“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
Une nouvelle journée est sur le point de se terminer. Je viens de finir ma journée de boulot, et pour être tout à fait honnête avec vous, je me sens pas vraiment fatigué. J’ai pas envie de rentrer tout de suite chez moi de toute façon personne ne m’y attend. C’est bien ça le problème. Je vais rentrer chez moi pour après être tout seul et passer ma fin de soirée en tête à tête avec moi-même. Merci mais non merci. J’dois bien avouer que la solitude commence à me peser. Je suis seul quasiment tout le temps. À mon âge la plupart des gens sont déjà mariés, ou du moins en couple depuis déjà un moment, ils ont des enfants, une famille. Quasiment tous mes collègues sont casés. Ils ont des enfants, ils sont heureux quoi. Et moi la seule chose que j’ai c’est mon restaurant. C’est triste. Bon je suis sûr que vous allez me dire que c’est déjà pas mal. Et vous avez plutôt raison. J’ai trente ans et je suis déjà patron de mon propre restaurant depuis déjà de nombreuses années. J’ai pas vraiment à me plaindre à ce niveau-là. C’est clair que professionnellement j’ai tout réussi. Et je dis pas ça pour paraître prétentieux, non pas du tout. Mais je pense que c’est la vérité non ?
Il est un peu plus de minuit, tous mes collègues sont partis. Je fais un dernier tour dans la cuisine pour vérifier que tout a bien été nettoyé. Tout est parfait, très bien. Je suis donc confronté à deux options : la première étant de rentrer chez moi et de me poser devant une série, ou bien alors profiter de ne pas travailler demain pour sortir un peu. Je suis pas du tout un fêtard, je sors assez rarement. En fait, j’ai un peu de mal à sortir de ma zone de confort. Je suis ce genre de gars à être mieux chez lui qu’en boîte. Ouais non j’irais pas en boîte faut pas déconner quand même. M’en demandez pas trop. Dans un bar peut-être ? Ça, ça va c’est plutôt cool les bars. Je ferme le restaurant et au lieu de prendre mon petit chemin habituel pour rentrer chez moi, je me dirige vers le quartier de Fortitude Valley. Je sais qu’il y a pas mal de bar sympa là-bas. Au moins c’est une valeur sûre. Plus ou moins sûre. Sur la route je croise pas mal de jeunes déjà complètement bourrés. Sérieux les gars, il est que minuit vingt et vous êtes déjà dans cet état ? Je croise aussi des couples. Beaucoup de couples. Ils ont l’air heureux, ils se promènent main dans la main. Je soupire. Ça me déprime tous ces couples. J’ai l’impression qu’ils ne sont là que pour me rappeler mon éternelle et déprimante solitude. En même temps je le cherche un peu aussi. Si je voulais vraiment avoir quelqu’un je sortirais un peu plus souvent. Mais non. De toute façon je me sens pas prêt à m’engager à nouveau dans une relation. C’est trop tôt. Beaucoup trop tôt. Non allez Caleb commence pas à penser à toutes ces choses si tristes. J’ai envie de me vider un peu la tête ce soir. C’est pour ça que j’ai décidé de sortir d’ailleurs.
Je marche, sans vraiment savoir où aller. Tout ce que je sais c’est que je cherche un bar. C’est grave quand même, j’habite dans cette ville depuis douze ans et je suis pas capable de savoir dans quel bar aller. Bon après, pour ma défense je sors vraiment très peu depuis l’accident. Déjà qu’avant je ne sortais pas souvent, mais depuis la mort de Victoria j’ai tendance à passer beaucoup de soirées chez moi. Mais j’ai justement besoin de voir du monde ce soir. Je passe ma vie à jongler entre le restaurant et toute la paperasse administrative qui va avec, et chez moi. C’est pitoyable. J’men rends bien compte. J’entre dans le premier bar que je vois. Il y a pas mal de monde, il y a de la musique, l’ambiance a l’air plutôt cool. Ok, ça me va. Je vais tout de suite vers le bar pour me commander une bière. En attendant ma commande, j’observe les personnes qui m’entourent. Tout au fond de la pièce il y a un mec qui est clairement en train de draguer une fille, mais vu la tête qu’elle fait il n’a aucune chance de la mettre dans son lit ce soir. Le pauvre, je me demande s’il s’en rend compte ou pas. Si même moi, le mec qui n’est pas un pro de la drague je le vois, il doit bien s’en douter s’il n’est pas trop con. Un peu plus loin il y a un groupe de filles qui n’arrêtent pas de rire d’ailleurs. Elles ont l’air déjà bien bourrées. Ce qui me fait légèrement rire. Je remercie le barman d’un signe de tête tout en prenant la bière qu’il me tend. J’en prends une première gorgée et continu mon inspection. Au bout du comptoir j’aperçois deux mecs qui matent toutes les filles du bar en souriant comme des crétins. Sérieux les gars essayez d’être un peu plus discrets merde. Ils regardent les filles comme si elles étaient un bout de viande. Ce genre de mec a tendance à me casser les couilles. Ayez un peu de respect quand même. Je bois à nouveau un peu de ma bière puis je relève les yeux. Un des mecs de tout à l’heure s’est avancé vers une jeune fille et lui murmure quelque chose à l’oreille. Je ne peux pas voir le visage de la fille puisqu’elle est dos à moi. Je fronce légèrement les sourcils puis détourne le regard. Quelques minutes plus tard ce même mec est toujours avec cette fille, mais cette fois elle semble le repousser. Et il insiste. Il retente une nouvelle fois et…elle le repousse encore. Je lâche un léger soupir, et je me lève pour me diriger vers eux. « J’pense qu’elle a dit non là. » Le mec lève le regard vers moi, il me fixe un moment et puis il décide de faire demi-tour pour rejoindre son pote. Je suis pas ce genre de mec qui veut jouer les héros ou je sais pas trop quoi, mais les mecs qui ne respectent pas les femmes, ça m’insupporte.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
Voilà quelques jours que je suis désormais la nouvelle journaliste sportive au magazine GQ. Un nouvel emploi pour une nouvelle vie ? Une nouvelle vie qui commence dans un bar, drôle impression de déjà-vu, pour une nouvelle vie elle ressemble vachement à l'ancienne quand même... Et pourtant mon intention n'était pas de sortir et de boire à outrance, en tout cas pas ce soir, la veille oui, le lendemain peut être, sûrement même. Mais ce soir c'était ma première rencontre avec un sportif du coin pour le convaincre de nous offrir une interview pour le prochain numéro, alors qui dit rendez-vous de travail, dit aussi sérieux et professionnalisme, ce qui n'a jamais rimé avec alcool et gueule de bois. Alors j'étais déterminée à ne pas me laisser porter par mes démons et de concentrer mon énergie sur mon tout nouveau travail.
J'étais arrivée tôt au rendez-vous, un peu stressée ; et pourtant il m'attendait déjà un verre dans la main et un autre posé face à lui qui m'était visiblement destiné. C'était à ce moment précis que j'avais compris que lui et moi n'avions pas la même conception du rendez-vous professionnel. Et si j'avais résisté, me limitant à boire un verre sur les trois qu'il commandait pour moi à chaque tournée. Le rendez-vous avait tourné au désastre quand il avait décidé d'ingurgiter tout les verres que je refusais poliment en plus des siens bien évidement. Je n'avais pas fini bourrée à mon premier entretien professionnel avec un sportif local, mais lui si. Et, ça donnait pour résultat, un cuisant échec pour moi, et un retour en taxi pour lui. Il avait gagné une bonne migraine pour le lendemain et moi j'avais perdu ma soirée … Pas d'interview, premier raté dans cette nouvelle vie et il arrive tôt.
Il est presque minuit quand le taxi remonte l'allée avec à son bord l'épave du type qui devait symboliser la réussite du début de ma nouvelle vie. Mais même ça, juste obtenir l'accord pour un futur entretien j'ai réussi à le rater, et j'en viens à me demander comment j'ai eu le job. Je retourne au bar payer nos, enfin ses consommations. Pas sur que j'arrive à faire passer cette note en note de frais … Le barmaid m'offre un verre « cadeau de la maison pour avoir dépensé autant dans son bar. » Verre que j'accepte, je viens de régler une note affolante d'alcool que je n'ai pour la plupart pas bu alors j'ai bien mérité ce verre. Assise au bout du bar, tournant le dos à la salle, je bois, je suis dans un bar et je ne sais faire que ça, boire. Je crois que si j'étais sobre, je me ferais pitié, mais heureusement je ne le suis pas alors l'ancienne droguée que je suis, n'a pas conscience d'être pathétique. Enfin, pathétique oui mais pas alcoolique. Un verre en appelant un autre, décomplexée, je me retrouve à ne plus savoir réellement depuis combien de temps je suis assisse sur cette chaise à boire de l'alcool et à combler les verres que j'avais refusé quelques temps plutôt. Je savoure mon échec avec pour compagnie un verre qui se remplit à mesure que je le vide … Et ça me satisfait ainsi. Jusqu'à ce que ma tranquillité soit bouleversée. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à venir me faire chier quand je suis dans un bar ? A croire qu'une femme n'a pas le droit de boire seule sans qu'un mec vienne se montrer insistant et lourd. Sérieux depuis quand des messes basses à l'oreille par un inconnu c'est devenu quelque chose de top niveau drague ? Le mec est si proche que je peux sentir l'alcool qui se dégage de sa bouche à chacune de ses respirations, so sexy et pas du tout dérangeant. En gentille fille que je suis, je le regarde, et je refuse son invitation tout en le remerciant poliment espérant que ma cordialité puisse me sortir rapidement de cette situation sans que ça ne dégénère. Il semble ne pas comprendre et s'assoit sur un siège libre à coté de moi. Je fais le choix de l'ignorer, cette place est libre et à personne alors s'il veut s’asseoir ici c'est son droit, mais il ne m'obligera pas à m’intéresser à lui. Je concentre mon intérêt sur mon verre le laissant parler seul, encore et encore. Il revient à la charge, niveau drague il est minable, mais il persiste à plusieurs reprises et je m'énerve de le voir pourrir mon espace encore et encore sans aucune retenue. Et dire que certains osent encore appeler ça de la drague … Une énième tentative de sa part, ridicule, pathétique que je repousse encore mais il semble avoir du mal avec les mots « non », « pas intéressée » ou encore « laisse-moi. ». Je désespère de me retrouver encore face à un pauvre type, c'est que ça devient presque une habitude. « J’pense qu’elle a dit non là. » Je crois que je suis officiellement saoule. J'en viens à entendre la voix de mon ex, c'est généralement pas bon signe, et pourtant je n'ai pas l'impression d'avoir autant abusé que ça. Je me retourne pour faire face à ce chevalier mystère qui vient de me débarrasser d'un énième lourd et qui a la voix de Caleb. « Mer.. » Le mot se coupe et la deuxième syllabe reste coincée dans ma gorge. Après avoir entendu sa voix, voilà que je le vois. Ce n'est pas la première fois, des hallucinations j'en ai déjà eu mais jamais à cause de l'alcool. Je regarde cet homme debout qui me fait face et je vois les traits de Caleb avec beaucoup trop de précisions pour que ce ne soit seulement mon imagination qui me joue des tours. Et pendant quelques secondes, je me dis qu'être folle et halluciner serait mieux que l'option la plus logique, à savoir ; avoir Caleb face à moi dans ce bar. Une logique que je ne suis pas en mesure de gérer dans mon état. Je reste bloquée sur son visage, sur l'homme que j'ai tant aimé. Je me surprends à le regarder et à chercher les changements en lui. Mon esprit analyse avec la capacité qui lui reste, et je ressens des émotions fortes remonter à la surface. CALEB est devant moi, je prends conscience de cette réalité petit à petit. Caleb est devant moi et je suis bourrée. Vive les retrouvailles ! Après plusieurs années loin de lui, sans aucunes nouvelles, le voilà dans un bar à venir me secourir. C'est pas la première fois qu'il me voit alcoolisée, mais c'est clairement pas la position favorable pour moi. ''Quelle image tu vas donner encore Alex.'' Saleté conscience qui cherche à s'exprimer et à me faire culpabiliser. Je fais taire cette voix en moi qui me dis que je vais encore mal finir et j'assume ma situation. Je suis bourrée ... Sobre j'aurais sans aucun doute fuis, quitté ce bar en courant et en le laissant derrière moi, n'étant pas encore prête à lui faire face. Mais, je ne suis plus ce que l'on peut considérer comme étant sobre et à l'instant devant lui, je n'ai qu'une envie, boire encore un peu plus. Une envie illogique, irrationnelle, mais à laquelle je cède sans réfléchir, je ne suis plus à un verre prêt. Ou deux ? Je termine mon verre tout en évitant le contact visuel avec lui. « Qu'est-ce que tu fais là ? » Première question après plusieurs années de silence et une rupture sans explication. Décidément, toujours aussi douée Alex pour poser les bonnes questions au bon moment. Sans même attendre sa réponse, je fais signe au serveur de m'apporter un nouveau verre. Je vais finir déchirer et c'est au fond exactement ce que je recherche. Je veux boire jusqu'à perdre la raison, boire jusqu’au point ou je serais incapable de me souvenir de cette soirée en me réveillant demain. Parce que je peux gérer, en étant saoule, je réfléchis moins, ou différemment. Mais assumer derrière une fois l'esprit revenu et le brouillard de l'alcool dissipé, c'est loin d'être gagné. Alors je veux boire encore jusqu'à noyer mon esprit et que le souvenir de Caleb se dissipe à mesure que l'alcool se repends dans mon organisme … Mon regard croise le sien et je me sens si vulnérable et si coupable. Je détourne presque immédiatement la tête fuyant ses yeux. Ceux qui pourtant à l'époque m'apportaient tellement de confiance et qui savaient me rassurer. J'ai peur de ce que je pourrais lire dans ses yeux, peur de gâcher les souvenirs que j'avais tenté de garder de nous. Alors je préfère fuir son regard de peur de me perdre. J'en ai imaginé des retrouvailles depuis que j'ai fais le choix de revenir à Brisbane, mais l'option rencontre dans un bar totalement bourrée, je ne l'ai pas anticipé et je commence à craindre le pire. Redoutant ce que je suis capable de dire ou de faire. Je n'ai pas d’échappatoire. Je n'ai rien préparé, je suis moi même pas prête à me confronter à lui. Alors comme souvent dans ma vie, je fais le choix de fuir. Pas physiquement mais une autre sorte de fuite. Je m'enfuis dans l'alcool. Je me réfugie dans mon verre espérant sans doute trouver du courage, ou juste des réponses. Et je décide d’occulter tout l'aspect étrange de la situation, et je me convaincs que tout va bien, que tout est normal. Si j'arrive à rendre la conversation normale, alors tout cette situation devrait devenir elle aussi normale … Logique étrange, mais logique d'une femme qui cherche à se rassurer et qui n'a plus toutes ses facultés mentales … « C'est bien le dernier endroit ou je pensais te croiser, depuis quand tu viens dans les bars seul ? »
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
Moi qui pensais que j’allais passer une fin de soirée tranquillement dans un bar, boire un verre et ensuite repartir chez moi… Ahaha naïf que je suis. La jeune inconnue que je viens de sortir des griffes d’un gros lourd de la drague se retourne et…en fait ce n’est pas une inconnue. Pas du tout. Oh putain. C’est Alex. J’ai l’impression que mon cœur vient de louper un battement. « Mer.. » Ouais j’aurais pas mieux dit. Qu’est-ce qu’elle fait là ? J’suis complètement perdu et ça doit clairement se voir sur mon visage. Un silence gênant s’installe entre nous. Je m’attendais à tout, sauf à ça. Je m’attendais à croiser tout le monde, sauf elle. Ça fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas vus. Je m’assieds à côté d’elle toujours sans un mot, je la regarde mais jamais trop longtemps, comme si j’avais peur du contact visuel direct. Et je sens que c’est pareil pour elle. Elle m’évite clairement du regard même. Je sais pas quoi dire. Toujours aucun mot n’est sorti de ma bouche. Je prends une grande inspiration pour me préparer à dire quelque chose. Mais rien. Au final, je préfère ne rien dire. Tout simplement parce que je ne sais pas quoi dire. Je baisse les yeux vers mon verre de bière que je termine d’une traite, et puis je le repose sur le comptoir. Je me retourne enfin vers elle pour la regarder un peu plus longtemps. Elle n’a pas vraiment changé, et je me rends compte que je me souviens encore parfaitement de chacun de ses traits du visage. Des années de silence. Au début ça a été super dur de l’oublier pour moi. En même temps, j’étais tellement amoureux de cette fille. Dans le temps je me voyais finir ma vie avec elle. La revoir si soudainement fait remonter tout un tas d’émotions à la surface. Quand on était ensemble, elle comptait énormément pour moi. Elle a été mon premier amour. Et puis quand elle est partie je l’ai aussi détesté pendant un moment. Je la détestais parce que je me demandais comment est-ce qu’elle avait pu partir sans me donner d’explication. Après tout ce qu’on avait vécu elle et moi. Je n’ai toujours rien dit. J’ai l’impression d’avoir perdu ma langue. Et pas que. Mon cerveau est complètement embrouillé, j’arrive plus à réfléchir correctement. « Qu'est-ce que tu fais là ? » Sa question me sort de mes pensées. Qu’est-ce que je fais là ? J’en sais rien du tout. Là, je suis pas vraiment en capacité de réfléchir en fait. Je sais pas pourquoi je suis ici en fait. Peut-être que j’aurais mieux fait de rentrer chez moi au final. J’ai un milliard de questions à lui poser moi. Je sais même pas par quoi commencer. « Euh…je sais pas. » Ça va j’ai pas du tout l’air con moi à lui répondre ça. « C’est plutôt à moi de te demander c’que tu fais là. » Elle fait signe au serveur de lui ramener un autre verre. Je sais pas combien elle en a bu jusqu’à présent, mais c’est clairement pas son premier, j’en suis sûr. Je la connais toujours aussi bien, même après de très longues années de silence. « T’es pas censée être retournée en Angleterre ? Depuis quand t’es de retour ici ? » Je ne sais pas si je préfère qu’elle soit de retour en Australie sans me l’avoir dit, ou bien si j’aurais préféré qu’elle me tienne au courant de son retour. Parce qu’au fond, elle me doit plus rien on est plus ensemble. Mais sans trop savoir pourquoi je suis déçu d’apprendre son retour à cause de retrouvailles hasardeuses dans un bar.
J’ai envie de lui demander pourquoi elle est partie. J’ai envie de savoir pourquoi elle m’a quitté. À l’époque j’ai fait des millions de suppositions. Je m’étais dit qu’elle avait peut-être rencontré quelqu’un d’autre et qu’elle avait décidé de partir avec lui. C’est une possibilité tout à fait plausible. Ou bien peut-être que je me suis trop emballé avec elle, que j’ai voulu aller trop vite et qu’elle a pris fuite. Ou alors elle ne m’aimait plus, tout simplement. J’ai aussi pensé à un moment donné que j’avais fait ou dit quelque chose qui l’avait profondément blessé, et qu’elle avait donc décidé de partir. Et j’avais encore au moins une dizaine d’autres scénarios dans la tête. Mais aucun d’entre eux n’expliquaient le fait qu’elle soit partie sans plus jamais me donner de nouvelles. Sans répondre à mes messages et à mes nombreux appels. Si vous saviez le nombre de fois où j’ai essayé de l’appeler. Ça pouvait presque s’apparenter à du harcèlement. Mais je cherchais juste des réponses à mes questions. J’étais brisé. « C'est bien le dernier endroit ou je pensais te croiser, depuis quand tu viens dans les bars seul ? » Encore une fois, elle me sort de mes pensées. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté et qu’il n’y a plus personne autour de nous. Étrange sensation. Je hausse doucement les épaules. « Bonne question…j’avais juste envie de prendre un peu l’air avant de rentrer chez moi. » Mais effectivement je suis en train de me demander ce que je fous là. « Et toi t’es toute seule ? » À chaque fois que nos regards se croisent, elle pose spontanément ses yeux autre part. Elle me fuit complètement du regard. Pourquoi ? La seule chose à laquelle je pense quand je la regarde, c’est son départ. Tout ce que j’ai pu ressentir quand j’ai compris que je n’allais plus jamais la revoir. De la tristesse, oh oui beaucoup, beaucoup de tristesse. Mais aussi de la haine. Toujours mélangée à cette tristesse. Et puis de la nostalgie, de la mélancolie. Un véritable ascenseur émotionnel quoi. Je commence à jouer avec mon verre vide. Peut-être que je ferais mieux de partir en fait. C’est potentiellement la meilleure chose à faire. Sauf que je n’en ai pas envie. J’ai envie de rester là, avec elle. Lui demander pourquoi elle est partie. Et je me demande aussi ce qu’elle est devenue. Comment est-ce qu’elle va ? Bon, elle a pas l’air de péter la forme honnêtement. En règle générale, quand on est seuls dans un bar on va rarement super bien. Je la regarde. Et elle toujours pas, elle balaye du regard toute la pièce. Elle regarde chaque recoin et presque chaque personne dans le bar. Tout le monde. Sauf moi. « Pourquoi est-ce que tu fuis à ce point mon regard ? » Cette question sort toute seule de ma bouche sans même que je m’en rende compte. Mais je suis intrigué. J’ai envie de savoir ce qui la pousse à ne pas me regarder. J’suis si dégueulasse que ça ? Je sais que je suis fatigué et que ça doit se voir sur mon visage mais quand même. Faut pas abuser. Je la regarde toujours. Attendant une réaction de sa part. Mais non, toujours rien. Elle va bien devoir me regarder à un moment ou à un autre de toute façon.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
« C’est plutôt à moi de te demander c’que tu fais là. » Moi dans un bar ça l'étonnes ? Pourtant avant lui, c'était l'un des premiers endroits ou l'on venait quand on me cherchait. Alors après lui, ça semble finalement assez logique non ? Retour à la case départ, retour à l'ancienne Alex comme diraient certains. « T’es pas censée être retournée en Angleterre ? Depuis quand t’es de retour ici ? » Question logique, je m'y attendais à celle là et je ne me laisse pas déstabiliser. « Tu connais le temps Anglais non ? Sérieux c'est impossible de vivre sous la pluie quand on a connu le climat Australien, alors en plein hiver à Londres, j'en ai eu marre de la pluie alors je suis revenue à Brisbane. C'était en Janvier quelques jours après mon anniversaire. » Faire semblant que tout est normal Alex ! Faire semblant que tout va bien ! Je me répète en boucle cette idée, cette pensée essayant de convaincre mon esprit qu'il faut qu'il m'aide à jouer le jeu. J'ai besoin d'y croire pour qu'il puisse y croire lui aussi. Parce que je ne peux pas gérer ce moment avec le sérieux requis, parce qu'être sérieuse m'obligerait à faire face à la réalité de ce qui se joue entre nous et je ne peux pas. Pas maintenant, pas ici, pas comme ça et pas dans cet état. Alors je continues avec mon ton léger et décalé, inadapté à la situation mais tellement rassurant. Si j'étais sobre je maudirais mes prises de paroles. Je maudirais l'irrespect dont je fais preuve à son égard, mais je ne suis pas sobre, heureusement pour moi et malheureusement pour lui... « C'est bien le dernier endroit ou je pensais te croiser, depuis quand tu viens dans les bars seul ? » Je me concentre sur mon verre, malheureusement déjà vide, j'écoute à peine sa réponse. J'évite tout contacts avec lui espérant ainsi mettre une distance physique et émotionnelle entre lui et moi. Mes yeux continuent d'éviter les siens avec bien trop peu de discrétion. « Et toi t’es toute seule ? » Je peux éviter le contact physique, je peux éviter le contact visuel, mais je ne peux pas faire comme s'il n'était pas là à coté de moi à me questionner. Alors après avoir fait signe au serveur de me remplit mon verre une nouvelle fois, je lui réponds à sa question.« J'étais accompagnée mais il a fini dans un taxi complètement bourré, j'ai du payer ses consommations parce qu'il était trop déchiré pour payer, ou même pour donner son adresse au chauffeur, j'ai du faire ça aussi. Donc oui je suis seule, si on compte pas le gars ultra lourd que tu as renvoyé et qui visiblement devra trouver quelqu'un d'autre pour sa fin de soirée, même si je doute qu'il trouve mieux que sa main pour se tenir compagnie vu le type. Donc oui je suis seule, enfin non plus maintenant puisque tu es là. » Et je parle, et je parle comme pour extraire la tension du moment. Concentrant mon regard sur tout corps animés ou non, qui ne ressemblent pas à Caleb. Mes facultés sont amoindries par l'alcool et le peu qu'il me reste cherche encore un moyen de m'aider à gérer cette situation disons légèrement complexe. Je cherche encore la meilleur façon de gérer et pour le moment parler semble l'option qui me convient le mieux. Alors je parle encore et encore, sans vraiment faire attention à ce que je dis, laissant les mots venir combler les blancs. Je suis normalement plutôt habile avec les mots, ou du moins avec les phrases, après tout je suis censée avoir fait des études dans le journalisme. Mais bourrée et mal à l'aise, toute ma maladresse refait surface et je me laisse emporter ne réalisant pas toujours la stupidité de mes propos. Mais peu m'importe sur le moment, tout ce que je vois c'est que pendant que je réquisitionne la parole, Caleb ne peut pas me questionner, Caleb ne peut pas me piéger, Caleb ne peut tout simplement pas me déstabiliser plus qu'il ne le fait déjà avec sa simple présence à mes cotés. Si je garde le contrôle de la discussion alors je peux éviter le sujet qui risque de fâcher, celui que je redoute au fond. La rupture. « Pourquoi est-ce que tu fuis à ce point mon regard ? » Et dire que j'avais l'impression de gérer un peu le moment. Sa question jette un froid et mets à mal ma stratégie. C'était donc si évident que ça que j'évitais son regard ? Décidément, ce soir je ne suis douée pour rien, pas même pour faire semblant. Faire semblant que tout va bien quand au fond de moi les émotions jouent avec mes tripes, avec mon esprit, avec mon corps, avec mon cœur. Faire semblant que tout est normal alors qu'absolument rien de cette situation n'est normale. De moi bourrée, à lui seul dans ce bar. De moi me retrouvant confrontée à ma pire crainte, faire face à Caleb. Je tente de le regarder pour montrer que je ne le fuis pas, mais je ne peux même pas faire semblant. J'ai essayé réellement d'y croire, de me persuader que je pouvais gérer sans me laisser atteindre par mes émotions, mais visiblement j'ai échoué. Encore. J'en suis incapable, même bourrée j'ai honte de ce que j'ai fais à l'époque. Pas de mon choix, quoique, mais de l'avoir fait dans son dos. J'ai honte et le voir face à moi, le père d'un enfant dont j'ai caché l'existence, j'ai tout simplement honte de lui avoir menti, d'avoir fuit. Et j'ai bien peur que tout l'alcool que je viens de boire ne suffisse pas à soulager ma conscience alors que je reprends de plein fouet la réalité de ma décision. Il est là devant moi, et je sais qu'un jour je devrais lui dire la vérité, que je lui dois cette vérité. Mais j'en suis tout bonnement incapable. Alors j'attrape le verre que le serveur vient de m'apporter et je le bois. Vite, trop vite. Je sens le liquide me brûler la gorge et je grimace, ne m'arrêtant pas pour autant de boire la fin du contenu de mon verre. Je ne me questionne même pas de l'image que je peux lui renvoyer, j'en suis bien loin de tout ça. De toute façon, le jour ou il saura la vérité, je le dégoutterais. Donc l'image d'ivrogne que j'ai à l'heure actuelle semble être le cadet de mes soucis. Je repose le verre sur le comptoir du bar devant moi et je tourne la tête vers lui. Je dois réussir à le regarder, je peux au moins faire ça pour m'éviter de devoir me justifier. Juste le regarder, fixer son visage et lui montrer que tout va bien, que je ne fuis pas son regard. Alors je lève les yeux, auparavant fixés sur le sol du bar, et remonte en direction de son visage. Je m'arrête sur son torse que je devine mais que je me rappelle surtout. Son torse sur lequel j'aimais me blottir. Je m'arrête sur sa barbe, élément nouveau sur un visage dont je m'imprègne des contours et qui ravivent dans ma mémoire des souvenirs. Et puis, il y a ses yeux, son regard et je me sens désarmée lors-qu’enfin mes yeux plongent dans les siens. Des années sont passées, j'ai rencontré d'autres hommes avec lesquels j'ai partagé des aventures d'un soir, mais jamais je n'ai ressenti pour un de ces hommes, ce que j'ai ressenti pour Caleb. Ni même vécu avec l'un de ces hommes ce que j'ai partagé avec Caleb. C'est avec lui que j'ai découvert ce que ça signifiait d'aimer et mes yeux perdus dans les siens, j'ai l'impression de rouvrir une grande plaie non soignée en moi. Et je maudis tellement l'alcool de ne pas réussir à anesthésier ma souffrance. Je sais que je n'ai plus ma lucidité, mais je ressens quand même la douleur. Je cherche à comprendre comment j'ai pu laisser la situation déparée autant, comment j'ai pu foncer tout droit dans son piège. Parce que c'est ce que je ressens sur le moment, celui d'être prise au piège. J'arrive à me détourner de son regard au prix d'un effort important.Et je regarde le fond de mon verre, espérant m'y perdre. Je sens son regard qui pèse sur moi, je dois dire quelque chose, faire quelque chose. « Voilà je t'ai regardé, tu es content ? » Réaction puérile sans doute, enfantine sûrement. Mais je n'ai pas mieux en stock. Moi l'inadaptée sociale sous l'effet du stress, je gère comme je peux une situation qui me dépasse. « Bon puisqu'on est là dans un bar, au lieu de me fixer bois un coup, c'est moi qui invite.» Je fais signe au serveur qui est juste face à moi. Il commence à me connaître et il est déjà en train de me servir un verre. D'un geste je lui précise que cette fois ce sera deux verres et en quelques secondes, les deux verres sont devant moi. J'en tends un en direction de Caleb. « Santé. »
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
J’ai toujours un peu de mal à réaliser qu’elle est bien là, à côté de moi. Je ne pensais pas la revoir un jour. Je pensais qu’elle était partie en Angleterre et qu’elle ne reviendrait jamais. Et honnêtement je m’étais fait à cette idée. Même si au début elle ne me plaisait pas. « Tu connais le temps Anglais non ? Sérieux c'est impossible de vivre sous la pluie quand on a connu le climat Australien, alors en plein hiver à Londres, j'en ai eu marre de la pluie alors je suis revenue à Brisbane. C'était en Janvier quelques jours après mon anniversaire. » Elle se fout de ma gueule là. Être sérieuse deux minutes c’est trop lui demander ? Oui bien sûr que c’est trop lui demander, elle est bourrée. J’ai l’impression de retrouver là Alex d’avant. Avant qu’on se mette ensemble je sais qu’elle passait la plupart de son temps à boire dans les bars. J’ai envie de lui dire qu’elle aurait pu me prévenir de son retour, mais c’est ridicule, on est plus ensemble depuis des années elle ne me doit rien au final. Je me doute que si elle est revenue à Brisbane ce n’est pas à cause du temps pluvieux d’Angleterre. Elle est là depuis plusieurs mois et on ne s’est jamais croisés avant. En même temps on ne fréquente pas vraiment les mêmes endroits. « C'est bien le dernier endroit ou je pensais te croiser, depuis quand tu viens dans les bars seul ? » J’ai eu une période de ma vie où je trainais effectivement beaucoup dans les bars. Quand j’ai repris le boulot après la mort de Victoria j’allais dans les bars tous les soirs, je buvais. Beaucoup. J’en avais besoin. Il fallait que je me vide la tête et boire était le seul moyen pour moi de ne plus penser à elle. C’était le meilleur anesthésiant que j’avais trouvé. Ça a duré plusieurs mois, le temps que je fasse entièrement mon deuil. « Les gens changent. » En soit oui, mais moi non pas vraiment. À l’heure d’aujourd’hui me trouver dans un bar tout seul restait quand même assez exceptionnel. Le fait de voir Alex là, à côté de moi me fait pas mal réfléchir. Et si elle était jamais partie ? Et si elle ne m’avait jamais quitté ? Je me demande si on serait encore ensemble. Peut-être bien que oui. Parce qu’au final, si elle était pas partie moi je l’aurais jamais quitté. Je serais jamais partie eu Europe pendant un an. J’aurais jamais rencontré Victoria. Donc elle serait certainement encore en vie. Comme quoi une seule petite action peut changer tellement de choses. « J'étais accompagnée mais il a fini dans un taxi complètement bourré, j'ai du payer ses consommations parce qu'il était trop déchiré pour payer, ou même pour donner son adresse au chauffeur, j'ai du faire ça aussi. Donc oui je suis seule, si on compte pas le gars ultra lourd que tu as renvoyé et qui visiblement devra trouver quelqu'un d'autre pour sa fin de soirée, même si je doute qu'il trouve mieux que sa main pour se tenir compagnie vu le type. Donc oui je suis seule, enfin non plus maintenant puisque tu es là. » Et je la regarde sans rien dire de plus, elle enchaîne les verres les uns derrières les autres. Je baisse les yeux sur le mien qui est vide. « Si tu continues à boire comme ça c’est toi qui va bientôt être trop bourrée pour donner ton adresse au taxi et pour payer tes consommations. » Le ton que j’utilise pour lui parler est plein de reproches. Je sais que ça risque de ne pas lui plaire, mais c’est plus fort que moi je n’aime pas la voir boire comme ça.
J’aimerais pouvoir lui poser toutes les questions que j’ai en tête mais vu son état actuel je doute que ça soit la meilleure idée du monde. Alors je garde toutes ces questions pour moi, je préfère ne rien lui demander pour l’instant. Peut-être aussi parce que j’ai peur des réponses qu’elle va me donner. Pourquoi est-ce qu’elle m’a quittée du jour au lendemain ? Pourquoi est-ce qu’elle est partie sans aucune explication ? Elle m’a fait mal, et le pire c’est que je ne sais même pas si elle s’en rend compte. Et pour couronner le tout, elle n’arrive même pas à me regarder dans mes yeux. Elle n’arrive même pas à me regarder tout court. Pourquoi ? Elle me fuit, et quelque chose me dit que si elle le pouvait elle serait déjà partie en courant. Je lui fais la réflexion. Me demandez pas pourquoi. Mais cette sensation est tellement désagréable. Je sens qu’elle me fuie, et j’aimerais savoir pourquoi. Moi je ne peux pas m’empêcher de la regarder, certainement parce que j’ai du mal à réaliser qu’elle est bien là, avec moi. Je la regarde parce que je n’ai pas envie de la voir partir comme il y a huit ans. Je refuse de la laisser partir, j’ai des questions à lui poser. Des questions qui me hantent depuis toutes ces années. Nos regards se croisent enfin. Pour la première fois depuis huit ans, je la regarde dans les yeux. Des millions de souvenirs remontent à la surface. La plupart étaient des souvenirs heureux. J’étais vraiment heureux avec elle, elle a été la première fille dont je suis tombé fou amoureux. Je ne savais même pas qu’on pouvait ressentir de telles choses avant de la rencontrer. La regarder dans les yeux, me rappelle à quel point j’étais amoureux de cette fille. Je me souviens de tous ces moments de bonheur qu’on a pu partager ensemble, on était heureux. C’est elle qui m’a appris ce que c’était l’amour. La regarder dans les yeux me rappelle aussi à quel point son départ m’a fait souffrir. À quel point j’ai eu le cœur brisé quand j’ai réalisé que je ne la verrais plus jamais. Je croyais que je ne m’en remettrais jamais. Pour moi c’était presque la fin de ma vie. La première fois que j’ai eu le cœur brisé. Je me souviens de chacun de ses traits du visage, ses yeux dans lesquels j’aimais tant me perdre avant. On s’est regardés comme ça pendant je ne sais pas combien de temps, mais je me détourne de son regard exactement au même moment qu’elle. Je me racle la gorge tout en observant toutes les personnes dans le bar. Et puis je finis par poser à nouveau mon regard sur elle. « Voilà je t'ai regardé, tu es content ? Bon puisqu'on est là dans un bar, au lieu de me fixer bois un coup, c'est moi qui invite.» Je lève les yeux au ciel tout en secouant la tête. « C’est trop te demander d’être un minimum agréable ? » Bourrée ou pas, je m’en fous. Elle demande au barman deux verres et m’en donne un. Je la remercie tout de même d’un signe de tête. « Santé. » Ouais, c’est ça. Santé. On a pas grand-chose à fêter. Nos retrouvailles ? Je sais pas trop si on peut dire qu’on va les fêter. Vu le malaise général qui règne entre nous… J’avais imaginé nos retrouvailles de nombreuses fois, mais je ne pensais pas que ce jour finirait à réellement arriver. Je prends une grande inspiration et je prends mon verre pour le boire d’une traite. Je grimace en sentant la boisson me brûler la gorge. « Je peux te poser une question ? » Au final, je n’attends même pas sa réponse. « Pourquoi t’es partie ? » Je repose mon verre vide sur le comptoir et me tourne vers elle pour la regarder. Je sais que j’avais dit que j’allais attendre pour lui poser cette question mais au final, j’ai besoin de savoir. Et que je lui demande maintenant ou dans une semaine ça change quoi ? Je crois que j’ai assez attendu avec cette question dans la tête.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
« Si tu continues à boire comme ça c’est toi qui va bientôt être trop bourrée pour donner ton adresse au taxi et pour payer tes consommations. » Je souris à sa remarque. En temps normal, j'aurais sans doute été touchée par ses reproches, parce que son avis a toujours compté pour moi. Parce que j'avais toujours voulu être une meilleure personne pour lui, être quelqu'un de bien pour lui. Mais ce soir, mon ressenti est à l'image de mon attitude. Je le regarde souriante. « J'habite au 115 Redcliff, comme ça tu sais, si jamais je suis vraiment trop bourrée et que tu dois me mettre à ton tour dans un taxi. » C'est sorti tout seul, sans réflexion, je viens de lui donner mon adresse. A force de parler sans réfléchir, une telle chose devait arriver. Et voilà que je viens de lui donner le moyen parfait pour me retrouver à l'avenir. Moi qui trouve que cette rencontre impromptue dans le bar n'est pas des plus agréable, voilà que je viens de lui offrir mon adresse et la possibilité de venir chercher des réponses à ses questions à tout moment. Mais sur le moment je ne me rends même pas compte de ce que je viens de dire. Non, je préfère prendre un verre et le boire, comme une énième provocation. Une réponse à son ton de reproche. Il ne le sait pas, mais c'est sa faute si je bois ce soir, et les soirs d'avant. Bon pas directement sa faute mais un peu quand même. De toute façon, il faut bien que ce soit la faute de quelqu'un et j'ai décidé que ce serait la sienne ce soir. C'est tellement plus simple à supporter et ça me décharge d'une part de responsabilité. J'ai l'impression de gérer le moment, de faire au mieux pour ne pas me laisser dépasser par les événements. Mais ce n'est qu'une impression, balayée très rapidement par la question de Caleb. S'ensuit un retour à la réalité violent. Je perds toute confiance. Je prends de plein fouet la vérité du moment et je réalise, malgré mon alcoolémie, tout l'enjeu de ce moment, de ces retrouvailles. Je ressens la culpabilité, la douleur et je ne peux plus faire semblant. Exit l'attitude légère, l'impertinence et l'insouciance de mes propos. Je me sens tellement déstabilisée, perdue que j'en viens à être désagréable. Mais c'est la seule réponse que j'ai pour gérer ces nouvelles émotions qui m'envahissent. Et visiblement ça ne semble pas trop lui plaire puisqu'il me fait une réflexion. « C’est trop te demander d’être un minimum agréable ? » Je viens de faire un effort incroyablement compliqué, qui à mes yeux me semblait insurmontable. Je viens de faire face à son regard, à son visage, à nous et nos souvenirs. Je me sens tellement mal et j'ai tellement mal. Et lui ose me reprocher mon ton un peu trop sec. J'oscille entre l'envie de continuer à le provoquer ou l'envie de m'énerver. Ses reproches je les perçois, malgré mon taux d'alcoolémie qui doit commencer à être bien trop haut, même pour moi. Et je sens son agacement, je le sens tellement qu'il commence à se répercuter sur moi. Alors avec un léger sarcasme, je lui lance un « santé » avant de porter à ma bouche un énième verre. Je sens que mon organisme commence à saturer et chaque gorgée semble de plus en plus difficile à terminer. Mais je ne lâche pas l'affaire, comme une dernière façon d'irriter Caleb. Il n'a jamais aimé me voir saoule, ou me voir boire tout court, et visiblement les choses n'ont pas changé, du moins ça ; ça n'a pas changé. Je sens que ça l'agace et d'un coté, tout au fond de moi, je me sens presque soulagée de voir qu'il semble contrarié par mon alcoolisme du jour. Et si je comptais encore pour lui ? Non, Alex, ne pense pas comme ça. Ne pense pas à ça. « Je peux te poser une question ? Pourquoi t’es partie ? » Je n'ai même pas le temps de craindre la question. Pas le temps de me préparer au pire; que le pire arrive. Pourquoi je suis partie ? Je me sens mal d'un coup, vraiment mal. Est-ce l'alcool ou sa question ? Peut-on vraiment être malade à cause d'une question ? Ça doit être l'alcool alors. Mais je n'ai pas le temps de réfléchir plus longtemps aux raisons qui ont poussé mon corps à réagir ainsi. Les nausées sont trop fortes, je vais vomir et si je peux éviter de le faire sur lui, ce serait déjà une grande réussite. Je me précipite à l'extérieur, espérant que l'air frais puisse calmer cette sensation désagréable que je ressens. Je me pose contre la paroi du bar et je respire, luttant contre les signaux que m'envoies mon corps. J'ai un estomac plutôt solide en temps normal, et rares sont les fois ou je suis malade. Alors que mon corps réagisse ainsi face à lui me replonge dans mes souvenirs. Je suis debout, sur le trottoir et les souvenirs me reviennent. Je me revois malade comme jamais, à maudire toute odeur, toute nourriture, tout parfum un peu trop fort. Ce fut la seule période de ma vie ou les nausées avaient été présentes en grand nombre, et ou mon estomac avait semblé être incapable de garder quoique ce soit. Je me revoie malade, les premières nausées, les premiers signes de cette grossesse. Putain de souvenirs. Et les mots de Caleb qui me reviennent encore, « pourquoi t'es partie ? ». Et je me surprends à lui en vouloir. Pourquoi n'a-t-il pas vu à l'époque ? Pourquoi n'a-t-il pas comprit ? Je sais toute l'hypocrisie de ma pensée. J'ai tellement pris de précautions pour qu'il ne découvre pas la vérité que c'est hypocrite de pouvoir penser ça. Mais, s'il avait comprit à l'époque, tout aurait été différent. Et j'en viens encore à remettre la faute sur lui, alors que je sais que je suis l'unique fautive. Je respire l'air frais de cette nuit tellement atypique, et je sens les nausées se calmer. J'arrive à contenir ce malaise que je ressens. Mais la question de Caleb, franche, direct continue de me bouleverser. Je ne le cherche pas du regard, je me doute qu'il m'a suivit. Ce n'est pas le genre de question à laquelle on accepte un silence ou une fuite en guise de réponse. Je sais qu'il est pas loin et que je ne pourrais pas échapper à une confrontation. Je n'ai plus du tout l'intention d'essayer de faire comme si la situation est normale, elle ne l'est clairement pas. J'ai l'alcool triste d'un coup. Les souvenirs m'ont bien calmé et je me retrouve au pied du mur. Je ne sais plus comment me comporter, mentir ? Dire la vérité ? Ou courir ? Je ne suis clairement pas assez lucide pour inventer un mensonge crédible, mais en même temps, je sais que je n'ai pas la force de lui dire la vérité. Je sais qu'il n'est pas loin, mais je ne le regarde pas. Je tente de me concentrer, de faire abstraction des effets de l'alcool, et de retrouver une part de lucidité et de sérieux. Le froid m'aide un peu à me concentrer. Et dans un moment de lucidité venu de nul part, je décide de la stratégie à adopter. « J'avais besoin d'être seule pour faire le point. » C'est la vérité, pas toute la vérité mais une partie du moins. C'est la tactique que je considère la meilleure, utiliser la vérité comme base de réponse, et la façonner à ma manière, pour qu'elle soit moins compliquée. Je pèse tout mes mots, hors de questions de laisser l'alcool me trahir. Je me torture l'esprit essayant d'analyser chacun des mots avant de les faire franchir la barrière de mes lèvres. Je ne ferais pas de gaffe, je dois me concentrer et oublier cette douleur qui cogne dans ma tête et cette sensation de brouillard qui m'entoure. Je ne le vois pas et j'évite volontairement tout contact visuel encore. Mais je sais que je ne pourrais pas le regarder, que je ne pourrais pas gérer mes émotions si je dois le regarder. Si je dois sentir sa douleur, sa peine, sa colère ou toutes autres émotions. Alors je regarde le vide devant moi. « Ça allait trop vite pour moi. » Encore la vérité, et c'était peu de le dire. Un bébé … Mais je tais volontairement ce détail, qui n'en est certainement pas un. « Et puis, ensuite il y a eu mon père, ma mère, mon retour à Londres. Et puis, mes études. » Ça ne veut rien dire, ou du moins ça ne réponds pas vraiment à sa question, mais je tente de faire au mieux. Parce qu'il mérite des réponses, mais je ne peux pas lui donner la vérité, pas comme ça, pas ici. « J'étais à Londres et avec la distance, le temps qui passe, je me suis dis que c'était plus simple d'oublier. » Débrouille toi Caleb pour comprendre le sens de cette phrase. Je fais de mon mieux vraiment, et je trouve que je m'en sors pas trop mal si on contextualise la situation. « Et puis je voulais juste que tu sois heureux, libre, je voulais te laisser vivre ta vie, réussir ta carrière. » C'est encore une fois la vérité, pas toute la vérité mais c'était réellement ce que je voulais à l'époque. Je voulais qu'il soit heureux, qu'il soit libre, qu'il soit concentré sur ses objectifs, sur sa carrière professionnelle. Je voulais qu'il puisse s'épanouir pleinement, qu'il n'y ait pas de distraction qui pourrait l'empêcher de réaliser tout son potentiel. Il en avait besoin, sa famille en avait besoin. De le voir réussir. Il avait tellement donné pour réaliser son rêve de devenir chef cuisinier. Il méritait de pouvoir vivre son rêve, de pouvoir se donner corps et âme dans cet objectif. C'était sa vie qui se jouait, et je ne voulais pas mettre à mal tout un projet, je ne pouvais pas être celle qui allait gâcher sa vie. C'était la vision que j'avais à l'époque et puis, il y avait moi. Incapable d'être mère. Pas de projet de carrière, pas de situation stable, vivant de l'argent de ma famille. Et puis il y avait l'ombre de mon père, sa présence, sa nocivité, son influence. Je ne pouvais pas protéger, aimer et apporter à ce bébé ce dont il avait bébé. « Et tu n'aurais pas pu avec moi. Tu méritais mieux Caleb. » Ma voix se casse un peu sous l'émotion. C'est sans doute la phrase qui sonne la plus sincère. Je me rends compte en prononçant ces mots, que l'émotion m'envahit. Je me tais pour ne pas me faire trahir, pour ne pas craquer aussi. Pas devant lui. Je crois que j'ai donné ce que je pouvais et peut être même encore un peu plus. Je me laisse glisser contre la paroi extérieure du bar, me retrouvant assisse sur le trottoir humide. Je tremble un peu, le froid me donne des frissons. Je garde la tête baissée, rivée sur le béton du trottoir, n'ayant pas la force d'affronter Caleb et de lui montrer ma vulnérabilité actuelle. Je fais ce que je peux, mais j'ai vraiment trop à gérer. Émotions, souvenirs, effets de l'alcool. Et sur l'instant, je me demande pourquoi je suis revenue à Brisbane, pourquoi j'ai tenu à m'infliger ça ? Caleb si tu savais comme te voir me fait si mal ! J'ai envie de lui crier ces mots, mais je ne peux pas, parce que je n'ai pas le droit de lui montrer ma douleur, parce que je n'ai pas le droit de me plaindre. C'est ma faute. J'ai tout gâché toute seule et je n'ai plus qu'à assumer même si putain ça fait mal.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
J’ai imaginé mes retrouvailles avec Alex un grand nombre de fois. Oh oui, croyez-moi. Il fut un temps où j’ai pensé même tous les jours. Mais j’ai arrêté d’y croire le jour où j’ai compris que je le la reverrai plus jamais. Du moins ça c’est ce que je croyais. Ça fait tellement longtemps que l’on s’est vu pour la dernière fois, je me souviens encore des derniers mots que nous avions échangé, des derniers regards. À l’époque j’étais persuadé d’’avoir rencontré la femme de ma vie, celle avec qui je passerai le reste de ma vie. Quelle grossière erreur. Si seulement j’avais su je ne me serais pas autant attaché à elle. Ça m’aurait évité bien des souffrances. Mais on était pourtant si bien ensemble, si heureux. Pourtant je vous assure que personne ne croyait à notre histoire au début, on est si différents elle et moi. Au final on a pas grand-chose en commun. Mais pour le coup on peut clairement dire que oui les contraires s’attirent. « J'habite au 115 Redcliff, comme ça tu sais, si jamais je suis vraiment trop bourrée et que tu dois me mettre à ton tour dans un taxi. » Je prends bien soin de retenir son adresse. Parce que oui quelque chose me dit que je vais devoir la raccompagner chez elle ce soir si elle continue à boire autant. Je n’aime pas la voir dans cet état et je n’ai jamais aimé la voir boire comme ça. Et ça elle le sait, mais ce n’est pas pour autant qu’elle s’arrête de boire. J’ai presque l’impression qu’elle s’en amuse, pour elle tout ça c’est un jeu. Elle veut me provoquer. C’est comme ça que je le vois. Elle me connait beaucoup trop bien. Elle sait comment et quoi faire si elle veut me taper sur les nerfs. Je décide de me montrer plus intelligent qu’elle et de ne pas répondre à ses provocations. Si elle veut boire, qu’elle boive. Après tout ça ne devrait plus me toucher maintenant. Du moins pas autant qu’avant. J’ai tourné la page. Et ça c’est de ta faute Alexandra. C’est ton départ qui m’a obligé à t’oublier. C’est ton silence également. Pourtant moi je n’en avais pas envie. J’étais bien avec elle. Aussi dingue que cela puisse paraître. Parce que oui, personne ne pensait que notre couple durerait. Mais on est restés un an et demi ensemble. Et je sais que si elle n’était pas partie, on serait resté à deux encore plus longtemps. Je ne sais pas si on serait encore ensemble à l’heure d’aujourd’hui. Peut-être que oui, peut-être que non. Au final si le destin a décidé de nous séparer c’est certainement parce que nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre. Même si ça, j’ai eu beaucoup de mal à l’admettre ou plutôt, beaucoup de mal à l’accepter.
On est là, tous les deux assis l’un à côté de l’autre. N’osant pas se regarder dans les yeux trop longtemps. Ça me rappel beaucoup trop de souvenirs. Qu’ils soient positifs ou négatifs. Tout l’amour que j’ai pu ressentir pour cette femme, et toute la souffrance qu’elle m’a fait ressentir en retour. J’ai vraiment besoin de savoir ce qu’il s’est passé pour qu’elle juge nécessaire de partir sans aucune raison. Peut-être qu’elle avait au final une bonne raison pour son départ. Mais à mes yeux, aucune explication ne sera valable pour ce silence de plusieurs années. Il faut assumer les choix qu’on fait dans la vie. Elle m’a quitté, elle est partie, elle ne m’a plus jamais donné de nouvelles. Elle m’a fait mal. Elle m’a tellement fait mal. C’est à elle d’assumer et de m’expliquer le pourquoi du comment. Je décide alors de lui demander des explications. Ce n’est certainement ni le bon moment, ni le bon endroit mais après tout, est-ce qu’il y a vraiment un moment adéquat pour poser ce genre de question ? Je ne pense pas non. Pendant un petit moment j’ai l’impression qu’elle ne laisse rien paraître. Et puis elle se lève pour partir vers la sortie. Non mais c’est une blague là ? Elle n’a pas le droit de me faire ça. Pas encore. Elle ne peut pas fuir une deuxième fois. Il est temps d’assumer Alex. Je soupire tout en quittant à mon tour l’établissement, espérant qu’elle ne soit pas partie bien loin. Mais elle est toujours là, debout sur le trottoir. Elle finit enfin par me répondre. « J'avais besoin d'être seule pour faire le point. » Ce n’est pas une vraie réponse. Ce n’est pas ce que j’attends. Je veux qu’elle soit honnête et sincère avec moi. Je refuse de la laisser s’en sortir comme ça, je veux qu’elle me dise la vérité. Même si ça risque de faire mal, tant pis je m’en remettrais. J’ai connu pire. « Faire le point sur quoi ? Sur nous ? » Généralement quand on commence à ressentir le besoin de faire le point sur son couple ça n’annonce rien de bon. Mais pourquoi tout d’un coup elle a commencé à avoir ce besoin de prendre des distances avec moi ? Est-ce que j’étais trop collant ? Non, je sais que non. Je la laissais vivre sa vie, je suis pas le genre de mec hyper collant et beaucoup trop présent dans la vie de sa copine. Alors elle a dû rencontrer quelqu’un d’autre. Un autre homme qui a dû lui faire poser des questions sur notre couple, sur notre vie à deux. Je ne vois pas d’autres explications. Oui ça doit être ça. Elle a rencontré quelqu’un d’autre. « Ça allait trop vite pour moi. » Comment ça ? Je ne vois pas en quoi tout allait trop vite pour elle. On prenait notre temps, c’est pas comme si je lui avais demandé en mariage et qu’elle avait fini par prendre peur. On était même entrés dans une routine, et ça n’avait pas l’air de la déranger. J’ai dû me tromper là-dessus. Comme sur tout le reste. Je me suis trompé. Comme un con. Putain. « De quoi ça allait trop vite pour toi ? Ça veut rien dire Alexandra. Dis-moi en quoi ça allait trop vite parce que là sérieusement, je suis pas du tout d’accord avec toi. On prenait notre temps, on était bien ensemble. Enfin du moins moi j’étais bien. » Alexandra. Je ne l’appelais jamais comme ça. Sauf quand on se disputait. C’étaient les seules fois où j’utilisais son prénom entier. Donc mon utilisation de son prénom traduit forcément mon agacement. Elle est en train de m’apporter les explications que j’attendais depuis des années et pourtant, les raisons de son départ sont toujours floues. Je n’ai pas vraiment l’impression d’en savoir plus. « Et puis, ensuite il y a eu mon père, ma mère, mon retour à Londres. Et puis, mes études. » Alors là, c’est la cerise sur le gâteau. J’ai l’impression qu’elle-même, elle ne sait pas pourquoi elle est partie. C’est l’impression que sa dernière phrase me donne. Je suis censé être soulagé en apprenant ça ? Bah je le suis pas du tout. Je sais qu’elle a toujours eu des relations compliquées avec son père. Mais j’ai du mal à comprendre ce qu’il vient foutre là. « J'étais à Londres et avec la distance, le temps qui passe, je me suis dis que c'était plus simple d'oublier. » Allez, prends ça dans le gueule Caleb. Je ne sais même pas quoi lui répondre tant ses explications sont floues. Je n’ai pas l’impression d’en savoir plus qu’il y a quelques heures, au contraire elle ne fait que m’embrouiller. Apparemment tout allait trop vite pour elle. Ça à la limite d’accord, je veux bien l’entendre et le comprendre même si, je ne vois pas en quoi les choses allaient trop vite. J’avais au contraire l’impression qu’on prenait notre temps tous les deux. Parce qu’il s’agissait de notre première vraie relation sérieuse et qu’on avait pas envie de tout gâcher. Enfin du moins c’était mon cas. J’ai dû me tromper encore une fois. « Plus simple d’oublier ? » Je reprends volontairement ses derniers mots. « Tu t’es dit que c’était plus simple d’oublier ? Alors notre histoire elle avait aussi peu de valeur à tes yeux ? » C’est comme ça que je le comprends. Si pour elle tout oublier a été si simple alors…Notre histoire n’a pas dû beaucoup compter à ses yeux. Et je dois avouer que j’avais imaginé un grand nombre de scénario mais celui-ci ne m’était jamais venu à l’esprit. Cette conversation est de plus en plus désagréable. J’ai envie de tout s’arrête. À quoi bon ramener le passé à la surface de toute façon ? « Et puis je voulais juste que tu sois heureux, libre, je voulais te laisser vivre ta vie, réussir ta carrière. » Libre ? Mais moi je voulais pas être libre. J’étais bien avec elle. Est-ce que c’est si difficile à comprendre ? Je vivais ma vie quand j’étais avec elle. Et j’étais heureux. Je pense que ça se voyait. « Et tu n'aurais pas pu avec moi. Tu méritais mieux Caleb. » Je la regarde. Sans rien dire pour l’instant. Alors qu’elle se laisse glisser contre le mur de l’établissement, elle finit assise sur le bêton encore un peu humide. Je me tourne dos à elle un petit moment, regardant les gens à moitié bourrés entrer et ressortir du bar. Puis je me retourne face à Alex pour la regarder. J’ai voulu des explications, et bien les voilà. Je peux pas m’en plaindre maintenant. Même si tout n’est pas encore très clair. « C’est trop simple ça. Tu peux pas me dire ça. Moi je m’en foutais de ce que je méritais. J’étais heureux avec toi et j’aurais très bien pu réussir ma carrière si tu étais restée. » Je le pense sincèrement. Je ne vois pas en quoi elle aurait pu me freiner pour atteindre mes objectifs. Elle est toujours assise sur le sol, tremblante à cause du froid. Une partie de moi a envie de partir et de la laisser là, en plan, qu’elle puisse réfléchir à ce que je viens de lui dire. Mais l’autre partie de moi n’a pas envie de la lâcher. De toute manière je me sens responsable d’elle et je me sens obligé de la raccompagner chez elle. J’enlève ma veste et la lui donner, pour qu’elle puisse se réchauffer un peu. Et puis je lui tends ma main pour l’aider à se relever. Avec tout l’alcool qu’elle a dans le sang elle serait certainement incapable de se relever sans tomber dans la seconde qui suit.
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« Faire le point sur quoi ? Sur nous ? » Sa question me ramène quelques années en arrière et me replonge dans mes doutes les plus intimes. Faire le point sur nous oui. Mais surtout sur cette nouvelle donne, sur cette petite chose qui venait redistribuer les cartes de notre vie, de notre quotidien, de notre couple. Je ne peux pas répondre à sa question, je ne peux pas lui apporter les réponses qu'il attends de moi. Mais même si je me refuse à apporter une précision à sa question, je me sens submergée par mes émotions et par les questionnements de l'époque. Je tente de balayer rapidement les souvenirs de cette période, de mes doutes et de mes peurs qui m'avaient poussé à prendre une décision radicale et qui m'avait fait fuir loin de lui, loin de tout ce qui faisait ma vie à Brisbane. Alors je détourne la question et je me contente de lui avouer que les choses allaient trop vite pour moi. Erreur, mauvais choix de mots encore. « De quoi ça allait trop vite pour toi ? Ça veut rien dire Alexandra. Dis-moi en quoi ça allait trop vite parce que là sérieusement, je suis pas du tout d’accord avec toi. On prenait notre temps, on était bien ensemble. Enfin du moins moi j’étais bien. » J'encaisse avec douleurs ses mots. Parce que je sais qu'il a raison. L'entendre me dire qu'il était bien avec moi me fait tellement mal. Et puis il y a l'emploi de mon prénom complet. « Alexandra ». Mon prénom qu'il n'employait que lorsque je l'avais blessé ou que j'avais été trop loin. Je le sais blessé, je le sens frustré et je sais que je suis responsable. Je vois que mes tentatives d'explications ne suffissent pas, que ça ne l'aide pas. Mais je sais aussi que la vérité serait encore pire à entendre pour lui et à avouer pour moi. J'aimerais lui avouer que moi aussi j'étais bien avec lui, mais je sais que ça ne ferait que renforcer les interrogations et les doutes. J'aimerais aussi pouvoir lui avouer la vérité, mais je ne suis pas assez forte, pas dans mon état actuel. Je ne peux pas le voir me détester, je ne suis pas prête à voir le dégoût dans ses yeux. Je sens son agacement et je n'ose le regarder. Je le blesse, encore. Il a toujours été meilleur que moi et je me sens si coupable, si égoïste. Mais au fond, c'est ce que je suis une égoïste. Je suis partie du jour au lendemain, le laissant seul sans nouvelle. Et je reviens à Brisbane après des années de silence, parce que j'ai besoin de soulager ma conscience. Je n'ai pas pensé à lui et à sa douleur, encore une fois je n'ai pensé qu'à moi. Comme le jour ou j'ai choisi de l'oublier, sans jamais y parvenir. Je l'ai obligé à tourner la page, je suis partie espérant qu'il puisse refaire sa vie parce que je ne pouvais plus être avec lui. Pas après ce que j'avais fais comme choix. « Plus simple d’oublier ? Tu t’es dit que c’était plus simple d’oublier ? Alors notre histoire elle avait aussi peu de valeur à tes yeux ? » « Tu comprends rien. » Sa réaction m'agace. Comment peut-il penser ça ? Bon je ne peux pas lui en vouloir, après tout, mes actes et mes mots pourraient vraiment laisser planer un doute sur le sujet. Mais ça me blesse qu'il puisse penser que je n'en avais rien à faire de lui. Et pourtant, il a le droit de penser ça, après tout je suis partie comme ça, sans un mot. Sans un au-revoir. Je suis juste partie, du jour au lendemain. Avec mes affaires et sans même une explication pour lui. Un matin, j'ai fais ma valise et je suis partie. Et le soir quand il est rentré du travail, j'avais disparu ... « Ce fut la décision la plus difficile de ma vie, mais je devais la prendre. » Je lui réponds presque dans un chuchotement, comme si lui avouer me mettait dans une position délicate. Mais pourtant ce n'est que la vérité. Le quitter, lui mentir, vivre loin de lui avait été la décision la plus difficile et peut être aussi la plus mauvaise. Ça et l'abandon de notre enfant. Mais cet élément j'ai encore un peu de lucidité pour ne pas le lui dire, de ne pas le dévoiler. Mais me rappeler ce fait, me conforte dans mes pensées, il méritait mieux que moi, chose avec laquelle il n'a pas l'air d'être d'accord. « C’est trop simple ça. Tu peux pas me dire ça. Moi je m’en foutais de ce que je méritais. J’étais heureux avec toi et j’aurais très bien pu réussir ma carrière si tu étais restée. » J'étais heureux avec toi. Ses mots me touche, peut être un peu trop. Il est devant moi, et si pendant toutes ces années, j'ai essayé de me persuader que j'avais fais le meilleur choix possible pour tout le monde. La, face à lui, le peu de certitude que je pouvais avoir, s'envole. Oui on était heureux, j'étais heureuse mais cette grossesse, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas assumer un bébé, je ne pouvais pas lui imposer un bébé. Il y avait bien trop d'enjeu pour lui, pour moi, pour nos familles. Il se retourne, me tournant le dos. Pendant quelques secondes, je crains qu'il ne parte. Ces retrouvailles me font mal, j'ai eu envie de m'enfuir une dizaine de fois depuis que j'ai croisé son regard dans le bar. Et pourtant j'ai peur de le voir partir, de le voir me tourner le dos. Je me sens démunie face à lui et pourtant je crains qu'il se dise que c'en est trop et qu'il prenne la décision à son tour de m'abandonner. Je regarde le sol, ne voulant pas assister au moment ou petit à petit sa silhouette disparaîtrait au coin de la rue. Silencieuse, assisse sur le sol humide, je tremble. Le froid, les émotions, et la fatigue maintenant qui s'ajoute à tout ça. Parce que la soirée a été longue et que j'ai bien trop bu. Les efforts que je fais pour me concentrer, pour ne pas me dévoiler ont puissé dans mon énergie et je me sens si vulnérable. C'est fou qu'une même personne puisse à la fois vous faire sentir si forte par moment et si fragile aussi. Et d'un coup, je sens la chaleur sur mes épaules, je sens qu'il dépose sa veste sur moi. Je ne mérite pas qu'il s'occupe de moi, je ne mérite pas qu'il prenne soin de moi. Mais je ne dis rien et j'accepte son geste. Je sens son odeur. Il a changé de parfum. C'est la première chose que je constate. La deuxième me surprends moi même, mais je me fais la réflexion intérieure que sa veste ne sent pas le parfum de fille. Pourquoi cette pensée me traverse et me soulage quelques secondes ? Je relève la tête vers lui, et je vois la main qu'il me tends. J'aurais pu refuser, rester assisse sur le sol de ce trottoir en attendant que mon corps élimine tout l'alcool que j'ai ingurgité. Mais sans vraiment réfléchis, j'attrape sa main. Je n'ai plus la force de me battre ou de lutter. Il a détruit mes barrières une à une et ce putain d'alcool qui devait m'aider à gérer, me plonge encore plus dans la nostalgie du moment, de mes souvenirs. Ma légèreté, mon arrogance, mes provocations, il est passé par dessus tout ça et je me sens perdue. Sans issue. Je serre sa main et je me relève avec difficulté. Le sol bouge sous mes pieds, ma tête tourne, je dois fermer les yeux quelques secondes pour ne pas chuter. Je peine à trouver mon équilibre. Putain, mais comme j'ai honte de l'image que je lui renvoies et pourtant je trouve encore le moyen de tirer profil de la situation. « Regarde moi Caleb! » Je me surprends presque moi même à m'exprimer avec un peu trop d'entrain. « Regarde moi et dis moi que tu ne mérites pas mieux que ça ? Dis moi que je ne te fais pas honte. » Ma main resserre la pression sur la sienne, comme si je cherche à m'accrocher à lui alors que je le provoque une nouvelle fois. Je ne sais plus ce que je fais, ni ce que je veux. J'ai peur de le voir partir alors je m'accroche à lui et pourtant, je continue à le pousser à bout. Le ton de ma voix retombe un peu, alors que mes yeux cherchent son regard. Il ne pleut plus, et pourtant mes yeux et mes joues sont humides. J’essuie d'un revers de la main les larmes qui ont coulé sur mon visage. Je ne sais pas à quel moment elles ont commencé à couler, je n'ai même pas réalisé que je pleurais. Pathétique. Alors je me calme, trahis par mes émotions, par mes larmes qui marquent visuellement tout ce que je peux ressentir. Des larmes qui dévoilent toute ma fragilité émotionnelle. Je suis totalement à sa merci, émotionnellement et physiquement. Sans lui, je m'écroulerais au sol, au sens premier du terme. « Tu m'as rendu meilleure Caleb, mais au fond je ne suis pas aussi bonne que toi. J'aurais aimé être bien pour toi, mais j'ai fais trop de mauvais choix, trop d'erreurs impardonnables. Je n'étais pas en mesure de te donner autant que toi tu pouvais donner. Je voulais que tu arrêtes de perdre ton temps avec moi et que tu rencontres quelqu'un comme toi, quelqu'un de bien. Quelqu'un dont tu puisses être fier, quelqu'un qui aurait pu te donner une vie stable, quelqu'un qui n'allait pas te faire souffrir ou t'abandonner. » Quelqu'un qui aurait pu t'offrir une vie de couple, de famille stable. Quelqu'un qui n'aurait pas décidé d'abandonner ton enfant sans même t'en parler. Quelqu'un de stable et d'équilibré en soit. « Tu as été heureux après mon départ ? » La question sort d'elle même alors que je ne suis pas certaine d'avoir envie d'en connaître la réponse. Je ne sais pas de quoi j'ai le plus peur, qu'il ait été heureux sans moi, ou qu'il n'ait jamais pu l'être à cause de moi. « Laisse tomber ça me regarde pas, je suis fatiguée Caleb, et je crois que j'ai trop bu. » Une constatation amère que je fais avec honte. Je le regarde avec mes yeux rougis, je dois avoir une belle allure avec mon mascara qui n'est pas waterproof. Je n'ai pas réellement songé à finir ma soirée en larmes lorsque je m'étais maquillée pour cette réunion de travail. « J'ai froid et je veux juste rentrer chez moi. » J'ai l'impression de le supplier. Comme une enfant perdue qu'on empêcherait de rentrer chez elle. Ma petite voix l'implore presque de mettre fin à mes souffrances et de me laisser rentrer chez moi. Ma tête tourne encore, et l'humidité de mes vêtements me fait frisonner à chaque petit brin d'air. Pourquoi je suis aussi faible face à lui, pourquoi je n'arrive pas à assumer quoique ce soit ? « Je suis désolé Caleb. » Un aveux de culpabilité qui me serre l'estomac et qui me fait pleurer à nouveau. J'aimerais pouvoir tout lui dire, comme ça sans avoir à tourner autour du pot, sans avoir à craindre sa réaction. Mais c'est impossible, je suis complètement tétanisée par l'idée qu'il puisse me détester pour ça et je sais qu'il en aurait totalement le droit. Je sais que je vais devoir lui dire la vérité, un jour. Je sais que je suis revenue à Brisbane en grande partie pour ça, mais je ne suis pas prête. Pas prête à devoir lui dire adieu. Je le regarde, et j'ai juste envie de me blottir dans ses bras, et qu'il me chuchote à l'oreille que tout va bien se passer, comme il le faisait à l'époque. Je me laisse envahir par mes souvenirs, par mes sentiments pour lui. Ça fait mal d'être face à lui, ça fait mal d'être vulnérable. J'ai autant envie de le fuir que de m'accrocher à lui. Parce qu'au fond je ne sais pas ce qui est le pire, qu'il me déteste pour l'avoir quitté sans raison, ou qu'il me déteste pour les raisons qui m'ont poussé à le quitter ? Je ne mérite pas son attention, son pardon. Je suis incapable de lui donner les réponses qu'il attends et pourtant je ne veux pas qu'il parte. « Je veux pas être seule. » Quelques mots murmurés alors que je lâche sa main, m'éloignant un peu de lui tout en titubant à moitié. Je me suis rarement sentie aussi fragile qu'à ce moment précis et si j'avais une dose de n'importe quoi sur moi, j'aurais déjà craqué depuis longtemps au risque de mettre à mal mes années d’abstinences.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
Je continue à lui poser des questions auxquelles je n’aurais certainement aucune réponse. Je lui demande pourquoi elle avait ressenti le besoin de faire le point sur notre couple. Parce que moi j’étais heureux avec elle, et je ne pensais absolument pas à m’éloigner d’elle au contraire. Elle n’a pas le droit de faire ça. Elle ne peut pas décider de ne pas me répondre parce que j’attends ces réponses depuis des années. Mais elle reste pourtant silencieuse. Elle ignore ma question. Et ça m’agace. Je ne me gêne pas pour lui montrer, je soupire. J’ai besoin d’avoir des réponses à mes questions, mais je n’en aurais certainement pas. C’est un peu comme si elle avait quelque chose à me cacher. Ou bien comme si elle n’assumait pas cette décision de partir qu’elle a prise il y a plusieurs années. Je préfère la deuxième option à choisir. Parce que oui je pourrais totalement comprendre qu’elle n’assume pas cette décision. Ce qu’elle a fait c’était horrible. Elle m’a laissé en plan. Comme une merde. Comme si notre histoire n’avait jamais eu aucune valeur à ses yeux. Et ça par contre ça fait mal. Même à l’heure d’aujourd’hui. Parce que je sais à quel point moi je l’aimais. Je sais que j’étais prêt à tout pour elle, que moi à l’époque je la voyais comme la femme parfaite, la femme de ma vie. Malgré tous les défauts qu’elle pouvait avoir, pour moi toutes ces petites imperfections la rendaient encore plus parfaite. Mais ça ne devait pas être réciproque. Ou du moins pas autant. Parce qu’elle, elle est partie. Elle a disparu. Sans un putain de mot. Et je lui dis clairement qu’avec tout ce qu’elle est en train de me dire, elle me donne l’impression que notre histoire n’avait pas autant d’importance à ses yeux qu’elle en avait pour moi. « Tu comprends rien. » Je rêve ou elle est en train de me reprocher de ne pas comprendre tout ce qu’elle me dit ? Mais en même temps rien n’a aucun sens. Une nouvelle fois, je soupire. « Alors aide-moi à comprendre ! » C’est tout ce que je demande moi, je veux comprendre. Et ça me semble pourtant pas si compliqué que ça. Il te suffit de me dire la vérité Alexandra. Moi aussi j’ai envie de lui dire tout ce que je ressens. J’ai envie de lui dire à quel point elle m’a fait souffrir. J’ai envie de lui dire qu’à cause d’elle, j’ai passé une année de ma vie à penser à elle à me remettre en question parce que j’étais persuadé qu’elle était partie à cause de moi. Parce que j’avais fait quelque chose de mal. Je n’ai fait que penser à tout ça. Pendant un an. C’est en partie à cause d’elle que je suis partie en Europe. Grâce à elle que j’ai rencontré Victoria. Que j’ai redécouvert l’amour. Sans son départ Victoria serait restée en France puisqu’elle ne m’aurait jamais rencontré. Elle serait certainement encore en vie, mariée à un français. Je suis sûr qu’elle aurait déjà des enfants. Elle aurait eu la vie qu’elle méritait. « Ce fut la décision la plus difficile de ma vie, mais je devais la prendre. » me répondit-elle dans un murmure. Je pose mon regard sur elle. C’est facile à dire. J’ai l’impression que je n’arrive pas à croire un mot de tout ce qu’elle me dit. Si partir a été aussi dur qu’elle le prétend alors pourquoi est-ce qu’elle l’a fait ? Si ça n’a pas été fait de gaieté de cœur ? J’ai du mal à la comprendre. J’avais oublié à quel point Alex Clarke était difficile à suivre. Chose qui, autrefois ne me dérangeait pas plus que ça. Mais en même temps j’étais naïvement amoureux. Incapable d’accepter qu’elle avait réellement des défauts. « Pourquoi est-ce que t’es partie si c’était une décision si difficile à prendre ? » lui demandais-je d’un ton calme. Je la regarde dans les yeux, j’essaie encore une fois de capter son regard. Je veux vraiment qu’elle me réponde sincèrement, et le ton que j’ai employé le laisse entendre. Non seulement je veux des réponses à cette question mais j’en ai aussi vraiment besoin. J’ai besoin de savoir pourquoi elle a décidé d’abandonner cette petite vie qu’on commençait à construire petit à petit tous les deux. « Même si la réponse risque de me faire mal, s’il te plaît sois sincère avec moi… C’est tout ce que je te demande. » Si notre histoire a compté un minimum pour elle, elle devrait être en capacité de me dire la vérité.
Je ne pensais pas la revoir un jour. Je m’y étais fait à cette idée à vrai dire. Je ne dis pas que ça me plaisait, mais je m’y étais juste fait. Et honnêtement je ne pensais pas que ces retrouvailles me perturberaient autant. Me retrouver face à cette femme que j’ai tant aimée fait remonter tout un tas de sentiments que je n’avais pas ressenti depuis un petit moment. Alexandra Clarke, si tu savais ce que tu représentais pour moi il y a dix ans. Mais tu as tout gâché. Tu es partie. Je suis dos à elle. J’ai besoin de réfléchir à tout ça. J’ai besoin de prendre du recul. J’ai envie de rentrer chez moi, de m’endormir et de me réveiller en me rendant compte que tout ça n’était un rêve. C’est à mon tour d’avoir envie de fuir. Elle l’a fait la dernière fois. Je ne sais pas encore vraiment si la revoir me fait vraiment plaisir. Une partie de moi va vous dire que oui, je suis heureux de la revoir. Mais une autre partie de moi vous dira l’inverse. Elle vient d’entrer à nouveau dans ma vie aussi facilement qu’elle en est sortie la dernière fois. Je me retourne vers elle pour la regarder à nouveau. Je sais qu’elle ne me regardera pas. Parce qu’elle ne l’a fait que trop peu de fois depuis tout à l’heure. Elle tremble, elle a froid. J’enlève ma veste pour lui mettre sur les épaules. Toujours ce besoin de vouloir la protéger, je ne veux juste pas qu’elle ait froid, c’est tout. Rien de plus. Je lui tends ma main pour l’aider à se relever. Si elle reste assise sur le sol humide, elle risque d’avoir froid encore longtemps. Elle relève le regard vers moi, je la regarde un court instant. Elle accepte mon geste et m’attrape la main pour se relever. La voilà maintenant juste en face de moi. Je vois bien que lorsqu’elle s’est relevée elle a tout de même failli tomber. Mon Dieu, je déteste la voir comme ça. Elle mérite tellement mieux… je voudrais qu’elle arrête de boire autant. « Regarde moi Caleb ! » Surpris par sa demande, je la regarde comme elle me le demande. « Regarde moi et dis moi que tu ne mérites pas mieux que ça ? Dis moi que je ne te fais pas honte. » Je sens sa main resserrer la mienne. Elle n’a pas une bonne opinion d’elle-même. Pour une fois c’est elle qui cherche mon regard, je finis par la regarder dans les yeux un court instant. « J’ai jamais eu honte de toi Alex, tu le sais. Au contraire. » Je ne mérite pas mieux non. Elle est comme mes parents et ma sœur elle m’idéalise beaucoup trop. Je ne suis pas parfait. Il va falloir qu’ils arrêtent de penser ça. J’ai tué quelqu’un. Elle ne le sait pas. Mais j’ai tué ma fiancée dans un accident de voiture il y a deux ans. Alors non, je ne mérite pas mieux. Je ne suis pas parfait. S’il-vous-plaît arrêtez de penser ça. C’est agaçant. Vraiment. Elle pleure. Ce qui me fait mal. Je n’aime pas la voir pleurer. Après tout ce qu’il s’est passé, après l’avoir aimé et puis détesté. Je ne veux pas la voir verser à nouveau des larmes. Pas pour moi. Pas à cause de moi. « Tu m'as rendu meilleure Caleb, mais au fond je ne suis pas aussi bonne que toi. J'aurais aimé être bien pour toi, mais j'ai fais trop de mauvais choix, trop d'erreurs impardonnables. Je n'étais pas en mesure de te donner autant que toi tu pouvais donner. Je voulais que tu arrêtes de perdre ton temps avec moi et que tu rencontres quelqu'un comme toi, quelqu'un de bien. Quelqu'un dont tu puisses être fier, quelqu'un qui aurait pu te donner une vie stable, quelqu'un qui n'allait pas te faire souffrir ou t'abandonner. » Elle se dénigre tellement. Mon Dieu. Pourquoi est-ce qu’elle est si difficile avec elle-même. Je ne la quitte pas des yeux quand elle parle. Et nos mains sont toujours entrelacées. D’ailleurs, je devrais peut-être lui lâcher la main non ? mais je ne le fais pas. Je ne fais pas vraiment pourquoi. Peut-être que j’aurais dû. J’en sais rien en fait. Je soupire, encore une fois. « Je suis pas parfait Alex, tu le sais. Je suis loin de l’être. Arrêtez tous de m’idéaliser comme ça ! » Je ne crie pas mais je suis agacé, et c’est le ton de ma voix qui me trahi. « À l’époque tout ce que je voulais c’était être avec toi. Je m’en foutais du reste. T’étais la seule chose qui m’importait. Tu étais quelqu’un de bien. Et je suis sûr que tu es toujours quelqu’un de bien. Je perdais pas mon temps avec toi parce que tu étais juste la seule chose que je voulais et la seule chose dont j’avais besoin. J’étais fier d’être avec toi et fier de la vie qu’on était en train de construire. C’est toi qui a tout gâché en te barrant. » Je veux qu’elle comprenne qu’elle était pour moi. Je veux qu’elle comprenne que si elle n’était pas partie, je suis sûr qu’on aurait pu construire une belle vie elle et moi. Mais c’est elle qui en a décidé autrement en partant. C’est pour ça que je pense avoir le droit de comprendre pourquoi non ? « Tu as été heureux après mon départ ? » Mon cœur manque un battement et se resserre. J’ai rencontré Victoria après son départ. Oui, j’ai été heureux. Mais je n’ai pas franchement envie de parler de ma défunte fiancée à mon ex-petite amie. Ça serait plutôt étrange. Je romps ce contact visuel et je baisse le regard. « Oui. » Pas immédiatement après son départ non. « Plus d’un an après ton départ je suis partie un an en Europe. J’ai rencontré quelqu’un là-bas. » Je me doute qu’entendre ça risque de lui faire mal. Mais elle m’a posé la question, elle a sa réponse. « Mais si t’étais pas partie je serais resté en Australie. » Cette fois je le regarde en lui disant cette phrase. Je ne rentre pas dans les détails. Je reste très vague. Je ne pense pas qu’elle veuille vraiment toutes les informations de la relation que j’ai menée avec Victoria de toute manière. « Laisse tomber ça me regarde pas, je suis fatiguée Caleb, et je crois que j'ai trop bu. » Non tu crois ? Je lève les yeux au ciel, agacé par cet aveux. Au moins elle se rend compte qu’elle a abusé de l’alcool ce soir c’est déjà ça. « J'ai froid et je veux juste rentrer chez moi. » Je sors mon portable pour regarder l’heure. « Je suis désolé Caleb. » Je tourne la tête pour la regarder longuement sans rien dire. Je laisse un blanc de quelques longues secondes s’installer. « Donc c’est tout ce que tu vas me dire hein ? Tu penses pas que j’ai le droit de connaître toute la vérité ? » Je dis tout ça d’une vox calme, sans trop insister. Je passe ma main libre dans mes cheveux et je me mets à nouveau à éviter son regard. Je suis dépité. J’ai attendu ce moment si longtemps et je n’ai toujours pas de vraies réponses. « Je veux pas être seule. » me dit-elle dans un murmure. Elle me lâche la main. Je la regarde. Je regarde les personnes autour de nous. Je les avais presque oublié. Pendant ces minutes j’avais cette impression qu’il n’y avait plus qu’elle et moi. « Ouais euh…je vais te raccompagner de toute façon je te l’ai promis. » Et quand je promets quelque chose, je tiens toujours parole. Je m’avance au bord du trottoir pour faire signe à un taxi qui passait justement dans la rue. J’ouvre la portière arrière et je laisse Alex monter en premier, je referme la porte derrière moi en donnant au chauffeur de taxi l’adresse d’Alex. Vu son état je ne me voyais pas simplement la lâcher dans un taxi et repartir de mon côté. Je préfère la raccompagner chez elle directement, histoire d’être sûr qu’elle soit saine et sauve et bien arrivée à destination.
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
« Pourquoi est-ce que t’es partie si c’était une décision si difficile à prendre ? Même si la réponse risque de me faire mal, s’il te plaît sois sincère avec moi… C’est tout ce que je te demande. » Sur le moment, je ressens toute l'importance d'une réponse pour Caleb. Je ressens son besoin de trouver un sens à tout ça, et une petite partie de moi a envie de lui crier la vérité. Mais cette envie est vite enterrée. Oui la réponse va faire mal, je le sais, je le connais. Il va m'en vouloir, il va me détester, et il ne va pas comprendre parce que je sais que mes raisons n'auront pas de poids devant l'ampleur du choix que j'ai fais. Alors, je le regarde silencieuse, encore une de ses questions qui restera sans réponses pour le moment. Mais il commence à en avoir l'habitude. Il est resté plusieurs années sans réponse, il peut bien attendre encore un peu après tout non ? Ma main dans la sienne, je cherche à détourner la discussion. Je ne vais pas répondre à sa question et je ne veux pas qu'il puisse insister encore. Alors je lui fais une ''scène'', je lui montre ce que je suis devenue, du moins une facette de ce que je suis devenue. Et sa réponse me laisse une nouvelle fois sans voix. « J’ai jamais eu honte de toi Alex, tu le sais. Au contraire. » Je suis à deux doigt de lui balancer que je suis une droguée mais je ne fais rien. Parce qu'au fond, je ne veux pas qu'il ait honte. Quelle putain d'incohérente et d'ambivalente je suis. Mais même si je ne lui révèle pas mon passé peu glorieux, je sais que je n’échapperais pas à la première fois ou il aura honte. Parce que le jour ou il apprendra la vérité, je sais qu'il aura honte et c'est peut être aussi ce qui explique pourquoi j'ai si peur de lui dire la vérité. « Je suis pas parfait Alex, tu le sais. Je suis loin de l’être. Arrêtez tous de m’idéaliser comme ça ! » Je ressens son agacement, mais je ne le comprends pas. Lui pas parfait ? Mais j'ai beau faire tout ce que je peux pour le pousser à bout, pour tenter de le faire fuir, juste pour éviter de lui apporter des réponses qu'il mérite. Et lui reste calme, prends soin de moi, sans me répondre ou s'énerver alors qu'il en aurait tout les droits au vu de ce que je lui ai fais vivre. Il est parfait et ça me tue. Parce que je sais que si je lui avais dis la vérité à l'époque, il aurait été là pour moi, pour nous. Et voilà que je me mets à parler d'un ''nous'' avec ce bébé. Il n'y a jamais eu de ''nous'', je l'ai privé de ça. Et, je sais qu'il aurait été prêt à tout sacrifier, qu'il ''nous'' aurait fait passer avant ses rêves et sa vie. Et c'est bien là le problème. Je ne voulais pas qu'il se sacrifie pour moi, je ne voulais pas qu'il perde tout ses rêves pour moi. Parce que je sais qu'il aurait réussi à me convaincre que tout allait bien se passer, qu'il aurait trouvé des solutions pour tout parce qu'il est lui, parce qu'il est cet homme posé, calme, généreux, réfléchis et altruiste dont je suis tombée amoureuse. Et parce qu'il était l'opposé des autres types que je pouvais croiser en soirée, parce qu'il voyait le bon en moi même dans les moments plus compliqués quand je pouvais déconner et abuser lors de certaines sorties. Parce qu'il me faisait me sentir aimée, et que je manquais cruellement d'amour. Il avait comblé ce manque à lui tout seul. Mais pourquoi il ne me déteste pas ? Ce serait dur à encaisser pour moi, mais ce serait moins douloureux que de l'entendre me dire encore et encore qu'il m'aimait au passé et qu'il nous voyait construire une vie ensemble. Et comme si je n'avais pas assez mal, j'avais comme une conne posait la question fatidique. Et en égoïste que je suis, j'avais ressenti plus de douleurs que de soulagement en l'entendant m'avouer qu'il avait rencontré quelqu'un et qu'il était heureux. Je n'avais pas le droit d'être jalouse, c'était bien trop cruelle même venant de moi. « Tu mérites plus que quiconque d'être heureux Caleb. » Je le pense sincèrement, même si ça me fait mal. Je suis celle qui a détruit notre bonheur commun, notre histoire alors je mérite de souffrir, pas lui. Je l'imagine avec une autre femme et cette pensée me déstabilise encore un peu. Quelle conne je fais. J'ai eu des relations, bon d'une nuit, mais des relations, et je suis pourtant surprise de découvrir que lui, un homme aussi bien que Caleb, a refait sa vie ? Et le pire c'est que ça m'affecte bien trop. Il faut que je mettes fin à ces retrouvailles. L'excuse de la fatigue, de l'alcool va faire l'affaire. Je veux juste rentrer chez moi Caleb, pouvoir digérer toute cette soirée. « Donc c’est tout ce que tu vas me dire hein ? Tu penses pas que j’ai le droit de connaître toute la vérité ? » Oh que si, il avait le droit de connaître la vérité et j'ai conscience de cette réalité. Mais pourtant, je n'ai pas du tout envie qu'il la connaisse. J'ai fais le choix de revenir à Brisbane pour assumer mon passé, et ça passe par assumer auprès de lui, mais pas maintenant, pas si vite. Je m'en sens pas encore capable, et pourtant une part de moi me crie que plus j'attends, plus ce sera douloureux. Et au fond, je me demande si j'aurais un jour la force de lui avouer. « Tu ne veux pas vraiment savoir la vérité, sinon tu aurais déjà compris Caleb. » Résignée, fatiguée, bien trop alcoolisée je lui apporte une réponse énigmatique qu'il ne va pas aimer, je le sais mais pourtant je ne peux m'empêcher de penser que ce serait tellement plus simple s'il venait à comprendre de lui même. Si son cerveau pouvait ne serait-ce qu'imaginer cette option de lui même, le choc serait moins grand. C'est tellement injuste de ma part de vouloir l'accabler d'une part de la responsabilité de ce secret que j'ai si bien gardé. Mais mon père a découvert mes secrets, alors lui aurait pu aussi non ? Je pense soudainement à Rachel et à Sami, les deux seules personnes à avoir été dans la confidence et je comprends face à Caleb que même après mon départ, ils ont gardé mon secret sans jamais me trahir. J'étais réellement entourée de bonnes personnes et j'avais tout gâché, littéralement tout gâché en partant, sur ce point Caleb a totalement raison et je ne peux que constater amèrement les effets de ma décision. A ce moment j'ai senti la nostalgie des souvenirs, les regrets de cette époque ou tout allait bien. Et je lui ai avoué dans un élan de vulnérabilité que je ne veux pas être seule. « Ouais euh…je vais te raccompagner de toute façon je te l’ai promis. » Je n'ajoute rien, je resserre son manteau autour de moi pour me protéger du froid et j'attends que le taxi s'arrête devant nous. Je suis à bout de force, frigorifiée et bien trop bourrée pour avoir une quelconque retenue. Je peine à monter dans le taxi et c'est à ce moment que je prends conscience, que j'ai réellement trop bu, mais vraiment trop. Peut être que finalement, demain je vais vraiment avoir oublié cette soirée, c'était mon but après tout non ? Pour voir si l'objectif est atteint, je vais devoir attendre le réveil de demain. Ce qui est sur c'est que j'aurais une bonne gueule de bois, mais pour le moment je dois me contenter de lutter contre le sommeil qui me guette. Assise dans le taxi, le manteau de Caleb toujours sur moi, je sens mes yeux qui se font de plus en plus lourds. La chaleur du taxi me réchauffe un peu, mais pas assez pour éviter les frissons alors que mon corps se relâche de plus en plus. Je suis avec Caleb, mon ex, dans un taxi en mouvement. Un endroit clôt, sans aucune option pour m'enfuir et pourtant au lieu de me sentir enfermée, prise au piège. Je me sens étonnamment en sécurité. Est-ce la présence du chauffeur comme tiers qui me rassure ou juste l'odeur de Caleb que je peux sentir à quelques centimètres de moi ? Je ne peux comprendre ce sentiment de sécurité qui m'habite, déjà qu'en temps normal, j'ai du mal à me comprendre, alors bourrée, je ne cherche même pas vraiment à essayer de trouver un sens à tout ça. Mais, s'il y a une chose dont je suis consciente, c'est que je sais au fond de moi qu'il ne m'arrivera rien, je suis étonnamment sereine assisse dans ce taxi la veste de Caleb sur mes épaules. Dans n'importe quel autre taxi, en compagnie de n'importe quel homme que j'ai pu croiser après une soirée alcoolisée, je n'aurais jamais pu me laisser submerger par la fatigue. Mais ce n'est pas n'importe quel homme, c'est Caleb. Je tourne la tête vers la vitre regardant défiler le paysage. Je ferme les yeux quelques secondes, pour soulager le mal de tête que me provoque le trajet en taxi mais aussi parce que mes paupières commencent à être bien trop lourdes et que je n'ai plus envie de lutter. Après tout, dormir semble être une idée plus que tentante. Mon corps le réclame, je le réclame et puis c'est aussi le meilleur moyen d'échapper aux questionnements de plus en plus pressants de Caleb. Mes clés dans la main, le manteau de Caleb sur mon dos, je sens mes muscles se relâcher doucement. Le silence de l'habitacle est curieusement appréciable, je me laisse bercer par le bruit du moteur. Petit à petit ma tête bascule à mesure que je m'endors, ne contrôlant plus mes muscles. Je sais que je vais m'endormir et je sais que Caleb sera frustré voir énervé de me voir me défiler encore. Mais je ne peux plus ce soir. Ma main se relâche et je sens mes clés glisser le long de ma paume, mais je n'ai plus de réflexe, plus de moyen de réagir. Elles tombent au sol dans un bruit qui vient briser le silence du moment. Mais je me sens de plus en plus légère, imperturbable. Ma tête glisse sur le coté et vient heurter quelque chose de dur. Je m'endors et même ce contact ne semble pas en mesure de me tirer de mon état de léthargie. Je bouge un peu pour trouver une position convenable et je me retrouve la tête sur son épaule involontairement. Je l'entends respirer, tout prêt de moi et ça m'apaise. J'aurais du bouger, par respect pour lui. Ne pas lui imposer ce contact physique mais je somnole bien trop pour réagir. « Je te dirais tout, un jour. Promis. » Dans un murmure presque inaudible, je lui glisse ces derniers mots avant de cesser toute lutte contre un sommeil qui s'empare de moi. Je sais qu'il devra me réveiller, qu'il va galérer. Je sais qu'il devra sûrement m'aider à sortir de ce taxi, je sais que ça va encore lui demander beaucoup d'efforts, et je sais que je vais me réveiller demain sans me rappeler de la manière dont je suis rentrée, mais je ne pense plus à tout ça. Mon corps se relâche complètement contre lui. Plusieurs années se sont écoulées, plusieurs années de silence. Et pourtant, j'ai vu en une soirée qu'il est toujours un homme digne de confiance, du moins il a toujours ma confiance. Je sais qu'il ne pourrait rien m'arriver avec lui à mes cotés. Du moins jusqu'à ce qu'il sache la vérité et peut être que ce jour, ce sera de lui dont je devrais me méfier, mais pas ce soir…
“Some time in the future maybe we can get together. Maybe share a drink and talk awhile, and reminisce about the days when we were still together”
Alex est extrêmement silencieuse. Moi qui dans le temps pouvais l’écouter parler de tout et de rien pendant des heures et des heures. Je la bombarde de questions qui demeurent sans réponse. Après tout, je ne sais pas pourquoi je persiste cet interrogatoire il ne mènera à rien dans tous les cas. Elle est complètement bourrée, je ne sais pas si je l’avais déjà vu dans un état aussi pitoyable. Je sais qu’avant de me rencontrer elle passait beaucoup de temps dans les bars, elle sortait beaucoup. C’est notre relation qui l’a calmée. Mais jamais je ne l’avais vu se mettre une mine à ce point. Je me demande si c’est ma présence qui l’a poussée à boire autant ? Je n’espère pas. Je n’ai clairement pas envie de me dire que je suis le responsable de la Alex bourrée que j’ai devant moi. Elle mérite tellement mieux que ça. Tellement mieux… elle a une opinion d’elle-même si mauvaise. Je sais que c’est une fille bien. Mais elle, elle ne le sait pas. Je suis tellement con. J’arrive encore à dire que la fille qui m’a planté comme la dernière des merdes il y a presque dix ans est une fille bien. C’est certainement parce que je sais que si elle a fait ça, c’est qu’elle avait une bonne raison de le faire. Du moins j’en suis quasiment sûr. « Tu mérites plus que quiconque d'être heureux Caleb. » Ce bonheur je l’avais mais je l’ai tué. Quand on sait ça on ne peut clairement pas dire que je mérite plus que n’importe qui d’être heureux. Parce que c’est faux. Quand on a tué sa fiancée dans un putain d’accident de voiture on ne mérite pas le bonheur. De toute façon, est-ce qu’après une perte pareille on peut encore prétendre pouvoir être heureux un jour ? Voilà deux ans que je me pose cette question. Question qui, encore une fois demeure et demeura sans réponse. Je décide moi aussi d’être silencieux. Je ne lui réponds pas. De toute façon qu’est-ce que vous voulez que je lui dise ? Je ne suis pas spécialement d’accord avec elle. Je ne mérite pas plus le bonheur que les autres. Mais tout ça je le garde pour moi. Je préfère me taire, ça vaut mieux. « Tu ne veux pas vraiment savoir la vérité, sinon tu aurais déjà compris Caleb. » Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Je fronce les sourcils. Je suis censé comprendre quoi ? Pourquoi elle m’a quitté ? Comment je pourrais le comprendre ? Elle est tellement bourrée qu’elle me dit n’importe quoi. Ça m’énerve. Tout ça commence sérieusement à m’agacer. Elle se fout de ma gueule. « Ouais bien sûr. » Encore une fois, que voulez-vous que je dise de plus ? Je n’ai rien à dire, je ne peux rien dire. Elle est bourrée. Je ne peux pas lui en vouloir si ses propos manquent de cohérence. Moi aussi j’ai eu une période pendant laquelle j’ai ressenti le besoin de sortir souvent. De boire. Après la mort de Victoria. Mas ça n’a duré que quelques mois. Je ne sais pas depuis combien de temps elle boit comme ça. J’espère que ce n’est pas habituel. J’espère que ce soir est une soirée exceptionnelle et qu’elle ne se retrouve pas dans cet état à chaque fois qu’elle met les pieds dans un bar.
Elle a envie de rentrer. Très bien rentrons alors. De toute façon je pense qu’elle a clairement besoin d’aller dormir. Ça ne pourra lui faire que du bien. J’acquiesce d’un signe de tête à sa demande. Je lui ai promis de la raccompagner. De toute façon je ne me vois clairement pas la laisser dans un taxi seule pour rentrer chez elle. Certes son attitude et ses nombreuses provocations m’ont agacé ce soir mais je n’aurais pas l’esprit tranquille si je ne la raccompagnais pas. On est tous les deux dans ce taxi. C’est très silencieux. Le chauffeur n’a mis qu’un petit fond de musique à peine audible pour nous. Elle se trouve à quelques centimètres de moi. Nous n’avons pas été si proches depuis des années. Je peux sentir son odeur d’ici et je remarque immédiatement qu’elle a toujours le même parfum. Ce parfum que j’aimais tant. Je la sens petit à petit tomber dans les bras de Morphée. Ses clés tombent de sa main. Je me penche pour les récupérer et je les garde. Je sens qu’elle laisse doucement la fatigué la gagner, elle ne lutte plus et elle s’endors laissant sa tête tomber sur son épaule. Si j’avais été un enfoiré j’aurais dégagé sa tête pour me libérer mais je ne le fais pas. À quoi ça servirait ? « Je te dirais tout, un jour. Promis. » J’ai donc la confirmation qu’elle ne m’a pas tout dit. Je ne suis pas vraiment étonné. Je me doute bien que je ne connais toujours pas la vraie raison de ce départ si brutal. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était un vendredi. J’avais hâte de rentrer ce soir-là parce que c’était mon dernier poste avant mon weekend. Dans la restauration on travaille aussi le weekend alors quand on arrive à être off un samedi ou un dimanche on en profite un maximum. Je suis rentré un peu après minuit comme d’habitude. Et elle n’était pas là. J’ai d’abord pensé qu’elle passait la soirée avec une amie. Jusqu’à ce que je sois allé dans la salle de bain pour me rendre compte que toutes ses affaires avaient disparues. Imaginez un peu le choc. La veille encore on était ensemble. Et ce soir-là, plus rien. Je m’en souviens encore parfaitement. Je pourrais encore détester cette femme. Et je l’ai détesté. Pour toute la souffrance que son départ m’a infligée. Mais depuis de l’eau a coulé sous les ponts. Maintenant je ne la déteste plus. Mais je lui en veux toujours. Beaucoup. Surtout que je n’ai toujours pas eu de vraies explications. Moi qui les attendais. Bah je crois que je ne suis pas prêt de les avoir. Quand on arrive devant chez elle je paye le chauffeur tout en le remerciant et je réveille doucement Alex. Elle est tellement bourrée qu’elle est à peine capable de sortir de cette fichue voiture sans tomber, je l’aide alors comme je peux. Je l’aide aussi à monter les escaliers sans qu’elle se casse la gueule. Mon Dieu, je déteste vraiment la voir comme ça. Me voilà dans l’appartement de mon ex-petite-amie, accompagné de celle-ci. Je ne pensais pas que ça arriverait un jour. Je pose les clés de son appartement sur une petite table à côté de la porte d’entrée et l’emmène jusqu’à sa chambre. Elle dort encore à moitié, je suis sûr que demain en se réveillant elle se demandera comment elle est rentrée chez elle. Je l’aide à l’allonger sur son lit, la recouvrant de sa couette. Demain en se réveillant elle aura très certainement envie de vomir et un mal de crâne horrible. Je me permets d’aller dans sa cuisine pour lui verser un verre d’eau, et je pars à la recherche d’une bassine et d’un sachet d’aspirine. Je dépose le verre d’eau et le sachet d’aspirine sur sa table de chevet et la bassine au pied de son lit. « Dors bien. » Je ne sais même pas si elle m’a entendu puisqu’elle m’a l’air d’être déjà bien endormie. Je la regarde quelques secondes avant d’éteindre la lumière. J’espère que la prochaine fois que nos chemins se recroiseront elle sera sobre. Parce que moi, j’ai encore des questions. De mon côté je repars chez moi, encore assez préoccupé par ces retrouvailles complètement inattendues.