Ca fait des mois entiers que plus personne n'a donné de nouvelles à Lisbeth concernant ses démarches spontanées pour se faire exposer. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir rappelé à son existence auprès de toutes les galeries de Brisbane pour savoir s'ils avaient un créneau disponible. Il a fallu d'une rencontre un peu spéciale dans un bar pour permettre à la brune de se voir offrir une nouvelle opportunité... Elle a pas mal joué de ses charmes, mais elle y est parvenue. La voilà bravant la pluie dans sa voiture pour se rendre à la soirée d'ouverture de son exposition. Elle a revêtu l'une des dernières tenues de soirée qu'elle a achetée, comme si elle allait assister à une première de film. Trop heureuse de pouvoir à nouveau se faire des contacts dans le domaine de l'art, Lisbeth a même pris l'initiative de créer des affiches pour faire à la fois un peu de publicité à son exposition mais aussi à la galerie dont le propriétaire a vraiment touché la brunette. Elle en a placardé dans tout le quartier, et même à Bayside lorsqu'elle est allée y faire un tour la semaine passée. Ca lui a coûté cher en impressions, aussi elle espère un bon retour côté vente de ses oeuvres. Ses dernières grandes toiles de peinture ont elles aussi terminées sur les murs de la galerie. Cela ne fait pas si longtemps qu'elle s'y est mise, mais elle s'est avoué que les grandes toiles habillent bien mieux que les simples cadres renfermant une feuille de papier au grain épais. Enfin arrivée à la galerie, Lisbeth se précipite hors de sa voiture en se protégeant la tête tant bien que mal avec sa pochette. Elle manque de trébucher sur le trottoir mais atteint le lieu sans encombres. Quelques personnes sont déjà là, aussi elle se fait très discrète le temps d'aller déposer sa longue veste dans l'arrière-salle, comme le lui a indiqué le propriétaire par message. Elle doit aussi se refaire une petite beauté avant d'aller officiellement accueillir les visiteurs. Son discours est, quant à lui, bien prêt et bien ancré dans sa tête. Elle a hâte que cette étape soit passée, n'étant pas très à l'aise lorsqu'elle doit parler devant plus de trois personnes. Lorsqu'elle revient dans la grande salle, d'autres personnes sont arrivées et sont déjà en train de faire le tour des murs d'affichage. Un stress immense s'empare de Lisbeth, qui part alors à la rencontre des premiers amateurs d'art qui se trouvent sur son chemin.

La logique d'Elwyn n'était pas commune, c'était le moins que l'on pouvait dire. Il n'y avait que lui pour s'extasier devant un buffet quand les oeuvres d'art étaient partout autour de lui. Clairement, il n'était pas un spécialiste, certainement que le tout manquait un peu d'une touche de Marvel ou DC Comics à ses yeux mais pour le bien de son entreprise, il fallait bien qu'il fasse le connaisseur pour agrandir sa clientèle. Depuis le départ inopiné de Seymour, Cadburry nageait un peu, c'était une évidence. Il n'était pas le manager hors pair qu'on aurait aimé voir, lui était plus le garçon qui gérait l'événementiel, celui qui avait les idées les plus farfelues pour relever la boutique. Tout ce qui relevait de la gestion financière et commerciale, c'était une autre paire de manches alors il savait qu'il devait faire des efforts s'il voulait éviter la fermeture. Forcément, il avait sauté sur l'occasion en croisant un panneau publicitaire concernant une soirée d'exposition sans savoir en réalité de quoi il s'agissait. Elwyn était légèrement impulsif, ce qui lui valait la plupart du temps d'incroyables soucis. Il se retrouvait bien vite avec des coquarts à cause d'aventures périlleuses dont lui seul avait le secret. Un jour ou l'autre, il finirait par en mourir, à force de ne pas faire attention à son environnement et pire encore, à ses propres actions. C'était un fait, Elwyn était toujours plus ou moins un danger pour sa propre survie entre ses expériences étranges au beau milieu de son appartement et sa capacité à se retrouver dans des affaires farfelues. Pour le coup, il l'aurait bien cherché s'il lui arrivait quelque chose ce soir-là. Une coupe à la main, il était en train de déblatérer sur le fameux buffet face à un inconnu qui se demandait bien de quoi il pouvait parler. "... Chaque année, on récolte de par le monde environ 100 millions de tonnes de bananes. En mettant bout à bout l'ensemble de ces bananes, on pourrait faire le tour de la Terre environ 2000 fois, vous vous rendez compte? Cela pourrait commencer maintenant avec ses délicieux cakes à la banane sur ce si joli buffet. Le monde est incroyable, vraiment, je..." Il releva les yeux, se décidant enfin à arrêter de parler sans but puis il plissa les yeux en croyant reconnaître sa voisine. Lisbeth. Evidemment, elle était une artiste, il en avait entendu parler les quelques fois où ils avaient pu se croiser au détour d'un couloir mais il n'avait pas réalisé qu'elle serait là. Il s'éclipsa du buffet pour se rapprocher d'elle, amusé. "Ne serait-ce pas ma chère voisine, ici? Intéressante rencontre dans un lieu d'artistes... Enfin, j'y connais rien, je crois mais tu vas p'tet pouvoir m'aider. Le buffet fait partie des oeuvres ou je divague? Non, parce que j'aimais bien l'idée pour être honnête..." Et voilà, il était parti dans ses délires habituels, pas si étonnant que le monde entier essayait de le faire taire. En vain.

Depuis quelques minutes, Lisbeth virevolte d'un invité à l'autre, se présentant comme l'auteure des oeuvres accrochées aux panneaux. Quelques badauds ont failli ne pas la croire, étant donné qu'elle est tout à fait inconnue, mais l'arrivée en grande pompe du propriétaire de la galerie a bien vite fait de les convaincre, finalement. Cette ambiance avait beaucoup manqué à Lisbeth. Du temps où elle habitait à Perth, elle était beaucoup plus connue. Il faut dire que c'était la ville qui l'a vue grandir, évoluer et devenir une artiste accomplie. C'est aussi la ville qui lui a presque tout pris, mais ça, c'est une autre histoire... Bien décidée à se faire reconnaître de tous, Lisbeth se promet d'accrocher quelque part un portrait d'elle, à sa prochaine exposition. Il faudra au préalable qu'elle se le fasse tirer... Quels détails embêtants ! Lisbeth a maintenant presque fait le tour de la salle. Il ne lui manque plus qu'à aller saluer les derniers arrivés qui traînent près du buffet. Ce dernier est conséquent, le propriétaire de la galerie ne lui avait pas menti ! Et la brunette a franchement hâte d'avoir fait son discours pour aller se jeter sur les petits fours. Si elle ne le fait pas encore, c'est simplement parce qu'elle a peur que quelque chose se coince entre ses dents et qu'on ne la prenne en photo de la sorte... Mieux vaut prévenir que guérir. En revanche, le champagne n'est pas de trop. Elle se saisit d'une coupe pleine sur le buffet et s'apprête à se retourner vers un couple de personnes âgées derrière elle quand un visage familier vient l'aborder. "Oh ! Elwyn ! Bonsoir !" s'exclame-t-elle joyeusement en reconnaissant l'un de ses estimés voisins. Elle part directement dans un fou rire en entendant sa remarque. "Je t'avoue que je ne suis ni dans la sculpture ni dans la performance... Alors non, le buffet n'est évidemment pas une oeuvre, tu peux y aller !" fait la brunette. "Je te souhaite la bienvenue, du coup ! C'est vraiment gentil d'être venu me soutenir..." Lisbeth est réellement touchée par la présence de quelqu'un qu'elle connaît, même si ce n'est que très peu. C'est déjà plus que tous ceux qui sont venus voir ses dessins et peintures ! "Tu as vu les affiches placardées dans le quartier, alors ?" s'enquiert-elle.

On ne pouvait pas dire qu'il connaissait grand chose à l'art, pas celui-là en tout cas. Elwyn admirait les peintres, sculpteurs et autres personnes qui tentaient de faire voir le monde sous de nouvelles teintes mais lui avait bien du mal à y percevoir grand chose. Il était déjà bien trop obnubilé par la beauté au naturel de cet univers. Clairement, leur planète n'avait pas besoin d'une quelconque transformation pour être belle, il y avait juste quelques individus dans son genre pour constater ce genre de réalités. Heureusement pour Cadburry, ces énergumènes étaient de plus en plus nombreux au fil du temps du fait de la pollution et autres dégradations qui menaçaient d'annihiler leur lieu d'habitat. Elwyn n'était franchement pas prêt à prendre une navette spatiale pour aller peupler une autre planète. Il appréciait bien trop celle-là, avec ses couleurs changeantes, ses drames persistants mais ses aurores toujours accaparantes. L'art pouvait aider à faire revivre cette beauté, par d'autres biais et Elwyn appréciait l'idée même s'il n'y comprenait pas grand chose. La preuve, il était arrivé devant le buffet, plus ou moins surpris, se demandant si le tout faisait partie intégrante de l'exposition. N'importe quel individu en présence aurait pu lui signifier qu'il était idiot de penser que la nourriture pouvait rendre hommage à une forme d'art mais Cadburry n'était pas tout à fait calibré comme tout le monde. Heureusement, Lisbeth vint le libérer de son propre fardeau et le jeune homme ne put qu'en être soulagé. Non, il n'avait pas fait une grosse bêtise en se servant dans quelques plats avant l'arrivée de l'artiste. Ils étaient voisins avant tout et Elwyn n'avait même pas fait spécialement attention à l'auteur de tous ces tableaux. "Franchement, c'est dommage que ça fasse pas partie intégrante de l'expo'... Cette montagne de choux, ça aurait pu représenter les obstacles que l'être humain a à surmonter pour ne pas tout détruire... L'effondrement tout ça... Bon, ok, j'y connais rien à l'art, j'arrête de faire comme si j'étais Andy Warhol. Je sais déjà pas distinguer les différentes teintes de bleu. Mais bon, c'est pas une tare, je pense. Après tout, il y a bien des gens qui savent pas qu'Alexandre le Grand était épileptique et ils dorment très bien la nuit, hein?" Il était déjà lancé dans des discours à rallonge, sa technique numéro une pour faire passer sa gêne. Elwyn était loin d'être à sa place et il ne put que froncer les sourcils en laissant échapper une onomatopée de surprise en comprenant que Lisbeth était l'hôte de la soirée. "C'est toi qu'a fait tout ça? Wow! Je suis venu un peu à l'improviste pour être honnête, j'ai vu de la lumière disons mais je savais pas que c'était ma voisine qui exposait, mais c'est génial! J'espère que ça va marcher pour toi. Tu vends?" Il ne savait pas tellement comment le tout fonctionnait. Un bel ignare, lui qui se voulait si intelligent.

Qu'Elwyn s'imagine que Lisbeth donne dans la défense de quelque cause fait rire cette dernière à pleine gorge. "Oh, je ne vais pas chercher aussi loin quand je crée !" fait-elle, persuadée que l'on est pas obligé de défendre quoique ce soit pour donner dans l'art. Bien au contraire. Le seul plaisir des yeux et de l'âme peut suffire, aux yeux de la brunette. Puis, Lisbeth marque une pause dans son rire et fixe Elwyn. "Attends, il était vraiment épileptique ?" demande-t-elle, très intéressée. Elle n'aurait jamais pensé qu'Elwyn fait peut-être partie de ces dingues d'histoire sous toutes ses coutures, à connaître des faits que personne d'autre qu'eux ne connaît. Ce genre d'anecdote peut toujours être sympa à caser dans une conversation, mais Lisbeth est certaine qu'on ne pourra jamais en trouver dans les livres d'histoire. Elwyn semble étonné d'apprendre que Lisbeth est la maîtresse de cérémonie, pour cette exposition. Elle prend un air faussement fier, sa coupe de champagne à la main, avant de rire. "Eh oui, c'est moi ! Ta petite voisine discrète !" se vante-t-elle. "Ca marche plutôt bien pour moi, en tout cas jusqu'à présent. J'avoue que ça fait longtemps que je n'avais pas exposé, par manque de places dans les galeries. Ce sont les galeristes qui décident, pas les artistes," raconte Lisbeth à propos des difficultés qu'elle a pu rencontrer. "Oui, tout ce qui se trouve ici est à vendre ! Il y a de petites étiquettes à côté des cadres, donc n'hésite pas à me faire de la promotion si quelqu'un te fait la conversation ce soir..." glisse Lisbeth, malicieusement. Puis elle montre sa coupe de champagne et la lève : "On trinque ? Je ne vais pas tarder à devoir m'éclipser pour mon discours..." Au même moment, et l'interrompant presque, le responsable de la galerie se glisse derrière elle et lui tapote l'épaule, avant de lui tendre un micro que Lisbeth attrape, plus étonnée que ravie. Quelques applaudissements suivent, et elle est invitée par le galeriste à se diriger vers une minuscule scène aménagée devant ses plus grands tableaux. Elle lance un regard plein d'excuses à Elwyn avant de suivre le responsable de la galerie. Sa voix est un peu tremblante, lorsqu'elle prend la parole, mais son assurance refait surface au fur et à mesure. Ses deux minutes de discours lui semblent durer une éternité, mais les applaudissements la sortent de sa torpeur à la toute fin, provoquant chez Lisbeth une onde de joie. Un journaliste et photographe s'approche d'elle et l'artiste invite le galeriste à la rejoindre pour quelques photos. Ce n'est qu'une dizaine de minutes plus tard qu'elle se retrouve à nouveau aux côtés d'Elwyn, qu'elle a vu pas mal applaudir à la fin du discours. "Ouf. Ca c'est fait. Comment j'étais ?" s'enquiert-elle presque timidement. Mi-figue mi-raisin, Lisbeth n'arrive pas à savoir si elle est gênée parce que quelqu'un qu'elle connaît se trouvait dans le public ou si elle est gênée parce qu'elle l'a abandonné quelques minutes plus tôt pour ce discours.

Avec sa réputation de scientifique fou, il ne manquait plus qu'un unique pas pour qu'Elwyn se lance dans une carrière d'artiste du dimanche. Avec ses talents créatifs invétérés, il ne manquerait pas de faire fureur dans ce lieu de grande concurrence. Enfin, le jeune Cadburry n'avait jamais souhaité percer dans ce milieu. Tout cela manquait d'un aspect cartésien qui lui plaisait bien trop pour pouvoir s'extasier devant un grand carré bleu peint sur un fond jaune. Il avait beau chercher un théorème mathématiques derrière tout cela, il ne trouvait pas grand chose qui valait le coup pour son cerveau malade. Il préférait les statistiques, les réalités tangibles et qu'on pouvait prouver à grand renfort d'algorithmes. C'était pour cela qu'il aimait tant perdre son temps à coder des choses interminables sur un ordinateur: la moindre balise avait une place et une logique qu'on ne pouvait pas renverser. Avec l'art, c'était tout à fait différent. Une personne adorait une oeuvre ou la méprisait, on pouvait l'interpréter de mille manières et Elwyn ne pouvait qu'être frustré de ne pas connaître tous les tenants et aboutissants d'une production. Alors, se retrouver au beau milieu d'une galerie, c'était une prise de tête incroyable pour le jeune geek qui en arrivait même à voir le buffet comme une oeuvre d'art à part entière. Il ne se cachait pas, clairement il n'y comprenait rien et il ne pouvait pas tellement mentir à Lisbeth qui s'avérait être la maîtresse des lieux ce soir là. "Tu vas pas aussi loin? Je t'avoue que je sais pas où est la limite pour un artiste, tu vois, c'est pas comme calculer des litres d'huile dans un paquet de chips, ça fait cinq d'ailleurs, c'est pas une science exacte... Et ouais, notre grand Alex' l'épileptique, faut vraiment que les gens sachent!" Elwyn était toujours outré de constater que ce n'était pas entrer dans le panthéon du savoir commun depuis le temps mais tout le monde ne s'intéressait pas comme lui aux chaînes du câble liées à l'Histoire ou la nature. "S'il te faut un VRP en toiles de peinture, je suis ton homme. J'ai beau rien y connaître, depuis que je sais qu'on peut se réincarner en diamants après la crémation, je pense que tout est possible alors s'il faut trouver le sens de la vie dans un tableau pour le vendre, je devrais pouvoir y arriver!" Il fit un clin d'oeil à sa voisine avant de trinquer avec elle. La soirée était définitivement pleine de surprises et ce n'était pas fini puisque Lisbeth finit par prendre la parole pour ouvrir le bal et présenter son exposition. Elwyn écouta attentivement -tout en subtilisant un ou deux toasts au passage- puis il sourit lorsque la jeune femme revint vers lui. "Parfaite. On aurait dit Luther King le jour de son grand discours. Bon, maintenant c'est quoi la prochaine étape? Je te demande ça parce que si on reste là, t'auras plus de petits fours dans moins de quatre minutes d'après mes calculs." Il avait réellement fait un calcul pointu pour déterminer combien de toasts il était capable d'avaler durant ce laps de temps. Autant dire qu'être entourés d'artistes n'aidait pas Elwyn à se calmer sur les idées loufoques, bien au contraire.

"5 litres d'huile dans un paquet de chips ? Je crois que je vais freiner ma consommation, finalement..." songe Lisbeth avant d'éclater de rire. Le flot de paroles et la façon de sauter du coq à l'âne d'Elwyn l'amusent énormément. "Je n'ai aucune idée de ce qu'est un VRP, mon cher..." confie Lisbeth en baissant volontairement la voix, sur le ton du secret. Elle ne pense pas que les amateurs d'art les plus proches d'eux iraient à se moquer d'elle au vu de leur âge, mais quand même. L'heure du discours approche, et Lisbeth est obligée d'abandonner son voisin quelques minutes, le temps de vaquer à cette tâche inévitable. Si le galeriste n'était pas apparu derrière elle pour le lui rappeler, Lisbeth se serait défilée avec plaisir ! Ce n'est pas ce qu'elle préfère, d'être en avant et sous les feux des projecteurs... Une fois les applaudissements recueillis et les quelques photographies pour la presse réalisées, Lisbeth peut aisément revenir vers Elwyn et souffler littéralement. "N'abuse pas non plus !" le réprimande-t-elle faussement lorsqu'il lui lance qu'on aurait dit Luther King. "Eh bien ma foi je ne sais pas... Boire du champagne, discuter de tout et de rien, me pavaner entre mes tableaux, en faire la promotion et les vendre... J'aimerais bien ne pas tous les ramener chez moi dans deux semaines, quand l'exposition sera terminée !" fait Lisbeth en se saisissant d'une flûte de champagne pleine sur le buffet. Elle ne sait pas où le galeriste a mis la sienne lorsqu'il lui a prise, en l'emmenant sur la petite scène improvisée. Autant en prendre une nouvelle, tant pis ! "Je ne suis pas obligée de rester là toute la soirée, maintenant que j'ai fait mon discours je peux m'éclipser d'ici une heure, à ce que m'a dit le galeriste..." renseigne-t-elle en cherchant ce dernier des yeux. Il est en grande discussion avec un couple de personnes âgées devant l'une des grandes toiles de Lisbeth, et lui fait un signe de la main lorsqu'il croise le regard de l'artiste. Cette dernière lui sourit et ajoute à l'attention d'Elwyn : "Je crois qu'il croit que nous sommes ensemble, et que tu n'as pas l'air très fan d'art... Il m'a dit qu'il comprendrait si je veux m'enfuir en compagnie de mon ami," déclare Lisbeth tout en agitant la main légèrement en hauteur, tournée vers le galeriste. Puis, en riant, elle fait à nouveau face à Elwyn et lève sa flûte pleine. "Maintenant que je ne risque plus de me faire déranger : trinquons !" fait-elle en joignant le geste à la parole et en faisant tinter son verre contre celui d'Elwyn. "Je vais t'aider à les manger, ces toasts, ne t'en fais pas... Par contre, n'oublie pas de me prévenir si quelque chose se coince entre mes dents," supplie Lisbeth en se saisissant d'un toast au fromage. "Mmmh... Ca fait trop de bien !" gémit-elle plus pour elle-même que pour Elwyn. "Je meurs de faim, et le stress m'affame encore plus !"

Se retrouver dans une galerie d'art était totalement surréaliste mais avec Elwyn, ce n'était même pas quelque chose qui devait être choquant. Il fallait qu'il suive ses impulsions même si elles avaient l'air absurdes de prime abord. Pour quelqu'un qui n'y connaissait rien à l'art, Cadburry avait tout de même la sensation de ne pas trop détonner dans le décor, surprenant. Il voyait les gens autour de lui rester cinq bonnes minutes devant chaque tableau, se lançant dans de vifs débats d'interprétation alors que lui ne voyait rien d'autre que des couleurs et des images, belles certes mais il ne pouvait pas voir plus loin. Il était bien trop cartésien pour cela. Il avait la tête dans les nuages les trois quarts du temps mais lorsqu'il était question d'un quelconque domaine artistique, Cadburry se transformait en homme terre à terre, incapable d'y comprendre quoique ce fut. Au moins, il pouvait soutenir Lisbeth qui, elle, ne semblait pas tout saisir de ce qu'il disait. "Si tu savais le nombre de trucs nocifs qu'on ingurgite, on mangerait plus rien... Mais le monde est mal fait, hein. Regarde, autre fait: grâce à une bactérie présente dans le tube digestif du kangourou, ses pets ne contiennent pas de méthane et sont donc beaucoup moins néfastes pour la couche d'ozone que les pets de bovins et pourtant, on s'intéresse plus aux vaches... Incroyable!" Il ne savait pas d'où lui était revenu cette anecdote mais elle lui avait semblé essentiel sur le moment. "Un VRP, tu sais le type qui se trimbale avec sa mallette et qui essaye de refourguer ses produits, on en voit pas mal dans les pharmacies. VRP en art, ça m'irait comme un gant." Il hochait la tête comme un idiot alors qu'il était nul sur le sujet mais heureusement le responsable de la galerie sauva Lisbeth de cette conversation pour son discours. Elwyn suivit le tout avec intérêt, se lançant dans la course aux petits fours et aux verres de champagne avant que tout disparaisse... Liquidation totale comme chez le revendeur de tapis du coin. "J'abuse jamais, règle numéro une. Au pire, j'ai de la place chez moi si besoin, il suffit que je mette au garage mon château gonflable et deux ou trois tableaux, ça passe dans ma réserve." Quelle serviabilité! Evidemment, il appréciait l'idée que l'exposition de sa jeune voisine puisse marcher, elle méritait d'être connue. En tout cas, Elwyn l'avait toujours trouvée très sympathique. "Ton galeriste a l'air de vouloir te caser, dis moi. Ça cache quelque chose, après je peux jouer le jeu hein, si besoin mais si t'as envie de t'éclipser, je peux aussi lancer une opération commando de la discrétion, tout est possible." Il prononçait ces quelques mots en trinquant avec Lisbeth, sourire aux lèvres. Et déjà,leurs mains se ruaient sur le buffet, il fallait bien qu'il y ait des avantages à ce genre d'endroits. "Je suis désolé si ce buffet disparaît avant tes tableaux... Mais c'est quand même hyper bon ces petits machins. Moi qui me disais que je lancerai une bataille de nourriture pour égayer l'endroit, je vais être obligé de me contenir pour pas gâcher ça. Zut. Tiens, regarde un acheteur." Il lui montra un homme qui était en grande conversation avec le galeriste, Elwyn était persuadé que ce n'était que le début du succès et il fit un clin d'oeil à sa voisine pour lui suggérer.

Lisbeth fronce les sourcils d'un air plus qu'amusé. Décidément, elle se couchera moins bête ce soir ! "Comment tu connais toutes ces choses ?" s'étonne-t-elle. "Tu tapes "Faits inhabituels mais cool à ressortir en société lors d'une conversation banale et ennuyeuse" sur Google avant de sortir de chez toi ?" plaisante Lisbeth. Elle plaisante, mais elle imagine bien le dénommé Elwyn agir de la sorte... Cela ne l'étonnerait même pas outre mesure. "Je n'ai jamais vu de telles personnes dans une pharmacie. Et il y a déjà des gens comme ça qui existent, dans le milieu de l'art... On appelle ça des régisseurs, ou... des artistes !" fait-elle en riant. Globalement c'est ce qu'elle fait lorsqu'elle cherche une galerie pour exposer. Elle en fait le tour, avec ses productions, pour donner envie au galeriste d'entamer un partenariat avec elle. Comme de la vente à domicile, ou quelque chose comme ça, finalement ! "Je vais penser à m'acheter une mallette, du coup," songe la brune avant de rire. Puis, elle s'interrompt en entendant un mot magique de la bouche d'Elwyn. "Attends. T'as dit château gonflable ?" demande-t-elle en appuyant sur les derniers mots. Elle espère fort qu'Elwyn ne blague pas et qu'il va l'inviter à venir sauter dans son château gonflable. Lisbeth adore ces trucs décalés. "On peut miser sur l'opération commando, il adore mon travail, il ne m'en voudra pas si je m'en vais prématurément !" informe Lisbeth en trinquant avec Elwyn à cette nouvelle perspective qui s'offre à elle pour la soirée. Maintenant que son discours est passé, Lisbeth s'en donne à coeur joie avec les petits fours. Même ceux aux herbes, qui risquent de lui en coller quelques restes entre les dents. Elle est en train de mâcher sans aucune classe quand Elwyn attire son attention sur un quarantenaire en grande discussion avec le galeriste qui a tenu à accueillir le travail de Lisbeth. "Je ne cours pas après la vente de mes oeuvres, mais c'est vrai que ça fait toujours plaisir quand ça plaît... C'est gratifiant," déclare-t-elle d'une voix enjouée. Puis, elle se tourne vers Elwyn et demande : "Bon, on s'éclipse, alors ? Je suis venue avec ma voiture, si tu veux. Je peux encore la prendre, je n'ai bu qu'une coupe," propose la brune.

Heureusement qu'il était curieux de nature ou alors, il n'aurait pas tenu cinq minutes au sein de cette galerie. L'art, ce n'était pas tellement le dada d'Elwyn -sans mauvais jeux de mots avec le courant dadaïste qui avait su retenir son attention par le passé- mais il faisait de réels efforts pour comprendre de quoi il s'agissait. Il observait, plus les réactions des gens que les oeuvres en elles-mêmes puisque c'était leurs expressions en découvrant des productions qui le faisaient rire. Ou en tout cas réagir à son tour. Il aurait aimé avoir un quelconque talent dans le domaine artistique mais Elwyn ne pouvait pas tout avoir: il était déjà porté sur les sciences et cette réalité lui prenait plus ou moins tout son temps libre. Entre ses expérimentations de haut vol, ses visionnages intempestifs de C'est pas Sorcier, Cadburry n'avait pas beaucoup de temps pour s'amuser avec un pinceau ou une plaque d'argile. Cela dit, il restait un touche-à-tout, quelqu'un qui s'intéressait même aux choses qui étaient très éloignées de lui, un plus non négligeable dans ce genre d'endroits et ce qui lui permettait de converser avec sa voisine sans trop de soucis malgré tout. "J'aimerais bien vous dire que je fais ça, mais non, je pioche à droite à gauche, dans des magazines, des émissions de télé... J'ai une mémoire assez monumentale pour ce genre de futilités." Il en avait des centaines en stock et encore, c'était un euphémisme à tous les coups. Il avait tellement de choses à raconter qu'il aurait pu arrêter de dormir pendant une bonne semaine avant d'être à sec. "Wow, vous êtes vos propres VRP, si ça, c'est pas magique quand même... Qu'ils en prennent de la graine, les autres là, avec leur pharmacie." Il était vraiment temps qu'Elwyn arrête de regarder la télévision: il s'imaginait déjà un scénario extraordinaire avec des artistes et des VRP, là, tous, en plein milieu d'un champ de bataille à s'envoyer du Viagra et des ordonnances dans un No man's Land sanguinaire. "Et les oeuvres d'art, ça passe dans une mallette? Sinon, faudra un truc extra large... Une maison sur roulette, ouais, voilà, la grande oeuvre là bas, elle passerait crème dans une maison sur roulette. Elle serait traînée par un chevreuil, c'est surpuissant ça!" Il fit mine de réfléchir, le revoilà qui dérivait sur des sujets de conversations des plus douteux, rien qui devait intéresser une artiste comme Lisbeth assurément. "Yep, un vrai château gonflable. J'ai mis du temps à gonfler tout le bordel, t'aurais vu, la galère..." Il en était satisfait néanmoins vu qu'il avait passé toute l'après midi à jouer à l'intérieur. Un gamin comme lui n'aurait pas dû avoir le droit d'exister, pas alors qu'il avait quarante ans. Oui, déjà. "Tu leur verses une compensation pour l'accueil, je suppose? Du coup, ça lui rapporte aussi cette histoire de type avec l'oeuvre là bas... Ouais, t'as raison, on a qu'à s'en aller. Il a qu'à faire le VRP de l'art pour toi, t'as assez bossé ce soir. T'as le droit au château gonflable, allez." Elwyn la tira gentiment par le bras alors qu'il les fit s'éclipser par la grande porte dès qu'aucun regard n'était tourné vers eux. Il chuchota même arrivé sur le parking, histoire de... "Opération commando en cours. Où est le char? Bravo, à vous." Il fit semblant de parler dans un talkie walkie invisible avant de regarder Lisbeth, s'attendant à une réponse amusée... Ou bien désespérée, c'était toujours l'un ou l'autre quand les gens le côtoyaient. L'équilibre n'existait pas avec Elwyn Cadburry.

"Comme toujours, il est plus facile de retenir des informations comme ça que d'autres choses plus importantes..." surenchérit Lisbeth en souriant. Au moins, Elwyn peut se targuer d'être original, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Et encore moins de Lisbeth. Heureusement qu'elle peut briller d'autres manières, sans quoi elle se sentirait soudainement bien petite à côté de lui ! Après avoir appris ce qu'est un VRP et fait le rapprochement avec l'art, Lisbeth s'imagine déjà avec une mallette pour refourguer ses dessins. Ses toiles auraient bien plus de mal à y entrer, et encore, il faudrait une très grande mallette... "Mais c'est trop petit, un chevreuil !" déclare-t-elle, s'offusquant faussement. "Pour l'étendue de mon talent, il faudrait au moins un éléphant. Ou une baleine. Une baleine sur roulettes..." songe la brunette. Puis elle se met à rire et s'excuse : "Je raconte n'importe quoi, la faute au stress !" En entendant le mot "château gonflable", Lisbeth s'est surprise à s'imaginer sautant sur un tel édifice. Et Elwyn ne semble pas plaisanter à ce sujet, ce qui la ravit intérieurement. Elle n'en montre rien et demande : "Et en quel honneur as-tu un château gonflable chez toi ?" L'illustratrice n'a pas le temps d'avoir sa réponse puisqu'Elwyn la prend par le bras et l'emporte en dehors de la galerie. Lisbeth croise le regard du galeriste et ils se comprennent sans même qu'elle ait besoin de revenir à l'intérieur de la salle. Il lui adresse un sourire entendu bien que taquin, auquel Lisbeth répond par un signe de la main, se laissant entraîner par Elwyn en même temps. Une fois arrivés sur le parking, Lisbeth éclate de rire. "Il me faut vraiment plus de gens comme toi dans mon quotidien ! J'ai vraiment le droit au château gonflable du coup ?" s'assure Lisbeth, toutes dents dehors. "Ma voiture est par-là, viens," lui indique-t-elle d'un signe de la main. Une fois à l'intérieur et la voiture démarrée, il n'y en a que pour quelques minutes de route. Dès qu'elle s'est garée au sous-sol de sa résidence, Lisbeth conduit Elwyn au dehors. "Je dois avouer que j'ai vraiment hâte de voir ton château gonflable," confie-t-elle, trépignant presque d'impatience.

Son raisonnement était toujours en parfait décalage avec celui d'autrui... Oui, les gens normaux. Elwyn n'avait jamais fait partie de cette catégorie de personnes puisque les individus sains d'esprit ne passaient pas leur temps à peindre des figurines à mettre sur une commode après avoir passé cinq heures devant des documentaires animaliers sur le câble. Cadburry était capable d'occuper n'importe quelle journée de cette façon, ennemi total de l'ennui car son cerveau fourmillait toujours de milliards d'idées, toutes plus idiotes les unes que les autres. En tout cas, c'était ainsi que les autres les considéraient... Comment cela un château gonflable dans son salon? Le parrainage d'une baleine bleue? La création d'un gâteau mi salé mi sucré mi amer mi acide? Pour Elwyn, tout cela était considéré comme des concepts à prendre très au sérieux. Autant dire que ce n'était pas aisé de le supporter au quotidien et s'il n'était pas tombé sur la colocataire la plus patiente de l'univers, il aurait très certainement fini par se faire jeter même d'un centre d'accueil pour sans domicile fixe. Il parlait beaucoup trop pour son propre bien, c'était une réalité que le quarantenaire ne pouvait plus nier depuis au moins deux décennies et c'était sa voisine qui allait devoir supporter tout cela ce soir-là. "Mais c'est super important tout ça! C'est comme a "notation polonaise inverse" qui est une forme d'écriture des formules arithmétiques sans utiliser de parenthèses. Ainsi le calcul : A * (B + C) + D * (E + F) s'écrira en NPI : B C + A * E F + D * +, c'est terriblement passionnant comme sujet!" Juste pour lui. Sa pauvre voisine ne devait pas savoir quoi faire e cette information puisqu'elle était artiste, pas mathématicienne, en témoignait la dizaine d’œuvres autour d'eux à cet instant précis. "Une baleine sur roulettes? Va falloir tester, je te fais un dessin industriel pour la semaine prochaine, faudra juste que tu me précises les dimensions de tes oeuvres et le nombre pour voir si ça le fait!" Il n'était même pas choqué par ce genre de propos, c'était ceux qu'il avait constamment alors que Lisbeth se laisse un peu aller vers cette tendre connerie elwynienne était une excellente chose à ses yeux. "Parce que c'est trop bien les châteaux gonflables? Oui,j'ai quarante ans!" Il n'avait pas d'autres justifications, il ne pouvait même pas dire que c'était pour Theo, le môme était trop vieux pour ce genre de distractions. Cela n'empêcha pas Elwyn d'entraîner sa voisine dans l'aventure, alors qu'ils se retrouvaient quelques minutes plus tard en bas de leur immeuble. "Tu vas adorer, il est en forme de château de princesse, tout rose, magique!" Il l'entraîna ensuite dans l'escalier avant d'ouvrir sa porte, Nea étant absente ce soir là. A peine arrivé dans le salon, il retira ses chaussures et fonça dans le château pour sauter comme un gamin. "Il y a franchement rien de mieux... Enfin, si peut être que la loi de Dolbear concurrence un peu. Pour connaitre approximativement la valeur de la température ambiante en degrés Celsius, il suffit de compter le nombre de stridulations d'un grillon pendant 7 secondes puis d'y ajouter 5, c'est aussi fou que ce château, viens donc!" Et ce n'était que le début de la soirée, grand dieu.

Lisbeth tente de se concentrer sur la formule mathématique dont lui parle Elwyn, mais rien d'autre qu'une énorme envie de rire ne lui vient. "Ok, je suis complètement paumée !" avoue-t-elle en se laissant aller à son irrésistible éclat de rire. En préparant son vernissage aujourd'hui, elle ne s'attendait pas à passer une soirée autant en décalé. La voilà partie de la galerie pour se rendre chez Elwyn, chez qui il y aurait apparemment un château gonflable. Et son voisin a bien raison en disant qu'il s'agit de quelque chose de très cool. Très inhabituel, c'est sûr, mais cool avant tout ! Lisbeth émet une petite réserve tout de même, pensant qu'Elwyn se moque d'elle. Aucun adulte sensé n'irait installer un château gonflable chez lui s'il n'a pas d'enfants. Peut-être qu'Elwyn lui a caché qu'il en avait ? Ou alors, vit-il avec quelqu'un qui en a... Les possibilités sont multiples, et Lisbeth ne parvient pas à se fixer sur l'une d'elle. Elle s'en rendra compte bien assez tôt ! Ils parviennent sans encombre aucune à l'appartement d'Elwyn, et Lisbeth ne pense même pas à l'hypothèse qu'Elwyn puisse être un fou comptant l'emmener dans son antre pour la torturer. Elle le suit sans piper un mot, entrant alors dans ledit appartement, prête à faire face à la vérité. Et cette dernière apparaît à la brunette, qui ne s'y attendait vraiment pas. "Oh ! Ce n'était vraiment pas une blague ?!" s'exclame-t-elle en tombant nez-à-nez avec un énorme château gonflable effectivement en forme de château princier, et rose bonbon. Lisbeth écoute très distraitement son voisin parler d'une loi dont elle ignore l'existence, tout en retirant ses chaussures. "J'ignore comment tu sais toutes ces choses incroyables, mais ça a le don de bien me faire rire !" confie la brunette après qu'Elwyn l'a conviée à venir le rejoindre dans le château. Ni une ni deux, elle aussi se précipite à l'intérieur. Elle met quelques secondes à se relever pour accompagner Elwyn dans ses sauts. Elle n'a plus du tout l'habitude de ce genre de mouvements et doit à tout prix se caler sur son voisin, sans quoi elle va se retrouver très vite à terrer ! Ou avec sa robe déchirée, c'est selon. Elle se relève doucement, un pan de sa longue robe à la main, et se met à sauter en compagnie de son voisin. "C'est absolument génial !" s'extasie-t-elle en riant. En enlevant ses chaussures, elle a remarqué des affaires plus féminines dans l'entrée, aussi demande-t-elle à Elwyn en réduisant l'intensité de ses sauts : "Tu vis seul, dis-moi ?"

S'il était difficile à suivre, Elwyn ne mentait jamais. Ce n'était vraiment pas son genre de raconter des bêtises par milliers, non, tout ce qu'il pouvait narrer, bien souvent à tort et à travers, faisait partie de la plus pure des réalités. Tous les savoirs inutiles du monde qu'il connaissait avaient été vérifiés au préalable en confrontant de multiples sources. Il ne fallait pas lésiner à ce sujet, c'était quelque chose de capital à ses yeux. Cadburry dédiait sa vie à la science, aux savoirs, aux expériences et si personne ne le comprenait, ce n'était pas pour autant qu'il allait changer de corde à son arc. Il continuerait jusqu'à finir épuisé par le monde environnant. Pour le moment, il s'accrochait tant bien que mal, entraînant Lisbeth dans son sillage parce qu'il n'y avait que lui pour lancer des invitations à base de château gonflable au milieu du salon. La jeune femme n'avait pas l'air d'être profondément traumatisée puisqu'elle suivit jusqu'à l'intérieur de l'appartement, s'étonnant encore des aptitudes verbales d'Elwyn. "Vraiment pas une blague, non. J'en fais rarement, finalement. Je suis pas comme Van Halen, disons. Lors de ses concerts, le groupe Van Halen exigeait un bol de M&Ms dans leur loge sans ceux de couleur marron. Cette requête, mentionnée au milieu des descriptions techniques, permettait de voir si le contrat avait été bien lu jusqu'au bout. Je fais pas ça, je dis la vérité mais par contre, clairement, je parle trop, ça a tendance à énerver d'ailleurs." Cela n'empêcha pas la jeune Lisbeth de le rejoindre à l'intérieur du château gonflable alors qu'ils se mettaient à sauter comme deux gamins. Elwyn passait un bon moment, forcément, dès qu'il s'agissait de retourner en enfance, il était le plus heureux des hommes. "Non. J'ai une colocataire. Elle envisage de me tuer environ trente fois par jour mais comme tu peux le voir, je suis encore vivant. Pourquoi?" Pas sûr qu'elle avait envie d'avoir tous les détails mais avec Elwyn, c'était presque impossible de passer à côté. L'insupportable.

Encore une anecdote sans grand rapport avec la situation mais qui ravit Lisbeth. Elle ne peut pas vraiment se vanter de ses voisins au vu de ce qui s'est passé deux ans auparavant, mais désormais elle peut se targuer d'avoir une véritable encyclopédie d'anecdotes toutes plus amusantes les unes que les autres pour voisin. "Je devrais faire le même genre de chose avec les contrats que je rédige pour des clients, sur Internet..." songe Lisbeth. "En tout cas, même si tu parles beaucoup, sache que ça ne me dérange en rien ! Ca contrebalance au moins mes silences..." ajoute-t-elle dans un grand sourire. Et c'est vrai : elle n'aime habituellement pas les gens qui bavassent car les silences sont très importants dans les relations sociales, mais l'aura d'Elwyn est vraiment appréciable. D'autant plus qu'il a un château gonflable, et ce n'est pas une possession que n'importe qui peut se vanter d'avoir... Dans son salon, qui plus est. Un être surprenant, qui s'est installé près de chez elle... La brunette ne tarde pas à rejoindre ce dernier dans son château rose de princesse, et à sauter avec parcimonie pour ne pas se retrouver les quatre fers en l'air. Elle n'a pas fait cela depuis des années qui se comptent en décennies, et elle porte une robe pas vraiment faite pour la chose... [b]"Une colocataire, d'accord ! J'ai remarqué la paire de talons, dans l'entrée, et même si je dois t'avouer que je me demandais si ce n'étaient pas les tiens, j'ai tout de suite pensé à une présence féminine dans ton appartement," explique Lisbeth d'une voix claire, en réduisant quelque peu la hauteur de ses sauts pour ne pas avoir à parler tout en étant essoufflée. [b]"Tu as encore d'autres surprises de ce genre dans ton appartement ? Oh, non, attends ! Je sais... Tu vas me dire que derrière l'un des miroirs se cache une espèce de Salle sur Demande ?"