Depuis la perte de son boulot , ou plutôt, sa démission intempestive, Leah éprouvait beaucoup de difficultés à savoir quoi faire de tout ce temps libre. Les quelques personnes qu’elle avait mis dans la confidence avaient l’air de trouver ça super, le fait de ne pas savoir quoi faire de ses journées. « Mais tu déconnes, c’est le moment de faire tout ce que tu n’avais pas le temps de faire ». Ouais, d’accord. Sur papier, ça semblait si simple. Sauf que Leah était toujours parvenue à faire ce qu’elle voulait, même quand elle travaillait. Donc, retour à la case départ. Son ménage était toujours impeccable, son esprit maniaque l’obligeait un peu à aller dans ce sens. Son sport, elle le faisait toujours en matinée et à jeun. Bon. Elle ne supportait pas de rester inactive, à squatter son canapé en chillant sur Netflix. Sur ce point là, elle faisait des efforts car cela restait une des activités favorites de Stephen lorsqu’il rentrait du boulot. La brune se pliait à l’exercice de bonne grâce, surtout guidée par l’envie de passer la soirée dans ses bras en lui posant un milliard de questions sur la série en question. Elle savait qu’elle l’embêtait un peu, mais il prenait sur lui de lui réexpliquer la situation lorsque son esprit perdait le fil. Un amour. Elle devenait folle à force de tourner en rond dans l’appartement. Il fallait vraiment qu’elle rebondisse, qu’elle trouve quoi faire pour la suite. Alors, elle se rendait à divers évènements pour l’accompagner dans sa recherche d’emploi, et surtout, pour trouver une idée de réorientation. Parce qu’il fallait bien se l’avouer, être barmaid ad vitam eternae était loin d’être un rêve de petite fille. Elle se rendait compte qu’elle était arrivée à un tournant de sa vie, à la croisée des chemins. C’était le moment ou jamais de décider de la direction qu’elle désirait prendre. Côté sentimental, sa relation avec Stephen sortait enfin du flou qui régnait entre eux depuis leur voyage en Tasmanie. Après des écarts à répétition, il avait finalement mis fin à sa relation avec Carter, laissant présager un début d’histoire possible entre eux. Et en effet, après une semaine passée dans l’ignorance la plus totale, ils avaient enfin décidé de se laisser une chance. Pour l’instant, ils n’en étaient qu’à leur tout début, marchant sur des œufs, cherchant encore à s’apprivoiser en tant que couple. Le fait qu’ils vivent ensemble rendait les choses encore un brin plus sérieuses, mais l’un comme l’autre étaient d’accord pour ne pas précipiter tout ça. Après tout, le fait même qu’ils se lancent dans cette histoire était un exploit en soit. L’un comme l’autre n’aurait jamais imaginé se remettre si vite avec quelqu’un, et ce n’est que par la force des choses que tout ceci était arrivé. Ils avaient lutté, la situation étant digne d’un soap opera. Stephen sortait alors avec Carter, une amie de Leah, qui avait finalement appris que le duo avait fauté. Si on ajoutait à ça le fait que le kiné soit le meilleur ami du frère de la brune, on obtenait tous les ingrédients pour un joyeux bordel. Si la page Carter était tournée, celle de Logan n’avait même pas encore été écrite. La brunette se refusait à discuter de ça avec lui, et le brun n’avait pas encore trouvé le temps, ni le moment pour annoncer à son ami qu’il envisageait le futur plus sereinement grâce à sa petite sœur. La jeune femme soupira en repensant à tout ceci. Le fait de rester seule avec ses pensées la rendait folle, elle n’était pas douée pour les introspections en tout genre et avait besoin de voir des gens. De bouger. Sautant sur ses deux pieds, elle se dirigea vers sa chambre où elle entreprit de se donner une tête un brin plus potable pour le monde extérieur. Elle échangea son training habituel pour une tenue légèrement plus habillée, mais confortable quand même. Elle attrapa son portable, ses clés et tandis qu’elle se dirigeait vers la cuisine pour boire un verre d’eau avant de prendre la tangente, la sonnette de l’entrée retentit. Elle se retourna lentement en direction de la porte en haussant un sourcil intrigué. Elle n’attendait personne, on était fin d’après midi et Stephen ne rentrerait pas avant deux ou trois bonnes heures. Alors, qui ça pouvait bien être ? Dans ce genre de situation, elle regrettait de ne pas avoir une de ces caméras qui vous permettait de connaître l’identité de la personne avant d’ouvrir. Avoir un ex violent qui avait cherché à vous tuer dans la nature, ça soulevait des angoisses. Cela faisait près d’un an maintenant, et pour autant qu’elle sache, il était sur un autre continent à pourrir la vie de quelqu’un d’autre. Mais quand même, elle ne pouvait contrôler ce frisson d’effroi qui la parcourait quand elle réalisait qu’il pouvait toujours débarquer du jour au lendemain pour terminer ce qu’il avait commencé, en bon psychopathe qu’il était. Secouant ses boucles brunes pour chasser ces pensées négatives, Leah se dirigea vers la porte qu’elle ouvrit à la volée, se persuadant qu’il fallait qu’elle arrête une bonne fois pour toute de penser à lui et de vivre dans la peur. Même si celle-ci se faisait moins présente. Devant elle se tenait une jeune femme brune, inconnue au bataillon. « Bonjour, je peux vous aider ? » Demanda-t-elle sans grande conviction, détaillant son interlocutrice du regard. Elle avait un visage avenant, même si en ce moment elle l’observait avec un air perdu, comme si elle se demandait ce qu’elle foutait dans son propre appartement. Etrange. Elle jeta un regard en biais en direction de la porte de son voisin de pallier, Asher. Peut-être que c’était lui qu’elle cherchait, qu’elle s’était trompée de numéro. C’était la seule explication plausible qui lui venait à l’esprit pour expliquer pourquoi cette petite brune s’était échouée chez elle.
Versez progressivement la farine, la levure chimique, le sel et les pépites de chocolat. Mélangez bien. Concentrée, je souffle sur une mèche de cheveux qui a eu l’audace de glisser juste devant mes yeux, suivant à la lettre les instructions de ma recette. Je suis en train de préparer de la pâte à cookies pour un régiment et autant dire que ça n’a rien de simple. Autant, les cookies que je fais habituellement sont plutôt réussis, mais lorsqu’on multiplie presque par dix les quantités d’ingrédients utilisées, la tâche devient nettement plus compliquée. Il est cinq heures du matin, je me suis levée aux aurores pour préparer cette recette, faute d’avoir eu le temps de le faire en amont et je sais que ce soit, je devrais déposer chez ma mère, sans faute, les cookies préparés par mes soins. Alors je me concentre et j’essaie de ne pas faire de boulette, je pars au boulot dans deux heures et mes cookies doivent frôler la perfection. Voire même l’atteindre, si possible, mais je veux éviter de trop me mettre la pression. J’ai tendance à être parfois légèrement trop dure envers moi-même et je sais que si je commence à m’imposer une réussite totale, je ne vais pas supporter le moindre petit défaut dans ma préparation. Ma tendance à être perfectionniste peut être parfois très handicapante et j’ai vraiment fait un énorme travail sur moi-même à ce sujet ces dernières années. Malgré tout, c’est dans ce genre de moments que je me rends compte que j’ai encore du chemin à parcourir pour que cette ancienne obsession soit définitivement du passé pour moi.
Deux heures plus tard, je suis super heureuse d’enfourner un morceau de cookie dans la bouche d’Alfie qui, pour la première fois depuis de longs mois, ne s’est pas réveillé avant moi ce qui est une petite victoire. J’ai enfourné beaucoup trop de plateaux de cookies dans le four, j’ai eu à peine le temps de m’habiller entre deux mais je suis prête pour le boulot et mes Tupperware sont prêts à être livrés à ma petite maman qui va être super contente. « Comment tu les trouves ? » La bouche pleine, Alfie lève le pouce pour confirmer la réussite de la recette, ou alors c’est dégueulasse mais il préfère ne pas me contrarier, au choix. « Bon, le problème c’est que j’en ai fait beaucoup plus que cent finalement, du coup je t’en laisse une boite au cas-où tu aurais un petit creux et je pensais en déposer chez Leo à ma pause déjeuner et chez Stephen en rentrant ce soir. » Je me transforme le plus naturellement du monde en distributeur à cookies mais Alfie n’essaie même pas de m’en dissuader, ne souhaitant probablement pas briser mon enthousiasme. « Je file ! A ce soir. » Je m’attarde un peu, profitant de ce bisou du matin auquel je n’ai que rarement droit ces derniers temps puisqu’il a tendance à partir avant même que j’ai émergée et je franchis enfin la porte, un énorme sac plein de boites à cookies sous le bras.
Ma journée de travail derrière moi, ma volonté de me rendre chez Stephen pour lui amener ma boite de cookies faits maisons ne m’a pas quittée et je prends la direction de chez lui sans prendre la peine de lui envoyer un message, ravie de la bonne surprise que je vais lui faire. Ou plutôt, ravie de la bonne surprise que je pensais lui faire. Je suis évidemment extrêmement surprise de me retrouver face à une fille qui a l’air tout aussi surprise de me voir. Mon sourire s’efface instantanément et je fais un pas en arrière dans le couloir, comme pour vérifier que je ne me suis pas trompée de porte. Mais non, je suis bien chez Stephen et vraisemblablement cette personne n’est pas Stephen. « Euh… Bonjour… J’étais venue faire une surprise à Stephen… » Dis-je en montrant la boite que je tiens à la main pour appuyer la surprise dont je parle. « Il est là ? » Je suis sûre au moment où je pose la question que ce n’est pas le cas, s’il avait été là, il serait évidemment venu lui-même m’ouvrir la porte puisque c’est son appartement. Mais du coup, que fait cette fille toute seule chez lui ? « Ce n’est pas un souci, je peux repasser plus tard. » En vérité, je n’ai absolument pas la moindre envie de repasser, j’ai envie de savoir qui est cette fille, pour quelle raison elle se trouve ici et beaucoup trop de détails que je n’ai pas le droit de demander parce que ça ne se fait pas et que Stephen n’aimerait sans doute pas l’idée que je m’incruste dans sa vie privée de cette manière. Ma curiosité me perdra.
Leah était toute à ses idées de sorties, afin de s'occuper l'esprit. Elle ne se doutait pas que ce qu'elle allait trouver en ouvrant la porte suffirait à combler tous ces besoins en même temps. Devant elle se trouvait une jeune femme qui avait l'air à peu près aussi surprise qu'elle de la trouver là. Une réaction que Leah n'appréciait que moyennement, d'autant que sa première phrase fut: « Euh… Bonjour… J’étais venue faire une surprise à Stephen… » Stephen. Elle était venue voir Stephen. Pour lui faire une surprise. La brune restait plantée sur le pas de la porte, tentant de rassembler ses idées et de ne pas sauter sur des conclusions hâtives. Mais réfléchir et penser sereinement était quelque chose dont elle était foncièrement incapable. Alors elle haussa un sourcil en prenant son air de garce dont elle seule avait le secret, et jaugea la jeune femme qui lui faisait face de haut en bas. Elle était plutôt mignonne, et avait même l'air sympathique. Mais son air interrogatif, couplé à sa recherche du kiné, faisait baisser son capital sympathie en flèche et la catégorisait directement dans la colonne: rivale. Une petite brune à l'air sympa... Il fallait croire que Stephen avait un genre de femme après tout. Elle lui montrait sa boîte contenant dieu seul sait quoi comme pour appuyer ses paroles et donner de la légitimité à sa présence. « Il est là ? » Mais c'est qu'elle insistait en plus de ça. La brune répondit à la négative en secouant lentement la tête, tout en gardant son regard posé sur elle. Est-ce qu'elle voulait l'intimider? Peut-être un peu. « Ce n’est pas un souci, je peux repasser plus tard. » Leah se mordit la lèvre tout en réfléchissant à ce qu'elle allait faire. Il était hors de question qu'elle la laisse partir, pas sans savoir qui elle était. Elle avait beaucoup trop de questions en tête et si elle n'obtenait pas la réponse rapidement, elle allait probablement partir en vrille. "Si vous voulez... Enfin. Il ne devrait pas trop tarder à rentrer du boulot." Faux. C'était absolument faux. Il allait sans doute rentrer plus tard aujourd'hui, il lui avait envoyé un message pour la prévenir. "Débordement administratif", ça n'annonçait rien qui vaille. Mais il fallait bien qu'elle invente quelque chose pour la faire entrer. Elle lui adressa un petit sourire qu'elle espérait rassurant, histoire de ne pas lui donner l'impression d'être une sociopathe qui lui sauterait dessus après son entrée dans l'appartement. "Vous pouvez l'attendre ici. Ca ne me dérange pas." Ajouta-t-elle en haussant simplement des épaules. Elle s'effaça légèrement pour la laisser entrer, comme pour l'inciter à accepter. Et c'est ce qu'elle fit, à son grand étonnement mais également pour son plus grand bonheur. Elle allait pouvoir la cuisiner sans paraître trop inquisitrice, même si un tas de questions lui brûlaient déjà les lèvres. L'épisode Matteo avait fragilisé sa relation avec le kiné, une relation qui n'en était qu'à ses prémisses. Si il semblait lui avoir pardonné et que leur histoire avait repris de plus belle, sur des bases qu'elle espérait solides, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur qu'il ne lui fasse la même chose. Cette peur était inconsciente, mais le fait de voir surgir cette jeune femme qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, et qui cherchait après Stephen, ne la rassurait pas vraiment. Elle pensait connaître l'entourage immédiat du brun, entre ses relations de travail et les quelques amis qu'il avait, Leah avait plus ou moins rencontré tout le monde de près ou de loin. Et si ça n'avait pas été le cas, il lui en avait au moins parlé. Et elle était absolument certaine qu'il n'avait jamais mentionné de petite brune qui correspondrait au profil de la jeune femme qui se tenait en face d'elle. Alors, qui était-elle? Son regard s'attarda à nouveau sur l'inconnue qui observait les environs avec une curiosité non-dissimulée. "En fait c'est mon appartement ici... Mais Stephen est venu s'y installé y a quelques mois. Quand il a décidé de revendre sa maison." Elle ne la quittait pas du regard, étudiant chaque réaction qu'elle pouvait avoir en fonction de ses paroles. "Je m'appelle Leah." Ajouta-t-elle en tendant sa main pour récupérer la veste que la jeune femme était entrain d'enlever, la débarrassant au passage de sa boîte mystère qui expliquait sa venue intempestive. Elle posa cette dernière sur le plan de travail de la cuisine avant de se retourner vers son interlocutrice. "Je vous sers quelque chose à boire? Je ne sais pas exactement quand il sera là alors..." Elle lui adressa à nouveau un sourire éclatant. Elle n'en revenait pas elle-même d'avoir fait entrer une parfaite inconnue en prétextant que Stephen serait bientôt là, uniquement pour lui soutirer des informations. Elle devait vraiment se faire soigner.
Pourquoi ai-je cette affreuse impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment ? Si c’était possible, je voudrais m’enterrer dans le sol jusqu’à disparaitre complètement pour éviter les éclairs que lancent les yeux de la jolie brune devant moi en me dévisageant. Et dire que je voulais juste amener une boite de cookies à Stephen… Une simple boite de cookies… C’est qui elle ? Elle fait partie du GIGN ? Ça ne m’étonnerait pas vu l’air suspicieux de son visage. Je finis donc tout naturellement par battre en retraite, envisageant le plus logiquement du monde de repasser plus tard, voire jamais de peur de retomber sur elle, pour pouvoir échapper à cette situation plus que gênante. Malheureusement, la jeune fille ne m’en laisse pas vraiment la possibilité, m’invitant plutôt à entrer avec un vouvoiement que j’ai un peu de mal à encaisser. J’ai tendance à ne pas du tout apprécier ce que de nombreuses personnes considèrent malheureusement comme une marque de respect. J’ai surtout l’impression que c’est une façon d’instaurer une distance qui n’a pas vraiment lieu d’être ou de poser un lien hiérarchique inexistant. Bref, ça me déplait. Toutefois, je suis au pied du mur alors il est évident que je dois accepter son invitation. « Merci, c’est très gentil. » En franchissant le pas de la porte, j’ai cette étrange sensation de me faire prendre au piège, d’être la petite fille innocente qui vient d’entrer dans la maison de la méchante sorcière. Comme quoi, il faut que j’arrête les sessions de lecture pour les enfants à la bibliothèque, elles commencent clairement à me monter à la tête. Je reste plantée bêtement, ne sachant pas trop quoi faire de mes affaires ou même de ma propre personne. Cette situation est définitivement particulièrement déplaisante et j’ai vraiment hâte de voir Stephen franchir cette porte pour venir à mon secours.
Contre toute attente, c’est pourtant la jeune femme qui reprend la parole la première, j’ai l’impression qu’elle s’est un peu radoucie mais quand elle m’apprend que nous sommes chez elle et non pas chez Stephen, je ne peux m’empêcher d’ouvrir de grands yeux étonnés. C’est sûr, j’ai loupé un épisode. J’ai beau me creuser la tête, je n’arrive pas à me souvenir si Alfie m’a parlé du fait que Stephen déménageait pour être en colocation avec une fille ou chez un membre de sa famille. C’est surréaliste, je sais que ça fait longtemps que je n’ai pas vu mon ami, mais de là à ignorer qu’il vit avec une fille quand même… Est-ce qu’elle se moque de moi ? Elle a l’air pourtant très sérieuse, je n’ai aucune raison de ne pas la croire. « Oh… Pardon… Je l’ignorais… Ou alors j’ai mal compris quand il a parlé de son déménagement… J’étais persuadée qu’il vivait seul. » Faux-pas ? Je n’en sais rien, j’ai l’impression d’être en train de marcher dans des sables mouvants qui m’absorbent de plus en plus au fur et à mesure que je continue à parler. « Enfin… J’imagine que vous vivez là vous aussi ? Vous n’êtes pas juste la propriétaire de l’appartement ? » A mon avis, si tel était le cas, déjà elle ne serait pas ici à m’accueillir le plus normalement du monde et de deux elle n’aurait pas présenté cet appartement comme étant le sien, même si techniquement il l’est. Je pense que le fait que je suis complètement perdue se voit comme le nez au milieu de la figure. Mettre un prénom sur un visage ne m’avance à rien malheureusement mais j’essaie de reprendre un minimum de contenance. « Enchantée Leah, moi c’est Jules… Enfin Juliana, mais je préfère Jules. » A force de raccourcir mon prénom, j’ai vraiment tendance à l’oublier et à dire vrai je préfère qu’il ne soit pas utilisé mais devant cette fille a l’air si suspicieux, je me sens presque obligée de décliner ma véritable identité, comme si ça pouvait faire la différence.
Débarrassée de ma veste et de ma boite à cookies qui trône fièrement sur le plan de travail, je finis tout de même par m’avancer un peu plus dans l’appartement sans pour autant oser m’assoir. J’ai vraiment toujours cette étrange sensation de ne pas être à ma place mais je vais devoir faire avec puisqu’elle ne tarde pas à préciser qu’elle ignore quand Stephen sera réellement de retour ce qui renforce largement mon sentiment d’avoir été prise au piège. « Je veux bien un verre d’eau, merci Leah. » C’est juste histoire d’avoir quelque chose entre les mains. Je suis beaucoup trop nerveuse et j’espère que tenir ce verre me permettra de me concentrer sur autre chose que sur ce sentiment étrange qui ne me quitte pas. Il nous reste du temps à tuer alors je décide de jouer cartes sur table, ça ne sert à rien que j’ai l’air d’en savoir plus que ce que je sais réellement, j’ai conscience d’avoir l’air totalement à l’ouest depuis le début alors un peu plus ou un peu moins. « Je suis désolée de poser cette question mais… Qui êtes-vous ? Vous êtes de la famille de Stephen ? Une cousine ? Je n’ai pas le souvenir qu’il m’ait déjà parlé d’une Leah… Mais j’ai une mémoire des prénoms particulièrement mauvaise. » Faux, archi faux, je suis certaine de ne jamais avoir entendu parler de cette fille. Le fait de lire beaucoup m’a toujours aidé à faire travailler ma mémoire et je suis sûre que je me serais souvenu de Leah s’il l’avait ne serait-ce qu’évoquée. « Et si je dois passer un peu de temps à attendre ici, est-ce qu’on pourrait se tutoyer ? J’ai l’impression d’avoir cinquante ans quand on me vouvoie et sincèrement je n’ai pas hâte d’en arriver là… » Un sourire amical apparait enfin sur mon visage. Leah n’a pas l’air antipathique et si je dois vraiment rester ici avec elle, j’aimerais bien que ça se passe un peu mieux et que ce salon ne me fasse pas le même effet que la salle d’attente chez le dentiste lorsque je suis en train d’attendre mon tour pour aller me faire charcuter. Je suis sûre qu’on peut réussir à bien s’entendre.
Les deux jeunes femmes s’observaient mutuellement avec une surprise non-dissimulée depuis plusieurs secondes maintenant. Si Leah n’avait pas été aussi suspicieuse, la scène aurait presque pu la faire rire. Elles ne se connaissaient pas, et Stephen semblait être la seule personne à pouvoir fournir une explication à l’une comme à l’autre. Mais le kiné était aux abonnés absents ce soir, comme c’était pratique. Comme à son habitude lorsqu’elle faisait face à une éventuelle concurrence, la brunette avait enfilé sa cape de garce, affichant un air hautain qui ne lui allait absolument pas. Mais son interlocutrice ne la connaissait pas et ne pouvait donc pas savoir qu’elle avait en face d’elle la gentillesse incarnée, à quelques détails près. Profitant de cet avantage, Leah la détaillait de haut en bas, espérant sans doute la faire fuir et ne plus jamais la revoir. Mais la jeune femme n’avait pas l’air de se laisser impressionner par si peu, ce qui remettait directement en cause ses capacités à effrayer la compétition et éveillait en même temps sa curiosité. Il n’en fallu pas beaucoup plus à la brunette pour lancer une invitation à entrer à la jeune femme qui lui faisait face, sous couvert de l’arrivée imminente de Stephen. Un mensonge éhonté mais plus que nécessaire afin d’assouvir les questions qui lui brûlaient les lèvres depuis que la brune avait fait son apparition dans son champs de vision, armée d’une boîte de cookies faits maisons. Leah lorgnait sur la boîte, se rappelant au passage qu’elle était toujours aussi dangereuse lorsqu’elle se retrouvait près d’un four ou d’une plaque de cuisson. Peut-être bien que le kiné se lassait des plats à emporter et se cherchait une vraie femme au foyer ? Loin de déborder de confiance en elle, la jeune Baumann se faisait déjà tout un sketch dans son esprit, imaginant avec une facilité déconcertante toutes les raisons qui pourraient pousser Stephen à la laisser tomber pour la jolie jeune femme aux cookies. « Merci, c’est très gentil. » La brune fut relativement surprise que son interlocutrice accepte l’invitation, mais ravie de l’opportunité d’en apprendre plus sur sa présence et sa relation avec le kiné – qu’elle espérait platonique. Elle s’effaça donc, laissant l’inconnue entrer et prendre possession des lieux, son regard se baladant à gauche et à droite avec intérêt. C’était la première fois qu’elle venait ici. Ce fût la première pensée qui traversa l’esprit de Leah, couplée avec un sentiment de soulagement. En même temps, est-ce que le kiné aurait vraiment osé amener une autre femme ici ? C’était quand même son appartement à la base, la blague aurait été de mauvais goût. Réalisant que les divagations reprenaient bon train, la brune leva les yeux au ciel pour elle-même avant de reprendre la parole pour dissiper le malaise ambiant. Malaise qu’elle avait elle-même instauré, mais elle s’en voulait un peu de réagir de la sorte. Elle se devait de faire confiance au brun, et elle décida de mettre son hôte à l’aise au moins le temps de comprendre qui elle était et la raison de sa venue. Premier point : lui faire comprendre qu’elle était chez Stephen, certes, mais également chez elle. La réaction de la petite brune ne se fit pas attendre et hérissa quelque peu Leah, mettant à mal toutes ses bonnes résolutions sur le fait de montrer de la sympathie à son égard. « Oh… Pardon… Je l’ignorais… Ou alors j’ai mal compris quand il a parlé de son déménagement… J’étais persuadée qu’il vivait seul. » Bien bien. On était parti pour la gloire. Passant une main dans ses cheveux en retenant – non sans peine – un soupir exaspéré, Leah pencha légèrement la tête sur le côté en observant la jeune femme, se demandant si toutes ces bourdes étaient lancées les unes après les autres de manière conscientisée. « Enfin… J’imagine que vous vivez là vous aussi ? Vous n’êtes pas juste la propriétaire de l’appartement ? » La propriétaire ? Leah se mordit la lèvre pour ne pas rire, et se retint de jeter un coup d’œil en direction du plafond à la recherche de la caméra cachée. « Oui j’habite aussi ici… Stephen et moi on est… hum...» La brunette était quelque peu embarrassée par la situation. Sa relation avec Stephen était toute récente, et pas vraiment officialisée aux quatre coins du globe. Elle n’avait pas l’habitude de crier sous tous les toits que son mec était son mec, et puis comme elle ignorait qui elle avait en face d’elle, elle ne pouvait pas s’empêcher de craindre de commettre une bourde. Elle choisi de ne pas terminer sa phrase, laissant pour l’instant planer le doute. A la place, elle prit le parti de se présenter, histoire de voir si l’annonce de son prénom amenait une quelconque réaction sur les traits de la jeune femme. « Enchantée Leah, moi c’est Jules… Enfin Juliana, mais je préfère Jules. » La brune s’autorisa à sourire quelque peu avant d’embarquer la veste et la boîte en fer de son interlocutrice, déposant tout ça dans un coin tout en lâchant simplement un : « Enchantée Jules. » Son ton s’était quelque peu adouci, et elle demanda à la jeune femme si elle voulait boire quelque chose, comme les règles de la bienséance l’exigeaient. Puis elle ne voulait pas qu’on dise qu’elle l’avait laissée se dessécher jusqu’à l’arrivée de Stephen, d’autant qu’elle ignorait réellement quand il rentrerait. Tard, sans doute. « Je veux bien un verre d’eau, merci Leah. » Hochant la tête, Leah se dirigea vers la cuisine pour les servir toutes les deux. Occupée à sortir des verres, son regard se porta vers Jules tandis que cette dernière reprenait la parole, sortant de son mutisme. « Je suis désolée de poser cette question mais… Qui êtes-vous ? Vous êtes de la famille de Stephen ? Une cousine ? Je n’ai pas le souvenir qu’il m’ait déjà parlé d’une Leah… Mais j’ai une mémoire des prénoms particulièrement mauvaise. » D’accoooord. La brune ne savait pas trop comment prendre cette salve de questions, même si le petit diable sur son épaule lui soufflait « mal ». Elle connaissait Stephen – et bien en plus – mais elle n’avait jamais entendu son prénom sortir de la bouche du kiné. La brunette commençait vraiment à s’inquiéter. « Et si je dois passer un peu de temps à attendre ici, est-ce qu’on pourrait se tutoyer ? J’ai l’impression d’avoir cinquante ans quand on me vouvoie et sincèrement je n’ai pas hâte d’en arriver là… » A cette dernière remarque, Leah éclata d’un rire franc qu’elle ne parvint pas à retenir. Elle était exactement la même concernant le sujet. Attrapant les deux verres d’eau, elle se dirigea vers le salon, entraînant Juliana à sa suite pour qu’elles s’installent dans le fauteuil. Ca serait tout de même plus confortable, et elle avait la nette impression que la suite de la conversation nécessiterait la position assise. La brunette se cala à sa place habituelle, ramenant une jambe sous ses fesses comme à son habitude. « Alors. Pas où commencer… » Elle déposa son verre d’eau sur la table basse du salon sans même y toucher, et reporta son regard sur la brune qui lui faisait face. «… Je ne fais pas partie de la famille de Stephen, non. On a commencé cette colocation il y a quelques mois alors qu’on était amis. Et là on est ensemble. Ce qui m’amène à te retourner la question… Je n’ai jamais entendu parler de toi non plus. Alors désolée pour l’accueil un peu froid… Mais tu comprendras que je m’interroge. » Lança-t-elle avec un petit sourire en coin, essayant de faire passer le tout en douceur. Elle observait la réaction de la jeune femme, dans l’expectative d’une réaction de sa part. Leah espérait vraiment obtenir une réponse rapidement, car sa patience commençait à s’étioler, même si en apparence elle donnait l’impression de s’être calmée.
Stephen et Leah sont « hum », voilà qui apporte un éclaircissement impressionnant à cette conversation déjà un peu trop obscure à mon goût. Pendant une seconde, j’hésite à insister lourdement pour en apprendre davantage mais, puisqu’elle m’a invitée à entrer, j’ai bien conscience que cette information reviendra sur le tapis tôt ou tard. Je me contente donc de me présenter à mon tour, essayant tant bien que mal d’être à l’aise dans ce lieu que je connais à peine et où je ne suis pas sûre d’être si bienvenue que ça. Leah a l’air d’être très méfiante vis-à-vis de moi, pour une raison que je ne connais pas et je me demande quand elle va cesser de me dévisager comme si j’étais une personne monstrueuse venue ici pour lui faire du mal. En attendant, je patauge dans la semoule, essayant vainement de comprendre ce que je fais-là, en compagnie d’une fille que je ne connais pas, dans un appartement où devait se trouver mon ami et à essayer d’instaurer un dialogue nous permettant d’éclaircir cette situation. Finalement, ce n’est que lorsque je finis par poser plus ou moins directement la question qui me brûle les lèvres que j’obtiens enfin la réponse que j’attendais. Alléluia. « Ensemble ? » La surprise doit atteindre mes neurones. Pour ma défense, je m’attendais à tout sauf à ça. Stephen sort avec une fille et a oublié de m’en informer, manifestement. Est-ce qu’Alfie le sait ? Non, sûrement pas, si c’était le cas, il aurait sans doute posé son veto à ce que j’aille refourguer ma super boite de cookies au jeune homme. En tout cas, j’espère pour lui qu’il ne le sait pas, sinon il risque d’en entendre parler pour le restant de ses jours. « Comme amoureusement ensemble ? » Mais oui Jules, bien sûr qu’ils sont amoureusement ensemble ! Arrête de te retourner le cerveau comme ça, tu as l’air débile. Je ne sais pas pourquoi je m’évertue à la questionner de la sorte alors que la réponse est tout bonnement évidente. En même temps, emménager avec une amie ce n’est clairement pas le bon plan, pas la peine de s’appeler madame Irma pour prédire que cette situation allait engendrer au pire une partie de jambes en l’air, au mieux un nouveau couple. « Désolée, c’est juste… Je ne m’y attendais absolument pas. » En plus, je fais limite passer Stephen pour un homme des cavernes incapable de s’intéresser à la gente féminine. Evidemment, avec le décès de sa femme qu’il aimait à la folie, et la difficulté qu’il a eu à s’en remettre, je ne m’attendais pas à ce qu’une Leah fasse irruption dans sa vie, mais on ne sait jamais ce que le destin nous réserve et si cette fille lui permet de retrouver le bonheur, alors j’en suis plus que ravie. « Stephen a une copine, c’est fou. » Il va vraiment falloir que j’arrête d’exprimer mes pensées à voix haute, elle va finir par se vexer.
Mon cerveau est en pleine erreur système et je peine à me reconnecter à la réalité. Pourtant, je finis tout de même par réaliser qu’en plus de m’avouer qu’elle et Stephen sont en couple, si j’ai bien compris ce qu’elle voulait dire, elle m’a aussi demandé qui j’étais et je vais devoir lui apporter une réponse. Je réalise au même moment que la froideur dont elle a fait preuve était sûrement liée au fait que, pendant un court instant, elle a pu envisagé que je sois une concurrente potentielle. Je vais démentir ça tout de suite car c’est évidemment à des millénaires de la réalité. Après trois ans passés avec Alfie, j’aurais presque pu être tentée d’user du même humour pourri en lui faisant croire que j’étais la femme de Stephen, mais vu qu’elle est déjà hyper suspicieuse, on va éviter de jouer à ça aujourd’hui. Et puis, j’imagine qu’elle ne doit pas ignorer le décès récent de Rachel, la crédibilité de mon mensonge serait donc clairement à étudier. « Je suis la copine du cousin de Stephen. » Je finis par admettre, consciente pour autant que je n’ai pas été tout à fait honnête dans ma réponse. J’hésite pourtant à apporter des précisions, consciente que je vais amener sans le vouloir le fantôme de Rachel à se joindre à la fête. Mais ai-je vraiment le choix ? J’imagine que l’ex-femme de Stephen n’est aps un tabou et je ne veux pas qu’il ait à lui expliquer ce lien de parenté en rentrant parce que je n’aurais pas eu le courage de le faire moi-même. « C’est plutôt le cousin par alliance de Stephen. » Voilà, voilà, passons à autre chose maintenant avant que la conversation devienne extrêmement gênante. Maintenant, elle sait que je n’ai pas son petit-ami en ligne de mire, bien au contraire ce qui nous permet de partir sur de bonnes bases. « D’habitude, j’évite de passer à l’improviste comme ça, je pensais vraiment que ma surprise lui ferait plaisir et puis ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu… » J’espère qu’elle ne croit pas que je suis le genre de chieuse qui va être constamment dans leurs pattes à les empêcher de vivre leur histoire d’amour comme ils l’entendent. Franchement, ça ne me ressemble pas et je m’en veux encore plus de ne pas avoir pris la peine d’envoyer un message à Stephen pour le prévenir que j’allais passer chez lui. Je suis trop nulle. « Je comprends mieux pourquoi, maintenant. » Trop occuper à roucouler pour voir les amis, c’est du propre. Toutefois, le sourire qui ne quitte pas mon visage prouve évidemment que ce n’est pas un reproche. Si Stephen nous accorde un peu moins de temps pour savourer ce nouveau bonheur et non pas parce qu’il a un coup de mou, je trouve ça génial. Maintenant, je n’ai qu’une envie, harceler Leah de questions sur ce qu’il s’est passé entre eux, mais je ne suis pas sûre que Stephen apprécierait que je passe par elle sans qu’il ait pu décider au préalable ce qu’il voulait partager ou non, avec moi. Cruel dilemme. Curiosité ou respect de sa vie privée ? Je ne suis pas sûre de réussir à choisir.
Leah s’en voulait déjà d’avoir usé de stratagèmes pour faire entrer cette fille chez elle, mais il fallait vraiment qu’elle obtienne des réponses à ses questions. Elle n’était pas le genre de petite amie psychopathe maladivement jalouse, non, elle laissait ça à son ex-copain. Mais elle souffrait d’un cruel manque de confiance en elle et restait persuadée que Stephen avait dû se cogner fortement la tête pour vouloir s’embarquer dans une relation avec elle. La brune éprouvait beaucoup de difficultés à comprendre ce qu’il lui trouvait, même si le kiné semblait sûr de lui et de son choix. Stephen n’était pas quelqu’un qui parlait énormément. Non pas qu’il lui cachait sciemment des choses, mais disons simplement que si elle ne posait pas de questions, il ne lui donnerait pas forcément d’informations. Avec qui il bossait, qui il côtoyait dans la vie de tous les jours… Leah pensait assez bien connaître l’entourage immédiat du brun, mais la jeune femme plantée en face d’elle mettait à mal toutes ses convictions à ce sujet. Du bout des lèvres, la brunette lâcha finalement l’information qu’attendait très certainement son interlocutrice, suscitant immédiatement la surprise chez elle. « Ensemble ? Comme amoureusement ensemble ? » Leah haussa un sourcil en croisant les bras, pas tout à fait certaine de la réaction à adopter. En cet instant, elle oscillait entre l’énervement et l’envie de rire. Comme d’habitude, les contradictions étaient de mise. La brune était relativement impulsive, et la jeune inconnue commençait à l’agacer. Qui était-elle bon sang ? Elle prit le parti de simplement hocher la tête en signe d’assentiment, essayant de garder une attitude neutre pour l’instant. Mais si jamais la brune qui lui faisait face osait lui dire qu’elle aussi était amoureusement impliquée dans une relation avec Stephen, elle ne répondrait sans doute plus d’elle-même. Cette simple pensée la fit frissonner, tandis qu’elle se rappelait non sans culpabilité ce qu’elle avait fait traverser au kiné en lui laissant volontairement croire qu’elle s’était envoyée en l’air avec Matteo. Mais quelle conne. « Désolée, c’est juste… Je ne m’y attendais absolument pas. » Sans blague ? Les dernières onces de patience présentes dans son corps étaient tout doucement entrain de se faire la malle au fur et à mesure que son interlocutrice ouvrait la bouche pour déverser son flot de paroles qui n’avaient juste aucun intérêt à ses yeux. « Stephen a une copine, c’est fou. » Et elle continuait. Soit elle cherchait vraiment à l’énerver, soit elle ne se rendait absolument pas compte de la situation. Elle parlait de Stephen comme si ils avaient une espèce de relation privilégiée, une complicité qui n’existait qu’entre eux. Et Leah commençait réellement à voir rouge. La seule chose qui l’empêchait de réagir, finalement, c’est de ne pas savoir à qui elle avait affaire. Si elle s’énervait et qu’elle disait une connerie, le kiné lui en voudrait sans doute. Alors elle prenait sur elle, attendant la suite logique… Elle allait bien finir par se présenter, non ?! « Je suis la copine du cousin de Stephen. » Leah s’était préparée à un tas de réponses dans sa tête, chacune d’entre elles amenant à un scénario dont la fin serait funeste pour son interlocutrice. Mais ce que Jules lui répondit la fit complètement buguer. Le cousin de Stephen ? Mais quel cousin ? Fronçant les sourcils, la brune rassembla les souvenirs qu’elle avait de la famille du kiné… Mais elle fit choux blanc. « C’est plutôt le cousin par alliance de Stephen. » Ajouta Juliana dans un soucis du détail, comme si elle avait pu lire dans les pensées de la jeune Baumann. Son cousin par alliance, ce qui voulait dire… Rachel. Se mordant la lèvre sans même s’en rendre compte, Leah passa sa main dans ses cheveux comme pour retrouver une contenance face à cette bombe que venait de lâcher la brunette qui lui faisait face. Un flot de questions lui venaient à l’esprit au fur et à mesure qu’elle réalisait doucement la portée de tout ceci. Stephen côtoyait encore la famille de Rachel, mais n’avait jamais jugé utile de lui dire. Tout comme il n’avait pas non plus jugé utile de leur mentionner son existence à elle. La jeune femme était perdue, cherchant encore à comprendre cette situation pour le moins… atypique. « D’habitude, j’évite de passer à l’improviste comme ça, je pensais vraiment que ma surprise lui ferait plaisir et puis ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu… » Jules continuait sur sa lancée, sans réaliser la tempête qui se déroulait dans la tête d’une Leah totalement déboussolée. Légèrement tremblante, la brune prit le pas de s’assoir afin d’encaisser ces informations qui lui arrivaient par salves. Stephen n’était pas très loquace lorsqu’il s’agissait de discuter de son passé, et la brunette avait toujours respecté cette part de mystère qui entourait Rachel et tout ce qui s’en approchait de près ou de loin. Est-ce qu’elle s’était pour autant attendue à voir débarquer la petite amie du cousin de Rachel dans son salon ? Pas vraiment. Les seules personnes dont lui avait parlé le kiné étaient les Forbes, les grands-parents d’Anabel qui avaient fait de la vie du kiné un enfer juridique des mois durant. Pas un mot sur qui que ce soit d’autre. Quelles en étaient les raisons ? Leah se sentait blessée malgré elle, alors qu’elle était persuadée depuis tout ce temps qu’ils partageaient absolument tout. « Je comprends mieux pourquoi, maintenant. » Réalisant presque soudainement que Jules était encore dans la pièce, elle lui sourit brusquement afin de donner le change. Une part d’elle était soulagée de savoir que la petite brune n’était pas une prétendante de Stephen. Mais une autre part se disait que ça aurait été presque plus simple à gérer que… ça. « Je suis désolée pour ma réaction. Je me demandais vraiment qui tu étais, je croyais… » Elle fut secouée d’un petit rire qui trahissait sans doute sa nervosité maintenant qu’elle comprenait mieux ce qu’il se passait. « … Je croyais que tu allais m’annoncer que t’étais toi aussi la copine de Stephen. C’est stupide. » Ajouta-t-elle en secouant ses boucles brunes, réalisant à quel point ça aurait été improbable. S’il avait du la tromper, le kiné n’aurait jamais donné son adresse à sa conquête… Il était plus intelligent que ça. Était-ce rassurant ? Pas vraiment. « Du coup il est probablement temps que je t’avoue que Stephen n’est pas près de rentrer. En vérité j’ai dis ça pour que tu me dises qui tu étais… Désolée. » Grimaça-t-elle tandis qu’elle avouait honteusement avoir piégé Jules pour qu’elle mette les pieds dans l’appartement. Elle avala une gorgée d’eau avant d’observer la jeune femme, piquée par la curiosité. Rachel était une partie de la vie de Stephen qu’il avait – volontairement ou non – entourée d’une aura de mystère. Se retrouver avec quelqu’un qui l’avait connue… Qui les avait connu ensemble… A nouveau, Leah se mordit la lèvre tout en se demandant si se lancer sur ce sujet était une vraie bonne idée. « Je… Je ne savais pas que Stephen avait encore des contacts avec la famille de Rachel. Si ce n’est avec ses parents… Pour la petite… » Une question qui n’en était pas vraiment une, mais la brunette brûlait d’envie d’en savoir plus. Même si elle gardait un goût amer dans la bouche, celui de réaliser que le kiné lui cachait bien des choses au final.
Lorsque je donne enfin mon identité à Leah, j’ai l’impression que ça n’aide pas vraiment cette dernière à se détendre. Je pensais sincèrement que savoir qui j’étais l’aiderait à se rendre compte que je ne suis pas une ennemie ou même sans l’être, une personne qui lui veut du mal. Malheureusement, ça n’a pas l’effet escompté. Pourtant, elle s’excuse de sa réaction mais elle semble nerveuse, mal à l’aise, toujours un peu sur la réserve alors que je pensais que le lien que j’entretiens avec Stephen, même s’il ne fait pas réellement partie de ma famille à moi ni même de celle d’Alfie, suffirait à lui inspirer confiance. « Mais non ce n’est pas stupide ! Ça aurait pu. » Dis-je pour la rassurer sur ses capacités, avant de me rendre compte que de telles paroles n’avaient absolument rien de rassurant. « Enfin non, ça n’aurait pas pu du tout ! Stephen et moi, jamais de la vie, plutôt mourir, j’ai déjà du mal à supporter Alfie. » Un rire nerveux s’échappe de mes lèvres alors que je réalise sans peine que je suis en train de m’enfoncer plus qu’autre chose. « Non pas que ce ne soit pas quelqu’un de bien, Stephen est vraiment super mais… Enfin, bref, t’as compris ce que je voulais dire. » Il est plus que probable qu’elle n’ait absolument rien compris du tout mais il est assez délicat de dire qu’on n’est pas intéressé par quelqu’un sans descendre la personne et je n’ai vraiment rien à reprocher à Stephen. C’est juste qu’il est un peu mon cousin par alliance, du coup, je n’ai jamais imaginé un autre lien que celui-là. Mon explication était peut-être affreusement vaseuse mais dans ma tête, elle me paraissait vraiment beaucoup plus cohérente que ça. « Alfie, c’est le cousin de Stephen… C’est Alfred en réalité, mais ne l’appelle pas comme ça, à part si tu veux mourir. » Un léger rire s’échappe de mes lèvres alors que j’imagine sans peine la tête dépitée de mon petit-ami si elle venait à utiliser son véritable prénom. « Il ne te tuerait pas vraiment, hein, je plaisante. » Généralement, l’accumulation de paroles ce n’est pas forcément ce que j’utilise le plus pour camoufler ma nervosité ou tenter de meubler une conversation un peu gênante, mais dans le cas présent, devant le quasi mutisme de Leah, je n’ai pas quinze milles autres possibilités que celle de parler toute seule et donc de dire un maximum de conneries à la limite. Fichus cookies. Je me raccroche bien évidemment à l’espoir que Stephen franchisse le seuil de la porte pour venir nous tirer de cette situation ô combien embarrassante, mais c’est ce moment précis que choisit mon hôte du moment pour m’avouer son mensonge. « Ah, je vois. » Je me demande si je dois adopter la position latérale de sécurité maintenant ou s’il faut que j’attende encore quelques minutes avant qu’elle ne devienne une réelle nécessité. « Et c’est quoi la prochaine étape ? Tu m’attaches au radiateur avec des menottes et tu me verses de l’eau bouillante sur le corps en me posant une tonne de questions ? » Une fois de plus, un rire nerveux s’échappe de mes lèvres et je commence sincèrement à me demander si j’ai bien fait de venir ici et si Leah est simplement un peu déboussolée ou bien si c’est vraiment une dangereuse psychopathe. Après tout, qu’est-ce que je sais d’elle mis-à-part qu’elle est la nouvelle copine de Stephen ? Rien, absolument rien. Elle pourrait avoir été un simple plan cul qui s’est introduit dans son appartement à son insu pour lui voler des vêtements afin de respirer son odeur avant de se coucher. Si c’était réellement le cas, j’imagine que je ne serais plus en vie à l’heure actuelle pour lui poser toutes ces questions. Heureusement, Leah embraye sur le sujet Rachel – bien qu’on ne puisse pas considérer vraiment la jeune femme comme un sujet de conversation idéal – ce qui me pousse à laisser de côté ma sombre réflexion pour me concentrer sur ses paroles et la manière dont je me sortirais de tout ça sans en dire trop mais en lui permettant de raccrocher les pièces du puzzle malgré tout. « Si, si, nous sommes restés très proches après… » Prononcer réellement les mots décès et Rachel le tout dans la même phrase est clairement au-dessus de mes forces, raison pour laquelle je laisse Leah compléter mentalement ma phrase avant d’enchainer. « Je voulais être là pour le soutenir. » Alfie aussi, même si nous avons agi de manière totalement différente lui et moi. Je ne tiens pas à m’éterniser davantage sur la tristesse de Stephen, c’est un sujet intime qu’ils ont abordé ou qu’ils aborderont entre eux, je n’ai rien à voir là-dedans. « J’imagine qu’il attendait simplement le bon timing pour t’en parler et moi je suis au mauvais endroit, au mauvais moment. » Plus que de l’imaginer, j’en ai la certitude. Il ne doit pas être évident pour le jeune homme de parler de sa vie d’avant, de la manière dont il a souffert et de son ressenti maintenant qu’il commence à reconstruire sa vie. Je ne veux pas lui couper l’herbe sous le pied en m’étalant trop sur sa vie privée. Ce n’est pas mon rôle et j’ignore à quel point leur relation est avancée et ce qu’ils ont déjà partagé ou non et je ne compte pas poser la question à Leah. A dire vrai, même si elle me semble vraiment adorable – quoi que cinglée – j’ai surtout envie de ne pas être ici. Le risque de commettre un impair est bien trop grand, je sauterais donc sur la première occasion pour mettre les voiles. Le plus tôt sera le mieux.
Si un tas d'hypothèses avaient traversé l'esprit de Leah - toutes plus folles les unes que les autres d'ailleurs - l'idée que Jules se révèle apparentée à Rachel via son petit ami était tout simplement dingue. Stephen ne lui avait jamais parlé de qui que ce soit dans l'entourage de sa défunte femme, si ce n'est des grands parents d'Anabel. Evidemment que Rachel avait une famille en dehors d'eux, mais la brunette n'y avait tout simplement pas pensé puisqu'elle ignorait tout de leur existence. Et elle ignorait encore moins que le kiné continuait de les côtoyer, et ce sans jamais avoir mentionné ne serait-ce que leurs prénoms. La jeune femme se posait beaucoup de questions, la principale étant de savoir pour quelle raison Stephen avait préféré la tenir à l'écart de cette partie de sa vie. Après tout, ils avaient toujours discuté de tout, et même de Rachel... Le sujet était douloureux et ils ne s'étaient jamais attardés sur les détails. Cependant, mentionner le fait qu'il entretenait toujours des rapports avec son cousin était quelque chose qu'il aurait pu faire. Leah était interloquée face à ces secrets qu'elle découvrait chez son petit-ami, ne pouvant éviter de se demander s'il en avait d'autres comme ça. En attendant de tirer ça au clair, la brune se reconcentra sur son invitée, s'excusant au passage pour son comportement désagréable tout en lui expliquant qu'elle craignait qu'elle ne partage elle aussi une relation privilégiée avec le brun. « Mais non ce n’est pas stupide ! Ça aurait pu. » La jeune femme haussa un sourcil amusé tout en observant Juliana se rendre compte de ce que cette phrase pouvait sous entendre, laissant ainsi un rire nerveux s'échapper de sa bouche. « Enfin non, ça n’aurait pas pu du tout ! Stephen et moi, jamais de la vie, plutôt mourir, j’ai déjà du mal à supporter Alfie. » La spontanéité et le franc parlé de la petite brune plaisait énormément à Leah qui aurait très certainement eu tendance à rire avec elle si la situation n'était pas si étrange à ses yeux. A la place, un mince sourire étira ses lèvres tandis qu'elle essayait de donner le change et de ne pas passer pour une personne froide et sans aucun sens de l'humour. Evidemment, Jules ne pouvait pas savoir ce qui préoccupait la brune et la jeune femme refusait de lui faire payer les frais du silence de Stephen. « Non pas que ce ne soit pas quelqu’un de bien, Stephen est vraiment super mais… Enfin, bref, t’as compris ce que je voulais dire. » Leah hocha la tête d'un air entendu, laissant son sourire étirer un peu plus ses traits. "Oui j'ai compris. Je suis rassurée de savoir que ce n'est pas le cas... Encore désolée pour l'accueil. En général je suis beaucoup plus avenante que ça" Grimaça la brunette, continuant à s'excuser comme si le fait de l'avoir fait entrer dans l'appartement sous de faux prétextes tout en donnant à leur conversation un climat glacial était réellement excusable. Une entrée en matière bien médiocre pour découvrir cette jeune femme que Stephen rencontrait en secret, elle et son petit-ami... Alfie? « Alfie, c’est le cousin de Stephen… C’est Alfred en réalité, mais ne l’appelle pas comme ça, à part si tu veux mourir... Il ne te tuerait pas vraiment, hein, je plaisante. » Se reprit la jeune femme, riant à nouveau avec nervosité. Leah nota cette information dans un recoin de sa mémoire, se disant machinalement que ça pourrait toujours servir quand elle le rencontrerait... Si ce moment arrivait un jour bien entendu. Son regard se voila de nouveau tandis qu'elle pensait à Stephen, ce qu'il dirait s'il assistait à tout ceci... Allait-elle seulement lui en parler? Une partie d'elle en mourrait d'envie, de le mettre face à ces cachotteries tout en lui demandant pourquoi il lui avait caché tout ça, pourquoi il n'avait pas parlé d'elle alors que leur relation prenait une tournure bien plus sérieuse... Mais sa fierté s'y refusait. Il était hors de question qu'elle en parle, non. Elle attendrait de voir combien de temps encore il continuerait à la tenir à l'écart de cette partie de sa vie, bien consciente qu'elle se ferait plus de mal qu'autre chose. Mais tant pis. "Très bien, c'est bon à savoir... Ce serait dommage de mourir pour si peu." Lança la brune dans un clin d'oeil, bien décidée à commencer à se détendre. Son interlocutrice était amusante, bien que débordante de nervosité - un état dont elle savait être la cause - et Leah voulait se rattraper. En commençant par lui avouer que Stephen n'était pas prêt d'arriver, autant rétablir des bases honnêtes pour que cette conversation reprenne de manière plus naturelle. « Ah, je vois... Et c’est quoi la prochaine étape ? Tu m’attaches au radiateur avec des menottes et tu me verses de l’eau bouillante sur le corps en me posant une tonne de questions ? » Le ton était toujours à la plaisanterie, même si la jeune femme se doutait qu'une part de sérieux flottait dans cette boutade. Pour la première fois depuis que Jules avait mis les pieds dans l'appartement, la brune s'autorisa à rire avant de lever les mains en l'air comme pour se dédouaner de cette image que la petite brune semblait avoir d'elle. "Bien que l'idée soit intéressante, je te promet que je suis tout sauf une dangereuse psychopathe." Répondit Leah avec un sourire en coin avant de secouer ses boucles brunes avec un air amusé. "Après, je comprends que tu puisses penser ça... Encore désolée. Je voulais vraiment savoir à qui j'avais affaire, et disons que j'ai légèrement... improvisé." Lança la jeune femme dans un doux euphémisme, tentant à nouveau de s'excuser pour son comportement. Finalement, la brune laissa la curiosité prendre le pas sur l'amusement, lançant de manière pas tout à fait subtile le sujet sur Rachel et la présence de Jules dans l'appartement qu'elle partageait avec Stephen. « Si, si, nous sommes restés très proches après… » Leah détourna le regard, comprenant immédiatement la fin de cette phrase. « Je voulais être là pour le soutenir. » Au final, la brunette était plutôt contente de savoir que Stephen ait été entouré au décès de sa femme, lui qui était plutôt du genre renfermé... Tout ceci était plutôt positif, si l'on mettait de côté le fait qu'elle n'en aurait peut-être jamais rien su si Jules n'avait pas débarqué chez eux à l'improviste. Maintenant que le sujet avait pris une tournure plus sérieuse à l'évocation de Rachel, Juliana avait contrôlé son flot de paroles, respectant sans doute le jardin secret de Stephen à ce sujet - quelle ironie quand on y pensait. Leah s'en était rendu compte, le peu de personnes au courant de ce qu'elle avait traversé avec Camden agissaient de la même manière lorsqu'ils parlaient de son passé, peu désireux de lâcher des détails qu'elle n'aurait pas aimé divulguer d'elle-même. "Ca me fait plaisir de savoir que d'autres personnes ont été là pour lui. Stephen et moi ça remonte au lycée, et quand je l'ai revu après..." Elle s'abstint à son tour de terminer sa phrase à voix haute, haussant les épaules à la place tout en observant Jules d'un air entendu. "Je ne l'avais jamais vu comme ça. Ce n'est plus le même homme, cette tragédie l'a vraiment changé..." A nouveau, la brune se mordit la lèvre sans s'en rendre compte, perdue dans ses souvenirs d'il y a plus d'un an, alors qu'elle avait retrouvé le kiné après des années sans l'avoir vu. « J’imagine qu’il attendait simplement le bon timing pour t’en parler et moi je suis au mauvais endroit, au mauvais moment. » La jeune femme sourit avec douceur avant de balayer d'un geste la vaine tentative de la petite brune pour tenter de la rassurer. "Et moi je pense qu'il ne m'aurait probablement jamais rien dit... Alors que je pensais qu'on se disait tout." Souffla Leah dans un petit soupir, se laissant tomber contre le dossier du fauteuil avec un léger sourire, tentant toutefois de donner le change. "Je suis contente d'avoir fait ta connaissance, même si les circonstances sont un peu bizarres. Au moins j'aurai appris quelque chose aujourd'hui...." Lança la brune avec une pointe de regret dans la voix, accusant toujours le coup de ne pas faire partie de la vie de Stephen de la façon dont elle le pensait.
Rencontrer la personne qui partage la vie de Stephen aurait dû être un très bon moment, j’aurais dû me concentrer sur son tout nouveau bonheur et me réjouir pour ce nouveau départ heureux qui semblait impossible un an auparavant. Malheureusement, cette rencontre imprévue rend notre première approche difficile et j’ai un peu de mal à encaisser l’accueil que j’ai reçu. Je le comprends, bien sûr, et je l’accepte parce que Leah n’a pas voulu être impolie, mais notre conversation reste un peu tendue malgré mes tentatives pour tenter d’alléger l’atmosphère un peu trop lourde qui plane au-dessus de nos têtes. Il n’y a pas de coupable dans cette histoire, bien sûr que si je n’avais pas voulu apporter ces cookies, ou si Leah n’avait pas été là au moment où je suis venue, ou si Stephen avait tout avoué avant, nous n’en serions pas là, mais avec des si, il serait possible de refaire le monde. Je suis sûre qu’il avait ses raisons pour tenir Leah à l’écart pour le moment et je ne peux en tenir rigueur à Leah de m’avoir prise pour une concurrente potentielle, même si l’idée a de quoi me faire rire tant c’est improbable. « Ne t’inquiètes pas, je crois que je m’en remettrais. » Et c’est le cas, évidemment, ce n’est pas cinq minutes de froideur qui vont me donner des a priori sur elle, à l’avenir. En revanche, je ne peux ignorer que la jeune fille n’a pas l’air d’être envahi par un soulagement qui aurait dû être évident, à mon sens. Bien sûr, je ne peux pas l’interroger sur les doutes qui semblent encore l’assaillir, je ne la connais pas assez pour la pousser à faire une introspection qui serait peut-être douloureuse et à laquelle je ne saurais pas comment réagir. Et puis, il ne faut pas oublier que je ne la connais pas, peut-être que cet air réservé est naturel chez elle, même si elle se prétend avenante, raison pour laquelle je n’insiste pas, enchainant nerveusement sur un flot de paroles inutiles destiné à combler le vide qui menace de s’installer dans notre conversation. « Tant mieux, j’étais à deux doigts d’appeler les flics. » Je plaisante, une fois de plus, ne lâchant pas ma ligne de conduite première. Et je suis heureuse de voir que Leah commence finalement à se détendre un peu. Et elle se confond en excuses, encore une fois, alors qu’elles ne sont vraiment pas nécessaires. « Tu te débrouilles pas pour l’improvisation, tes ennemis ont du souci à se faire, je n’aimerais pas être à leur place. » Si ses plans improvisés fonctionnent aussi bien, je n’imagine pas ce que ça doit donner lorsqu’elle élabore ses projets à l’avance. Le sourire sur mon visage prouve cependant que je plaisante toujours et que je ne lui tiens pas rigueur de ses agissements un peu spéciaux. Tout va bien Leah, on en plaisantera sûrement la prochaine fois qu’on se croisera.
La conversation prend une tournure plus sérieuse lorsque j’entre dans le détail des liens que j’entretiens avec Stephen. Il m’est difficile d’expliquer les choses sans trop en dire, j’ai peur d’empiéter sur un jardin secret qu’il a besoin de préserver et l’idée de faire un faux-pas qui pourrait véritablement le blesser me tétanise. Pourtant, je dois un minimum d’explications à Leah qui a l’air vraiment perturbée d’apprendre mon existence. J’ai l’impression d’avoir volé à Stephen cette révélation qu’il aurait sans doute voulu lui faire lui-même et je ne sais pas comment rattraper le coup. « Ça a été très dur, je suis contente qu’il puisse compter sur toi, maintenant. » Refaire sa vie devait sans doute lui paraitre inconcevable, mais Dieu a un projet pour chacun d’entre nous et ce n’est pas un hasard si son ancienne amie a de nouveau croisé sa route après la mort de Rachel. Je suis d’un naturel optimiste et je crois fermement qu’après la tempête, le calme n’en est que plus appréciable, j’espère vraiment que Stephen est heureux à présent avec Leah et que les longues heures de cauchemar qu’il a vécues suite à la disparition de Rachel ne seront plus qu’un mauvais souvenir qui deviendra flou au fil des années jusqu’à s’estomper complètement pour ne laisser que les bons moments gravés. Bon, évidemment, c’est de l’ordre de l’utopie et je me doute que ça ne doit pas être aussi simple que ça. Malgré tout, j’ai conscience que Stephen doit enfin vivre des jours meilleurs et ça me rend heureuse pour lui. Sauf que mon apparition surprise a sans doute jeté de l’huile sur le feu et j’essaie de rattraper le coup comme je peux. « Tu sais, parfois, il y a certaines choses plus faciles à admettre que d’autres, ça n’enlève rien à la confiance qu’il te porte. » Je n’en sais rien, en vérité, je pars du principe que la confiance est la base du couple et la transparence aussi. Tout le monde a son jardin secret, mais cacher carrément un bout de ses relations, c’est assez spécial. « Je te comprends, je l’aurais sans doute mal pris aussi à ta place, mais avant de le condamner, tu devrais peut-être attendre ses explications, non ? » Sa déception est perceptible et je m’en voudrais vraiment qu’une dispute éclate entre eux juste parce que j’ai débarqué avec ma boite de cookies sans même prendre la peine de prévenir Stephen de ma venue. « Je crois que je devrais y aller, je ne voudrais pas qu’il nous trouve ici quand il rentrera et je ne veux pas agir derrière son dos. » Je me lève soudainement, consciente que cette décision est sûrement la meilleure que je puisse prendre. « Je serais vraiment ravie de faire plus amplement ta connaissance dans de meilleures circonstances, mais je ne suis pas sûre que le moment soit bien choisi. » La peur de trop en dire m’empêcherait de véritablement être à l’aise avec elle et la perspective que Stephen revienne et nous trouve en train de papoter comme de vieilles amies ne me dit rien de bon. Ce que j’ai vu de Leah me suffit pour penser que c’est une chouette fille, mais ma loyauté avec Stephen me pousse à mettre les voiles, pour le moment. « J’espère vraiment qu’on aura l’occasion de se revoir rapidement. » Parce que ça voudra dire que Stephen et elle auront éclairci la situation et qu’il sera finalement prêt à nous permettre de faire plus que d’échanger des banalités en pesant nos mots. En attendant, je prends la fuite parce que c’est ce que je peux faire de mieux.
Maintenant que le mystère qui entourait Juliana était dissipé, Leah se sentait soulagée. Mais seulement en partie. Car si elle n’était pas une maîtresse que Stephen lui avait cachée, elle était tout autre chose. Une partie de sa vie qu’il avait préféré passé sous silence, et au final, c’était encore pire. Cette révélation avait un goût amer tandis que la brune réalisait qu’elle était loin de tout savoir au sujet de son compagnon. Evidemment que l’entourage de Rachel était un sujet délicat, hautement sensible même. Elle ne l’aurait jamais forcé à les lui présenter, et elle se fichait bien qu’ils soient au courant de son existence à elle dans l’immédiat. Par contre, elle aurait savoir qu’ils étaient dans sa vie. Que le cousin de Rachel était le parrain d’Anabel, et une personne chère au cœur de Stephen. Autant de détails qu’elle jugeait important à savoir dans une relation, ce qui n’était apparemment pas le cas du kiné. Sans doute avait il une bonne raison pour avoir agit de la sorte, mais pour l’instant, Leah n’en voyait aucune de suffisamment valable pour expliquer ses agissements. « Ne t’inquiètes pas, je crois que je m’en remettrais. » Jules n’avait pas l’air de la prendre pour une sociopathe, une chance compte tenu des circonstances. Au mieux elle passerait pour une petite amie jalouse et possessive, allez savoir si c’était mieux ou non. Leah n’était pas le genre de personne à se soucier des apparences, mais vouloir faire bonne impression aux proches de son petit-ami était quelque chose qui lui tenait à cœur. Et là, c’était un peu raté. Peut-être que la petite brune comprenait vraiment sa réaction, ou alors elle disait simplement ça pour la rassurer. « J’espère, je m’en voudrais sinon. » Répondit simplement la brunette, encore au summum du malaise. La situation était on ne peut plus gênante, et elle ignorait quoi dire ou quoi faire pour dissiper la tension qui régnait entre elles. « Tant mieux, j’étais à deux doigts d’appeler les flics. Tu te débrouilles pas pour l’improvisation, tes ennemis ont du souci à se faire, je n’aimerais pas être à leur place. » Juliana avait de l’humour, une arme dévastatrice pour lutter contre des situations comme celles-ci. Sa boutade fit sourire Leah qui s’autorisa même à lâcher un petit rire pour la peine. « C’est gentil. Mais je n’en ai pas beaucoup… » Se sentit-elle obligée d’ajouter, histoire de prouver qu’en temps normal elle était une jeune femme tout à fait exemplaire et digne de sortir avec Stephen Holloway. Mon dieu, elle avait l’impression de s’écraser et de faire pire que bien afin de rattraper une cause qui était déjà sans doute perdue. Tais toi Leah, c’est encore ce que tu as de mieux à faire.
Maintenant que Jules était là, la brune ne put s’empêcher de lui poser des questions sur sa relation avec Stephen, d’en apprendre plus. La curiosité était bien présente, et elle prenait vraiment sur elle pour éviter d’assaillir son interlocutrice de questions. D’ailleurs, cette dernière était avare en détails, sans doute mal à l’aise d’être ici alors que Stephen n’avait jamais mentionné ne serait-ce que son nom. « Ça a été très dur, je suis contente qu’il puisse compter sur toi, maintenant. » Evidemment, le sujet Rachel était inévitable. Sans trop en dire, elles étaient au moins d’accord sur un point ; elles ne se connaissaient pas mais elles avaient été là pour soutenir le kiné dans son deuil. « Je sais. Et je suis contente de savoir qu’il vous avait aussi. » Murmura-t-elle avec un petit sourire. « Tu sais, parfois, il y a certaines choses plus faciles à admettre que d’autres, ça n’enlève rien à la confiance qu’il te porte. » La petite brune essayait de rattraper le coup pour Stephen, ce qui eut le don de faire sourire à nouveau la dernière des Baumann. « Sans doute. » Souffla la jeune femme, peu désireuse de se lancer dans un débat sur la confiance que lui portait ou non le kiné. Avec ses amies elle n’était déjà pas très expansive sur sa vie privée, elle n’allait pas s’étaler dessus face à une brune dont elle ne connaissait rien, même si celle-ci arborait un air très sympathique. « Je te comprends, je l’aurais sans doute mal pris aussi à ta place, mais avant de le condamner, tu devrais peut-être attendre ses explications, non ? » Probablement. Leah savait qu’elle ne lancerait pas ce sujet d’elle-même, il en était hors de question. Elle attendrait de voir pendant combien de temps encore Stephen serait capable de lui cacher cet aspect de sa vie, même si c’était puéril de sa part d’agir de la sorte. Leah ouvrit la bouche pour lui confirmer que c’est ce qu’elle allait faire, mais Jules se leva d’un seul bond, lâchant soudainement un : « Je crois que je devrais y aller, je ne voudrais pas qu’il nous trouve ici quand il rentrera et je ne veux pas agir derrière son dos. Je serais vraiment ravie de faire plus amplement ta connaissance dans de meilleures circonstances, mais je ne suis pas sûre que le moment soit bien choisi. J’espère vraiment qu’on aura l’occasion de se revoir rapidement. » Et sans plus de cérémonie, elle quitta l’appartement dans un petit signe amical. Leah la laissa partir sans un mot, légèrement déçue de la tournure des évènements. Elle aurait aimé en savoir plus, mais elle comprenait la position délicate dans laquelle Juliana se trouvait. Elle aurait l’opportunité d’en apprendre davantage le jour où Stephen se déciderait à lui parler de tout ça, et en attendant, elle rongerait son frein. Il ne pourrait pas se taire indéfiniment de toute façon.