| noranwar → somewhere along in the bitterness |
| | (#)Dim 3 Mar 2019 - 16:05 | |
| SOMEWHERE ALONG IN THE BITTERNESS and i would have stayed up with you all night, had I known how to save a life | |
Le service étant relativement calme, pour une fois, l'ensemble de l'équipe soignante se permettait de boire un café tous ensemble. Mêmes quelques médecins s'étaient joints à eux. Etrangement, on trouvait toujours beaucoup de monde en salle de pause quand il y avait quelque chose à mangere. Et là, en l'occurence, Norah avait rapporté un gâteau, dont il ne restait plus qu'un tout petit bout, en moins d'une demi-heure. De véritables estomacs sur patte. Cela était toujours agréable, de profiter de ces temps morts qui étaient particulièrement rares, en service de réanimation. Ca compensait ces journées qui n'en finissaient pas, les patients qui enchaînaient différentes décompensations et les nouvelles admissions qui demandaient beaucoup de soins tant leur état était grave. Des soins techniques, que Norah adorait faire. Elle nettoyait sa tasse, ne voulant pas trop s'éterniser sur sa chaise par peur de s'enraciner, comptant par la suite faire un peu de tri dans les dossiers médicaux. L'administratif, elle avait horreur de ça, mais cela faisait partie de son quotidien. Juste avant de quitter le service, elle avait aperçu Yasmine rentrer en catimini dans la salle de pause, ayant certainement flairé que son amie ait apporté de nouvelles gourmandises – parce qu'il était évident qu'elle ait sa part à elle, aussi. Le reste de la journée n'était vraiment de tout repos non plus. Anwar devait venir dîner le soir-même. Ils se voyaient moins que d'habitude, ces derniers temps. Norah avait pensé qu'il s'agissait de son déménagement, qu'elle n'avait pas véritablement terminé. En effet, on pouvait encore remarqué qu'il y avait encore quelques cartons qui ornaient les coins de différentes pièces de sa nouvelle maison. Mais ses journées étaient tellement chargées, que la dernière chose dont elle avait envie quand elle avait un tout petit peu de temps pour elle, était de se mettre à déballer ces derniers emballages. "Aidan, range tes jouets, Anwar va bientôt arriver." Mais le petit fit la moue et lâcha un long soupir. "Mais je veux lui montrer mes nouvelles voitures ! Le camion de pompier, aussi !" "Oui, eh bien, tu n'as pas besoin d'avoir tes autres voitures dehors pour montrer le camion de pompier, je me trompe ?" lui rétorqua-t-elle avec une légère fermeté. "Mais, Maman !" "Pas de mais." Aidan était dans l'âge où l'on cherchait les limites et où les frustrations étaient particulièrement compliquées à gérer. Mais Norah ne se laissait pas berner par ces visages adorables, les puppy eyes qu'ils savaient étrangement bien faire. "Tu crois vraiment qu'Anwar sera content de voir que tu ne ranges pas tes jouets ?" Il fallait le prendre par les sentiments. Et Aidan adorait son parrain, les négociations étaient donc un peu plus faciles lorsqu'il entrait en jeu. Julie, de son côté, était plus sage, plus sérieuse. Elle avait besoin de temps pour elle, pour dessiner ou pour faire ses puzzles, elle avait besoin d'être dans le calme. Ils jouaient régulièrement ensemble, mais Aidan ne parvenait pas à comprendre le fait que sa grande soeur aient besoin de temps pour elle. Même si le séjour était bien plus rangé qu'au début, il y avait encore quelques voitures et Lego qui traînaient sur la table basse du salon quand Anwar avait toqué à la porte d'entrée. Dès qu'elle le voyait arriver, elle avait encore cette étrange impression que Frank allait arriver juste derrière, qu'il n'était pas si loin. Jusqu'à ce qu'elle se rappelle qu'il n'était plus là. Elle se faisait encore avoir régulièrement, malgré elle. Seule la désillusion était moins importante qu'elle ne le fut. Ils s'étaient installés au salon le temps d'un apéritif. Norah aurait préféré des derniers jours d'été, mais les pluies diluviennes qui duraient depuis le petit matin étaient un argument de taille pour la dissuader d'allumer le barbecue. Elle avait servi la boisson que son ami désirait boire avant de s'asseoir confortablement sur le canapé, à genoux. Les petits, eux, jouaient sur la table basse. "Je suis contente que tu aies pu venir ce soir, ça commençait à faire long." lui dit-elle, avec un sourire que seul lui avait appris à remarquer, avec le temps. Tous les deux étaient occupés, Anwar par son travail, Norah, par ses enfants et le déménagement. "J'avais peur qu'ils n'aiment pas la maison, ou qu'ils m'en veuillent d'avoir fait le tri dans les affaires. Mais ils voient ça comme un nouveau terrain de jeu, et ils semblent beaucoup aimer vivre ici, alors..." Elle haussa les épaules. "Ca va." Des mots mesurés. Norah ne dirait pas qu'elle était au top de sa forme, mais être venue habiter ici était comme prendre une sacrée bouffée d'air frais. Un nouveau départ nécessaire. Il y avait bien sûr de nombreux aléas, des travaux à prévoir pour certaines pièces, des frais à avancer. "Il y a quand même des moments où j'ai des doutes. Où je me demande si c'était vraiment une bonne idée." Comme durant tout grand changement dans le cours d'une vie. Il y avait les pour et les contre à peser. "J'ai peur de regretter un jour d'avoir du faire le tri dans ses affaires." Car jusqu'à récemmet, Norah se sentait incapable de s'en débarrasers. Pas même les vêtements, qui étaient précieusement repassés et rangé dans l'armoire ou dans la commode. Elle avait pris tout ce temps pour s'y résoudre. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'avait pas conservé quelques uns de ses t-shirts. "Mais parle-moi plutôt de toi, de comment tu vas." dit-elle afin de détournerr la conversation, ayant bien trop peur de retomber soudainement dans le néant dans lequel elle était ces dernières années. "Et comment va Tarek ? Julie s'est mise en tête de vouloir à tout prix le voir à l'un de ses ballets. Elle risque de te piquer la place de fan numéro un, faudra que tu fasses attention."
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| | | | (#)Jeu 28 Mar 2019 - 16:44 | |
| « Elle n’a vraiment pas dit où elle allait … ? » Jouant machinalement avec le gobelet de café qui tournait entre ses doigts, Anwar avait renoncé à soutenir le regard de son fils, dont la déception transparaissait déjà suffisamment dans le son de sa voix. « Elle a bien dû dire quelque chose, elle n’est pas partie comme ça, sans raison. » Dans le ton de Tarek son père croyait déceler une accusation, un sous-entendu qui n’existait pourtant que dans sa tête, et perdant patience il s’était entendu rétorquer d’un ton agacé « Tu ne penses pas que je t’en aurais parlé si elle m’avait dit quoi que ce soit ? » l’expression sur le visage de son fils lui faisait regretter d’avoir haussé le ton la seconde suivante. « J’en sais pas plus que toi, son. » Visant finalement la poubelle la plus proche avec son gobelet vide, le policier avait enfoncé ses mains dans les poches de sa veste en laissant échapper un soupir. Tess s’était comme évaporée du jour au lendemain ; La maison de sa mère enfin vendue, elle avait pris ses cliques et ses claques quelques jours plus tard, sur la pointe des pieds, gratifiant Anwar et Tarek du même SMS laconique expliquant qu’elle voulait changer d’air et voir du pays, et qu’ils ne devaient pas s’inquiéter pour elle. Fatalement, ils ne faisaient donc que cela depuis son départ, la jeune femme s’en étant depuis tenue à un silence radio. « Elle n’a même pas dit quand elle reviendrait … » Affichant un regard désolé, Anwar s’était éclairci la gorge comme pour ravaler les relents amers de sa culpabilité. Il ne cessait de se dire que s’il avait réagi autrement la marraine de son fils ne se serait peut-être pas volatilisée de cette manière ; Que peut-être il l’avait poussée à partir, sans s’en rendre compte. Difficile alors de savoir si c’était Tarek ou lui-même qu’il tenait de convaincre en assurant « Ça n’a pas été une année facile pour elle. Elle a sans doute juste besoin de prendre un peu de recul, elle reviendra. » Mais la vérité c’est qu’Anwar n’en savait rien, et que parce qu’il avait fait une promesse il ne pouvait même pas éclairer la lanterne de son fils à ce sujet. Soupirant à son tour, Tarek avait terminé son thé d’une gorgée, avec sans doute l’impression désagréable d’en être au même point qu’au début de la discussion. « Faut que j’y retourne, je suis en train de me refroidir et j’ai cours de caractère dans une demi-heure. » Acquiesçant d’un signe de tête, Anwar s’était contenté de la vague accolade que lui avait donné son fils, l’époque où il réclamait un câlin ou un bisous supplémentaire avant de s’endormir lui semblant soudainement à des années lumières. « Embrasse Norah et les deux monstres pour moi tout à l’heure. » Retirant les mains de ses poches et en ressortant du même coup ses clefs de voiture, le policier s’était fendu d’un sourire pensif, gratifiant Tarek d’un « Promis. Allez ne te mets pas en retard. » Peu de chance en réalité, le café où ils s’étaient retrouvés se situant juste en face des locaux où le Queensland Ballet avait élu domicile durant les travaux de son fief de Montague Road. S’il était tout à fait honnête avec lui-même, Anwar aurait volontiers décommandé le dîner chez Norah tant il se sentait d’humeur morose. Contrarié par la disparition de Tess, incertain quant aux conséquences qu’auraient sa reprise de contact avec Strange, l’inspecteur se savait filer un mauvais coton et doutait d’être d’agréable compagnie pour une Norah ayant sans doute d’autres soucis et d’autres chats à fouetter. Pour l’heure, et alors que la pluie recommençait à tomber après une courte accalmie, il avait regagné son véhicule et quitté Toowong, sa journée de travail encore loin d’être terminée et la pause-café justifiée uniquement par le fait d’avoir eu affaire dans les environs. La fin de la journée se dessinant, néanmoins, le brun était eu à peu parvenu à se persuader que la compagnie de Norah et de ses enfants était ce dont il avait besoin. Aussi le sourire était-il moins forcé et la posture moins crispée lorsqu’il avait sonné à la porte de leur nouvelle maison, Aiden et Julie l’accueillant à grand renfort de cris enthousiastes et le petit dernier terminant dans les bras d’un Anwar ne sachant que trop bien comme le temps passait vite, et comme son filleul serait bientôt trop grand et trop lourd pour qu’il puisse continuer à le faire. « Depuis quand vous êtes aussi grands, tous les deux ? Vous allez finir par rattraper votre mère. » s’en était-il d’ailleurs amusé, conscient que la chose se réaliserait probablement un jour s’ils tenaient des gênes de leur père. La cacophonie des retrouvailles passée et le frère et la sœur se plongeant sur la table basse dans un atelier coloriage qui n’occuperait sans doute pas le cadet longtemps, Anwar avait accepté une bière et laissé glisser son regard sur Norah tandis qu’elle venait prendre place à côté de lui sur le canapé. « Je suis contente que tu aies pu venir ce soir, ça commençait à faire long. » Bien content qu’elle ne puisse pas sonder son esprit pour apprendre les hésitations qui l’avaient animé plus tôt dans la journée, le policier s’était contenté d’acquiescer « J'avais peur qu'ils n'aiment pas la maison, ou qu'ils m'en veuillent d'avoir fait le tri dans les affaires. Mais ils voient ça comme un nouveau terrain de jeu, et ils semblent beaucoup aimer vivre ici, alors ... Ça va. » Capharnaüm de cartons empilés telle une forteresse brinquebalante lorsqu’il était venu aider au déménagement, le salon avait repris depuis les allures de nid confortable qu’on en espérait, et dans lequel mère et enfants semblaient peu à peu trouver leurs marques. « Les enfants s’adaptent plus vite qu’on ne le pense, ils se font à tout. » Une capacité qui se perdait à mesure que les années défilaient, la spontanéité elle aussi remplacée au fil du temps par une tendance au doute dont Norah se faisait l’une des innombrable porte-parole tandis qu’elle reprenait, plus hésitante « Il y a quand même des moments où j'ai des doutes. Où je me demande si c'était vraiment une bonne idée. J'ai peur de regretter un jour d'avoir dû faire le tri dans ses affaires. » Et il comprenait, au fond lui-même avait eu un pincement au cœur lorsqu’elle avait décidé de déménager, lorsqu’elle avait décidé de donner certaines affaires … Lorsqu’elle avait fait place nette, tout simplement. Et s’il avait senti ce pincement douloureux dans sa poitrine, il n’osait imaginer ce que Norah avait ressenti, elle. « T’as fait ce qu’il fallait. » lui avait-il néanmoins assuré, de son ton le plus rassurant « Pour eux, et pour toi. » Désireuse de changer de sujet, et Anwar en profitant pour prendre une gorgée de sa bière, la blonde avait fini par lui demander « Mais parle-moi plutôt de toi, de comment tu vas. Et comment va Tarek ? Julie s'est mise en tête de vouloir à tout prix le voir à l'un de ses ballets. Elle risque de te piquer la place de fan numéro un, faudra que tu fasses attention. » Entendant son prénom s’inviter dans la conversation, la fillette avait relevé la tête vers les deux adultes et intercepté le regard attendri que lui avait lancé le brun en plaisantant « J’ai du souci à me faire, on dirait. » Reprenant un ton plus sérieux, il avait ajouté « Je suis sûr qu’il y aura possibilité de s’arranger. » et semblant s’en satisfaire, Julie avait étiré un sourire impatient à l’intention de sa mère puis reporté son attention sur son dessin. « Et Tarek va bien, oui. Il vous embrasse tous les trois d’ailleurs, j’ai pris un café avec lui ce midi. » Esquissant un sourire songeur, le brun avait fait tourner sa bière entre ses doigts tout en reprenant « Avec sa mère on pensait le voir un peu plus maintenant qu’il n’est plus à l’internat, mais c’était sans compter son emploi du temps de ministre. » D’étudiant le jeune homme était devenu employé du Queensland Ballet en début d’année, et avec la fierté d’accéder enfin au second barreau de l’échelle de son rêve était également venue la possibilité de vivre dans son propre appartement. Et tandis qu’il concluait « Enfin, je suppose que c’est de son âge. » on pouvait presque voir les rides se creuser un peu plus au coin des yeux du policier à l’idée que son petit garçon n’en soit plus un et entre définitivement dans l’âge adulte.
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| | | | (#)Lun 1 Avr 2019 - 15:32 | |
| SOMEWHERE ALONG IN THE BITTERNESS and i would have stayed up with you all night, had I known how to save a life | |
Le policier avait un succès certain pour les enfants Lindley. Il était toujours accueilli chaleureusement quand ils se voyaient et devait souvent écouter tout ce qu'ils avaient à raconter ou regarder les derniers travaux pratiques faits avec leur mère ou à l'école. Norah le voyait moins régulièrement ces derniers temps. Il était toujours disponible pour elle et c'était réciproque, mais leur quotidien respectif était dense. Norah regardait Aiden se faire porter par son parrain avec un regard attentionné. Elle se doutait que l'ex-coéquipier de Frank devenait déjà une sorte de figure paternelle pour le petit, tout comme pour Julie. Cela faisait trois ans que l'équilibre familial était ébranlé, l'équilibre semblait être bien posé, mais Norah avait peur qu'un seul pas de travers fasse tomber ce château de cartes. Que si elle lâchait prise un jour, tout tomberait. Elle se préparait rapidement un cuba libre avant de donner une bière à Anwar et de s'installer à ses côtés. Il arrivait à l'infirmière d'avoir des doutes, voire des regrets sur sa décision de déménagement. Elle se massait la nuque après avoir partagé certaines de ses confidences. "Ils s'y font bien plus rapidement que moi, en tout cas." souffla-t-elle avec un sourire triste. Eux n'avaient pas à décider de quelles affaires de Franks ils devaient conserver ou non. Il y avait certaines choses que Norah ne se verrait jamais jeter ou donner. Tout comme elle était encore incapable de retirer son alliance et sa bague de fiançailles de ses doigts, sauf quand elle doit travailler. Et durant ces temps là, elle les gardait près d'elle en les enfilant dans la chaîne en argent qui ornait très régulièrement son cou. De parler de cette étape compliquée l'avait fait frissonner au niveau du dos, sa gorge s'était serrée. "J'ai peur qu'ils me le reprochent un jour, quand ils seront plus grands." Elle parlait à voix basse, les yeux rivés sur ses deux enfants, encore bien concentrés sur leurs dessins. "Que quand ils seront ados, ils me reprochent de ne pas avoir conservé telle ou telle chose qui lui avait appartenu." Norah trouverait de quoi leur répondre sans trop de problème, mais elle ne voulait pas que ça aboutisse à des relations conflictuelles ou compliquées à gérer. Ils étaient deux enfants adorables et compréhensifs, mais la période où ils allaient avoir besoin d'exprimer leurs opinions ne saurait tarder. L'infirmière ne s'éternisait pas davantage sur le sujet, peu désireuse de plomber l'ambiance. Elle préférait entendre des nouvelles venant de son ami et de son fils. "La concurrence sera rude." renchérit-elle avec un rire amusé. "Mais elle m'en parle vraiment beaucoup ces derniers temps." Julie esquissait l'un de ses adorables sourires lorsqu'Anwar lui assurait que ce serait tout à fait possible à organiser. Satisfaite, elle se concentrait pleinement sur son dessins pendant que son petit frère se levait dans le but d'aller chercher un jouet. Sans grande surprise, il s'était pris les pieds dans le tapis du salon pour tomber par terre. Lui-même était habitué à sa maladresse. Il se relevait, regardait ses mains, les frottait, puis reprenait sa course effréné vers la caisse en bois qui continuait ses jouets. Il prit un moment pour trouver un avion qu'il faisait voler en le tenant bien au-dessus de sa tête et en simulant le bruit du moteur. Non pas que Norah était une mère digne, mais elle devinait facilement si la chute était grave ou pas. Et elle était plutôt bien équipée. Elle avait piqué un peu de matériel à l'hôpital pour avoir sa propre petite pharmacie à la maison. Juste au cas où il y aurait de plus gros bobos à soigner. Souvent, le bisou magique suffisait à lui-même. "Et une fois qu'elle l'aura vu, je suis prête à parier qu'elle voudra aussi avoir des cours de danse." Norah connaissait suffisamment sa fille pour savoir que ça l'intéresserait. Elle ne serait pas contre que ses enfants aient une activité qu'ils apprécient pratiquer dans le quotidien, elle les encourageait avec plaisir tout en sachant qu'en terme de budget, ça s'annonçait un peu plus compliqué. Mais elle se sentait bien prête à faire quelques heures supplémentaires pour leur permettre ce plaisir là. "Tu étais certainement pareil à son âge." se permit-elle de dire après avoir bu une gorgée de son cocktail. "Je ferai moins la maligne quand ça sera leur tour." lui assura-t-elle, faisant référence à ses deux enfants. "Mais je suppose que c'est surtout l'impression de prendre un coup de vieux en voyant qu'il vole de ses propres ailes." Elle le taquinait gentiment. Si Frank avait été là, il aurait été le premier à lui faire la remarque, et de manière encore plus directe. Il ne se gênait pas pour ce genre de choses, mais c'était toujours avec un fond affectueux. "On devrait trouver une date où vous pourriez venir tous les deux. Julie et Aiden en seraient ravis, et moi aussi." Et ça ne sera qu'un prétexte comme un autre pour Anwar de passer un peu plus de temps avec son fils. Il semblait beaucoup lui manquer et mal vivre ce passage à l'âge adulte. Norah n'était pas certaine d'être bien mieux quand son tour viendra. "Je me demande bien dans quel état tu seras quand il aura la majorité internationale." ajouta-t-elle avec un léger rire. Elle se doutait qu'il allait s'en décomposer. S'en suivit un moment particulièrement silencieux. Un mutisme qui terminait typiquement par Norah qui reprenait la parole en disant "Il me manque." qu'Anwar ne connaissait que trop bien. Une phrase qui ne faisait que traduire le vide qu'elle ressentait toujours, même après tout ce temps. Il était toujours difficile pour elle de s'y résoudre, même de le réaliser parfois. A la longue, Norah culpabilisait de se répéter encore et encore à ce sujet. Mais le manque était là, le vide, encore plus. Elle regardait son alliance, qui n'avait toujours pas quitté son annulaire gauche, avant de boire une gorgée de sa boisson alcoolisée. Elle regardait les enfant qui s'éloignaient pour aller jouer ensemble, un peu plus loin, près des escaliers qui menaient à l'étage. "On s'était encore un peu pris la tête, quelques jours avant cette mission là. Je râlais pour la même chose, et lui n'aimait pas que je fasse des nuits." Son regard se perdait dans le vide. Norah n'avait jamais parlé de cette dispute là à Anwar. Il savait bien que tout n'était pas rose dans leur couple et que l'intensité de leur sentiment faisait qu'aucun des deux n'avait envie qu'ils prennent des risques. Frank, en étant sur le terrain et Norah, en mettant son organisme à rude épreuve en alternant le rythme jour-nuit. C'était tendu, mais toujours sur un fond d'amour sincère. "J'ai horreur d'avoir des regrets, mais c'est impossible de s'en défaire. Déménager ne m'a fait que du bien. Mais il y a toujours des jours avec, et des jours sans. Et c'est vraiment stupide de dire, mais il y a des moments où j'ai vraiment l'impression de ressentir sa présence. Ca n'est rassurant que pendant un millième de secondes. Tout de suite, il y a cette réalité que je me prends en pleine face et qui me rappelle que non, il n'est plus là." Ses enfants géraient bien mieux. Bien sûr, Norah devait de temps en temps répondre à leurs questions, parfois difficiles à entendre. Comme Anwar l'avait dit avant, ils s'adaptaient plus vite. "Avant le déménagement, Caelan m'a suggérée peut-être de sortir, de rencontrer quelqu'un. Je pense pas que son objectif soit de me caser avec quelqu'un rapidement, ça part d'un bon sentiment. Tu le connais." Caelan avait beau avoir un tempérament très différent de sa soeur jumelle, il ne souhait que son bonheur et tentait désespérément de trouver des solutions. Il avait été l'un des premiers à l'encourager et à la soutenir dans ses projets de déménagement. Et il savait que lui avait le droit d'aborder des sujets plus sensibles, de les aborder, sans que sa soeur ne se sente obligée de quoi que ce soit. Il servait de pont entre elle et le reste de ses frères, qu'il tenait régulièrement informé de l'état de la figure féminine de la fratrie. "Mais je ne me vois pas... Ca me donne l'impression de le tromper." Elle haussait les épaules et lâcha un long soupir. "Ca fait plus de deux ans que tu m'entends toujours dire la même chose. Tu dois t'en lasser, à force." finit-elle par dire avec un sourire nerveux, tentant presque désespérément d'alléger un peu une atmosphère qu'elle avait alourdie par ses propres mots.
Dernière édition par Norah Lindley le Mer 1 Mai 2019 - 6:33, édité 1 fois |
| | | | (#)Mer 1 Mai 2019 - 6:12 | |
| Une infime partie de la crispation qui tenait toute la carrure d’Anwar s’était apaisée à l’instant où il avait pris la place dans le canapé de Norah, dans un salon qui ne lui était pourtant pas encore familier, pour n’avoir eu que trop peu d’occasions d’y passer du temps depuis l’emménagement de l’infirmière et de ses deux enfants. Il y avait encore tout à faire dans cette maison pour la jeune femme, à commencer par se l’approprier, et si Julie et Aidan semblaient déjà en passe d’y parvenir, elle admettait sans détour ne pas avoir leur aisance en la matière « Ils s'y font bien plus rapidement que moi, en tout cas. » Mais quoi de plus normal, au fond, à un âge où l’on était encore si malléable, si prompt au changement et à l’adaptation. « J'ai peur qu'ils me le reprochent un jour, quand ils seront plus grands. » avait-elle alors avoué d’un air pensif, le regard glissant sur le frère et la sœur « Que quand ils seront ados, ils me reprochent de ne pas avoir conservé telle ou telle chose qui lui avait appartenu. » Mais Anwar en doutait, certain même si cela leur fendait le cœur que les deux enfants étaient encore à un âge où l’absence de leur père deviendrait rapidement une norme à laquelle ils se feraient, une fatalité dont leur mère souffrirait toujours plus qu’eux, parce qu’elle possédait plus de souvenirs de Frank qu’eux deux réunis. « Le jour où ils auront des questions à propos de leur père ils n’auront pas besoin d’un vieux tee-shirt ou d’un vinyle. Ce qu’ils voudront c’est que tu leur parles de lui. » Et pour cela elle n’aurait besoin de rien de plus que de sa mémoire – c’était plus précieux que n’importe quel objet auquel pouvait être attachée une valeur sentimentale. Soucieuse de ne pas alourdir l’ambiance, néanmoins, Norah avait fait tourner son verre entre ses doigts un court instant et préféré demander des nouvelles de Tarek, passant pour cela par le biais des réclamations de son aînée à ce sujet. « La concurrence sera rude. » s’en était-elle d’ailleurs amusé tandis qu’Anwar faisait mine de se sentir concurrencé dans sa place de fan numéro un. « Mais elle m'en parle vraiment beaucoup ces derniers temps. Et une fois qu'elle l'aura vu, je suis prête à parier qu'elle voudra aussi avoir des cours de danse. » La conversation un court instant suspendue par la chute d’Aidan près de son coffre à jouets, ils en avaient repris le fil lorsque le bambin avait repris ses activités sans sembler s’y être attardé. D’avoir mentionné Tarek rappelait à Anwar le peu de temps que son fils avait désormais à lui consacrer – il ne lui en voulait pas, il devenait un adulte, mais le temps qui filait si vite avait pour le policier une saveur douce-amère. « Tu étais certainement pareil à son âge. » avait de son côté fait remarquer Norah avait une pointe d’amusement, avant d’admettre « Je ferai moins la maligne quand ça sera leur tour. Mais je suppose que c'est surtout l'impression de prendre un coup de vieux en voyant qu'il vole de ses propres ailes. » Il ne pouvait pas nier que son propre coup de vieux participait sans doute à ce sentiment de nostalgie, mais ne manquant pas de rappeler « À son âge, je changeais déjà des couches. » le brun avait marqué une brève pause puis repris aussitôt « Mais s’il pouvait m’épargner cette étape-là pendant encore quelques années, c’est un coup de vieux dont je ne suis pas certain de me remettre. » Lui, grand-père ? Alors qu’il n’avait même pas encore quarante ans ? Impossible. Inenvisageable. Mais semblant s’en amuser Norah avait fini par proposer « On devrait trouver une date où vous pourriez venir tous les deux. Julie et Aidan en seraient ravis, et moi aussi. » et à cela il ne pouvait qu’acquiescer, quand bien même il n’avait aucune idée de quand un tel alignement des emplois du temps de chacun serait possible. « Je me demande bien dans quel état tu seras quand il aura la majorité internationale. » S’autorisant une longue gorgée de bière, le policier avait laissé échapper un sourire songeur, et rétorqué avec cet air faussement sérieux « Je serai toujours jeune et fringuant, pinky swear. » même si l’un et l’autre savaient déjà qu’il n’en serait rien : Anwar ne serait plus nostalgique encore qu’il ne l’était à cet instant, mais avec peut-être, qui sait, quelques cheveux blancs ayant finalement décidé de faire leur apparition. Semblant elle aussi passer du coq à l'âne, la légèreté de la conversation paraissait s’être évanouie à mesure que les secondes de silence s’étaient égrenées, les deux adultes se perdant un instant chacun dans leurs propres pensées et buvant en silence. Jusqu’à ce que, la voix tremblante, Norah n’avoue dans un murmure « Il me manque. » ses doigts fins allant chercher le contact de l’alliance qu’elle n’avait jamais retiré – là où Anwar, lui, n’avait jamais porté la sienne. À lui aussi, Frank lui manquait. Comme manquait un ami à qui on n’aurait pas tout dit, et dont les conseils manquaient eux aussi parfois cruellement, désormais. « On s'était encore un peu pris la tête, quelques jours avant cette mission-là. Je râlais pour la même chose, et lui n'aimait pas que je fasse des nuits. » Le policier savait. Parce qu’à passer autant de temps avec un équipier on finissait par lire en lui comme dans un livre ouvert, et que Frank ne cherchait plus à cacher ce qui le tracassait. Parce que ce soir d’Halloween il aurait dû le passer avec ses enfants et non pas à patrouiller comme un bleu ; Mais à soirée tendue effectifs en conséquences, des conséquences au bout du compte bien plus lourdes et indigestes qu’elles n’auraient dû l’être. « J'ai horreur d'avoir des regrets, mais c'est impossible de s'en défaire. Déménager ne m'a fait que du bien. Mais il y a toujours des jours avec, et des jours sans. Et c'est vraiment stupide de dire, mais il y a des moments où j'ai vraiment l'impression de ressentir sa présence. Ça n'est rassurant que pendant un millième de secondes. Tout de suite, il y a cette réalité que je me prends en pleine face et qui me rappelle que non, il n'est plus là. » Les confessions de la jeune femme lui serrant le cœur, le brun avait resserré ses doigts autour de sa bouteille de bière et fixé d’un air absent un point entre le canapé et la table basse. « C’est pas stupide … » s’était-il néanmoins entendu assurer à Norah d’un ton doux, les yeux remontant finalement vers la silhouette occupée des enfants, fomentant Dieu sait quel plan de nouveau jeu après s’être lassé de l’atelier coloriage comme on se lassait de tout à cet âge. « Avant le déménagement, Caedan m'a suggérée peut-être de sortir, de rencontrer quelqu'un. Je pense pas que son objectif soit de me caser avec quelqu'un rapidement, ça part d'un bon sentiment. Tu le connais. Mais je ne me vois pas … Ça me donne l’impression de le tromper. » Compatissant, faute d’avoir quelque chose d’intelligent à commenter à ce sujet, Anwar s’était contenté d’un sourire compréhensif auquel l’infirmière avait répondu par un haussement d’épaules et un soupir désolé « Ça fait plus de deux ans que tu m'entends toujours dire la même chose. Tu dois t'en lasser, à force. » Secouant alors la tête Anwar avait légèrement froncé les sourcils au moment d’assurer « Norah, je serai toujours là si tu as besoin de parler, tu sais bien. » Et pas simplement parce qu’il s’en sentait le devoir envers Frank, ou parce qu’il était le parrain d’Aidan. Et quand bien même il avait conscience de ne pas s’être rendu suffisamment disponible ces derniers temps. « Et je pense que ton frère s’inquiète seulement pour toi … De te savoir toute seule, à gérer deux enfants et ton boulot … » Anwar lui-même se demandait comment elle parvenait à tout gérer correctement, tant il se souvenait de ses propres galères durant les absences de Madame, et ce alors qu’ils n’avaient qu’un seul enfant. « Il serait fier de toi, tu sais. Frank. » Sa gorge s’était serrée, mais le brun s’était forcé à planter solidement son regard dans celui de la jeune femme. Mais c’est vrai, Frank serait fier d’elle et de la manière dont elle parvenait à gérer les choses, à faire face. Plus, bien plus qu’il ne serait fier des pitoyables tentatives de son équipier pour désembourber l’enquête supposée envoyer moisir au fond d’une cellule celui par qui le drame était arrivé, peu importe les méthodes – et Dieu sait qu’elles étaient mauvaises, sa conscience alourdie par sa dernière entrevue avec le grand méchant loup.
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| | | | (#)Dim 5 Mai 2019 - 13:08 | |
| SOMEWHERE ALONG IN THE BITTERNESS and i would have stayed up with you all night, had I known how to save a life | |
La personne à vivre le plus difficilement le déménagement était sans conteste l'une des principales intéressées. Bien que convaincue que c'était la meilleure chose à faire, Norah avait encore parfois quelques doutes alors que tout son entourage l'avait soutenu dans cet étape qu'il savait fatidique pour elle. Anwar avait toujours été particulièrement présent. La jeune femme se doutait bien qu'une grande partie de lui devait être envahi d'une culpabilité dont il n'arriverait certainement jamais à se défaire, et qu'il traînait difficilement depuis cette nuit-là. Mais ce n'était pas que cela qui l'animait et qui le motivait à être plus présent pour Norah et ses enfants. Au fil des années, à force de barbecue et de moments passés ensemble à la plage ou au parc, l'infirmière et l'inspecteur s'étaient d'une profonde et sincère amitié, par le biais d'un dénominateur commun qui n'était désormais plus de ce monde. Ils se soutenaient, ils avaient besoin de l'un l'autre. Norah l'admettait, bien qu'elle se sentait capable de le solliciter autant que ça, pour l'écouter parler encore et toujours de Frank d'à quel point il pouvait lui manquer. Anwar en souffrait lui aussi, comme toute la brigade qui l'avait côtoyé pendant toutes ces années. Norah avait pu constater depuis le décès de son époux l'intensité du patriotisme qui régnait dans les rangs des policiers. Certains ne cachaient pas la haine viscérale et l'envie de vengeance rien qu'en croisant la veuve d'un ancien collègue tombé sur le terrain. Anwar ne semblait pas être de ceux-là, du moins, de ce que Norah avait pu en constater depuis ces dernières années. Lui était convaincu que la mémoire de son binôme devait avant tout passer par les souvenirs et non par les objets qui avaient pu lui appartenir. Les yeux de Norah se relevaient vers lui, humides. "Ca aussi, ce sera difficile." admit-elle d'une voix tremblante. Elle savait déjà que ces moments là allaient très certainement finir en larmes pour elles. Parler des beaux souvenirs ne fera que lui rappeler combien il pouvait lui manquer, les mauvais, lui faire ressentir bien trop de regrets et de culpabilité. Au lieu de se noyer dans de nouveaux remords, l'infirmière préférait parler d'autre chose, et désirait avant tout prendre des nouvelles du fils d'Anwar, qu'elle n'avait plus vu depuis un petit moment déjà. Il grandissait un peu trop vite aux yeux d'Anwar. Il était vrai qu'à l'âge de Tarek, son père menait déjà une toute autre vie que la sienne. "Vu comme il est lancé dans ses projets, je pense que tu peux être tranquille pendant quelques temps encore." nota Norah. L'adolescent semblait être pleinement épanoui dans la filière dans laquelle il s'était lancé et la danse n'était pas vraiment un domaine où l'on pouvait s'accorder le temps et l'énergie de fonder une famille pendant les premières années du cursus. Elle taquinait encore un petit peu Anwar par rapport au jour où Tarek aura franchi le cap des vint-et-un ans. "Tu le seras toujours." approuva-t-elle, en toute honnêteté, ayant fait évanouir le ton plaisantin au fil de ce bref changement de sujet. Car la présence d'Anwar était pour elle comme un indicateur, un signal pour lui dire qu'elle pouvait un peu lâcher prise, décompresser. Le même sujet revenait à chaque fois. Certaines phrases revenaient plus fréquemment que d'autres et ce n'était pas le genre d'échanges qu'elle voulait avoir avec ses enfants. Elle était là pour eux et eux ne devait pas servir de pilier ou d'un quelconque souffre-douleur pour leur mère. Elle refusait catégoriquement de leur infliger, ce qui lui demandait quand même une certaine énergie. De plus, elle ne parlait pas de son propre chagrin à n'importe qui et elle n'était pas du genre à emmener ses problèmes personnels avec elle au boulot. Norah en avait beaucoup sur le coeur et les années n'effaçaient en rien ses regrets. Elle s'énervait aussi parfois toute seule, à être incapable de gérer son propre deuil, alors qu'elle en rencontrait tous les jours au boulot. Le sien était long, semé d'embûches, interminable. "Tu n'es pas que là pour ça, pour m'écouter." finit-elle par lui dire, alors qu'Anwar venait de lui assurer qu'il pouvait compter sur elle. "Et je veux pas être celle qui abuse de ton écoute alors que tu as d'autres choses à gérer, parce que je sais que c'est toujours dur pour toi aussi." Norah avait l'impression d'être très égoïste. Ce n'était vrai, et elle ne s'en persuadait pas non plus. C'était juste une sensation, bien désagréable d'ailleurs. Elle but une gorgée de vin dans l'espoir de détendre sa gorge déjà bien serrée. Anwar comprenait les intentions de Caelan, le tout partait d'un bon sentiment. Mais il semblerait que le brun fasse transparaître aussi son ressenti vis-à-vis de la situation de son amie. Lui non plus, n'était pas très serein à l'idée de savoir que Norah gérait toute seule sa propre famille depuis plus de deux ans. "J'ai pas vraiment le choix. La vie continue, les enfants continuent de grandir." Elle haussait les épaules. Elle n'avait pas vraiment eu le temps de faire une pause, de souffler. Il y avait toujours quelque chose à faire. "Et d'un autre côté, je sais que c'est aussi ce qui me permet de tenir. Mais je ne serai pas contre un petit break." La pitié des autres n'avait aucune utilité pour elle et cela n'avait rien d'encourageant. Harponnant le regard de son amie, Anwar prononçait des mots qui la touchaient profondément. Il avait juste à prononcer son prénom pour qu'elle ressente un frisson qui faisait légèrement raidir sa colonne vertébrale. Ses yeux clairs s'humidifièrent davantage pendant que ses lèvres se pinçaient. Le policier connaissait son binôme mieux que personne. Il pouvait anticiper ses gestes, comprendre sa façon de penser, savoir, à force, comment il se sentirait vis-à-vis d'une situation donnée. Il était le mieux placé pour savoir ce qu'il penserait de Norah s'il la voyait dans la situation actuelle. "S'il me voyait, il me dirait de ne pas autant me raccrocher aux obligations de tous les jours." Des journées planifiées et dictées par l'école, par l'hôpital, par les heures de repas. Il n'y avait pas tant de marges que ça pour se laisser surprendre, et profiter des temps libres. Norah ne voulait pas vraiment s'en accorder, si ce n'est pour faire des activités avec ses petits. Une larme s'échappa de sa paupière. Elle l'essuya rapidement avec le revers de sa main. La plupart du temps, elle attendait de se retrouver seule pour extérioriser son chagrin. Ce n'était pas quelque chose qu'elle voulait montrer aux autres, mais Anwar faisait partie de ces rares exceptions à la règle. "Il adorait notre quotidien, nos habitudes tout autant que ces petites choses qui rendait une journée différente d'une autre." Ne serait-ce que rentrer avec Anwar à la maison pour qu'il vienne manger, ou d'allumer un brasero sur la terrasse le soir une fois les petits au lit. Frank et Norah avaient pour principal point commun leur force tranquille. Si ce n'est que le policier avait un esprit particulièrement vif. Il était très observateur, réfléchi, calculateur. Et même s'il était profondément attaché à son métier, il avait bien horreur des querelles avec son épouse. Elles ne duraient pas bien longtemps. Lorsque certaines de ses missions jouaient les prolongations, il rentrait principalement au beau milieu de la nuit et aimait se blottir contre Norah après un baiser déposé sur son épaule, en guise de pardon. Elle avait toujours été là pour l'accueillir dans ses bras, pour prendre soin de lui après une journée lourde en charge mentale. C'était un métier dont on ne sortait pas indemne, physiquement ou psychiquement. "Ces derniers temps, j'arrête pas de me dire que si je ne lui avais pas pris la tête quelques jours avant, même si nous nous étions bien réconciliés depuis, il aurait peut-être été plus concentré et ça ne se serait pas passé comme ça. Ou que je n'aurais pas du lui faire comprendre combien j'étais contrariée qu'il parte au dernier moment, je..." Elle hoqueta discrètement. Ils n'en avaient jamais vraiment parlé. L'une des règles d'or était de ne pas trop ramener le travail à la maison. Les sujets n'étaient pas joyeux, les situations, difficiles. "Je veux pas croire que c'était écrit comme ça, que l'univers, le Destin, qu'importe et je m'en fiche, ait prévu ça comme fin pour lui. Pas lui, pas comme ça, pas quand on avait des projets d'agrandir la famille, pas quand..." Elle plaça une main devant sa bouche, perturbée de se sentir autant perdre pied. Pendant qu'elle étouffait ses sanglots, elle s'efforçait de se ressaisir, mais sur le moment, elle s'en sentait incapable. "Comment tu le vis, toi ?" finit-elle par demander à son ami. Ils étaient aussi extrêmement proches. Il avait du changer d'unité au travail, mais comment traversait-il cette épreuve ? Norah se doutait bien que la perte si brutale d'un partenaire devait être compliqué à vivre, à gérer. "Si ce n'est de te dire que l'une des dernières choses qu'il a du te partager avec toi était un de mes énièmes états d'âme." Norah faisait là une tentative désespérée d'alléger l'atmosphère, mais elle se devait d'admettre que cette culpabilité là la rongeait aussi. Qu'il devait supporter les contrariétés de Frank (quoi qu'il était plutôt discret en la matière. Il pouvait un peu soupirer, serrer la mâchoire pendant que son esprit fusait, mais il n'allait jamais hurler à ce sujet ni reporter son agacement sur quelqu'un d'autre, il savait très bien faire la part des choses et aussi comprendre le comportement de son épouse) à cause d'elle. Il s'agissait là de sujets difficiles à aborder et dont ils avaient évité de verbaliser car cela aurait été une épreuve pour eux. C'était un sujet sensible qu'il ne fallait pas évoquer au vue de la fragilité de leur santé mentale à ce moment là. Mais Norah pensait qu'il était peut-être temps de verbaliser tout ceci, que ça leur ferait peut-être du bien de partager d'une autre manière leur peine, pendant que les enfants s'étaient mis en tête d'aller à l'étage afin de faire une cabane avec couvertures, draps et oreillers etqu'ils comptaient bien faire visiter aux grands une fois leur oeuvre architecturale terminée.
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| | | | (#)Lun 10 Juin 2019 - 15:51 | |
| Les semaines, les mois étaient passés, bientôt les années, mais Norah ne semblait pas se délester du profond sentiment de solitude que laissait transparaître son regard chaque fois qu’elle n’y prenait plus garde, ou se laissait submerger par l’émotion d’un souvenir. Anwar – ni personne, vraiment – ne l’en blâmait pas, bien sûr, mais il comprenait aisément quels questionnements pouvaient habiter le frère de la jeune femme, et d’où venait cette envie qu’il avait de la voir s’ouvrir à la possibilité d’une nouvelle relation. L’infirmière tenait bon pour ses enfants, tous en avaient conscience et admiraient le cœur et l’énergie qu’elle y mettait … Mais il ne semblait plus y avoir chez elle la moindre volonté d’être autre chose que cela, quelque chose de plus qu’une mère de famille résiliente. Moins catégorique, et surtout moins à sa place que le frère de Norah dans le fait d’avoir un quelconque avis à donner à ce sujet, Anwar se contentait quant à lui d’être l’oreille attentive dont l’infirmière pouvait avoir besoin, rattrapant ainsi comme il le pouvait le peu de facilité qu’il avait à manier les mots. « Tu n'es pas que là pour ça, pour m'écouter. » avait-elle pourtant tenté de lui faire entendre à ce sujet lorsqu’il l’avait évoqué, la voix semblant s’excuser dans le ton sans besoin de le faire dans les faits. « Et je veux pas être celle qui abuse de ton écoute alors que tu as d'autres choses à gérer, parce que je sais que c'est toujours dur pour toi aussi. » Mais comme à chaque fois qu’il était question de son ressenti à lui sur la situation, Anwar avait maladroitement ravalé tout ce qui pourrait laisser transparaitre le flot de tristesse, de culpabilité et de ressentiment qui bouillonnaient en lui depuis plus de deux ans, désormais. Contre toute attente, il stagnait peut-être même plus que Norah vis-à-vis de son acceptation de la situation. « J'ai pas vraiment le choix. La vie continue, les enfants continuent de grandir. » s’en était-elle d’ailleurs justifiée, avant d’admettre malgré tout « Et d'un autre côté, je sais que c'est aussi ce qui me permet de tenir. Mais je ne serai pas contre un petit break. » ne faisant ainsi qu’enfoncer une porte ouverte : bien sûr qu’elle avait besoin d’un break. Et ce n’était pas faute que tous ses frères, Anwar, et probablement même une partie de son entourage professionnel lui aient déjà suggéré des dizaines de fois de le faire. « Alors fais-le. » Le ton doux, il avait planté son regard dans celui de Norah avec sérieux. « Prends quelques jours pour toi, pour te reposer ou changer d’air. Tu sais bien que Caelan et moi on s’occupera des petits avec plaisir. » Mais elle connaissait le refrain, au fond. Ce n’était ni la première fois – ni probablement la dernière – que son frère ou lui offraient de jouer les baby-sitters pour lui permettre de s’accorder un peu de temps pour elle ; Ils n’insistaient pas, mais se désespéraient un peu qu’elle s’entête à refuser quand aucun d’eux n’ignorait qu’elle en avait besoin. Mais Norah à nouveau semblait s’être perdue dans ses pensées, son inconscient semblant presque l’y autoriser dès l’instant où sa progéniture n’était plus à proximité directe, comme pour éviter qu’ils en soient témoins. « S'il me voyait, il me dirait de ne pas autant me raccrocher aux obligations de tous les jours. Il adorait notre quotidien, nos habitudes tout autant que ces petites choses qui rendait une journée différente d'une autre. » Parce qu’il sentait ce besoin pour elle de laisser ses mots glisser à l’allure où vagabondaient ses pensées, Anwar s’était gardé de toute remarque ou de tout commentaire pour étayer les propos de Norah. Il aurait pu lui dire pourtant que c’était en ça que l’on voyait la sincérité de l’amour qu’ils avaient eu l’un pour l’autre : dans ces petits détails triviaux mais qui participaient à la solidité et à la complicité d’une relation. Le genre de détails que les absences répétées de la mère de Tarek leur avait toujours empêché de tisser Anwar et elle ; Si tant est qu’ils l’aient voulu, et rien n’était moins sûr. Frank et Norah s’aimaient, n’importe qui les ayant un jour vu ensemble aurait pu l’assurer sans l’ombre d’un doute. Mais de doute, pourtant, la jeune femme semblait à nouveau prise tandis qu’elle se laissait à nouveau aller à la culpabilité – sentiment qu’Anwar ne connaissait lui aussi que trop bien. « Ces derniers temps, j'arrête pas de me dire que si je ne lui avais pas pris la tête quelques jours avant, même si nous nous étions bien réconciliés depuis, il aurait peut-être été plus concentré et ça ne se serait pas passé comme ça. Ou que je n'aurais pas dû lui faire comprendre combien j'étais contrariée qu'il parte au dernier moment, je ... » Les mots restant coincés dans sa gorge, elle avait difficilement repris « Je veux pas croire que c'était écrit comme ça, que l'univers, le Destin, qu'importe et je m'en fiche, ait prévu ça comme fin pour lui. Pas lui, pas comme ça, pas quand on avait des projets d'agrandir la famille, pas quand ... » La main allant se plaquer sur sa bouche comme si elle espérait ainsi empêcher les sanglots de lui échapper, l’infirmière s’était seulement fendue d’un petit reniflement en retenant ses larmes avec un succès relatif. Maladroitement, la main d’Anwar était venue se poser contre l’autre de Norah, ses propres yeux brillant aussi d’une tristesse qu’il n’avait jamais été capable de verbaliser. Pas même lorsque la jeune femme avait demandé « Comment tu le vis, toi ? Si ce n'est de te dire que l'une des dernières choses qu'il a dû te partager avec toi était un de mes énièmes états d'âme. » Et il le vivait mal, bien sûr. Il le vivait mal mais n’avait jamais su trouver les mots selon lui les plus à même de décrire ce dans quoi la perte de Frank l’avait réellement plongé. La mort il l’avait beaucoup côtoyée durant les années passées à la brigade des stupéfiants, et il la côtoyait encore plus maintenant qu’il travaillait aux homicides. La mort, elle n’était jamais bien loin dans les couloirs d’un poste de police, et tous ceux qui possédaient un badge savaient qu’elle frappait n’importe quand, et n’importe qui. La mort, il avait même un temps cru l’avoir apprivoisée au fil du temps et des absences de son épouse, persuadé que de se préparer au pire – au fait qu’un jour, elle ne rentre pas – lui permettrait de mieux gérer l’ingérable le moment venu. Mais on n’apprivoisait pas la mort, et celle de Frank encore moins. « Je dormirai mieux quand le responsable sera derrière les barreaux. » qu’il avait alors simplement répondu la gorge serrée, et le cou semblant rentrer légèrement dans ses épaules avec malaise. Et s’il s’était un temps demandé jusqu’où il serait prêt à aller pour que l’assassin croupisse dans une cellule de prison, à la lueur de ses récents contacts avec Mitchell Strange la réponse semblait désormais évidente : jusqu’au bout, et à n’importe quel prix. « Et c’était les Skittles. » Passant sans prévenir du coq à l’âne, et voyant l’incompréhension sur le visage de Norah, il avait repris « Notre dernière conversation. Il voulait me convaincre que les meilleurs Skittles étaient les verts, alors que tout le monde sait bien que ce sont les rouges. Tout ce que je dis c’est que les gens qui préfèrent les rouges sont les mêmes qui commandent un Cosmo plutôt qu’un Whisky, c’est le dernier truc qu’il m’a dit avant qu’on descende de voiture. » Et ça semblait tellement stupide, dit comme ça. Assez pour qu’il n’en ait jamais parlé jusqu’à aujourd’hui, comme d’un détail trivial qui n’avait pas sa place au milieu du drame que représentait le reste de la situation. Anwar n’avait plus mangé un seul Skittle vert, depuis ce jour-là. Comme un petit bout de deuil qu’il refusait d’avaler, parce que sous l’enrobage sucré l’amertume était trop forte. Oubliant un instant presque où il était, perdu dans ses pensées, le brun avait secoué la tête et était redescendu sur terre. « Il était pas moins prudent ou moins concentré qu’un autre jour. C’était une patrouille de routine, y’avait pas de raison de s’inquiéter d’autre chose que de la météo, c’était … » Ne sachant même pas comment terminer sa phrase, le policier s’était fendu d’un soupir et avait haussé doucement les épaules. Il avait rejoué cette soirée en boucle dans sa tête des milliers de fois, repensé aux moindres détails – y compris ceux que personne en dehors de l’enquête, pas même Norah, ne connaissaient – envisagé tous les « Et si » possibles … Mais rien, absolument rien n’aurait pu justifier qu’ils ne se trouvent pas dans ce quartier imposé dans la répartition des districts imposée par le chef de police en ce soir d’Halloween, qu’ils ne reçoivent pas ce message radio, qu’ils ne se rendent pas devant cette épicerie et qu’ils ne tombent pas nez à nez avec ce type de l’autre côté de la caisse. « Ça aurait pu être moi. » Ça aurait dû être moi, voilà ce qui lui avait traversé l’esprit au même instant, alors que la phrase lui avait échappé d’une voix étouffée. Et du hasard de s’être tenu à la gauche de Frank plutôt qu’à sa droite, distribuant ainsi sans le savoir le rôle de la cible désignée, Anwar ne cesserait jamais de se sentir coupable. Là-dessus, il avait terminé d’une traite ce qu’il lui restait de sa bière, le regard évitant soigneusement celui de l’infirmière.
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| | | | (#)Sam 15 Juin 2019 - 10:00 | |
| SOMEWHERE ALONG IN THE BITTERNESS and i would have stayed up with you all night, had I known how to save a life | |
C'était pourtant si simple. Norah n'avait à dire que quelques mots pour qu'on lui octroie le temps qu'elle disait avoir besoin pour elle. Elle n'avait pas à insister, ni à prier, ni à supplier qui que ce soit. Anwar, Caelan, et peut-être même ses autres frères, trouveraient un moyen pour garder les petits et permettre à la veuve de prendre une bouffée d'air. C'était ce que son ami lui incitait en toute spontanéité alors qu'elle venait à peine de prononcer à haute voix ce souhait qu'elle ne pensait jamais verbaliser un jour. C'était à ses yeux une marque de faiblesse avant tout, elle ne se sentait pas vraiment en droit de s'accorder une pause, de refiler comme ça ses enfants sur un coup de tête, juste parce qu'elle se sentait épuisée moralement et physiquement. Se pinçant discrètement les lèvres, ses yeux restaient ancrés dans ceux d'Anwar. Il ne disait pas cela à la légère. Peut-être parce qu'il avait cerné un semblant de détresse dans sa voix, et qu'il ne voulait pas la voir perdre pied. Pas après tant d'années, pas après tant d'efforts. "Le truc, c'est que... Je suis pas certaine ce que je ferai, du temps libre là." Jusque là, Norah avait quelques heures de libre certains jours. Malgré les tâches ménagères qu'elle devait faire, elle trouvait le temps pour une petite marche, pour pâtisser ou regarder un peu la télévision. Mais plusieurs jours sans les enfants ? Cette perspective devenait alors plus effrayante qu'autre chose. "Je sais pas si je devrais plutôt partir un peu en dehors de la ville, ou rester là pour..." Elle regardait vaguement autour d'elle, en quête d'idées et d'inspiration. "Autant j'adorerais avoir un moment calme, autant j'ai vraiment peur de ce que ça pourrait donner, de me retrouver sans les enfants après tout ce temps." Norah craignait de vivre la pire des solitudes, de laisser resurgir des émotions et des remords qu'elle avait réussi à contenir depuis cette triste soirée. Et bien qu'au fond, ça ne pourrait que lui faire du bien, elle se refusait de le vivre. D'accepter le fait qu'elle n'allait pas si bien que ça. Toujours bien accrochée son indépendance, celui lui fendait presque le coeur d'admettre. "Je suis pas sûre d'avoir envie d'être totalement seule, sans rien sur le feu." Du moins, pas pendant le temps qu'Anwar et Caelan voudront bien lui accorder en gardant ses progénitures. "Tu serais dispo ? ... Si je prends ces quelques jours, je veux dire." finit-elle par demander après un long moment d'hésitation. "Pour... Je sais pas." Elle haussait les épaules et lâchait un soupir, désolée de ne pas donner d'exemples concret pour l'aiguiller. Mais n'importe quelle activité lui conviendrait, à vrai dire. Même si ce n'était qu'aller boire un café sur une terrasse en ville pendant une heure ou aller se baigner à la plage. Tout ce qui serait bon pour la faire sortir de ces quatre murs et de son quotidien pour qu'elle se rende compte qu'elle aussi, elle pouvait continuer à vivre presque comme les autres. "Ou si t'occuper de ton filleul ne te draine trop d'énergie, je peux toujours demander à Caelan, pour..." Cette pointe de plaisanterie ne l'avait pas non plus aidé à trouver une idée, mais au moins, un léger sourire avait réussi à fendre son visage pendant une demi-seconde. Parce qu'il fallait le suivre, Aidan. Anwar le savait très bien – et d'ailleurs l'infirmière était bien curieuse de voir comment il allait se débrouiller en l'ayant en charge pendant plusieurs jours. Il était père, certes, mais elle doutait que Tarek ait pu être aussi maladroit qu'Aidan à son âge. Une fois que celui-ci s'était éloigné des adultes, Norah s'accordait de lâcher un peu de leste sur son attitude. Ses épaules étaient un peu plus basses, le regard plus vite. La dernière chose qu'elle voulait était de montrer à ses enfants à quel point elle pouvait être triste, et se sentir seule. Cela finirait par les affecter à un moment ou à un autre, perturbant leur croissance et leur éducation. Elle ne voulait pas que cela finisse par devenir un poids et que les rôles s'inversent à terme. Ce n'était pas leur rôle, ce n'était pas à eux de porter et supporter sa souffrance. Des tourments qu'elle laissait un tant soit peu se montrer en présence d'Anwar. Il avait toujours été un homme de peu de mots : il n'avait par exemple pas eu besoin de dire quoi que ce soit lorsqu'il avait la difficile épreuve d'annoncer la disparition de son coéquipier à son épouse. L'inspecteur préféra placer sa main sur celle de son amie. Norah la serra spontanément quand elle sentit son contact et elle la garda ensuite précieusement entre ses doigts. Bien que c'était ce qu'il y avait de plus réconfortant, elle ne put s’empêcher de verse une nouvelle larme, bien malgré elle. L'infirmière avait eu ce soudain besoin de savoir. Car dans l'histoire, elle n'était pas la seule à en souffrir. Norah savait que le brun en pâtissait tout autant, il le partageait juste moins. Il devait pourtant en avoir besoin, de l'exprimer d'une manière ou d'une autre. Il avait vu la mort faucher une âme avec qui il avait tissé un lien indéfectible, sans pouvoir faire quoi ce soit que le regarder partir sans pouvoir le sauver, et sans avoir pu mettre la main sur son assassin. Et il l'admettait à haute voix, qu'il se porterait bien que lorsque justice sera faite. "Tu le retrouveras. Je le sais." lui souffla-t-elle tout bas. Elle ne ressentait pas nécessairement ce besoin-là. Ca ne ferait pas ramener Frank. En guise de soutien, elle lui serrait un peu plus la main, son regard encore bien humide restant tourné vers lui. Avec ses doigts libres, elle se permit de boire une gorgée de sa boisson alcoolisée afin de se désaltérer et d'apaiser sa bouche qu'elle jugeait trop sèche. Ce fut durant ce moment de distraction que le brun revenait sur une question que Norah avait posé plus tôt durant leur conversation. Elle releva la tête en sa direction d'un air véritablement perplexe et interrogatif. Leur dernière conversation avait été si simple, peut-être qu'il en était bien mieux ainsi, que c'était la meilleure chose qui ait pu se produire. Si on peut véritablement qualifier cela de meilleur. Plutôt ce qu'il y avait de moins pire. Cette anecdote fit à nouveau border ses yeux de larmes, pendant qu'elle se pinçait à nouveau ses lèvres, en penchant sa tête légèrement sur le côté. C'était du Frank tout craché. "Tu n'aurais jamais réussi à le faire changer d'avis là-dessus." lui dit-elle d'une voix tremblante, la gorge serrée. "Pour les quelques fois où j'en achetais, il n'en restait aucun une fois qu'il était passé par là." Norah l'observait à son tour, alors qu'il était plongé dans ses propres pensées. Les rôles s'inversaient un petit peu. C'était un petit peu étrange, d'aborder de telles sujets de conversations après tant de temps, tant d'attente pour que ce soit supportable. Pourtant, ils étaient encore tous les deux hésitants, tentant de se protéger d'une douleur impossible à décrire. Qu'Anwar évoque la possibilité qu'il aurait très bien pu être à la place de Frank brisait le coeur de l'infirmière. Et elle avait rapidement compris ce qu'il pensait réellement par le biais de cette phrase. "Anwar..." souffla-t-elle doucement, ancrant son regard dans le sien avant qu'il ne lui échappe. Elle le fixait longuement. "Tu es toujours là, et c'est ce qui compte." Il était aussi un père, il avait aussi une famille. Il n'y aurait pas eu plus de justice s'il avait été la victime. Il y aurait autant de peine, autant de larmes, il y aura aussi un enfant orphelin de père. Si on le lui demanderait, Norah n'accepterait pas d'échange. Plutôt l'un que l'autre. Elle n'avait pas à choisir qui devait vivre, et qui devait mourir. Il n'y avait aucune justice en cela non plus. Il était dur d'admettre pour elle que c'était ainsi, qu'elle ne pouvait pas y faire grand chose. "Il aurait réagi comme toi, tu sais. Il aurait dit les mêmes choses." Elle gardait précieusement ses mains entre les siennes durant son discours, qui était difficile pour elle à énoncer. Parler de toute éventualité où Frank aurait été en vie était douloureux pour elle. Elle détestait se noyer dans ce genre d'hypothèses. "Il aurait mené l'enquête autant que tu ne l'aurais pour retrouver pour le coupable, il aurait les mêmes remords, persuadé qu'il aurait du te protéger, que s'il avait pu, il se serait jeté devant toi pour recevoir les balles à ta place." Ca, Norah en était persuadée. Elle connaissait Frank, elle savait très bien comment il fonctionnerait. "Et en rentrant à la maison, il aurait dit que tout allait bien, qu'il gérait la situation, alors qu'il aurait trouvé ça insupportable, de ne pas mettre la main sur le responsable." Sa voix était faible, tremblante. "J'aurais su combien il allait mal, et j'en aurais discuté avec lui jusqu'à ce qu'il finisse par céder et évacuer toute son amertume." Lui non plus, n'aimait pas montrer ses faiblesses. Certainement pas devant Anwar, encore moins devant sa femme. Ses yeux à nouveau inondés de larmes, Norah reprit. "Et vous avez tous les deux le même engagement, la même manière de fonctionner, même si vos pratiques son différentes. Mais si c'était pas le cas, vous ne formeriez pas le duo que vous étiez. Vous étiez parfaits, tous les deux ensemble." admit-elle avec un sourire sincère en se souvenant de ces moments de complicité dont elle a pu être témoin toutes les fois où ils passaient du temps tous ensemble. Norah ne luttait plus contre son chagrin. "Alors je pense avoir une mince idée de ce que tu peux ressentir actuellement." Il ne le verbalisait pas autant que Norah ne le souhaitait, mais elle ne comptait pas non plus le forcer. Il avait ses propres moyens de s'exprimer. "Et je sais combien c'est dur de pas se sentir coupable de ce qu'il s'est passé, crois-moi. Mais je ne veux pas que tu penses que ça aurait du être toi. Parce que c'est ce que tu sous-entendais en disant que ça aurait pu être toi. C'est plus facile à dire qu'à faire, je sais." Elle était assez mal placée pour cela, même. Mais elle ne voulait pas voir Anwar faner au fil des années qu'ils avaient encore devant eux. Il avait été d'un tel soutien ces dernières années qu'elle pensait qu'elle s'effondrerait en même temps que lui le jour où il laisserait tout tomber. "Je t'autorise même à me dire que c'est l'hôpital qui se fout la charité, en terme de culpabilité." dit-elle avec un rire nerveux, sachant très bien qu'elle était plutôt mal placée pour le supplier d'arrêter de s'en vouloir. Sur ses mots, elle se leva afin de chercher une nouvelle bouteille de bière pour Anwar, ainsi que quelques biscuits apéritifs à grignoter. Elle lui tendit la boisson fraîche avant de s'installer à ses côtés. Elle lâchait un long soupir. Les mots lui manquaient. "...Maman ?" dit alors Julie d'une voix timide et lointaine. La petite venait toujours de descendre l'escalier, ses yeux inquiets rivés sur sa mère qu'elle ne voyait que très rarement triste. Norah essuyait rapidement ses joues avant de sourire à la petite. "Ca va." lui assura-t-elle. L'enfant les regardait alternativement, perplexe. "Papa nous manque beaucoup aujourd'hui, c'est tout." Autant être honnête. Bien qu'elle cachait ses émotions vis-à-vis de la perte de son époux, sa franchise faisait toujours acte de présence quand elle était prise sur le fait. Ca ne servait à rien de nier, Julie était loin d'être naïve. Un peu trop mature pour son âge, même, se disait souvent Norah. Silencieusement, le modèle réduit se rapprochait de sa mère dans le but de l'enlacer longuement. L'infirmière embrassait de temps en temps sa chevelure. Julie lâchait son étreinte et son regard se riva sur Anwar. "Toi aussi, t'as besoin d'un câlin." dit-elle d'un ton presque moralisateur – ce qui fit doucement sourire Norah, amusée par l'expression de la petite à ce moment là, avec ses petits sourcils haussés, avec cet air de "t'arriveras jamais à me faire croire l'inverse". "J'suis la reine des câlins, tu sais. C'est Maman qui l'a dit."
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| | | | (#)Mar 30 Juil 2019 - 14:13 | |
| Anwar en était certain, la dernière fois que Norah avait pris du temps exclusivement pour s’occuper d’elle remontait à longtemps, bien avant même la disparition de Frank. Aidan encore petit à l’époque, il la savait suffisamment mère poule pour ne pas avoir encore alors passé le stade où l’on acceptait que son petit n’avait pas besoin d’une présence et d’une surveillance constante – venait toujours un moment où il grandissait suffisamment pour le clamer lui-même, par ailleurs – réalisation finalement repoussée à plus tard lorsqu’elle s’était retrouvée veuve mais toujours bien responsable de deux enfants qui venaient déjà de perdre leur père. Ce que semblait tant redouter la jeune femme n’était rien de plus qu’une soupape de sécurité dont elle avait peut-être même plus besoin qu’elle ne le pensait, mais face à laquelle elle hésitait. « Le truc, c'est que ... Je suis pas certaine de ce que je ferai, du temps libre là. Je sais pas si je devrais plutôt partir un peu en dehors de la ville, ou rester là pour ... » Pensive, elle avait laissé sa phrase en suspend sans trouver comment la terminer – une preuve irréfutable qu’elle n’en avait effectivement pas la moindre idée. « Autant j'adorerais avoir un moment calme, autant j'ai vraiment peur de ce que ça pourrait donner, de me retrouver sans les enfants après tout ce temps. Je suis pas sûre d'avoir envie d'être totalement seule, sans rien sur le feu. » Légitime, la crainte de Norah n’en illustrait qu’un peu plus le fait qu’elle n’avait pas décroché depuis bien trop longtemps, et tentant de paraitre aussi rassurant que possible Anwar avait fait valoir « Peut-être que ça te fera du bien, peut-être que ça ne t’aidera pas du tout … Mais ça tu ne le sauras que si tu essayes. Et puis, si finalement tu vois que ça ne va pas tu n’auras qu’à rentrer et récupérer les enfants – aussi simple que ça. » En bref, ce serait elle qui mènerait la barque et qui déciderait du quand et du comment, son frère et Anwar seraient de toute manière bien trop heureux qu’elle tente quelque chose pour oser objecter sur la manière dont elle désirait s’y prendre. « Tu serais dispo ? ... Si je prends ces quelques jours, je veux dire. » Lui avait-elle ensuite demandé, toujours de ce ton hésitant, songeur. « Pour ... Je sais pas. » A nouveau elle avait haussé les épaules. « Ou si t'occuper de ton filleul ne te draine trop d'énergie, je peux toujours demander à Caelan, pour ... » Et finalement, malgré le sourire amusé censé aller de pair avec la réflexion la brune n’avait semblé que plus perdue, incapable de s’arrêter sur une idée ou sur une décision, confrontée au vide normalement réservé aux parents qui, leurs enfants ayant quitté le nid, ne savaient plus quoi faire d’eux-mêmes – et si Anwar en connaissait un rayon à ce sujet, c’était précisément parce qu’il avait déjà vécu cette étape. « C’est lui qui n’aura plus d’énergie quand je me serai occupé de son cas, oui. » Rebondissant d’abord avec une pointe d’humour, toujours bien trop heureux de pouvoir accorder du temps et de l’attention à son filleul – mais aussi à sa sœur – lorsque l’occasion lui en était donnée, le brun avait repris ensuite de façon plus sérieuse « Mais bien sûr que je serai dispo, pour ce que tu veux. Si tu as envie d’aller à la plage, d’aller te balader en dehors de la ville, d’aller au cinéma, de faire un tour en bateau … Tiens je suis même prêt à t’accompagner faire du shopping, si c’est ce que tu veux. » Et dieu sait que les galeries commerciales avaient un goût d’enfer sur terre à ses yeux – exception faite du magasin Vans, certes – et qu’il s’était toujours félicité d’avoir épousé une femme qu’enchaîner les boutiques durant des heures n’intéressait pas. Comme quoi, elle n’avait pas que des défauts. Le spectre de Frank, cependant, n'était jamais très loin. Et si l'on devinait que la crainte de Norah de se retrouver sans ses enfants tenait en ce qu’elle craignait de se retrouver seule avec sa peine, seule avec son deuil et l’absence de l’homme qu’elle aimait, chez Anwar c’était le poids de la culpabilité qui pesait. La culpabilité d’être celui des deux qui était encore là, mais également la culpabilité de ne toujours pas avoir rendu justice au père de famille, incapable de mettre la main sur le coupable et sachant qu’il n’aurait de repos que lorsque celui qui avait arraché Frank aux siens pourrirait dans une cellule trop petite pour contenir tout le mal qu’il avait fait. Et « Tu le retrouveras. Je le sais. » que lui assurait Norah avec douceur, de cet air confiant qui ne faisait que creuser un peu plus la culpabilité, toujours elle, parce qu’à Norah et à ses enfants aussi il devait de réussir ; Eux aussi méritait justice. Mais les semaines, les mois et maintenant les années passaient sans que rien ne bouge, et ni Anwar ni personne n’était plus près de mettre la main sur cet enfoiré aujourd’hui qu’il y avait deux ans … Ils n’avaient aucune piste, et même les récents échanges d’Anwar avec Strange n’avaient mené à rien, si ce n’était rendre difficile le fait pour le policier de se regarder dans une glace sans se dégoûter. L’anecdote des Skittles arrivée sans qu’il n’y réfléchisse, elle valait pourtant bien mieux que les autres souvenirs que le brun n’avait jamais partagé – et ne partagerai peut-être jamais – avec Norah concernant les derniers instants de son époux. Ces souvenirs-là continuaient de lui glacer le sang et de lui raidir la nuque, parfois encore parvenaient-ils à le réveiller la nuit, et certains jours encore le policier nourrissait cette impression que les choses auraient dû se passer autrement ; Que les rôles auraient dû être différents. « Anwar ... » De mauvaise grâce, il avait consenti à croiser le regard de l’infirmière, penaud. « Tu es toujours là, et c'est ce qui compte. » Mais à quel prix, et pour quel bien ? Et n’échangerait-elle pas Anwar avec le père de ses enfants dans la seconde si l’occasion lui en était donnée ? Car lui n’hésiterait pas, ou peut-être une seconde à peine, avant d’estimer que c’était plus juste, plus logique ainsi. « Il aurait réagi comme toi, tu sais. Il aurait dit les mêmes choses. » avait alors repris Norah avec douceur face à son silence. « Il aurait mené l'enquête autant que tu ne l'aurais pour retrouver pour le coupable, il aurait les mêmes remords, persuadé qu'il aurait dû te protéger, que s'il avait pu, il se serait jeté devant toi pour recevoir les balles à ta place. Et en rentrant à la maison, il aurait dit que tout allait bien, qu'il gérait la situation, alors qu'il aurait trouvé ça insupportable, de ne pas mettre la main sur le responsable. J'aurais su combien il allait mal, et j'en aurais discuté avec lui jusqu'à ce qu'il finisse par céder et évacuer toute son amertume. » La boule qui grossissait douloureusement au fond de sa gorge et faisait palpiter ses narines l’avait empêché de répondre, rendant plus insupportables encore les larmes de l’infirmière tandis qu’elle ajoutait « Et vous avez tous les deux le même engagement, la même manière de fonctionner, même si vos pratiques sont différentes. Mais si c'était pas le cas, vous ne formeriez pas le duo que vous étiez. Vous étiez parfaits, tous les deux ensembles. » Et concluait, enfin « Alors je pense avoir une mince idée de ce que tu peux ressentir actuellement. » sans que le policier ne soit véritablement certain qu’elle en avait la moindre idée, en réalité. Parce que pour savoir il aurait fallu être là, il aurait fallu tenter sans succès de contenir à l’intérieur de Frank le sang qui s’en échappait à chaque battement de cœur et glissait entre ses doigts impuissants, et qu’Anwar remerciait chaque jour un ciel en lequel il ne croyait même pas d’en avoir été le témoin plutôt que Norah. « Et je sais combien c'est dur de pas se sentir coupable de ce qu'il s'est passé, crois-moi. » avait-elle enfin repris, la main qui serait toujours celle d’Anwar avec sincérité « Mais je ne veux pas que tu penses que ça aurait du être toi. Parce que c'est ce que tu sous-entendais en disant que ça aurait pu être toi. C'est plus facile à dire qu'à faire, je sais. » et ce dernier baissant enfin les yeux avec culpabilité, parce que c’était bien la seule chose qu’il ne pouvait pas lui promettre. « Je t'autorise même à me dire que c'est l'hôpital qui se fout la charité, en terme de culpabilité. » Un éclat de rire plus triste qu’autre chose lui échappant, il avait secoué la tête avec résignation et ravalé les larmes qu’il se refusait à partager avec qui que ce soit. « Tu sais ce qu’on dit. C’est toujours pour ceux qui restent que c’est le plus difficile. » Pas de solution miraculeuse à la clef, pas de solution tout court d’ailleurs … Simplement ce constat, triste et injuste, auquel il leur fallait se plier de gré ou de force. La mort de Frank n’avait duré qu’une seconde à peine, mais son absence elle s’étirait sans vouloir finir. Pour se donner une contenance, et peut-être pour sécher ses larmes à l’abri du regard d’Anwar, l’infirmière avait fait un saut à la cuisine pour retourner leur chercher à boire, le brun en profitant lui prendre une grande inspiration et renifler un bon coup afin de redevenir totalement maître de lui-même. Bien que conduisant pour repartir il n’avait pas eu le cœur à refuser la seconde bière que Norah lui avait amené, et la remerciant d’un signe de tête il l’avait laissée devenir s’asseoir à côté de lui et lui avait offert un regard plus abattu que le sourire qu’il avait tant bien que mal tenté d’accoler à son visage. « ... Maman ? » Redescendue sur la pointe des pieds, Julie se tenait timidement sur le seuil du salon alors que sa mère essuyait prestement les dernières traces d’humidité sur ses joues. « Ça va. » Tendant une main vers elle pour l’inviter à approcher, Norah avait justifié sans chercher à s’en cacher « Papa nous manque beaucoup aujourd'hui, c'est tout. » et sans doute parce qu’elle l’avait déjà deviné la fillette avait semblé se contenter de cette explication, piétinant quelques instants avant d’aller enlacer sa mère avec une prévenance presque trop sérieuse et précautionneuse pour son âge. Portant silencieusement sa bière à ses lèvres, Anwar s’était contenté d’observer la scène avec un brin d’attendrissement jusqu’à ce que Julie ne braque son regard décidé sur lui et assène avec le peu d’autorité dont elle était capable du haut de ses – presque – dix ans. « Toi aussi, t'as besoin d'un câlin. J'suis la reine des câlins, tu sais. C'est Maman qui l'a dit. » Ne manquaient plus que les deux poings posés sur les hanches avec sévérité, mais la bière quittant ses lèvres sans que Julie n’ait eu à en arriver à de telles « extrémités » il avait assuré avec l’air de se rendre sans résistance « Dans ce cas, je ne voudrais pas manquer l’occasion d’avoir droit à une démonstration de tes talents. » N’attendant visiblement que son autorisation, la petite fille avait sauté des bras de sa mère à ceux moins assurés d’Anwar, qui malgré avait joué le jeu sans broncher en serrant en retour Julie dans ses bras en affirmant « Effectivement, je crois que nous avons affaire à une Reine des câlins en chair et en os. » avant d’adresser un clin d’œil complice à Norah. Dévalant les escaliers avec autant de bruit que sa sœur avait fait preuve de discrétion, Aidan avait déboulé dans le salon et observé la scène un quart de seconde avant de s’exclamer « Moi aussi je veux des câlins ! » et de bondir sur sa mère pour obtenir son dû. « Câlin général ! » Englobant du mieux qu'il pouvait les trois Lindley entre ses bras, le brun avait pendant un quart de seconde eu l'impression d'aller mieux – ou tout du moins que les choses étaient moins pires qu'elles ne le semblaient parfois – et avait laissé échapper un bref soupir de soulagement. « Maman … ? » Espiègle, le petit garçon avait relevé les yeux vers sa mère « J'ai faim. » et comme pour illustrer cet aveu le ventre de Julie, lui, les avait gratifiés d'un gargouillement qui leur avait à tous arraché un éclat de rire. « Allez, Qu'est-ce que vous dites de monter avec moi vous laver les mains, pendant que votre chère Maman vérifie que le repas est bientôt prêt ? » Y ayant déjà bondi le dernier, Aidan avait quitté le canapé le premier, attrapant la main de son parrain avec enthousiasme pour l'inviter à se lever à son tour « Tu verras mon camion de pompiers en haut comme ça ! Maman je peux lui montrer mon camion de pompiers ? Je peux ? » Et ainsi Anwar, encadré des deux enfants le tirant chacun par une main, l'avaient entraîné à l'étage en ayant rarement fait preuve d'autant d'enthousiasme à l'idée de se laver les mains.
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| | | | (#)Ven 2 Aoû 2019 - 7:56 | |
| SOMEWHERE ALONG IN THE BITTERNESS and i would have stayed up with you all night, had I known how to save a life | |
Parmi ses nombreuses qualités, celle que Norah devait préférer chez Anwar était son honnêteté. Tout le monde ne viendrait pas lui dire que non, peut-être que ces vacances tant suggérées ne lui feraient pas le moindre bien. Peut-être que cela ferait surgir des émotions qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'exprimer jusque là, de faire revenir à la surface des pensées qui n'étaient là que pour la faire sombrer. Et c'était bien l'une de ses pires craintes et il lui était difficile de l'admettre. Car elle n'avait jamais aimé montrer ses faiblesses, à dire qu'elle n'en voyait pas le bout et qu'il y avait des rechutes dès qu'il lui semblait voir un peu de lumière. Tout ce que désirait le policier, c'est qu'elle le fasse, rien du plus. Qu'il sache qu'elle aura au moins essayé. Pour lui, tout était si simple, comme un claquement de doigts. Pour elle, chaque décision à ce sujet avait besoin de sa réflexion, de ce long processus qu'elle ne s'était pas permise de faire depuis des années entières. Norah se sentait un peu rouillée, avec ces histoires de vacances et de répit mérité. "Je ne me permettrai pas de t'infliger ça." lui répondit-elle avec un léger sourire amusé, lorsqu'il parlait de virée shopping. Norah savait ô combien il avait horreur de ce type d'activités. Et s'ils devaient faire une virée ensemble, autant que ce soit profitable pour tous les parties. "Merci, Annie." souffla-t-elle après un long moment de pause, en levant un regard plus que reconnaissant vers lui. Malgré ses quelques suggestions, elle ne se sentait pas plus aidée sur ce qu'elle pourrait bien faire. Bien sûr que d'aller à la plage était plaisant, que faire un tour sur le grand large était séduisant, il s'agissait là de choses que Norah adorait faire. Mais elle ne trouvait ni la motivation, ni le courage de laisser derrière pour quelques heures. Ce long processus pour le policier devait être tout aussi long. Il avait certainement besoin de bien plus de quelques jours en mer, de discussions avec son perroquet, et de tournées avec son coéquipier pour oublier cette fameuse soirée d'Halloween. La nuit là avait beaucoup changé Anwar. Il le cachait très bien, même à Norah, mais celle-ci savait qu'il y avait des pensées sous-jacentes qu'il ne partagerait certainement jamais. C'était lui qui avait vu Frank mourir, lui qui avait eu l'espace d'un instant le maigre espoir de la maintenir en vie, lui qui avait tenu à en faire l'annonce à sa famille. Il devait le vivre comme un échec, se sentant responsable des conséquences qu'il voyait au quotidien. D'une épouse aimante anéantie. De son filleul qui n'aura jamais de souvenirs de son père n'appartenant qu'à lui, de la brigade des stups qui ne se sentiraient plus jamais comme avant. Et lui, un coéquipier qui perdait son binôme, son meilleur ami. Et il vivait tous les jours avec ce poids là sur ses épaules, avec le sang de Frank sur ses mains. Cela n'empêchait pas Norah d'en serrer ses doigts. L'émotion était palpable, mais Anwar semblait encore parvenir à contrôler son chagrin. Il se contenait beaucoup à ce sujet, même avec l'infirmière. Elle avait essayé plus d'une fois à lui tirer les vers du nez, en vain. Ils en souffraient tous les deux silencieusement. Norah le verbalisait un peu plus, mais pas autant que l'on pourrait s'attendre d'une épouse endeuillée. Julie finit par refaire apparition. Sa mère la trouvait déjà trop intelligente et trop vive pour son âge. C'est pourquoi Norah ne tentait même pas de lui mentir ou d'arrondir les angles. Ce n'était de toute façon pas son genre. Alors, sans poser davantage de questions, la fillette vint se blottir dans les bras de la belle infirmière avant de venir en proposer un au parrain de son petit frère. Difficile de dire non dans ces cas-là, et cela était en fait suffisant pour Norah de sourire à nouveau. Oui, c'était bien ses enfants, sa raison de vivre. Forcément, le plus jeune des Laidley comptait avoir aussi sa part d'affection, en faisant preuve de bien moins de délicatesse que sa grande soeur. Sans surprise, il manquait de peu de se fracasser contre la table basse à cause d'une trajectoire mal calculée. Norah embrassait son cuir chevelu et Anwar ne tardait pas à venir prendre dans ses bras toute la famille dont il s'était promis de prendre soin. Mais cet instant touchant fut écourté par la faim manifestée. Norah l'embrassa sur le front après avoir laissé échapper un rire. "On te changera pas, petit estomac sur pattes." lui dit-elle en ébouriffant ses cheveux. C'était un autre trait qu'il partageait avec Frank. Il avait toujours beaucoup d'appétit –enfin, il aimait se décrire comme étant un fin gourmet. Que ce soit l'un ou l'autre, ça ne l'empêchait pas de venir picorer dans les plats pendant que Norah cuisinait. Et il y avait deux modèles miniatures qui avaient hérité d'un certain nombre de ses manies en matière de nourriture. Mais au lieu d'aller se laver les mains avant de dîner comme l'avait suggéré son parrain, Aidan s'était rapidement mis une autre idée en tête. "Tu le peux si..." Et Norah attendait une réponse précise de la part de son fils. "Si je me lave les mains ?" "Entre autre, mais ce n'est pas la réponse que j'attendais." Aidan fit mine de réfléchir, tout en trépignant d'impatience à la simple idée de montrer son jouet à son parrain. "Si je suis sage ?" "Aussi, mais c'est pas ça." Boudeur, le petit croisait les bras avant d'avoir, semblait-il, l'illumination du siècle. "Si je le range ensuite ?" Norah lui fit un clin d'oeil en signe d'approbation et il n'en fallait pas plus pour qu'Aidan traîne son parrain jusqu'à l'étage. "Et tu ranges pour de vrai, Aidan." rappela-t-elle en le regardant monter. Parce qu'il avait, disons, sa propre notion du rangement. "Et le lavage de mains compte pour toi aussi, Julie." La petite suivit sa mère dans la cuisine pour retrouver l'évier pour y humidifier ses mains. Pendant ce temps, Norah se lançait dans les derniers préparatifs du dîner. Elle avait anticipé en préparant la majorité des mets en avance, n'ayant plus qu'à réchauffer ou cuire ce qui nécessitait d'être cuit en dernière minute. Les rires qu'entendaient Norah et Julie à l'étage laissait supposer que le reste de la soirée allait être moins triste que ne l'était l'apéritif. Du moins, les odeurs gourmandes qui émanaient de la cuisine semblaient attirer afin de voir ce qui était sur les fourneaux. Julie s'était déjà mise sagement à table tandis qu'Aidan désirait à tout prix voir ce qu'il y avait dans les casseroles. Un accident étant vite arrivé, Anwar se chargeait de l'installer à côté de lui à la salle à manger en attendant que les plats n'arrivent. Des saveurs qui balayaient, même si ce n'était que durant l'espace d'un repas, des pensées dont Norah aimerait bien se débarrasser parfois. Que par un simple échange de sourires entre deux bouchées avec Anwar, laissait supposer que peut-être bien, ils iraient mieux.
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| | | | | | | | noranwar → somewhere along in the bitterness |
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