dans l’immédiat Alfie joue à plus stupide qu’il ne l’est, à l’aveugle, et use de l’humour pour détendre l’atmosphère, pour refuser le verre proposé par Rachel. Vois ça avec elle. Stephen toujours en retrait, le trentenaire se questionne de plus en plus. Et cette fois-ci, les scénarios qui monopolisent son esprit sont parfaitement réalistes et inquiétants. Aussitôt mariés, aussitôt divorcés ? Non, aussi particulière soit l’ambiance, ils ne semblent pas au bord de la rupture. Le père biologique d’Anabel qui revient à la charge et demande sa garde ? Il ne l’obtiendrait jamais après avoir été autant absent. La petite qui est malade ? L’un d’eux ? Non, ils ne l’auraient pas accueilli ainsi. Trop alarmant. Descends d’un niveau, Alfie. Des factures impayées et un besoin d’argent ? Qu’ils prennent tout ce qu’ils veulent. Un déménagement imminent et l’angoisse d’annoncer un départ dans une autre ville ? On a inventé la technologie pour ce genre de situation. Le besoin de réellement commencer une nouvelle vie et de se distancer de lui ? Le plus efficace aurait été de simplement disparaître plutôt que de le convier pour une telle annonce.

Et parce que c’est le seul mécanisme de défense qu’il connaisse, Alfie use encore et toujours d’humour, partant du principe que c’est cette histoire de mariage spontané qui puisse les mettre dans un tel état – tout en sachant très bien qu’il y a autre chose, et qu’il s’agace de ne pas parvenir à mettre le doigt dessus. Il est observateur, Alfie, c’est même là la qualité principale requise pour son travail, mais il est bien incapable de l’appliquer dans les situations de la vie quotidienne. Tout juste a-t-il remarqué que Rachel a improvisé un presque festin, elle qui lui aurait tendu un paquet de chips d’ordinaire parce qu’elle a oublié de faire les courses. Et Stephen, toujours prostré dans un coin, comme s’il n’était qu’un fantôme en visite. Laissé seul avec Casper, Alfie se décide à arracher le pansement et à demander franchement ce qu’il se passe, mettant cette fois-ci la faute sur les travaux encore inachevés. Mais ceux-ci sont le cadet de leurs soucis, et Alfie sent cette boule dans son ventre qui lui donne désormais la sensation d’être en apnée. Ses lèvres s’écartent et Stephen le devance en lui annonçant qu’Anabel va bien – c’est la première personne à laquelle il a songé, d’autant plus qu’elle ne leur tient pas compagnie ce soir, et s’il avait supposé en premier lieu qu’elle était déjà au lit, l’ambiance a vite eu fait de l’inquiéter au sujet de la petite fille. Ses inquiétudes sont fondées, mais tournées vers la mauvaise personne, vers le mauvais sujet, c’est ce qu’il comprend petit-à-petit dans le discours haché de Stephen. S’obstine à quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? L’envie d’interrompre Stephen est présente, mais il s’y oppose en songeant au risque de n’obtenir aucune réponse plutôt que des incomplètes. C’est par un sursaut qu’Alfie accueille le projectile qui vient rencontrer le visage de Stephen, et c’est dans une toute autre humeur que celle d’il y a quelques instants que Rachel s’adresse désormais à eux. Ça la concerne, elle. L’ambiance électrique, l’injonction adressée au kiné est interprétée comme également valable pour lui, et Alfie se veut silencieux, le regard qui traduit de son incompréhension face à tout ceci, l’impression de ne pas être le bienvenu autant que sa présence est particulièrement importante ce soir. Je suis malade, pas muette. Dans d’autres circonstances, il aurait lâché un « AH, JE LE SAVAIS ! » enjoué avant de faire une petite danse de la victoire, mais le ton utilisé par Rachel le laisse interdit, muet, vidé, comme jamais il ne l’est en temps normal. Il ne parvient à formuler qu’un « ok » étouffé. À plusieurs reprises, ses lèvres s’ouvrent pour en dire plus, mais aucun mot ne s’échappe, parce qu’il y en a trop qui défilent dans son esprit autant qu’ils lui semblent être manquants. Il serre les poings sans réellement s’en rendre compte, et c’est lorsqu’il sent la pression de ses ongles sur sa paume qu’il revient à lui – pression exercée d’habitude par une Jules qui dessine un cercle dans sa main pour lui signaler qu’il est temps de revenir dans la conversation. « Malade ? C’est vaste, malade, ça englobe pas mal de trucs, ça peut être je sais pas, quelque chose de chiant mais opérable, ou quelque chose de très chiant mais pas opérable mais pas non plus grave, enfin, tu vois, malade, c’est trop vaste, malade ça veut tout dire et rien à la fois, il faut que… » « Un cancer, Alfie. » Parce qu’elle connaît son cousin par cœur, parce qu’elle n’est pas sans ignorer que son débit de parole traduit de son anxiété, et que son esprit est désormais trop encombré pour formuler une phrase cohérente, Rachel l’interrompt très vite. Et si certains pourraient se choquer d’une franchise aussi brutale, Alfie lui est reconnaissant de la délivrer de cette lente agonie qu’est l’ignorance.

Un cancer. Rachel a un putain de cancer. Sa respiration se coupe, son silence enveloppe à nouveau la pièce, et son visage ne traduit d’aucune émotion, alors même qu’intérieurement, elles se chamboulent par dizaines. Son regard se porte sur sa cousine qu’il voudrait prendre dans ses bras, geste qu’il s’interdit, car ce serait lui montrer de la pitié et il n’est pas sans savoir que c’est bien la dernière chose qu’elle veut à cet instant. De Rachel, ses yeux s’attardent ensuite sur Stephen, toujours prostré dans le silence, toujours distant. Tout s’explique. Réagis, Alfie, réagis, putain. Un cancer. Le mot s’affiche en gros caractères lumineux dans son esprit, et tous ceux qu’il associe avec également. Mort, souffrance, agonie, hôpital, enterrement. Le père de Jules, la grande sœur d’Amelia, le neveu de son père. Non, non, bordel. Pour les autres l’issue a peut-être été défavorable, mais pas pour Rachel. Il ne l’autorise pas, et pour une fois, son avis prévaut sur le reste. « Un cancer, donc ? Laisse-moi te dire que cet enfoiré a choisi la mauvaise cible, et que tu vas lui botter le cul bien comme il faut, je compte sur toi. Franchement, si j’étais lui, je ferais pas le malin à l’heure actuelle. » Il reprend ses esprits, tient le discours qu’il tiendrait en temps normal. Pas de pitié, pas de larmes. Juste ce que Rachel veut entendre et qu’a priori, elle n’a pas de la part d’un Stephen muet. « On est d’accord sur ce point. » Que Rachel glisse dans un sourire qu’il ne sait pas sincère ou forcé, alors qu’elle jette un coup d’œil à Stephen. Alfie chipe un dip de légume qu’il trempe dans ce qui s’apparente plus à un coulis grumeleux qu’à une sauce onctueuse, se donne de la contenance le temps de réfléchir à la suite de ses paroles, n’importe quoi. Réagis normalement, Alfie, on s’en contrefout de comment tu te sens, c’est pas important. Alors il réagit comme il le fait toujours face à une mauvaise nouvelle : comme si celle-ci n’existait pas, jusqu’à s’en persuader, ignorant le rythme de ses pulsations prêtes à faire exploser sa cage thoracique, son souffle qu'il peine à reprendre, et son corps qui tremble comme une feuille. « Alors, explique-moi, quelle région ? Le sein, j’espère, enfin, on se comprend, mais c’est celui qui a le meilleur taux de guérison chez les femmes, alors disons, que s’il peut y avoir du bon dans ton malheur, tu vois le truc. »  Ne laissant pas le temps à sa cousine de répondre, il reprend rapidement la parole. « Comment tu te sens ? Tu es bien suivie ? Tu as commencé les traitements ? Ça se passe comment ? Tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, ou Anabel, je suis là, hein. » « Hé, doucement, tu me fatigues plus que le reste. » Que Rachel parvient à glisser avec un sourire, tandis qu’Alfie hausse les épaules l’air de dire « tu me connais » sans pour autant s'interrompre pour la laisser en placer une, peut-être parce que si les réponses à ses questions l'intéressent réellement, il a trop peur d'être confronté à cette réalité qu'il n'est pas prêt à appréhender. Elle va bien, elle va bien, elle va bien. Elle ira bien, surtout. Son regard s’arrête cette fois-ci sur Stephen. « Et ça vaut aussi pour toi, et je sais qu’elle va jouer à la dure, mais je compte sur toi pour me tenir au jus sur son état. » « Alfie, c’est pas... » Il pose sa main sur la bouche de Rachel pour la réduire au silence. « Nécessaire ? Oui, je gère, je suis une grande fille, bla bla bla, laisse-moi te dire que je m’en fous un peu de ton avis sur ce point, sans rancune. » Sourire innocent plaqué sur le visage, il libère sa cousine. « Tu as deux hommes à ton service, c’est pas tout le monde qui peut se vanter de ça, deux assistants personnels disposés à te rendre la situation plus facile, entièrement dévoués à ton bien-être, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pas vrai, Stephen ? » Il accentue ses propos, le regard désapprobateur adressé au kiné, et cette fois, il n’est pas question de jouer un rôle, il est parfaitement sérieux. Alfie se doute bien que l’annonce est tout autant difficile pour Stephen, et que sa vie à lui-aussi se retrouve chamboulée, il en est désolé, sincèrement, mais il doit s’assurer que Rachel peut se reposer sur lui.
Tu peux être muet, Stephen, si ça te fait plaisir, mais t’as pas intérêt à fuir tes responsabilités.
Et surtout, me lâche pas parce que je vais avoir besoin de toi autant qu'elle aura besoin de toi.


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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyMer 10 Avr 2019 - 23:43

D'aussi longtemps qu'il s'en souvienne, Stephen avait toujours pratiqué une sorte de romantisme variable. Insensible aux niaiseries qui allaient de paire avec les traditions, refusant d'édulcorer le quotidien par des attentions qu'il jugeait bien souvent trop commerciales ; en demandant Rachel en mariage, il savait qu'il n'aurait jamais été capable de se glisser dans un costume et de l'étreindre dans une robe meringue. Il se conformait à la froideur d'un bureau de mairie et à l'absence de leurs proches, se promettant de partager ce moment avec eux à l'écart, et sur la durée. « Hm, quand même, ça manque d’un ou deux carats, t’aurais pu faire un effort. » Jusqu'à lors en retrait, Stephen fut pourtant indirectement convié par Alfie à se joindre à la conversation qu'il avait avec sa cousine. Une façon de faire qui lui ressemblait bien. Les doigts frêles de la jeune femme s'agitant sous son nez tandis qu'il arborait un air faussement déçu qui disparaissait instantanément quand il se mit à poursuivre avec un peu plus de sérieux : « Elle est très jolie. Une jolie demande, alors ? » S'avançant d'un pas, le brun rétorquait d'abord : "J'ai loué un avion avec une énorme banderole : "Veux tu m'épouser Rachel ?", tu te doutes bien" dans un demi sourire. Il n'avait jusqu'alors jamais songé à considérer sa proposition sur l'échelle du romantisme. Certes il n'était pas allé rechercher la bague de fiançailles de feu grand mère Greta et n'avait pas noyé sa moitié sous une centaines de roses, mais d'avoir senti les bras de Rachel entourer son cou et s'être moqué de ses larmes de crocodiles avait fait de cet instant l'un de ceux qu'il était sûr de ne jamais oublier. "... plus sérieusement, j'ai été nul. Elle m'a insulté de cinglé environ vingt fois." Désignant Rachel du menton, il s'approchait pour embrasser sa tempe d'un geste tendre avant de poursuivre : "... on a fait tomber la bague dans l'un des trous du parquet et j'ai vaguement songé à faire machine arrière de peur d'épouser miss catastrophe" outch. Un coup de coude -mérité- dans les côtes, et voilà que Rachel sortit de son silence pour lui balancer un "Madame, t'es foutu." qui le fit sourire. « Au moins, vous pourrez vous vanter d’avoir porté des tenues confortables à votre mariage et de ne pas avoir eu à supporter l’oncle raciste et bourré en fin de soirée, pas tout le monde peut en dire autant. » Le commentaire d'Alfie n'aurait pas pu être plus juste en considérant le désastre ambulant qu'était sa famille. Il ne faisait aucun doute que le mariage pour lequel avait opté le couple leur avait évité bien des ennuis. S'ils étaient d'un naturel très ouvert et accueillant chez Stephen -merci le yoga et les retraites spirituelles au fin fond du Népal-, du côté de chez Rachel et Alfie, les membres Forbes/Maslow étaient un brin plus coincés et conformistes. « Je suis heureux pour vous. Vraiment. » qu'il concluait finalement dans un petit rire, enlaçant la jeune maman comme pour donner tacitement son accord à ce coup de folie.

La suite des évènements se translata dans le salon, dont l'odeur de peinture fraîche et l'encombrement causé par les accessoires de  bricolages tranchait avec l'atmosphère électrique traduite par le retrait inhabituel de Stephen et la nervosité de Rachel. Cet amas de travaux était d'ordinaire -et étrangement- quelque chose de rassurant pour le couple qui s'empressait d'en informer l'avancée à chaque visite. Aujourd'hui ce n'était pas le cas. Des jeunes mariés au bord d'une crise quelques jours seulement après leur union, ce n'était pas bon signe, et malgré toutes les tentatives d'Alfie pour ramener un peu de joie à cette soirée, l'échec semblait se profiler très nettement. L'anthropologue avait misé sur un stress post mariage express pour expliquer le comportement plus qu'étrange de sa cousine. S'il avait toujours pu se targuer de la connaître mieux que personne tant ils étaient proches, la brunette détenait une information qu'elle lui avait volontairement dissimulé et qui la dévorait dans tous les sens du terme. Elle qui avait voulu trouver le moment le plus opportun pour lui révéler l'existence de son cancer avait oublié à quel point il la connaissait bien, et que cette attitude qu'elle adoptait là ne ferait que rendre les choses encore plus dramatiques. Aux yeux de Stephen, il n'y aurait jamais de 'meilleur moment' pour annoncer quelque chose d'aussi grave ; d'autant plus quand l'espérance de vie était à ce point amenuise. Il avait profité qu'elle disparaisse dans la cuisine pour entamer la discussion, pour glisser Alfie dans la confidence. S'extirpant du mutisme dans lequel il s'était plongé pour ne pas brusquer les choses, le brun amorçait le tragique à venir en laissant sous entendre que quelque chose de grave s'était produit en réponse à son désormais cousin par alliance qui lui demandait si tout allait bien. Il avait à peine ouvert la bouche quelques secondes qu'un projectile lui fut balancé en plein visage. Rachel était revenue en furie, et l'avait dans la foulée réduite au silence d'un regard noir et d'un geste de l'index. Prostré dans un coin du canapé, Stephen acceptait -feignait d'accepter aurait été plus juste- son sort. Il entendait à peine le « ok » presque soufflé par Alfie dont il devinait qu'il était lui aussi au bord de la crise de nerfs. Rachel aurait dû lâcher le morceau tout de suite plutôt que de faire des cérémonies pour arrondir les angles. « Malade ? C’est vaste, malade, ça englobe pas mal de trucs, ça peut être je sais pas, quelque chose de chiant mais opérable, ou quelque chose de très chiant mais pas opérable mais pas non plus grave, enfin, tu vois, malade, c’est trop vaste, malade ça veut tout dire et rien à la fois, il faut que… » On y était. L'inquiétude chez Alfie se quantifiait en nombre de paroles qui s'extirpaient de ses lèvres, et dans un élan de bon sens, Rachel coupa en lui annonçant : « Un cancer, Alfie. ». qui suffisait à lui briser le coeur (encore). Il semblait à Stephen qu'il ne se ferait jamais à la condition de sa femme. Oscillant entre des dizaines de ressentis depuis l'annonce des médecins, il ne s'était encore jamais arrêté suffisamment sur l'une d'elle pour formuler quoi que ce soit de cohérent. Visiblement, Alfie aussi. Soudain plongé dans un silence qui ne lui ressemblait pas, le cousin de Rachel se mit à les observer tour à tour, son visage inexpressif n'aidant personne à véritablement comprendre le fond de sa pensée. « Un cancer, donc ? Laisse-moi te dire que cet enfoiré a choisi la mauvaise cible, et que tu vas lui botter le cul bien comme il faut, je compte sur toi. Franchement, si j’étais lui, je ferais pas le malin à l’heure actuelle. » Alfie. Il n'y avait qu'Alfie pour avoir un mécanisme de défense comme celui là. Si Stephen avait cédé d'instinct à une colère profonde en criant à l'injustice, ce n'était pas le cas de l’anthropologue. Rachel le connaissait suffisamment pour glisser un : « On est d’accord sur ce point. » dans un demi sourire qui fit battre le pouls de Stephen un peu plus vite. Lui qui avait passé les jours qui avaient suivis l'annonce à externaliser son ressenti en alternant entre la tristesse profonde et la colère volcanique, il lui était physiquement compliqué d'assimiler rester aussi calme. « Alors, explique-moi, quelle région ? Le sein, j’espère, enfin, on se comprend, mais c’est celui qui a le meilleur taux de guérison chez les femmes, alors disons, que s’il peut y avoir du bon dans ton malheur, tu vois le truc. » Alfie en était revenu à un réalisme qui  l'étonnait encore. Piochant dans le plateau que Rachel avait disposé sur la table basse, il réagissait avec une simplicité qui donnait l'impression au brun d'être arrivé dans une autre dimension. « Comment tu te sens ? Tu es bien suivie ? Tu as commencé les traitements ? Ça se passe comment ? Tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, ou Anabel, je suis là, hein. »  A une vitesse folle qui chamboulait -rassurait ?- la brunette, son cousin poursuivait sa tirade, l'informant qu'il serait là pour elle comme il l'avait toujours été. Stephen avait observé la scène silencieusement ; un légume aurait été plus expressif. « Hé, doucement, tu me fatigues plus que le reste. » d'une douceur qui lui était propre, Rachel avait silencieusement répondu à la question en faisant remonter son index sur sa tempe, et ce simple geste suffit à faire lever Stephen qui entreprit de faire les cent pas dans ce bout de la pièce qui n'était pas encombré de pots de peinture. Le cerveau. Une foutue tumeur qui grandissait, qui lui avait fait perdre le contrôle de la voiture, qui allait prendre le contrôle de leur vie. « Et ça vaut aussi pour toi, et je sais qu’elle va jouer à la dure, mais je compte sur toi pour me tenir au jus sur son état. » Toi. Stephen remonta instantanément le menton lorsqu'il entendit Alfie poursuivre en le mentionnant. Leurs regards se croisèrent, s'attrapèrent dans un échange visuel qui se serait suffit à lui même. « Alfie, c’est pas... » Rachel avait à peine protesté, rapidement interrompue par une main plaquée sur les lèvres. « Nécessaire ? Oui, je gère, je suis une grande fille, bla bla bla, laisse-moi te dire que je m’en fous un peu de ton avis sur ce point, sans rancune. » qu'il lâchait en la libérant, un sourire sur le visage. « Tu as deux hommes à ton service, c’est pas tout le monde qui peut se vanter de ça, deux assistants personnels disposés à te rendre la situation plus facile, entièrement dévoués à ton bien-être, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pas vrai, Stephen ? »  Le ton volontairement appuyé, Alfie s'adressait pourtant à un mur de pierres. Stephen avait beau assister à la scène, il n'en demeurait pas moins stoïque, presque vidé de toute expression. Il avait passé ces derniers jours à minimiser l'importance de ce cancer, puis à concevoir sa présence en alternant entre colère et sentiment d'injustice. "Bien sûr" qu'il concédait, soufflait presque dans un murmure à peine audible et pas des plus crédibles. Son aide auprès de Rachel ne se limitait pour l'instant qu'à de simples étreintes qui lui brisaient le cœur à chaque nuit. Elle qui donnait le change devant son enfant et ses proches se muait en sanglots sitôt le rideau baissé. Stephen ne se sentait pas de taille face à cette épreuve, ses épaules ne lui semblaient pas assez larges, néanmoins, il poursuivait : " ... c'était ce que j'avais dit non ? Dans la maladie comme dans la santé." Se répétant ses vœux, le brun s'était rapproché, rejoignant ainsi un échange duquel il s'était volontairement exclu pour s'en protéger. Il n'avait pas quitté Alfie du regard, espérant lui trouver au fond des yeux un peu de courage, un peu de force qui lui manquait cruellement. "... essayer de tenir un peu plus que les quatre mois à venir. C'est ça, son état." qu'il soufflait à nouveau d'un ton qu'il aurait aimé moins sec. Rachel avait clôt les paupières un instant. Elle qui en temps normal lui aurait fait ravaler son défaitisme ne trouvait pas la force de protester ; sûrement car la vérité ne pouvait pas s'édulcorer. Quatre mois. Inopérable. Bombe à retardement. Voilà des mots qui ne franchiraient les lèvres d'aucun d'entre eux ce soir mais qui se laissaient comprendre de part leurs mines semblant être au bord du précipice. "Et c'est mieux que.." "Mamaaaaaaan" La voix d'une fillette censée être endormie était venue mettre sur pause cette conversation ; Anabel s'était réveillée, et avait par la même causé le congé de sa maman qui fut sommée à coup de pleurs de quitter le salon pour la rejoindre, non sans avoir auparavant glissé un dernier regard à son époux et son cousin. "Je sais pas quoi faire, Alfie" que soufflait Stephen dès que la silhouette brune de Rachel fut suffisamment éloignée pour ne pas qu'elle l'entende. Et j'ai foutrement mal.

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyDim 14 Avr 2019 - 22:36

Les doigts de Rachel s’agitent sous son nez avec un engouement niais qu’il n’aurait jamais associé à sa cousine, mais qui aujourd’hui semble pourtant d’un naturel inédit. De ce point de vue-là, la jeune femme et son cousin diffèrent sensiblement de leurs familles respectives, qui prônent le premier amour éternel et un romantisme classique, mais bien présent. Eux, de leur côté, se sont toujours laissé porter par leurs sentiments, qui dictent leurs conduites plus que les schémas que leurs proches espèrent qu’ils finiront par suivre et qui leur permettra de rentrer dans ces cases qu’on leur a dessinées et desquelles ils ont toujours pris soin de se détourner. C’est la raison pour laquelle il ne s’étonne pas de ce mariage précipité, contrairement aux parents de Rachel – parce que c’est spontané, instinctif, sincère, à l’image de la jeune femme. Mieux, il s’en réjouit, car il n’aurait pas pu espérer meilleur cousin par alliance que Stephen. Si Alfie s’est montré sceptique lors de leur première rencontre – et peut-être de la suivante aussi – c’était pour le cerner, mais aussi pour mieux le tester. S’assurer qu’il briserait la malédiction des choix douteux de Rachel en amour, qu’il n’a jamais jugé, mais qu’il ne souhaite pas pour autant voir se reproduire. Et le kiné a réussi le test avec mention, mieux, si le plus important réside évidemment dans le bonheur qu’il permet à Rachel, le bonus vient du fait qu’il est une belle découverte, de celle qui ont redonné à Alfie espoir en l’humanité en lui démontrant qu’on peut être réservé, conventionnel même, sans pour autant être jugeant. Alors, forcément, lorsqu’Alfie l’invite à prendre part à la conversation en révélant la manière dont sa demande s’est déroulée, il ne peut qu’esquisser un sourire sceptique à l’hypothèse de la banderole dans le ciel. C’est toutefois une once de soulagement qui s’empare de lui en réalisant que, bien qu’ailleurs, Stephen est en mesure de plaisanter sur la question. « J’en attendais pas moins de toi. » Qu’Alfie souffle dans un premier temps, après quoi il se veut muet pour permettre au brun de poursuivre son récit. De la même manière qu’une demande aussi extravagante ne pouvait être le fait de Stephen, la réaction de Rachel à la vraie est parfaitement envisageable. C’est un rire qui s’échappe des lèvres d’Alfie alors qu’il imagine la scène, et qu’il voit sa cousine transformée en furie, frappant de ses petits poings l’épaule d’un Stephen qui ne comprend pas grand-chose à la situation. « J’aimerais tellement, teeeeellement vous dire que ça me surprend, mais… pas du tout. » Il précise avec un sourire amusé, en croisant la frimousse vexée de Rachel tandis qu’il porte son regard sur Stephen. « T’as entendu Madame, je peux plus rien pour toi, à part te souhaiter bon courage. » Qu’il ajoute non sans offrir à Stephen une tape sur l’épaule qui traduit de tout le soutien dont il est capable. C’est-à-dire qu’il ne peut guère compter sur lui pour le sauver des griffes de Rachel la maladroite, bien au contraire, maintenant qu’il fait partie de la famille et qu’Alfie l’a officiellement accepté, il faudra aussi parvenir à se libérer de ses griffes à lui et c’est peut-être le plus difficile, d’ailleurs.

Et si Alfie a eu le présage d’une accalmie de par cet échange tout en légèreté qui contraste avec les regards lourds que les deux nouveaux mariés se sont échangés à son arrivée, et la distance qu’était la leur, la réalité le rattrape bien vite alors que Rachel leur suggère de rejoindre le salon, et qu’elle lui propose un verre de vin. C’est la confirmation de ce pressentiment qui ne l’a pas quitté depuis qu’il a franchi le seuil de la porte : quelque chose tracasse les esprits de ses hôtes et ne va pas tarder à s’infiltrer dans le sien. Il ignore encore la mesure de ce qu’ils lui cachent, mais Alfie tente d’anticiper en passant en revue les raisons pour lesquelles Rachel et Stephen agissent avec lui avec cette préciosité qui ne les caractérise pas. Et si d’ordinaire Alfie se raccroche aux multiples scénarios que son esprit fabrique dès que l’occasion s’y prête comme une tentative de paradoxalement ne pas perdre pied avec la réalité, celle-ci, lorsqu’elle lui est enfin dévoilée, provoque inévitablement sa chute de ce fil sur lequel il avance constamment à tâtons depuis des années, difficilement, mais parvenant à maintenir un certain équilibre. En une fraction de seconde, c’est comme si celui-ci n’existait plus, n’a même jamais existé, et c’est une reconfiguration totale de ses repères qui nécessite d’être opérée. Mais la machine ralentit, s’enlise dans ce trop-plein de réactivité qui lui est demandée, et finit par planter. Alfie a toujours aimé mettre ses repères à l’épreuve ; s’en trouver des nouveaux, y revenir, les oublier, les modifier. C’est ce qui a dicté la majeure partie de sa vie – c’est ce qui dictera aussi son futur. Et pourtant, à cet instant, il ne demande que ça. Des repères, encore et encore, par milliers, en veux-tu, en voilà, aussi pénibles les considère-t-il, aussi rassurants soient-ils. À défaut, juste un seul, le plus important : Rachel va bien. Rachel est heureuse. Il n’a pas à s’inquiéter pour Rachel. Et peut-être que s’il se le répète suffisamment longtemps, avec suffisamment de volonté et de déni, ça deviendra vrai. Ça redeviendra vrai. À tel point où il ne mesure pas l’ampleur de ce qu’elle essaie de lui dire, ou peut-être ne le veut-il simplement pas. Ce n’est que lorsque son esprit se remet en route, ouvre les fenêtres de toutes les hypothèses qu’il associe avec la situation, que ses pensées surgissent en lui comme une nuée de corbeaux sur une carcasse fraiche, qu’à défaut de sa voix ou de son cœur ce sont ses propos qui craquèlent au travers d’un non-sens commun, mais foutrement plus explicite que d’ordinaire. Rachel met fin à l’agonie par l’ignorance de son esprit lorsqu’elle prononce ces deux mots, ceux-là qu’on redoute toujours, qu’on espère ne jamais avoir à prononcer, qu’on souhaite ne jamais entendre. Un cancer.

Et peut-être qu’il devrait s’effondrer. Peut-être qu’il devrait emprisonner sa cousine dans une étreinte dont le véritable bénéficiaire n’est pas nécessairement le receveur d’un geste d’amour qui est plus explicite que les mots ne pourront jamais l’être. Peut-être qu’il devrait juste partir, quitter la pièce quelques instants pour comprendre, pas nécessairement la situation, mais la réaction à adopter. Peut-être qu’il devrait insister, demander plus d’explications. Peut-être qu’il devrait la rassurer, peut-être qu’il devrait réfléchir pour trouver les bons mots, peut-être qu’il devrait appeler Jules, peut-être qu’il devrait juste être lui-même, peut-être… C’est là toute l’histoire du diagnostic, tous ces « peut-être » auxquels ils seront suspendus durant les mois à venir. Le timer finit par sonner, quémandant une réaction tandis que la décision n’est pas parvenue à être prise dans les délais impartis. Mais il ne peut pas rester plus longtemps dans le silence, alors c’est les paramètres par défaut qui s’enclenchent, c’est ce mécanisme de défense incongru mais diablement efficace qui lui permet de reprendre la parole. Parce que peut-être que ce n’est rien. Peut-être qu’il exagère la situation, sans aucunes explications. Un cancer, ça se soigne. On peut en venir à bout, maintenant. Rachel y viendra à bout. Peut-être que s’il y met suffisamment de conviction, il finira par lui-même y croire. Et il commence à y croire, alors que dans sa tête apparaissent les visages de ceux qui s’en sont remis, de toutes ces connaissances plus ou moins proches qui ont été abattues par le diagnostic, mais qui ont réussi à reprendre l’avantage. Rachel peut en faire de même. Rachel va en faire de même. Alfie se surprend presque à esquisser un sourire alors que sa tension se relâche doucement, de se traiter d’idiot face à cette réaction instinctive qui ne traduit pas de la réalité des faits. Les gens paniquent dès qu’ils entendent ce terme, il n’a pas échappé à la règle, mais on oublie trop facilement que ça se soigne, et plutôt bien. Il a confiance, Rachel est entre de bonnes mains, elle l’est forcément si elle décide d’enfin le mettre dans la confidence. Alors, très vite, c’est comme si Alfie devait rattraper toutes ses paroles qui ont dû être contenues durant son long silence, et il déblatère, plus vite encore qu’à son habitude. Au point où, finalement, toutes ses interrogations se heurtent à d’autres, sans jamais permettre à Rachel d’en placer une. Comme si monopoliser la conversation lui permettait de s’assurer qu’elle ne pourrait pas lui annoncer pire, parce qu’elle n’en aurait tout simplement pas l’opportunité. Et là où d’autres se seraient agacés d’être encore dans l’ignorance malgré tout, Alfie se complaît dans celle-ci, d’autant plus lorsque Rachel esquisse un geste, un rapide geste, vers sa tempe. Et il lutte, Alfie, de toutes ses forces, pour s’accrocher à ces visages perçus précédemment. Le cerveau. Tout mais pas ça. Parce qu’au-delà de jouer avec l’espérance de vie de Rachel, cela peut jouer sur qui elle est. Et déjà qu’il ne parvient pas à se faire à l’idée de la maladie, il ne supporterait pas l’idée que celle-ci puisse interférer sur littéralement chaque pourcent de ce qui compose cette cousine qu’il adore telle qu’elle est avec les paramètres actuels. Mais parce que l’annonce de la localisation du mal est encore plus difficile à appréhender que le diagnostic lui-même, et parce que celui-ci ne l’a pas encore été, Alfie passe ce détail sous silence, sans réellement le vouloir. Ça le frappera en temps voulu, quand il parviendra enfin à refuser le déni. Pour l’heure, c’est sur Stephen et son mutisme que son attention se tourne, à sa distance qu’il n’appréciait pas il y a encore quelques minutes mais à laquelle il se raccroche désormais parce que Stephen ne parle pas, Stephen ne peut pas enfoncer le couteau encore plus profondément que Rachel ne l’a déjà fait. Il peut chasser ce mot de six lettres de ses pensées pour se concentrer sur le rôle de Stephen, qui n’implique pas d’évoquer directement le problème. Bien-sûr qu’il sera à ses côtés, et il n’en attendait pas moins que lui. Il accueille la confirmation par un sourire timide, qui disparaît très vite. Tout comme Stephen, comme Rachel, et comme tout ce qui l’entoure.

« … essayer de tenir un peu plus que les quatre mois à venir. C’est ça, son état. » « Qua-… » Sa voix s’élève avec la même rapidité qu’elle se brise. Si le diagnostic est sans appel, la réaction d’Alfie est inexistante. Ce n’est pas tant qu’il essaie de se complaire dans cette neutralité affligeante qui ne lui ressemble pas, c’est juste qu’il n’y arrive pas. Qu’il n’arrive pas à réagir, qu’il n’arrive pas à parler, qu’il n’arrive pas à respirer. C’est comme s’il était vidé, et qu’il ne demeure plus que son enveloppe corporelle alors que son âme, elle, est aux abonnés absents. Il voudrait offrir un regard assassin à un Stephen dont il n’était pas préparé à la brutalité, autant qu’un regard reconnaissant pour poser des mots sur la situation. Quatre mois. Seize semaines. Cent vingt-deux jours. Est-ce que c’est tout ce qu’il lui reste avec sa cousine ? Est-ce que le décompte vient réellement de s’enclencher, sans qu’il ne puisse l’arrêter ? Il voudrait hurler, Alfie, il voudrait traduire de ce sentiment d’injustice qui emplit ses veines, il voudrait pleurer, aussi, et révéler ce qu’il ressent vraiment. Mais il ne le peut pas. Pour Rachel, pour Stephen, pour Anabel dont la voix vient briser le silence assourdissant qui a empli la pièce. Ses yeux suivent la silhouette de Rachel qui quitte la pièce, sans jamais quitter l’encadrement de cette porte, pas même lorsque la voix de Stephen finit par s’élever à son tour. Il voudrait éclater de rire, de ce rire nerveux qu’est le sien lorsque la situation le dépasse. Parce que putain, Stephen, je sais pas quoi faire non plus. Je sais même pas comment je dois réagir, et je sais même pas si j’ai le droit de réagir. « Je-… » Alfie profite d’être presque dos à Stephen pour fermer les paupières, laisser échapper un soupir comme si celui-ci parvenait à expulser de son corps toutes les inquiétudes, tous les questionnements, toutes les émotions incomprises. Mais ce n’est pas le cas, et c’est toujours inhabituellement stoïque qu’il finit par se retourner pour observer Stephen. « Je vais te dire ce que tu vas faire, Stephen. Tu vas prendre sur toi, parce qu’elle n’a clairement pas besoin de ça. Et tu vas pas juste essayer de prendre sur toi, non, tu vas le faire. T’as intérêt à le faire, t’as pas le choix en fait. Qu’Alfie finit par prononcer, dans un débit qui se veut toujours aussi dense. Ce sera peut-être trop, parfois. Et c’est normal, mais Stephen, écoute-moi, qu’il exige alors qu’il croise le regard de son cousin par alliance qui lui semble aussi vide que lourd de sens. Tu n’as pas le droit de craquer. Je sais que c’est pas juste, et crois-moi, je suis aussi désolé que ça te concerne autant que ça la concerne, je t’assure. Alors si c’est… si c’est trop, tu viens vers moi, d’accord ? Je le pensais, tout à l’heure, c’est valable autant pour toi que pour elle. Tu dois l’épauler, mais faut que quelqu’un t’épaule aussi, et tu peux compter sur moi pour ça. » Qu’il ajoute alors qu’il arrive enfin à faire les quelques pas qui lui permettent de rejoindre le kiné de l’autre côté de la pièce. Un part de lui veut le prendre dans ses bras, une autre veut trouver une plaisanterie stupide pour que sa colère trouve une nouvelle cible. « Je… je sais pas comment ça marche non plus, tu sais. Mais il ne peut pas se permettre ce genre de discours alors que Stephen ne cherche pas en lui un allié, mais un guide. Tu viens vers moi, qu’il répète, et il arrive même à esquisser un sourire qu’il souhaite rassurant. On avisera en temps voulu. J’arrive toujours à aviser, tu devrais le savoir, qu’il tente finalement la plaisanterie. Je… juste, dis-moi que je peux compter sur toi. J’ai besoin de savoir qu’elle peut compter sur toi, s’il te plait. » Et s’il donne l’impression de maîtriser la situation, en réalité, il n’y a déjà plus rien qui fonctionne à l’intérieur.
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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptySam 20 Avr 2019 - 21:48

Stephen n'aurait jamais été capable de faire sa demande de façon si guimauve et calculée. Faire circuler un avion avec une banderole au dessus d'une plage, planquer une bague de fiançailles dans un fondant au chocolat à la fin d'un dîner au restaurant, demander à Anabel de s'impliquer... autant de choix qui auraient sans doute été bien -bien trop- niais pour son minimalisme habituel, et qui l'auraient rendu mal à l'aise au mieux. A ces demandes un brin trop exubérantes il avait préféré saisir un moment de vie courante, un moment banal qui s'était changé en souvenir indélébile en une fraction de seconde. « J’en attendais pas moins de toi. » Alfie le connaissait bien. Stephen n'avait jamais été quelqu'un de compliqué à cerner. Sans faux plis, sans surprises. Il se conformait à la banalité d'une vie, se fixait des objectifs courants : ouvrir son cabinet, acheter une maison, fonder une famille... le mariage n'aurait jamais dû arriver si vite, mais devant l'évidence et la spontanéité de la belle Rachel, il avait osé se contredire lui même. « J’aimerais tellement, teeeeellement vous dire que ça me surprend, mais… pas du tout. » qu'Alfie poursuivait dans un petit rire qui fit se renfrogner (faussement) Rachel encore un peu plus. Qu'elle soit la maladresse personnifiée n'était pourtant pas un fait nouveau, mais elle n'eut pas l'occasion de contester : « T’as entendu Madame, je peux plus rien pour toi, à part te souhaiter bon courage. » que concluait son cousin en adressant une tape sur l'épaule de Stephen d'un geste qui fit doucement sourire le brun. L'anthropologue était loin de se douter que ce moment emprunt de bonne humeur dans l'entrée de la petite maison en travaux serait le dernier qu'il passait dans l'ignorance. En entrant dans le salon, c'était tout un monde qui s'apprêtait à s'écrouler. Rachel n'était déjà plus vraiment elle même. Ce n'était pas tant la tumeur que le stress et la tristesse profonde qui tenaillait la jeune maman qui rendaient ses gestes nerveux et ses paroles divagantes. Elle se savait condamnée, et d'annoncer sa propre mort à un moment qui aurait dû se traduire par des effusions de joie et des projets était sans doute la chose la plus compliquée qu'elle ait eu à faire jusqu'à présent. Si Stephen avait su immédiatement ce qui allait lui arriver, Alfie n'était pas présent à l'annonce des médecins. C'était à elle de se charger de ces paroles qui briseraient sûrement une part de son cousin pour toujours, et elle aurait voulu retarder ce moment encore un peu, ne serait ce que pour passer une dernière bonne soirée. Son mari n'avait pas la même vision des choses. Pragmatique, bien trop embourbé dans sa propre tristesse et ses rêves brisés. Il avait fait fi de la volonté de Rachel, avait commencé à confier à Alfie que quelque chose clochait. Il s'était engouffré dans la brèche, parce qu'il était loin d'être idiot, Alfie. L'attitude du couple de jeunes mariés n'avait rien d'ordinaire, d'anodine, et le comportement de Rachel traduisait toute la détresse émotionnelle qu'elle ressentait. Si son premier réflexe fut de remettre en place Stephen, elle se montra plus douce par la suite en annonçant dans une retenue qui ne la caractérisait pas, qu'elle était malade. Elle avait tenté d'amener un peu de douceur, un peu d'espoir, sûrement dans une vaine tentative de sauvegarder les apparences, et durant tout l'échange entre cousins, Stephen s'était volontairement placé à l'écart. Déjà parce que Rachel lui avait intimé de la laisser faire, et ensuite parce que la colère qu'il avait ressenti à l'annonce de la maladie commençait doucement à refaire surface. Il comprendra bien plus tard que cette colère lui était néfaste, qu'elle ne changerait pas les faits, mais pour le moment, elle était son seul réflexe.

Ce ne fut que lorsqu'on lui intima de revenir dans la conversation que Stephen s'autorisa à se sortir du mutisme duquel il s'était terré. A quoi bon taire la vérité ? Quatre mois, quatre foutus mois. Alfie méritait de savoir, méritait de prendre la mesure de toute cette vie qui s'éteignait dans la cruauté la plus silencieuse. « Qua-… » une voix presque brisée, comme autant d'espoirs qu'on lui retirait sans préavis. L'irlandais ne se sentait pas mieux en se sachant compris, parce qu'il ne faisait pas l'ombre d'un doute que le cousin de sa femme se trouve dans le même état que lui. Le souffle coupé, Alfie semblait ne pas savoir quoi répondre, lui pour qui parler était naturel semblait ne plus avoir les ressources en stock pour palier à ce cataclysme. Il ne retrouva la parole que lorsque Rachel s'éclipsa et que Stephen s'était de nouveau autorisé à quelques mots. Dos à lui, l'anthropologue semblait avoir eu besoin de quelques secondes -sûrement pour reprendre contenance- avant de lui répondre : « Je vais te dire ce que tu vas faire, Stephen. Tu vas prendre sur toi, parce qu’elle n’a clairement pas besoin de ça. Et tu vas pas juste essayer de prendre sur toi, non, tu vas le faire. T’as intérêt à le faire, t’as pas le choix en fait. » son débit naturel retrouvé, Alfie semblait avoir recouvré sa verve habituelle ainsi qu'une force intérieure déstabilisant un Stephen qui accueillait cette réaction d'un froncements de sourcils. Lui qui avait à peine réussi à soutenir sa femme à l'annonce du diagnostic, qui n'arrivait pas à parler de la maladie sans la réduire à une simple épreuve et dont les bras n'avaient rien de réconfortants se faisait se rappeler sa place : celle de l'époux, de la moitié. Ce sera peut-être trop, parfois. « Et c’est normal, mais Stephen, écoute-moi. Tu n’as pas le droit de craquer. Je sais que c’est pas juste, et crois-moi, je suis aussi désolé que ça te concerne autant que ça la concerne, je t’assure. Alors si c’est… si c’est trop, tu viens vers moi, d’accord ? Je le pensais, tout à l’heure, c’est valable autant pour toi que pour elle. Tu dois l’épauler, mais faut que quelqu’un t’épaule aussi, et tu peux compter sur moi pour ça. » Le regard d'Alfie croisait le sien, et lui par réflexe fit plonger son visage entre ses mains. Il était incapable, incapable de tenir cette conversation sans ciller, sans montrer ses faiblesses. Stephen ne se montrait jamais vulnérable, ou plutôt, il ne voulait jamais le faire, mais la situation actuelle supplantait de loin sa volonté. « Je… Tu viens vers moi, On avisera en temps voulu. J’arrive toujours à aviser, tu devrais le savoir... Je… juste, dis-moi que je peux compter sur toi. J’ai besoin de savoir qu’elle peut compter sur toi, s’il te plait. » Alfie avait traversé la pièce pour le rejoindre, avait même tenté un trait d'humour pour détendre une atmosphère déjà bien pesante. Stephen avait à peine découvert son visage, ses mains mollement retombées de chaque côté de son buste. Comment ? Comment faisait il pour tenir le coup ? qu'il ne pouvait s'empêcher de se demander, et alors que le questionnement interne atteignait son paroxysme, il s'autorisait à craquer. "Elle va mourir Alfie. Je ... mais merde qu'est ce que je suis censé faire ?" Craquer chez Stephen s'apparentait à assumer pleinement sa colère, crier verbalement l'injustice dont il était victime. Il ne pleurait pas, sa peine se manifestait par une langue aussi dure que la douleur qui tenaillait ses côtes, qui l'empêchait d'avancer. "Qu'est ce qu'on est censés faire ? Tu sais comme elle est. Enfin je sais même pas. Tu peux pas savoir comment est ta cousine mourante, parce que tout ça n'est pas une situation normale." Et il soutenait son regard, sentait ses pupilles rougir, lutter, ses poings se serrer et se relâcher. Son état alternait de la rigidité la plus totale à une liquéfaction presque inévitable. La colère se mêlait à la tristesse, s'éteignait doucement, à chaque mot, car Alfie était dans le même bateau que lui, il comprenait. ".. elle passe ses nuits à pleurer. Je sais même plus quoi lui dire. Je sais même plus, et ça ne fait qu'une semaine." qu'il soufflait finalement, se passant une main fatiguée sur le visage. "... j'y arriverais pas." plus une question qu'une conclusion, parce que peut être qu'Alfie avait raison. Qu'ils ne seraient pas trop de deux pour aider à maintenir un équilibre pour Rachel.  



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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyLun 22 Avr 2019 - 22:38

Alfie ne fait pas souvent confiance à son intuition, celle-là qui lui répond « ça casse » à chaque fois qu’il se dit « ça passe », la même qui le fait terminer au milieu d’une manifestation pour la reconnaissance d’une journée officielle à la gloire du gorfou sauteur plutôt qu’au colloc organisé par l’université auquel il était attendu, la même qui le convainc qu’il peut très bien escalader la façade de son immeuble pour grimper les deux étages jusqu’à son balcon parce qu’il a oublié ses clefs quand son corps préfère un os cassé à un quelconque effort de coordination. Son intuition l’oriente toujours en direction de scénarios inenvisageables, raison pour laquelle il ne formule pas toujours toutes les hypothèses qui lui passent par la tête (si tel était le cas, il finirait probablement en hôpital psychiatrique), de même qu’il ne leur accorde pas nécessairement du crédit. C’est dans cette seconde optique qu’il se situe lorsqu’il perçoit une ambiance bien plus tendue que celle à laquelle il est habitué en se rendant chez Rachel et Stephen. Il a effectivement envisagé des justifications à leur accueil distant et si pour une fois les scénarios qui se dégagent sont parfaitement réalistes, ce n’est pas pour autant qu’Alfie leur accorde plus d’intérêt. Peut-être qu’il aurait dû, et que l’annonce qui confirme – pour une fois dans sa vie, la seule fois où il aurait fallu que cette intuition soit aussi foireuse que d’habitude – son pressentiment n’aurait pas fait l’effet de se prendre un trente-six tonne en pleine gueule. Car c’est très exactement l’impression que cela lui laisse, celle d’être encore vivant, sans pour autant être en mesure de ressentir quoi que ce soit. Ou peut-être est-ce l’inverse, et que l’anesthésie ressentie l’est uniquement à cause de toutes ces émotions qui se mélangent au point où plus rien ne se distingue. Aucune ne parvient à prendre l’avantage, ni l’incompréhension, la plus évidente ; ni la colère, la plus naturelle ; ni la tristesse, la plus douloureuse. Et finalement, après quelques longues minutes, c’est l’optimisme qui parvient, difficilement, à se différencier des autres sentiments. Et cette fois-ci, Alfie se raccroche à tout ce qui assène son esprit maintenant que celui-ci s’est remis en marche. Parce que toutes ces idées corroborent l’hypothèse selon laquelle Rachel va s’en sortir. Il n’y a pas d’autres perspectives à envisager ; tout simplement car aucune autre solution n’est concevable. Rachel va s’en sortir ; c’est acté et la seule chose qui puisse être discutée est de quelle manière. La plus évidente est celle d’une chimiothérapie réussie, la plus incroyable est celle d’une erreur de diagnostic (ça s’est vu, ça se voit encore à de rares occasions et Alfie s’impatiente déjà du coup de téléphone que Rachel lui passera pour lui dire « hé fausse alerte, oublie tout ça »), la plus nécessaire est celle d’un miracle. Car c’est ce dont ils vont avoir besoin, maintenant que Stephen formule un détail qu’Alfie a volontairement oublié jusqu’ici ; tout diagnostic s’accompagne d’un pronostic. Et le jeune homme vient d’actionner le compte à rebours de l’espérance de vie de Rachel, replongeant instantanément Alfie dans une catalepsie dont il ne prend pas conscience, et dont il n’essaie pas de se sortir. Parce que plus rien n’existe autour de lui ; si ce n’est ces deux mots qui résonnent sans-cesse dans sa tête. Quatre mois. Le temps qu’il lui reste pour profiter de la présence de Rachel dans sa vie, pour réaliser cette bucket list officieuse entre les deux cousins. Le saut en parachute qu’ils se sont promis il y a cinq ans, ce voyage en Floride pour qu’Anabel rencontre enfin Mickey la légende, cette envie de casser les codes en prenant Rachel pour témoin lors de son potentiel mariage avec Jules, de réaliser cette blague terrible pour ses parents que la jeune femme a imaginé et qu’ils s’impatientent de mettre en œuvre parce que le bon moment ne s’est jamais présenté. Mais il n’y aura plus jamais de bon moment. Quatre mois. Pour se préparer à l’inévitable, pour accepter l’inacceptable, pour s’habituer à l’absence de celle dont il a toujours cherché la présence, pour s’adapter à une vie sans celle qui l’a en partie aidé à conserver la sienne. Quatre mois qui prennent le dessus sur trente ans, qui s’apprêtent à les effacer qu’il le veuille ou non, parce que la fin a toujours plus d’impact que le début. Quatre mois. Deux mots qui finissent par s’accompagner d’autres, et forment cette vérité insupportable, qui devient tangible. Rachel a un cancer. Il lui reste quatre mois à vivre. Mais malgré toute la clarté des mots prononcés par Stephen, malgré toute la peur lue dans le regard de Rachel, Alfie n’en démord pas. Et comme souvent avec l’anthropologue, il remplace cette vérité douloureuse par un mensonge agréable. Rachel va s’en sortir.

C’est cette croyance qui lui permet d’abandonner son état de sidération, de reprendre sa respiration, et de retrouver la parole pour réagir. Pour autant, dans sa tête, ça ne percute toujours pas. C’est comme si l’annonce demeurait coincée dans son conduit auditif, sans parvenir à aller plus loin. Il l’a entendue, mais il ne l’a pas enregistrée. Chacune de ses réactions est mécanique, fonctionnelle, cohérente, mais s’il devait expliquer celles-ci, il serait incapable de les justifier. Il peut dire à Stephen comme il se doit d’agir ; il ne peut pas justifier comme il le sait, et il ne pourrait certainement pas en faire de même pour lui. Tout ce qu’il sait, une maigre certitude dans cet amas de confusion, c’est que Stephen ne peut pas abandonner Rachel. Pas maintenant, alors qu’elle aura besoin de lui autant, si ce n’est plus, que tous ses traitements chimiques dont elle s’apprête à se nourrir. Et ça ne frappe même pas Alfie de ne pas savoir concrètement quelle est la suite. Elle est malade, et après ? La question ne se pose pas, car peu importe la méthode, elle va s’en sortir. Elle va s’en sortir, même si elle va mourir. Même si Stephen pose enfin les mots qu’il est incapable de poser sur cette situation. Et Alfie ne bronche toujours pas, la seule chose qu’il retient, qu’il veut retenir, c’est la seconde partie de la phrase de Stephen. Et s’il se mure à nouveau dans le silence, c’est uniquement pour trouver les bons mots, et non parce qu’il essaie de prendre la mesure de la situation – ce qui finira par arriver, mais bien plus tard, bien trop tard. Qu’est-ce qu’on est censés faire ? Et Stephen en rajoute une couche, comme si le fait d’être en train de se noyer n’était pas suffisant, et qu’il fallait s’assurer que la tête d’Alfie ne puisse jamais remonter à la surface en la maintenant sous l’eau. Mais il ne voit pas les choses ainsi, parce qu’il ne voit rien comme il devrait le voir. Il parvient toutefois à être d’accord sur un point, ce n’est pas une situation normale. Et finalement, Stephen finit par prononcer les mots qu’Alfie redoutait, ceux qu’il espérait ne pas entendre, parce qu’il les comprend parfaitement et qu’il ne saurait les retourner à l’avantage de Rachel. Stephen a peur, et c’est compréhensible, c’est humain. Mais il ne peut pas le lui faire savoir, pas directement : ce serait lui donner une justification à son comportement, et aussi perdu qu’il soit, le kinésithérapeute doit s’effacer, et accepter cette position délicate où ses propres émotions ne comptent pas, ne peuvent pas compter. « C’est très simple, soit tu y arrives, soit tu abandonnes tout de suite. » Qu’il finit par dire, tandis que son regard ne quitte pas son désormais cousin par alliance, mais que loin d’être aussi rieur que d’ordinaire, loin d’être aussi perdu qu’il devrait l’être, est simplement sévère. « Je t’apprécie vraiment, Stephen, mais je te laisserai pas être un poids supplémentaire pour Rachel, et si tu t’engages là-dedans, c’est pas pour reculer plus tard. » Et encore une fois, si Alfie comprend la situation délicate dans laquelle se situe Stephen, ça ne veut pas dire qu’il pourrait l’excuser. « J’en sais pas plus que toi sur la question, bon sang, tu crois quoi ? Que j’ai pu lire en dix minutes le manuel ‘’soutenir ses proches dans la maladie’’ ? » Et par-là, il veut surtout faire comprendre à Stephen qu’il n’a pas eu le temps de se préparer, qu’il n’a pas pu commencer à se faire à l’idée au premier rendez-vous à l’hôpital, et que ça ne l’empêche pas d’essayer de faire semblant malgré tout. « Ce que je sais par contre, c’est que jusqu’à preuve du contraire, c’est toujours Rachel et pas ‘’ma cousine malade’’, ni ‘’celle qui va…’’ » Il s’interrompt, parce qu’il est hors de question d’évoquer l’issue, et encore moins de réduire Rachel à celle-ci, ou à sa maladie comme Alfie s’en agace, et le regard froid qu’il offre à Stephen traduit enfin de son état d’esprit. « Ce qu’on est censé faire, ce que tu es censé faire, c’est pas compliqué. Si elle a besoin de vomir, on lui tend une bassine, une serviette, on lui tient les cheveux. Si elle a besoin d’espace et d’être seule, tu te démerdes pour quitter cette maison, et tu reviens aussitôt qu’elle te le demande. S’il faut l’accompagner à l’hôpital pour lui tenir la main, tu le fais, et s’il faut lui mentir, tu sors tes plus beaux mensonges, ceux que tu voudrais qu’on te raconte. Et si elle pleure pendant la nuit, tu la serres dans tes bras jusqu’à ce qu’elle s’endorme. » C’est simple. Et terriblement égoïste comme raisonnement, il le sait, et c’est la raison pour laquelle il a insisté pour que Stephen puisse craquer lui-aussi, mais jamais devant Rachel. « Il y a pas de bonne façon de gérer les choses, mais il y en a des mauvaises, et ton comportement en est l’exemple. Je veux dire, à ce stade, quoi que tu puisses dire, même si c’est le plus gros mensonge du siècle, ça passera toujours mieux que la façon dont tu agis. » Qu’il poursuit, tandis qu’il jette un regard près du couloir, espérant qu’Anabel retienne sa mère encore longtemps, afin qu’ils puissent poursuivre cette conversation – et qu’Alfie puisse offrir ce bon coup de pied au cul que mérite Stephen. « On avise, qu’il répète. Ce soir, on passe cette soirée pour laquelle vous m’avez invitée. On parle du boulot, des dernières bêtises d’Anabel, d’à quel point nos familles peuvent nous taper sur les nerfs, et toutes ces conneries. Demain, tu vas bosser comme d’habitude, tu restes joignable, et tu ramènes italien parce qu’elle adore ça, mais c’est tout, tu te mets pas en tête de regarder tous ses films préférés, et de vous raconter vos vieux souvenirs parce que ce serait de la pitié et entre deux cuillères de tiramisu, tu lui demandes comment s’est passé sa journée, et comment elle va. Pas comment elle se sent, ni si elle a supporté cette journée. Et si elle t’en dit plus sur son état, tu hoches la tête, tu rebondis dessus, si elle te dit qu’elle a peur, tu la rassures, tu peux parler d’Anabel, mais seulement de ce qu’elle a fait le jour même, ça la calme toujours, ou tu lui ressors toutes les fois où elle était dans la merde et qu’elle s’en est sortie, ça la fait relativiser ou tu l’écoutes juste, qu’elle sache que t’es là et si elle te dit que le thé à la menthe calme ses nausées, tu lui prépares naturellement un thé à la menthe le lendemain au lieu d’un verre d’eau, et si elle te dit qu’elle supporte plus d’être couchée, t’aménages discrètement le canapé en repositionnant les coussins pour qu’elle soit à l’aise une fois assise et… » Alfie finit par se taire parce qu’il lui est nécessaire de reprendre son souffle s’il ne veut pas faire un malaise. Son débit est rapide, presque incompréhensible, parce que c'est la façon privilégiée dont son anxiété décide de s'exprimer. Il pourrait continuer des heures ainsi, surtout parce qu’au-delà de l’inquiétude qu’est la sienne vis-à-vis de sa cousine, s’ajoute désormais celle qui entoure un Stephen à deux doigts de craquer. Et la colère qu’il contient finit par s’exprimer doucement, seulement elle n'est pas dirigée contre la bonne cible.
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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyMer 24 Avr 2019 - 0:26

Lorsque Rachel avait envoyé leur voiture dans le décor, lorsqu'elle était arrivée à l'hôpital sans comprendre ce qu'il venait de se passer ni même par quel miracle elle s'en était tirée sans une égratignure, Stephen avait compris que quelque chose d'anormal se tramait, et il avait fermé les yeux. Il avait volontairement occulté le fait que celle qu'il venait d'épouser puisse avoir un quelconque problème. Pour lui ce n'était qu'un égarement, son intuition était reléguée au trente sixième dessous. Il se serait volontairement soustrait, aurait aimé se convaincre que ce scanner était inutile et qu'ils ne trouveraient rien ; parce qu'il aurait aimé ne pas prendre le risque de voir son cœur se briser, et de voir celui de sa moitié en faire de même. Stephen ne savait pas encore bien (et ne saurait probablement jamais) mettre des mots sur ce qu'il avait pu ressentir lors de ce fameux soir, et pire encore, sur ce que Rachel avait pu ressentir. Il se souvenait de sa main qui serrait la sienne, de la voix du médecin, des rendez vous qui avaient suivi dès le lendemain, des habitudes que Rachel avait déjà commencé à adopter. Elle passait ses journées à donner le change, ses nuits à pleurer. Une routine qui durait depuis près d'une semaine maintenant. La jeune maman s'efforçait d'assister à chacun de ses rendez vous, à continuer de s'occuper d'Anabel comme si de rien n'était alors que jour après jour, le diagnostic se précisait et le risque de rémission s'amenuisait. C'était le soir qu'elle laissait la tristesse la submerger. Lorsqu'ils étaient deux, lorsque le rideau était baissé. Rachel s'était reposée sur lui, comme, en tant qu'épouse, elle aurait pu le faire sur son mari. C'était pourtant trop pour lui. Si Rachel se savait condamnée, si elle savait qu'elle quitterait ce monde la trentaine à peine touchée du doigt, elle laissait derrière elle deux êtres qui voyaient leurs équilibres profondément bouleversés. Anabel perdait sa maman. Stephen perdait son avenir, celle avec qui il avait pris un engagement pour la vie. C'était comme si le livret de famille qu'on leur avait remis suite à leur union n'avait plus aucun sens tant la seule case qu'il faudrait désormais remplir était celle du décès et non celle d'un nouvel enfant. Rachel emportait avec elle ses rêves ; les premiers qu'il avait osé concrétiser et qui mourraient avant même d'avoir pu être menés à bien. « C’est très simple, soit tu y arrives, soit tu abandonnes tout de suite. » Les paroles d'Alfie revenaient à son attention après un long moment d'absence. Et elles faisaient mal. Bien trop mal pour le laisser de marbre. « Je t’apprécie vraiment, Stephen, mais je te laisserai pas être un poids supplémentaire pour Rachel, et si tu t’engages là-dedans, c’est pas pour reculer plus tard. » Et le regard du brun soutenait le sien ; Alfie était sérieux, semblait avoir davantage de recul sur la situation même si ce qu'il disait mettait les nerfs de Stephen à rude épreuve. Pourtant son débit de paroles, sa façon de se tenir ne trompaient pas : il était au moins autant dévasté par cette annonce que lui ne l'était, et ses pensées ne faisaient que se confirmer lorsqu'il lança :  « J’en sais pas plus que toi sur la question, bon sang, tu crois quoi ? Que j’ai pu lire en dix minutes le manuel ‘’soutenir ses proches dans la maladie’’ ? » C'en était sûrement trop pour Stephen qui se surprit à hausser le ton : "M'engager la dedans ?" il s'étranglait presque, avant de reprendre d'une voix un brin plus silencieuse, de peur de se faire entendre par Rachel. "J'ai pas l'intention de reculer. Et je fais ce que je peux." Faire ce qu'il pouvait. Être une paire de bras. Un backup histoires du soir pour Anabel, un relais téléphonique lorsque certains appels étaient trop durs à passer. Stephen composait avec un nouveau quotidien s'apparentant à un cataclysme, et alors que ça ne faisait que quelques jours à peine, c'était déjà trop pour lui. « Ce qu’on est censé faire, ce que tu es censé faire, c’est pas compliqué. Si elle a besoin de vomir, on lui tend une bassine, une serviette, on lui tient les cheveux. Si elle a besoin d’espace et d’être seule, tu te démerdes pour quitter cette maison, et tu reviens aussitôt qu’elle te le demande. S’il faut l’accompagner à l’hôpital pour lui tenir la main, tu le fais, et s’il faut lui mentir, tu sors tes plus beaux mensonges, ceux que tu voudrais qu’on te raconte. Et si elle pleure pendant la nuit, tu la serres dans tes bras jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Il y a pas de bonne façon de gérer les choses, mais il y en a des mauvaises, et ton comportement en est l’exemple. Je veux dire, à ce stade, quoi que tu puisses dire, même si c’est le plus gros mensonge du siècle, ça passera toujours mieux que la façon dont tu agis. » Stephen sentait le feu lui monter aux joues à mesure que son désormais cousin par alliance poursuivait ce qui semblait être une façon de le remettre en place en bonne et due forme. Alfie avait beau agir de façon légitime, il avait beau le faire pour Rachel, Stephen n'en avait pas moins l'impression de ne pas être suffisant. Au delà de ça, il sentait que sa peine était secondaire, que sa femme passerait toujours avant ses rêves brisés. Et égoïstement, ça faisait mal. "Pas compliqué ? Mais essaie de te mettre à ma place. On venait de se marier. De se marier Alfie." qu'il répétait à deux doigts d'une hystérie paradoxalement bien trop froide, trop calme. "C'est ma vie, mes projets, mes rêves qui s'éteignent avec elle, et je donnerais tout pour être à sa place, pour pas être cet imbécile de conjoint survivant qui finira par se tirer une balle en pleine déprime. Et j'ai pas eu besoin de plus qu'une putain de semaine. Donc excuse mon comportement, je fais ce que je peux." Visiblement, la patience n'était pas le fort de Stephen qui avait cédé, craqué, qui se livrait sans le moindre filtre à un Alfie sans doute au moins autant peiné que lui ne l'était. Il se projetait sans doute trop loin, il voyait davantage les choses sur le long terme, mais c'était sa nature, même pour quelque chose d'aussi imprévisible qu'un cancer. « On avise, Ce soir, on passe cette soirée pour laquelle vous m’avez invitée. On parle du boulot, des dernières bêtises d’Anabel, d’à quel point nos familles peuvent nous taper sur les nerfs, et toutes ces conneries. Demain, tu vas bosser comme d’habitude, tu restes joignable, et tu ramènes italien parce qu’elle adore ça, mais c’est tout, tu te mets pas en tête de regarder tous ses films préférés, et de vous raconter vos vieux souvenirs parce que ce serait de la pitié et entre deux cuillères de tiramisu, tu lui demandes comment s’est passé sa journée, et comment elle va. Pas comment elle se sent, ni si elle a supporté cette journée. Et si elle t’en dit plus sur son état, tu hoches la tête, tu rebondis dessus, si elle te dit qu’elle a peur, tu la rassures, tu peux parler d’Anabel, mais seulement de ce qu’elle a fait le jour même, ça la calme toujours, ou tu lui ressors toutes les fois où elle était dans la merde et qu’elle s’en est sortie, ça la fait relativiser ou tu l’écoutes juste, qu’elle sache que t’es là et si elle te dit que le thé à la menthe calme ses nausées, tu lui prépares naturellement un thé à la menthe le lendemain au lieu d’un verre d’eau, et si elle te dit qu’elle supporte plus d’être couchée, t’aménages discrètement le canapé en repositionnant les coussins pour qu’elle soit à l’aise une fois assise et… »  Alfie semblait manifester son ressenti d'une façon qui n'appartenait qu'à lui : par un flot de paroles ininterrompu dont une grande partie trahissaient son anxiété. C'était sans doute cette perception qui fit que Stephen ne s'emportait pas outre mesure, qu'il ne se remontait pas dans la colère plus qu'il ne le faisait déjà. Alfie ne savait pas quoi faire, ne savait pas comment accueillir cette nouvelle si ce n'est affreusement mal. La douleur était telle qu'elle mettait des jours entiers à être assimilée. Les deux avaient beau avoir deux façons totalement différentes de gérer ces émotions, la peine leur était identique. "... et je comptais pas la laisser tomber Alfie. J'en suis pas encore la à pas savoir réagir à des demandes aussi sommaires. Je ... je peux pas aviser chaque fois. Je peux pas aviser pour certaines de ses questions à venir parce que je n'en sais rien. Que si je me les pose elle se les posera aussi, et elle ne va pas tarder à en parler j'en suis certain. C'est pas qu'elle me demande du thé qui me fait peur. C'est qu'elle me demande ce qu'il adviendra d'Anabel. C'est qu'elle se mette à se dire qu'il faudrait qu'elle lui écrive des dizaines de cartes d'anniversaire à l'avance au cas ou elle ne ferait pas partie du pour-cent de chanceux qui survivent à cette putain de tumeur. J'ai peur de la voir se brûler en manipulant une casserole. J'ai peur de la voir tomber des escaliers, qu'elle ait des absences, qu'elle se mette à changer du tout au tout quitte à en faire peur à sa propre fille. Je suis pas de taille pour tout ça. Et t'as pas droit de me dire d'abandonner si je m'en sens pas capable parce que c'est ma femme Alfie. Ma femme. Ma moitié. Celle que j'avais choisi pour passer le restant de ma vie sans me douter qu'elle me quitterait avant Noël." C'était sûrement la première fois que Stephen réussissait à mettre autant de mots sur sa peine. Les mains tremblotantes, le regard à peine animé par une colère assombrie de tristesse, le brun semblait être au trente sixième dessous. Il avait pourtant eu envie de répondre, de se faire sa propre défense face à la tentative de son désormais cousin de le remettre sur le droit chemin. Certes il ne savait pas quoi faire, mais à ses yeux cette situation était bien trop injuste pour qu'il ne s'abaisse à trouver des arrangements.

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyDim 28 Avr 2019 - 23:11

Dans le tourbillon d’émotions qui compose dorénavant son être, Alfie ne parvient pas à se positionner quant à Stephen. Il aurait voulu lui hurler dessus pour sa passivité, autant qu’il la comprend maintenant qu’elle est partagée. Il aurait voulu le réconforter et s’excuser de cette situation qu’il subit, peut-être même plus que la principale concernée compte tenu du retrait qu’exige son rôle. Une part de lui se veut extrêmement reconnaissante envers le jeune homme de ne pas l’avoir tenu plus longtemps dans l’ignorance, tandis qu’une autre part le déteste comme jamais il n’a détesté quelqu’un auparavant pour l’avoir forcé à réduire la vie de Rachel à un décompte qui s’apparente à un instrument de torture. Les chiffres s’affichent en gros caractères dans son esprit, le compteur s’amenuise, mais il ne peut rien faire. Il aura beau se débattre de toutes ses forces, il ne saura jamais se débarrasser des chaînes qui le maintiennent pour l’empêcher d’appuyer sur le bouton « stop ». Car il n’y a pas de bouton stop, et malgré toute l’énergie qu’il met à s’en persuader, Alfie parvient à le réaliser petit-à-petit. La nouvelle n’est pas encore parvenue jusqu’à son esprit, mais la colère s’infiltre doucement dans ses veines. Il ne pourra être que simple spectateur d’une tragédie annoncée, et son seul pouvoir se résumera à fermer les yeux au moment venu plutôt que d’empêcher celui-ci. Alors oui, il déteste Stephen, parce que c’est la seule personne vers laquelle cette rage parvient à se tourner. Il le déteste d’avoir mis en mots le pronostic, il le déteste de réduire à néant les espoirs auxquels il s’accroche. Il le déteste de l’empêcher de fuir la vérité comme il le fait toujours. Il le déteste pour ne pas maîtriser suffisamment cette situation pour qu’il puisse se reposer sur lui et non pas qu’il soit celui sur lequel le kinésithérapeute aura besoin de s’appuyer. Qu’est-ce qu’on est censés faire ? Il n’en sait foutrement rien, Alfie. Il le déteste pour poser ce genre de questions rhétoriques, alors que personne ne connaît la réponse et qu’elle ne peut être trouvée dans aucun manuel. Il le déteste de ne pas le laisser dans l’ignorance, alors que plus que jamais, Alfie aurait accepté ce cas de figure qu’il exècre en temps normal. Tout le monde prétend que ne pas savoir est le pire sentiment qu’il puisse exister, et à cet instant Alfie n’a jamais été autant en désaccord avec une idée reçue. C’est de savoir qui est véritablement douloureux. Savoir que la vie de Rachel s’achève de jour en jour, sans qu’il ne puisse rien y faire. Savoir que l’issue sera fatale, quoi qu’il puisse espérer, peu importe les prières qu’il peut formuler. Savoir que la conclusion se rapproche, et vivre avec cette boule au ventre qui prend toujours plus de place. Savoir qu’elle a dépassé les espérances d’un jour, peut-être deux, voire même une semaine, et appréhender la sonnerie plus que le coup de téléphone, car il n’y aura pas besoin de plus de trois notes pour comprendre ce que des mots peuvent difficilement expliquer. Savoir que quoi qu’il advienne, que malgré les signes contradictoires, malgré les espoirs regagnés, ça finira par arriver, et se préparer à vivre avec ce poids sur le cœur. Mais personne n’est jamais prêt à se préparer à une telle chose ; et peu importe la manière dont ils essayeront, peu importe le soutien qu’ils recevront, peu importe l’anticipation qu’ils prévoiront, c’est le genre d’apprentissage qui peut durer des semaines, des mois entiers, à l’issu duquel le niveau d’ignorance reste le même. Plus que tout, savoir ne rend pas les adieux plus faciles, ça les rend seulement plus déchirants.

Si toutes ses perspectives s’introduisent doucement dans ses cellules par la manière dont son corps se raidit, ses muscles se tendent, son palpitant s’emballe et son sang frappe dans ses veines ; elles n’atteignent toujours pas son esprit, et les seules réactions d’Alfie ne visent plus le bien-être de Rachel ou son inquiétude, mais le comportement d’un Stephen évidemment déboussolé. Ce dernier le rassure quant au fait qu’il n’a pas l’intention de reculer, et même si Alfie s’en veut d’y songer, il n’accorde pas entièrement sa confiance à son cousin par alliance. Il comprend, pourtant, il essaie vraiment de garder en tête la difficulté de l’annonce pour celui qui se retrouve à devoir envisager des funérailles plus que la belle cérémonie, mais tout dans son attitude transpire l’envie de fuir. De la manière dont il est resté en retrait, à la façon dont il a essayé d’obtenir des réponses auprès d’Alfie – des réponses que celui-ci ne peut pas lui offrir, étant donné qu’il ne les possède pas même pour lui. Alfie ne peut pas prendre le risque que Stephen décide que c’en est trop pour lui – parce que ça le sera, mais c’est à lui d’en faire une réalité – parce que si Rachel se retrouve seule, ça, ça la tuera. Alfie n’est pas heurté par l’agacement qui transparaît dans chacun des mots de Stephen, pas même qu’il s’offusque de sa colère qui gronde, bien au contraire, il accueille celle-ci par un sourire probablement déplacé, mais qui marque enfin une vraie réaction de la part de l’anthropologue. Stephen est en colère, et au-delà de l’être, il l’exprime enfin. Tant pis si elle lui est adressée ; c’est même mieux. Parce qu’il peut encaisser, Alfie, du moins, c’est l’impression qu’il a. Que Stephen le flagelle pour ses propos s’il le souhaite, qu’il l’insulte même, qu’il écrase chacun de ses espoirs pour mieux faire le deuil des siens, il est prêt à en payer le prix si cela permet de soulager Stephen d’un ressentiment qu’il pourrait être tenté d’imputer à Rachel dans un excès de chagrin. Car c’est l’étape qui suivra, et Rachel sera considérée comme la seule fautive ; car c’est à cause d’elle qui en sont dans cette situation. Le sentiment n’en sera que plus exacerbé par l’égoïsme dont fait preuve Stephen, qui n’a de cesse de rapporter la situation à lui. Et encore une fois, il essaie de comprendre, Alfie, il encaisse si nécessaire, et il décide dorénavant d’en rajouter une couche. « Et toi, est-ce que t’as essayé de te mettre à sa place ? » Que le trentenaire finit par demander, d’un ton qu’il ne veut pas brusque mais qui saurait accueillir une réaction de cet acabit. Au-delà de l’envie de faire parler Stephen, de le laisser s’exprimer, de le soulager comme il l’a promis dès le départ, de l’aider à lâcher-prise quant à tout ce qui lui échappe déjà et qui n’aura de cesse de lui échapper, il y a aussi ce besoin de lui faire prendre conscience de sa manière de voir les choses, qui déplaît à un Alfie dont la cousine sera toujours la priorité. « Je minimise pas tout ce que tu traverses déjà et tout ce sur quoi tu vas devoir faire une croix, mais… enfin, c’est pas… Dis-le, Alfie. Parce que c’est la vérité, et la repousser autant que tu le peux ne changera pas les choses. C’est pas ta vie qui va… Comment ? Comment prononcer des mots qui n’ont aucun sens ? Je te déteste Stephen, autant que je déteste de tout mon être ce foutu cancer. C’est pas ta vie qui va s’arrêter, Stephen. » Alfie s’interrompt un bref instant, les mots sont parvenus à se glisser entre ses lèvres avec une certaine facilité dont il s’étonne ; mais les connexions dans son cerveau ne se font toujours pas. C’est comme s’il racontait un récit inspiré d’une histoire vraie, tant qu’il présente les faits, tout va bien, c’est lorsqu’il arrivera à la conclusion de celui-ci que les choses se compliqueront. « Qu’est-ce qu’elle doit se dire, elle ? Comment elle interprète ton retrait et ta distance, à ton avis ? » S’il n’est pas dans l’intimité du couple pour savoir comment ils vivent la chose, il en a eu un bref aperçu depuis son arrivée, et si le comportement de Stephen l’a interpellé, il n’ose pas imaginer ce que Rachel perçoit au quotidien. Il finit par faire quelques pas dans le salon, s’asseyant – ou peut-être que ses jambes ne sont plus parvenues à soutenir son poids – dans le canapé. « J’aimerais me mettre à ta place, je t’assure, peut-être qu’au moins je saurais quoi te dire, parce que… je peux pas imaginer ce que tu ressens, Stephen, et je sais pas... je sais pas quoi dire qui pourrait t’aider. Par contre, je connais Rachel depuis trente ans, et je sais très bien qu’elle te dira jamais que ton comportement peut la blesser, ou qu’elle se sent fautive parce qu'elle va t'abandonner, et parce que tu lui le fais comprendre avec ce même regard que t’as, ouais, celui-là. Alors ouais, ça m’amuse pas plus que toi de mettre tes sentiments de côté, je t’assure, mais je peux pas… je peux pas te laisser agir comme ça, je peux pas te regarder être à deux doigts de t'effondrer, alors que le pire dans tout ça, c'est que c'est parfaitement légitime. » À son tour, le trentenaire finit par passer une main sur son visage, se mordant la lèvre avant de laisser échapper un soupir. Comment la soirée avait-elle pu prendre ce tournant, et pourquoi fallait-il que ça leur tombe dessus ? « Je veux dire, tu t’es entendu ? ‘’Ma vie’’, ‘’mes rêves’’, ‘’mes projets’’, ‘’c’est moi qui vais me tirer une balle’’, je… Il essaie de peser ses mots, Alfie, mais il y parvient difficilement. L’idée n’est pas de se mettre Stephen à dos plus que de le réveiller, mais en fin de compte, s’il doit passer pour la première option pour permettre la seconde, c’est également un risque qu’il prend. C’est toi qui l’a dit, il lui reste… enfin, vous avez déjà perdu une semaine. T’auras tout le temps de détester la terre entière ap… après, de faire le deuil de tes rêves et de ta vie, mais maintenant, tu l’as pas ce temps. » Un nouveau soupir s’échappe d’entre ses lèvres tandis qu’il adresse un nouveau regard au couloir, constatant avec soulagement que la silhouette de Rachel n’est toujours pas apparue. Se relevant du canapé, Alfie fait quelques allers-retours dans la pièce, son incapacité à tenir en place traduit une nouvelle fois de son anxiété. « Désolé, mais je-je sais pas comment formuler les choses. Je sais pas quoi te dire. » Et c’est la raison pour laquelle ses propos n’ont peut-être aucun sens ; certainement parce que ses pensées n’en ont pas plus. Il continue de se déplacer dans la pièce à mesure que Stephen reprend la parole, et cette fois-ci, si l’égoïsme pardonnable du kiné est toujours palpable, Alfie se veut véritablement rassuré. Stephen est perdu, mais n’abandonne pas, c’est tout ce dont il voulait avoir la certitude. Il va épauler Rachel, mal, peut-être, mais il sera là. Et quelqu’un doit être là pour Stephen. Alors Alfie esquisse quelques pas pour se rapprocher de son cousin par alliance, ravale cette prise de conscience qui le gagne et s’immobilise peu-à-peu pour fixer son regard dans celui de Stephen. « Arrête, bon sang, arrête de dire ça ! T’en sais rien si t’es de taille ou pas, c’est pas quelque chose qui est inné et t'as pas le temps d'en douter pendant des semaines, mais rien que le fait de rester à ses côtés malgré ta peur est un pas dans la bonne direction. Alfie baisse la tête un bref instant, ancrant son regard sur le sol. Y’a rien de cohérent dans ses propos, il le sait, et il ne comprend pas. Si tout ça c’est aussi facile qu’il le prétend, pourquoi il n’y arrive pas ? T’as pas tellement d’options, de toute façon. Tu peux pas éviter ses questions ou faire la sourde oreille, alors t’as qu’à… t’as qu’à lui dire ce que tu penses, ce que tu espères, ce que tu voudrais, et si ça te fait trop mal, tu mens, parce que ce sera toujours mieux que d’éviter le sujet. Si elle veut écrire des cartes d’anniversaire pour Anabel, tu suis l’idée, c’est tout. C’est si simple, présenté comme ça. C’est si contradictoire avec ce qu’il a dit quelques instants plus tôt. Pourquoi tu me mets dans cette situation, Stephen ? Tu sais quoi, il faut que… Il faut que tu prennes les choses au jour le jour, en fait, Stephen. Oui, il y a des trucs à prévoir, comme tout ce qui touche à Anabel et je sais que c’est tellement facile à dire, mais… tu peux pas commencer à t’inquiéter pour tout, à prévoir autant de scénarios alors que t’as aucune certitude de la façon dont ça va l’impacter. Peut-être qu’elle te demandera pas d’écrire des cartes d’anniversaire. Peut-être qu’elle te parlera jamais de l’après. Peut-être que… on sait pas, on peut pas prévoir, alors tu peux pas te torturer l’esprit de cette manière, sinon tu t’en sortiras jamais et tu vas perdre un temps précieux avec elle. Pourquoi j’arrive pas à trouver les bons mots ? Ce soir, elle va bien. Contente-toi de cette information, cette affirmation, même. Oublie le reste, essaie de lâcher prise parce que… tant que tu la verras déjà comme une défunte et pas comme ta femme, tu vas continuer à te torturer et à la torturer. Et à me torturer. Tu peux pas passer ton temps à imaginer ce qu'il va se passer ou comment tu vas faire sans avoir la certitude que ce sera effectivement comme ça, parce que tu vas passer à côté de tout le reste. » Pourquoi est-ce qu’il faut que tu me mettes devant le fait accompli ?

Mais surtout, pourquoi est-ce que ça commence à prendre du sens ?

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyJeu 2 Mai 2019 - 15:53

Si Stephen s'était prostré dans une espèce de colère sombre et égoïste depuis l'annonce, il se retrouvait désormais face à quelqu'un de bien plus enclin que lui à penser à Rachel, à cerner ses besoins dans une logique qui faisait se sortir le brun de son mutisme. Bien sûr qu'Alfie avait raison, bien sûr que Stephen aurait du penser à celle à qui il avait promis de l'épauler quelques jours plus tôt avant de penser à lui ; c'était la base de son mariage après tout, mais il n'y arrivait pas, et c'était sans doute aussi ce comportement qui laissait la porte ouverte à toute cette colère jusqu'alors recluse au second plan. Il se surprenait à sentir ses méninges formuler des pensées qu'il aurait tant aimé réfuter sur le moment : C'est pas ton avenir que tu perds / C'est pas toi qui devra gérer un mariage et un enterrement la même année / Bordel qui expérimente si vite le "jusqu'à ce que la mort nous sépare" ? et ainsi de suite. Ces mots si durs qui lui martelaient le crâne, mais qu'il assumerait presque à mesure qu'Alfie lui adressait un petit sourire lorsque sa colère éclatait enfin. C'était tout un monde qui s'écroulait, et lui ... et lui, ça fait dix minutes qu'il est au courant et que tu lui balances tes doutes en plein visage comme si tu te délestais de ton fardeau, sombre con. « Est-ce que t’as essayé de te mettre à sa place ? » Le ton n'était pas destiné à le blesser, et pourtant ç'aurait pu presque être le cas à mesure que son orgueil se sentait mis à mal. Cette situation était un cauchemar qu'il aurait aimé mettre sur pause. Tout allait si vite, tout prenait une tournure si définitive. La place de Rachel ; Stephen aurait mille fois préféré s'y trouver plutôt que de subsister à sa mort, et ça lui brûlait les lèvres de le dire enfin. Il l'aimait, il l'aimait tant. Il avait tout de suite su qui elle était pour lui ; une sorte d'évidence, d'apaisement, de futur. Avec Anabel ils formaient une famille bricolée qui suffisait à son bonheur, et tout volait maintenant en éclat. « Je minimise pas tout ce que tu traverses déjà et tout ce sur quoi tu vas devoir faire une croix, mais… enfin, c’est pas… C’est pas ta vie qui va… C’est pas ta vie qui va s’arrêter, Stephen. » L'hésitation d'Alfie, le bref silence qui suivait ces paroles avaient suffit à faire redescendre un peu l’ascenseur émotionnel qu'était devenu Stephen, ses prunelles tantôt rougies par la colère et la tristesse. Il ne pouvait pas se targuer de connaître le cousin de Rachel aussi bien qu'elle, mais de toute la conversation qu'ils avaient tenue, le brun avait compris qu'elle ne lui avait pas encore permis d'assimiler le fait que Rachel allait mourir, qu'elle allait partir, alors ses traits se déridaient un peu. Son visage se tordit d'une moue dont on devinait (encore) toute la détresse et l'incapacité latente à formuler quelque chose de cohérent, du moins jusqu'à ce qu'il n'entende un « Qu’est-ce qu’elle doit se dire, elle ? Comment elle interprète ton retrait et ta distance, à ton avis ? » qui suffisait à le faire bondir. "Tu minimises pas ? Mais comment je suis censé réagir alors ? Lui faire passer les meilleurs quatre mois de sa vie alors qu'elle sait très bien qu'elle va mourir ? Qu'elle sait qu'elle devra expliquer à sa fille qui porte encore des couches qu'elle partira pour toujours ? Elle va mal, et ce sera le cas que je lui passe une bassine ou non. Elle va mal et elle a besoin que je lui dise que tout ira bien après et .... et ça je sais pas faire. Pour ça j'ai besoin de toi." Les mains presque tremblotantes, Stephen s’apercevait qu'il avait oublié de respirer de toute sa tirade. Sans doute que s'il avait pris la moindre pause, son courage serait retombé comme un soufflé. Il ne se sentait pas les épaules pour une telle situation, pas à vingt sept ans, pas alors que sa mère remplissait encore sa fiche d'impositions et qu'il sentait son cœur se réduire en cendres à chaque battement. « J’aimerais me mettre à ta place, je t’assure, peut-être qu’au moins je saurais quoi te dire, parce que… je peux pas imaginer ce que tu ressens, Stephen, et je sais pas... je sais pas quoi dire qui pourrait t’aider. Par contre, je connais Rachel depuis trente ans, et je sais très bien qu’elle te dira jamais que ton comportement peut la blesser, ou qu’elle se sent fautive parce qu'elle va t'abandonner, et parce que tu lui le fais comprendre avec ce même regard que t’as, ouais, celui-là. Alors ouais, ça m’amuse pas plus que toi de mettre tes sentiments de côté, je t’assure, mais je peux pas… je peux pas te laisser agir comme ça, je peux pas te regarder être à deux doigts de t'effondrer, alors que le pire dans tout ça, c'est que c'est parfaitement légitime. » Alfie avait fait quelques pas, s'était posé sur le canapé avant de glisser à son tour une main fatigué sur son visage aux traits déjà bien amochés par cette triste nouvelle, tandis que Stephen ne savait plus exactement associer ses jambes à la tornade émotionnelle qui s'abbatait sur ses pauvres nerfs. Il avait envie d'hurler, de se rouler en boule, de fuir, de rester et de jeter l'éponge. Rien que ça. « Je veux dire, tu t’es entendu ? ‘’Ma vie’’, ‘’mes rêves’’, ‘’mes projets’’, ‘’c’est moi qui vais me tirer une balle’’, je… C’est toi qui l’a dit, il lui reste… enfin, vous avez déjà perdu une semaine. T’auras tout le temps de détester la terre entière ap… après, de faire le deuil de tes rêves et de ta vie, mais maintenant, tu l’as pas ce temps. » Les mots semblaient toujours aussi compliqués à sortir, et pourtant Stephen se foutait bien de ces hésitations, de ces silences. Alfie venait d'enfoncer encore un peu plus le clou question morale et culpabilité, et Stephen aurait eu envie de lui répondre "Elle sera morte Alfie, et j'ai toutes les raisons du monde de la détester pour ça." sans toutefois réussir à formuler ces mots qui blesseraient l'anthropologue sans en douter. Depuis le début de leur conversation c'était comme s'il usait de synonymes pour ne pas avoir à prononcer ce fait qui lui était jusqu'alors inconcevable. "Tu perdras autant que moi. Comment tu peux ... " me dire ça. C'était sûrement ce qu'il aurait pu dire si sa conscience ne lui rappelait pas qu'Alfie ne savait que depuis moins de deux heures que le membre de sa famille dont il était le plus proche avait une tumeur grosse comme une balle de golf logée dans le crâne, et quand bien même il concédait dans un soupir : « Désolé, mais je-je sais pas comment formuler les choses. Je sais pas quoi te dire. » qui, à nouveau, suffisait à faire redescendre Stephen d'un cran, ce dernier s'autorisant même à quelques confidences sur ses plus grandes craintes. Lorsque Rachel ne serait plus là, ce serait tout un équilibre familial précaire qui s'écroulerait, et le pire dans toute cette histoire était sûrement qu'elle même donnerait tout pour limiter la casse. Stephen était persuadé que Rachel ferait ce qu'elle pourrait pour arranger les choses, pour amoindrir la chute, mais lui ne se sentait pas de taille. « Arrête, bon sang, arrête de dire ça ! T’en sais rien si t’es de taille ou pas, c’est pas quelque chose qui est inné et t'as pas le temps d'en douter pendant des semaines, mais rien que le fait de rester à ses côtés malgré ta peur est un pas dans la bonne direction. T’as pas tellement d’options, de toute façon. Tu peux pas éviter ses questions ou faire la sourde oreille, alors t’as qu’à… t’as qu’à lui dire ce que tu penses, ce que tu espères, ce que tu voudrais, et si ça te fait trop mal, tu mens, parce que ce sera toujours mieux que d’éviter le sujet. Si elle veut écrire des cartes d’anniversaire pour Anabel, tu suis l’idée, c’est tout. Tu sais quoi, il faut que… Il faut que tu prennes les choses au jour le jour, en fait, Stephen. Oui, il y a des trucs à prévoir, comme tout ce qui touche à Anabel et je sais que c’est tellement facile à dire, mais… tu peux pas commencer à t’inquiéter pour tout, à prévoir autant de scénarios alors que t’as aucune certitude de la façon dont ça va l’impacter. Peut-être qu’elle te demandera pas d’écrire des cartes d’anniversaire. Peut-être qu’elle te parlera jamais de l’après. Peut-être que… on sait pas, on peut pas prévoir, alors tu peux pas te torturer l’esprit de cette manière, sinon tu t’en sortiras jamais et tu vas perdre un temps précieux avec elle.  Ce soir, elle va bien. Contente-toi de cette information, cette affirmation, même. Oublie le reste, essaie de lâcher prise parce que… tant que tu la verras déjà comme une défunte et pas comme ta femme, tu vas continuer à te torturer et à la torturer. Tu peux pas passer ton temps à imaginer ce qu'il va se passer ou comment tu vas faire sans avoir la certitude que ce sera effectivement comme ça, parce que tu vas passer à côté de tout le reste. » C'était toujours assez déroutant d'entendre l'anthropologue prononcer autant de mots, et c'était un fait d'autant plus troublant car lui même peinait à en aligner plus de quatre depuis que l'annonce du cancer avait été faite. Stephen en était encore à rassembler quelques bribes de réflexions, ne serait ce que pour formuler une réponse face à un Alfie visiblement inquiet à l'idée qu'il ne se fasse la malle sous le poids de la pression, qu'il brise le cœur de cette cousine qu'il aimait tant. L'idée de lui rétorquer qu'il n'était pas de ce genre lui traversait fugacement l'esprit, mais en toute honnêteté il ne se sentait pas de taille à lutter. Il y avait peu de chances qu'il prenne la fuite puisque son attachement envers la jeune maman dépassait de bien loin ce comportement, mais se laisser submerger par la catastrophe était sans doute une position qu'il risquait d'adopter. "Donc c'est la double peine. On doit faire comme si tout allait bien maintenant. Et faire en sorte que tout aille bien après, pour la petite." nerveusement, un rire s'échappait d'entre ses lèvres.  "Si tu savais comme j'aimerais que Rachel puisse croire qu'elle fera partie de ce pourcentage de chanceux qui s'en sortent. Mais j'en pense pas un mot, et elle le sait, elle le sent. C'est un cancer Alfie. Un putain de cancer. Je peux pas commencer à improviser quand elle posera des questions, parce que.. " "A'ffiiiiiie" La voix stridente d'une enfant s'éleva dans la pièce, ramenant dans un contraste net, un peu de chaleur et de joie à la froideur de l'endroit. "J'ai pas réussi à l'endormir, elle ira au lit plus tard. Je m'en fiche." Cette fois ci c'était la voix douce de Rachel qu'on entendait, et rapidement, sa silhouette longiligne revenait dans le salon, sa petite poupée dans les bras. "... puis je lui ai dit qu'on avait de la visite, donc peu de chance qu'elle s'endorme. T'es de corvée" qu'elle soufflait pour finir, reposant cette demoiselle sur le sol dont les petites jambes s'activaient pour aller s'échouer avec un équilibre précaire sur les genoux de son parrain. Sa maman vint elle glisser l'un de ses bras autour de la taille de son mari, observant la scène avec une sérénité nouvellement retrouvée ; Anabel l'apaisait plus que quiconque, du moins, autant que son avenir ne l'inquiétait. En les voyant toutes les deux, Stephen se disait que cette conversation avec Alfie ne se terminait pas, mais qu'elle était sans doute assez pour ce soir, pour ce que l'un et l'autre avait à encaisser avant de pouvoir en reparler sereinement.

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Message(#)life happens ⊹ alfie EmptyDim 9 Juin 2019 - 4:30

Chaque minute qui défile depuis la terrible annonce apporte une nouvelle émotion avec elle. Dans un premier temps, c’est son naturel détendu et sa volonté optimiste qui lui ont imposé de prendre les choses avec une légèreté surprenante – et parfaitement inappropriée, mais c’est un détail dont il n’a pas conscience. Parce que dès le moment où Rachel a prononcé ces deux mots, c’est une reconfiguration absolue de ses pensées qui s’est opérée ; et si d’ordinaire la cohérence entre celles-ci est déjà difficilement perceptible (y compris pour lui) mais bien présente, elles n’ont désormais plus le moindre sens et tous ses efforts pour tenter de les ordonner s’avèrent vains avant même d’avoir réellement été mis en place. Parce qu’il sait pertinemment qu’il est impossible de lutter face à cette montée des eaux menaçante, qui guette le bon moment pour s’abattre sur lui ; car c’est la situation qui se présente, Alfie n’a pas encore été submergé par la vague qui se prépare, mais il peut déjà en envisager les conséquences. Si seulement le déni n’était pas venu s’ajouter à la liste des émotions qui se mélangent dans son esprit, vont et viennent sans jamais lui permettre de se positionner quant à ce qu’il ressent, ni sur ce qu’il est censé ressentir. De la colère, probablement. De la haine, de la tristesse, du désarroi. La liste est longue, mais n’inclus pas l’humour, ni cette insouciance qui se mêle à son calme habituel laissant penser à de l’indifférence. Parce qu’il ne l’est pas, indifférent, Alfie, et il ne l’a jamais été concernant Rachel. Elle a toujours été au sommet de ses préoccupations d’aussi loin qu’il s’en souvienne, avant les autres, avant ses amis, ses propres parents, lui-même. Mais malgré ce statut privilégié, Rachel ne lui a jamais donné matière à s’inquiéter. Ni quand elle a décidé d’honorer son statut d’étudiante en enchaînant les soirées et les cuites qui allaient de pair – il aurait été mal placé pour juger d’un tel comportement – ni quand son petit ami du moment lui paraissait peu fréquentable, encore moins quand elle s’est retrouvé enceinte à la surprise générale. C’est un trait de caractère qu’on lui impute souvent, mais de leur duo, elle est bien celle qui parvient toujours à s’adapter, encore plus face aux difficultés. Elle a toujours été celle qui « gérait » les situations quand il est celui qui s’occupe de rendre celles-ci problématiques. Une complémentarité qui a toujours fonctionné entre eux, un semblant d’équilibre auquel se raccrocher dans leur vie parfois chaotique, parfois désordonnée, désormais menacé par cette foutue maladie, celle qu’on souhaite toujours au voisin plutôt qu’à son entourage sans jamais oser l’avouer. Il aurait été prêt à l’admettre, Alfie, à hurler sur tous les toits de laisser sa cousine en paix, de fournir la liste de ceux que le crabe aurait pu viser à la place de cousine. Il aurait pu se lancer dans de grands discours enflammés comme il en a l’habitude pour mettre en évidence toutes les injustices de ce monde – parce que c’en est une, c’est la pire de toute, même. Il aurait pu faire entendre sa colère, dans une réaction théâtrale à mi-chemin entre sa prédisposition à surjouer pour s’amuser de tout ce qui l’atteint de manière à prétendre que tout ceci se contente de glisser sur cette carapace qu’il s’est forgée et cette tristesse mêlée à la rage qui grignote peu-à-peu du chemin. Il aurait pu. Il aurait pu si le déni ne s’était pas mélangé à l’inquiétude, et que tous les beaux discours révoltés font place à des menaces à peine déguisées pour s’assurer du soutien sans faille de Stephen dans ces moments douloureux. Et il aurait pu être compatissant auprès de son cousin par alliance, à mille lieues d’imaginer ce qu’il ressent, ne pouvant s’en faire qu’une idée en multipliant par cent la force de la tempête qui s’abat sur lui. Il aurait dû être compatissant, penser à Stephen, trouver les mots pour apaiser son esprit plutôt que d’accabler sa peur. Et il l’est, au fond. Il l’est réellement, peiné pour le jeune homme qui se retrouve dans la position peu enviable du soutien sans faille qui a l’interdiction de flancher. Seulement, Alfie n’arrive pas à le montrer. Il n’y arrive pas parce que Stephen a commis l’affront d’accoler la deadline (littéralement) à côté du diagnostic déjà difficile à admettre du cancer de Rachel.

Quatre mois. Il voudrait que son optimisme l’assaille comme il l’a fait précédemment en listant tout ce qu’ils vont devoir faire pour condenser les quarante prochaines années qu’il envisageait avec elle dans les parages en seulement quatre petits mois. Il voudrait plaisanter, et râler gentiment, sur le fait qu’elle manquera la secondaire saison de Stranger Things, qu’elle est emmerdante parce qu’il est difficile de réserver un saut en parachute dans un délai aussi court avant qu’elle ne commence à se sentir mal, qu’elle a mal choisi son moment parce qu’elle lui vole la vedette et son annonce d’être parvenu à passer le niveau 2456 de Candy Crush qui lui posait problème depuis presque trois semaines. Il voudrait faire et dire tant de choses, Alfie, mais il n’y arrive pas. Et les mots qui parviennent à franchir ses lèvres pour tenter de s’assurer de la force de Stephen (parce qu’il ne devra pas en avoir seulement pour accepter le diagnostic, mais aussi et surtout pour soutenir Rachel et Anabel dans les moments difficiles qui s’annoncent) autant qu’il tente de le rassurer sont maladroits, confus, irréfléchis. Car s’il était en mesure de faire fonctionner ses quelques neurones restants, Alfie réaliserait qu’enfoncer Stephen de la sorte est inacceptable, et que cela ne traduit pas de l’affection qu’il a pour le kiné ni du soutien qu’il compte lui offrir à lui-aussi. Mais Rachel et sa priorité, encore et toujours, et malgré le fait qu’il apprécie Holloway, Rachel passera avant, elle passera toujours avant, et peu importe s’il doit prendre le risque de se mettre le brun à dos. Si le malmener peut lui permettre d’être rassuré quant au bien-être de Rachel, si le malmener peut aussi être l’occasion de permettre à Stephen de se défouler, Alfie l’accepte et encaisse. Quant à sa manière à lui d’encaisser, il avisera plus tard, dans l’immédiat il se satisfait de la réaction de Stephen, qui sort enfin de sa passivité. Et qui a raison sur toute la ligne, si seulement Alfie voulait bien reconnaître, une bonne fois pour toute, que cette échéance annoncée par Stephen n'est pas que des paroles en l’air, que c’est une vérité qu’il doit accepter au plus vite au risque de finir par le regretter. Mais ce ne sera pas ce soir, ni demain, ni les suivants, quand bien même il a formulé des mots allant dans ce sens, ils n’en ont toujours aucun. Les yeux d’Alfie s’arrêtent sur les mains tremblantes de Stephen, et il esquisse un pas pour se rapprocher de ce dernier, posant sa main sur son épaule, pressant légèrement celle-ci pour attirer son attention. « Calme-toi Stephen, t’es pas tout seul, je bouge pas, je te lâche pas. » Qu’il lui assure en secouant légèrement la tête, un fin sourire qui se veut réconfortant sur les lèvres, une énième tentative de donner le change, d’assurer que la situation n’est pas si dramatique qu’elle est présentée – et ce n’est pas Stephen qu’il tente de convaincre. À cet instant, Alfie ignore qu’il ment ; et qu’il repartira d’ici quelques mois, parce qu’une opportunité se présentera, parce qu’échapper à cette situation lui apparaîtra comme la meilleure option, au détriment de Rachel, au détriment de Stephen, parce que fuir a toujours été sa façon d’avancer. « Ça va, l’après, on va gérer, et dès que tu sens que c’est trop… je peux gérer, c’est pas un problème, compte sur moi. » Non, c’est un problème, mais il n’en a pas encore conscience. Et non, il ne pourra pas toujours compter sur lui, et c’en est paradoxal alors qu’à cet instant, c’est Stephen qu’il aurait imaginé prendre la fuite. Toujours perturbé par les mots qui sont parvenu à franchir la barrière de ses lèvres, précisant la condamnation de Rachel sans pour autant l’admettre, Alfie sent l’angoisse qu’il l’envahit à nouveau, et après de longues minutes à tourner en rond dans la pièce, c’est pourtant avec difficulté qu’il rejoint le canapé sur lequel il se sent tomber, alors que ses mots claquent son palais sans passer par la case réflexion qui lui permettrait de cesser ce petit jeu-là, ce jeu malsain qui veut qu’il blesse Stephen autant que celui-ci l’a blessé quelques instants plus tôt. Ce n’est pas légitime, alors que la détresse du kinésithérapeute l’est parfaitement, elle. Alfie le reconnaît, mais ce n’est pas pour autant que cette colère qui commence à naître en lui trouve une autre cible. Stephen est tout désigné pour être le responsable de ce malheur, pour être le responsable de cette prise de conscience qui s’amorce. « Mais on l’a pas encore perdue, Stephen ! » Qu’il se surprend à répondre avec plus de fermeté que toutes les paroles qu’il a pu prononcer jusqu’ici – et Dieu sait qu’il en a formulé. C’est la seule certitude qu’il a à cet instant ; Rachel n’est pas morte. Ce n’est pas qu’elle n’est pas encore morte, elle ne l’est pas, point final. Rachel n’est pas morte, elle n’est pas morte, elle ne peut pas mourir, elle ne va pas mourir, elle n’a pas le droit de mourir. Et l’angoisse qui ne cesse d’augmenter face à cette perspective que Stephen continue de lui imposer, encore et encore, se traduit par un flot de paroles incontrôlé, incohérent, inarrêtable. C'est comme si toutes ses émotions essayaient de s’échapper, de fuir ce cataclysme qui remplace ses pensées, de quitter le navire avant que celui-ci ne sombre. Mais rien n’y fait, et malgré tout cela Alfie ne s’en sent pas soulagé pour autant, alors même qu’il se sent complètement vide, lessivé de toute énergie. Il en retrouve un élan pour secouer vivement la tête et contredire les propos de Stephen lorsque ce dernier persiste à ne pas ranger Rachel dans la catégorie de ces chanceux, de ces miraculés, alors même qu’Alfie est convaincu plus que jamais que c’est une catégorie qui a été créée pour Rachel dans laquelle elle parviendra à s’immiscer sans la moindre difficulté. Concentré sur le discours de Stephen, plongé dans ce ressentiment que le kiné anime inévitablement en lui depuis quelques minutes, Alfie sursaute alors que la voix d’Anabel résonne dans la pièce, il lui faut quelques instants pour prendre conscience de ce qu’il se passe autour de lui, quitter cette ambiance lourde instaurée par la conversation avec Stephen dont il se sentait prisonnier pour poser son regard sur Anabel, passant une main sur son visage dans une vaine tentative d’y ôter les tourments qui se lisent sur ses traits. « Pas de soucis, je te ferai juste remarquer… Alfie jette un coup d’œil à sa montre, une contenance précaire retrouvée sur le visage, qu’on est passé au tarif de nuit et qu’en conséquence, il va falloir sortir le chéquier. » Car évidemment qu’il a besoin d’être payé pour passer du temps avec sa filleule. « Salut, terreur. » Qu’il souffle alors que la gamine grimpe difficilement sur ses genoux, tandis que ses bras entourent la silhouette de l’enfant pour la secouer vivement de gauche à droite en guise de salutations, ne manquant pas de provoquer les rires de la principale concernée, qui contrastent avec la seule larme étant parvenue à se frayer un chemin jusqu’aux yeux d’Alfie, balayée d’un revers de main comme commencent à l’être ses espoirs.


- sujet terminé -

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