Posé dans l’amphithéâtre accueillant un peu plus de 200 élèves ce matin, tous silencieux et assidus pour assister au second cours magistral de la matinée, je prends des notes, concentré et appliqué sur ce que j’apprends. On ne va pas se mentir, tous les cours ne sont pas intéressants, ni enrichissants et souvent, j’éprouve l’envie de me tirer d’ici. J’ai du mal à rester en place, bien sagement tandis qu’on me fait la leçon. C’est dans ma nature, je me lasse extrêmement vite. Cependant, à chaque fois que j’ai la bougeotte, il me suffit de penser à Mo’ et à sa petite tête adorable pour me rappeler à l’ordre. Je me dis qu’elle vaut bien que je sacrifie un peu de ma liberté pour elle. Le but c’est d’apprendre un vrai métier (pas un de ceux où il suffit d’avoir une belle gueule pour exister) qui me permettra à terme de récupérer la garde alternée. Et puis d’être stable, même si le concept ne m’attire absolument pas. Je vais m’ennuyer si je laisse la routine s’installer et ça ne me dit rien. Toutefois, Mo’ elle a besoin de ça alors, je vais faire l’effort de me stabiliser la moitié du temps, quand elle sera avec moi. C’est l’idée en tout cas, on verra bien comment les choses se dérouleront. Pour l’instant, je m’en tiens au plan A qui n’est pas si terrible que ça, faut bien l’admettre. (Je n’ai pas vraiment de plan B, j’improviserai si ça merde.)
La fatigue de la courte nuit que j’ai passé me rattrape, je baille et enfouit mon visage dans ma main quelques instants. Pas longtemps, juste quelques instants. L’annonce de la prof me fait sursauter et je me redresse en fronçant les sourcils, curieux de connaître les thèmes du travail de recherche à faire. Être en groupe me fait carrément chier, je bosse mieux seul et surtout aux heures où moi je le décide. En soupirant, je rassemble mes affaires et descends jusqu’au tableau pour récupérer le devoir et découvrir avec qui je vais devoir faire équipe dans les semaines à venir. Petit blazer gris, jean et converse, je déambule nonchalamment parmi la cohue d’élèves en espérant ne pas tomber sur un boulet de service qui va faire descendre ma moyenne en flèche. Je sais que mon prochain stage dépendra de mes notes, et je n’ai pas l’intention de céder ma place à qui que ce soit.
- White ! Anderson ! Venez voir par ici !
Me faire interpeller par la prof, c’est plutôt rare. J’arque les sourcils et m’approche, un peu hébété, découvrant une jolie petite brune à ses côtés, avec un air affligé sur le visage en me regardant. Je lui lance un sourire appuyé avant de me concentrer sur la prof qui me colle des feuillets dans les mains. Je parcours des yeux ces derniers, qui comportent le thème du devoir qu’elle m’a remis en personne, interloqué et intéressé par cette marque de confiance. L’adoption plénière : définition, condition, effet.
- Je vous ai mis ensembles pour ce sujet, considérez cela comme une faveur de ma part. Je compte sur vous pour m'éblouir.
Je relève mon regard vers la jolie brune et la dévisage un court instant. Trop belle pour être intelligente, c’est la première réflexion qui me vient en tête. Complètement stupide, n’est-ce pas ? Je sais. Heureusement pour moi, et pour les gens, je ne m’arrête pas sur ma première impression. Et puis, je sais parfaitement à qui j'ai affaire. Major de la promo l'an dernier, derrière ce petit air innocent se trouve un redoutable adversaire, je ne suis pas con.
- Vous exposerez votre travail la semaine avant les ponts de Mai, et pour ce faire vous disposez de tout le matériel de l’académie, de ses partenaires associatifs et juridiques. J’attends de vous deux un exposé exemplaire, c’est clair ?
Je hoche simplement la tête et fourre les feuillets dans mon sac, avant de remettre mes cheveux vers l’arrière. Air las sur le visage, je pense simplement. Trois semaines, c’est le temps dont je dispose pour faire un exposé exceptionnel. Je sens que mon sommeil va encore en prendre un coup. La prof nous a laissé seuls, face à face et je vois bien l’embarras de la jeune femme. Je souris, amusé et sort mon téléphone. Je ne suis pas du genre à travailler en équipe.
- File-moi ton numéro. Je lui dis simplement sans la regarder, feignant d’être déjà ennuyé par notre conversation qui vient à peine de débuter. La vérité, c’est que j’ai terriblement envie de fumer. Je ne vais donc pas m’attarder à l’intérieur. Vu qu’elle ne réagit pas, je la regarde dans les yeux et lui explique
- Quand j’aurai fait le devoir, je t’appellerai pour qu’on s’arrange pour l’oral, ça va ?
Je travaille trop. Je fais la même constatation depuis des jours maintenant, mais je crois qu’aujourd’hui j’ai atteint un point de non-retour. Je me frotte les yeux pour la dixième fois durant ces quinze dernières minutes, tâchant tant bien que mal de ne pas succomber au sommeil qui menace de me tomber dessus à chaque instant. Rester concentrée est devenu beaucoup trop compliqué et je suis passé en mode pilote automatique, prenant des notes sur je ne comprends même pas sur un cours que je ne maitriserais jamais en sortant de cet amphithéâtre, faute de l’avoir écouté convenablement. Je sais que ce n’est pas grave, que je rattraperais mon retard en travaillant davantage chez moi, mais j’ai aussi conscience que je suis en train d’accumuler du retard et que ce dernier risque de me porter préjudice si je continue sur cette lancée. Malheureusement, mon échéance de loyer arrive à grands pas et l’argent prévu pour ce dernier a dû être dépensé pour éponger une dette qui ne pouvait plus être reportée à une date ultérieure. Les heures supplémentaires sont donc le seul moyen pour moi de m’en sortir et lever le pied n’est donc pas prévu pour tout de suite. Peut-être que je devrais laisser ma fierté de côté, rien que pour cette fois, et demander de l’aide à mon frère ou à mes parents qui pourraient sûrement me dépanner et me permettre d’aborder plus sereinement cette fin d’année scolaire qui s’annonce compliquée en termes de temps et donc d’organisation. Je sais d’avance que je ne ferais jamais une chose pareille, mon ego m’en empêche. J’aime vanter mon indépendance et ma capacité à m’en sortir seule, alors, même dans un moment où je ne m’en sors plus si bien que ça, je n’ai pas l’intention de dévier de ma ligne de conduite et je préfère largement utiliser toutes mes ressources jusqu’à parvenir à un épuisement total plutôt que de reconnaitre que j’aurais besoin d’un peu d’aide. Mon stylo retombe sur le papier et je pousse un soupir de soulagement, heureuse que cette séance de torture touche enfin à sa fin. Malheureusement pour moi, l’annonce d’un devoir en binôme finit d’achever cette journée d’horreur et l’appel de mon nom au bureau alors que je me dirige patiemment vers les documents à récupérer n’arrange rien. J’ai peur que mon professeur ait remarqué mon involontairement endormissement car même si j’ai lutté contre, j’ai bien conscience d’avoir décroché à maintes reprises. Je prépare mentalement le discours d’excuses que je vais bien pouvoir lui servir lorsqu’elle me colle des feuilles dans les mains, m’annonçant dans la foulée que je vais devoir faire équipe avec ce fameux White qu’elle vient de mentionner. Son ton est sec, sans appel, il va nous falloir nous accorder et donner le meilleur de nous-mêmes. « Très clair. » Je confirme, la laissant tourner les talons pour répondre aux questions d’autres groupes qui sont déjà perdus à la simple lecture du sujet. Cette constatation m’aurait certainement fait sourire en d’autres circonstances, mais dans le cas présent, je suis trop occupée à dévisager mon binôme pour profiter du malheur des autres. L’enseignante a dit qu’il fallait que je considère notre duo comme une faveur de sa part, mais lorsque je le vois, j’ai vraiment l’impression que la faveur a été bien dissimulée. C’est avec ça que je vais devoir travailler ? Sérieusement ? Ce mec a l’air de tout sauf d’un futur avocat. Je mise carrément sur l’option fils à papa avec une vie beaucoup trop facile et un besoin de se démarquer pour se sentit vivant, typiquement le genre de connard qui aime montrer que c’est lui qui a la plus grosse, en prouvant sa valeur par des actes aussi stupides qu’irréfléchis. Pas de chance pour lui, je suis stripteaseuse, pas assistante sociale et je n’ai pas du tout l’intention de prendre de gants pour ménager sa petite bouille de jeune premier dissimulé sous une apparence de mauvais garçon. « Non. » Ça ne me va pas du tout, mec, et si tu crois que je vais te laisser ruiner mon année scolaire parce que tu n’en as rien à foutre de te planter ou non, tu te trompes lourdement. Nous n’avons même pas encore commencé à bosser et il me sort déjà par les yeux. « Je t’explique comment ça va se passer. » J’emploie le même ton qu’une maman en train d’expliquer à son bébé qui ne comprend rien que jeter la purée par terre est vraiment une grosse bêtise, on part clairement sur le mauvais pied mais je ne m’en formalise pas le moins du monde. « On va sélectionner chacun cinq ouvrages traitant du sujet, on lit les parties qui nous intéressent, on fait une synthèse pour qu’on puisse tous les deux avoir une idée de ce qui a été abordé dans chacun des textes, ensuite on se revoit pour établir un plan, on se répartit les tâches et on prépare l’exposé. » C’est déjà un bon début, mais je ne compte pas m’arrêter là. « Quand tu as fini, tu m’envoies ton travail pour que je puisse y apporter mes corrections, de préférence quatre ou cinq jours avant l’oral pour que j’ai le temps de bien relire, et si tu veux, je ferais de même. » Mais il n’y aura évidemment rien à retravailler dans mon exposé, j’ai bien l’intention de rendre un devoir absolument parfait. « Je t’enverrais par mail un planning avec des dates plus précises et je détaillerais l’échéancier prévisionnel pour que tu ne sois pas trop à la masse. » Après tout, c’est un homme, l’organisation ne doit pas être son point fort et je préfère largement me servir des adresses emails données à l’ensemble de la promotion, moins personnelles que les numéros de téléphone. « Si tu dois chercher des informations sur internet, évite les sites du style justice facile ou les bases du droit australien et n’oublie pas de m’envoyer ta bibliographie, ça évitera qu’on emploie des informations redondantes. » Voilà, on a fait le tour, je vais pouvoir aller faire une sieste bien méritée avant de me plonger dans ma recherche d’ouvrage. Le professeur nous a bien fait comprendre que cet exposé était extrêmement important pour notre parcours et je ne compte pas la décevoir. « Je dois éclaircir quelques points ou tu penses que tu t’en sortiras ? » J’espère que je n’aurais pas à le tenir par la main, j’ai déjà trop de choses à faire en ce moment, je n’ai pas besoin de me coltiner un boulet supplémentaire, mais malheureusement je doute qu’il soit à la hauteur de mes espérances et je me prépare à passer les trois semaines les plus intenses de ma vie.
- Non. Je cligne des yeux, surpris. Je rêve où elle vient de refuser mon offre (qui soit dit en passant est et sera la meilleure que je lui ferais jamais) ? Je comprends très vite alors que la ‘faveur’ est en réalité un véritable poison et je soupire fortement en guise de protestation. – Je t’explique comment ça va se passer. Bah tiens ! Parce qu’elle croit que je vais écouter ses jérémiades ? Je pouffe, la dénigrant totalement au passage en détournant le regard. La vérité, c’est qu’elle me fait déjà chier et que je ne vais certainement pas réussir à la supporter plus de 5 minutes en trois semaines. Et ça fait déjà 2 minutes qu’elle me casse les couilles. C’est long deux minutes, vraiment. L’amphi s’est presque totalement vidé et je ne vois pas du tout l’intérêt de rester là. Je fais craquer ma nuque, appuie mes fesses sur le rebord du bureau de la prof, croise les bras et avec un regard bien ennuyé j’observe la demoiselle qui s’évertue à m’expliquer son plan que je ne suivrai pas de toute évidence. Primrose Anderson. Une des rares meufs constamment absentes aux soirées et qui déambulent dans les couloirs comme une ombre, comme si elle n’appartenait pas à cette université. Une des meilleures, aussi. A l’écouter exposer sa façon de faire, il est facile de conclure qu’elle passe tout son temps libre à réviser, à vivre droit, rêver droit et peut-être même baiser droit tiens. Ça ne m’inspire pas franchement, faut l’avouer. Elle m’exaspère, mais en dépit de toute l’irritation qu’elle provoque en moi, je lui trouve une logique implacable. Si j’étais un débile profond, je serais contente d’être en duo avec elle. Sauf que voilà, je ne suis pas un débile profond et son petit plan bien carré, je n’en ai rien à foutre. – Je dois éclaircir quelques points ou tu penses que tu t’en sortiras ? Ah ouais, quand même. Elle pense vraiment que je suis attardé. C’est peu flatteur, mais malheureusement c’est souvent le cas quand vous arborez des tatouages.
Je me décale du bureau, et lui réponds avec un sourire mutin – Je m’en sortirai, t’inquiète. Sans toi et sans ton plan que j’emmerde. Trouve-toi une raison d’être absente le jour de l’exposé, ça devrait suffire. Je lui fais un clin d’œil et lui tourne le dos, aussi simplement que ça. Je n’ai pas envie de m’attarder davantage avec Madame Je-Sais-Tout, elle me gonfle. Je sors une clope de ma poche, la glisse entre mes lèvres et sors au-dehors. J’allume ma sèche rapidement et tire dessus en fermant les yeux longuement. La porte s’ouvre bruyamment derrière moi. Elle m’a suivi. Je roule des yeux, me tourne vers elle et la regarde en disant – Quoi ? Y’a un truc que tu piges pas dans ce que je viens de te dire ?
Dire que je pensais que monsieur White allait se montrer coopératif serait évidemment un mensonge vu l’attitude dont il fait preuve alors que je lui explique le plus normalement du monde comment notre collaboration sur ce devoir est censée se dérouler. Je feins d’ignorer son comportement, continuant sur ma lancée alors que je lui explique la méthode carrée que j’ai élaborée à l’instant pour avoir la meilleure note de la promotion et ainsi m’assurer cette place en doctorat qui me fait de l’œil depuis le début de l’année. Toutefois, même en étant certaine d’être en train de le faire incroyablement chier, je m’attendais tout de même à ce qu’il capitule, me laissant gérer les choses à ma manière alors qu’il se contenterait de jouer les petits caniches obéissants parce que c’est ce que font tous mes partenaires de travail en temps normal. Et après tout, quoi de plus logique ? J’ai de bonnes notes, je travaille bien, ils n’ont donc pas de raison de ne pas me laisser prendre les commandes ce que je fais donc tout naturellement à chaque fois qu’un travail de groupe est annoncé. Bien sûr, je préfère largement travailler seule, ça me permet de m’organiser comme je le souhaite et, compte tenu de mon emploi du temps plus que chargé, il est évident que je ne peux pas laisser trop de place à l’imprévu.
Malheureusement pour moi, White n’est pas de cet avis et alors qu’il emmerde le plan que je viens de lui proposer, je dois serrer les dents pour ne pas lui rétorquer d’aller se faire foutre sans prendre la peine d’essayer d’arrondir les angles pour que cette collaboration ne tourne pas au drame. Et il se casse, en plus, sans le moindre scrupule, tournant les talons comme si nous avions fait le tour de la discussion et que le sujet était clos. Il ne manque pas de toupet. Encore une fois, il s’imagine que je vais lâcher l’affaire, que ça n’a pas vraiment d’importance et qu’en bon fils à papa qui se respecte, il peut tout se permettre sans être inquiété. Il est absolument hors de question que je laisse cette espèce de connard sans cervelle décider de l’avenir de ma scolarité dans cette université. Je suis prête à le harceler pendant des jours pour finir par avoir gain de cause si ça peut me permettre de conserver le contrôle de la situation. Evidemment, je n’irais jamais voir notre professeur pour me faire porter pâle, tout comme je ne le laisserais pas préparer cet exposé seul et venir les mains dans les poches avec sa gueule de faux rebelle qui se fout de tout pour saccager mes perspectives d’admission dans cette filière que je souhaite vraiment découvrir dès l’année prochaine.
C’est donc en courant que je le rattrape au-dehors, constatant bien rapidement que monsieur s’est installé pour fumer sa clope, jugeant probablement que le devoir n’a finalement pas assez d’importance pour qu’il prenne la peine de s’en préoccuper davantage. Furieuse, je me plante devant lui, sac sur l’épaule, bras croisés contre la poitrine, prête à défendre mon point de vue avec une hargne plus vive que jamais. « Tu peux abandonner l’idée de m’exclure de ce travail, tu as peut-être l’habitude de claquer des doigts et d’obtenir tout ce que tu veux, mais ça ne fonctionnera pas avec moi. » Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais. Je vais présenter un exposé que j’aurais envie de présenter et non pas celui qu’il tentera de m’imposer, même si je dois y laisser ma santé. « Si ça te fait plaisir de jouer les apprentis rebelles parce que ta vie est trop chiante et que tu t’emmerdes, grand bien te fasse, mais dans le cas présent, je prends les décisions et si ça ne te convient pas, libre à toi d’aller voir la prof pour lui dire que tu ne souhaites pas travailler avec moi. » Je ne me laisserais pas marcher dessus, il va falloir qu’il le comprenne et s’il pouvait capituler dès maintenant pour me laisser aller faire la sieste que je mérite amplement après des journées et des nuits beaucoup trop longues, ce serait absolument merveilleux. Me battre avec un crétin pareil me fatigue et sa désinvolture me sort par les yeux. « Si tu comptes présenter quelque chose dans trois semaines, ce sera à ma manière et ce n’est pas négociable. » J’aime maitriser la situation et si dans ma vie de tous les jours, la plupart de mes actes échappent totalement à mon contrôle et sont guidés par des personnes peu recommandables, j’ai la chance de pouvoir avoir un peu d’emprise sur le déroulement de ma scolarité ce qui me permet de compenser un peu cette impuissance difficile à accepte face aux ordres que je reçois. J’espère qu’il a compris, maintenant, et qu’on va enfin pouvoir passer à autre chose.
Cigarette fumante entre les lèvres, j’observe Primrose qui s’avance vers moi avec un air déterminé et je ne peux pas m’empêcher de sourire connement. Faut dire que j’ai toujours aimé que les meufs me courent après, et de voir celle-ci très énervée le faire m’envahit d’un plaisir particulier.
- Tu peux abandonner l’idée de m’exclure de ce travail, tu as peut-être l’habitude de claquer des doigts et d’obtenir tout ce que tu veux, mais ça ne fonctionnera pas avec moi.
Ah oui ? Je serais curieux de voir la façon dont elle compte me faire céder, car en réalité, j’obtiens TOUJOURS tout ce que je veux. Pas forcément en claquant des doigts d’ailleurs, mais ça je me fiche qu’elle le sache et je doute qu’elle y porte de l’intérêt. Madame n’a pas l’air d’avoir l’habitude qu’on lui résiste, et moi je ne suis pas quelqu’un à qui on dit quoi faire. Jamais. J’y mets d’ailleurs un certain point d’honneur. Plus on insiste, plus je fais l’inverse. Ça m’a coûté des contrats, des diplômes, du temps mais mon égo semble bien plus gros que tout ça réuni.
- Si ça te fait plaisir de jouer les apprentis rebelles parce que ta vie est trop chiante et que tu t’emmerdes, grand bien te fasse, mais dans le cas présent, je prends les décisions et si ça ne te convient pas, libre à toi d’aller voir la prof pour lui dire que tu ne souhaites pas travailler avec moi.
J’arque les sourcils en l’écoutant et je pouffe tout en relâchant la fumée. Aller trouver la prof pour me plaindre ? Mais jamais de la vie ! Je crois qu’elle se trompe vraiment sur ma personne pour le coup. ça ne me vexe pas, mais elle va tomber de haut. Je me penche vers elle avec un sourire insolent pour répondre calmement, en articulant bien pour qu’elle saisisse la légère nuance moqueuse.
- Mais je n’irai pas voir la prof pour cafter, t’sais. J’ai juste pas besoin de toi pour faire mon exposé.
Car jusqu’à preuve du contraire, je me démerde comme un grand. Ça fait trois ans que je suis exilé de mon pays natal, que j’ai tout quitté pour m’installer ici et je ne m’en tire pas trop mal. J’ai réussi à me faire de nouveaux potes, à m’intégrer à l’université et en-dehors, je vois Morgane tous les dimanches et une fois par mois je l’ai rien que pour moi durant trois jours alors ouais, je crois que je n’ai de leçons à recevoir de personne en fait. Je bosse, j’étudie et je t’emmerde en gros. C’est pas une chieuse, aussi mignonne soit-elle, qui me fera dériver de mon plan tout tracé. Ça va, je sais ce que ça apporte une meuf : des emmerdes, point. Et celle-là n’est pas différente des autres, à part peut-être qu’elle insiste et tient absolument à me casser les couilles. Je balance ma clope terminée, légèrement exaspéré et me baisse un peu pour plonger mon regard dans le sien et lui expliquer ma vision des choses.
- Ok. Premièrement : va te faire foutre. Ta manière de faire je m’en cogne, c’est clair ? Je ne suis pas le bon petit chien qui remue la queue si tu montres les dents ok ? Donc tu peux arrêter tout de suite ton cinéma. Et deuxièmement, si tu tiens à faire ce devoir absolument, c’est moi qui dicte les règles. Et la première des règles, c’est que tu me donnes ton putain de cellulaire meuf.
Je lui tends mon téléphone avec un petit sourire irrité au coin des lèvres. Mon regard, lui, n’est pas rieur du tout.
Encore une fois, il a l’air de trouver la situation extrêmement amusante, il se délecte de me voir sortir de mes gonds comme si c’était le spectacle le plus enthousiasmant auquel il ait pu assister. Evidemment, ça a pour conséquence de m’énerver encore davantage, parce que je ne comprends pas qu’il puisse à ce point en avoir rien à faire que notre binôme ne fonctionne pas et que, par conséquent, nous écopions d’une sale note qui pourrait remettre en question le parfait dossier scolaire que j’essaie de construire pour m’assurer une bonne place dans le classement annuel. Forcément, je me doute que nous n’avons pas les mêmes préoccupations dans la vie, que cette année scolaire est pour lui une goutte d’eau dans l’océan de possibilités qui s’offrent à lui. Je suis sûre qu’il a un père millionnaire, ou une connerie du genre. C’est typiquement le genre de mec qui peut avoir tout ce qu’il veut et qui fait semblant de ne rien vouloir ou de ne pas trouver sa place parce qu’il veut se la jouer écorché ou torturé ou que sais-je encore. Je trouve ça pathétique, s’il a envie de vibrer, il n’a qu’à sauter à l’élastique, s’inscrire à un cours de trampoline ou aller draguer des filles beaucoup trop bien pour lui, ou même mariées pour plus de sensations, mais qu’il arrête de me faire chier parce qu’il est en train de mettre mes nerfs à rude épreuve. « Mais je m’en fous que tu aies besoin de moi ou pas ! » Je crie à moitié alors que les regards des quelques étudiants qui se trouvent aux alentours se tournent vers nous, espérant sans doute assister à une dispute de couple plutôt qu’à un conflit sur un devoir qui serait forcément beaucoup moins passionnant. « Moi non plus je n’ai pas envie d’être ton binôme et je suis parfaitement capable d’aller au bout de ce travail sans toi, je crois même que je m’en sortirais beaucoup mieux si tu n’étais pas là, mais on n’a pas le choix ! » Ne pas réussir à travailler à deux reviendrait à prouver que nous ne sommes pas capables de respecter la consigne du devoir. La mauvaise note nous pend au nez et je ne veux pas laisser passer une nouvelle opportunité de briller. Je me demande à quel moment notre prof a cru qu’elle nous faisait réellement une faveur, nos deux egos ne sont pas du tout compatibles et je refuse de capituler face à ce mec qui a la grosse tête et une estime de lui-même qui dépasse l’entendement. Pourtant, j’aurais adoré le voir présenter seul pour qu’il se plante lamentablement devant tout le monde, me délecter de son échec aurait été un véritable régal. Malheureusement, dans le cas présent, son échec sera aussi le mien et je ne suis pas prête à remettre en cause ma scolarité par pure envie de vengeance.
Son insulte manque de m’étirer un sourire narquois et je retiens de justesse un si tu savais qui aurait été hautement inapproprié dans le contexte dans lequel nous nous trouvons bien que particulièrement salvateur tant j’ai besoin d’extérioriser la frustration qu’il provoque en moi et de l’envoyer chier une bonne fois pour toutes. Je m’apprête à lui rétorquer que c’est dommage qu’il ne puisse pas se comporter en gentil chien obéissant parce que je lui aurais donné une friandise pour le récompenser pour son obéissance et sa loyauté envers son maitre mais son point numéro deux m’offre une possibilité que je n’aurais pas envisagé auparavant. Sans attendre, je lui prends son téléphone mais au lieu d’y saisir mon numéro, comme il s’y attend très certainement, je le garde bien serré dans ma main avant de reculer de deux ou trois pas. « Bien, j’imagine que ceci a assez de valeur pour que tu puisses envisager de reconsidérer ma proposition. » Et je recule encore davantage, mettant assez de distance entre nous pour avoir le temps de voir venir s’il décide de se jeter rageusement sur moi pour récupérer son précieux téléphone portable. Je ne fais pas le poids face à lui, c’est évident, mais je compte bien sûr sur son envie de montrer que rien ni personne n’est capable de l’atteindre pour qu’il ne réalise pas vraiment qu’il est en train de me confier quelque chose dont il aura besoin tôt ou tard. Mon attitude est affreusement puérile, mais ans une situation qui semble inextricable et à laquelle j’ai vraiment besoin de trouver une solution, je tente le tout pour le tout. « Je serais à la bibliothèque en train de chercher des livres correspondant à notre sujet, quand tu seras décidé à coopérer, tu pourras venir chercher ça. » Et je brandis le téléphone comme s’il avait pu oublier en l’espace de dix secondes ce que je venais de lui prendre. Je tourne les talons, prenant la direction que je viens de lui indiquer, priant pour qu’il capitule et me suive avec un peu plus de bonne volonté que celle dont il a fait preuve jusqu’ici. Bien sûr, j’ai parfaitement conscience que le risque qu’il pète un câble n’est absolument pas négligeable et je compte les secondes avec la bombe White m’explose en pleine figure, éradiquant tout ce qui se trouve sur son passage. Décidément, cet exposé va sans doute être le pire de toute mon existence, je mériterais une médaille pour réussir à supporter pareil connard pendant trois longues semaines et honnêtement, je ne suis même pas sûre d’en être capable.
Je crois que je vais la faire disjoncter, et rien ne saurait me faire plus plaisir à présent. Encore un peu et je suis sûr qu’elle va finir par me supplier d’arrêter de faire ma tête de con. Et je le ferais, évidemment. Moi aussi la note m’importe et je n’ai aucune envie de niquer mon semestre parce que je ne peux pas travailler avec elle. Mais mon égo a un pouvoir extraordinaire sur moi, il m’oblige à accomplir des choses totalement contre-productives assez souvent. Toutefois, l’aspect obligatoire du travail en binôme la force à baisser un peu les armes et j’en profite pour lui expliquer mes propres conditions. A vrai dire, je veux juste son numéro pour la joindre facilement par rapport à l’exposé rien de plus, et vu qu’elle refuse de me le donner, j’insiste et je n’arrêterai pas tant que je n’aurai pas obtenu gain de cause. Je suis tout à fait conscient que c’est puéril comme comportement, mais c’est aussi une lutte pour le pouvoir. Si j’abdique, je lui donne le pouvoir. Et il en est hors de question.
Lorsque je la vois attraper mon téléphone, le petit éclat malicieux qui éclaire ses prunelles ne me dit rien qui vaille. Elle recule. Je fronce les sourcils devant son attitude étrange d’un coup. Qu’est-ce qui est compliqué dans le fait d’inscrire son numéro ? Elle n’a pas d’Iphone ? Elle veut un tuto ? Les sourcils arqués, je regarde la manœuvre assez dubitatif. - Bien, j’imagine que ceci a assez de valeur pour que tu puisses envisager de reconsidérer ma proposition. J’ouvre la bouche, hébété. Elle est sérieuse là ? Je la regarde filer lentement tandis que je reste figé, un peu halluciné par ce qu’elle est en train de faire. - Je serais à la bibliothèque en train de chercher des livres correspondant à notre sujet, quand tu seras décidé à coopérer, tu pourras venir chercher ça.
A vrai dire, je suis tellement choqué que pendant plusieurs secondes, le temps de tout bien intégrer (son geste, son attitude, ses mots et le fait qu’elle vient de kidnapper mon iphone x sans aucun scrupule) que je ne bouge pas jusqu’à ce qu’elle disparaisse en direction de la fameuse bibliothèque. Sitôt qu’elle a disparu, je jette un coup d’œil circulaire autour de moi et souris bêtement en passant ma main sur mon crâne. Je ne suis pas inquiet pour mon phone, même si elle me le casse, ma dernière mise à jour iTunes remonte à hier soir alors. Cette nana est tarée, il n’y a pas d’autres explications. Et bordel, merde, j’aime trop ça en fait.
Mais malheureusement pour elle, elle vient de provoquer la bête qui sommeille en moi et c’est d’un pas lent mais déterminé que je me dirige à mon tour vers la bibliothèque. Je déteste littéralement cet endroit, c’est glauque, l’ambiance est mortelle et ça pue. Je préfère travailler avec de la musique qui crache dans mes enceintes en général. Je ne comprends absolument pas ceux qui aiment cet endroit pourri, qui transpire l’ennui. Pourquoi s’infliger ça honnêtement ? Y’a du monde dehors, le monde même, sortez, aérez-vous et bronzez un peu merde ! A rester à l’intérieur, ils finissent tout blancs ces australiens (à mon instar mais moi, j’ai juste une peau fragile de londonien).
Sans l’avoir repéré pour autant, j’avance dans la bibliothèque où règne un calme plat. Plus pour longtemps. Je toussote, me racle la gorge et d’une voix puissante, je déclare bien fort :
- DITES MOI, MISS ANDERSON, A QUOI BON TELEPHONER SI VOUS ETES DANS L’INCAPACITE DE PARLER ?
Je cite Matrix, évidemment. Et je suis mort de rire à l’intérieur. Les élèves, outrés pour la plupart, lèvent leurs yeux vers moi, ahuris. Ceux qui ont captés la référence esquissent un léger sourire et cherchent du regard Primrose Anderson donc, qui doit être une habituée des lieux pour le coup.
- Je sais que tu te caches ici, Anderson… Je répète en avançant dans la bibliothèque. Je m’arrête lorsque deux prunelles flamboyantes sont en train de me fusiller face à moi et je souris. Voyons, Primrose, tu croyais quoi ? Que j’agirais comme un bon petit chien ? Il va falloir que tu comprennes qu’avec moi, il sera rare que tu obtiennes quoi que ce soit.
- Mais quel est donc tout ce raffut ! Vous êtes dans une bibliothèque ici voyons ! - Ah ? Vous faites bien de me le préciser, vu l’ambiance j’ai cru que nous étions au cimetière. Je rétorque à la bibliothécaire qui m’observe avec des yeux ronds. Je ne la laisse pas intégrer quoi que ce soit et je poursuis - Loin de moi l’idée d'interrompre votre séance intense de méditation, mais cette demoiselle m’a volé un objet précieux et je suis ici pour le récupérer ! Allez, Anderson, rends-le moi, sois gentille.
La bibliothécaire, dépassée, nous regarde tour à tour. Cette scène doit lui sembler irréelle, car qui viendrait troubler le silence et le calme imposant, presque religieux, de ces lieux ? Un fou assurément. - Vous allez sortir d’ici et me donner vos noms. - White. Anderson. Je réponds, sans lâcher Primrose des yeux. - Très bien, vous êtes exclus de la bibliothèque pour 1mois minimum, sortez de là, je ne veux pas vous voir. Cet établissement et ceux qui le fréquentent n’ont pas à subir vos enfantillages.
Je tends ma main vers Primrose, insistant pour qu’elle me rende mon téléphone alors que la bibliothécaire est en train de virer au rouge tomate à côté.
Spoiler:
Je suis parti dans mon déliiiiiiiiire, Prim va DISJONCTER J'espère que ça ira
Je suis plutôt fière de mon stratagème et alors que je pénètre dans la bibliothèque, me dirigeant tout droit vers la section juridique dans laquelle je mets un peu trop souvent les pieds à mon goût, je savoure cette petite victoire sur le connard qui me sert de binôme pour ce travail. Je vais sélectionner les cinq livres prévus et aller le retrouver dehors car je doute qu’il vienne jusqu’ici pour réclamer son bien, il doit sûrement être allergique à la lecture et je suis quasiment persuadée qu’il ignore totalement où se situe la bibliothèque du campus. A dire vrai, ce n’est pas franchement l’endroit que je fréquente le plus souvent, moi aussi, je viens pour récupérer mes livres et je préfère ensuite travailler directement chez moi, loin de cette ambiance un peu trop studieuse et dans laquelle je ne me sens pas à ma place. Toutefois, j’admets qu’il est pratique de pouvoir consulter des ouvrages en libre-service plutôt que d’avoir à les acheter avec mes propres économies qui sont pour ainsi dire, inexistantes. J’attrape un des livres sur l’étagère et commence à lire la quatrième de couverture lorsque j’entends un mec hurler en plein milieu du hall de l’établissement. Je me liquéfie sur place, consciente qu’il va évidemment attirer l’attention sur lui et par conséquent sur moi. Si j’aime plus que tout attirer les regards lorsque je suis sur scène, dansant pour les beaux yeux de mecs plein aux as qui profitent de ma performance pour se débarrasser de quelques billets verts, j’apprécie mon rôle d’étudiante discrète et disciplinée au campus. Cette notoriété me permet en plus de ne pas être inquiétée pour la revente de médicaments que j’effectue de manière plutôt régulière sur le campus et qui s’avère être une activité plutôt lucrative dans un endroit où le niveau de stress est proportionnel à la pression imposée par des examens compliqués et un nombre de places limités. Je ne bouge plus, figée devant les étagères jusqu’à ce que j’entende la voix du jeune homme, plus calme mais aussi nettement plus proche. Il est là, devant moi, et je pivote pour lui faire face, habitée par une rage intense. « Mais putain, t’as jamais appris à fermer ta gueule ?! » Je lui balance en essayant de respecter le silence imposé par les règles du lieu. Ce type a vraiment tout pour déplaire, il respire l’arrogance, il se fout de tout et il semble s’amuser beaucoup trop d’être parfaitement capable de ruiner ma scolarité avec ses petits jeux débiles et puérils qui ne font rire que lui.
Mes efforts sont vains puisque la bibliothécaire, manifestement furieuse, nous tombe dessus. Je m’avance vers elle, rejoignant mon acolyte forcé alors qu’elle nous engueule copieusement, et à raison, malheureusement pour moi. Bien sûr, White en profite pour la narguer et se prend un énorme coup de coude dans les côtes et je dois admettre que je suis très triste de ne pas avoir la force nécessaire pour lui en fêler une au passage. J’ignore superbement la demande du jeune homme dont je me fous complètement, trop occupée à tenter de rattraper le coup, maudissant sa trop grande bouche et sa désinvolture de merde. « Nous sommes vraiment désolée, je vous promets que ça ne se reproduira plus. » L’étudiante modèle, le retour, et mes yeux trahissent une fausse panique provoquée par la menace de sanction qui plane désormais au-dessus de nos têtes. Evidemment, la bibliothécaire ne s’arrête pas là, demandant nos noms que White lui donne sans prendre la peine de les inventer ce qui me donne sérieusement envie de le frapper. Cette femme est une conne qui passe sa vie à faire chier les gens pour pouvoir préserver son précieux silence, il aurait eu moins dire Smith, elle n’aurait rien capté et on s’en serait sorti très bien. Sa demande d’exclusion pour une durée bien trop importante compte tenu de la date de rendu de notre exposé est le coup de grâce et je vois rouge, incapable de contrôler davantage la colère qui monte en moi. « Oh non, je vous en prie, c’est la période des rendus de dossiers et des révisions, s’il vous plait, je vous promets que ça n'arrivera plus. » La bibliothécaire lève un sourcil sceptique, absolument pas prête à renoncer à l’heure de gloire qu’elle vient de s’accorder en prouvant enfin au monde entier qu’elle dispose d’une folle autorité. « Ce n’est pas négociable, sortez d’ici maintenant avant d’aggraver votre cas. » Et elle tourne les talons, clôturant un débat que j’aurais pourtant été capable de tenir pendant des heures tant redorer mon image auprès d’elle me semble important. Elle va sûrement bloquer nos cartes pour que nous soyons incapables de passer le portillon nous permettant d’entrer. « Amène-toi. » Je prononce entre mes dents à mon binôme qui semble jubiler à mes côtés. Je franchis la porte, portable en main, prête à exploser, ce que je fais d’ailleurs, dès que la porte s’est refermée derrière lui. « Non mais qu’est-ce que tu as dans la tête ?! » Je hurle, consciente que malgré la porte fermée, toute la bibliothèque peut certainement profiter de ma douce et mélodieuse voix. « T’es complètement débile ! » Et le mot est faible. « Ça t’amuse d’essayer de ruiner toutes nos chances de rendre un devoir potable ? Tu trouves ça drôle de jouer à ça ?! » Il n’a pas intérêt à me répondre que oui, en effet, c’est très drôle, je crois que je vais lui arracher la tête. « Mais ce n’est pas un jeu pour moi ! J’ai besoin de rendre un devoir parfait et je ne laisserais personne m’en empêcher ! » Et surtout pas lui avec sa gueule de con et son ego surdimensionné. Je m’approche de lui, collant son précieux téléphone sur sa poitrine dans un geste rageur, capitulant la première face à une guerre qui va avoir raison de mes nerfs. Lorsqu’il récupère le téléphone, je m’éloigne légèrement, reprenant sans crier, cette fois, mais sur un ton glacial. « On a trois semaines pour faire cet exposé et si tu te crois plus fort et au-dessus de tout, tu te trompes lourdement. Tu vas peut-être me pourrir mon dossier scolaire avec tes conneries, mais je vais m’assurer que tu passes les trois pires semaines de toute ton existence. » Même si je dois dormir encore moins que maintenant, poser des jours de congés pour me rendre plus disponible et faire une croix sur ma vie sociale, j’ai bien l’intention de me rendre partout où il ira, de ne jamais le lâcher et de ne lui laisser absolument aucune seconde de répit. Jamais. Il veut la guerre, il va l’avoir et je n’ai pas pour habitude de me contenter de la seconde place.
Dire que j’ignorais ce qui allait se passer, ce serait un gros mensonge. Je savais pertinemment qu’en faisant une telle entrée dans l’immense mausolée qu’est la bibliothèque je risquais de m’en faire virer. Peu m’importe pour le coup, je suis tout à fait capable de me procurer les ouvrages nécessaires pour mon exposé autrement et j’ai bien trop envie d’emmerder Anderson ! La voir ainsi prise au piège, dans cet endroit qui relève presque du sacré pour certains, à se confondre en excuse auprès de l’horrible bibliothécaire – trop heureuse de pouvoir abuser du pouvoir que je lui ai conféré en faisant l’abruti ; c’est presque jouissif. J’arbore un air franchement amusé et fier de moi alors que la sentence tombe, irrévocable. C’est ça de vouloir jouer avec moi, Prim, t’es forcément perdante à la fin.
Sans faire davantage d’esclandre, je suis Anderson vers la sortie avec ma nonchalance habituelle. Je fais un clin d’œil à une jolie fille en passant et m’amuse de la voir rougir. Le charme White, irrésistible. Les portes ne se sont même pas refermées que ma chère collègue se tourne vers moi, furieuse. Sa voix atteint un niveau sonore supérieur à la normale et je sors une clope de mon paquet sans la regarder alors qu’elle m’engueule carrément pour mon intervention. Apparemment, elle n’a pas aimé mon interprétation de Matrix. C’est dommage, j’ai trouvé ma réplique géniale pourtant !
- Mais ce n’est pas un jeu pour moi ! J’ai besoin de rendre un devoir parfait et je ne laisserais personne m’en empêcher !
Je pourrais presque ressentir sa détresse en l’entendant. Je souffle la fumée de la cigarette que je viens d’allumer, sur le côté pour éviter de l’enfumer et je m’humidifie rapidement les lèvres en l’observant. Elle est inquiète, elle a peur de foirer son devoir – ce qui arrivera inévitablement si elle continue à me provoquer de toute façon. Au fond, je n’ai pas envie de rater ce devoir, j’ai même envie qu’il soit exceptionnel mais j’ai ce fichu caractère de merde qui m’empêche de fonctionner convenablement. L’histoire de ma vie. D’un geste rageur, elle pose mon téléphone sur mon torse et je récupère le précieux, sans égratignure, avec un sourire satisfait. Je n’ai ceci dit, toujours pas son numéro. Elle est tenace malgré tout !
- On a trois semaines pour faire cet exposé et si tu te crois plus fort et au-dessus de tout, tu te trompes lourdement. Tu vas peut-être me pourrir mon dossier scolaire avec tes conneries, mais je vais m’assurer que tu passes les trois pires semaines de toute ton existence.
Pourquoi cette perspective m’enchante ? Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi, je dois bien l’admettre. Je souris, et pas pour la faire chier cette fois. Je souris juste parce que j’aime sa persévérance, j’aime voir que même poussée à bout elle ne lâche rien. Elle est déterminée, et c’est quelque chose que j’admire chez une personne. Je réponds, avec ma nonchalance habituelle
- Détends-toi, on va l’faire ce fichu exposé et on aura une excellente note. On n’a pas besoin de leur bibliothèque de merde pour ça, y’a des endroits bien plus funs pour bosser. Va falloir que tu me files ton putain de numéro à un moment, tu vas pas me coller aux basques H24, c’est toi que ça risque de faire chier à mort.
Je l’observe, curieux. Elle est surprenante en réalité Anderson. J’aime bien son caractère, ça me change des nanas qui disent Amen dès que j’ouvre la bouche. La résistance, c’est classe.
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui provoque autant de haine en moi et alors que je craque complètement, incapable de contenir la colère qui monte depuis que notre enseignante a eu le malheur d’associer nos deux noms, j’explose, laissant certainement une bonne partie du campus profiter de cette altercation. Il n’est pourtant pas dans mes habitudes – en tout cas dans le cadre de ma scolarité – de me donner en spectacle, mais c’est plus fort que moi, ce type me fait sortir de mes gonds. Je lui rends son foutu téléphone, non sans élaborer mentalement toutes les crasses que je vais pouvoir lui faire dans les trois semaines à venir pour pouvoir me venger de la future ruine de mon dossier par sa faute. Je sais que je trouverais un moyen de rattraper ça, que mes professeurs savent que je suis une élève studieuse et qu’avec des mails bien tournés et des supplications adaptées, je réussirais sûrement à rattraper cette simple erreur de parcours. Malgré tout, il m’est évidemment impossible de le laisser s’en tirer comme ça, il faut que je lui fasse comprendre que son attitude est déplorable et si ça doit être en le harcelant pendant ces trois semaines qui promettent d’être interminables, je n’ai aucun problème à l’envisager. Je m’apprête donc forcément à partir pour le round deux de notre combat, incapable de capituler devant un mec avec un tel ego. Alors forcément, lorsqu’il me répond que, finalement, on va faire cet exposé et avoir une bonne note, je ne peux pas cacher mon étonnement, légitime dans une situation où tout laissait présager que le ton allait monter encore davantage. « Ok. » Je lâche, interloquée et provisoirement incapable de lui faire la leçon sur l’utilité que peut avoir une bibliothèque dans ce genre de situation. Si on m’avait dit que tout se solutionnerait d’un seul coup, comme ça, je ne l’aurais probablement pas cru.
Je reprends mes esprits, malgré tout et relâche un peu la pression sans pour autant que la colère que j’éprouve envers le jeune homme ne me quitte totalement. Toutefois, j’ai conscience que l’ouverture qu’il me donne enfin ne doit pas être minimisée et qu’elle ne se présentera probablement plus jamais. « Tu vois, quand tu veux. » Sourire victorieux en prime, alors que j’agis comme si j’avais gagné cette petite guerre puérile même si je sais parfaitement que seule sa propre volonté est à l’origine de ce revirement de situation. « Je te donne mon numéro, file-moi ton portable. » Je tends la main pour récupérer une seconde fois son téléphone. « Promis, cette fois-ci je te le rends. » Et une fois l’objet en main, je rajoute une Prim dans ses contacts, associant à ce surnom mon numéro, comme promis, avant de le lui rendre, respectant la parole que je viens de lui donner. Et maintenant ? Parce que, je dois bien l’admettre, je suis un peu déstabilisée par son attitude, en tout cas assez pour que mon assurance pourtant bien présente et portée par mon énervement, se fasse un peu oublier. « Je suppose que tu ne vas pas vouloir respecter mon planning ? » A mon avis, je n’ai même pas besoin d’avoir sa réponse pour savoir que je suppose bien, mais bon, ça vaut le coup d’essayer. « Je veux bien faire une petite concession là-dessus, seulement si tu arrêtes de te comporter comme un putain d’individualiste. » Terme qui parait presque amical compte tenu des termes de connards, crétins, imbécile, et autres qualificatifs très appropriés que j’ai pu envisager le concernant. Si nous venons de réussir à donner une micro chance à notre duo, je ne doute pas que chaque petit désaccord, même minime, sera sujet à des conflits de grande ampleur.
C’est assez drôle de la voir passer d’un coup de la fureur à l’étonnement, puis au relâchement. J’observe toutes ces étapes avec une certaine curiosité mêlée à de l’amusement. Je suis sûr qu’elle s’était préparée à devoir me rentrer dedans et me contrer à nouveau. Elle s’imaginait sûrement que je n’en avais rien à foutre de notre exposé, mais ce n’est pas le cas. J’ai perdu suffisamment de temps comme ça, Mo’ a besoin de moi et je ne la laisserais pas tomber aussi connement. Clope aux lèvres, léger sourire mutin sur les lèvres, sourcils arqués j’attends qu’elle réalise ce que je viens de lui dire, en attente de ses prochaines réactions.
- Tu vois, quand tu veux.
Je pouffe en l’entendant, recrachant une bouffée de fumée par la même occasion. Son impertinence me fait rire, elle ne perd pas la face Anderson, même alors qu’elle vient de perdre clairement la bataille. Mais pour le coup, je n’ajoute rien et je lui tends simplement mon téléphone avec toujours ce même sourire en coin, qui peut passer pour suffisant mais qui ne l’est pas.
Je la laisse ajouter son numéro à mes contacts et je me permets de la renommer lorsqu’elle me le rend : Anderson, la chieuse. Ça lui va mieux que ‘Prim’ je trouve. Je range mon phone dans ma poche, plutôt fier d’avoir réussi à obtenir ce que je veux. Je n’en doutais pas vraiment en vérité, je savais que j’aurais son numéro, que ce n’était qu’une question de temps. Personne ne me résiste, c’est un fait.
- Je suppose que tu ne vas pas vouloir respecter mon planning ? Je veux bien faire une petite concession là-dessus, seulement si tu arrêtes de te comporter comme un putain d’individualiste.
A nouveau, elle provoque chez moi un sourire et je hoche la tête, car elle suppose correctement. Je m’humidifie les lèvres, jette un coup d’œil à ma montre et réfléchis rapidement à mon planning surchargé.
- Ok, j’ai deux heures à t’accorder Anderson, t’es chanceuse, j’suis pas du genre à m’éterniser d’habitude. L’adoption plénière c’est 1966 la loi. Alors il va falloir retracer l’évolution de cette loi qui s’est adapté à l’évolution du contexte sociologique. Ouvrir la fin de l’exposé sur l’adoption pour les couples homosexuels, la monoparentalité, et toutes les questions d’actualité quoi. J’ai quelques ouvrages chez moi, si ça te dit de venir bosser. Sinon je te file ma carte de bibliothèque du centre puisque t’es virée de celle-là. Je hausse deux fois les sourcils, termine ma clope et l’écrase au sol rapidement en recrachant la fumée. - T’en dis quoi Anderson ?
White regarde sa montre comme s’il cherchait à savoir combien de temps il pouvait encore m’accorder pour que je le fasse chier et son geste me fait évidemment lever les yeux au ciel. Malgré tout, je ne dis rien, attendant patiemment qu’il se décide au lieu de lui rentrer dedans, cette méthode ayant déjà prouvé qu’elle n’était pas vraiment la bonne. Et l’effort surhumain que je fais pour pas lui montrer toute la haine que j’éprouve pour lui porte ses fruits puisque c’est un jeune homme radoucit qui s’adresse à moi, me faisant comprendre pour la première fois depuis le début de cette conversation qu’il est loin d’être l’idiot inculte que j’imaginais. Pourtant, évidemment, ses premiers mots suffisent à me faire bondir, je déteste son air suffisant et la manière dont il se comporte comme s’il était le messie sur terre et non pas un mec lambda parmi tant d’autres dont je n’aurais eu absolument rien à foutre s’il ne s’était pas retrouvé sur mon chemin. « Tu veux une médaille, peut-être ? » Non parce qu’il va falloir qu’il se calme, je ne suis pas heureuse de travailler avec lui, je suis obligée de le faire et cette collaboration est une nécessité, rien de plus. Il croit quoi ? Qu’il me fait une faveur en acceptant ce binôme ? Il est hors de question que je le lui laisse penser un truc pareil. Malgré tout, je me remets vite sur le droit chemin, désireuse de ne pas laisser une opportunité d’exploiter son potentiel intellectuel qui semble tellement inexistant quand on le regarde qu’il serait tout de même dommage de ne pas profiter de cet éclair fugace. « Je pense que tu as raison, on peut aussi aborder les notions qui ont mené à l’apparition de l’adoption plénière, mais de manière succincte, ça ne sert à rien de trop développer cette partie. Je pense qu’on peut en faire une introduction. » Et pour ce qui est de l’ouverture, je trouve sa conclusion osée mais intéressante, elle va nous forcer à sortir du cadre légal strict pour extrapoler un peu. C’est peut-être quelque chose que je n’aurais pas osé moi-même, parce que, scolairement parlant, j’ai tendance à me cantonner aux textes et à leurs différentes interprétations. Toutefois, je ne peux pas rejeter l’idée et je sais que c’est tout l’intérêt d’un travail en duo, profiter de nos différences pour apprendre l’un de l’autre. Evidemment, je ne le lui dirais jamais, parce que je ne tiens pas à ce qu’il prenne la grosse tête, mais pour le coup, c’est vrai qu’il m’a ouvert une voie que je n’aurais pas imaginé.
Manifestement, mon apaisement évident lui donner des ailes et l’exclusion de la bibliothèque semble tomber un peu trop à pic. Je n’aime pas du tout sa proposition et je ne vais pas me gêner pour le lui faire remarquer. « Moi ? Chez toi ? » Et je rigole, comme si cette éventualité était la plus absurde que j’ai jamais entendu. « Jamais de la vie. » Et j’en suis évidemment persuadée, jamais ô grand jamais, je ne mettrais les pieds chez ce connard égocentrique, il faudra me passer sur le corps. « D’abord mon numéro, ensuite tu veux me ramener chez toi, c’est quoi la prochaine étape ? » Non parce que, si ce n’est pas se foutre de la gueule du monde, ça, je ne vois pas ce qu’il lui faut de plus. « Il faut arrêter de croire au père Noël, je ne suis pas ta pote, si on doit travailler ensemble, ce sera ici et nulle part ailleurs, je n’ai pas l’intention de sortir du cadre universitaire. » Elève modèle, bonjour. J’ai conscience d’être particulièrement désagréable, sûrement trop d’ailleurs, ce qui ne va pas manquer de compromettre cette collaboration qui semblait enfin possible. Mais c’est plus fort que moi, son assurance de merde me sort par les yeux, il ne doit pas avoir l’habitude d’être remis à sa place ce mec, et je compte bien remédier à ça. « Et je ne suis pas virée de la bibliothèque mais exclue temporairement, c’est très différent. » Je ne veux pas de son aide, je ne veux pas dépendre de lui, si j’ai besoin de bouquins, je pense que je pourrais demander à une copine de les emprunter pour moi, ça sera chiant et pas pratique, mais je suis certaine que ça peut se faire. « Je me débrouillerais. » Le message est clair, si on doit travailler ensemble, c’est parce qu’on y est obligé, pour le reste, je compte bien rester la femme indépendante que je suis dans la vie de tous les jours. C’est lui qui m’a mis dans la merde, s’il croit qu’il peut se racheter en ayant l’air de me rendre service, il se trompe lourdement.
- Tu veux une médaille peut-être ? J’arque les sourcils, plutôt amusé par cette remarque acerbe qui me démontre que j’exaspère Anderson avec un rien. Juste mon attitude je dirais. Ou alors, elle a les nerfs car elle a enfin trouvé un adversaire à sa taille et c’est dur d’admettre qu’on n’a pas toujours le dernier mot. (Mais ça, je n’en sais rien, ça ne m’est jamais arrivé… ou presque).
- Je pense que tu as raison, on peut aussi aborder les notions qui ont mené à l’apparition de l’adoption plénière, mais de manière succincte, ça ne sert à rien de trop développer cette partie. Je pense qu’on peut en faire une introduction.
Je hoche la tête, d’accord avec cette idée. Le but étant de rendre un devoir le plus complet possible afin d’exposer tous les tenants et aboutissants du thème donné. Je réponds simplement – ça m’va. Avant de lui proposer d’aller bosser à la maison. Il n’y a que là-bas que j’aime travailler de toute façon, mes chats me calment et ma musique m’aide à me concentrer. Ailleurs, c’est toujours une galère et je suis perturbé par un rien alors…
- Moi ? Chez toi ? Jamais de la vie.
J’aurai du me douter qu’elle interprèterait mes propos de cette façon. Je soupire et lève les yeux au ciel en m’amusant de ce qu’elle s’imagine. Sauf que je ne ramène pas de meufs chez moi pour les baiser en général. Chez moi, c’est clean. Pas de meufs, pas de beuverie. Juste mes chats, ma batterie que mes voisins maudissent, et moi. Si j’veux faire la fête, c’est dehors. J’ai mes principes, faut pas croire.
- Anderson, si j’voulais profiter de toi, je te ramènerai pas chez moi. Y’a aucune meuf qui visite mon pieu et faut vraiment mériter un tel privilège. Je t’assure que t’en es loin pour le moment, t’es trop chiante pour ça. Enfin, puisque tu as peur… Je vais devoir te laisser car moi je ne bosse pas ici, j’y arrive pas.
Chacun sa méthode et sa façon de faire après tout, je sais que je sors généralement du cadre conventionnel. Le cadre a tendance à m’étouffer de toute façon, je me sens toujours trop à l’étroit dedans, et j’ai déjà eu quelques expériences de travail désagréables à cause d’un trop grand cadre. Il me faut une certaine liberté, dans le travail, dans les études, dans la vie de tous les jours. Sinon je vrille.
- Et je ne suis pas exclue de la bibliothèque mais virée temporairement, c’est très différent. Je me débrouillerai.
- Je vois, t’es capable de nuancer malgré tout Anderson. J’commençais à en douter. Je lui fais un grand sourire, sors mon téléphone et lui indique en m’éloignant lentement d’elle. – Je te contacte très vite Anderson, t’as intérêt à pas merder, j’veux rendre un exposé impeccable moi. Je sais que cette phrase va la faire disjoncter. Je ris et je tourne les talons, franchement amusé par cette rencontre. Si au départ, l’idée de devoir faire équipe avec quelqu’un me rebutait totalement, je dois avouer qu’elle est bien plus plaisante à présent. Anderson est vivifiante, elle a de la personnalité et du cran. Tout ce que j’aime. Cette collaboration risque d’être équipe. Je tapote un sms en m’éloignant, rit un peu et range mon phone dans ma poche ensuite. C’est parti pour trois semaines épiques !
Spoiler:
Oui, je sais, c'est finiiiiiii On va pouvoir mettre en place le NUMERO 2
Jamais personne ne m’est autant sorti par les yeux que ce mec, c’est officiel. Chaque parole qui sort de sa bouche me laisse penser qu’il a atteint un niveau de prétention et d’assurance jamais inégalé jusqu’ici mais la phrase suivante vient me confirmer que non, il est capable de faire encore pire. C’est le cas lorsque je décline son invitation à me rendre chez lui, ce qui me parait logique compte tenu du fait que je ne connais même pas son prénom et que je ne tiens pas à ce qu’il croit qu’un passage dans son lit est possible. Il me sort tellement par les yeux que le voir habillé me dégoûte déjà, alors je n’ose même pas imaginer ce que ce serait s’il avait un peu moins de vêtements sur le dos. Beurk, dégueulasse. Evidemment, s’il compte sur moi pour laisser passer quelque chose d’aussi énorme, il se trompe, encore une fois, à croire qu’il n’apprend jamais de ses erreurs. Autant je veux réussir ce devoir, autant il est hors de question que je le laisse me marcher sur les pieds pour obtenir ce que je souhaite, m’allonger pour avoir ce que je souhaite, je sais très bien le faire, mais j’ai posé un cadre strict dans lequel ce genre de choses pouvait arriver et l’université n’en fait pas partie. Ici, je suis Primrose, jamais Poppy et je fais très attention à ne jamais mêler ces deux identités. « Savoir qui est passé dans ton lit, que ce soit des meufs, des mecs ou des animaux, est le cadet de mes soucis, White. » Non parce qu’il m’explique sa vie comme s’il pensait que ça m’intéressait, mais la vérité, c’est que je n’en ai absolument rien à battre, il fait bien ce qu’il veut de sa vie. « et je suis pas sûre que le terme de privilège soit le plus adapté, je le vois plus comme une punition. » Non parce que monsieur le jeune premier parfait, il a un ego tellement surdimensionné que je le vois très bien penser à lui et rien qu’à lui plutôt qu’à sa partenaire. Il n’y a absolument rien à mes yeux qui rattrape les trop nombreux défauts qu’il a laissé entrevoir depuis le début de cette conversation forcée. Il ne me fait pas peur, loin de là, il m’insupporte et je n’imagine même ce que ça serait si j’acceptais de me retrouver chez lui, dans son univers, là où il détient forcément un pouvoir que je n’aurais pas. Je n’ai pas pour habitude d’aller chez n’importe qui, que ce soit pour un devoir ou pour autre chose, alors chez un type suffisant qui a l’air de penser que le monde lui appartient, ça n’arrivera jamais.
Les choses sont claires à présent, et si nous avons réussi à enfin apaiser suffisamment les tensions pour envisager de travailler ensemble dans les trois semaines à venir, ce travail de groupe se fera de manière séparé. L’avantage, avec les SMS, c’est que je peux les ouvrir seulement quand j’en ai envie et que rien ne m’oblige donc à me farcir son ton suffisant et ses grandes réflexions à deux balles. Finalement, cette option me convient donc très bien et c’est donc naturellement que j’acquiesce, prête à mettre un terme à une discussion qui m’a clairement pourrit ma journée. J’ai une sieste à faire, des livres à trouver par un autre moyen bien moins pratique que celui que j’envisageais à l’origine et un devoir à commencer. « C’est vrai qu’en termes de nuances, tu as plein de choses à m’apprendre, monsieur perfection. » Dans la série je suis le plus fort, je suis le plus beau, je suis le meilleur, il se pose-là quand même, alors s’il y a bien quelqu’un qui ne sait pas nuancer, entre nous deux, je crois que je peux miser sur lui sans craindre de me tromper. Et il commence à s’en aller, pour mon plus grand bonheur, me montrant le téléphone qu’il tient en main et qui vient de devenir, sans nul doute, sa meilleure arme pour tromper l’ennui mortel de sa vie. Je regrette déjà de lui avoir donné mon numéro, même si je n’avais pas vraiment le choix, parce que je sais qu’il peut s’en servir quand il veut et me faire vivre un véritable enfer à distance. Si j’estime que c’est mieux comme ça qu’en face, ce n’est pas pour autant que j’ai envie de voir son numéro s’afficher sur mon écran trois ou quatre fois par jour, si ce n’est plus et j’espère donc qu’il saura se limiter et se trouvera une autre proie à impressionner ou à tenter d’intimider. Dans les deux cas, avec moi, toutes ses tentatives à échouer et tout ce qu’il a réussi à faire, c’est à m’énerver. Il apprécie, d’ailleurs, puisque sa dernière phrase ne manque pas de faire remonter d’un niveau la colère qui commençait tout juste à descendre. « Je t’emmerde. » Je lui balance du tac au tac avant de tourner les talons à mon tour, prenant une direction au hasard tant qu’elle est opposée à la sienne. Je voudrais ne jamais le revoir. Ces trois semaines vont certainement être les plus longues de toute mon existence, j’ai hâte que ce soit terminé pour être enfin débarrassée de lui.