Une semaine. Voilà le temps qui est passé depuis cette soirée qui ne s'est pas finie aussi bien qu'elle avait commencé. Une semaine avant que je me décide de faire le premier pas vers Primrose car, je le sais, je le sens, que ce sera pas elle qui reviendra vers moi. Pour une raison qui m'échappe, elle a mit de plus en plus de distance entre nous. Mes messages, autant écrit que vocaux, sont restés sans réponses et j'ai de plus en plus peur de perdre définitivement une de mes plus chères amies. Ayant l'habitude avec Ambroise que souvent faire un pas dans la direction de l'autre peut aider à sauver une amitié qui est sur le point de s'effondrer, je décide de prendre aussi les devants avec la jeune femme.
J'ai mis du temps à retrouver son adresse, qui, gribouillé sur un bout de papier, est allé se coincer entre deux pages d'un de mes anciens cahiers de cours. J'aurais dû l'écrire au propre sur mon agenda, ça m'aurait éviter de perdre une bonne heure et comme Primrose n'a jamais répondu à mes sms je me suis dit que ça ne servirait à rien de lui demander son adresse par téléphone. Voulant, de base quitter l'appartement à 20h, c'est finalement à 21h que je parcours les quelques mètres qui me séparent de la maison de mon amie. Car, comment je m'en doutais, elle habite dans le même quartier que moi, mais dans une rue parallèle.
Arrivé devant la porte du bâtiment dans lequel se trouve l'appartement de la jeune femme, j'hésite quelques instants, me demandant si je fais bien de venir, si le silence de mon amie n'est pas plus significatif que ce que j'imagine ? Mais au final, lorsqu'un homme ouvre la porte et la tient gentiment ouverte pour moi, je n'hésite pas plus longtemps et me faufile à l'intérieur. Deux étages plus tard, je me retrouve devant l'appartement de Primrose et attend quelques instants, silencieux, essayant de savoir s'il y a du bruit avant de prendre une profonde inspiration et soupirer doucement. Levant le poing, je frappe le bois pour annoncer ma présence et prie intérieurement que c'est bon appartement et que l'australienne soit chez elle.
Une semaine, c’est le temps qui s’est écoulé depuis que j’ai fuis cette soirée devenue cauchemardesque alors qu’elle promettait pourtant d’être en tous points idyllique. Et depuis, je tourne en rond comme un lion en cage, regardant mon téléphone à chaque fois que l’écran s’illumine, espérant voir un signe de vie de la part de Yoko, mais cette dernière n’a pas daigné m’adresser la parole depuis l’incident et je n’ai pas osé la recontacter, attendant un moment propice qui n’est finalement jamais arrivé. En revanche, j’ai eu des messages de Clément, des tonnes de messages même et si je ne lui ai pas répondu, ce n’est pas parce qu’il n’est pas important à mes yeux, loin de là, même, mais ma dispute avec ma meilleure amie et mon incapacité à donner une explication valable au jeune homme me suffisaient pour me persuader que garder le silence était nettement préférable. Je sais que c’est stupide, que tôt ou tard je devrais affronter les erreurs causées par mon silence. Je n’ai pas été capable d’assumer mes actes et mes mensonges avant qu’il ne soit trop tard et j’ai l’impression d’avoir provoqué un tournant irrattrapable dans mon amitié avec Yoko. Mon cœur est brisé, elle était ma sœur, mon univers, celle avec qui je partageais tout et je n’ai pas été capable de lui accorder la même confiance que celle qu’elle me donnait. Et puis, il y a Clément, celui qui avait réussi à m’apprécier malgré un bout de mon secret découvert par inadvertance quelques temps plus tôt. J’avais l’impression que notre relation avançait, que je n’étais plus vraiment la fille transparente qui venait lui rendre visite à l’hôpital et qui lui apportait un petit peu de réconfort. Je sais qu’il ne ressentait pas pour moi autre chose que de l’amitié, mais je crois que c’était mieux ainsi, finalement, parce que c’est bien pire de voir ses SMS s’afficher sur l’écran de mon portable sans trouver la moindre explication à lui donner. La vérité, c’est que j’ai merdé, complètement et que je n’ai absolument aucune justification à apporter à mes erreurs. Je suis sûre qu’à ma place, personne n’aurait été stupide et je crois même qu’aucun individu normalement constitué n’aurait été assez stupide pour se retrouver à ma place, mais c’est ce que je fais de mieux, de toute façon, gâcher le peu de relations saines que je parviens à construire. Mes amis ont toujours été rares parce que devoir constamment switcher entre ces deux mondes que tout oppose est un combat de chaque instant et ne laisse pas forcément place à une vie sociale trépidante, mais je me sentais complète malgré tout, parce que les personnes qui partageaient ma vie m’acceptaient telle que j’étais sans que je sois obligée de mettre une carapace. Bon, je sais que ce n’est pas tout à fait vrai, parce que je me gardais bien de donner les détails de mon métier à Yoko et que je n’ai jamais révélé à Clément la totalité du secret que je porte. Malgré tout, je me sentais en confiance avec eux.
Pour ne pas avoir à tourner en rond toute la journée et toute la nuit sans parvenir à trouver réellement le sommeil, je me suis noyée dans le travail, parce qu’il était plus simple pour moi d’aller à la fac, de bosser mes cours, de danser au club en faisant le plus d’heures supplémentaires possibles. Cette semaine a été épuisante mais dès que j’ai eu le malheur de m’arrêter, les questionnements revenaient et je n’arrive pas à penser à autre chose qu’aux amitiés que j’ai perdu. Ce soir-là, pourtant, mon patron m’a fait comprendre qu’après une semaine très intense, il était grand temps que je lève le pied parce que je ne risquais pas d’attirer beaucoup de clients en ayant l’air d’un zombie sur la scène. Alors je suis rentrée, je me suis douchée, j’ai mis un short et un débardeur de pyjama et je me suis assise sur mon lit, cours en main, préparant mes prochains examens avec une concentration quasiment inexistante. Je lis et relis une bonne dizaine de fois la même ligne sans pour autant parvenir à l’assimiler, regardant une nouvelle fois l’écran de mon téléphone qui reste pourtant complètement noir. A chaque seconde, j’envisage de rompre ce silence, de présenter mes excuses à mes amis, de faire en sorte que cette situation gênante le devienne un peu moins en agissant enfin comme quelqu’un de courageux et non pas comme la lâche que je suis habituellement. Mais évidemment, les heures s’écoulent sans que je fasse le moindre geste, tâchant simplement de me reconcentrer ce qui n’est pas une mince affaire. Les coups frappés sur ma porte viennent achever toute tentative de faire de cette soirée une session de révision productive et je me dirige vers la porte, sourcils froncés, incapable de déterminer avec certitude qui peut bien venir me rendre visite à une heure aussi tardive. J’ouvre, pourtant, sans demander qui est là, et mon cœur loupe un battement lorsque j’aperçois Clément. Il n’est pas loin d’être la dernière personne que je m’attendais à voir, j’ignorais qu’il connaissait mon adresse. Je ne vais pas avoir le choix que de l’affronter à présent et cette idée me terrifie. « Salut. » Mon ton est neutre, sans émotion, mais au fond de moi, c’est un bordel sans nom, les idées se bousculent dans ma tête, je ne sais pas ce que je dois penser ou dire ou comment je dois agir. J’ai peur de ce qu’il pourrait me balancer comme horreur parce que je sais qu’il aurait parfaitement raison de le faire. « Je ne m’attendais pas à te voir. » C’est le moins qu’on puisse dire mais encore une fois, ce n’est ni positif ni négatif, une simple constatation destinée à me faire gagner du temps pour que mon cerveau redevienne en état de fonctionner correctement. « Tu veux entrer ? » Pitié dis non. A cet instant, je ne me préoccupe nullement de la tenue dans laquelle je le reçois et je m’écarte simplement pour le laisser passer, espérant encore qu’il fasse demi-tour et se rende compte que sa présence ici ce soir est une très mauvaise idée.
Des pas derrière la porte, la clenche qui s'abaisse et un coup de stress. Que faire ? Que dire ? La vérité ? Mentir ? Un peu ? Beaucoup ? Édulcorer le tout ? Je me recule d'un pas, me redresse et pince les lèvres, laissant le stress me submerger pendant les 9 secondes qui séparent le bruit des pas et la porte qui s'ouvre. Ainsi, lorsque Primrose apparaît dans mon champ de vision, je suis totalement calme. Bien que je sais que mes sentiments vont sans doute assez rapidement reprendre le dessus, je parviens à lui offre un doux sourire sincère et chaleureux «Et moi je ne m'attendais pas à ce que je vienne ici aujourd'hui. On est quitte du coup ? » répondais-je presque du tac au tac, avant de rigoler doucement et hocher la tête lorsqu'elle m'invite à entrer.
Je m'avance dans le couloir, la laissant fermer la porte derrière moi, observe un peu ce qui se trouve dans mon périmètre visuel, avant de me tourner vers Primrose. Jugeant, d'après sa façon de m'observer et de se tenir, qu'elle me demande silencieusement pourquoi je suis ici, je soupire doucement «Oui, tu as raison » dis-je, comme si je lisais dans ses pensées « je sais que tu te demande pourquoi je suis là etc» j'ouvre la fermeture éclaire de ma veste «écoute, je ne vais pas passer par 36 000 chemins et je vais être direct » mon ton est calme et j'essaie de le garder le plus neutre possible, ne voulant pas stresser Prim avec un ton trop grave.
« Je m'inquiète pour toi » dis-je en retirant ma veste, me retrouvant en simple t-shirt face à la jeune femme « ça fait une semaine que tu ne donnes plus de nouvelles et ce n'est pas faute de t'en demander» j'essaie de ne pas me montrer trop jugeant, mais je me doute fortement que mes paroles, elles, le sont. «Tu dois sans doute avoir tes raisons, et je ne suis pas non plus là pour t'alpaguer ou te tendre un piège. Si tu veux que je parte, tu me le dis » reprenais-je «mais j'aimerais bien savoir ce qui se passe ? » ma voix se fait bien plus douce, presque hésitante «Est-ce que j'ai fait un truc qui ne t'as pas plut ? Quelque chose qui t'as blessé ou je ne sais quoi ? Dis-le moi si c'est le cas, que je puisse m'excuser correctement. Parce que ... » je me tais, déglutis et dévie le regard quelques instants avant de soupirer discrètement « ça me tue ne plus avoir de tes nouvelles. Je veux dire … tu... tu fais parti des personnes les plus importantes de ma vie et je n'ai vraiment pas envie de te perdre » ma voix est emplie de sincérité, tant la vérité est profonde.
Cette soirée aurait pu être comme toutes les autres, je n’aurais pas avancé mes révisions et serais restée à me demander pendant des heures s’il était utile ou non que je fasse le premier pas vers ma meilleure amie beaucoup trop blessée. Malheureusement, c’est ce soir que Clément a choisi de venir faire face à mon silence, cherchant une confrontation que je n’étais vraiment pas prête à subir aujourd’hui. Je lui propose tout de même d’entrer dans mon petit studio et c’est qu’il fait, arrivant directement dans la pièce qui me sert de salon, salle-à-manger, cuisine et chambre qui, par chance, est assez bien rangée pour le coup. Lorsqu’il m’annonce qu’il va se montrer direct avec moi, j’admets qu’une vague de panique m’envahit, parce que je sais qu’il va jouer cartes sur table, qu’il va parler de cette fameuse soirée où j’ai complètement merdé et que je ne pourrais pas lui apporter les justifications que je voudrais parce que je ne suis pas prête pour ça. Mais est-ce que je pourrais véritablement l’être un jour ? Je n’en suis pas certaine et de toute façon, Clément ne me laisse pas le choix en me poussant dans mes retranchements. « Je t’écoute. » Je souffle, loin d’être à l’aise alors que nous sommes pourtant chez moi, dans ce lieu que je connais par cœur mais qui à ce moment précis me parait beaucoup plus hostile qu’autre chose.
Est-ce que son inquiétude me touche ? Pas vraiment. A dire vrai, elle me dérange plus qu’autre chose, parce que j’ai encore l’impression de cette petite chose fragile dont il tente vainement de prendre soin et pas forcément cette fille susceptible de l’intéresser. Je ne veux pas avoir cette image auprès de lui, je ne suis pas une pauvre petite chose et j’aimerais qu’il s’en rende compte. Malgré tout, je ne peux pas lui en tenir rigueur, parce qu’il a raison, j’ai disparu de la circulation depuis une semaine, sans laisser la moindre trace, comme si mon silence pouvait permettre de rattraper mes erreurs sans que j’ai besoin de faire amende honorable. C’est une attitude extrêmement lâche et je devrais sans doute m’en vouloir mais c’est plus fort que moi, le courage n’est pas une de mes principales qualités et vivre dans le déni, par contre, je sais très bien faire. « Tu ne devrais pas t’inquiéter. » C’est sûrement pire de lui faire comprendre que son inquiétude n’a pas lieu d’être plutôt que de lui expliquer les raisons de ce silence prolongé. « J’étais juste très occupée. » Et je m’enfonce encore davantage parce que j’essaie vainement de m’en sortir sans avoir besoin d’ouvrir une brèche que je ne veux pas lui montrer. Je garde mes distances parce que j’ai déjà compris depuis longtemps que nous ne serons jamais sur la même longueur d’onde lui et moi. Mon attitude est minable mais je me protège du mieux que je peux.
Clément insiste, explique ce qu’il ressent, s’ouvre bien plus que ce à quoi je m’attendais. Je pensais tenir bon, ne pas flancher, rester en surface parce que c’est ce que je fais de mieux, mais alors qu’il suppose que je veuille le mettre dehors, je ne peux pas m’empêcher de reprendre la parole pour le contredire. « Bien sûr que non, tu peux rester, évidemment. » La conviction avec laquelle j’ai prononcé ces quelques mots m’étonne moi-même. Et la suite de cette discussion est encore pire que le début parce que je ne comprends que trop bien qu’il se blâme pour ce qu’il s’est passé, qu’il s’en veut de m’avoir fait fuir alors que j’ai juste eu une attitude odieuse ce fameux soir et qu’il ne mérite pas du tout de porter le poids de cette culpabilité qu’il n’a pas lieu de ressentir. « Tu ne m’as pas perdue, j’avais besoin de réfléchir, de faire le point… D’être seule. » J’aurais pu répondre à ses messages, lui expliquer, et au lieu de ça, j’ai préféré le torturer sans le vouloir, me plongeant dans un mutisme qui m’assurait l’illusion d’être en sécurité. « J’ai été super nulle, avec toi, avec Yoko, et je n’aurais pas dû m’enfuir comme ça, je crois que je voulais simplement éviter d’empirer les choses et vous laisser profiter de la soirée. » La vérité est que je souhaitais avant tout ne pas avoir à me justifier pour ne pas avoir à reconnaitre mes erreurs mais ce serait bien plus difficile à admettre que la pseudo vérité que j’essaie de lui faire entendre. « Tu ne m’as pas blessée, c’est plutôt le contraire, parce que je n’ai pas été aussi honnête avec toi que j’aurais dû l’être et avec Yoko non plus. » Et pourtant, en sachant que j’allais être confrontée à mon mensonge, j’ai tenu à l’accompagner au spectacle ce fameux soir, pour un rendez-vous qui me semblait sans doute moins amical que les précédents et sans doute trop beau pour être vrai. « Je suis vraiment désolée. » Je nous ai tous mis dans une situation extrêmement inconfortable et pourtant, il est là, devant moi et je m’étonne encore du fait qu’il soit venu vers moi ce soir. Je fais partie des personnes les plus importantes de sa vie. C’est ce qu’il a dit, et j’aimerais être capable de m’en réjouir mais mon propre sentiment de culpabilité m’empêche de me réjouir autant que je le pourrais.
J'aimerais la croire. Oh combien j'aimerais croire qu'elle était juste 'trop occupé cette dernière semaine'. Mais je ne peux décemment pas entendre la véracité dans ses paroles. Tout simplement parce que je me rappelle du nombre de fois où j'ai sorti la même excuse à la fin de l'année dernière. Je ne répondais pas aux différents messages de mes amis ou de ma mère, prétendant simplement être trop occupé alors qu'au final répondre à un sms ne prend pas plus de 30 secondes. Je décide toutefois de ne pas répondre à Primrose pour la contredire, de peur de la mettre encore plus mal à l'aise et continue pour lui demander des explications. Je rejette même la faute sur moi-même, essayant ainsi de m'ouvrir à toute les possibilités et explications.
C'est ce qui fait réagir mon amie qui fini par me contredire. Me rassurant sur le fait qu'elle avait vraiment juste besoin d'être seule et faire le point et que cela ne signifie, du coup, pas que je l'ai perdu, elle m'avoue se trouver super nulle par rapport à Yoko. A l'évocation du prénom de la jeune danseuse, j'hoche doucement la tête. En vrai, dans le fond, je m'en doutais un peu que ce silence avait un rapport avec Yoko. Si elle s'est enfuit, c'est juste parce qu'elle ne voulait pas risquer d'empirer les choses et qu'elle voulait nous laisser profiter de notre soirée. Je tais, bien évidemment, le fait que c'est le contraire qui s'est passé, que sa fuite à été l'élément de trop, celui qui a gâché la soirée pour Yoko comme pour moi, et continue de l'écouter donner ses explications.
En quoi n'a-t-elle pas été honnête ? Quel est donc ce secret sur lequel Yoko et elle se sont prit la tête ? Qui a mit la jeune japonaise dans un état de détresse émotionnel que je ne lui connaissais pas ? Tout porte à croire que ça me concerne moi, mais les raisons m'échappent réellement. Croisant les bras, j'hoche doucement la tête lorsqu'elle s'excuse et m'appuie légèrement contre le meuble derrière moi et baisse le regard, observant le sol devant mes pieds avec une moue de réflexion.
« Je vois ...» dis-je « Enfin, au moins t'es encore en vie, c'est déjà une bonne chose» reprenais-je en haussant les épaules avant de relever mon regard sur Primrose. Je l'observe, remarque que c'est la première fois que je la vois non maquillée, non impeccablement coiffée et que j'apprécie énormément ce que je vois. «Ce pourquoi tu n'as pas été honnête avec Yoko » commençais-je avant de me taire, hésitant. Je pince les lèvres puis décrète que j'en ai déjà beaucoup trop dit et que continuer le cheminement de mes pensées est la meilleure chose à faire. « ...ça me concerne en partie, non ?» reprenais-je, essayant de cacher mon malaise. En vrai, je ne suis pas certain de vouloir connaître la réponse.
Mes explications sont bien moins convaincantes que je l’aurais aimé et j’ai parfaitement conscience qu’il va lui en falloir plus pour comprendre ce qu’il se passe. Pour bien faire, il faudrait certainement que je reprenne l’histoire depuis le début, que j’explique tout le début, que je pointe du doigt mes erreurs et que j’étale toute cette vérité qui s’est emmêlée dans des mensonges stupides et qui n’avaient pas vraiment lieu d’être. Mais comment faire sans évoquer des sentiments que je préfère taire ? Avec le recul, je réalise que j’ai été la pire amie du monde, que mentir à Yoko pour une relation qui n’en était pas vraiment une était certainement le truc le plus stupide à faire et que si j’ai perdu son amitié pour les beaux yeux d’un garçon qui ne m’a de toute façon jamais vraiment regardée. Pourtant, je sais que je n’ai pas le droit de lui en vouloir pour ce qui est arrivé, s’il y a un coupable à désigner dans cette histoire c’est moi et ça me fait mal de le reconnaitre, j’aurais préféré ne pas avoir à me remettre en question. Je ne suis pas douée pour reconnaitre mes torts, je préfère considérer que j’ai eu raison, surtout que, bien souvent, aucun retour en arrière n’est possible. Yoko me pardonnera peut-être un jour, quand la pilule aura été digérée, mais je suis certaine qu’elle n’oubliera pas pour autant que je ne suis sans doute pas cette amie aussi digne de confiance qu’elle imaginait. Lui faire de la peine me brise le cœur, sincèrement, et même ça je ne suis pas capable de le lui exprimer. Je n’arrive déjà pas à assumer en face de Clément, alors en face de ma meilleure amie, ce sera sans doute pire. Je ne suis pas prête à affronter sa déception, son air meurtri me hante, je ne suis pas capable de m’y confronter de nouveau. C’est sans doute parce qu’assumer est si difficile que j’enchaine les explications bateau, survolant l’essentiel sans pour autant le mentionner sans pour autant parvenir à espérer que ça soit suffisant pour Clément. Et ça ne l’est pas, pas du tout, il insiste et enfonce même le clou en supposant avoir un rapport avec tout ça. « Un peu, et pas vraiment… C’est compliqué. » Une réponse bien trop énigmatique qui ne me convient pas et qui ne lui conviendra pas non plus. Je suis au pied du mur, je vais devoir m’expliquer. Par où commencer ? Je l’ignore, je n’ai tellement pas envie d’avoir cette conversation. « Tu devrais t’asseoir. » Je désigne le canapé d’un geste de main. « Tu veux boire quelque chose ? » J’essaie de l’accueillir un peu mieux que je ne l’ai fait précédemment mais surtout de gagner du temps pour rassembler mes idées.
Ce n’est que lorsque nous sommes installés que je me décide enfin à reprendre depuis le début, consciente que cette justification ne joue pas en ma faveur et qu’elle va sans doute me rendre bien plus vulnérable que je l’aurais voulu. « C’est parti d’une connerie en fait. » Le pire, c’est que c’est vrai, toute cette histoire est partie d’un micro mensonge qui n’aurait pas dû avoir un impact aussi énorme. « Il y a environ un an, j’ai eu l’occasion de parler de toi à Yoko et au lieu de lui dire que je te connaissais, j’ai préféré lui mentir. » Un simple Will sorti tout droit de mon imagination a effrité une confiance que je pensais pourtant être inébranlable. « C’était stupide, je savais qu’elle te connaissait et du coup ça m’a fait peur… Je n’ai pas voulu me retrouver entre vous deux et je n’avais pas envie non plus qu’elle te parle de moi ou inversement. » Parce que j’ai beaucoup trop de choses à cacher et, pire que tout, je ne voulais pas qu’elle révèle cette attirance qu’elle avait un peu trop tendance à amplifier. Je savais déjà que rien n’était possible entre nous et je n’avais pas forcément envie de l’entendre, le fait que Yoko en parle à Clément aurait sans doute précipité les choses. « Je me disais que de toute façon, elle n’en saurait jamais rien et puis il y a eu l’hôpital et ton invitation… Je savais que j’allais la croiser, mais c’était déjà trop tard pour tout avouer, alors je l’ai lâchement mis devant le fait accompli. » Plus je parle et plus je me rends compte à quel point c’était idiot et qu’un mensonge aussi ridicule soit-il peut avoir des conséquences désastreuses. « Je comprends qu’elle m’en veuille, elle a l’impression que je ne lui fais pas confiance, maintenant, alors que ce n’est pas vrai, je lui fais vraiment confiance. » Il est très étrange de parler de ce conflit avec celui qui en est involontairement à l’origine et plus le temps passe, moins je suis à l’aise avec cette discussion. « Voilà, tu sais tout maintenant, donc tu n’es pas concerné, c’est le mensonge en lui-même et non pas le sujet, le vrai problème. » Et s’il me demande à quel sujet exactement j’ai menti et pourquoi est-ce qu’on parlait de lui, je crois que je n’aurais plus qu’à me passer par la fenêtre.
Ainsi donc, tout cette situation part d'un mensonge, des non dits et un manque de communication. J'aurais dû m'en douter un peu. Les filles, en général, on cette manie de faire des sous entendu, espérant que l'autre les comprenne. Parfois leur 'oui ça va' cachent des 'non ça va pas mais je veux pas en parler', souvent leur 'non' signifient réellement 'non' mais parfois c'est le contraire. Bref, elles ne sont pas toujours très compréhensible, rarement direct et souvent frustrée lorsque l'autre personne ne comprend pas leurs signes qui, pour elles, sont évident. A vrai dire, les seules filles qui ont assez de jugeotes pour être tout à fait direct et avec lesquelles je sais exactement sur quel pied danser et ce qu'elles pensent, ce sont Sybbie et Yoko. Sybille parce que je vis avec elle et que je la connaît parfaitement bien et Yoko tout simplement parce qu'elle est assez directe pour dire ce qu'elle pense.
Primrose, elle, c'est une toute autre histoire. Elle est discrète, secrète et plus j'apprends à la connaître plus je la trouve mystérieuse et plus j'ai l'impression qu'un gros secret la guide depuis plusieurs années. Un secret qui lui pèse, qui serait plus gérable si elle en parlait avec quelqu'un, mais qu'elle tait et qu'elle essaie de cacher, quitte à se détruire la santé mentale. Alors oui, j'ai plus ou moins conscience de ce secret -je sais qu'elle a un passé de strip teaseuse- mais ...quoi ? Comment ? Pourquoi ? Est-ce un vrai job ? Fait-elle ça de manière « professionnelle » ? Ou était-ce juste une fois ? Un acte qu'elle regrette ? Quelque chose qu'elle aimerait mettre derrière elle et passer à autre chose ? Tant de questions se bousculent dans ma tête mais je sais que je n'aurais sans doute pas la force ni le courage de les lui poser.
Alors lorsqu'elle me propose de m'asseoir, je m'exécute, refuse poliment la proposition de boire quelque chose et je l'écoute, tout simplement et apprend ainsi qu'il y a un an de ça elle a parlé de moi à Yoko mais n'a pas révélé mon vrai prénom. Elle m'a affublé du nom de Will et s'est ainsi enfoncé de plus en plus dans ce mensonge jusqu'à ce qu'elle ne sache plus comment s'en sortir. Elle avait peur que Yoko me parle d'elle, qu'elle me révèle ce que, celle qui est sa meilleure amie, lui a confié. Fait-elle tellement peu confiance à la jeune japonaise ? Je sais qu'il y a des secrets lourd à porter, mais je sais aussi qu'une meilleure amie est là pour nous soutenir. Hochant la tête lorsqu'elle conclut que je sais tout maintenant, que je ne suis pas le problème mais que c'est bel et bien la discussion qui est à l'origine de cette dispute, je laisse passer quelques instants, cherchant mes mots.
«Je vois ... » dis-je doucement, posant mon regard sur la table recouvert de divers magasines, cahier et papiers. «bon, c'est dommage que vous en soyez arriver là. Mais ce n'est pas en te demandant ce que tu aurais dû faire que ça ira mieux » reprenais-je, reportant mon attention sur la jeune femme «Je veux dire, c'est du passé quoi et tu ne peux rien y changer » que de sages paroles qui risquent d'être plus mal prises qu'autre chose «T'as déjà recontacter Yoko ? Pour lui dire tout ce que tu m'as dit ? Que tu es désolée mais que tu lui fait confiance ? Genre vraiment ? » je pose mon regard sur Prim «A mon avis tu devrais faire le premier pas, je connais Yoko elle a une certaine fierté qui est parfois un peu mal placé » j'hausse les épaules « Enfin si t'es sa meilleure amie tu devrais le savoir aussi donc je ne t'apprends rien de nouveau» reprenais-je avec un sourire en coin « Mais tu devrais vraiment lui parler, chercher la conversation » mon regard se fait plus doux «Elle n'est pas bête, elle comprendra. Et puis je pense qu'elle souffre autant que toi de l'absence de sa meilleure amie » concluais-je en hochant la tête, sincère.
«Mais bon, il y autre chose » reprenais-je «Will … ? Sérieusement ? » mon visage se fend en un sourire amusé «De tous les prénoms possibles et existant tu choisi de m’appeler Will ? » je secoue la tête « tu me déçois pas mal pour le coup » Ironie, seconde degrés. Ce trait d'humour est surtout là pour détendre un peu l'atmosphère et je fais tout pour ne pas me montrer sérieux.
Comment est-ce que j’en suis arrivée à parler de ma meilleure amie et de notre engueulade à un garçon qui en est à l’origine ? C’est complètement stupide, j’aurais dû m’abstenir, je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête. Je crois que j’avais simplement envie de parler de tout ça à quelqu’un parce que je suis perdue et que je ne sais pas comment réagir face à cette situation dont je n’ai pas vraiment l’habitude. J’aime beaucoup Clément, le fait d’avoir passé toutes ces heures à l’hôpital avec lui à parler de tout et de rien voire même à se confier de temps en temps m’a prouvé qu’il pouvait être de bon conseil mais sur un sujet qui le concerne directement, je crois que j’aurais simplement dû faire appel à quelqu’un d’autre. Toutefois, il n’a pas tort, je sais que je ne devrais pas me murer dans le silence de cette façon, parce que ça ne fait pas avancer les choses et qu’il y a bien un moment où je devrais assumer mes actes devant la principale concernée et essayer d’obtenir son pardon. Sauf qu’il ne s’agit pas seulement de pardonner mais aussi d’oublier et je ne suis pas certaine qu’elle soit capable de passer au-dessus de cette horrible trahison dont j’ai fait preuve et ça, je ne suis pas sûre que toutes les excuses du monde puissent lui permettre d’arriver à ce résultat-là. Si je n’envoie pas ce message, je repousse l’échéance encore un peu avant de découvrir à quel point j’ai mis le bazar dans notre amitié et je préfère vivre dans le déni encore quelques mois. « Tu as raison, je sais que je devrais lui envoyer un message, et je vais le faire très bientôt, mais je préfère attendre qu’elle ait le temps de digérer un peu tout ça. » J’essaie d’occulter le fait qu’il m’a dit qu’il connaissait bien Yoko et sa fierté mal placée, ma meilleure amie est la fille que je connais le mieux au monde, je déteste l’idée que quelqu’un, et encore moins Clément, puisse prétendre être davantage proche d’elle. Dans ce cas de figure, non seulement je suis jalouse que Yoko ait pu se confier à ce garçon en particulier, mais en plus – et c’est bien pire – je ne veux pas envisager l’idée que quelqu’un d’autre que moi puisse prendre la place que je viens de perdre auprès de ma meilleure amie. En temps normal, je n’aurais pas eu cette réaction, je ne suis pas du tout possessive envers Yoko mais puisqu’elle semble me glisser entre les doigts, les choses sont forcément un peu différentes. « J’espère que ça va vite s’arranger. » Je conclus pour en finir avec ce sujet délicat que je ne veux pas aborder plus en détails avec lui.
Contre toute attente, il arrive même à me redonner le sourire en abordant le sujet du surnom dont je l’ai affublé pour masquer son identité. En vérité, je sais pertinemment que c’était stupide, que j’ai eu tort de l’inventer et oui c’était un hasard complet, c’est le premier prénom qui me soit passé par la tête et je lui ai donc donné celui-ci. Enfin, bien sûr, il n’est pas sorti de nulle part mais je n’ai pas vraiment eu le temps d’y réfléchir sur le coup et donc de trouver quelque chose de vraiment joli ou avec une véritable signification. Désolée Clément. « Bah ouais, Will comme William Turner. » Je ris, consciente que mes références ne sont pas forcément les meilleures mais j’avoue totalement mon crime parce que s’il y a bien quelque chose qui a pu m’inspirer ce prénom, c’est forcément cette série de films. « Tu ne vas pas me dire que tu n’as jamais vu Pirates des Caraïbes ? » Sinon c’est que Clément est définitivement quelqu’un de très étrange. Je sais qu’il est comédien et par définition ce sont des gens qui aiment les films indépendants avec des grandes scènes bizarres plutôt que des films à gros budgets – comment ça il s’agit d’un pur cliché ? – mais je veux croire qu’il ne fait pas partie de ces personnes-là. « Tu devrais être flatté au lieu de te plaindre, ce mec est tellement sexy. » Le fait que je le compare à un homme qui a fait fantasmer à l’écran des dizaines de milliers de femmes devrait évidemment lui faire plaisir, sinon c’est qu’il est sacrément difficile. J’aurais pu trouver un nom de vieux papy croulant, là au moins, il aurait eu des raisons de m’en vouloir mais dans le cas présent, je trouve que je ne m’en suis pas trop mal sortie dans la précipitation. « Mais si tu préfères un autre prénom, tu peux toujours m’en faire part, on ne sait jamais si j’ai besoin de te présenter autrement un jour. » Même si je sais déjà que je ne referais plus cette erreur, parce qu’elle m’a énormément coûtée et que je souhaite vraiment la réparer à présent. Lorsque je reprends la parole, c’est avec nettement plus de sérieux cette fois. « Je sais que je n’aurais pas dû partir sans te donner d’explication, je suis désolée de t’avoir lâché pour ce verre. » Je suis sûre qu’on aurait passé une soirée super si j’avais fait les choses un peu mieux et je suis sincèrement désolée d’avoir tout gâché.
Le pire que j'aurais pu imaginer s'avère être vrai : je suis à l'origine de cette dispute entre les deux meilleures amies. Ça ne me concerne pas directement moi mais un foutu mensonge de la part de Primrose qui m'a présenté sous un autre nom. Je ne sais même pas comment je dois le prendre ça : dois-je être flatté ? Me poser encore plus de questions sur la relation que nous entretenons elle et moi ? Ou devrais-je ignorer tout ça ? Je soupire discrètement et décide de m'en tenir aux faits : il s'agit de l'amitié entre Yoko et Prim, ce sont elles qui sont concernées et non moi, seulement elles. Alors je tente de rester impartial, appréciant autant l'une que l'autre et essaie de mettre en avant le besoin de la communication.
C'est avec un soupire et un air un peu honteux que Prim m'avoue être au courant de tout ça et que oui elle va sans doute envoyer un message à Yoko mais qu'elle préfère lui laisser le temps de tout digérer. « Je comprends» hochais-je la tête « Mais n'attends pas trop. Car plus tu attends, plus tu te poses des questions et plus tu te poses des questions plus tu hésites. Je pense vraiment que Yoko n'a pas besoin de tellement de temps pour digérer cet aveux» dis-je doucement, sincèrement « Essaie de ne pas attendre plus de deux semaines» la conseillais-je. C'est tout ce que je peux faire : la conseiller. Elle en fait maintenant ce qu'elle veut. Ou bien elle m'écoute et elle envoie un message à Yoko dès que je suis parti ou alors elle continue de broyer du noir et mettre leur amitié réellement en jeu. Ayant déjà vécu ce genre de situation plus d'une fois avec Ambroise, je sais que ce n'est pas facile de mettre sa fierté de côté et de faire le premier pas, mais ça nous a souvent sauvé lui et moi. J'espère donc, de tout cœur, que Prim va en faire de même avec Yoko.
En attendant, je décide de faire un peu d'humour et lui dit qu'elle aurait pu m'affubler d'un autre prénom que Will. C'est avec un sourire que j'accueil le petit petit rire de mon amie alors qu'elle m'explique s'être inspirée de William Turner, le sexy pirate, mais que je peux très bien lui donner un autre prénom qu'elle pourra utiliser si jamais elle devra me présenter à nouveau. «En vrai Will est mon personnage préféré de cette trilogie, donc au final je t'autorise à garder ce prénom. Ça me convient plutôt bien » dis-je avec une pointe d'humour, me reculant contre le dossier du canapé.
C'est alors que Prim s'excuse à nouveau, mais cette fois-ce de m'avoir laisser en plan et être partie sans me prévenir la dernière fois que nous nous sommes vue « Tu sais que ce n'est que partie remise, hein » lui dis-je avec un demi sourire sur les lèvres, avant de me redresser « J'insiste, j'ai vraiment envie qu'on aille se boire ce coup un jour. Tu décides quand » hochais-je la tête, sincère et sérieux.
Clément ne devrait pas être ici, je n’aurais jamais dû lui dire d’entrer, je n’aurais pas non plus dû lui expliquer la situation. Il est gentil avec moi, vraiment très gentil, il m’écoute et me conseille comme le ferait n’importe quel ami, ne se formalisant pas qu’un mensonge le concernant soit à l’origine de la dispute que nous avons vécu. Je devrais sûrement lui en être reconnaissante parce qu’il se comporte comme un ami formidable et que j’ai de la chance de l’avoir toujours à mes côtés malgré ce qu’il a appris pour moi. Mais ce n’est pas ce que je ressens, en réalité, je sais que je me suis fait des films à son sujet et que malgré toute ma bonne volonté, je n’ai jamais réussi à me raisonner en me disant que nous ne serions jamais rien que des amis. C’est ce qui m’a poussée à prendre toutes ces mauvaises décisions en fin de compte et je sais pertinemment que même si Clément n’est en rien responsable de ce qu’il s’est passé et que le seul coupable c’est moi, il est tout de même à l’origine de tout ce bazar. Je m’en veux vraiment de considérer les choses de cette façon, je m’en veux d’autant plus que je sais qu’il est venu pour m’aider et parce qu’il s’inquiétait pour moi. Il ne comprend pas que c’est plus dur encore de le voir toujours aux petits soins alors que je n’arrive pas à lui donner la place qu’il devrait avoir dans ma vie. Le mot ami me laisse un goût amer alors que je sais pourtant pertinemment que rien de plus n’est possible, sinon je crois qu’il aurait agi depuis le temps, d’autant plus que je ne suis pas très discrète. Ce rencard devait être celui qui changerait les choses, qui donnerait à notre relation une tournure un peu moins amicale, c’est en tout cas ce que j’imaginais, et au final, il s’est avéré être un fiasco total parce que je n’ai pas été capable d’assumer mes erreurs passées. Je crois que je n’ai pas du tout envie de revivre une telle gêne un jour. « Promis. Je ferais le premier pas, je te jure. » Il a l’air de savoir de quoi il parle et même si ce n’est pas forcément le cas, je suis obligée de reparler à Yoko, elle me manque beaucoup trop et j’ai pleinement conscience qu’il va falloir que je dépasse ma honte et mon sentiment de culpabilité pour aller vers elle. Je le ferais, je dois le faire, et plus je repousse l’échéance, plus ce sera dur. Il faudra que je me donne une deadline un jour, pour ne plus repousser ce moment fatidique et c’est ce que je ferais lorsque Clément aura quitté les lieux.
La conversation se veut un peu plus légère, il s’amuse de ce mensonge si stupide qui est à l’origine de cette dispute et je ne peux que m’en amuser avec lui tant c’est ridicule. C’était un si petit mensonge, insignifiant et sans importante à mes yeux, mais il a fallu que je me taise pendant une année entière avant qu’il ne rejaillisse, provoquant un sentiment de trahison normal dans l’esprit de Yoko qui a dû se sentir tellement stupide de s’être laissé berner de cette façon. « Deal. » Je ne réutiliserais sans doute jamais son nom d’emprunt mais au moins, cette fois, je sais qu’il est d’accord, et il me permet de retrouver un peu le sourire ce qui n’est pas du luxe compte tenu de l’état dans lequel je me trouvais ces derniers jours. Malheureusement, le sujet du verre revient sur la table, parce que je l’ai abordé, certes, mais sans imaginer un seul instant que celui-ci serait reprogrammé dans un avenir proche. Je soupire, pas du tout ravie de devoir dire les mots que j’ai pourtant l’intention de prononcer. Je sais pourtant que je n’ai pas vraiment le choix, j’ai déjà fait perdre une de mes amies à cause de mes sottises – et encore, je ne suis pas sûre de pouvoir la récupérer un jour – alors je crois que je ne peux pas me permettre de continuer sur cette voie-là. « J’aurais adoré, vraiment. » Et c’est le cas, je le pense sincèrement, j’ai vraiment envie d’aller boire ce verre avec lui, mais je sais aussi qu’une nouvelle sortie ne servira qu’à m’inciter à me faire encore et toujours plus de plans sur la comète alors que je ne le devrais pas. « Mais cette histoire m’a servi de leçon, je crois qu’il vaut mieux qu’on s’en tienne aux leçons de danse, pour ça au moins, il n’y a pas de risque de faire n’importe quoi. » Enfin, tout est relatif, compte tenu de mon piètre niveau dans le domaine et puis sachant que Clément ne danse plus à présent, un autre a pris sa place, pour le moment. « Quand tu seras rétabli. » Je précise, pour ne pas lui mettre une pression qu’il ne pourrait pas supporter. Je ne sais pas trop ce que je suis en train de dire, ni même s’il le comprend vraiment, mais je sais simplement qu’il est nécessaire que je prenne mes distances parce que nous ne sommes pas et ne serons jamais sur la même longueur d’onde. Des filles sympas venant lui rendre visite à l’hôpital, il peut s’en trouver des dizaines, il n’a pas besoin que je fasse partie de son harem. « J’espère que tu ne m’en voudras pas trop. » Mais au pire, ça ne fera qu’à ajouter une personne de plus sur la liste de celles qui désapprouvent mes choix, ce n’est pas si grave, je peux vivre avec.
C'est avec un sourire rassuré que J'accueil la décision de Prim de faire le premier pas vers Yoko. Bien que je ne sache pas quand elle le fera et que j'espère qu'elle n'attendra pas 2 semaines pour le faire, elle me rassure au moins sur le point qu'elle le fera un jour. Mais peut-être est-ce aussi Yoko qui décidera de mettre un terme à cet espèce de froid entre elles ? Je n'en sais rien, j'espère simplement qu'elles trouveront le courage de mettre cette situation de côté car leur amitié est bien plus précieuse que tout cela. Bien que je ne connaisse pas les vraies circonstances de leur amitié, je ne sais pas exactement qui elles sont l'une pour l'autre, je sais parfaitement ce que je c'est que d'avoir une personne qu'on puisse considéré comme sa meilleure amie -ou son meilleur ami pour moi. Je ne connais ces situations de froid que trop bien et j'ai appris -à mes dépends- que la communication est plus que primordiale dans ces cas là.
J'hoche donc doucement la tête, rassuré par ces paroles, puis détend un peu l'atmosphère en évoquant le prénom dont elle m'a affublé. Au final, c'est, de façon indirect, qu'elle me dit que je suis 'sexy' -du moins est-ce ainsi que je le comprend- et je ne sais pas trop comment le prendre. C'est flatteur dans un sens, vraiment, mais puis-je réellement le prendre comme un compliment ? Veut-elle me dire autre chose avec ça ? Je décide de continué à jouer la carte de l'humour, l'autorisant à garder ce prénom si jamais elle veut à nouveau me présenter sous un autre nom.
C'est alors que Primrose décide de parler à nouveau de la soirée qu'on aurait pu se faire si elle n'était pas partie et c'est tout naturellement que je lui dis que ce n'est que partie remise. La suite, elle, est bien plus violente que ce que je n'imaginais et je tombe des nues lorsqu'elle me dit que cette soirée lui a servie de leçon, qu'elle préfère s'en tenir aux cours de danse quand je serais à nouveau rétabli. Je baisse le regard, me sentant tout à coup super mal de lui avoir proposer de remettre le couvert un autre jour. J'ai, encore une fois perdu une occasion de me taire.
« Je ...hum ...ok ...» bredouillais-je avant qu'elle ne me dise espérer que je ne lui en veuille pas. Non. Non je ne lui en veux pas. Du moins pas directement. « Je comprend, t'inquiète pas » le regard fuyant, je me passe les mains sur mes cuisses puis, souriant de manière forcée, je me lève. «Je vais y aller du coup. Désolé de t'avoir déranger » je m'éloigne du canapé et me dirige vers la porte, attrapant ma veste au passage, avant de me stopper. N'ais-je pas dit juste avant que la communication est primordiale ? Que la vérité fait mal mais que le mensonge est encore pire ?
« En fait tu sais quoi ?» je me retourne à nouveau vers la jeune femme « Je ne te comprend pas » avouais-je finalement « Je veux dire … qu'est-ce qui se passe réellement ? Je ...je ne suis pas un pro pour savoir lire les signes, j'essaie de faire de mon mieux, être naturel avec toi et tout mais tu ...je sais pas, t'es un mystère pour moi. » je déglutis, posant enfin à nouveau mon regard sur Primrose «Qu'est-ce qui a changé ? Je comprend pas pourquoi t'es aussi distante tout à coup avec moi » avouais-je, secouant légèrement la tête et haussant les épaules sous l'incompréhension « Je ne t'en veux pas, vraiment pas. Si tu ne veux plus me revoir, j'accepterais mais ...» mais quoi ? Je ne l'accepterais pas totalement ? «J'ai envie de comprendre pourquoi tu me ferme la porte au nez maintenant alors que tout allait bien jusque là ... » c'est réellement mon impression de la situation. Je pensais sincèrement que tout allait pour le mieux entre nous, mais je ne me suis sans doute jamais autant trompé dans ma vie.
Je ne pensais jamais réussir à faire une telle chose et pourtant, c’est ce que je viens de faire, j’ai mis un terme à cette mascarade provoquée uniquement par moi. C’est de ma faute, j’alimente ces rêves qui ne deviendront jamais des réalités et c’est pour cette raison que tout ceci a mal tourné. Je ne m’attends pas à ce que Clément comprenne, je me doute qu’il va s’étonner de ce brusque revirement de situation voire même se mettre en colère mais maintenant que j’ai enfin réussi à exprimer mon ressenti et à prendre la bonne décision, je ferais en sorte de camper sur mes positions et de me tenir à ce que je viens de dire. Il me facilite la tâche en plus, contre toute attente, il décide de m’écouter, il prétend comprendre même s’il n’arrive pas vraiment à croiser mon regard, probablement par peur de me montrer la colère ou la déception qui se lisent dans ses yeux. Pourtant, je pourrais encaisser, j’ai l’habitude, ce n’est pas comme si je n’étais pas une source de problèmes inépuisable pour tous ceux qui font l’erreur de m’approcher. Au moins, Clément a de la chance, il prendra moins de risques en se tenant loin de moi. Je ne sais pas comment je fais pour attirer constamment les emmerdes, j’imagine qu’elles sont tout simplement liées au fait que je suis incapable de faire les mauvais choix. J’espère qu’un jour, les choses seront différentes, que je pourrais être l’amie, la sœur ou l’enfant formidable que les gens espèrent et non pas le boulet que tout le monde se traine. Je me lève et le suis jusqu’à la porte. Je crois que je devrais dire quelque chose, que non, il ne m’a pas dérangée, que j’étais contente de le voir et que je le remercie pour ses conseils, mais ça rendrait la situation pire que mieux alors je me tais et je me contente de le raccompagner, espérant simplement que tout ça soit vite terminé et que je puisse passer à autre chose comme j’aurais dû le faire depuis bien longtemps.
Je pense sincèrement que je vais bien sortir lorsque Clément décide de changer d’avis, faisant volte-face pour se tourner vers moi pour avouer qu’il ne me comprend pas. C’est une réaction bien plus logique et attendue que la précédente, mais je ne peux pas dire que je suis ravie de le voir se rétracter alors que c’était si bien parti pour se finir d’une manière positive. Toutefois, je ne peux nier que ses questions sont normales et qu’il serait vraiment horrible de ma part de ne pas prendre la peine de lui répondre. Je ne veux pas être cette fille qui prend la fuite sans donner d’explication parce qu’elle ne veut pas assumer ses sentiments. Malgré tout, j’aurais préféré pouvoir m’en sortir sans avoir besoin d’en passer par-là, j’aime les solutions de facilité et il a été à deux doigts de m’en offrir une. « Tu as raison, tout va bien, rien n’a changé, j’aime beaucoup passer du temps avec toi, je le reconnais. » C’est horrible, je suis à deux doigts de lui sortir le très célèbre « c’est pas toi, c’est moi » et je me fais horreur parce que j’ai conscience que ce n’est pas une explication, c’est juste une pirouette de plus, un moyen détourné de dissimuler une vérité un peu trop difficile à avouer. Je vais devoir faire mieux que ça. « C’est juste que je n’ai jamais voulu être ton amie et que je n’en ai toujours pas envie. » Entre ça et le « c’est pas toi, c’est moi », je crois que j’aurais quand même dû choisir mon option de base. Pour être honnête, ça a le mérite de l’être, mais je ne suis pas sûre que ça lui convienne comme explication. Je recule d’un pas avant de reprendre la parole, consciente que je dois en dire plus même si c’est clairement à contre-cœur. « J’ai toujours pensé qu’on pourrait être plus que ça, c’était stupide, je le sais, et je n’ai pas besoin que tu me le dises. » Mon ego non plus, d’ailleurs, alors si on pouvait éviter ce moment gênant et passer directement aux adieux, ça m’arrangerait beaucoup. « Il n’y aurait pas eu tout ça si je n’avais pas été aussi bête. » Yoko aurait dû passer avant tout le reste, lui mentir était une idée stupide peu importe la taille du mensonge. Une chose est sûre, je ne recommencerais jamais mais il est trop tard pour effacer le passé, malheureusement, tout ce que je peux faire, c’est tenter de réparer mes erreurs en faisant de meilleurs choix. « Je crois que tu devrais y aller maintenant. » Je préfère qu’il parte plutôt qu’il me donne raison, je ne veux pas entendre que je fais le bon choix même si je sais que c’est le cas, je n’ai pas non plus envie qu’il me dise que nous pourrons être amis un jour, lorsque j’aurais réussi à faire le tri dans mes sentiments. Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait mais je sais au moins comment agir dans le présent et c’est déjà largement suffisant.
J'aurais dû me taire. Encore une fois, j'ai raté une bonne occasion de fermer ma gueule et simplement faire ce que je comptais faire : partir. Quitter l'appartement et laisser Primrose tranquille, quitte à risquer de nous mettre dans cette situation où plus jamais nous voudrions nous retrouver ensemble. Et pourtant,quelque chose au fond de moi me dit que les explications ne sont pas finies, qu'il y a autre chose qui alimente les murs que Prim a irrigués autour d'elle et qui fait que nous ne pouvons avoir une réelle discussion plus profonde. Ainsi, je pousse le vice et lui demande très clairement ce qui se passe, lui avouant que je ne la comprend pas étant donné que nous avons toujours réussi à passer du bon temps ensemble. Et la réponse de Primrose n'est absolument pas celle à laquelle j'aurais pu m'attendre.
Elle veut que nous soyons plus que de simples amis. Elle l'a toujours voulut et le voudra sans doute toujours si nous continuons de nous fréquenter. Je la fixe comme si je voyais la sainte vierge descendre d'une soucoupe volante, avant d'hocher doucement la tête et fermer un instant les yeux, me traitant d'idiot et tous autres noms d'oiseaux qui me viennent à l'esprit. Comment ais-je pu être aussi aveugle ? Évidemment qu'il y a eu des signes avant coureur, bien sûr que Primrose a régulièrement fait des allusions. Rougissant quand elle me voyait, un sourire qui n'avait rien de naturel par moment, une gentillesse à toute épreuve même dans les moments où j'ai été un connard fini, des regards lourds de sens. Pourquoi n'ais-je rien vu ? Pourquoi n'ais-je jamais réagit à ses gestes et ses mots ? Je me sens con et idiot, et c'est sans doute ce que je suis.
Je l'aime beaucoup, Prim. Vraiment beaucoup. Mais il n'y a absolument aucune part d'amour dans mes sentiments pour elle. Une attirance physique, oui -partager son lit pour une nuit ne me déplairait sans doute pas- mais rien de plus. Si j'avais réagis plus tôt, je lui aurais sans aucun doute éviter des semaines ou des mois de souffrance, j'aurais pu mettre les choses à plat directement, tracer les limites et on aurait pu s'adapter. Mais c'est trop tard maintenant, le mal est fait et je sais clairement que ce sera la dernière fois que nous nous verrons, qu'elle aura besoin de temps pour passer outre ses sentiments pour moi. Bien que l'idée de ne plus la revoir me tue et que, j'aurais moi aussi, sans doute besoin d'un certain temps d'adaptation, je sais que mettre les distances entre nous est devenu inévitable.
Alors je ne réagis pas à ses paroles par d'autres mots mais hoche doucement la tête lorsqu'elle me dit que je devrais partir maintenant. « Ok» dis-je simplement, attend quelques instants encore puis me détourne pour ouvrir la porte «Désolé » pour quoi ? Pour avoir été un idiot aveugle ? Pour ne pas avoir pu lire tous les signes qui, pourtant, étaient évident ? Pour l'avoir fair souffrir en lui donnant parfois des faux espoirs ? C'est le cœur serré, que je referme la porte derrière moi et, fermant les yeux, je m'appuie quelque secondes contre le mur, secouant la tête. C'est la première fois que je sais que j'ai définitivement perdu quelqu'un à qui je tenais sincèrement et ça fait mal.
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THE END