J’avais voyagé léger par la force des choses. Dans les transports clandestins que j’empruntai pour arriver jusqu’à Brisbane, il n’y avait pas de place pour notre ancienne vie. Je l’avais donc abandonnée derrière moi sans pour autant regretter ma décision. Certes, j’étais bien envahie de quelques remords envers Hank et pour Mickey. Ils avaient été bons pour moi et je les lâchais, sans égard, m’enfuyant comme une voleuse. C’était dégueulasse. J’en avais bien conscience. Toutefois, une fois la culpabilité balayée d’un revers invisible de la main, je ne craignis plus la suite. J’appréhendais bien l’idée d’être réduite à la mendicité pour pouvoir me nourrir. Je redoutais aussi d’être seule, dans une grande ville, avec dans les poches de mon vieux jeans, le reste de mes économies. Mais, ces émotions, elles ne représentaient rien comparées à la terreur qui me secoua quand mon mari me réclama un enfant. Un enfant ! J’en avais bien rêvé à une époque, mais je n’étais alors qu’une môme en mal d'affection ou une nana follement amoureuse. Ces deux parts de moi, elles n’avaient pour point commun que cette impression d’être libre, libre de choisir, d’exister, pour elle, enfin. Sauf que ce bien-être, il ne dura pas longtemps. Il prit fin au départ d’Alec puisqu’il emporta avec lui mon désir de vivre pleinement. Au contraire, jamais je ne me serais cloîtrée dans ce semblant d’union. Jamais. Strange, je l’aurais suivi jusqu’au bout du monde s’il me l’avait demandé. Il ne me gratifia que de son indifférence, me rendant plus forte, assez pour réaliser que, finalement, j’étais chanceuse. Lorsque je foulai le sol des États-Unis, je n’avais aucune adresse, aucun nom pour m’aider à m’en sortir. Cette fois, la situation était somme toute différente. Le téléphone à carte que m’offrit le passeur – mon histoire l’avait touché – contenait deux numéros : celui d’une amie de mon sauveur et un autre, qu’elle m’avait elle-même transmis afin d’obtenir des faux-papiers. J’en aurais bien besoin cette fois. J’avais repris mon nom de jeune fille. J’étais arrivée sur les terres australiennes sans Visa. Si la police me pinçait, je serais déboutée en Russie et ça, cette idée-là, elle me terrorisait plus qu’avoir à tout recommencer. Cette éventualité, elle était grisante. Quant à mon rendez-vous de ce soir, il était inquiétant, faute à son caractère secret et à l’atmosphère que dégageait le restoroute où je rencontrerais mon faussaire. Du moins, s’il en est. Raelyn ne leva pas le mystère sur les activités du gars que je contactai sous ses recommandations. Pour être tout à fait honnête, j’ignorais jusqu’à ses nom et prénom, mais qu’à cela ne tienne, cet inconnu détenait la clé de ma cellule. Après cette rencontre, je serais illégitimement sauvée de mes obligations maritales. La suite, c’était à moi de l’écrire et Dieu que j’avais hâte.
Bien que je n’en sois pas totalement sûre, je sus, par déduction, que l’homme qui pénétrait les lieux était celui que j’attendais depuis près d’une demi-heure. J’étais la dernière arrivée. Personne ne poussa plus la porte après moi. Quant aux clients présents, ils étaient attablés à plusieurs et ne se retournaient pas chaque fois que la clochette avertissait la serveuse de l’arrivée d’un nouveau venu. Dès lors, je me levai, d’instinct, lui adressant un signe discret de la main, suppliant le karma que je ne faisais pas erreur. A contrario, j’aurais l’air ridicule et je détestais la vulnérabilité qui en découlait. Par chance, il s’avança et, s’il me parut familier, je le saluai avec une politesse sincère, presque mécanique, me rappelant des invectives de mon père et de mon précepteur. « Bonsoir. Je vous remercie d’avoir fait le déplacement. » Je lui tendis une main tremblante. J’étais nerveuse, mais il se dégageait du personnage un quelque chose de familier, de presque apaisant, qui souleva en moi une vague de nostalgie. D’où venait-elle ? Aucune idée. Je l’aurais bien qualifiée d’étrange, mais, puisqu’elle n’était pas dérangeante, je me s’en servis pour rassembler à moi toutes les chances. « J’ai essayé d’être la plus claire possible au téléphone. » Quoiqu’assez évasive sous les bons conseils de sa présumée amie. Fournir des faux-papiers à un clandestin, c’était punissable par la loi. S’il n’en était pas à son coup d’essai, il n’y avait rien d’extravagant à imaginer que la police le tenait à l’œil ou sur écoute. « Et, je suppose que si l’on est ici, c’est que je peux parler en toute franchise. Non ? » m’enquis-je en espérant trouver sur ses traits – il les avait plutôt plaisants d’ailleurs – une invitation à poursuivre. Qu’importe de toute façon. Je fus incapable de laisser planer le silence. Le stress m’oppressait et accélérait le débit pourtant maîtrisé de mes mots. Même mon accent de l’est enflait. « Alors, voilà la situation. J’ai quitté la Russie, puis mon mari, parce que la situation devenait intenable et que… c’était mieux, pour moi, pour tout le monde en fait. » précisais-je afin d’éviter un malentendu. Je n’étais pas une femme battue. Personne ne viendrait lui casser la gueule pour un coup de main, si tant est que sa complicité dans ma fraude s’exposât au grand jour, ce dont je me garderais bien d’avouer. « J’ai besoin qu’on ne me retrouve pas. C’est ça le plus important. Et, on m’a dit que vous auriez peut-être une solution à me proposer. J’ai tellement de questions en fait. » Un rire, presque imperceptible, mais néanmoins sonore m’échappa. Le malaise, sans doute. Je me présente habituellement. J’avais été éduquée pour les salamalecs. « Mais, vous devez en avoir aussi et c'est normal. Je suis désolée. Je parle beaucoup, et un peu mal, mais... c'est bizarre pour moi, tout ça. Je suis complètement perdue. »
Depuis son arrivée en Australie, il y a treize ans, Mitchell avait su faire preuve de beaucoup d’ambition. Arrivant sur le territoire australien en étant tout en bas de l’échelle, il n’avait pas tardé à s’imposer dans la pègre du coin, grimpant les échelons, jusqu’à arriver au rang de chef. Il rendait toujours des comptes à un chef de la mafia, le Padre, un homme assez vieux qui n’en avait plus pour longtemps. L’Américain comptait bien s’emparer de tout le marcher et n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Il avait déjà beaucoup d’indépendance, donnant un pourcentage moindre au Padre, il avait hâte d’être indépendant à cent pour-cent. Il avait forcé l’évolution du club, en offrant plus de services au monde de la délinquance. Il avait de la drogue, des filles et offrait des faux papiers en échange de belles sommes. La plupart des membres du Club avaient été recrutés, par Mitchell lui-même, venant en aide la plupart du temps à des âmes en détresse, leur offrant un toit, à manger, de la drogue pour les plus nécessiteux et bien sûr de l’argent. Il considérait tout ce petit monde, comme une famille, sa famille. Il prenait soin d’eux en échange de services et mettait un point d’honneur à la loyauté. Toute personne osant défier l’ordre imposé, prenait le risque de se prendre la foudre. Mitchell pouvait être très compréhensif, mais a toujours été une bombe à retardement et lui manquer de respect ou la lui faire à l’envers, réveil son mauvais côté en quelques secondes. Il n’hésite pas à prendre des décisions radicales et sait que si tout apparaissait au grand jour, la prison l’accueillerait à vie.
Après sa réunion habituelle avec Raelyn qui se chargeait de l’apprivoisement de la drogue depuis de nombreuses années au sein du club, elle lui avait rappelé son rendez-vous avec une jeune femme à la recherche de nouveaux papiers. La plupart du temps, Mitchell ne se déplaçait pas lui-même pour ce genre de rendez-vous, mais à en entendre Raelyn, la jeune femme valait le déplacement du boss. Dans ces cas-là, l’Américain savait qu’il y avait quelque chose à y gagner et n’hésitait pas à se déplacer, avec beaucoup de prudence. Il ne donnait aucun rendez-vous à Brisbane même, préférant les restoroutes en-dehors de la ville. Il passait inaperçu dans ce genre de lieu, la plupart des clients étant des routiers de passage, il ne se risquait pas à croiser un visage connu. Il ne donnait pas son nom, par peur de se faire avoir par un flic jouant un rôle, bien que le risque était toujours présent. Il n’emmenait aucune preuve matérielle pouvant l’incriminer et le tour était joué.
Il enfourchait sa moto et prenait la route sans trop tarder jusqu’au lieu de rendez-vous. Il n’était pas en avance, mais n’aimait pas arriver à l’heure. Il aimait se faire désirer et n’hésitait pas à faire patienter quiconque voulant bénéficier de ses services. C’est après avoir déposa sa moto et retirer son casque qu’il entra dans le restoroute, observant avec discrétion les personnes présentent, jusqu’à déposer son regard sur une charmante créature qui lui faisait signe de la main. Son visage restait neutre, mais intérieurement, il était plutôt ravi d’avoir fait le déplacement et avait hâte d’en apprendre plus sur cette jeune femme qui ne semblait pas être habituée à ce genre de magouille. « Bonsoir. Je vous remercie d’avoir fait le déplacement. » Elle parlait sa langue et était polie, un point qui l’intéressa d’avantage, étant habitué à des jeunes femmes en détresse ne parlant pas un mot d’Anglais. Heureusement, avec le temps, il avait appris à parler plusieurs langues, dont le russe, ne manquant pas le petit accent qu’avait la blonde. « dobryy vecher » Il lui serrait la main tout en la regardant droit dans les yeux avant de prendre place face à elle. Dire bonsoir en Russe était une façon pour lui de lui montrer qu’il était très observateur, mais aussi pour l’impressionner, un petit peu. Il jetait un dernier coup d’œil autour de lui, pour être sûr que personne ne les observait et concentra ensuite toute son attention sûr la jeune femme qui se lança dans un dialogue à sens unique durant quelques instants. Mitchell gardait le silence, écoutant chacun de ses mots avec beaucoup d’attention. Son visage était neutre, aucun sourire s’y était affiché depuis son arrivée. « Et, je suppose que si l’on est ici, c’est que je peux parler en toute franchise. Non ? » Il hochait simplement la tête en guise de réponse. Attrapant le menu présent sur la table en même temps pour y trouver quelque chose à commander. Non pas qu’il avait faim, mais s’il voulait ne pas se faire remarquer, il fallait commander quelque chose. « Alors, voilà la situation. J’ai quitté la Russie, puis mon mari, parce que la situation devenait intenable et que… c’était mieux, pour moi, pour tout le monde en fait. » Il ne s’était donc pas trompé, elle venait bien de Russie et avait l’air d’avoir eu une vie assez compliquée. « J’ai besoin qu’on ne me retrouve pas. C’est ça le plus important. Et, on m’a dit que vous auriez peut-être une solution à me proposer. J’ai tellement de questions en fait. » Il restait concentré à moitié sur son visage et à moitié sur le menu qu’il tenait toujours en main, mais écoutait chacun de ces mots, bien qu’il pouvait lui donner l’impression d’en avoir rien à faire. « Mais, vous devez en avoir aussi et c'est normal. Je suis désolée. Je parle beaucoup, et un peu mal, mais... c'est bizarre pour moi, tout ça. Je suis complètement perdue. » Il laissa apparaître un tout petit sourire à peine perceptible après ses derniers mots. Elle n’avait sûrement jamais rien fait de vraiment illégal avant et ça pouvait se remarquer à son éloquence. Un fait qui lui donnait envie de rire. Il n’eut le temps de prendre la parole, que la serveuse arriva aux abords de la table. « Que puis-je vous servir ? » Mitchell fit signe à sa cavalière tout en prenant la parole. « Prend ce que tu veux. » Il n’était pas du genre à vouvoyer une personne sans que ce soi absolument nécessaire. Il la laissait commander et prit la parole ensuite. « Je veux bien une part de tarte avec une bière. » La serveuse s’échappait assez vite pour aller préparer leur commande, leur rendant la liberté de reprendre leur conversation. « Tu as combien en poche ? » Une question peu banale, mais qui l’intéressait. Pouvait-elle payer pour une nouvelle identité ? « Changer d’identités c'est très compliqué et très risquée à la fois, si tu te fais choper, tu es seule, personne ne sera là pour te sauver ma jolie. Nous te donnons ce qu’il te faut, tu disparais et tu ne nous contactes plus jamais. Si tu nous balances, s’en ai finit pour toi, est-ce que c’est clair ? » Il prenait un ton très sérieux, mais voulait s’assurer qu’il pouvait lui faire confiance, un minimum.
Il parlait le russe. Du moins, m’avait-il souhaité une bonne soirée avec aisance, me saluant d’une poignée de main solide, mais néanmoins mesurée. À mon sens, cette maîtrise de lui-même en disait plus long sur lui que sa dégaine de Monsieur Tout-le-Monde, ce qui, vraisemblablement, il n’était pas. Mister Nobody ne s’exprime pas aussi clairement dans une langue étrangère pour mettre à l’aise son interlocuteur, il ne parle couramment que l’anglais. Mister Nobody, il ne mesure pas sa vigueur non plus, il écrase les doigts fragiles des femmes quand il leur serre la main puisqu’il est persuadé que la force vaut mieux que l’assurance. Il n’a pas confiance en lui d’ailleurs, il doute perpétuellement de son statut, faute à la culture de masse et sa concurrence malsaine entre individus. Il en fait toujours un peu trop pour qu’on le regarde, noyant l’essentiel au milieu de palabres savamment choisies pour impressionner. Mon jugement n’était peut-être que cliché, mais c’était, à quelques exceptions près, le seul type d’homme que je croisais jusqu’ici. Alors, cet étranger, il m’intrigua par ses manières toutefois détachées. Je n’étais pas parvenue à conserver son attention aussi longtemps que je l’espérais et, tandis qu’il se penchait sur le menu, je m’autorisai à le détailler discrètement.
Large de carrure, il était bâti comme une armoire à glace. Tout en lui semblait hurler : "n’approche pas, tu vas te brûler." alors que le bleu de son regard brillait d’une lueur moins neutre que son expression. J’y entrevoyais de la méfiance, de la douleur et, peut-être même, un peu de douceur et, si ce n’était qu’hypothèse, son sourire, aussi mince soit-il, me le confirma. Je le lui rendis et, cette fois, il était plus franc que le précédent. Si nous n’avions pas été interrompus par la serveuse, j’aurais sans doute profité de cette ouverture pour me présenter sous mon véritable prénom, celui que je portais en Russie. Lorsque j’arrivai aux États-Unis, je pris le pli de me faire appeler Nataliya Bolchoï. C’était l’association du doux nom de ma mère et d’un hommage à une institution moscovite. Hank, Mickey, Alec et son frère, m’avaient connu sous ce pseudonyme, même à l’heure de mon mariage, le prêtre et l’administration, après une enquête minutieuse destinée à vérifier la véracité de cette union, acceptèrent l’idée que j’avais perdu mes papiers. Mon absence de casier judiciaire dût somme toute jouer un rôle et, par là même, je n’étais pas une parfaitement inconnue au Nouveau-Mexique. Tous les clients du bar auraient volontiers attesté de mon identité. Qu’à cela ne tienne, ce n’était pas le plus important. Je saisirai une autre occasion s’il en est. En attendant, il convenait de passer commande auprès de la serveuse qui me dévisageait, le stylo en suspens au-dessus de son carnet. J’optai pour un grand café au lait. J’étais trop anxieuse pour avaler quelque chose. L’heure était venue d’aborder le sujet épineux de l’argent et la vérité m’affligea… j’en avais si peu. Certes, j’économisai mes pourboires durant ces années de travail au bar, mais il ne restait plus grand-chose de mon bas de laine. « Euh… » Embarrassée, je me raclai la gorge tandis que ma main glissa dans mes cheveux. « Plus grand-chose. J’avais mis de côté, mais je servais des bières et je nettoyais pour gagner ma vie. Le voyage jusqu’ici a sérieusement entamé ce que j’avais. » De plus, si je dépensais la totalité de ce qui me restait en faux-papier, où dormirais-je ? Dans la rue ? « Je dois encore me nourrir, me loger… le temps que je trouve un job. » La réalité m’effraya tout à coup. Mes pupilles se dilatèrent. Mon regard en lui-même devint fuyant. « Je sais pas… 2000 dollars américains, au mieux… si j’ai de la chance et qu’il cherche quelqu’un ici… pour travailler, je veux dire. » ricanais-je plus gênée qu’amusée. « Sinon, un peu moins. Voire beaucoup. » Ma nervosité accélérait le rythme de mon cœur et je réfléchissais de moins en moins avec discernement et mon interlocuteur ne m’aida pas à recouvrer mon calme.
Si son ton n’était pas menaçant, l’avertissement était clair. Si je payais, il me filerait un coup de main, mais en échange de mon silence, sans quoi, je n’y survivrais pas. Était-ce un assassin ? Il ne m’en donnait pas l’impression, mais… il m’en laissait une autre, celle qui me soufflait à l’oreille que le prendre au sérieux n’était pas une option. Qu’importe, de toute façon, ce n’était pas mon genre de baver sur ceux qui me tendent la main. Je les abandonnais, oui, mais je n’avais jamais causé à quiconque d’autres problèmes que ceux du cœur. « Bien sûr, c’est évident. » admis-je en rassemblant tout mon courage. Pas question que je me démonte, car personne ne vient en aide aux geignardes ou aux hésitantes sans le sou. L’image à renvoyer, en pareilles circonstances, c’était la détermination, l’intelligence, la débrouillardise, la fiabilité. N’était-ce pas tout ce que j’étais en partie ? Alors, profitant de l’intervention de la serveuse – elle déposa devant nous la commande sans laisser la note, étrange ! – je respirai une bonne fois et j’enfonçai le clou : « Écoutez, je ne vais pas vous faire perdre votre temps en tournant autour du port, de toute façon, vous avez compris que j’ai pas un rond, que je suis là depuis quelques jours et que je vis dans un motel pourri en bord de route pour le moment. Et, je comprendrais très bien que vous ayez envie de vous en aller, mais. .. mais ma situation ne me fait pas peur. » Parce que je n’en étais pas à mon coup d’essai. « J’ai pas peur de vous dire que je pourrai payer, tôt ou tard, parce que je vais me trouver un boulot… » De merde, mais une fois encore, j’étais habituée à récurer des toilettes dégueulasses. Je laverais les égouts de la ville ou ramasserais les poubelles des bien-nantis si nécessaire. Tant que je n’avais pas à vendre mon corps, tout m’allait. La prostitution, c’était au-dessus de mes forces. Je ne jugeais pas les filles de joie, mais je me suiciderais si j’étais amenée à rejoindre leur rang. Ma fierté m’empêchait de me brader avec une série de quidams plus lubriques les uns que les autres. « Et un endroit correct où m’installer. » A Brisbane ou ailleurs, ça n’avait aucune espèce d’importance. « Je sais que je rembourserai ce que je dois jusqu’au dernier centime, avec des intérêts s’il le faut. Je peux le dire parce que je suis comme ça. Je n’ai qu‘une parole si je l’utilise bien, ce que je fais maintenant, même si ça me coûte d’en être arrivé là et de vous dire ça. » Je parlais l’anglais depuis mon plus jeune âge. L’effort était moindre, mais la fatigue m’assaillit tandis que, sans baisser les yeux, je sondais l’inconnu. « Je m’appelle Lubya. » conclus-je dans un aveu de sincérité. « Mon père est un homme politique puissant en Russie. Prenez ça comme une garantie de bonne foi. Je voudrais pas qu’il me retrouve… Ce serait la pire chose qui pourrait m’arriver. Alors, vous voulez bien me faire confiance ? S’il vous plait ? » Je terminai mon monologue en russe, non par esbroufe, mais par reconnaissance envers sa démarche précédente. Il avait vu juste sur mes origines, je n’avais pas réagi et il était temps de le faire.
L’Américain était resté très discret depuis son arrivée sur les lieux. Il avait principalement observé la jeune femme, voulant se faire une idée sur la personne qu’elle pouvait être. Des femmes comme elle, il y en avait pas mal, voulant fuir leur famille ou époux, elles avaient toutes cette détermination à vouloir s’offrir une nouvelle identité pour redémarrer à zéro loin de leurs problèmes. Un service en engendrait un autre et pour Mitchell la règle n’était pas différente. Il pouvait l’aider, lui donner des faux papiers contre paiement, une transaction comme une autre à vrai dire, mais ce à quoi il pensait en cet instant, c’étaient les conséquences possibles à lui venir en aide. Elle n’avait rien d’une droguée ou même d’une fille en détresse. Son élocution était parfaite et aucun défaut n’apparaissait à l’œil de l’Américain. Le seul point qu’il retenait était cet accent, russe. D’ailleurs, il ne s’était pas retenu de lui faire part d’un mot de cette langue qui devait être lié à ses origines. Un moyen pour lui de lui montrer qu’il était observateur. En franchissant la porte du restoroute ce soir, il s’attendait à tomber sur une femme dépité autant psychologiquement que physiquement, une appréhension qui s’avéra être totalement fausse. C’était beaucoup trop louche pour un homme qui se méfiait de sa propre ombre et il était prêt à creuser un peu, pour être sûr qu’il ne mettait pas le pied dans un piège. Le silence n’avait pas régné bien longtemps après l’élocution de la blonde, mais suffisamment pour faire régner un semblant de terreur. Mitchell paraissait froid au premier abord, mais laissait une part décontracté s’échapper de son visage. Il ne voulait pas non plus la faire fuir. L’Américain aux deux visages, nommé ainsi par son petit frère qui le connaissait mieux que personne, n’était pas aussi terrible qu’on pouvait le croire, il avait un cœur et était prêt à aider les plus démunis s’ils lui montraient qu’il pouvait avoir confiance en eux.
Mitchell n’avait pas hésité à lui faire part de sa politique, lui demandant tout d’abord combien d’argent elle avait pour être sûr qu’ils allaient pouvoir s’entendre, bien qu’il prévoyait déjà sa réponse. « Je vois. » Qu’il disait très calmement, se rendant compte de la nervosité qu’elle pouvait dégager, il appuya ses deux coudes sur la table pour réduire la proximité avec la jeune femme, ne voulant pas faire fuiter ses paroles jusqu’aux oreilles de la table voisine, bien qu’ils n’avaient pas l’air d’être très intéressé par ce qu’il se passait autour d’eux. « 2000 dollars, c’est très bien, pour un acompte, mais il va falloir que tu trouves 8 000 dollars de plus avant de prétendre à une nouvelle identité. » La réalisation de faux papiers était simple, n’importe qui pouvait en faire pour un tarif moindre, mais si par malchance des contrôles avaient lieu, il y avait peu de chance pour qu’ils passent inaperçu aux yeux de l’autorités Australienne, non, lui ce qu’il proposait, c’était des papiers frôlant la réalité, avec un réel numéro d’identification, lié à une réelle identité créer de toute pièce dans le système du gouvernement. Rare étaient ceux qui pouvaient proposer ce genre de service dans le coin et il le savait. « Je pense qu’il va te falloir bien plus qu’un simple job pour réunir la somme. » Il plongeait son regard dans le sien, laissant un petit moment de silence planer, se demandant intérieurement s’il devait poursuivre ou non. Mitchell avait “aidé“ des personnes avec beaucoup moins d’argent à changer de vie, leur donnant la possibilité d’exercer au sein du club en échange d’un toit et d’argent. Une proposition qui sur le long terme pouvait causer le trouble. Il s’en était rendu compte avec Lou qu’il avait sauvé de la rue. Il lui avait tout donné et pour le remercier elle avait mené les flics jusqu’à lui, du moins c’est ce qu’il pensait. Depuis sa sortie de prison, il hésitait à deux fois avant de proposer le moindre contrat à des âmes en détresse, sachant que la loyauté et la confiance ne se trouvaient pas à chaque coin de rue.
Il restait cependant, il écoutait ce qu’elle avait à lui dire. Elle était belle, elle n’aurait sûrement pas de mal à se trouver un boulot pouvant lui rapporter de l’argent lui permettant de le payer qu’il se disait, observant la réaction de la blonde à ses avertissements par la même occasion. Elle avait de la repartie, il aimait ça. Il lui trouvait quelque chose de différent, quelque chose qu’il appréciait chez une femme, sans compter les quelques mots en russe prononcé sur la fin, qui le fit sourire. « Lubya. Très joli prénom ! » Il avait déjà entendu ce nom quelque part, mais ne s’y attarda pas. Il ne prit pas le soin de se présenter à son tour, elle n’avait pas à connaître son identité, pour le moment du moins. Baissant le regard vers sa part de tarte et sa bière, il regagna le dossier de la banquette sur laquelle il était assis, prenant un bout de sa part de tarte, savourant le goût de la pomme avant de se re concentrer sur son interlocutrice. « Elle est vraiment très bonne pour un lieu de ce genre, t’en veux un bout ? » Face à la nervosité que dégageait la jeune femme, il tentait de détendre l’atmosphère avant de poursuivre au sujet de leur affaire. Poussant l’assiette vers elle, il prenait une gorgée de sa bière. « Je t’en prie, tu loupes vraiment quelque chose !» Qu'il insistait. Cela pouvait peut-être paraître ridicule, alors que la conversation était bien plus importante qu’un morceau de tarte, mais il avait tout son temps et souhaitait se montrer un peu plus détendu qu’à son arrivée par la même occasion. « Tu m’as l’air d’être quelqu’un de bien Lubya, vraiment, mais qui me dit que tu ne fuiras pas ? » Il était dans son droit de lui poser cette question. Son père était peut-être politicien, il n’aurait peut-être pas de mal à remonter jusqu’à lui, mais si lui-même ne savait pas ou pouvait être sa fille, comment Mitchell pouvait la retrouver si elle décidait de la lui faire à l’envers ensuite ? « Enfin bref, disons que j’accepte de te fournir ce dont tu as besoin, tu me donnes une avance, tu te trouves un job miteux, tu me rembourses petit à petit, à hauteur de quelques dollars par mois, ça prendra sûrement des mois, voir des années et je dois t’avouer que je ne suis pas quelqu’un de très patient. » Il prenait une nouvelle gorgée de sa bière sans la perdre du regard. « Ou alors, je t’offre un toit, une nouvelle identité et… un boulot. » Au sein du Club, il y avait toujours de la place pour de la main d’œuvre pour toute sorte de tâche. « T’es plutôt bien foutu comme fille, je pourrais te proposer de quoi te faire pas mal d’argent. » Il n’y allait pas avec des pincettes, mais le but à l’heure actuelle n’était pas de jouer à la dînette, mais bien de parler affaires. Il n’avait pas hésité à l’observer et ne pouvait pas nier qu’il la trouvait très attirante, voir même très à son goût. « Ça t’offrirai une certaine sécurité, j’aurai un œil sur toi, puis on sera tous les deux gagnants. » L’Américain avait beaucoup hésité avant de lui proposer cela, mais avait décidé de se fier à ton intuition, espérant ne pas se tromper.
La question de l’argent, je la redoutai avant même que commence cet entretien parce que je disposais de peu de liquidité. Pour le milieu, c’était rédhibitoire. Je n’y connaissais pas grand-chose, bien sûr. Je n’étais pas la fille d’un grand bandit. Mes relations avec le monde du crime se résumaient à mon gagne-petit de mari, voleur à la petite semelle agissant seule et cessant toute activité après un séjour à l’ombre. Il n’appartenait à aucune organisation particulière ou d’envergure. Mais, était-ce nécessaire de fréquenter un gangster de haut vol pour en comprendre les codes ? Le cinéma américain était truffé de référence sur la pègre et, si toutes ces histoires étaient romancées, j’arguais volontiers qu’elle s’inspirait de faits réels. Je m’étais donc préparée à la plus dramatique des hypothèses : il entendait « 2000 dollars », me riait au nez sans ménagement et il s’en allait, comme il était venu, la vexation en plus d’avoir perdu son temps. Peut-être coulerait-il sur moi un regard empli de mépris. Or, il me détrompa, en demeurant là, s’avançant vers moi pour me dispenser des conseils et m’assommer de vérité. C’était la première fois qu’il m’accordait son attention pleine et entière, la première fois que j’avais le loisir de le détailler autrement qu’à la sauvette et je laissai mes pupilles curieuses parcourir ses traits.
Le visage rond, les pommettes saillantes, une barbe naissante, preuve qu’il était un homme fort occupé, me rappelèrent ces acteurs hollywoodiens tout bonnement parfaits dans le rôle du boxeur en perdition qui loue ses talents à sa propre ambition. Ses yeux bleu ciel, prétendument menteurs selon les considérations futiles de ma mère – d’après elle, les pupilles trop claires sont un mystère – je ne pus m’empêcher de penser qu’il devait faire tourner les têtes sur son passage. En plus d’un physique avantageux, son aura dégageait une vigueur douce et brutale à la fois, paradoxe apprécié par toutes les femmes, aussi fortes soient-elles. À son bras, elles devaient se sentir invincibles, à l’abri de tous les dangers. Moi-même, cédant aux sensibleries de mon âme d’artiste, je songeai que mon talent ne rendrait pas justice à ce qui émanait de lui. Mais, qu’importe… les digressions de l’esprit n’ont pas leur place au cœur de cette conversation. Mon avenir à Brisbane dépendait de son unique volonté puisque la somme réclamée était, au vu de mes maigres moyens, presque pharaonique. Devais-je comprendre qu’il m’annonçait, sous couvert de la délicatesse, qu’il ne m’aiderait pas ? Probable, mais un doute subsistait et je ne perdis pas espoir. En toute franchise, combien de femmes dans ma situation possède 8000 dollars cash ? Peu, assurément. Rien de pathétique à me donner les moyens d’obtenir ce que j’étais venue chercher. Aussi, d’arguments en révélations, je défendis mon cas avec la hargne et le cœur d’un condamné à tort qui n’a plus rien à perdre. Au moins, avait-il souri. Mes attentes n’étaient peut-être pas trop gourmandes.
À la longue liste de mes observations concernant mon hypothétique sauveur, j’aurais pu ajouter en lettres capitales qu’il avec un réel don pour le suspens. Alors que je brûle de connaître sa décision, au mieux ses impressions, il me flatte et pousse son assiette vers moi, m’invitant à goûter la pâtisserie pour laquelle il ne manquait pas d’éloge. « À ce point ? » m'enquis-je en entrant dans la danse et pour ne pas le brusquer. L’oppression ne mène qu’à la perte. Et, je devais bien l’avouer, il titillait ma curiosité. Une part de moi était touchée par l’attention également. Elle était délicate et je m’autorisai à n’y entrevoir que du positif. Je ne le rebutais pas, il cherchait à se montrer sympathique, la bonne nouvelle était peut-être en chemin, à condition, bien sûr, que je ne commette une maladresse, comme mépriser un geste amical, un geste tout destiné à me détendre moi aussi. « Vous savez pas ce que vous venez de faire, je crois. Je suis addict au sucre…et la tarte aux pommes, avec de la cannelle, c’est mon péché mignon. » avouais-je sans surjouer sur un ton plus rieur. J’avais découvert ce mets simple et particulier grâce à Hank. Il ne cuisinait pas, mais il avait hérité de la recette de sa mère. Il m’en préparait à chaque fois que j’avais du chagrin ou que j’étais anxieuse. Ce soir, tous les ingrédients étant réunis, je me laissai tenter. « Le must, c’est quand elle est encore chaude et qu’il mette de la glace vanille par-dessus, avec un peu de chantilly. » Je piochai un morceau dans son assiette et je fus conquise à cette seule et unique bouchée. J’en grimaçai de contentement, battant de l’air de la main. « Quand même. Bonne pioche, Sherlock. Et merci. » En confiance, je lui aurais demandé s’il avait l’intention de la terminer, histoire de pas gâcher. Au contraire, j’en savourai la douceur lentement, parce qu’il le livrait enfin, son ressenti, et que mastiquer n’était plus une prérogative. « Je ne fuirai pas parce que… parce qu’ici, je n’ai aucune responsabilité qui me flipper. » Un mariage arrangé, un sans amour, un homme rustre et incapable de se faire apprécier, un enfant présumé que je ne désirais pas non plus. Je l’interrompis de cette remarque, mais la précision méritait une impolitesse.
Outre l’argent, la confiance était le cœur du dilemme du gentleman assis en face de moi. Il hésitait encore et je comprenais. Combien d’intrigantes ne foutent pas la merde dans des organisations bien rodées ? Yoko Ono elle-même, d’après la légende, avait séparé les Beatles. Depuis que le monde est monde, l’Homme aime la femme autant qu’il la redoute davantage lorsqu’elle est belle et, bien que cette réalité m’échappe encore, j’étais qualifiée d’attirante par la gent masculine. J’étais donc toute prête à lui accorder le temps de la réflexion, à mon beau Diable, dussé-je patienter quelques jours ou quelques semaines. J’étais même à deux doigts de le lui proposer d’ailleurs, mais il me coupa l'herbe sous le pied, formulant une offre d'emploi qui me percuta de plein fouet tant elle dépassait mes suppositions les plus folles. « Vous êtes sérieux ? Vous seriez prêt à me fournir un logement et du boulot ? » m'étonnais-je les traits mangés par mes yeux. Ils s’agrandirent sous la surprise. Ils prenaient toute la place et se confondaient à mon sourire presque extatique. « C’est plus que je n’espérais. Je… ne sais pas quoi dire. » Alors, je n’ajoutai rien, déchantant sous le compliment.
Bien foutue et pas mal d’argent dans la même phrase, c’était synonyme des métiers de la nuit où le sexe est la contrepartie. Or, je souffrais d’une forme de pudeur mesurée liée à mes valeurs et à mon sens de l’honneur. Je peux m’allonger dans le lit d’un homme si l’affection beugle plus fort que l’amour à mes tympans, mais je ne suis pas une catin qui passe de mains en mains ni femme qu’on entretient indéfiniment. Je peux charmer avec l’efficacité d’une enjôleuse, mais du reste… « Parce que je peux pas dire oui sans savoir de quoi il en retourne. » C’est fou comme cette simple évocation me fit redescendre de mes échasses. J’étais toujours enthousiaste, mesurant l’insolence de ma chance, mais j’avais besoin de maîtriser tous les paramètres, de les entendre, de ne laisser planer aucune inconnue, quitte à le vexer… « Vous pouvez même garder les deux yeux sur moi si vous voulez. Je ne veux pas jouer les capricieuses et les ingrates. Cette offre, elle est inespérée et j’aimerais bien pouvoir me contenter de vous dire merci et de vous demander où je peux signer en essayant de pas vous sauter au cou, mais… je ne sais même pas qui vous êtes, ni ce que vous faites exactement. Alors, je ne demande pas à savoir tout ça, je veux bien vous faire confiance aveuglément, parce que c’est de bonne guerre. » Ne lui avais-je pas réclamé l’identique ? « Et parce que c’est moi qui suis venue frapper à votre porte, mais bien foutue et pas mal d’argent dans la même phrase, c’est… inquiétant. Je ne sais pas et je ne peux pas tout faire. » Hors de question de chasser la proie pour l’ombre. « Je peux me plier à toutes vos exigences si ça vous rassure et que ça débouche sur des papiers en règle. Je peux bien cirer vos pompes si vous voulez. Je m’en tape. Ça me fait pas vraiment peur. Vous savez ce qu’on dit : la fin justifie les moyens. Mais, s’il s’agit de prostitution ou des trucs du genre, je passerai mon tour… Même si j’apprécierai la bonté de l’offre, je ne pourrai pas l’accepter. » J’aurais pu avoir honte de cracher dans une main tendue dans l’éventualité où je visais juste. Sauf que mon tracas, c’était de rater une opportunité et, plus encore, de le froisser. Il m’avait fait forte impression, l’inconnu. Et, aussi étrange cela puisse-t-il paraître, je détestais l’idée qu’il garde de moi une image des plus désagréables. Pour une raison inconnue, j’avais besoin qu’il m’apprécie. Alors, je m’excusai au préalable dans ma langue natale pour mon audace et je baissai les yeux, soudainement intéressée par mon café.
Le face-à-face qu’il avait eu avec la jeune femme l’avait perturbé, il n’avait pas détaché ses yeux d’elle, observant ses mimiques lorsqu’elle défendu sa cause sans relâche. Il appréciait fortement ce genre de caractère et ne perdait aucun mot prononcé par son interlocutrice. Il venait de la rencontrer et pourtant elle arrivait déjà à l’amadouer, ce que certaines personnes n’avait jamais réussi à faire après des années de service. Elle dégageait quelque chose qu’il appréciait, elle était différente de ceux qui toquait à sa porte en temps normal et cela lui suffisait pour lui faire part d’un peu de sympathie. Il donnait beaucoup de temps dans son restaurant qui au fil des années avait réussi à se faire une bonne place au sein de la communauté de la ville australienne, se comportant dans la vie de tous les jours comme un citoyen normal. Beaucoup le craignaient pour les décisions très radicales qu’il pouvait prendre. Certain n’avait pas eu de chance en croisant son chemin, pensant pouvoir jouer à la loi du plus fort, des choix qui les avaient menés à leur propre perte, six pieds sous terre et pourtant, il y avait ce côté de lui très appréciable d’un homme à l’écoute, pouvant prendre de bonnes décisions, être bon et clément rempli d’une grande générosité. Sa vie ne se résumait pourtant pas qu’au crime. Il donnait beaucoup de temps dans son restaurant qui au fil des années avait réussi à se faire une bonne place au sein de la communauté de la ville australienne, se comportant dans la vie de tous les jour comme un citoyen normal. Il sympathisait avec le voisinage et n’était pas vu comme un homme dangereux. Il avait ce don à rester discret et pourtant lors de la descente des flics quatre ans auparavant il pensait tout perdre. Heureusement, rien n’avait été rendu public et le non-lieu qui avait été prononcé lui avait permis de reprendre la vie, là ou elle s’était arrêté l’obligeant à redoubler de méfiance et accordant que très peu sa confiance, s’apercevant que la loyauté ne tenait qu’à un fil.
Face à la réaction de la jeune femme suite à la dégustation du morceau de tarte, Mitchell ne put s’empêcher de lui sourire avec beaucoup de sincérité, un brin amusé par ce qu’elle venait de dire. Ils avaient un point commun culinaire fort appréciable pour le brun qui avait toujours été très gourmand. Son rapport avec la nourriture était exceptionnelle et quiconque le connaissant savait qu’une part de tarte suffisait à le mettre de bonne humeur. « Tu peux terminer si tu le souhaites.» Elle venait de percer un trou dans sa carapace et cela pouvait être que bénéfique pour elle. « Au centre-ville de Brisbane, il y a un petit restaurant qui propose de très bonne part de tarte, tu devrais y faire un tour, tu ne seras pas déçue. » Il s’échappait un peu plus de leur conversation d’origine, laissant place à une recommandation pour manger de la tarte. Un choix qui pouvait lui faire perdre un peu de sa terreur, mais qui rendait l’ambiance à table plus sereine, pour la jeune femme du moins. Il ne perdait pas le sourire et ne déviait pas son regard qui était posé sur elle depuis quelques secondes, attrapant une serviette en papier. « Tu as une miette .. » Il se permettait de passer la serviette au niveau de sa joue afin de retirer la miette qui s’y était logée.. « De tarte sur la joue. » La cruauté n’était visiblement pas de la partie ce soir.
Après le petit entracte, le spectacle pouvait continuer et Mitchell questionna la jeune femme sur les raisons qui pouvait le forcer à lui faire confiance. Elle n’avait pas attendu bien longtemps avant de se faire entendre à ce sujet et la réponse qu’elle avait donnée était entièrement satisfaisante pour l’Américain. Il hochait simplement la tête en guise de satisfaction, appréciant de plus en plus Lubya qui était sortie de nul part. Elle venait de gagner son attention et il était prêt à aller plus loin en lui proposant de l’aider à atteindre son objectif sans prendre de temps à la réflexion. Il n’était pas du genre à réfléchir longtemps, un gros défaut qu’il traînait. La blonde fut assez surprise en entendant sa proposition, passant de la joie à l’interrogation sur le type de boulot qu’il pouvait lui confier. Il prenait une nouvelle gorgée de sa bière et ne manquait aucune réaction de la Russe qui visiblement n’était pas prête à tout pour obtenir les bonnes grâces de celui qui pouvait être son sauveur. « Ce n’est pas l’envie qui manque ! » Qu’il commentait lorsqu’elle lui fit part qu’il pouvait garder ses deux yeux sur elle, la laissant terminer ensuite avec beaucoup de concentration. Elle était prudente et n’allait pas se jeter sur une offre qu’elle ne connaissait pas, un fait qui avait surpris un peu Mitchell qui habituellement n’avait pas le temps de faire part des termes du contrat que la personne en face signait déjà. Il la trouvait de plus en plus intéressante, mais ne pouvait pas aller dans son sens aussi facilement, ne voulant pas non plus perdre en crédibilité. « Crois-moi, il vaut mieux pour toi que tu ne saches pas qui je suis, pour le moment du moins.» Puis il n’allait pas prendre ce risque de lui donner son nom sans avoir conclu la moindre affaire avec elle. « Ce que je peux te dire, c’est qu’il vaut mieux m’avoir avec que contre soi, je vends du rêve à ceux qui en ont besoin, je ne fais rien de plus. » Qu’il disait de façon évasive. Tout était métaphorique, bien sûr, le rêve qu’il vendait pouvait le mener tout droit en prison sans avoir à passer par la case départ. La vente de drogue était sa principale activité dans le crime, puis il y avait le détournement d’argent, la prostitution, les faux papiers, et tant d’autres activité illégal. Elle n’avait pas besoin de savoir, elle le découvrira en temps voulu qu’il se disait. Après ses quelques mots, il garda le silence un petit instant. Bien sûr qu’il avait pensé à la mettre sur le trottoir, du moins au premier abord, puis il s’était dit qu’elle était trop sophistiquée pour cela et n’avait pas attendu d’avoir son avis pour penser cela, mais il n’allait pas lui en faire part. Il déposa son verre sur la table après avoir vidé son contenu, soufflant un bon coup avant de retrouver sa position précédente. « J’ai un poste de serveuse qui s’est libéré, tu commences le soir à 23h, tu sers des verres, tu supportes de grosse brutes qui ne manqueront pas de te faire savoir que tu es fortement appréciable à regarder, tu leur offre un joli sourire et ils te donneront un bon pourboire. » Le monde du crime pouvait être très généreux. « Tu termines ton service vers 6h du matin puis tu rentres chez toi et tu fais ce que bon te semble. Si tu fais tes preuves, t’auras la possibilité de travailler le jour et de me tenir compagnie par la même occasion. » Il lui offrait un sourire charmeur sur la fin de sa prise de parole avant de finalement rajouter quelques mots : « Bien sûr, tu seras payée, je prendrai un pourcentage pour compenser l’élaboration de tes nouveaux papiers, tu seras libre de faire ce que bon te semble, mais si j’ai besoin de toi, tu dois répondre présente, je ne tolère aucune faute, tu merdes, tu dégages, c’est aussi simple que ça et il faudra que tu te démerdes pour me rembourser et crois moi, ça ne sera pas une partie de plaisir. » Il ne voulait pas lui faire peur, mais tenait à arborer ce discours pour être sûr de l’impact. « Partante ? » Qu’il demandait pour finir sans la lâcher du regard.
J’ignorais si ces considérations autour de ce morceau de tarte étaient le fruit d’une manigance pour me faire digérer un refus ou d’une volonté farouche de me détendre. Mais, ce fut, à mes yeux, une parenthèse enchantée des plus appréciables. L’espace d’un instant, j’eus le sentiment que nous étions deux vieux amis tout près d’échanger la recette atavique des cookies de nos grands-mères. Pour peu, je fus à deux doigts de le tutoyer, d’autant que la sensation qu’il me rappelait vaguement quelqu’un me frappa à nouveau de plein fouet. C’était étrange, déstabilisant, mais je ne me perdis pas à rassembler mes souvenirs en quête d’une quelconque révélation. À quoi bon ? Je n’y trouverais rien. On n’oublie pas un homme comme lui d’un coup de baguette magique. J’étais également plus pressée par l’urgence de ma cavalière requête que houspillée par la curiosité. S’il en était, c’était de le connaître mieux, faute à sa délicatesse. Qu’il me propose d’achever sa pâtisserie, c’était poli. En revanche, qu’il s’autorise à essuyer ma joue de sa serviette, c’était désarçonnant puisque cet intermède, comparé plus tôt à un rendez-vous entre deux vieilles connaissances, prenait dangereusement l’allure d’un rencard. Dangereusement, oui, car mes pommettes rosirent, non pas d’indignation, mais d’un savant mélange d’étonnement et de ravissement. Je ne l’attendais pas là, mon présumé sauveur. Il avait l’air si rustre que je ne m’étais pas préparée à une telle manifestation d’intérêt, un intérêt auquel je me montre un soupçon trop sensible. « Oh. Merci. Je ne sais pas manger visiblement. » aurais-je dû contenter de répondre. Pourtant, j’ajoutai, trop spontanément à mon goût : « J’imagine que Brisbane est grande. Si je veux pouvoir y goûter, il va falloir m’y emmener. »
Je n’étais pas convaincue que flirter avec cet étranger était une brillante idée. Au contraire, c’était le genre de réaction non calculée qui m’attirait parfois un paquet d’ennuis. La perche était néanmoins trop longue pour ne pas être saisie à pleine main. Dès lors, considérant que je n’étais pas l’unique responsable si cette discussion d’affaires quittait les rails, je choisis d’assumer d’un sourire franc, presque facétieux, voire malicieux. Bien sûr, j’aurais pu détourner les yeux à cause de l’intensité de son regard ou de ma honte causée par mon audace. Or, j’avais besoin de distinguer dans quelle mesure j’avais outrepassé les limites du raisonnable. Après tout, cette scène aussi embarrassante que charmante n’était peut-être qu’un jeu pour lui, un jeu qui l’amusait beaucoup et dont il détenait les règles. Or, au lieu de me taire et pour mieux les appréhender, ces règles, je m’enfonçai plus allant dans ma connerie. « Ou me donner l’adresse exacte, mais manger seul, c’est tout de suite moins drôle. » Un peu comme aider la première venue sous prétexte qu’elle a, d’après lui, des jolies formes. Ce n’était pas de la prétention, pas même une supposition, en moins de quelques minutes, ne m’avaient-ils pas complimenté, à sa manière, par deux fois ? « D’ailleurs, je propose qu’on partage celui-là… parce que je ne suis pas capable de dire non au sucre… » Dommage que toutes les bonnes choses aient à supporter une fin. Le destin me l’apprit bien souvent à mes dépens et, bien que je sois moins nerveuse qu’à la genèse de cette rencontre, je me concentrai à nouveau sur mon objectif : mes papiers et la confiance. On n’obtient rien sous prétexte qu’on le demande gentiment et avec le sourire. Jamais, tout du moins, quand il était question d’argent. Il est le nerf de la guerre et les miens, qui regrettent la douceur du moment précédent, se tendaient à nouveau. Quelle drôle d’idée d’avoir commandé un café…
Mes intuitions se confirmèrent aussitôt qu’il prit la parole. Il n’était pas un saint, mon bienfaiteur. Il n’avait pas non plus l’intention de lever le mystère sur son identité, ce qui aurait pu suffire à m’angoisser finalement. Toutefois, rassurée qu’il ne m’imagine pas dans une tenue légère pour attirer des hommes qui paieraient l’autorisation de me culbuter la minute qui suivrait, je me contentai du minimum, appréciant toujours un peu trop ces aveux indirects qui sous-entendaient que je l’intriguais, que je ne le laissais pas totalement indifférent. « J’en aurais connu de plus désagréables. » commentais-je avec plus d’assurance cette fois. Je ne regrettai pas aussitôt, bien que je finisse tout de même par me mordre la lèvre, flattée et soucieuse de lui cacher que l’implicite me plaisait. Rien ne me vaudrait de n’être plus qu’une femme sensible à l’attrait d’un bel homme. J’en deviendrais une semblable à toutes les autres si, d’aventures, il enjôlait par habitude : il avait de quoi compter parmi les séducteurs les plus dangereux qu’il me fut donné de rencontrer. « Et je me contenterai de ça. » À ce stade, qui il était m’importait moins que ce qu’il représentait. Il pouvait se montrer périlleux de se le mettre à dos et, s’il confirmait surtout mon intuition et ses propos précédents, je hochai positivement de la tête, signe que j’avais compris, que je n'y ferais plus la moindre allusion, que j’attendrai sagement qu’il choisisse l’heure où ma soif de savoir sera assouvie. Sur l’heure, j’avais surtout faim, faim d’en apprendre plus sur son offre d’emploi.
Elle tombait du ciel puisqu’il n’était pas question de prostitution. Elle était aussi inespérée qu’elle n’était confortable. Travailler de nuit ne m’effrayait pas. Quant aux nombres d’heures, j’en avais presté tellement au Nouveau-Mexique. Hank m’employait, oui, mais il s’arrangeait également pour me tenir occupée si souvent que possible, histoire de veiller sur moi. Il était persuadé que, si je me noyais dans le travail, je ne ressemblerais plus à une épave. Ça finit par payer, mais pas grâce aux verres que j’essuyais ou que je remplissais du matin au soir. Ma peine s'atténua par la force du temps, parce qu’il emporte tout sous son passage… absolument tout. « Un poste de serveuse ? Évidemment que je suis partante, j’ai fait ça toute ma vie. » À peu de chose près. « Je peux gérer beaucoup de commandes à la fois, porter un plateau bondé et esquiver tous les obstacles. Si j’étais prétentieuse, je vous conseillerais de vous préparer à m’avoir dans les pattes, parce que tout ça, c’est vraiment dans mes cordes. » Fini l’ascenseur émotionnel. L’enthousiasme ranima mon cœur jusqu’alors lénifié par la crainte et le doute. Mon sourire était si lumineux, à présent, qu’il pourrait se répandre comme une maladie contagieuse à quiconque se glorifiait d’avoir tendu la main à son prochain. J’ignorais ce qu’il en était pour mon interlocuteur. Il dispensait toujours ses avertissements et, bien que j’avais déjà accepté à mots-cachés, je m’intéressai à ces nouvelles énigmes. « Mais, vous savez, mon ancien patron, il considérait que casser un verre, c’était de trop. Bon, après, c’était plus un chien qui aboie qu’un chien qui mord. » Les premiers jours, j’en brisai tellement qu’il m’affubla d’un surnom dégradant auquel je m’habituai sur la durée. « Vous entendez quoi par merder ? C’est contrarié un client ? » Ils étaient précieux, surtout dans un bar, parce que la concurrence est rude dans le monde de la nuit. « C’est une espèce de discothèque ? Il y a un uniforme. Et, ça veut dire quoi : si vous avez besoin de moi ? Ce serait pour quel genre de services ? » J’aurais pu l’interroger sur le pourcentage qu’il ponctionnerait de mon salaire, mais ça n’avait pas la moindre espèce d’intérêt. C’était une aubaine, ce job. Je n’avais jamais été vénale non plus. A contrario, j’aurais épousé Sacha et mené une vie sans amour, mais confortable, dans le luxe et l’oisiveté. J’aurais été comme ma mère, un sac à main. « Et, vous me laissez combien de temps pour vous rembourser ? » Beaucoup plus à l’aise, je grappillai un morceau supplémentaire de sa part de tarte. Elle était encore meilleure maintenant que j’étais débarrassée du goût amer de la peur d’être rejetée. « Vous savez, je suis pas en train de faire la fine bouche. » Je rapprochai de lui l’assiette et déposai la cuillère dans cette dernière. M’occuper les mains, c’était canaliser mon énergie sur une émotion plus constructive – en l’occurrence, la reconnaissance – et non sur la crainte incessante de déplaire. « Je suis juste bien consciente que vous n’étiez pas obligé de faire ça et que j’ai beaucoup de chance. Tout ce que je veux, c’est pas passé à côté parce que j’aurai merdé et que j’aurais pu l’éviter si j’avais simplement demandé des précisions. Après, je chercherai un moyen de vous remercier comme il se doit... »
La conversation avait été détourné de son principal objectif alors que le brun s’était permis de proposer un morceau de sa tarte aux pommes à la blonde qu’il venait de rencontrer. Cette preuve de gentillesse qu’il avait orchestrée pour détendre l’atmosphère, sentant la jeune femme tendue par la situation. Il n’avait pas été très tendre lors des premiers échangés, voulant lui faire en premier lieu forte allure, mais aussi lui faire comprendre qu’elle n’était pas face à n’importe qui bien qu’il ne se présentât pas lorsqu’elle lui serra la main, laissant le mystère planer sur son identité et son activité. La seule chose qu’elle devait savoir en premier lieu, c’était qu’il pouvait l’aider et lui fournir ce dont elle avait besoin, une entrée en matière qui avait permis au quarantenaire de se faire une première idée de son interlocutrice. Les minutes qui avaient suivi avaient été troublantes, se concentrant un instant sur le visage de la blonde, il l’avait observé, appréciant ce qu’elle pouvait dégager, un peu trop à vrai dire. Il ne pouvait pas vraiment expliquer ce qui s’était produit dans son esprit lorsqu’il poussa l’assiette vers elle et encore moins lorsqu’il lui hotta la miette logée sur sa joue alors qu’il venait tout juste de la rencontrer et qu’il était censé lui faire forte impression dans un tout autre sens. Tout s’était fait naturellement, laissant apparaître une faille de sa personnalité.
Il ne pouvait pas nier le fait qu’il la trouvait très attirante, physiquement certes, mais également par la prestance qu’elle dégageait. S’il ne s’agissait pas d’un rendez-vous pour faire affaire, il l’aurait sûrement invité à boire un verre par la suite et aurait sûrement tout mis en œuvre pour l’emmener chez lui. Depuis le départ de Mavis, sa femme, il collectionnait les petites aventures, jouant de son charme et de son charisme pour faire succomber toute femme un peu trop facile. Triste constat après onze ans de mariage. Aux yeux de la loi ils étaient toujours mariés, mais son alliance elle, s’était perdu dans un des nombreux tiroirs de son appartement. Il se posait la question de temps en temps sur ce qu’il ressentait réellement et ne pouvait jamais mettre de mot sur ce qui le liait à Mavis. Il l’aimait, il n’y avait aucun doute là-dessus, mais le type d’amour qu’il lui portait n’était pas semblable à celui qu’un couple marié pouvait avoir l’un pour l’autre. À vrai dire, c’était plus de l’affection que de l’amour, mais il n’en avait pas réellement conscience.
Elle attrapait sans grand mal la perche tendue par Mitchell, inconsciemment. Il souriait intéressé par ce qu’elle venait de dire, avant de redescendre sur terre se rendant compte qu’il ne devait pas s’éloigner du sujet principal et que ce n’était pas approprié de flirter avec la jeune femme qui allait sûrement travailler pour lui. Sa règle d’or était bien de ne pas mélanger sa vie privée avec le boulot et il fallait qu’il s’y tienne. « Je te donnerai l’adresse, je suis sûr que tu trouveras quelqu'un pour t’y accompagner. » Qu’il avait dit d’une manière assez froide avant de passer au réel sujet de sa présence ici ignorant sa proposition à partager ce qu’il restait de la tarte, préférant se lancer dans la suite de la conversation lancée un peu plus tôt.
Il préservait son identité et avait été assez vaste sur son activité, pensant qu’en entendant simplement –mafia- ou encore –gang- Lubya se déciderait à fuir. Il lui ferait part de ce qu’elle devait savoir sur lui et le club en temps voulu avec le temps, mais attendant, il lui fit part du poste qu’elle pouvait occuper pour se payer ses nouveaux papiers d’identité. En premier lieu la proposition du chef de gang avait tout pour plaire à la blonde qui se montrait enthousiaste à l’idée de faire ce job. Bien sûr, elle n’avait pas idée de l’environnement que pouvait être le bar appelé le Club similaire au nom du gang. « Ça tombe bien, des obstacles, il y en aura à éviter ! » Qu’il commentait en laissant échapper un petit rire qu’il n’avait pas pu retenir. Au sein du club, les mouvements pouvaient être brusques et des bagarres pouvaient très vite débuter. Il baissait le regard vers son sourire radieux, se rappelant à l’ordre une nouvelle fois, intérieurement, pour se concentrer sur ce qu’elle disait sur son patron. Il roulait des yeux rapidement sans pour autant perdre le sourire, pensant que ça devait être un sacré crétin son ancien patron, imaginant bien le genre de personne que ça pouvait être. « Je vois le genre, mais dis-toi que chez nous, on mord directement, heureusement qu’un verre cassé n’est pas sanctionné.» Il accompagnait la fin de sa phrase par un petit clin d’œil afin de lui faire comprendre qu’il plaisantait. « Tu merdes si tu en parles au flic, tu merdes si tu divulgues l’existence du bar à n’importe qui, tu merdes si tu disparais du jour au lendemain sans un mot. » Il marquait une petite pause avant de très vite reprendre. « Et bien sûr, ne pas contrarier les clients va de soi. » Elle continuait les questions méritant réponses. L’Américain observa un instant les alentours pour au final poser à nouveau son regard sur Lubya. « C’est un bar privé. » Il n’en disait pas plus, pensant qu’elle allait comprendre ou il voulait en venir. « Tu portes ce que tu veux, du moment que c’est … Attractif .» Ce n’était pas nouveau, les vêtements portés par les serveuses du club devaient les rendre attrayante, tel était la politique de la maison. « Je ne te demanderais jamais d’user de ton corps si ça peut te rassurer, mais je pourrai avoir besoin de toi pour m’accompagner à des rendez-vous ou des soirées, mais t’en seras plus en temps voulu. » Ah les fameuses soirées poker qui l’attirait une fois par mois. Il aimait s’y rendre accompagner pour faire bonne figure et sans se le cacher, pour se la raconter aussi. « Tu pourras prendre le temps qu’il te faudra. » Qu’il ajoutait. « Tu n’es pas obligé d’accepter.» Qu’il disait lorsqu’elle affirmait ne pas être en train de faire la fine bouche. Il comprenait bien sûr qu’elle veuille connaître les détails avant de s’engager. Elle avait également beaucoup de chance d’être tombé sur lui sur un bon jour. « Je ne m’inquiète pas pour toi, j’ai un bon pressentiment à ton sujet. » Il lui offrait un sourire, sincère. « Pour me remercier, tu pourrais déjà commencer par ma tutoyer. » Il déposait quelques billets sur la table avant de se lever. « Tu m’accompagnes ?» Il avait besoin de prendre l’air, de se rafraîchir les idées et surtout de fumer une cigarette. « On continuera notre conversation à l’extérieur. »
Ma spontanéité, je la chéris comme une précieuse qualité, car elle est tout ce qu’il me demeure en candeur et en insouciance. Mon enfant me fut dérobée par l’absence d’un père aimant. Mon adolescence, elle s’écourta à cause de ma fuite et du job que je me dégotai sans grande difficulté, faute à mon faciès angélique et mes formes harmonieuses de jouvencelle. Pour les clients du bar, j’étais une sorte de fantasmes assumés, bien que je n’y entende raison, qui leur plaisait de taquiner d’une remarque grivoise. Ma réaction, à l’époque, était toujours la même : je remerciais, rouge de honte ou je m’offusquais en silence, non moins colorée pour autant. Ça les amusait beaucoup, eux, et avec le temps, m’endurcissant, j’appris à les déstabiliser en parlant leur langage, la vulgarité mise à part, en prêchant l’intérêt. Ça marchait si bien que ça en devint une manie, un réflexe auquel je cédai ce soir alors que mon inconnu discutait tarte et restaurant. Il demeurait cependant une différence notoire entre mes jeux d’hier et celui d’aujourd’hui : je ne feignais pas tout à fait. Au contraire, je ne me renfrognerais pas aussi discrètement possible et dans le plus parfait des silences devant sa froideur. J’ignorais si ma contrariété tenait plus de la blessure de l’ego d’être éconduite si placidement ou de la honte d’avoir été si audacieuse. Je ne savais pas non plus si mon insolence dépendait d’une inclination pour son charisme ou pour la flatterie née de ses différents compliments. Mais, ça n’avait, finalement, que peu d’importance. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat ne variait pas d’un chouïa. Je me sentais grotesque, autant qu’un éléphant piégé dans un magasin de porcelaine. Malheureusement, c’était trop tard pour revenir en arrière. Alors, je ramassai ma fierté et je tirai de mon erreur l’enseignement qui s’imposait : ne pas confondre le torchon qui traîne dans un bar de péquenaud avec la serviette d’un lounge huppé. Il ne restait plus qu’à bien l’intégrer et, en attendant, revenir au dessein initial de cette conversation : me bâtir un avenir solide ce qui passait obligatoirement par des nouveaux papiers et, par extension, par mon bon samaritain.
Lorsque j’imaginai cette entrevue pour m’y préparer au mieux, jamais je n’envisageai la possibilité d’en ressortir avec une proposition d’emploi. Dieu que l’aubaine était belle. Mon cœur, pétri d’enthousiasme, repoussa toute forme de méfiance émanant de ma tête bien faite. J’étais habitée par une telle volonté de bien faire que mes questions, somme toute pertinentes, auraient pu l’oppresser. Pourtant, il me répondait tantôt avec amusement tantôt avec gravité. Quelquefois encore, il était vague et je présumais que la discrétion était de mise en pareils lieux et qu’il était peut-être fait pour l’intrigue. Ne m’étais-je pas déjà fait la réflexion ? « Attractif… je vois. » répétais-je songeuse. Ça ne m’embêtait pas vraiment. Le regard des hommes ne me dérangeait plus tout à fait depuis le Nouveau-Mexique. « Je n’ai pas pu emporter grand-chose quand j’ai quitté mon mari. Il n’y avait pas de place pour des bagages entiers, mais j’ai ce qu’il faut. » Une robe, une paire de talons pour allonger le galbe de mes jambes et que j’étais capable de supporter toute une soirée, un chignon coiffé décoiffé, un soupçon de maquillage pour habiller mes yeux. Ouais. Me montrer attirante, ça aussi, c’était dans mes cordes. J’étais même en mesure d’aguicher si c’était nécessaire, à condition, bien entendu, que consommer ne soit ni une obligation ni une fatalité. Par chance, il ne réclamait pas davantage que ma courtoisie en faveur de ses clients. Plus étonnant encore, j’étais libre de le rembourser à mon rythme, sans pression et c’était diablement rassurant. Ô, bien sûr, par souci d’honnêteté, je m’emploierai autant que possible à amenuir ma dette. La laisser traîner ne m’apporterait rien d’autre que des ennuis. On n’abuse pas de la gentillesse d’un homme comme mon futur patron. Il me l’ancrait dans le crâne à coup de pioche à chaque fois qu’il le répétait et, quoique ça ne soit plus vraiment nécessaire, je lui rappelais à mon tour que jamais je ne détromperai son pressentiment. S’il était positif, il le resterait. Qu’importe si mon CV ne présumait pas de ma loyauté, elle existait bel et bien. La seule raison pour laquelle je trahirais cette parole, c’était de me sentir prisonnière d’un engagement irrévocable. Un job. Une dette. Un toit. Ce n’est pas gravé pas dans le marbre. On peut s’en émanciper. Un enfant, en revanche, c’est une promesse pour l’éternité… « Non. En effet, je ne suis pas obligée, mais… je serais folle de ne pas accepter. » ponctuais-je d’un sourire débordant de joie et de gratitude. Mon regard la trahissait également. J’étais conquise par tant de bonté et je savourais ma chance sans retenue. « De là à vous tutoyer… » Je grimaçai d’embarras, je fuis ses yeux si hypnotiques, presque percutants et, finalement, je m’amusai de la situation « Mais, je vais essayer. Promis. Bien que je doute que ça soit suffisant pour vous remercier… » Je cognai mon crâne de ma main et je me repris aussitôt. « Te remercier. Je sens que ça va être compliqué. » Mais, je m’y ferai. Je m’adapte toujours, c’est dans ma personnalité.
Tandis qu’il abandonnait quelques billets sur la table pour payer l’addition, je déduis sans risque que l’entretien s’achevait ici, malgré les innombrables questions qui trottaient encore dans mon crâne : quand étais-je supposée commencer ? Avait-il réellement un toit à déposer sur ma tête ? Aurais-je un loyer à lui verser ? En outre, au milieu de toutes ces interrogations, je m’inquiétais également qu’il ne revienne sur son choix à cause d’un manque d’initiative de ma part. Je n’avais pas le sentiment d’être démunie, mais ma chance était si insolente que j’avais du mal à l’accepter. Je m’en réjouissais, oui, mais non sans angoisse. Je m’apprêtais donc à lui demander s’il avait besoin d’un numéro de téléphone sur lequel me joindre dans l’éventualité plus que probable où il ne l’aurait pas enregistré. Mais, il me devança. Il ne clôturait pas brusquement cet entretien, il avait seulement envie d'un bol d'air frais, tout du moins, je le supposais. « Avec plaisir » glissais-je rassurée et déjà prête à le suivre. Mon sac en toile était lourd sur mon épaule. Quant à ma veste en Denim, maintenant que nous étions à l’extérieur, elle était trop légère. Et, pourtant, je ne souffrais pas vraiment de la fraîcheur de la nuit. J’étais bien trop enjouée. Ce qui m’effraya, c’était mon reflet dans la vitrine. Dans mon vieux jeans et mes bottines décaties, j’avais l’air d’une pauvre fille et je m’en excusai. « Si j’avais su qu’on en serait là, j’aurais fait un effort vestimentaire. C’est pas vraiment adéquat pour un entretien d’embauche. » plaisantais-je, cédant à un éclat de rire. Il résonna en écho dans la vacuité de l’aire d’autoroute et, inconsciemment, j’espérai qu’il serait contagieux. « Je me suis installée dans un motel à quelques kilomètres d’ici, mais c’était provisoire. J’avais l’intention d’éplucher les petites annonces pour trouver un truc en ville. » Avec un colocataire dans l’idéal. « Mais, si j’ai bien compris, tout à l’heure, vous... tu n'as pas seulement parlé d’un job, mais d’un endroit où vivre. C’est bien ça ? » Je m'estimais hardie d’aborder moi-même le sujet, mais il tenait un bar privé. Nul doute qu’il avait d’autres chats à fouetter, la nuit, que les âmes en détresse comme la mienne. « Et, maintenant que j’ai accepté, quand est-ce que je signe ? » J’entourai le verbe de guillemets mimés avec mes doigts. C’était du black, évidemment. Je n’avais pas de papier. C’était juste une manière élégante de lui demander « Je commence quand ? » « Oh et, merci… je sais pas pourquoi tu fais tout ça pour moi, mais je le dis encore, merci, merci et merci. » scandais-je dans ma langue maternelle.
Le charme était un moyen comme un autre pour le mafieux d’arriver à ses fins qui se savait un minimum attrayant. Il en avait joué bien des fois pour ne pas passer la nuit seul. La solitude était un point dont il n’aimait pas parler, un fait qu’il n’osait pas s’avouer. Il se retrouvait à se convaincre qu’un homme comme lui, étant plutôt bien entouré ne pouvait pas se plaindre de se retrouver seul une fois la nuit tombée et pourtant ce sentiment était bien présent au fond de lui, Mitchell Strange souffrait d’une grande solitude. Quand certains le voyaient comme le diable en personne d’autres ne s’étaient jamais penché pour en savoir plus sur sa personne, se contentant de faire ce qu’il demandait tout en gardant la tête baissée, prévoyant sûrement dans un coin de leur tête un moyen de le fuir sans se le mettre à dos. Les bruits de couloirs à ce sujet, n’étaient pas de simples rumeurs, quitter la famille qu’il s’était donné beaucoup de mal à garder à flot, c'était comme signer son arrêt de mort. La confiance se perdait aussi tôt qu’on lui tournait le dos et la survie était très mince. De vrais amis il s’en était fait très peu au cours de ses nombreuses années dans le crime, préférant garder un contact restreint avec ceux qui n’avaient rien à voir avec le club pour ne pas les impliquer dans ce qu’il faisait dans l’ombre, mais aussi avec ceux qui travaillaient pour lui, ne voulant pas mélanger les affaires avec des accolades amicales qui un jour ou l’autre pourrait mal tourner, en connaissance de cause. Au final, seul son frère le connaissait réellement sous tous ses traits, il était celui vers qui il se penchait lorsqu’il avait besoin de parler et surtout lorsqu’il avait besoin de se rappeler de qui il était. Il avait conscience que cette relation fraternelle se briserait un jour, qu’Alec souhaitera sûrement prendre son propre chemin, mais il espérait que cela n’arriverait jamais, il n’était pas encore prêt à le laisser partir, alors qu’il se faisait tout juste à l’idée que sa femme avait pris la fuite suite à une de leurs nombreuses disputes.
Lubya avait un point commun avec le brun que lui seul connaissait, elle avait pris la fuite à de maintes reprises, tout comme lui l’avait fait avant son arrivée à Brisbane, pour des raisons qui n’étaient certes, pas similaires, mais qui suffisait à ce que le criminel comprenne ce qu’elle était en train de vivre. Vouloir un nouveau départ était tout à fait légitime et il était prêt à lui donner un coup de main, en partie par compassion. Bien sûr, il ne mettait pas de côté le fait qu’elle puisse lui apporter quelque chose en retour et c’est sans hésiter qu’il lui avait proposé de travailler pour lui au QG du club, un bar clandestin qui attirait de nombreux gangsters du coin prêt à dépenser beaucoup d’argent pour la discrétion du lieu et la vue attrayante des serveuses. Il ne cachait pas le fait qu’elle devait se mettre en valeur, une condition à laquelle il tenait, bien que cela pouvait le rendre un poil sexiste. De nombreuses jeunes femmes avant elle, avaient fait demi-tour en passant leur premier service au sein du bar et il préférait être direct avec elle. « Je ne te cache pas que tu auras sûrement le droit à quelques flatteries et regards incessant que tu devras supporter. » Le but n’étant pas de faire d’elle un morceau de viande, il reprenait assez vite. « Bien sûr, tu es libre de ton corps, mais je ne veux pas d’histoire de cul qui plombe l’ambiance. » Il regardait légèrement autour de lui, une habitude qu’il avait prise depuis sa sortie de prison. « Puis si jamais on t’embête, je ne veux pas que tu fasses de scandales, tu viens me voir et je m’en occuperais. » Les filles qu’il engageait étaient sous la protection du club et quiconque s’en prenait à elles, avait à faire à lui. « Raelyn se fera sûrement un plaisir de t’accompagné faire quelques emplettes, puisque c’est elle qui t’a mené à moi, ça te permettra de ne pas être trop vite désorienter. » Puis il savait qu’il pouvait compter sur Raelyn qui travaillait à ses côtés depuis de nombreuses années. « À mes frais, bien sûrs.» Le club prenait en charge toute sorte de dépense à sa charge, un avantage non-négligeable.
Suite à ses nombreuses mises en garde sur la loyauté et la conduite à avoir, il retrouvait son air de sympathie qui était apparu un peu plus tôt dans la conversation, il comprenait qu’elle allait accepter sa proposition et en était ravi. Il espérait secrètement ne pas faire un mauvais choix, mais faisait confiance à son instinct qui le trahissait rarement. « C’est le genre de proposition que je ne ferai pas deux fois.» Qu’il précisait avant qu’elle lui fasse part vouloir le remercier. Avec le sourire, il lui avait fait part de sa volonté à ce qu’elle le tutoie, il était peut-être son boss à présent, mais les vouvoiements ne le mettaient pas spécialement à l’aise. Il laissait son sourire s’étendre un peu lorsqu’elle tenta de le tutoyer, pour au final le faire non sans mal. « Tu auras de nombreuses occasions de me remercier, bien que ce soi pas réellement nécessaire. » Un employé ne remerciait pas son patron pour lui avait donner un boulot qu’il se laissait penser avant de déposer quelques billets sur la table pour payer la note et lui proposer de le suivre à l’extérieur afin de prendre un bol d’air frais dont il avait grandement besoin.
La brise nocturne commençait à souffler et la nuit était définitivement tombée sur Brisbane. Mitchell levait les yeux vers le ciel avant de regarder son interlocutrice qui se disait mal habillée. Il se permettait de la regarder de haut en bas afin de constater de lui-même ce qu’elle venait de dire. « Tu plaisantes ? » Qu’il demandait en rigolant légèrement. Certes, elle n’était pas venue vêtu d’un tailleur digne d’un entretien d’embauche dans une grande entreprise, mais elle n’était pas non plus habillée comme un sac. « Du moment que tu ne te pointes pas comme ça demain soir… » Il haussait les épaules pour lui montrer qu’il ne lui tenait pas rigueur. « Puis crois-moi, j’ai vu bien pire ! » Oh oui ! Il avait eu le droit à toute sorte de style vestimentaire et n’en avait jamais tenu rigueur. Il sortait son paquet de cigarettes de sa poche, en saisissant une qu’il alluma sans attendre avant de tendre son paquet à la blonde. « Tu fumes ? » Qu’il lui demandait avant de l’écouter lui parler du motel qui l’accueillait depuis son arrivée dans le coin. Lui aussi avait connu la joie des motels lors de son départ de Las Vegas pour le nouveau méxique, avec son frère, ils avaient occupé une chambre à deux en attendant de se trouver un logement plus décent. On y dormait assez mal et ce n’était pas du tout sécurisant, surtout pour une jeune femme de son genre. « Pas très rassurant… » Qu’il laissait échapper avant de reprendre. « J’ai un petit appartement de disponible à Fortitude Valley, t’y seras très bien et ce n’est pas loin du bar à pied. » Mitchell possédait de nombreux appartement destiné à ses recrues du Club, des investissements immobiliers qui lui permettaient de garder son argent au chaud sans attirer le regard sur lui. « Tu peux y prendre place dès ce soir si tu veux. » Il comptait faire un tour au club et n’était pas à quelques minutes près. « Sauf si tu préfères t’y installer en plein jour ? » Elle venait de le rencontrer et il pouvait tout à fait comprendre qu’elle ne veuille pas le suivre en pleine nuit. Il laissa échapper un petit rire lorsqu’elle lui fit part de la signature du contrat. « Tu n’es pas du genre patiente à ce que je vois ! » Elle ne s’y attendait peut-être pas, mais il avait bien un contrat à lui faire signer, un contrat qui n’avait aucune valeur aux yeux de l’état, mais qui en avait une au sein du Club. Il avait un tiroir rempli de ce genre de papiers, stipulant dans les moindres détails ce qui avait été convenu, un moyen pour lui de s’y retrouver dans toutes ses affaires, rien de plus. « Tu signeras ton contrat demain avant de commencer, bien sûr, il n’a aucune valeur juridique. » Qu’il précisait tout de même avant de s’approcher de sa bécane. « On est tous passé par là un jour. » Qu’il lui répondait en Russe sans la perdre du regard, laissant apparaître une lueur à travers son regard. « J’espère que tu n’as pas peur à moto ! » qu’il reprenait en lui tendant un casque, bien décidé à la raccompagner, dans son motel ou dans son nouvel appartement.
Encaisser les oeillades lubriques, supporter la lourdeur des dragueurs, éviter les esclandres et les complications charnelles… ces recommandations, elles éveillaient en moi un sentiment de déjà-vu. Sur le fond, elles étaient identiques à celles de Hank et j’en souris avec nostalgie. Elle était loin la gosse de dix-huit ans qui hocha positivement de la tête pour obtenir le job, mais qui pourtant tremblait de peur. Elle se demandait à quelle sauce les clients la mangeraient. Depuis lors, j’avais pris de la bouteille. Je connaissais les pièges tendus par les hommes. J’avais également appris à sourire pour ne pas vexer, qu’il me dégoûte ou non. Il n’est rien de plus dangereux qu’un type imbibé d’alcool qui se sent blessé dans son ego de mâle. La bière, le whisky, etc. les persuadent qu’ils sont irrésistibles, que leur vulgarité est un cadeau et leur main baladeuse, un privilège. Seule l’ingrate ne les remerciait pas et je n’en étais pas une… ou pas tout à fait. Je ne m’étais jamais enorgueillie de leur audace, je ne leur accordais pas plus qu’une factice reconnaissance de susciter en eux le désir. S’ils leur arrivaient d’outrepasser mes limites, je ne criais pas au scandale, je lançais à mon patron une supplique silencieuse et éperdue de détresse et il volait à ma rescousse. Hormis une exception – celle qui fêla mon cœur – je refusais systématiquement de suivre un prédateur pour ma vertu dans son antre tapissée de luxure. Et, s’il arrivait, de temps à autre, qu’un malotru tente de se dérober à mes principes en me coinçant dans la ruelle sombre contiguë au bar, je sortais bombe lacrymogène, pistolet à air comprimé et je m’enfuyais à toutes jambes. Avec le recul, je mesurais aujourd’hui ma chance d’avoir su préserver mon honneur. De la chance… je n’en manquais pas visiblement. Ce serait écrit en épitaphe sur ma tombe d’ailleurs : Lubya Abramova, plus vernie que toutes les cocues du monde réunies. « Oh, j’ai déjà entendu ça et ça ne m’est pas tout à fait inconnu non plus » Nouveau-Mexique ou ailleurs, les gars sont tous pareils. « Je devrais survivre. Pour la suite, c’est peut-être prétentieux, mais j’ai fui les emmerdes, ce n’est pas pour m’en attirer ici et, les hommes. » Tout du moins de ce genre-là, ce que je me gardai bien de préciser. Nul besoin de le vexer, mon inconnu, au travers d’insultes destinées à sa clientèle. « En général, ce sont de vrais nids à problèmes. Alors, merci… mais non merci. » rassurais-je les yeux ronds et le discours appuyé par de larges gestes de négation. Il déniait plus que les mots finalement.
Les mots… Si ceux de mon anonyme étaient parfois rudes, sa parole me semblait d’argent. Elle pare à l’essentiel et je regrettai aussitôt d’avoir témoigné du vide abyssal de ma garde-robe. Voilà qu’à présent, il m’offrait de prendre à sa charge des frais de représentation. Or, c’était trop, beaucoup trop, bien plus que je m’estimais en droit d’accepter et de mériter. Désarçonnée, j’en baissai les yeux, trouvant un intérêt tout particulier dans le fond de café qui traînait dans ma tasse. J’y cherchais une solution pour décliner sans l’offusquer ou sans me montrer impolie. Sauf que c’était périlleux. Était-ce une habitude que de fournir ce genre de services à ses employées ? Peut-être qu'envisager de ce qu’il s’agissait d’une nouvelle faveur n’est que le fruit de mon imagination ? En attendant, je ne savais plus où me mettre et, en relevant les yeux vers lui, je me doutai que mon regard trahirait tout de ma gêne. « Il faut pas… Enfin, j’aime bien les journées shopping entre filles, c’est pas ça… Mais, pas à tes frais… pas encore. » Certes, m’engager, c’est un échange de bon procédé, mais j’aurais été idiote de considérer qu’il ne s’agissait pas d’une forme d’investissement implicite. « Déjà là, j’ai l’impression que j’aurai pas assez d’une vie pour te témoigner ma gratitude. » Ce qui sous-entendait que, d’une certaine manière, je m’emprisonnais. Pour mon esprit farouche, ç’aurait pu être effrayant. La différence, entre mes barreaux précédents et ceux-ci : c’était le choix. Mon inconnu ne me forçait pas la main pour que j’accepte à tout prix, il ne m’imposait rien d’autre que les termes du contrat de travail et quoi de plus normal ? Il est maître en sa demeure et je ne suis jamais qu’une invitée. « Si en plus de ça, vous… » Je soupirai, hésitant à poursuivre, décidant qu’il était préférable de ne pas surenchérir. « Enfin, tu comprends, je suppose…» Nul besoin d’être devin pour le présumer intelligent. La pertinence se lisait sur ses traits. « Et, c’est peut-être habituel, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que c’est le moment de me taire, je crois. » Ce qui était limpide, en revanche, c’était qu’il était doué pour me détendre quand c’est pourtant compromis. Il n’attend pas des remerciements immédiats, moi, j’entends chaque chose en son temps .
Le froid de la nuit me mordait la peau, mais ça me fit un bien fou. L’adrénaline redescendait peu à peu. J’avais moins l’impression de marcher sur les œufs également, sans doute parce que discuter sur un trottoir, c’était moins formel. Je m’autorisai même un trait d'esprit. « Non. Demain, je sors le grand jeu. Jogging, baskets, queue de cheval et t-shirt trop large ACDC. La classe absolue !» plaisantais-je dans un éclat de rire à imaginer la scène. Dieu qu’il est bon de relâcher la pression grâce à l’humour. Lui, par habitude – il n’avait aucune raison valable d’être nerveux – il s’alluma une cigarette, m’en proposant une au passage, et je déclinai poliment. Je n’étais pas la dernière à picoler, mais la nicotine ne m’avait jamais attirée. Quoi qu’il en soit, aborder la question suivante me parut soudainement moins cavalier. Quant à la réponse, elle était aussi inespérée que l’issue de ce rendez-vous. Il avait bien un appartement dans un quartier de Brisbane. Il le cita, oui, mais dans le fond, ça ne m’intéressait pas. J’ignorais tout de cette ville. Et, quand bien même, un deux-pièces – voire une seule – valait mieux qu’une nuit supplémentaire dans un motel. Les précédentes, je scénarisai des catastrophes dans lesquelles j’étais agressée et vidée de toute essence de vie. Les murs, fins comme du papier de cigarette, me privaient de toute intimité. Je percevais à travers les parois les bruits dégueulasses de mes voisins, des routiers pour la plupart. Alors, mes considérations envers cette proposition n’étaient que pragmatiques puisqu’il était disponible de suite. « Là ? Maintenant ? Vraiment ? » m’enquis-je extatique comme une enfant le matin de Noël. « Mais, il est meublé ? Prêt à l’emploi comme ça ? » Pour la première fois depuis le début de cette rencontre, je me demandai si tout n’avait pas été prémédité grâce à Raelynn, ce qui signifiait que je lui avais fait forte impression et qu’elle avait sur cet homme une influence notoire. Il avait foi en son jugement, comme un amant pour sa maîtresse, un mari pour son épouse. Étonnamment, ma supposition m’arracha une pointe de déception à laquelle je n’accordai pas un regard. J’y repenserai peut-être, plus tard, après avoir mis de l’ordre dans mes émotions. J’étais perdue entre joie infinie et méfiance. C’était trop beau pour être tout à fait honnête. Cette histoire cachait quelque chose, forcément, un sale petit secret, mais étais-je bien concernée finalement ? Quand on paie un passeur pour quitter sa terre d’adoption et qu’on ne jouit en Australie que du statut de clandestine, on ne s’encombre pas de la légalité. « Et, comment ça se passe pour le loyer ? » Si j’avais été vénale, j’aurais parlé chiffres, mais le Tout-Puissant me maintint à l’écart de ce défaut détestable. Je songeais modalités, confort et nouvelle vie. « Tout ce que j’ai tient dans ce sac. » Il avait la taille d’un bagage à main. « J’ai du mal à trouver une bonne raison de retourner dans ce motel, et pourtant, je cherche, histoire de ne pas abuser de ton temps, mais… » Je haussai les épaules, l’air entendu, pensant utile, une fois de plus.
Face à tant de veine, je n’avais plus qu’une hâte désormais : acheter mon billet vers un renouveau en signant un contrat qui, à défaut de nous lier juridiquement, engageait mon honneur et ma loyauté. C’était inattendu, mais confortable, presque rassurant sur le moment. La perspective d’apposer un autographe sur un feuillet de papiers, c’était la preuve que je ne rêvais pas. J’acquiesçai donc sans hésitation répliquant dans ma langue natale que : « Non. Enfin, parfois. Mais pas souvent. Disons que j’ai d’autres qualités pour compenser. » Je grimaçai, mutine, tandis que mes traits se fendaient d’un sourire authentique. Il ne me quitterait pas avant longtemps, celui-là. Je n’étais pas convaincue que je trouverais le sommeil d’ailleurs. Mais, qu’à cela ne tienne, j’étais prête pour une balade en moto. À ce stade, je le suivrais au bout du monde, mon bienfaiteur. « Non, pas du tout. Mais, il faut que tu me laisses deux minutes pour me calmer parce que je suis montée sur ressort. » Réclamais-je, toujours en Russe. Il le maîtrisait et j’étais trop enthousiaste pour fournir l’effort de penser en anglais. Il n’était pas considérable, mais quoi de mieux que sa langue natale pour exprimer une émotion, quelle qu'elle soit.
Le boss du club avait bien des problèmes à gérer par moment lorsqu’il s’agissait du rapport entre "ses filles" et sa clientèle. Il usait de son rôle de protecteur à leur égard et n’hésitait pas à mettre à la porte quiconque défiait son règlement qui était très clair au sein de son bar. Les yeux étaient faits pour regarder certes, mais toucher n’était pas permis. Chaque fille avait bien sûr la liberté de rentrer accompagner ou non, mais les problèmes devaient rester à l’extérieur. La place qu’allait occuper Lubya était celle d’une jeune femme qui n’avait pas réussi à respecter cette règle simple, à elle seul, un soir, tout avait dégénéré. Deux hommes s’en étaient pris l’un à l’autre plombant l’ambiance et rendant l’Américain hors de lui qui avait dû faire appel à ses chiens de gardes pour les mettre à la porte, la fille avec, s’assurant qu’elle ne parlerait pas en la menaçant de faire de sa vie un enfer si elle ouvrait la bouche sur ce qui se passait dans l’envers de décor du restaurant des frères Strange. Il payait cher pour assurer la sécurité du club et la sienne en prime lorsque c’était nécessaire, car un homme de son rang était comme une cible ambulante que beaucoup rêvait de voir disparaitre. Il était ravi d’entendre qu’elle ne comptait pas jouer de son charme et s’attirer des ennuies lorsqu’il lui fit part de l’une de ses règles qu’il considérait comme étant l’une des plus importantes, sans compter le fait qu’elle ne devait rapporter ce qui se passait au sein du bar, comme il avait pu la prévenir un peu plus tôt dans leur conversation. Il acquiesçait de la tête avec un sourire satisfait tout en prenant la parole calmement. « Parfait. » Qu’il disait simplement, ne trouvant rien à ajouter à ce sujet puisqu’elle n’avait pas l’air de vouloir partir à la recherche de compagnies pour des nuits torrides. « Il était si horrible ? » qu’il reprenait finalement en soutenant son regard. « Ton mari. » Il se lançait peut-être sur un sujet périlleux qu’elle voudrait éviter, mais était curieux de connaître la raison qui l’avait poussé à le fuir, sachant que ce n’était pas pour la même raison de la plupart des femmes qui souhaitaient commencer une nouvelle vie loin de leur mari.
Mitchell levait une nouvelle fois les yeux vers le ciel qui devenait de plus en plus sombre au fil des minutes qui s’écoulaient. Il se demandait durant un instant si la blonde aurait fui en apprenant qu’il était le "gangster" le plus redouté du coin, puis baissa à nouveau son regard vers elle, lui faisant part de sa proposition à faire du shopping avec Raelyn. Il fut étonné d’entendre qu’elle déclinait son offre, mais l’était encore plus en apercevant son regard rempli de gêne. Il faisait un sourire rempli d’amusement bien décidé à détendre l’atmosphère une nouvelle fois. Il ne voulait pas qu’elle se sente prisonnière parce qu’elle aurait accepté de s’acheter quelques tenues à ses frais, ce n’était pas du tout le fond de son idée, au contraire, il tenait à ce qu’elle se sente à l’aise et en confiance, alors qu’elle allait se jeter dans la gueule du loup. « J’insiste. » Qu’il disait sans perdre d’une miette son regard qu’il trouvait de plus en plus attirant. « Tu ne me devra rien en retour, disons que c’est un cadeau de bienvenue. » Ajoutait-il accompagnant ses dires d’un petit clin d’œil, rejetant la fumée de sa cigarette vers le haut. D’une manière ou d’autre autre, chaque personne qui s’engageait au sein du Club pouvait se sentir comme prisonnier, il ne pouvait pas nier ce fait, puisque les conditions étaient très clair. Une fois lancé dans une dette, le seul moyen de quitter le navire était de la rembourser dans sa totalité en premier lieu, mais bien sûr, comme dans chaque contrat il y avait des termes écrits en plus petits qui rendait la tâche plus compliqué par simple méfiance. Pour l’Américain, fuir le Club précipitamment était forcement signe de mauvais présage et il n’hésitait pas à surveiller toute personne quittant ses rangs jusqu’à s’assurer qu’il ou qu’elle ne parlera pas, sous peine de lui tomber dessus rapidement. Elle n’était pas obligé de connaître ce détail, elle lui devait l’équivalent de faux papiers et n’avait pas connaissance du quart des affaires que pouvait traiter son interlocuteur, elle n’était pas un danger pour lui, pas encore du moins. Il avait observé chacune des réactions qu’elle avait eues depuis le début de leur échange et avait apprécié ce qu’il avait vu, bien qu’il n’avait pas réussi à la décrypter comme il l’aurait voulu, lui qui en général n’a pas grand mal à se faire une idée d’une personne, il avait cette sensation d’être à côté de la plaque, retenant uniquement qu’elle avait l’air plutôt sincère et qu’elle n’avait pas l’air d’être de ceux qui la lui feront à l’envers, en tout cas il l’espérait. En lui proposant une telle offre tombée du ciel, il y trouvait son compte autant qu’elle, démuni d’une serveuse qui était plus que nécessaire, il pouvait combler ce vide tout en lui offrant ce qu’elle désirait : Une nouvelle identité. C’était gagnant-gagnant.
Il lui conseillait de ne pas venir habiller de la sorte lors de son premier soir au sein du bar, bien qu’il la trouvait à son goût même avec un jean, il ne pouvait laisser son opinion personnel prendre le dessus et devait penser avant tout aux regards de la clientèle. Il riait cependant lorsqu’elle lui fit part de venir avec un t-shirt trop large et un jogging, il se permit même de l’imaginer vêtu ainsi, ce qui le fit rire davantage ce qui n’était pas dans ses grandes habitudes. « Je suis sûre que tu devrais faire fureur, même habillée avec un sac poubelle ! » Il laissait sa pensée s’échapper sans perdre son regard de vue, avant de lui proposer une cigarette, qu’elle refusa. Il en arrivait à lui proposer de prendre place dans l’appartement qu’il mettait à sa disposition le soir même, comprenant que passer une nuit dans un motel n’était pas ce qu’il y avait de mieux, elle fut d’ailleurs étonnée et n’hésita pas à lui en faire part. « Oui maintenant, il est prêt à t’accueillir, il y a tout ce qu’il faut. » Toute sorte d’appartement lui appartenait et avaient été meublé pour y accueillir quiconque dans le besoin. « Bien sûr le frigo est vide, mais il y a pas mal de commerces à proximités. » Qu’il précisait avec un franc sourire, baissant le regard vers son téléphone afin d’envoyer un sms à Raelyn pour lui demander de le retrouver au club un peu plus tard. Il levait la tête lorsqu’elle lui parla du loyer et ne pu s’empêcher de rire à cette demande. « Il n’y a pas de loyer ma belle, c’est l’avantage de travailler pour moi, du moment que tu fais ton boulot du moins. » Les appartements avaient été rentabilisé il y a bien longtemps et ne lui faisait perdre aucun argent. –merci la drogue-. « Je vais prendre la décision pour toi, tu n’y retournes pas, c’est trop glauque comme endroit, tu seras mieux en ville ! » Qu’il ajoutait tout en s’approchant de sa bécane qu’il considérait comme son bébé. La moto c’était une passion qui aurait pu devenir son activité principale s’il n’avait pas eu d’accident étant jeune. Il regrettait des fois, mais s’était fait à l’idée.
Elle lui paraissait impatience et c’est avec beaucoup de sympathie qu’il lui avait fait une remarque sur son impatience, souriant sans relâche à sa réponse toujours dans sa langue natale qui rendait l’échange plutôt séduisant. « J’ai hâte de découvrir ses qualités alors. » qu’il ajoutait parfaitement à l'aise dans cette langue qu'il avait apprit des années auparavant avant de lui tendre un casque, lui demandant si elle n’avait pas peur à moto et riait lorsqu’elle lui fit part vouloir attendre un peu pour se calmer. « Je ne savais pas que je faisais autant d’effet ! » Il plaisantait, bien qu’il savait qu’il pouvait faire grande impression.
Horrible n’était pas l’adjectif qui convenait pour le décrire. Péquenaud sans allure, rustre dénué de manière, balourd sans cervelle persuadé que Mozart est une marque de bière belge… ça lui correspondait mieux. Il était davantage un tendre qu’un impitoyable époux, Mickey. Certes, il lui arrivait de temps à autre de me bousculer quand il était ivre ou de me secouer, lors d’une dispute, dès qu’il tombait à court d’arguments probants. Pourtant, j’avais estimé, sans doute par reconnaissance envers Hank, qu’il n’y avait pas là de quoi crier au scandale. Mickey, il essayait de me respecter avec ses moyens. Il en avait peu à disposition. Sa conception de cette valeur lui était propre et limitée, mais il s’éprouvait à la tâche. Ce qui, en revanche, était grave, c’était son désir de paternité. Notre mariage, bien que consommé, se démarquait, de mon point de vue, vierge d’un amour honnête. Il m’adorait, j’apprenais à ne pas le détester. Je vivais dans le mensonge, en mon âme et conscience, car il n’engageait que moi en tant que femme et en tant qu’épouse. Néanmoins, je me mésestimais trop souvent mon choix et mon reflet dans le miroir pour embrigader un enfant dans ce simulacre d’union heureuse. Je redoutais d’être alors semblable à mon père, bien incapable d’aimer un bambin non désiré, un poids qui, contrairement à ce que je représentais pour Alekseï, ne m’apporterait aucun avantage. Bien sûr, l’idée d’être maman, de vouer ma vie entière à un être innocent qui me ressemblerait un peu et qui me rappellerait l’être aimé, souvent, était ravissante. Sauf que ces sentiments-là, ils ne se bradent pas pour des papiers, pour de la stabilité, pour un nom de famille. Je n’avais pas envie de m'assimiler à ces mères monstrueuses qui comparent leur bébé à leur geôlier. Mais, comment l’expliquer à un parfait inconnu ? Comment trouver les mots justes pour traduire une pensée honteuse et romantique à la fois ? Démunie face à cette vérité, j’opposai donc à mon père Noël d’un soir, une réponse laconique qui ressemble à : « Pas tout à fait, mais c’est une longue histoire. » J’étais convaincue qu’il ne me tiendrait pas rigueur à mon silence, peut-être parce que j’ajoutai qu’un jour, peut-être, si le moment est propice, j’accoucherai de mes sales petits secrets. Un jour, peut-être…
En attendant, j’estimai qu’il restait encore à traiter de questions capitales entre quelques éclats de rire légers et sans équivoques. C’était plaisant, assez pour que je m’abandonne à lui faire confiance sans rien connaître de son identité, assez pour que cette fois, je pose une main délicate sur son avant-bras pour lui scander une infinité de mercis d’une éloquente sincérité. Un appartement, meublé, libre à la seconde, et de surcroît, sans loyer ? Ça méritait une effusion d’allégresse. Me contenir fut une véritable épreuve pour ma spontanéité. À ce stade, mes histoires de ressort n’étaient plus une métaphore, mais une palpable réalité. Seule la politesse m’interdit de me jeter dans ses bras pour coller un sobre baiser sur sa joue mal rasée. Dépourvue d’excessive timidité, je n’aurais pas été à ça près s’il n’avait pas été mon patron depuis moins de cinq minutes. En soi, m’accrocher à sa taille pour ne pas choir de son bolide était déjà bien assez incongru finalement. Tout comme l’était le dernier commentaire que je m’autorisai en ramassant son casque d’entre ses mains : « Mensonge, Boss, je suis sûre que c’est un mensonge. » Un homme comme lui, bien assis sur le mystère, il sait. Il sait qu’il est attirant et que d’aucunes ne pourraient rester insensibles à de tels élans de générosité, pas même moi, que son altruisme soit intéressé ou non, que je lui plaise ou pas d’ailleurs. Sur l’heure, ce n’était pas ni la question ni ma préoccupation. Évidemment, je suis comme toutes mes congénères, tantôt réfractaires tantôt sensibles aux compliments. Il en avait glissé quelques-uns au cours de cette rencontre. Je répliquai à certaines, je souris à d’autres, j’en ignorai peu, mais je n’oubliais pas sa soudaine prise de recul… parce qu’il est perspicace et qu’il savait, il savait pertinemment que j’accepterais son offre et ses conditions. Son statut, désormais, ne laissait plus de place à la badinerie ou au marivaudage. La démarche était noble et il n’en gagna que mon respect.