LÉO & YOKO ⊹ Three may keep a secret, if two of them are dead.
février 2019
Mais quel merdier, putain — c’est l’unique pensée qui traverse son esprit lorsque Yoko aperçoit au bout du couloir celui-dont-elle-ne-connait-pas-le-nom mais qui a le pouvoir de ruiner sa carrière (bon ok, encore du grand cinéma mais c'est presque ça). Soupir mélodramatique, mains fermement accrochées aux bretelles de son sac à dos jaune contenant vaguement quelques feuilles de cours de littérature, elle reste plantée à côté de la porte des toilettes, incapable de faire le moindre pas — qu’est-ce qu’il foutait là, franchement ? Ok, pause ; retour en arrière sur les événements de la semaine derrière. Encore une fois, c’est de la faute du médecin (comme d’habitude). Avec son insistance angoissante, il a fini par la convaincre (l’obliger plutôt) à reprendre un suivi psychologique — juste comme ça, tu parles. D’après lui, c’est nécessaire ; d’après elle, c’est un ennui mortuaire. Elle se revoit dans son cabinet, bras croisé et regard levé au ciel, alors que le professionnel de santé lui explique une énième fois ô combien la visite régulière chez un psychologue pourrait l’aider — mais l’aider à quoi concrètement ? Yoko ne comprend pas le problème, ne voit pas la tâche noire sur la page blanche qui représente son année 2018. Même avec sa précédente psychologue, elle ne l’avait pas cerné ; ce déni sur sa blessure, cette incapacité volontaire à ne pas accepter l’arrêt potentiel de la danse dans sa vie — elle ne voit rien, trop terrifiée à l’idée de ne plus pouvoir danser. Elle a fini pourtant par y aller, à ce cabinet tant redouté ; elle se revoit assise sur une des chaises de la salle d’attente, nerveuse et paniquée à l’idée de devoir à nouveau affronter ses séances qu’elle déteste tant. Sa conscience lui a simplement chuchoté sur l’instant qu’une fois ce rendez-vous passé, peut-être que tout sera enfin terminé ; elle ne reviendra plus jamais ici, il suffit simplement qu’elle montre à quel point tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes — pas de blessure, pas de douleur, rien — tout va bien, ne vous en faites pas. Écouteurs sur les oreilles pour tenter de calmer son anxiété, elle n’a que rapidement aperçu le passage fugace d’un inconnu ; un jeune homme aux traits fins et aux cheveux bruns qui ne lui dit absolument rien. Et puis, la seconde suivante, il a disparu et c’est la tête de sa nouvelle psychologue qui est apparue. Jusque-là, tout va bien — sauf que cet inconnu qu’elle pensait ne jamais recroiser est en vérité un étudiant de l’Université ; Seigneur Dieu Marie Joseph, son karma est définitivement pourri jusqu’à la fin de sa vie. Son cœur a failli lâcher lorsqu'elle l'a remarqué quelques jours plus tard dans les couloirs qui mène à l'un des amphithéâtres. La petite nippone tape nerveusement du pied, se mord la lèvre tout en refusant de s’avancer — elle est terrorisée. Le jeune homme est adossé au mur, en pleine discussion et elle prie intérieurement pour que cette dernière ne s’arrête jamais (par pure lâcheté). Pourtant, sa conscience lui hurle d’aller le voir —pour lui demander quoi ? De se taire, de ne rien dire. Elle est paniquée à l’idée qu’un étudiant connaisse ses rendez-vous hebdomadaires chez un psychologue car pour les autres, Yoko est une boule d’énergie positive, un rayon lumineux ; il n’y a jamais rien qui n’aille pas avec cet aura de joie. Incapable de s’ouvrir complètement aux autres, gardant son masque constant de la bonne humeur et de l’humour, elle ne veut pas montrer ses faiblesses, dévoiler sa détresse. Son cœur s’accélère lorsqu’elle le voit désormais seul, marchant dans sa direction (remontant plutôt le couloir et passant devant les toilettes). Elle hésite, lâche un soupir — elle ne peut pas rester sans rien faire, ce n’est pas possible. L’espace d’une seconde, elle imagine le scénario catastrophe, la pire possibilité — lui murmurant aux autres la présence de Yoko chez un psychologue et elle ressent déjà peser sur elle les regards lourds des étudiants, les chuchotements à son passage dans les couloirs ; no way. Prenant la totalité de son courage avec elle, la jeune coréenne s’avance finalement dans le couloir et interpelle l’inconnu, d'une voix qu'elle espère sûre mais qui tremble un peu. « Euh— salut » (qu’est-ce que c’est nul comme approche mais elle est rongée par le stress, elle entend son cœur battre à tout rompre et elle se dit qu’elle va très certainement faire un arrêt cardiaque là maintenant) « En fait, on s’est déjà vu une fois, j’sais pas si tu te rappelles mais— j’aimerais bien qu’on fasse comme si c’était pas l’cas ? » — ça n’a littéralement aucun sens. Elle lâche un nouveau soupir, se mord la joue intérieure et joue nerveusement avec les bretelles de son sac à dos. « J’étais— » (elle s’apprête à dire chez le psychologue mais c’est trop dur et les mots refusent de franchir ses lèvres gercées) « —là-bas » — et intérieurement, elle espèce sincèrement qu’il comprendra tout ce charabia.
elle aurait limite été plus claire en japonais
Dernière édition par Yoko Lee le Sam 1 Juin 2019 - 14:23, édité 1 fois
Quelle chance j'avais. Décrocher un stage au début de l'année, au tout début de l'année, c'était la plus belle manière de la commencer, justement, cette année. Mes études en psychopathologie, des études plutôt longues, touchaient bientôt à leur fin. Il fallait que je me créé une place en avance. Que je me fasse connaître en temps que « bientôt sur le marché ». Je savais que j'allais certainement commencer par faire mes armes à l'hôpital, dans l'aile spécialisée pour les cas sérieux relevant de ma formation. Je comptais, en parallèle, préparer une thèse. Valider une thèse, c'était le pied. L'assurance de pouvoir tenter de fréquenter les meilleurs. Et c'était ce que je voulais. Côtoyer les meilleurs. Train to reign. Il n'était pas question que je terminais dans un cabinet de seconde zone.
En somme, j'avais décroché ce stage grâce à mes excellente notes - et parce que j'étais un débrouillard. Le travail finissait toujours par payer. Et tout ça méritait une grande soirée... une nuit entière de fête. Le stage se déroulait à merveille. J'étais chez une psychologue, une femme tout à fait charmante. Elle n'était pas exactement ce que je visais, mais avait fait des études de psychopathologie. Son parcours était brillant, même si elle n'était restée à l'hôpital que quelques années, avant de monter son propre cabinet. Pour cause de secret médical, je n'étais jamais autorisé à assister à ses rendez-vous, ce que je jugeais parfaitement normal. Cependant, juste avant ses premiers rendez-vous de la journée - ou bien juste après, selon ses disponibilités; nous avions des échanges à propos de ses patients. Je venais avec mon carnet, m'installait sur un coin de table et elle me faisait - presque; un cours. Cela ne durait qu'une heure, parfois moins, mais je bénissais les minutes que je passais avec elle. En plus de ça, elle me donnait quelques noms de collègues, que je m'empressais de contacter. Il fallait être motivé, dans ce métier.
L'autre jour, je suis sorti de notre rendez-vous, comme d'habitude. Elle avait une nouvelle patiente aujourd'hui, qu'elle accueillait tout juste. Je croisais d'ailleurs les yeux de cette jeune fille en sortant du cabinet. A peine un regard, je passais mon chemin et sortait ma pomme de la matinée, continuait de griffonner sur mon carnet comme si de rien n'était. Mais aujourd'hui, les choses étaient un peu différentes. J'avais un cours dans une heure et demi. Et une jeune fille me barrait la route d'un « Euh— salut ». Je plissais les paupières, essayant de la remettre. Était-elle une des filles que j'avais mis dans mon lit il y a peu ? J'étais certain de l'avoir déjà vu quelque part. « En fait, on s’est déjà vu une fois, j’sais pas si tu te rappelles mais— j’aimerais bien qu’on fasse comme si c’était pas l’cas ? » Je fronçais encore plus les sourcils, pas certain d'avoir tout saisi. Je passais en revue mes dernières soirées, mes dernières sorties, tous les derniers trucs que j'avais fait. Et soudain, je me souvenais de la fois où j'avais vu cette fille : chez la psychologue. Visiblement, la jeune fille en avait honte. Je sortais nonchalamment une pomme de mon sac à bandoulière et croquais dedans.
« Ça dépend, combien tu payes ? » Parfois, j'étais un salaud. Mais j'espérais en fait que mon petit sourire en coin du genre « t'es pas sérieuse » la fasse déstresser. Je croquais un nouveau morceau de ma pomme, la détaillais du regard. Elle était plus jeune que moi, à l'évidence. Elle ne devait pas être de ma promo', pas plus que de ma filière. Je l'aurai remarqué, sinon. La jeune fille avait même l'air carrément trop jeune pour être ici. Avait-elle sauté des classes ? Une petite génie, alors ? « Je déconne. Pourquoi tu crois que j'irai crier à tout le monde que t'es allée chez la psy' ? C'est pas un truc cool, je blague pas avec ces trucs là. C'est quoi ton prénom ? » La psychologue avait dû me le dire, ou alors l'avais-je probablement lu... et oublié. « Moi c'est Léo. Je suis en psychopathologie. » J'espérais qu'elle ne prenne pas peur et tendais la main droite, comme pour sceller de véritables salutations.
LÉO & YOKO ⊹ Three may keep a secret, if two of them are dead.
février 2019
« Ça dépend, combien tu payes ? » — pardon ? Les iris chocolat de Yoko s’écarquillent alors que son interlocuteur croque dans sa pomme nonchalamment, en mode la demande est tout à fait normale. Bien que le léger sourire qui s’affiche sur les lèvres du jeune homme peut lui indiquer qu’il s’amuse bien plus qu’il n’est sérieux dans ses propos, la petite nippone ne le connait pas et ne peut s’empêcher d’imaginer une requête sincère (et le stress occulte une grande part de son jugement) ; après tout, il ne lui doit rien et garder cet entretien pour eux ne lui apporte strictement rien — qui n’a jamais voulu se faire un peu d’argent sur le dos de quelqu’un ? Elle s’apprête à répliquer que pour un mec dans son genre (il a automatiquement été classé dans la team XY sans intérêt), des tickets restaurant seraient déjà beaucoup trop chers lorsqu’il reprend la parole, précisant être nullement sérieux dans sa demande — ah ; le voilà qui quitte sa case pour être déplacé dans celle des gens ayant le même humour que Clément — la taquinerie, qui plaît bien plus à Yoko. Elle lâche un soupir de soulagement, sincèrement rassurée — erreur de jugement totale. Car sous ses airs insouciants semble se cacher une personnalité réfléchie et la suite de son élocution le confirme (elle jette un regard paniqué autour d’eux lorsqu’il dit à voix haute pourquoi tu crois que j'irai crier à tout le monde que t'es allée chez la psy' ? et pose son index sur ses lèvres, comme s'il venait de hurler la nouvelle dans le couloir même si ce n'est absolument pas le cas) ; elle ne sait pas pourquoi — pourquoi elle a immédiatement pensé au pire des scénarios. Par manque de confiance dans les relations humaines ? Par simple peur, hantise, horreur que son secret soit découvert et affiché devant la Terre entière ? C’est la première fois, en dehors de son médecin et de son entourage le plus proche, qu’un parfait inconnu jamais vu auparavant est au courant. Même ses potes de l’Université qu’elle croise assez régulièrement ne le savent pas — pour elles, Yoko a terminé sa rééducation, repris ses cours de danse et passe de temps en temps au cabinet de son praticien ; mais rien de plus. Tout s’est arrêté. Quand il se présente, elle hausse un sourcil sur sa filière, qui explique sa présence naturelle chez un psychologue. Saisissant timidement sa main (Yoko est une enfant de Corée du Sud et n’a jamais réellement pris le réflexe de cette coutume européenne), elle répond à sa question, toujours un peu perturbée par la situation. « Yoko— moi, c’est Yoko. J’suis en étude de littérature » ; elle lâche sa main pour reposer la sienne sur sa bretelle de sac à dos — serrer quelque chose est un moyen pour elle de masquer moyennement son stress. Elle ne sait pas comment formuler tout ce qui traverse son esprit — c'est tout mélangé, imprécis, emmêlé. Rien n'est clair et elle peine à trouver les mots corrects. Mille questions la tiraillent — s’il est dans ce cabinet, c’est qu’il a dû voir son dossier ; peut-être ou peut-être pas. Ou était-il présent en tant que patient ? C’est possible, non ? D’habitude si sûre d’elle et à la personnalité marquée, elle s’efface aujourd’hui car elle a le sentiment terrible d’être un livre à découvert devant lui. « Du coup, tu bosses— » ; de nouveau, elle bute sur le mot, comme si le dire à voix haute rendrait la chose concrète (alors que c’est déjà le cas) « —là-bas, avec elle ? Ou t’es comme moi ? » — le terme est carrément maladroit. Intérieurement, elle note le talent physionomiste du jeune homme ; sans même préciser le lieu dont elle parlait, il a pu la situer (heureusement d’ailleurs car sinon, ça partait sur un dialogue de sourd). Avant qu’il débute une réponse, elle enchaîne (Yoko parle toujours très, voir trop, vite en situation de panique) « En fait, tu sais quoi exactement ? J’veux dire, comme tu es psychopathé—psychopathologiste, tout ce que j’vais lui dire en séance, tu vas le savoir ? » ; oh, comme ça la met mal à l’aise, la petite coréenne qui en temps normal ne confie à personne ni ses peines ni ses chagrins. Elle joue nerveusement avec sa bretelle, laisse son regard se poser partout sauf sur lui. « Désolée, on dirait un interrogatoire, c’est juste que— c’est la première fois » — la première fois qu’elle a le sentiment que son masque si bien porté en temps normal s’effrite devant ce garçon dénommé Léo.
et ça la terrorise plus que n'importe quel film d'horreur
Dernière édition par Yoko Lee le Sam 1 Juin 2019 - 14:22, édité 1 fois
La jeune fille semblait légèrement paniquer à ma question remplie de sarcasme. Quoi, était-ce si honteux que ça, d'aller chez la psychologue ? Moi, je trouvais cela fantastique. J'en avais consulté plusieurs, quand j'étais plus jeune. Je me souvenais en avoir rencontré un, peut-être le tout premier, qui nageait dans ses vêtements. J'avais cette vision très claire de ce monsieur installé devant moi, sans que je fusse en mesure de me souvenir de son visage ou même de son nom. Lorsque je l'imaginais, seuls ses vêtements flottaient devant moi, autour d'un corps trop mince pour être contenu correctement dans le tissu. Je croyais également me souvenir que je voyais cet homme parce que je faisais une fixette sur les attentats du début du nouveau millénaire. Je me réveillais la nuit rêvant de bombes, ce qui faisait penser à mes parents que les événements m'avaient probablement traumatisé. Après quelques séances avec Monsieur nageant-dans-ses-vêtements, je n'ai plus rêvé d'explosions. Enfin, c'est ce que racontaient mes parents, j'étais probablement trop jeune pour me souvenir de quoi que ce soit, mais l'image de ce type aux vêtements trop larges persistait dans ma mémoire, comme une représentation très importante à garder absolument - honnêtement, j'aurai préféré me souvenir d'autres choses qui paraissaient plus importante. Je serrais la main délicate de la jeune fille, qui venait de me faire signe de me taire. A son signe de la main, j'avais eu un petit sourire. Les gens autour de nous continuaient de vaquer à leurs occupations : selon moi, personne n'allait s'intéresser à nous, de toute façon.
Je croquais dans ma pomme en hochant la tête lorsqu'elle m'indiquait s'appeler Yoko. Un joli prénom. Cette jeune fille avait un air innocent que je lui aimais déjà. Elle me demandais maintenant si je ne faisais que bosser « là-bas » ou si j'étais suivi par cette psychologue. Sa capacité à ne pas employer le terme qui désignait la profession de mon maître de stage me donnait à sourire. « Je fais un stage là-bas, pour mes études. J'étudie avec elle. » Et Yoko avait par ailleurs beaucoup de chance d'avoir eu un rendez-vous avec elle, qui semblait si occupée par tout le travail qu'elle réalisait. Son cabinet était très fréquenté et je me demandais par ailleurs comment se faisait-il qu'elle arrivait à faire des nuits complètes - probablement n'en faisait-elle pas, ou peu. A peine avais-je terminé ma phrase que Yoko reprenait, comme si elle avait oublié comment respirer. « En fait, tu sais quoi exactement ? J’veux dire, comme tu es psychopathé—psychopathologiste, tout ce que j’vais lui dire en séance, tu vas le savoir ? » Un coin de mon esprit voulait lui répondre que j'allais absolument tout savoir avec un air machiavélique, mais Yoko avait l'air un peu trop stressée pour que ma blague soit drôle. Ses yeux qui vagabondaient partout sauf dans les miens m'indiquaient que sa gêne était considérable. Je croquais à nouveau dans ma pomme. « Désolée, on dirait un interrogatoire, c’est juste que— c’est la première fois » Je hochais la tête, conscient de la gêne occasionnée. Soudain, j'avais peur que cette révélation l'empêcha de retourner voir notre connaissance commune, semant un véritable fiasco dans sa prise en charge. Je n'avais pas encore eu l'occasion de lire son dossier en détail, seulement quelques grandes lignes.
« Ensemble, nous étudions avant tout certains cas spécifiques, ou moins spécifiques, qui m'aident à mettre en pratique tout ce que je vois en cours. C'est loin d'être... de l'indiscrétion, ou quoi. » Je cherchais mes mots, voulais la rassurer en lui expliquant comment la psychologue et moi procédions. « Je n'aurai jamais accès à l'une de vos séances en direct, mais elle m'explique certaines de ses notes. Je suis tenu au secret professionnel autant qu'elle dans ce cas là et ça ne me viendrai pas à l'idée de raconter quoi que ce soit à qui que ce soit, si ça peut te rassurer un peu. » Je croquais un dernier morceau de ma pomme avant de me tourner vers une poubelle pour l'y jeter. « Quand bien même, ce n'est pas une honte d'aller chez quelqu'un pour se faire aider. Moi, je trouve ça très courageux. » Il fallait un certain recul pour se rendre compte du problème et pour demander de l'aide. Il fallait beaucoup de courage et d'abnégation de son propre ego pour accepter l'aide fournie, quand bien même on était volontaire pour passer les portes du cabinet d'un professionnel. « Tes séances avec elle doivent être précieuses, en plus c'est une excellente psychologue, on a tous les deux de la chance ! » Je lui adressais un sourire amical. « Donc ce que je sais, c'est que tu ne dois pas avoir peur que je balance tout à tout le monde et que tu ne dois surtout pas te restreindre de lui dire des trucs juste parce que tu sais que je suis dans ton université. Mon rôle n'est pas de juger, mais d'apprendre. Je connais ma place. L'important, c'est que tu ai un bon contact avec elle. Tu apprécies tes séances, avec elle ? Pas trop stressant ? Je sais que ça peut l'être, parfois. » Ce que je pouvais être un véritable moulin à parole ! M'enfin, au moins, Yoko risquait d'être rapidement fixée sur mes bonnes intentions.
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février 2019
Insaisissable Léo — comme le vent, il est léger mais imprévisible, subtilement rafraîchissant ; et la petite coréenne est bien incapable de le cerner (l'exercice est trop difficile !). Certes, elle est naturellement inapte dans les relations humaines mais le jeune homme est particulièrement indéchiffrable — comme une équation de mathématiques à trois inconnues ou simplement une citation aux mille et une nuances d’interprétation. Il croque dans sa pomme, esquisse un sourire dont elle ne comprend pas le sens (idiote !) et lui précise faire un stage là-bas, dans ce lieu qu’elle déteste tant et qui sonne beaucoup trop froid ; ok — tout s’explique. Elle hoche simplement la tête, légèrement rassurée (?) — s’il y travaille, peut-être n’a-t-il aucune mauvaise intention après tout. De nouveau, elle le déplace de case dans ses pensées, lui laisse le bénéfice de doute, l’éventualité d’une absence de méchanceté. Ah ! il en faut beaucoup plus pour que Yoko accorde sa confiance mais elle a l’intuition inconsciente que ce dénommé Léo n’est pas un méchant — pas de ceux qui vont créer des rumeurs et juger son humour. Bien au contraire, il semble accepter cette information comme si la jeune fille venait de glisser dans la conversation qu’elle aimait particulièrement le chocolat. La suite de leur échange calme au fil des mots ses maux ; elle respire de nouveau (apnée générale depuis quelques minutes), prend une inspiration et pose (enfin !) son regard sur lui lorsqu’il lui explique, tout en choisissant minutieusement ses paroles, qu’il sait des choses mais sans entrer dans le voyeurisme. C’est un sentiment étrange qui la traverse au fur et à mesure de ses phrases — comme la sensation qu’on lit en vous mais pas tous les chapitres. Sans vraiment s’en rendre compte, elle lâche un soupir de soulagement quand il précise qu’il n’assistera jamais à l’une de leurs séances en direct, qu’il n’aura accès aux notes, aux écrits mais jamais aux oraux — il n’entendra pas son air faussement sûr d’elle, sa voix qui tremble et qui se noie dans un déni presque ridicule ; oh ! comme elle est inconsciente des conséquences de cette blessure. Il croque une dernière fois dans sa pomme, la jette à la poubelle et le regard chocolat de Yoko se détache un instant de Léo pour suivre la chute du fruit — passionnant. Et puis — le masque revient ; le joli masque plein de sûreté qui refuse de comprendre, d’accepter (il lui faudra bien plus de temps que prévu pour récupérer son niveau, qui peut-être ne reviendra jamais). Elle le laisse cependant finir, mais esquisse un sourire quand il évoque son courage — quel courage ? elle n’a aucun problème, aucune raison de venir chez sa psychologue, tu comprends ! — enfant dans sa tête, elle obéit simplement aux caprices de son médecin, pour lui faire plaisir. Léo continue, enchaîne sur l’expérience et le haut niveau d’excellence de sa psychologue mais Yoko ne comprend pas, ne s’intéresse pas à cette information — elle n’a pas besoin d’un psychologue, même du meilleur ; alors pourquoi vouloir lui imposer ses séances qui l’ennuient profondément ? Elle hoche la tête pour lui montrer qu’elle entend bien ses bonnes intentions et affiche un sourire rassuré. « C’est— merci » s’échappe finalement de ses lèvres ; il ne dira rien et c’était ce qu’elle voulait savoir en premier. « Je doute pas de son talent, elle a l’air— vraiment chouette comme nana mais je vais pas la voir souvent, t’sais ! » (elle affiche son sourire du dimanche à la messe, son plus beau masque de minimisation de la situation — esquive également la question sur le stress des séances, jugée immédiatement trop personnelle) « C’était ma première séance avec elle en fait et j’pense pas revenir encore souvent, peut-être deux ou trois fois grand maximum. Mon médecin voulait à tout prix que je la vois mais c’est pas très important c’que j’ai— fin, j’veux dire, j’en ai pas trop besoin, tu vois ? » (mais quel mensonge ! quelle incapacité enfantine à voir la réalité en face). Elle pose ses mains sur ses bretelles de sac à dos, reprend de nouveau sa manie de regarder partout sauf son interlocuteur et continue sur sa lancée. « Je veux juste pas que… » (elle se mord la lèvre inférieure, reprend) « … que les autres le sachent, même si c’est pour pas longtemps, c’tout » — c’est tout, voilà. C’est juste ça, c’est pas plus. Sa voix intérieure lui hurle en conseil de ne rien dire aux prochaines séances ; moins elle en dit, mieux cela se passe et moins Léo en saura — et puis, de toute façon, il n’y a aucun problème. « Du coup, ça sera sûrement pas très passionnant à lire mes comptes-rendus, désolée » (rire sarcastique, tentative maladroite pour réduire à néant l’importance de sa rencontre) — tu comprends, Léo, elle n’a aucune raison d’en voir une, de psychologue. « Et ça te plaît ? » (et la voilà ! la fameuse technique à la Yoko, le parle-moi de toi pour que je ne parle pas de moi) « Genre lire la vie des autres, c’pas chiant un peu ? » ; elle esquisse un sourire sarcastique, ayant repris toute contenance (merci au discours de Léo et ses jolis mots rassurants qui lui ont permis de reprendre ses esprits et de ne pas se noyer sous la panique). « J’suis sûre que tu parles plus que le patient » glisse-t-elle avec amusement — petite impertinente.
tu faisais moins la maline il y a quelques minutes
La jeune fille avait l'air soulagée de savoir que je n'allais pas assister à ses séances avec notre connaissance commune. C'était en effet une position toute particulière que celle de psychologue et l'équilibre de la confiance qui s'installait avec le praticien pouvait n'être rompu que par l'irruption d'un tiers dans cette dite confiance accordée - un peu de force. Je ne devais donc pas assister aux séances, c'était logique. En tous cas, dans une logique de praticien, ça l'était. Je savais que de toute façon, si j'assistais aux séances, j'allais probablement altérer la confiance qui s'installait entre les deux femmes. Or, cette confiance était essentielle pour le bon déroulement des séances. Impossible d'en venir perturber l'ordre. Non, ce que je pouvais faire en revanche, c'était discuter des cas qui passaient dans le cabinet de la psychologue. L'exercice était aussi intéressant. Je lui trouvais une difficulté, mais le trouvait passionnant à la fois. Le courage évoqué déclenchait un sourire, et je lui répondais immédiatement par la même expression faciale. Oui, il fallait du courage pour se laisser aider. Pour faire face au problème. Ou aux problèmes. C'était pour moi l'une des plus grandes preuves de courage.
Un remerciement m'arrachait un petit « Pas de quoi. » souriant. « Je doute pas de son talent, elle a l’air— vraiment chouette comme nana mais je vais pas la voir souvent, t’sais ! » Pas la voir souvent. Je hochais doucement la tête. Je sentais vaguement un certain déni de quelque chose, mais je ne savais pas encore exactement de quoi. La psychologue ne m'avait parlé que de la première séance. Je savais vaguement qu'il était question, pour cette jeune fille, de beaucoup de déni de la gravité d'un accident. C'était parfois une phase. Lorsque la confiance s'installait, elle passait. Et puis, si ce n'était que la première séance de Yoko, la situation risquait d'évoluer. Rien n'était jamais fixé, quand il s'agissait de psychologie. « C’était ma première séance avec elle en fait et j’pense pas revenir encore souvent, peut-être deux ou trois fois grand maximum. Mon médecin voulait à tout prix que je la vois mais c’est pas très important c’que j’ai— fin, j’veux dire, j’en ai pas trop besoin, tu vois ? » Je hochais encore la tête. « Je vois. Elle t'a été recommandée par ton médecin ? C'est cool si tu trouves le rythme auquel tu veux la voir, c'est l'essentiel, après ça va tout seul et on ne voit même plus les séances défiler. », lui disais-je en souriant. « Je veux juste pas que… que les autres le sachent, même si c’est pour pas longtemps, c’tout » « Y'a pas de soucis. Je suis une tombe. Et ça serait vraiment nul de ma part de te faire un truc comme te foutre la pression avec ça, t'imagine le départ dans la profession ? Un psychologue même pas encore installé qui faute professionnellement, ça fait tache. »
Je réajustais mon sac sur mes épaules. « Du coup, ça sera sûrement pas très passionnant à lire mes comptes-rendus, désolée » J'avais un petit haussement d'épaules. Tous les comptes-rendus étaient passionnants. Absolument tous. Chaque cas était différent, j'aimais tous les étudier. Certains plus que d'autres, évidemment. Mais les cas bien cadrés et bornés de notions fixes, ça n'existait que dans les livres. De toute façon, on nous apprenais assez que chaque personne était différente et qu'aussi, il était impossible de se cantonner à une approche unique. « Tous les comptes-rendus sont intéressants. Mais c'est pas du... voyeurisme hein. Les psychologues ne sont pas là pour juger. » Son rire sarcastique me donnait un bon indicateur de sa gêne - que je pouvais comprendre. Les séances chez le psychologue, c'était un peu comme un moment où tout était dévoilé. Tout, même lorsqu'on se contenait le plus possible. « Et ça te plaît ? » Je hochais la tête. « Genre lire la vie des autres, c’pas chiant un peu ? » « Non c'est passionnant. Et puis au delà de simplement apprendre 'la vie des autres' comme tu dis, on en apprend aussi beaucoup sur nous-même. Sur l'espèce humaine. C'est une science très intéressante. C'est d'ailleurs pour ça que tous les cas sont intéressants. Chaque patient est un peu comme une cité lacustre. Comme des petites îles reliées par des ponts, qui sont en contact les unes avec les autres, au dessus de l'eau. » Sous entendu, même le tien. « J’suis sûre que tu parles plus que le patient » Un éclat de rire secouait ma cage thoracique. « Tu m'as cerné. Non, en vrai ça va. On nous apprend aussi à ne pas se laisser... ou plutôt, à ne pas se sentir trop impliqués. » Bien sûr, sinon le travail devenait un enfer. Impraticable. « Comment t'imagines que c'est ? Qu'on se réuni pour... lire les notes de la psychologue en casant les gens dans des cases maladives ? » Je voyais très bien le tableau un peu sectaire d'un cercle de psychologue discutant des cas des uns et des autres. C'était pourtant loin d'être la manière dont les choses se déroulaient. « Tu ne vas pas chercher à me supprimer, hein ? Que je sache si je dois faire engager un tueur à gage pour me protéger. », lançais-je dans une tentative d'humour.
LÉO & YOKO ⊹ Three may keep a secret, if two of them are dead.
février 2019
Malaise général — c’est comme si on avait pris le livre de sa vie et qu’on s’apprêtait à en faire la lecture devant un public de royaux inconnus ; pourtant, il n’y a qu’un étranger à ce tableau dressé — Léo. Léo, qui n’assiste nullement à ses séances mais qui a cependant la connaissance ; sur son dossier, sur tous ses problèmes qui l’ont amené à devoir consulter (de force, sans surprise). Petite danseuse au grand rêve, elle ne prend pas conscience de l’impact de sa blessure, plonge dans un déni où sa cheville est totalement rétablie. Elle est sincèrement persuadée qu’elle n’a absolument aucune raison d’être suivie — quel est l’intérêt ? Et c’est ironique, amusant un peu, de voir le jeune homme hocher silencieusement la tête alors que la jolie nippone affirme, clame, s’exclame même ! avec assurance qu’elle ne reverra très certainement pas souvent (voir même jamais) cette psychologue qu’on lui a attribuée. Ce n’est que l’espace de quelques séances, le temps d’affiner son discours et de bien masquer, sous toutes ses phrases, son mal-être intérieur, son refus d’accepter la réalité. Elle a simplement conscience qu’elle devra être patiente, encore un peu ; jeu d’enfant à ses yeux. De son sourire qui semble presque déconnecté de la réalité, elle parle, explique, diminue sans même s’en rendre compte l’objet de sa visite — il ne doit pas penser que c’est sérieux, jamais (et puis, ça ne l’est pas, non ?). Alors qu’à travers une question rhétorique, il demande la confirmation que son médecin a recommandé cette psychologue, elle hoche la tête tout en prenant un air détaché — minimiser, minimiser, minimiser ; tant qu’il ne dit rien, tout va bien. C’est son unique souci du moment car pour tout le reste, elle a une solution. « Y'a pas de soucis. Je suis une tombe. Et ça serait vraiment nul de ma part de te faire un truc comme te foutre la pression avec ça, t'imagine le départ dans la profession ? Un psychologue même pas encore installé qui faute professionnellement, ça fait tâche » ; ça lui arrache un rire un peu nerveux mais en même temps légèrement rassuré (il n’a pas l’air si mauvais). « J’te balance direct à l’Ordre des psychologues— ou n’importe quelle institution qui encadre votre profession, fin de carrière direct ! » réplique-t-elle avec amusement, pour sembler un peu plus sûre d’elle. L’humour n’a jamais cessé de la sauver, de mettre de côté tout ce qui peut bien la tracasser. Sa contenance inspire une certaine confiance que Yoko peine à définir réellement — est-ce sa voix au ton doux, son attitude relâchée qui lui donne un côté moins professionnel ? elle ne sait pas vraiment, n’arrive pas à discerner quoique ce soit de sa personnalité à travers son comportement. Il glisse un rire sarcastique, tout en assurant que les psychologues ne sont pas là pour juger, auquel elle répond une simple grimace, sourcils relevés ; ce n’est pas son avis, inutile de le préciser à voix haute. A ses yeux, l’utilité de ce métier est aussi grande qu’un parapluie en temps de canicule — elle ne comprend pas le principe. Et lorsqu’il continue son explication sur la passion qu’il peut trouver à s’intéresser à la vie des autres, un véritable gouffre s’ouvre entre les deux ; really dude ? Totalement fermée, elle ne saisit pas l’allusion de Léo, subtile mais si bien placée, à son propre cas — à son incapacité flagrante à reconnaître cet événement qui a bouleversé sa vie, qu’elle le veuille ou non. « J’t’avouerais que… ouais, j’imaginais un délire dans ce genre, avec une sorte de tableau où vous classez les cas comme on fait le tri sélectif » — elle a ce sourire narquois sur les lèvres et des iris pétillantes ; un peu curieux en vérité (ah ! elle ne le sait pas mais c’est bien lui qui va lui apporter un regard nouveau sur la profession). Jouant nerveusement avec les bretelles de son sac, elle prend un air faussement sérieux et répond, laconiquement « Tout dépend de toi. Si tu parles, c’est bam » (elle accompagne ses paroles d’un geste en imitant un pistolet à l’aide de ses doigts — et puis, sourire enfantin sur ses lèvres) « J’suis pas une tueuse, j’ai pas envie de faire de la prison, c’pas ça mon rêve ! Donc tu peux économiser ton arg— » « YOKO JE VAIS T’ENCLENCHER » — elle se retourne brusquement pour découvrir au bout du couloir sa binôme de devoir de littérature anglaise, le visage rouge de colère et clairement pas en phase de lui faire des compliments (elle a totalement oublié son existence et réalise seulement maintenant l’avoir laissé en plan) « Euh— j’dois y aller du coup » dit-elle rapidement tout en s’éloignant dans la direction opposée. « A— à bientôt ? J'sais pas si on s’recroisera ? Bye Léo ! » ; elle lui adresse un maladroit signe de la main, se dit qu’elle ne le reverra très certainement pas (mais voilà !) Yoko ne sait pas encore — la place si importante que ce Léo Ivywreath va prendre dans sa vie ; elle s’imagine à cet instant qu’il n’est que de passage, qu’elle ne le verra que lors de ses rendez-vous (totalement) irréguliers avec sa psychologue tout en espérant qu’il oublie tout ce qu’il vient de se passer, que sa mémoire fasse un tri sélectif des informations retenues — ah ! fragile naïveté et peut-être (au fond) désir de rester cachée. Pourtant, c’est bien avec lui et non sa psychologue attitrée de force par son médecin traitant, que Yoko va en apprendre bien plus sur elle qu’en vingt-et-un ans d’existence sur cette planète.
il y aura de nouveau croisement de ces deux comètes