Caleb & Romy ⊹ I'll be here for you. When you can't breathe. When it's past three in the morning and you can't sleep. When your heart breaks, when you lose faith. I promise, I'll be right here
Quelques semaines s'étaient écoulées depuis l'enterrement de Victoria. De longues journées pendant lesquelles Caleb était demeuré silencieux, sans doute terré chez lui ou dans son restaurant. Il n'avait répondu à aucun des appels de la petite blonde, aucun de ses sms. Terré dans un mutisme compréhensible, Romy avait respecté le silence de son cousin, au moins l'espace de quelques jours, mais aujourd'hui, son inquiétude prenait le pas sur le respect de sa vie privée. Elle le savait anéanti, mais elle savait aussi qu'il avait en horreur le fait d'être plaint sur sa situation. C'étaient ses parents qui lui renvoyaient ces échos lors des brunchs dominicaux. "Caleb va mal." "Caleb s'emporte vite ... il a du mal à gérer sa peine.." et d'entendre parler de lui à chaque réunion familiale à laquelle il ne prenait plus part serrait le cœur de la jeune Ashby. Il se sentait responsable, il était en colère, et si Romy le comprenait, elle ne savait pas comment contribuer à le faire aller mieux. Les deux n'avaient jamais eu de relation privilégiée, mais ils partageaient le même sang, les mêmes souvenirs d'enfance. Ils en avaient passé des anniversaires ensemble, des mariages... la jeune femme connaissait celle qui partageait la vie de son cousin, et si elle avait été peinée d'apprendre son décès, d'imaginer son cousin au trente sixième dessous avec le poids de la culpabilité sur les épaules était sans doute pire encore. Lui était vivant. Lui devait mettre un pas devant l'autre pour avancer, pour continuer à vivre, et il adoptait la position de l'animal blessé. Agressif, solitaire, Caleb pansait ses plaies seul, et il le faisait comme il le pouvait. Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de faire son deuil, mais si Romy pouvait l'aider, alors elle le ferait. "Vous servez encore à cette heure ci ?" Ses phalanges étaient venues s'échouer contre la vitre du restaurant, y tapant pour signaler sa présence. Un doux sourire au coin des lèvres, la petite blonde tenait contre elle son sac à main dans lequel elle y avait glissé une bouteille de vin et des amaretti. Comme si la nourriture pouvait panser les plaies d'un restaurateur. Qu'importe, c'était le geste qui comptait, et alors qu'elle espérait voir apparaître devant elle un visage un peu plus reposé que celui qu'elle avait croisé à l'enterrement, c'était l'ombre d'un Caleb qu'elle vit lui ouvrir. "Il est presque une heure du matin. Je pensais te trouver chez toi ... mais à croire que ton chez toi est dans tes cuisines maintenant." qu'elle soufflait en entrant dans l'établissement, sans laisser vraiment le choix à son cousin d'accepter ou non sa présence ici. Romy avait la voix douce mais le comportement déterminé. Elle ne quitterait pas cet endroit avant d'être certaine que le brun reprenait doucement le dessus. Se débarrassant de son sac qu'elle posait sur une chaise, la jeune femme avança de quelques pas, observant à la ronde pour tenter d'y déceler une ouverture à la conversation. "T'as rajouté quelques touches de déco, c'est très réussi.." Mouais. Elle aurait certainement pu mieux faire. Au petit jeu de cacher ses véritables pensées : Romy était une bien piètre menteuse. On lisait en elle comme dans un livre ouvert, alors finalement, se retournant, la jeune femme laissa tomber le masque, lui révélant les raisons de sa venue. "Je m'inquiète pour toi. Tu réponds pas au téléphone.." qu'elle lui confiait dans un souffle, néanmoins craintive d'avoir engagé la conversation d'une façon telle qu'il ne veuille la mettre dehors pour être encore un peu seul.
Ces dernières semaines ont été les plus longues et les plus dures de ma vie. Trois semaines. Depuis trois semaines je suis complètement perdu, je ne sais pas comment je vais m’en sortir. J’ai perdu la femme de ma vie. Par ma faute. Putain. Je me déteste. Si vous saviez. Je ne sors quasiment plus de chez moi. Sauf en cas de force majeure. J’ignore tous mes appels, tous les messages que ma famille et mes amis m’envoient. Ma mère m’appelle environ dix fois par jour. Je sais que ça part d’une bonne intention, je sais qu’elle veut juste m’aider et s’assurer que je vais bien. Mais putain j’ai besoin qu’elle me laisse tranquille. Je passe la plupart de mes journées allongé dans mon lit dans le noir à ne rien faire. Ou bien je suis affalé sur le canapé devant une série. J’ai que ça à faire de mes journées de toute façon. Ce midi ma sœur Primrose est passé chez moi, elle a rapporté à manger. Et elle m’a d’ailleurs obligé à manger un minimum. Elle passe souvent me voir. Elle toque jusqu’à ce que je me décide à lui ouvrir. Ses nombreuses visites me font quand même du bien, même si je ne lui montre pas forcément. Je n’ai pas pleuré une seule fois devant ma famille. Pas une fois. L’accident c’est de ma faute, c’est à cause de moi qu’elle est morte. Alors j’ai l’impression de pas avoir le droit de m’apitoyer sur mon sort. Si quelqu’un devait mourir ça aurait dû être moi. Puisque c’était moi le conducteur, pas elle. Putain la vie est injuste. Comment est-ce qu’on est censé continuer à avancer quand on a perdu sa moitié ? J’en ai pas la moindre idée. La nuit je ne dors quasiment pas. Alors en général, je lis. Ça me permet de me vider la tête et de penser à autre chose. Et la journée je ne mange que très peu. J’ai tellement pas faim. Et j’ai pas du tout envie de cuisiner. Etrange quand on me connaît et qu’on sait que la cuisine est la grande passion de ma vie. Mais là, en ce moment non. Je ne suis pas retourné bosser depuis l’enterrement. Je ne suis de toute façon quasiment pas sorti depuis sa mort. Sûrement l’une des raisons pour laquelle ma mère s’inquiète tant pour moi.
Vingt-deux heures, vingt-trois heures, minuit, minuit vingt… Impossible de dormir. Comme la plupart des nuits de toute façon. C’est la nuit le plus dur. Devoir dormir seul, ne plus l’avoir à mes côtés. J’en peux plus. J’étouffe ici. J’ai besoin de sortir. J’enfile le premier jeans et le premier sweat que je trouve, j’attrape les clefs du restaurant et je sors. Les rues sont quasiment vides, tant mieux j’ai pas franchement envie de me retrouver confronté à trop de personnes. Je suis pas encore prêt pour ça. Et seulement au bout de quelques minutes, me voilà dans le restaurant. Vide. Tous les jours mes collègues m’appellent pour me dire comment s’est passé la journée. C’est bien la seule fois où je réponds à tous les coups aux appels. J’ai l’impression que ça fait des années et des années que j’ai plus mis les pieds ici. Alors que non, ça ne fait que trois semaines. Putain ce sont les trois semaines les plus longues de ma vie. "Vous servez encore à cette heure ci ?" Je me retourne pour constater la présence de ma cousine à l’entrée qui venait de toquer à la vitre. Merde, quand est-ce que je vais pouvoir être tranquille ? Je m’avance vers la porte d’entrée que j’entre-ouvre. Je m’apprête à lui demander ce qu’elle fait là, mais elle est plus rapide que moi. "Il est presque une heure du matin. Je pensais te trouver chez toi ... mais à croire que ton chez toi est dans tes cuisines maintenant." me dit-elle en pénétrant dans l’établissement, sans vraiment me demander mon avis. Je referme la porte derrière elle, puis me retourne vers ma cousine. « J’arrive pas vraiment à trouver le sommeil ces temps-ci. Mais toi par contre tu devrais être en train de dormir. » Je me contente de lui répondre ça. Après tout, je me doute que si elle vient ici c’est pas pour avoir une conversation passionnante sur le sommeil. Elle veut certainement voir comment je vais, peut-être même que c’est ma mère qui lui a demandé de passer me voir. "T'as rajouté quelques touches de déco, c'est très réussi.." Non pas vraiment. Enfin pas depuis un petit moment en fait. Je sens qu’elle essaie de me dire quelque chose mais qu’elle n’y arrive pas. Je la connais. Et au fond, je sais pourquoi elle est là. Ça ne sert à rien qu’elle tourne autour du pot. "Je m'inquiète pour toi. Tu réponds pas au téléphone.." C’est vrai qu’elle m’a envoyé des dizaine de messages, qu’elle a essayé de m’appeler je ne sais combien de fois. Mais je ne lui ai jamais répondu. J’espère qu’elle ne le prend pas personnellement. Je suis comme ça avec tout le monde en ce moment. « J’vois pas pourquoi tu t’inquiètes pour moi. Je vais bien je t’assure. » Mais oui bien sûr, je suis vachement crédible. Je vais mal. Je vais vraiment super mal, je sais qu’elle le sait mais c’est plus fort que moi. Je n’aime pas monter mes faiblesses. Même si être déprimé après la perte d’un être cher est tout à fait normal. Je peux pas m’empêcher de dire aux gens que je vais bien. Même si c’est complètement absurde. Je sais qu’elle va me le dire d’ailleurs. « C’est vrai que j’aurais peut-être dû répondre à tes messages, mais je dois t’avouer que je suis pas collé à mon portable en ce moment. Je l’ai même pas pris avec moi là. Toi, comment tu vas sinon ? » Je m’assieds à une table et invite Romy à s’asseoir avec moi. J’essaie tout de même de faire bonne figure, faire comme si j’allais bien. J’ai pas forcément envie de parler de moi et de mon chagrin. Pour ça j’ai mon psy. Même si en fait je n’ai pas de psychologue, peut-être que je devrais songer à aller en voir un. Qui sait, ça me ferait peut-être du bien.
Romy n'aurait pas eu la conscience tranquille si elle était partie de chez Caleb sans avoir pu lui parler, sans s'être assurée qu'il allait bien. N'allez pas croire qu'elle était ce type de personne intrusive et débordante d'une tendresse guimauve ; elle savait à quel point son cousin souffrait -ou tout au moins, elle l'imaginait- et l'inquiétude prenait le pas sur sa retenue habituelle. La petite blonde irait le trouver. Elle irait s'assurer de ses propres yeux qu'il tenait le coup, qu'il ne mettait pas sa vie en danger, et lorsqu'elle se serait assez rassurée quant à son état, elle le laisserait tranquille, priant que sa présence ait pu lui changer un peu les idées. Il n'était pas prévu qu'elle vienne si tard. Une intervention au poste de police pour l'une des détenues dont elle suivait le dossier lui avait fait quitter son canapé, et le hasard avait situé cet événement aux environs de Spring Hill ; le cours des choses l'avait amenée jusqu'ici. « J’arrive pas vraiment à trouver le sommeil ces temps-ci. Mais toi par contre tu devrais être en train de dormir. » Avançant de quelques pas dans la salle sans y avoir été conviée, la jeune femme déposa son sac sur l'une des tables, observant à la ronde un endroit qu'elle ne connaissait encore que trop peu. "J'ai été appelée au poste. Encore un dossier de libération conditionnelle parti en fumée par une toxico irrécupérable... c'est plutôt triste." qu'elle soufflait doucement en laissant son index se glisser sur l'une des toiles affichées au mur. La petite Ashby ne s'épanchait pas sur les détails. Déjà car elle était toujours très secrète vis à vis de son boulot, et ensuite car elle n'avait lancé ce sujet que pour prendre des nouvelles de Caleb, par pour s'attrister sur son propre sort. Elle avait pourtant du mal à aborder le sujet. Ses lèvres balbutiaient quelques banalités sur la décoration, avant de timidement commencer à lui demander ce qu'il en était de ces silences dans lesquels il laissait ses proches se morfondre, y compris elle. « J’vois pas pourquoi tu t’inquiètes pour moi. Je vais bien je t’assure. » Penchant doucement la tête sur le côté, Romy se retourna pour observer son cousin avec un peu plus d'attention. Je vois pas pourquoi tu t'inquiètes pour moi. Sérieusement Caleb ? « C’est vrai que j’aurais peut-être dû répondre à tes messages, mais je dois t’avouer que je suis pas collé à mon portable en ce moment. Je l’ai même pas pris avec moi là. Toi, comment tu vas sinon ? » Se posant à une table, le brun ne fermait pas la porte au dialogue. Il invitait d'un geste du bras sa cousine à venir s'asseoir à ses côtés, et cette dernière attrapait son sac à main duquel elle en sortait la bouteille de vin et les gâteaux italiens qu'elle avait embarqué quelques heures plus tôt. "A d'autres." qu'elle soufflait finalement, pas dupe pour un sou. Elle ne lui en voulait pas d'avoir gardé le silence, elle le comprenait en fait. L'important était surtout qu'il aille bien, qu'il réponde aux messages était secondaire, même si elle se rongeait les sangs. "J'ai pris du vin et des amarettis. Parce que j'ai passé une journée horrible. Et je me suis dit que ça te ferait un peu de bien. Dis toi que je me suis pointée au poste avec du cabernet sauvignon dans mon sac à main. La grande classe de la conseillère Ashby." qu'elle ajoutait en souriant doucement, tentant de dérider les traits de son cousin à sa manière ; maladroite, doublée d'un humour douteux. Se laissant glisser sur la chaise en face de lui, la petite blonde attrapa deux verres à vin avant de pousser de son index la bouteille de vin en sa direction. Avec sa force inexistante, elle était malheureusement incapable de déboucher quoi que ce soit sans se froisser un muscle. "Comment ça se passe pour toi ? Le restaurant marche bien ?" Elle voulait qu'il lui parle de banalités, qu'il évoque le quotidien. Ce serait bon signe. Signe qu'il recommençait doucement à prendre le dessus.
Je sais que la visite de ma cousine part d’une bonne attention, je sais qu’elle fait ça parce qu’elle s’inquiète pour moi et qu’elle veut s’assurer que je vais bien. Enfin non, je ne vais pas bien et je pense qu’elle en est parfaitement consciente. Depuis l’enterrement à chaque fois que je suis avec quelqu’un, j’essaie de faire comme si tout allait bien, comme si je commençais à remonter la pente. Alors que ce n’est absolument pas le cas. Je vais toujours aussi mal. Mais je préfère jouer la comédie et leur faire croire que je commence à me sentir mieux tout simplement parce que je n’ai aucunement envie de leur parler de ma tristesse. Le mot tristesse n’est même pas assez fort pour décrire ce que je ressens. Je suis vide. Je me sens vidé de toute émotion, qu’elle soit positive ou négative. J’ai l’impression que je ne vais plus jamais me sentir heureux. Il y a un mois j’étais heureux. Mais les choses ont réellement changé. "J'ai été appelée au poste. Encore un dossier de libération conditionnelle parti en fumée par une toxico irrécupérable... c'est plutôt triste." Le travail de Romy est assez incroyable je trouve, certes il peut être très intéressant mais il peut aussi être très difficile. Surtout psychologiquement. Moi je sais que je ne serais pas capable de faire un tel travail. Je suis bien mieux planqué dans ma cuisine honnêtement. « Je sais pas comment tu fais avec ton travail, ça doit vraiment pas être facile tous les jours. » J’aimerais bien réussir à détourner son attention et qu’elle finisse par me parler de son travail. Sans qu’on en vienne à parler de mon état. Parce que je sais très bien qu’elle est venue pour ça. Ou du moins je m’en doute. Alors vas-y Romy s’il te plaît, parle-moi de ton boulot. Parce que je n’ai absolument pas envie de parler et moi, et de ma situation actuelle. J’ai perdu la femme de ma vie, je vais mal point. Il y a pas grand-chose à dire là-dessus. Laissez-moi vivre ma petite vie tranquillement. Je sais que vous devez peut-être vous dire que je suis injuste avec elle. Mais essayez de me comprendre aussi. Moi j’ai pas envie de parler de mon chagrin. Peut-être que ça me ferait du bien oui c’est possible. C’est même très fortement possible. Mais je suis pas encore prêt pour ça.
Et elle finit tout de même par me demander comment je vais, elle s’inquiète pour moi. Oui je sais que tu t’inquiètes pour moi Romy. Et ça me touche, je t’assure. Mais ne t’en fais pas je vais bien. Enfin aussi bien que je peux aller trois semaines après l’enterrement de ma fiancée. C’est plus ou moins ce que je réponds, et je vois bien qu’elle ne s’attendait pas à cette réponse-là. Elle s’installe en face de moi après que je l’ai invité à le faire. La blonde sort de son sac une bouteille de vin et des amarettis. En temps normal j’adore ça, les amarettis. Mais je dois vous avouer que je ne mange sur très peu en ce moment. Le seul repas que j’ai mangé de la journée c’est celui de ce midi, et encore, si j’ai mangé c’est bien parce que Prim ne serait pas partie de chez moi avant de me voir manger un minimum. Je regarde la bouteille de vin qu’elle avance doucement vers moi. C’est du bon vin ça en plus. "J'ai pris du vin et des amarettis. Parce que j'ai passé une journée horrible. Et je me suis dit que ça te ferait un peu de bien. Dis toi que je me suis pointée au poste avec du cabernet sauvignon dans mon sac à main. La grande classe de la conseillère Ashby." Je ne peux m’empêcher de rire doucement. Je l’imagine dans un poste de police avec une bouteille de vin dans son sac et l’image parvient de relever l’exploit de me dire rire. Certes, c’est un tout petit rire, à peine audible. Mais c’est un rire quand même. « T’étais pas obligée de ramener quoique ce soit, y a tout ce qu’il faut ici… » Mais j’apprécie le geste. « Merci. C’est un bon vin ça. » J’attrape doucement la bouteille qu’elle avance vers moi. Je débouche la bouteille de vin avant de nous en servir à tous les deux. Je lui donne son verre juste avant que mon regard ne se perde dans le mien. "Comment ça se passe pour toi ? Le restaurant marche bien ?" Ses questions me sortent de mes rêveries. Je relève le regard vers elle. Si le restaurant marche bien ? Pour dire vrai j’en sais rien. Je m’en préoccupe pas vraiment en ce moment. C’est pas bien je sais, je suis le patron de l’établissement et je devrais toujours m’en occuper sans jamais le laisser de côté. Mais là, en ce moment je n’en ai absolument pas envie. Je hausse les épaules. « Euh je crois oui… Enfin je sais pas trop. En fait c’est la première fois que je reviens ici depuis… » Depuis la mort de la femme que j’aime. Je prends une grande inspiration et je prends mon verre de vin pour le boire d’une traite. Boire comme ça, c’est pas dans mes habitudes. Mais là j’en avais envie. Ou besoin ? Je sais pas trop. Bref. Je lève à nouveau le regard sur ma cousine. « Tu m’as dit que t’as passé une journée de merde ? C’est à cause de ton boulot ? » Je tente une nouvelle fois de changer de conversation dès qu’on commence à un peu trop parler de moi. Je préfère l’entendre se plaindre de sa journée. Ça fait trois semaines que j’use cette même stratégie à chaque fois que je me retrouve obligé d’avoir une conversation avec quelqu’un. À voir si ça va continuer à fonctionner avec Romy.
nightgaunt
Spoiler:
Saches que j'essaie d'associer le moins possible "Victoria" avec "morte, accident" parce que je sais que ça te perturbe
Romy n'avait pas prévu de faire son entrée dans le restaurant en balançant la raison sordide qui l'avait poussée à se rendre au poste ce soir. Un appel dont elle se serait bien passé et l'impression d'avoir à nouveau travaillé pour pas grand chose tant la détenue en question était retombée dans ses travers en moins de temps qu'il n'avait fallu à sa liberté pour dépasser les quarante huit heures. « Je sais pas comment tu fais avec ton travail, ça doit vraiment pas être facile tous les jours. » que Caleb répondait dans ce qu'elle devinait être une façon de détourner le sujet de leur conversation, et d'un haussement d'épaules elle le laissait s'évanouir. Son travail n'était effectivement pas facile tous les jours, mais il lui convenait. Sa façon de toujours tendre la main vers autrui, son tempérament, faisaient qu'elle était faite pour cet univers, et malgré les nombreuses difficultés qu'impliquaient sa fonction, la petite blonde les acceptait de bon cœur.
Après quelques pas dans la salle du restaurant, Romy entamait doucement le dialogue. Elle marchait sur des œufs mais semblait ne pas totalement foirer sa manœuvre, du moins après quelques secondes, Caleb l'invitait à s'asseoir en face de lui pour tenir un semblant de discussion, ce qu'elle interprétait comme étant un bon signe. Bouteille de vin et biscuits siciliens en stock, la petite blonde n'avait pas lésiné sur les moyens pour adoucir un peu l'âme meurtrie de ce cousin qu'elle aimait tant. « T’étais pas obligée de ramener quoique ce soit, y a tout ce qu’il faut ici… » Mais elle ne serait jamais venue les mains vides. Jamais. A ses yeux ç'aurait été maladroit tant elle ne voulait pas avoir l'air d'une curieuse qui se pointait pour voir à quel point il allait mal. « Merci. C’est un bon vin ça. » Il attrapait la bouteille pour la déboucher, et elle hochait la tête en souriant doucement. "J'ai eu un bon professeur. Tu te souviens ? C'est toi qui m'a appris à ne pas me ridiculiser. Et maintenant je sais prononcer Pinot gris avec un adorable petit accent français.... ou pas en fait." et elle riait doucement, pour remplir l'espace froid et quasi lugubre ; son objectif de la soirée étant sûrement de ne pas repartir d'ici sans amener un peu de lumière dans son sillage. Rapidement, ses doigts attrapaient le paquet d'amarettis qu'elle ouvrait ... maladroitement. Oopsie. Une vague grimace au coin des lèvres, la petite Ashby rattrapait le coup avant d'en picorer un ; elle mourrait de faim. Il lui fallut peu de temps pour repartir en quête d'informations, et c'est tout naturellement qu'elle lui demandait comment fonctionnait son restaurant ; un endroit qu'il affectionnait et qui lui redonnait sûrement un peu de baume au cœur ; elle l'espérait. « Euh je crois oui… Enfin je sais pas trop. En fait c’est la première fois que je reviens ici depuis… » Merde. Depuis la mort de Victoria. D'un geste de la main elle tenta de faire oublier sa question, mais dût rapidement se rendre à l'évidence : elle avait fichu les pieds dans le plat en beauté. Caleb accusait pourtant le coup. Après une grande inspiration il poursuivait : « Tu m’as dit que t’as passé une journée de merde ? C’est à cause de ton boulot ? » et Romy sentit que ce nouveau changement de sujet lui avait sûrement demandé beaucoup tant il avait l'air de ne pas avoir articulé de phrase de plus de huit mots depuis l'annonce du décès. "J'ai ... euh, ouais. Les aléas de la prison. C'est souvent plus compliqué que joyeux, mais on s'y fait." Elle haussait les épaules, attrapant son verre qu'elle faisait tourner entre ses doigts dans ce qui trahissait une pointe de nervosité. Ses méninges fonctionnaient à plein tube pour tenter de poursuivre la conversation sur une note moins glissante, mais elle n'y arrivait pas. "Mais j'étais pas venue jusqu'ici pour me plaindre, je laisse les névroses à ma mère. En revanche je suis contente de te voir avec un rasage décent et assez de force pour déboucher une bouteille. C'était un test en fait." mentit-elle dans un demi sourire, tentant de désamorcer par une boutade le sujet délicat en l'abordant à sa manière.
Même si je ne le montre pas vraiment, j’apprécie beaucoup la présence de Romy ce soir. Ça fait trois semaines que j’ignore tous ses appels et tous ses messages et elle a encore la gentillesse de venir me voir. En même temps c’est pas du tout personnel, je suis comme ça avec tout le monde depuis la mort de vous-savez-qui. À quoi ma vie va ressembler maintenant que j’ai perdu la femme de ma vie ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? On avait prévu d’avoir un enfant, d’acheter une maison. Oui je sais ça fait peut-être très cliché, mais c’est comme ça qu’on voyait les choses. Et il a fallu que je ne m’arrête pas à un stop. Une fois. Une seule fois. Une petite erreur d’inattention. Juste parce que j’étais fatigué. Je sais que je ne devrais pas prendre la fatigue comme excuse. Parce que rien ne peut m’excuser. Je me sens tellement coupable putain… comment est-ce que je suis censé continuer à vivre avec cette putain de culpabilité qui risque de me suivre tout le reste de ma vie ? Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai tué ma fiancée. Elle est morte par ma faute. Je ne peux rien faire pour la ramener. Je donnerais tout pour pouvoir la revoir, lui parler, l’embrasser juste une dernière fois. Ou bien pour revenir en arrière. "J'ai eu un bon professeur. Tu te souviens ? C'est toi qui m'a appris à ne pas me ridiculiser. Et maintenant je sais prononcer Pinot gris avec un adorable petit accent français.... ou pas en fait." Un sourire à peine visible se dessine sur mon visage. Effectivement, je me souviens qu’il y a encore quelques années la manière dont elle prononçait pinot gris laissait à désirer. Mais ça me faisait rire. Victoria elle aussi s’amusait à se foutre de ma gueule quand je prononçais mal un mot en français. Et du coup je ne me gênais pas pour rire aussi quand elle avait un french accent hyper prononcé en parlant anglais. Mais moi ça me plaisait, je trouvais ça tellement adorable. « Mais si si, tu le prononces super bien maintenant. Tu t’es améliorée. » Mon regard se pose sur les amarettis qu’elle venait d’ouvrir. Je devrais peut-être manger un peu, parce que je n’ai pas avalé grand-chose de la journée. Mais en même temps rien ne passe en ce moment. Sa question m’oblige à parler de l’accident et de la mort de Victoria, ce qui lance un gros froid entre nous.
"J'ai ... euh, ouais. Les aléas de la prison. C'est souvent plus compliqué que joyeux, mais on s'y fait." Je me sers un deuxième verre de vin, et puis je fais tourner le verre encore plein entre mes doigts. Je bois une première gorgée. Elle a beaucoup de courage. Je me demande ce qui l’a amené à faire ce métier-là. Je bois une deuxième gorgée, et puis une troisième, avant de finir mon deuxième verre d’une traite. "Mais j'étais pas venue jusqu'ici pour me plaindre, je laisse les névroses à ma mère. En revanche je suis contente de te voir avec un rasage décent et assez de force pour déboucher une bouteille. C'était un test en fait." En vérité je me suis rasé il y a trois jours et avant ça, ça faisait un petit moment que je ne l’avais pas fait. Certains verraient peut-être ça comme un signe qui montrait que je commençais à aller de l’avant alors que pas du tout. Je n’aime juste pas avoir l’air négligé. Je me sers un troisième verre. J’ai l’impression de boire seul, elle n’a pas encore beaucoup entamé son premier et moi j’en suis déjà à mon troisième. Je vous promets qu’habituellement je bois pas aussi vite. « Donc ça va, j’ai réussi à passer le test avec succès du coup ? » Je sais qu’elle n’est pas là pour parler d’elle et de ses problèmes de boulot, ni même qu’elle veuille réellement entamer une discussion assez peu passionnante sur ma barbe ou ma force. Je lâche un long soupir avant de poser mes coudes sur la table, enfonçant ma tête dans mes mains. Je laisse mes yeux fermés un petit moment. Depuis l’enterrement j’ai toujours refusé de parler de Victoria. Même encore aujourd’hui je ne sais pas si je suis prêt à en parler. Mais pourtant je suis bien sûr d’une chose : j’en ai vraiment besoin. J’ai besoin de parler de tout ce que je ressens. Mais j’ai aussi l’impression de ne pas avoir le droit de me plaindre, parce que l’accident est de ma faute et que donc du coup, je suis le responsable de sa mort. « Je sais pas comment on est censés reprendre le cours normal de sa vie après avoir perdu la femme avec qui tu pensais vivre jusqu’à la fin de ta vie. » Est-ce que c’est possible de se remettre à vivre comme si rien n’était ? Je ne pense pas non. C’est impossible. Après avoir pris une nouvelle fois une grande inspiration je bois une gorgée de vin. J’ai du mal à la regarder dans les yeux. J’ai pas envie de voir qu’elle me regarde avec des yeux plein de compassion. Je veux pas voir dans ses yeux qu’elle a pitié de moi. Je déteste ça. Alors bêtement, j’évite son regard. « C’est dingue à quel point ta vie peut changer en l’espace de quelques secondes. » Ma voix est calme et j’ai le regard perdu dans le vide, n’osant toujours pas la regarder dans les yeux. Je sens que j’ai de plus en plus ce besoin de parler, sinon je vais devenir fou. Mais en même temps ça fait tellement mal dire ces mots à voix haute… Tout est tellement plus réel.
Romy ne pouvait que s'imaginer la peine que ressentait son cousin face à la mort de LV, mais bien que la petite blonde se soit longuement posée sur la question et qu'elle avait le cœur serré depuis l'enterrement, il lui semblait -à juste titre- qu'elle était en deçà de la réalité. Elle s'efforçait de faire sourire Caleb, de lui rappeler des bons souvenirs et de lui ramener de quoi panser ses plaies pour la soirée. Du Pinot gris et des gâteaux italiens ne ramèneraient pas sa fiancée, mais Romy comptait bien atténuer sa peine ce soir. « Mais si si, tu le prononces super bien maintenant. Tu t’es améliorée. » Les verres de vin servis, Romy fit tourner le sien entre ses doigts, portant davantage son attention que sur les amarettis que sur sa boisson ; elle mourrait de faim. "Mouais" qu'elle lâchait finalement, pas totalement convaincue. La conversation était toujours un peu tendue, complexe. La conseillère mettait les pieds dans le plat sans le vouloir, mais quelque part, sans doute était ce une bonne chose ; elle l'obligeait à en parler. Alors que la blondinette avait à peine touché à son premier verre, Caleb en était déjà au troisième. Elle aurait été tentée de lui dire de ralentir, mais être dans l'excès ce soir, ce n'était pas si grave. Si ça lui faisait du bien, que c'était occasionnel, elle l'écouterait lui livrer sa peine désinhibée de toute retenue et le raccompagnerait chez lui ensuite ; un bon programme. « Donc ça va, j’ai réussi à passer le test avec succès du coup ? » La petite blonde hocha la tête, un sourire au coin des lèvres. "Haut la main Anderson. Lever de coude au top." Elle n'aurait pas pu mieux dire en fait, bien qu'aucun jugement ne paraisse dans sa voix, plutôt de l'amusement. Caleb avait une sacrée descente, et elle espérait qu'en amenant assez de douceur et de prévenance pour la soirée, le brun se détendrait enfin. Après quelques secondes de flottement, alors qu'elle reprenait un autre amaretti, Caleb laissa son visage se nicher dans ses mains, les coudes relevés sur la table dans un geste qui laissait transparaître une détresse qu'il se décidait enfin à montrer. Romy reposa le gâteau face à elle -au moins histoire de ne pas sembler trop détachée- puis l'écoutait lui livrer : « Je sais pas comment on est censés reprendre le cours normal de sa vie après avoir perdu la femme avec qui tu pensais vivre jusqu’à la fin de ta vie. » Oh. Si la petite blonde avait prévu de remonter le moral de son cousin, elle ne s'était en revanche pas préparée à se constituer un stock de réactions normales lors de telles situations. Elle ne savait pas quoi dire, ni quoi faire, parce que Caleb avait raison et qu'elle ne se voyait pas l'étreindre en lui disant que tout finirait par s'arranger ; elle n'en savait fichtrement rien. « C’est dingue à quel point ta vie peut changer en l’espace de quelques secondes. » Il fuyait son regard, buvait quelques gorgées de vin, et face à cette situation qui secouait son cœur qu'elle semblait pourtant à toute épreuve, la petite blonde eut besoin de quelques secondes pour réussir à trouver quoi répondre. "Caleb ... tu reprendras jamais le cours de ta vie. Enfin, je veux dire, tu vas repartir de zéro. Tu vas réapprendre à vivre seul, à te constituer un autre quotidien, de nouvelles habitudes, mais ça ne va pas se faire du jour au lendemain.. même si je sais que tu en es conscient. C'est brutal, mais je suis sûre que tu vas passer au dessus. La douleur va s'estomper au fil des semaines." et elle était à peu près certaine que le temps ferait son effet. Caleb était jeune, ambitieux, son restaurant marchait bien et il avait des proches soudés autour de lui ; il s'en sortirait. L'avenir lui appartenait encore. "Puis nous on est là. Pour t'aider, pour te soutenir. La famille ça ne sert pas qu'à organiser des brunchs dominicaux horriblement longs." qu'elle soufflait en tentant un trait d'humour. Doucement sa main venait se glisser dans la sienne, la serrant un bref instant pour attirer son attention et lui faire relever le menton vers elle. Depuis qu'elle travaillait dans une prison, la jeune femme s'était endurcie. C'était son job de tenir ce rôle de discours ; la vie ne s'arrête pas là et autres conneries du genre, alors le regard qu'elle lui portait était tout sauf larmoyant, bien qu'elle ait véritablement beaucoup de peine à son égard.
Trois semaines. Déjà trois longues semaines que LV n’est plus parmi nous. Une partie de moi a envie de dire que ces trois semaines sont passées beaucoup trop rapidement, mais ça serait vous mentir. J’ai l’impression que ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu. Trois semaines ça correspond à 21 jours, 504 heures, 30242 minutes, 1814400 secondes. C’est long. C’est interminable. Et dire que ce n’est que le début, que je vais devoir apprendre à vivre sans elle. Sauf que je ne sais pas si j’en suis capable. Est-ce que j’ai réellement envie d’apprendre à vivre sans elle ? Je n’en sais rien. Est-ce que vivre sans elle vaut réellement le coup ? Je ne sais pas. Je me pose beaucoup de questions, mon esprit est toujours occupé à penser à quelque chose. Je donnerais tout pour ne serait-ce qu’une dernière journée avec elle. Pour lui dire à quel point je l’aime, pour qu’elle sache que je suis désolé. Désolé pour tout. Pour pouvoir profiter une dernière fois de sa présence, de son visage, son rire, son sourire, sa peau. On ne profite pas assez des personnes et de tout ce qui nous entoure. C’est ce que j’ai réalisé. En l’embrassant avant de prendre le volant je ne savais pas que ça serait la dernière fois que nous nous embrasserons. Quel con je suis. Si j’avais fait plus attention elle serait encore en vie. Pourquoi est-ce que c’est elle qui est partie. Quelque fois que me dis que j’aurais mieux fait de mourir avec elle. Ma famille se serait remise de ma mort c’est bon c’est pas si grave. Je me rends bien compte que penser comme ça c’est super égoïste et en temps normal ça ne me ressemble pas. Mais là c’est tout ce à quoi je pense. Romy me tire de mes pensées lugubres quand elle me dit qu’elle avait faire exprès de ramener une bouteille de vin pour voir si j’avais encore un minimum de force. C’est un sourire assez forcé que je lui offre. "Haut la main Anderson. Lever de coude au top." Elle n’a pas vraiment tort. Alors qu’elle est encore à son premier verre moi je viens de finir mon troisième et je me suis déjà resservi un quatrième verre. Boire autant ce soir n’est peut-être pas la meilleure des idées sachant que je n’ai quasiment rien mangé de la journée. Tout ce que j’ai avalé c’est un quart d’une salade. Et c’était à midi. Il est minuit passé je suis à jeun depuis douze heures. Boire le ventre vide n’est jamais conseillé. Mais je m’en fous. Est-ce qu’on peut me reprocher d’avoir envie de boire en ce moment. Non pas vraiment. Je ne pense pas du moins. C’est pas comme si je me foutais une mine tous les jours.
Je fuis son regard alors que je commence doucement à me livrer à elle. Je n’ai pas envie de la voir me regarder les yeux plein de pitié. Ça m’énerve. Même si les gens pensent bien faire. Croyez-moi ce n’est pas le cas. Me prenez pas en pitié. "Caleb ... tu reprendras jamais le cours de ta vie. Enfin, je veux dire, tu vas repartir de zéro. Tu vas réapprendre à vivre seul, à te constituer un autre quotidien, de nouvelles habitudes, mais ça ne va pas se faire du jour au lendemain.. même si je sais que tu en es conscient. C'est brutal, mais je suis sûre que tu vas passer au dessus. La douleur va s'estomper au fil des semaines." Brutal oui, ça l’est. Putain. Beaucoup trop même. En quelques secondes tout a changé. Ma vie entière, mes projets. Je suis pas sûr que la douleur va vraiment s’estomper. C’est pas possible. Ça fait beaucoup trop mal. Moi qui pensais être au summum de la douleur quand Alex m’a planté comme une merde il y a plusieurs années. Bah putain. Si je savais. C’était pas le cas. C’est ça la pire douleur qu’un être humain puisse ressentir. Et je le souhaite à personne. Pas même à mon pire ennemi. Personne ne devrait voir la femme de sa vie mourir. Je finis à nouveau mon verre et je le repose en face de moi. "Puis nous on est là. Pour t'aider, pour te soutenir. La famille ça ne sert pas qu'à organiser des brunchs dominicaux horriblement longs." Elle vient poser sa main sur la mienne. Je sais que je ne vais pas pouvoir garder le regard baissé encore longtemps. Il va falloir que j’affronte son regard. Je n’aime pas ça. Elle va voir la souffrance et la tristesse dans mes yeux. Je n’aime pas montrer mes faiblesses. Je déteste ça. Mais là, on est en plein dedans. Je serre doucement sa main avant de relever le regard vers elle, la regardant quelques secondes. Mais je finis très vite par regarder ailleurs. « T-t-tu sais ce que c’est le pire ? C’est que tout ça c’est m-ma faute. Je devrais même pas avoir le d-droit de me plaindre. » Je soupire. Putain. Ça faisait des années que j’avais pas bégayé. Pendant un grand nombre d’années quand j’étais plus jeune j’étais incapable de parler sans buter sur la moitié des mots. J’avais dû aller voir un orthophoniste. Et depuis je ne bégayais plus du tout. Le choc de sa mort, et les quatre verres de vin que je viens de boire en un laps de temps court le ventre vide ça ne doit pas aider. « Et je d-déteste ce putain d’appartement maintenant. » J’y ai vécu avec elle pendant de nombreuses années. J’ai beaucoup trop de souvenirs d’elle là-bas. « Et t-toutes ses affaires qui sont restées à la maison. Je sais pas quoi en faire. Ça m’énerve. » Une partie de moi sait que j’ai besoin de me débarrasser une partie de ses affaires, mais une l’autre partie de moi n’en a pas envie. Je ne suis pas prêt à tout jeter. Tous ces sentiments que je ressens sont plutôt contradictoires. Je ne sais pas quoi faire. Je suis perdu. Complètement paumé.
Romy n’avait pas besoin d’entendre le bruit qu’auraient pu faire ses méninges pour savoir qu’il cogitait plein tube. Caleb n’était plus qu’une boule de nerfs depuis trois semaines ; une boule de nerfs qui ne voulait voir personne, qui ne voulait recevoir aucune pitié, et quelque part tant mieux, puisque ce n’était pas ce qu’elle avait à lui apporter aujourd’hui. Du vin, de la nourriture et du soutien, voilà ce qu’avait embarqué avec elle la conseillère après son passage éclair au poste, et force était de constater que son cousin avait besoin de quelques remontants. Il avait l’air d’un zombie, comme s’il était arrivé au bout de quelque chose, mais peu désireuse de voir cet homme qu’elle appréciait profondément se terrer dans la culpabilité, la petite blonde tâchait de lui faire voir les choses sous un autre angle ; LV était morte, et il ne pourrait plus rien y changer, alors qu’il boive si quelques gouttes d’alcool peuvent l’aider à anesthésier sa peine l’espace d’une soirée. Elle serait là pour le ramener à la maison, elle serait là pour tout s’il le lui demandait. Il avait d’ailleurs fini par serrer sa main avec douceur, par relever le menton pour croiser son regard, et c’était déjà un exploit. Elle ne se risquait pas à un quelconque sourire compatissant, et quand bien même elle n’en aurait pas eu le temps puisque le brun détournait le visage rapidement. « T-t-tu sais ce que c’est le pire ? C’est que tout ça c’est m-ma faute. Je devrais même pas avoir le d-droit de me plaindre. » L’entendre bégayer lui serrait le cœur. Ô Caleb. Romy avait beau imaginer la peine qu’il pouvait ressentir, elle était certainement bien en deçà de la réalité. Elle avait bien du mal à donner le change, à trouver les mots justes, mais fort heureusement –dans un sens- pour elle, la prison l’avait endurcie. Au fil des mois à évoluer dans cet univers, elle avait acquis une vision plus terre à terre des choses, et si en règle générale c’était une phase du métier qui la désolait un peu, aujourd’hui elle était bien contente d’avoir rangé son côté fleur bleue pour ne pas fondre en sanglots devant son cousin. « Arrête de dire ça, tu as droit de te plaindre. C’était un accident Caleb, un accident. Personne ne t’en veut. » qu’elle soufflait d’une voix ferme, mais douce. Romy refuserait de l’entendre dire qu’il était responsable, puisque même si c’était lui qui conduisait, jamais il n’aurait sciemment mis en danger un seul des cheveux de LV. Sa disparition était déjà assez dramatique sans qu’il ne se mette à en porter l’entière culpabilité. « Et je d-déteste ce putain d’appartement maintenant. » Compréhensible . Romy s’étonnait même qu’il continue d’y vivre. A sa place elle aurait sans doute tout donné à des œuvres de charité pour recommencer à zéro quelques quartiers plus loin. « Et t-toutes ses affaires qui sont restées à la maison. Je sais pas quoi en faire. Ça m’énerve. » Ses lèvres se tordirent d’une grimace, prenant une nouvelle gorgée de vin pour se donner contenance –et elle en avait besoin- la petite blonde tentait de trouver quelque chose à répondre qui ne ressemblait pas à un mantra pourri qu’on ressortait à chaque personne endeuillée. « Et si tu louais un box ? Tu y mets toutes ses affaires, comme ça... tu ne les jettes pas mais tu ne les as pas sous les yeux. Puis pour l’appartement tu peux toujours essayer de repenser les espaces, de changer quelques meubles … ce n’est pas miraculeux mais ça te permettrait de ne pas te rappeler des souvenirs douloureux inutilement. » Bien qu’il n’y avait rien d’inutile dans le fait de repenser au passé, mais plus tard. Pour le moment Caleb ne tournerait pas la page s’il continuait à vivre dans cet océan de souvenirs, et même si ce n’était pas sa décision, elle se devait de lui donner son avis.
Quand Romy est arrivée je n’avais clairement pas en tête de me confier à elle. Au contraire, j’avais envie d’éviter le sujet qui fâche : la mort de LV. Bien qu’éviter ce sujet me semble assez compliqué parce que personnellement je ne pense qu’à ça. Je me souviens d’Isaac qui était venu me voir en voyant que j’avais été admis aux urgences ce soir-là, à ce moment-là je ne savais pas encore que la femme que j’aimais plus que tout au monde était morte. Je me souviens encore du médecin qui entre dans ma chambre un peu après et qui m’annonce le décès de celle qui devait devenir ma femme. Je me souviens encore de ce moment où j’ai eu l’impression que ma vie venait de s’écrouler autour de moi. Le médecin était là, en face de moi il me parlait et moi je n’arrivais plus à l’écouter c’est un peu comme si mon cerveau s’était mis en pause pour se protéger parce qu’il savait que la douleur serait beaucoup trop forte. Je me souviens de mes parents qui sont restés à mes chevets et qui n’arrêtaient pas de s’excuser et de me dire à quel point ils étaient désolés pour moi. Je sais que tout ça partait d’une bonne intention mais moi je n’avais clairement pas besoin de me coltiner mes parents et leur putain de pitié. Vous devez vous dire que je suis dur avec eux mais croyez-moi qu’ils ont été vraiment maladroits et ils le sont encore. Tout ça c’était il y a deux semaines. Et j’essayais de faire bonne figure devant ma cousine, j’essayais de faire comme si j’allais bien. Je ne voulais pas lui montrer à quel point la mort de vous-savez-qui m’avait rendu faible. Simple question de fierté. « Arrête de dire ça, tu as droit de te plaindre. C’était un accident Caleb, un accident. Personne ne t’en veut. » Ses parents doivent m’en vouloir. Sa famille. Qu’elle ne voyait que très peu depuis qu’elle m’avait suivi jusqu’en Australie, eux étaient restés en France. Ils doivent me détester. J’ai tué leur fille. Je leur ai enlevé. Oui c’était un accident. Mais un accident qui aurait pu ne pas avoir lieu si j’avais été un peu plus attentif. Je me déteste. Putain. Comment est-ce que je vais réussir à avancer dans ma vie maintenant ? Quoique, à quoi bon avancer dans ma vie ? Je n’ai plus vraiment de raison de vivre maintenant. Elle, elle est morte alors qu’elle n’avait rien demandé à personne. Elle était si parfaite. Elle ne méritait tellement pas ça. Quel con je fais. Mon regard est perdu dans le vide, je suis désormais incapable de la regarder trop longtemps. Et il est strictement hors de question que je me mette à pleurer devant elle. Aucun membre de ma famille ne m’a vu pleurer, pas même à son enterrement. Encore une fois, question de fierté. C’est stupide certes mais je n’aime pas qu’on me voit au plus bas. « M-moi je m’en veux. » Ce qui semble plutôt logique. Mais je suis le responsable de sa mort. Personne ne peut le nier. Tout ça à cause d’un stop. C’est tellement con et je crois que c’est pour ça que je m’en veux autant.
J’ai besoin de changer d’air et de partir. Pour ça je devrais commencer par quitter ce putain d’appartement. On l’avait choisi à deux, on avait choisi la décoration à deux, on aimait le quartier bref. On avait tout fait ensemble et maintenant je suis censé y vivre seul comme un con ? Je ne sais pas si j’en suis capable. « Et si tu louais un box ? Tu y mets toutes ses affaires, comme ça... tu ne les jettes pas mais tu ne les as pas sous les yeux. Puis pour l’appartement tu peux toujours essayer de repenser les espaces, de changer quelques meubles … ce n’est pas miraculeux mais ça te permettrait de ne pas te rappeler des souvenirs douloureux inutilement. » L’idée de louer un box n’est franchement pas mauvaise. Ça me permettrait de ne pas avoir à être confronté tous les jours aux affaires de LV sans avoir à les jeter. Comme ça le jour où je me sentirais prêt à réellement y faire le tri, il faudra simplement que je m’y rende. Alors que mes yeux étaient rivés sur mon verre de vin vide, je relève le menton vers la petite blonde. « Ouais... C’pas bête j-je ferais peut-être ça. » Mais je ne la regarde pas plus longtemps que ça, mes yeux se posent maintenant sur cette bouteille de vin que je prends dans le but de me servir un nouveau verre. Mais avant ça je réalise que j’ai déjà bu quatre verres et que j’ai le ventre vide alors boire encore ne serait certainement pas la meilleure chose à faire. Et puis, c’est Romy qui a ramené la bouteille et elle n’en a quasiment rien bu. Je décide finalement de reposer la bouteille dans un soupir et puis je me lève. Et c’est en me levant que je sens que j’ai bu, quasiment sans avoir mangé de la journée. Je sens que ma tête tourne un peu je ferme les yeux un instant, juste le temps de retrouver un équilibre plus stable. « Il faut que je prenne l’air... » Sinon je vais étouffer. J’ai l’impression de devenir fou. J’ai super chaud. Je suis fatigué. Je ne me sens pas bien du tout. Je me dirige alors vers la porte d’entrée pour l’ouvrir et profiter de l’air frais de la nuit. Adossé contre la vitrine de mon restaurant, je ferme à nouveau les yeux appréciant le vent frais. La rue est calme, il n’y a pas grand-monde. En même temps, il est une heure du matin maintenant un soir en pleine semaine. Les gens dorment et travaillent demain. « Tu diras à mes parents que je vais bien et qu’ils doivent pas s’inquiéter pour moi. » dis-je doucement à l’attention de ma cousine. Parce que oui, je reste persuadé que c’est ma mère qui lui a demandé de venir me voir pour s’assurer que je ne fasse pas de connerie. Mais je ne lui en veux pas. Sa présence me fait au final du bien ce soir.
Romy se souvenait avec une douloureuse exactitude de chaque moment suivant l'accident de voiture qui coûta la vie de LV. Que ce soit le séjour de Caleb à l'hôpital, les funérailles ou ces derniers repas de familles teintés d'inquiétude ... depuis que la jeune femme était décédée, c'était toute une famille qui vivait au ralenti tant le traumatisme était encore présent. S'il était compliqué pour les proches du brun de composer avec cette réalité dramatique, au moins les premiers temps, Romy ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce que son cousin pouvait ressentir, et ça lui brisait littéralement le cœur. Elle qui n'était d'ordinaire pas si coeur tendre se retrouvait frappée avec force par sa peine, et se sentait désarmée, impuissante. Ce soir elle était venue le trouver avec du vin qu'il affectionnait et des amarettis. Si ses mots ne pourraient pas suffire à l'apaiser, la nourriture et l'alcool feront l'affaire. Il avait choisi l'alcool, laissant à Romy tout le loisir de terminer ce foutu paquet de gâteaux, et c'était tant mieux car elle n'avait rien avalé de plus consistant qu'un paquet de M&M's à l'heure du déjeuner. « M-moi je m’en veux. » D'instinct elle aurait eu envie de dire "ne sois pas bête" ou "ça va passer" mais ce n'était certainement pas ce qu'il avait d'entendre, ni même ce qu'elle avait envie de dire. La situation était dramatique, et elle comprenait qu'il ne passerait pas au dessus de cette épreuve tout de suite. "Tu finiras par te pardonner Caleb." qu'elle soufflait en attrapant à nouveau sa main qu'elle serrait brièvement, la relâchant après une pression dans laquelle elle essayait d'y insuffler toute la compassion qu'elle avait en stock sans tomber dans le mélodramatique. Le brun méritait de ne pas subir une cousine qui ne voyait en lui que l'homme brisé qu'il était. La jeune femme voulait croire en l'avenir, tenter de lui y faire croire. Ce n'était pas gagné, mais elle y mettait toute son énergie.
Par la suite, Caleb la notifiait de son envie de réaménager son intérieur, chose qu'elle comprenait parfaitement. La présence de LV devait se faire sentir dans chacune des pièces de leur appartement, alors Romy tentait de faire fonctionner ses neurones, au moins pour rendre sa présence utile. Elle proposait la location d'un box pour y entreposer toutes leurs affaires, et si la situation s'y était prêtée elle aurait presque été tentée de lui proposer ses talents de décoratrice d'intérieur ... mais il était sans doute un peu trop tôt pour y penser. Caleb relevait le menton vers elle, ce qui la surprenait un peu. Depuis le début de leur échange, la petite blonde n'avait pas encore vraiment croisé son regard. Elle esquissait l'ombre d'un sourire, au moins histoire de ne pas souligner le dramatisme de la situation. Ce n'était pas le bon moment, pas après qu'il ne se soit ouvert à elle après ces ... trois ? quatre verres de vin ? « Il faut que je prenne l’air... » Rien d’étonnant. Hochant la tête, Romy eut tout juste le temps d'attraper sa veste pour suivre son cousin à l'extérieur. Ce dernier s'adossait contre la vitrine, et elle... crevait de froid. Sa veste tout juste enfilée elle se frictionnait les bras, frileuse qu'elle était. « Tu diras à mes parents que je vais bien et qu’ils doivent pas s’inquiéter pour moi. » Hé. Fronçant doucement les sourcils, la petite blonde s'approchait pour lui pointer le nez de son index. "Tu crois sérieusement que tes parents m'ont missionné pour te ramener de quoi picoler à une heure du matin un soir de semaine ?" demandait elle, faussement piquée au vif. Elle n'en voulait pas à Caleb qu'il puisse croire ça, mais c'était faux. Se laissant retomber à ses côtés, elle lui glissait un regard appuyé, battant des cils avec exagération. "Je suis sur ton dos depuis toujours. T'es mon cousin préféré je te rappelle" qu'elle soulignait avant de partir d'un petit rire. C'était facile, il était le seul, mais quelque part elle mentait à peine. Elle s'était toujours bien entendue avec le brun, depuis toujours. Pour elle c'était normal de l'épauler dans ce coup dur, mais jamais Romy n'aurait osé s'imposer.
J’ai l’impression que le temps passe si lentement. Les secondes sont devenues des heures et les heures sont presque comme des journées entières. J’ai l’impression de ne pas avoir vu Victoria depuis des mois entiers alors que ça ne fait que deux semaines. Deux semaines sans elle. J’ai peur. Peur d’oublier le son de sa voix, son rire, son rire, son accent français. Je ne sais pas si un jour je vais réussir à me le pardonner. Parce que cet accident était tout à fait évitable, parce que c’est moi qui conduisais cette voiture et c’est donc moi qui aurais dû mourir à sa place. Elle n’avait rien demandé à personne et elle est morte. Elle était beaucoup trop parfaite pour ce monde en fait. Je ne sais pas si cette douleur va finir par s’estomper un jour. Romy me dit que oui, petit à petit j’aurais de moins en moins mal. Et peut-être qu’elle a raison. J’espère qu’elle a raison. Parce que je ne sais pas si je vais réussir à vivre comme ça. C’est beaucoup trop dur. "Tu finiras par te pardonner Caleb." Ça je ne le sais pas, je n’en suis pas si sûr. Je ne sais pas si je vais avoir la force de me le pardonner. Je ne réagis pas, je me contente d’hausser les épaules sans relever la tête. Je ne la regarde pas. Me voilà veuf à vingt-huit ans. Enfin veuf… à peu près. On était pas mariés. Pas encore. On en a juste pas eu le temps, mais c’était tout comme. Je me demande ce qu’elle me dirait si elle me voyait dans cet-état. Elle me dirait certainement qu’au lieu de rester assis à picoler je ferais mieux de me bouger. Ou un truc dans le genre. Boire comme ça, ça ne me ressemble pas. Boire juste histoire de picoler et d’oublier ses problèmes je ne le fais pas souvent, voire quasiment jamais. Je me suis toujours dit que ce n’est pas avec l’alcool que mes problèmes allaient se résoudre. Sauf que là en fait, je me rends compte que si. Enfin non, ce n’est pas en finissant cette bouteille de vin que je vais trouver une solution à la mort de LV. De toute façon il n’y a pas de solution possible. Elle ne va pas ressusciter. Sauf que là maintenant tout de suite, je comprends toutes ces personnes qui boivent pour oublier leurs problèmes parce que moi j’ai envie de faire pareil. Et je déteste que Romy puisse me voir dans cet état. Je suis vulnérable. Je n’aime pas ça. C’est une des raisons pour laquelle je repousse tout le monde. Je ne veux pas qu’ils puissent me voir dans cet état-là. Vous trouverez peut-être ça un peu bizarre. Mais je préfère qu’ils aient une image positive de moi, plutôt que celle du pauvre mec qui vient de perdre sa fiancée, alors qui boit juste pour oublier à quel point sa vie est gâchée à tout jamais.
Je me sens fatigué, j’ai chaud, j’ai la tête qui tourne. Il faut que je sorte prendre l’air sinon je vais finir par étouffer ici. Je lui demande de rassurer mes parents. Parce qu’au fond de moi je reste persuadé que c’est eux qui lui ont demandé de venir s’assurer que je ne vais pas faire de connerie. Elle se met devant moi, me pointant du doigt. "Tu crois sérieusement que tes parents m'ont missionné pour te ramener de quoi picoler à une heure du matin un soir de semaine ?" C’est vrai que dit comme ça, ça me semble beaucoup moins logique que tout à l’heure. Elle marque un point. Elle a raison. Comme bien souvent d’ailleurs. « J’avoue que ça sonne moyennement bien. » J’admets, toujours évitant un peu son regard. Ce n’est pas contre elle que je ne la regarde pas, vraiment je vous assure. Je suis fatigué, j’ai mal à la tête. Je dors si mal. Je pense que je devrais aller chez le médecin pour qu’il me prescrive des somnifères sinon je vais devenir fou si je passe encore une nuit de plus sans fermer l’œil. Je ne sais pas si le mal de crâne est dû au vin ou au manque de sommeil mais le résultat est le même : j’ai un putain de mal de crâne. "Je suis sur ton dos depuis toujours. T'es mon cousin préféré je te rappelle" Je tourne la tête pour la regarder : oui cette fois je la regarde. Elle me regarde en battant des cils de façon complètement exagérée. En temps normal j’aurais ri avec elle et je me serais même très certainement foutu de sa gueule, mais là c’est un sourire triste qui apparaît sur mon visage. « C’est pas comme si t’avais vraiment le choix, je suis ton seul cousin. » Je lui fais remarquer. Je ferme les yeux un instant, l’air frais me fait du bien sachant que je ne sors quasiment pas ces derniers jours je crois que j’en avais un peu besoin. Je respire doucement, gardant toujours les yeux fermés. « Elle me manque. » Je me murmure à moi-même. Je n’ouvre pas pour autant les yeux. Le silence me fait du bien, la fraîcheur nocturne aussi, et la présence de ma cousine également. Je ne lui saute pas au cou, je ne lui fais pas des millions de sourires et je ne ris pas à toutes ses tentatives de blagues mais pourtant elle au moins elle est à et c’est tout ce qui compte. Je finis enfin par ouvrir les yeux. « J’suis fatigué. » Je suis tellement, tellement, tellement fatigué. « J’pense que je devrais rentrer. Et essayer de dormir. » Je dis bien essayer. Parce qu’au final je sais très bien que je vais rentrer, je vais m’allonger dans mon lit et au final, je vais être incapable de dormir. C’est comme ça depuis deux semaines alors je ne vois pas pourquoi ce soir ça changerait.
Il y avait quelque chose de profondément tragique dans la vie de Caleb. Sa moitié l'avait planté avec leurs projets d'avenir en le quittant si jeune, et lui se sentait responsable de tout ou presque. Romy en avait le cœur serré, et du mieux qu'elle le pouvait, la petite blonde avait tenté d'insuffler un peu de tendresse chez son cousin en prenant sa main, en lui amenant à boire et à manger, et quelque part un peu de réconfort. La soirée qu'ils passaient avait beau n'avoir rien de conventionnel -du moins si l'on considérait que venir tambouriner à la vitrine d'un restaurant après être sortie du poste de Police avec une bouteille de vin et des amarettis sous le bras ne l'était pas- quelque part elle espérait que cette petite interlude lui avait fait du bien, l'avait aidé à avancer un petit peu. Pourtant, ce n'était pas un sentiment de satisfaction qui l'assaillait lorsque le duo quittait la salle pour rejoindre l'extérieur. Il faisait frais ce soir, et si Romy frissonnait sa veste à peine enfilée, Caleb, lui, semblait profiter de ce moment d'apaisement pour se remettre les idées en place. Il avait bien trop bu, si bien que la jeune femme s'était promis de ne pas le laisser rentrer seul ce soir, mais pour le moment il n'était pas encore question des au revoir. D'un ton assuré, elle lui assurait ensuite qu'elle n'était pas missionnée par les parents Anderson pour venir prendre des nouvelles, elle n'aurait jamais osé. « J’avoue que ça sonne moyennement bien. » Effectivement. Romy hochait la tête, levant les yeux au ciel d'une façon presque imperceptible. Elle était venu voir le brun car elle s'en faisait pour lui, pas parce qu'elle se sentait redevable de quoique ce soit. « C’est pas comme si t’avais vraiment le choix, je suis ton seul cousin. » Touché. "Ouais ... mais je suis sûre que si j'en avais eu d'autres tu serais mon préféré." Déjà parce qu'il cuisinait, et ensuite parce qu'elle se sentait profondément liée au trentenaire. Il s'était toujours montré présent, honnête, à l'écoute, et ça suffisait à la petite Ashby. Puis quand bien même il n'y en aurait jamais d'autres alors c'était réglé. Caleb la surprit ensuite en fermant les yeux, rejetant le crâne contre la vitrine de son restaurant, soufflant un : « Elle me manque. » qui lui serrait le cœur. Que répondre à ça ? La jeune femme l'ignorait, mais quelque part elle se disait qu'il n'y aurait jamais de réponse suffisante pour combler ce vide affectif que ressentait le brun. « J’suis fatigué. J’pense que je devrais rentrer. Et essayer de dormir. » Et si elle n'était pas capable de faire quoique ce soit pour atténuer la peine ressentie par la perte de LV, Romy pouvait en revanche se montrer utile en étant un backup hors pair pour soutenir son cousin et le ramener jusque chez lui. "Je te ramène chez toi, belle au bois dormant." soufflait elle en exerçant une pression contre son avant bras pour le faire revenir dans le monde des vivants. "Ce vin était top, mais t'en as bu pour deux." qu'elle ajoutait dans un demi sourire, réajustant sa veste contre elle. Il faisait froid, tellement froid.