Trempé de sueurs, des mèches de cheveux collées sur le visage, je conserve une cadence infernale et enchaîne furieusement les coups dans le sac de frappe. Je me défoule et ça fait du bien. C’est la deuxième fois que je viens ici, sur les conseils de Sid qui m’a récupéré dans un état pitoyable l’autre soir et c’est en partie pour le remercier que je suis cette sorte de thérapie. Au moins j’évite de me bousiller un peu plus les mains, mes phalanges sont protégées par les gants, bien que je trouve ces derniers assez encombrants. La sensation est différente. Je frappe sans avoir mal. La première fois, cela m’a surpris – et déplu. Mais je ne suis pas du genre à abandonner au premier essai alors me voilà pour la seconde fois dans cette salle en train d’essayer d’exploser ce sac de frappe tenace devant moi. Je m’épuise et je cherche à me faire du mal, à m’effondrer. Si les hommes ne viennent pas à bout de mon corps, je doute qu’un fichu sac de frappe y arrive.
Je ne me souviens pas très bien de quand tout ce bordel a commencé. Il me semble que c’était à la sortie d’un pub un samedi soir, près de Temple bar, après une soirée bien arrosée. Je me suis battu, et cette nuit-là, mes camarades de boisson m’ont débauché pour se faire quelques billets supplémentaires. Rapidement, je suis devenu un monstre des combats illégaux et j’avais bien du mal à cacher mes ecchymoses en journée, lorsque je reprenais le rôle de l’étudiant à Trinity College. Les difficultés financières m’ont aidé à poursuivre dans cette voix que je savais pourtant mauvaise. Mais il n’y avait pas que ça. Il y avait cette sensation familière de sentir les coups sur ma peau, de ressentir la peur en ayant cette fois-ci la capacité de se défendre et rendre les coups. Comme une revanche sur la vie, sur l’impuissance ressentie lorsque je n’étais qu’un gamin et que je ne pouvais pas éviter les coups. Et les cauchemars reviennent à la charge, emprisonnent mon esprit dans une folie dévastatrice qui ne mène nulle part, sinon à l’échec. La même rengaine, infernale, destructrice dont je n’arrive pas à m’échapper.
La salle de boxe s’est remplie à l’heure de la débauche, et bien que je n’y prête aucune attention, je sens les passages de tout ce monde ainsi que les œillades nerveuses à mon encontre. Je ne cesse pas pour autant de déverser toute ma colère et ma rage dans le sac qui encaisse les coups. Je m’agace même de sentir les regards alors que je suis dans un instant particulier de vulnérabilité et je sursaute lorsqu’une voix tonitruante me sort de ma torpeur : – HARTWELL ! Va souffler un coup dehors mon gars et arrête de t’acharner sur ce sac. Allez hop ! Dehors !
Je m’arrête brusquement et lève un regard plein d’incompréhension vers le gérant de la salle qui m’observe entre colère et pitié. Je rage, attrape ma serviette et m’essuie rapidement le visage avant de la poser sur mes épaules et de prendre la direction des vestiaires. Frustré d’avoir été ainsi couper dans mon élan, uniquement pour que la salle continue d’attirer des clients à la recherche de sensations particulières, je quitte l’endroit d’un pas pressé mais avant de me rendre au vestiaire, je sors effectivement dehors, en plein soleil et m’allume furieusement une clope. Poumons grands ouverts par l’effort, je les enfume et les crame en me fichant éperdument de leur sort. Je dois décompresser et cette clope est la bienvenue pour ça.
Cela faisait maintenant un peu plus d’un an que Leah côtoyait cette salle de boxe. Et si ses débuts avaient été tout en tâtonnements, elle était maintenant aguerrie face aux différents entraînements et à l’apprentissage des coups. La boxe avait tout de suite été un moyen pour elle d’évacuer toute la rage qu’elle avait en elle depuis sa sortie de l’hôpital en février 2018. Une colère dirigée contre elle-même, contre ces personnes qui l’avaient immédiatement jugée quant à la nature de ses coups… Leah avait eu besoin de canaliser ses émotions, d’apprendre à l’utiliser ses émotions à bon escient et non à s’autodétruire comme elle était sur le point de le faire avant de commencer sa rééducation avec Stephen. Le kiné l’avait sauvée à bien des niveaux. Et puis surtout, le but premier avait été d’apprendre à se défendre, à acquérir des réflexes que de longues années de mauvais traitements n’avaient pas aidé à développer. Après tout, Camden n’avait jamais été appréhendé par la police, de quoi la laisser avec une belle paranoïa en plus de ses nombreuses séquelles physiques et psychologiques. Ces dernières semaines, sa psychose s’était renforcée alors que la vive impression d’être suivie et surveillée la tenaillait. Si on ajoutait à ça le fait qu’elle était quasiment certaine d’avoir aperçu son ex-copain psychopathe au détour d’un carrefour, la brune n’avait clairement pas l’esprit tranquille. Elle s’était convaincue d’avoir rêvé et n’en avait parlé à personne, si ce n’est à Romy. La jeune femme blonde s’était retrouvée sur son chemin pile au moment où c’était arrivé, et la détresse de Leah l’avait fortement interpellée. Elle se refusait à l’idée d’aller voir la police, estimant qu’ils l’avaient déjà assez laissée tomber sur cette affaire. Et la dernière fois qu’elle avait abordé le sujet avec Stephen, celui-ci avait sous entendu qu’elle nageait en plein délire. Elle aurait largement préféré que ça soit le cas d’ailleurs. Soupirant, la brunette se reconcentra sur son sac de frappe. Elle avait finalisé son inscription aux essais chez les pompiers et désirait être en forme le jour où on lui demanderait de venir passer les tests. Non pas qu’elle ait à se plaindre sur sa condition physique actuelle – que du contraire – mais elle ne voulait pas se laisser aller. Son esprit s’attarda quelques secondes sur sa grossesse, se demandant de manière furtive si ça pourrait ou non être dangereux pour… C’est bon Leah, arrête de penser à ça. Les sourcils froncés, elle recommença à frapper sur son sac, lui envoyant des coups précis, avant de laisser son attention se porter sur l’agitation qu’il y avait à l’autre bout de la salle. Un des boxeurs se laissait aller avec fureur contre son sac. Un sentiment que la brunette connaissait bien, et qu’elle ne jugea d’ailleurs pas, à l’inverse du reste de la salle qui observait le jeune homme avec agacement et une curiosité presque malsaine. Elle leva les yeux au ciel, interrompant sa séance le temps de boire un peu d’eau et d’observer de loin la scène qui se déroulait. « HARTWELL ! Va souffler un coup dehors mon gars et arrête de t’acharner sur ce sac. Allez hop ! Dehors ! » Cette phrase surgit de nulle part tandis que la brunette se remettait en position et elle se retourna d’un seul coup à l’entente de ce nom de famille. Hartwell ? Elle haussa un sourcil en entendant ce prénom qui lui était familier. Tout comme les traits de cet homme qui venait de disparaître par la sortie de secours qu’il venait de reclaper avec force. Intriguée, Leah abandonna son sac et ses affaires, suivant le boxeur et atterrissant à son tour à l’extérieur. Et c’est là qu’elle le trouva, une clope à la main, fulminant tout seul par rapport à ce qu’il venait de se passer. Maintenant qu’elle était elle aussi dehors, elle se demanda ce qu’elle foutait là exactement. Hartwell était un nom répandu, et si elle avait récemment retrouvé Lonnie, ça ne voulait pas dire que… « Harvey ? » S’entendit-elle demander à voix haute alors que son esprit n’avait pas encore décidé si oui ou non l’interpeller était une bonne idée en soi. Comme à son habitude, la réflexion avait laissé place à l’impulsivité, et le regard du Hartwell se posa sur elle avec les mêmes doutes dans le regard que son frère le soir où elle l’avait reconnu au MacTavish. A croire que ces deux là avaient des choses à se reprocher tant ils n’appréciaient pas se faire reconnaître par des inconnus. Le sourire aux lèvres – histoire d’avoir l’air un minimum engageante – Leah reprit la parole : « Je suis Leah, Leah Baumann… L’amie de Lonnie. D’il y a presque vingt ans maintenant, ça date. » Lança-t-elle avec un petit rire, espérant que son interlocuteur était bel et bien Harvey Hartwell et non pas quelqu’un d’autre, sans quoi elle risquait très certainement de passer pour une folle.
A vrai dire, j’ai les nerfs. Contre moi, contre le proprio de cette salle, contre les gens qui fréquentent cette putain de salle, j’ai même les nerfs contre ce sac de frappe qui m’a résisté et sur lequel je me suis explosé les poings, réveillant les douleurs dans mes phalanges brisées. Trop de lésions, si je continue à vieillir c’est l’arthrose qui me guette. Ça ne me fait pas vraiment rêver par ailleurs, je n’ose pas m’imaginer vieux. Des visions horrifiques d’un misérable vieillard seul et isolé me viennent alors et j’écarquille les yeux en chassant ses idées noires et effrayantes rapidement, tirant davantage sur ma cigarette pour me raccrocher au moment présent. Je suis énervé et je ne sais pas vraiment comment me calmer. Un verre. Il me faut un verre. Je retourne dans mes travers, mes démons que j’ai finis par adopter et qui me soutiennent tout autant qu’ils m’entraînent vers le désespoir et le néant.
- Harvey ? Je sursaute à la voix féminine qui m’interpelle et que je ne reconnais absolument pas sur le moment. Surpris et décontenancé d’avoir été reconnu ici, j’adopte automatiquement une position défensive et je fronce les sourcils en me retournant, méfiant. J’ai toujours l’impression que mon prénom prononcé à voix haute est annonciateur de malheur. Ça a été le cas durant de nombreuses années. La voix sourde et rauque de mon défunt père me hante toujours. Rien à voir cependant avec celle de la jeune femme qui se tient devant moi, toute en douceur et en sourire. J’ai l’impression de l’avoir déjà vu mais je ne saurais dire où. Revenir à Brisbane n’était peut-être pas la meilleure chose à faire au final. Il y a trop de souvenirs ici.
- Je suis Leah, Leah Baumann… L’amie de Lonnie. D’il y a presque vingt ans maintenant, ça date. Je fronce les sourcils et la détaille du regard un instant, en essayant de me remémorer d’une amie de Lonnie que j’aurai pu croiser souvent… Faut dire que la mémoire me fait légèrement défaut parfois. Il y a vingt ans, nous étions dans des foyers, pris en charge par les services sociaux et elle ne me renvoie absolument rien de cette période. Avant, peut-être… Si je remonte le cours de mes souvenirs, je revois une gamine toute souriante et pleine de vie… La voisine. Serait-ce elle ? Leah… Autant son prénom ne me dit pas grand-chose mais son nom de famille ‘Baumann’ m’interpelle bien plus. Me rendant compte que je ne parle pas depuis qu’elle est sortie pour renouer – ou faire les présentations, je ne sais pas trop au final – je me racle la gorge et essaie de formuler une phrase cohérente – T’étais la voisine c’est ça ? Je suis un peu rustre en fait, je m’en rends compte et j’essaie de me rattraper en disant – T’as bien changé depuis. T’étais haute comme trois pommes avant.
Je souffle la fumée de ma clope terminée et jette cette dernière sur les pavés, avant de l’écraser du bout du pied un peu nerveusement. Il fait chaud, je suis en nage et ce n’est pas vraiment le meilleur endroit pour des retrouvailles. Pourtant, vu que c’est l’ami de Lonnie, je n’ai pas envie de me comporter comme un connard. – Tu l’vois toujours, Lonnie ? Que je demande prudemment, histoire de savoir où je mets les pieds. Si elle fréquente toujours mon frère, il faut que je me tienne à carreaux et peut-être même qu’elle pourrait plaider en ma faveur auprès de lui. Je crois que les nanas font ce genre de trucs en général, elles aiment bien arranger les choses. Les mecs, eux, ils ne cherchent pas vraiment, ils s’en foutent. Chacun sa merde comme on dit. J’essuie mes mains moites sur mon short et désigne d’un coup de tête la salle – C’est pour lui mettre une future raclée que t’es là ? Je ris bêtement. Je me sens con et tellement pas adapté quand il s’agit de relation. Le fait est que je suis particulièrement mal à l’aise sur l’instant, car j’ai l’impression d’être observé à la loupe et que chacune de mes réactions peut être jugé. C’est déstabilisant, vraiment.
La boxe lui avait toujours permis d’éclaircir ses idées et de laisser son esprit sur off au moins le temps d’un entraînement. Ce sport était épuisant et lui demandait d’aller puiser dans ses ressources. Exactement ce dont elle avait besoin aujourd’hui. Sa vie était devenue un enchevêtrement d’évènements qui mettaient ses nerfs à rude épreuve. Cette salle était son refuge face à la pression extérieure, du moins le temps d’un entraînement – ce qui était déjà pas mal. Mais alors qu’elle frappait avec force contre son sac, l’imaginant avec la tête de Camden comme à son habitude, de l’agitation venant du fond de la pièce lui fit perdre sa concentration. Curieuse, elle laissa son regard détailler le jeune homme responsable du trouble occasionné chez certains des boxeurs. C’est qu’ils aimaient leur tranquillité ceux là. Les traits du brun ne lui étaient pas inconnus, et lorsque son nom résonna dans toute la salle, Leah n’eut d’autre choix que de prendre elle aussi le chemin de la sortie pour en avoir le cœur net. Elle venait de retrouver Lonnie depuis quelques semaines à peine, il n’aurait pas été impossible que son grand frère soit lui aussi dans les parages, pas vrai ? Le Hartwell était entrain de fumer sa clope dans l’espoir de se calmer sans doute, et l’intervention de la brunette le fit sursauter. Il laissa son regard surpris la détailler, et la jeune femme se sermonna intérieurement. Ca n’était pas la première fois qu’elle interpellait les gens qui lui semblaient familier, et si jusqu’à maintenant sa physionomie ne l’avait jamais trahie, il arriverait un jour où un parfait inconnu la prendrait pour une véritable folle. Sourire aux lèvres afin d’apaiser un stress éventuel, Leah se présenta comme une vieille amie de Lonnie. Une information qui n’eut pas l’air d’aider son interlocuteur à la replacer, du moins les premières secondes. « T’étais la voisine c’est ça ? T’as bien changé depuis. T’étais haute comme trois pommes avant. » Et heureusement non ? Cette remarque fit un peu rire la brune mais elle se reprit rapidement. Elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle se moquait de lui. Harvey avait toujours été plus rustre que son frère qui lui était un océan de douceur, du moins durant leur tendre enfance. Leah attendait encore de découvrir la façon dont son ami avait évolué avec les années, surtout qu’il avait fini par devenir policier et à s’investir dans des affaires qui faisaient écho à son passé. « C’est ça oui, j’habitais en face ! J’espère bien oui, même si on ne peut pas dire que j’aie tant grandit que ça. » Lança-t-elle avec une moue amusée. Son mini gabarit l’avait longtemps complexée, mais elle s’y était fait avec le temps. On n’avait pas encore inventé une formule pour vous faire grandir, alors autant se satisfaire de ce qu’on avait. « Toi aussi tu as bien changé. » Ajouta-t-elle en penchant la tête sur le côté. Les deux frères étaient méconnaissables, et seuls quelques expressions et traits familiers lui avaient permis de les reconnaître. Et encore, pas de façon immédiate. « Tu l’vois toujours, Lonnie ? » Leah percevait de la nervosité chez Harvey, mais elle n’aurait pas su dire ce qui le mettait dans cet état. Elle espérait que ça ne venait pas d’elle, c’était la dernière chose qu’elle voulait. La brune avait toujours eu énormément d’affection pour les deux frères, et même si elle avait été extrêmement proche de Lonnie, elle savait que Harvey en avait bavé lui aussi. Ses pensées ne les avaient jamais quittés, même après leur déménagement. « On s’était perdu de vue toutes ces années, on vient de retomber l’un sur l’autre il y a quelques semaines d’ici, par hasard. Un peu comme nous deux. » Expliqua-t-elle avec douceur, réalisant que son entrée en matière avait été légèrement impulsive. Il devait vraiment se demander d’où elle débarquait. Sa question lui fit se demander si les deux frères étaient toujours en contact, même si l’idée qu’ils ne le soient plus lui paraissait inconcevable. Ils n’avaient personne sur qui compter à par eux deux. La famille, c’était le plus important. Elle espérait vivement que les frangins ne se soient pas séparés avec les années, mais ce sujet de discussion lui semblait bien trop personnel pour être abordé maintenant alors même qu’il la remettait à peine. « C’est pour lui mettre une future raclée que t’es là ? » Lui demanda-t-il ensuite avant de se mettre à rire, ce qui la fit rire à son tour. « J’ai jamais eu besoin de cours de boxe pour mettre une raclée à Lonnie, déjà à l’époque je m’en sortais pas mal. » Lança-t-elle sur un ton amusé, avant de reprendre un peu plus sérieusement. « Mais c’est bien pour mettre une raclée à quelqu’un que j’ai commencé à venir ici. Si jamais je recroise sa route… » Ce que je n’espère pas, aurait-elle pu ajouter. Pourquoi lui disait-elle ça exactement ? Elle n’en savait rien. « Et toi alors ? T’avais l’air pas mal remonté là dedans. » Lança-t-elle avec franchise en désignant la salle du menton. Ca ne servait à rien de prétendre qu’elle n’avait rien vu, tout le monde l’avait entendu.
Agacé, frustré d’avoir été stoppé en plein défouloir, je m’explose les poumons en tirant comme un drogué sur ma clope avant qu’une petite brunette ne sorte m’apostropher. Je n’ai pas vraiment l’habitude qu’on m’interpelle ainsi, mon attitude revêche et taciturne ne donne pas envie aux gens de venir vers moi d’ordinaire. Aussi, c’est la surprise dans un premier temps, qui grandit lorsqu’elle évoque Lonnie. J’essaie de me souvenir d’elle, mais ses traits ne me disent pas grand-chose, contrairement à son nom de famille qui me renvoie à mon enfance compliquée et tourmentée. ‘Baumann est dans son jardin, ferme-la un peu’ La voix rauque de mon père, suffisante et autoritaire, ordonnant à ma mère de pleurer en silence me revient. Je chasse ce fantôme de mon esprit pour rester dans le présent et j’essaie de ne pas paraître trop brutal, bien que sur la défensive. – C’est ça oui, j’habitais en face ! J’espère bien oui, même si on ne peut pas dire que j’aie tant grandit que ça. Elle rit, sourit quant moi je reste inerte, ne sachant pas vraiment comment réagir face à elle. Je n’ai jamais compris les interactions sociales en réalité et elle m’a surpris dans un moment très particulier. Je suis en sueur, dégoulinant de colère et de rage alors je suis plutôt surpris par sa facilité à échanger avec moi sur le ton de la plaisanterie. – Toi aussi tu as bien changé. A nouveau décontenancé par cette remarque, je ne peux pas m’empêcher de me demander si elle le pense ou si elle se réfère à une convention sociale un peu brouillonne qui m’échappe. Elle a pourtant le regard sincère, et l’air franchement agréable alors je me détends et hausse les épaules légèrement. – Valait mieux, non ? J’étais rachitique à l’époque. Je ne mangeais quasiment pas et je grandissais trop vite. Une dégaine à faire peur, je me suis clairement bonifié avec l’âge.
Je me mords l’intérieur des joues et termine rapidement ma clope. La chaleur m’étouffe et fait gonfler mes doigts, mes phalanges endolories détestent ce phénomène alors je desserre les bandages sur mes mains tout en lui demandant si elle voit toujours Lonnie. Si c’est le cas, je n’ai pas le droit à l’erreur. Lo a déjà une sale image de moi, je ne voudrais pas que l’une de ses amies lui raconte quoi que ce soit à mon sujet. – On s’était perdu de vue toutes ces années, on vient de retomber l’un sur l’autre il y a quelques semaines d’ici, par hasard. Un peu comme nous deux. Je hoche la tête, concentré et je secoue mes mains une à une, une fois les bandages défaits. Ainsi, elle fréquente Lonnie depuis peu. Vu qu’ils étaient proches, je vais me tenir à carreaux. Je bascule alors sur l’humour, le peu d’humour que j’ai en réserve – faut dire que je ne suis sacrément pas doué pour ça, mais elle semble s’en accommoder assez facilement. – J’ai jamais eu besoin de cours de boxe pour mettre une raclée à Lonnie, déjà à l’époque je m’en sortais pas mal. Elle arrive à m’arracher un sourire sincère. Rien ne me fait plus plaisir que de savoir mon frère soutenu, et une petite brunette comme elle dans sa vie doit lui faire un bien fou ! Elle transpire la gaieté et la joie de vivre. Toutefois, son regard se voile légèrement lorsqu’elle poursuit – Mais c’est bien pour mettre une raclée à quelqu’un que j’ai commencé à venir ici. Si jamais je recroise sa route… Je fronce les sourcils en l’entendant. Qui pourrait s’en prendre à une jolie fille comme elle ? Elle n’a pas l’air méchante pour un sou en plus de ça. Aussitôt, mon côté protecteur et altruiste ressort et je lui demande sans langue de bois – Quelqu’un t’a fait du mal ? T’as des problèmes ? Je me sens impliqué presque instantanément. Et ça n’a rien à voir avec le fait que ce soit une amie de Lonnie pour le coup, je déteste simplement les injustices. Ça éveille quelque chose en moi de profondément enragé, mais l’idée qu’on puisse s’en prendre à plus faible que soit me dégoute.
- Et toi alors ? T’avais l’air pas mal remonté là-dedans. Ah ! Moi alors… Vaste problème sur lequel il ne faut pas s'attarder longtemps... Je lève les yeux au ciel, soupire un peu et m’essuie le haut du front avec le bas de mon t-shirt en me baissant. Je me redresse et lui dit – Tu veux boire un truc au bar ? Ce sera mieux pour discuter qu’en plein soleil tu ne crois pas ? Je pousse la porte, rentrant à nouveau dans la salle bondée et je la tiens le temps qu’elle me suive. Récupérant ma serviette que je balance sur mes épaules pour m’éponger, je prends la direction du bar où sont servis toute sorte de cocktails multivitaminé et sportifs pour soi-disant ‘améliorer les performances’. Pour ma part, un whisky fait l’affaire en général. Mais cette fois-là, je vais me contenter d’un jus d’orange frais, histoire de ne pas passer tout de suite pour un alcoolique. – Je m’attendais pas à trouver quelqu’un que je connais ici, Brisbane est toute petite en réalité, c’est fou. C’est toi ‘Bau’, non ? Maintenant je me souviens, Lo’ il parlait pas mal de toi…
Leah se rendait bien compte que sa manière d’appréhender était parfois bien trop directe, d’autant qu’elle n’était jamais sûre à cent pour cent que la personne en question était bien celle qu’elle pensait. Mais la brune était plutôt physionomiste, et le nom Hartwell avait beau être répandu, le visage de cet homme lui avait été familier. Et puis, elle était bien retombée sur Lonnie par le plus grand des hasards quelques semaines plus tôt. Réitérer l’expérience avec son frère était improbable, mais elle se devait d’aller au bout de ses intuitions. Son souvenir n’apparu pas de manière instinctive chez Harvey, ça se voyait qu’il fouillait dans sa mémoire pour la remettre. Mais finalement, il sembla la reconnaître, ce qui soulagea un peu la brune. Le brun n’avait pas l’air des plus réceptifs à son égard, c’est pourquoi Leah opta pour un ton léger, sur le ton de la plaisanterie, histoire d’alléger une atmosphère assez pesante. Elle n’en connaissait pas la raison, sans doute que ça avait à voir avec son coup de colère à l’intérieur quelques minutes plus tôt. Elle n’était de toute façon pas là pour juger, elle-même avait vécu des émotions plutôt intenses grâce – ou à cause – de la boxe. « Valait mieux, non ? » Répondit-il en haussant les épaules, ayant l’air de se détendre un peu. Et en effet, il valait mieux. Mais Leah pouvait en dire autant de sa personne, ils s’étaient tous bonifiés avec l’âge. Elle hocha la tête avec un sourire en coin. « Effectivement. » Mais même s’il avait changé physiquement, c’est surtout ce qu’il avait dans le regard qui frappa la brunette. Lui et Lonnie avaient traversé les pires galères, ça avait vraiment dû les secouer. Harvey l’interrogea rapidement sur son frère, curieux de savoir si elle le fréquentait encore. La question l’interpella, mais elle prit le parti d’y répondre sans ajouter quoique ce soit de plus que la vérité, pas même un « Et toi ? » qui lui brûlait les lèvres. Ils ne devaient pas être très proches pour qu’il ignore qu’elle fasse à nouveau partie de la vie du policier. Leah décida de laisser les analyses psychologiques pour plus tard et termina ses explications sur une petite boutade envers le frêle Lonnie de l’époque, sous l’air concentré d’un Harvey qui écoutait avec concentration. Cette remarque eut au moins le mérite d’arracher un sourire à son interlocuteur qui terminait de défaire les bandes de ses mains. Sourire qui disparu à la seconde même où elle lui confia avoir commencé la boxe pour des raisons bien précises… Tu penses jamais à te la fermer Leah ? La brunette fit la moue, regrettant d’avoir prononcé ces paroles. L’effet Hartwell était décidemment dévastateur lorsqu’il s’agissait de confessions. « Quelqu’un t’a fait du mal ? T’as des problèmes ? » « Non… Enfin oui mais.. » Elle leva les yeux au ciel avant de reprendre, penchant la tête sur le côté en se demandant à quel moment la conversation avait tourné à son désavantage. «... C’est une longue histoire. » Conclut-elle en haussant les épaules afin de minimiser la situation. Elle n’était pas venue le trouver pour débattre des problèmes qui régnaient dans sa vie mais bien pour prendre des nouvelles d’une connaissance de longue date. Lorsqu’elle lui retourna la question, la réaction du brun fut presque aussi éloquente que la sienne : un petit soupir et une détournement de sujet, pas mal comme technique d’esquive. « Tu veux boire un truc au bar ? Ce sera mieux pour discuter qu’en plein soleil tu ne crois pas «? » Une question plutôt rhétorique puisqu’il se dirigea vers l’intérieur sans l’attendre, lui tenant simplement la porte pour qu’elle puisse le suivre. Leah lui emboita le pas, sans prendre la peine de répondre. Un jus de fruit lui ferait le plus grand bien après cet entraînement, même s’il avait été interrompu. Une fois leur commande passée, la brune s’installa sur un tabouret pour lui faire face, avide d’en savoir plus. « Je m’attendais pas à trouver quelqu’un que je connais ici, Brisbane est toute petite en réalité, c’est fou. C’est toi ‘Bau’, non ? Maintenant je me souviens, Lo’ il parlait pas mal de toi… » Maintenant que les présentations avaient été faites – ou refaites – Harvey était devenu un peu plus loquace, ce qui soulagea la jeune femme qui n’était pas la plus douée pour tenir une conversation à sens unique. « Tu étais parti ? » L’interrogea-t-elle simplement, avant d’hocher la tête face à sa dernière question. « C’est bien moi, la seule et l’unique. » Plaisanta-t-elle avec un petit sourire. « Ah oui ? Tu sais on avait pas grand monde sur qui compter comme amis à l’époque, c’était compliqué… » Lança-t-elle, se remémorant l’enfance difficile de Lonnie et ses propres difficultés face au harcèlement scolaire. Des années pas très joyeuses, mais ils s’étaient bien trouvés heureusement. Le déménagement de son ami l’avait fortement affectée à l’époque et elle n’avait jamais cessé de penser à lui et ce qu’il était devenu. « Et toi alors, tu deviens quoi ? » Demanda-t-elle en s’emparant du verre de jus de fruits frais qu’on venait de poser devant elle.
→ Face à ses retrouvailles totalement improvisées, il me semble que le bar est un endroit bien plus approprié que l’arrière de la salle de sport donnant sur une impasse en plein soleil. Il sera plus aisé de discuter calmement autour d’un jus de fruits, au frais. J’invite alors Leah que je remets peu à peu en discutant avec elle à pénétrer de nouveau dans le bâtiment à ma suite. Mes nerfs sont quelque peu redescendus, mais je ne perçois toujours pas le bénéfice d’être ici. Je n’affronte aucun adversaire, juste moi et je déteste ça. Si le but est de me mettre face à moi-même, mes dysfonctionnements, mes dilemmes intérieurs en espérant que j’arrive à les régler, je sais d’avance que c’est foutu. Cette rage en moi doit être extériorisé et je n’y arrive pas autrement qu’en tabassant de pauvres inconnus sur un ring. Ou alors peut-être que je ne suis pas réellement partisan de ce travail sur moi, peut-être que je ne fais que tourner autour du problème finalement et c’est très certainement le cas. Même moi je sais que je me voile la face. Je ne crois plus en moi… Ai-je jamais cru en moi ? Je me contente de survivre sans réel but, et je doute de plus en plus de mon retour au pays. Ce n’était pas une bonne idée. Je suis un problème ici, et à chaque retrouvaille, je m’en rends compte un peu plus difficilement. Mais ce n’est pas pour autant que je vais rejeter Leah. Nous ne sommes pas si proches, elle et moi. Juste des anciens voisins, et ce qui nous rassemble c’est Lonnie. J’ai bien besoin d’entendre parler de mon frère, ça me donne le sentiment de pouvoir être proche de lui, même si cela est totalement illusoire. Je me berce d’illusions en même temps. Comme si ça pouvait me faire du bien, éloigner la douleur de mes échecs, la terreur de ma solitude.
Toutefois, lorsqu’elle me confirme avoir des problèmes, avec hésitation, je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils et de me sentir impliqué d’une façon. Cela m’intrigue. Qui pourrait en vouloir à une fille aussi agréable qu’elle – et aussi petite ? Elle est minuscule et donne plus envie de la cajoler qu’autre chose. Je suis devenu si sensible depuis que je travaille au Confidential Club, à force de croiser toutes ces jeunes femmes perdues. Mais au-delà de ça, j’ai beaucoup de mal avec la violence envers les femmes ou les enfants. Ça me fous une rage incontrôlable, ça me prend aux tripes je suis incapable de détourner les yeux et de me taire face à ça. Je garde donc cette information en tête, bien décidé à en apprendre plus sur le sujet. Installés au bar du complexe sportif, serviette sur les épaules qui m’a permis d’essuyer toute la sueur sur mon visage, j’observe Bau et lance la conversation de façon plus sereine et détendu. Sans m’en rendre compte, je lui donne l’information sur ma décennie à l’étranger et me mords la joue lorsqu’elle rebondit automatiquement dessus. – Tu étais parti ? Je hoche la tête et réponds simplement – Pour les études, oui. En Irlande. Je lui fais un petit clin d’œil,, peu enclin à échanger sur le sujet car la question de mon échec finit toujours par revenir sur le tapis et ça me gonfle. J’ai l’impression de n’être défini que par mes erreurs de parcours. C’est horrible cette sensation, elle me tire constamment vers le bas. J’évoque Lonnie, une nouvelle fois, désireux d’en savoir plus sur leur lien actuel. – Ah oui ? Tu sais on avait pas grand-monde sur qui compter comme amis à l’époque, c’était compliqué… Un voile sombre se pose devant mes yeux et je baisse le regard sur mon verre, soudain passionné par ses couleurs orangées et leurs nuances. A l’époque, c’était compliqué en effet. Il fallait cacher les marques, se taire, éviter de se faire remarquer, jouer la grande mascarade. Jusqu’à ce que ma mère mette fin au jeu brutalement. – T’as l’air de t’en être bien sortie… Enfin, hormis pour ta ‘longue histoire’. J’espère bien que tu vas m’en dire plus à ce sujet. Si t’as des emmerdes, faut pas hésiter à en parler. Sinon à quoi serviraient les vieux voisins avec lesquels on a grandi, hein ? Je force un petit sourire pour la mettre en confiance et lui témoigner mon réel soutien. Je ne suis pas du tout en train d’essayer d’être poli et si j’en avais eu rien à foutre, je n’en aurai simplement pas reparlé. Hors je n’en ai pas rien à foutre et si jamais quelqu’un lui fait des problèmes, je peux toujours lui rendre une petite visite pour le calmer. Je ne suis pas très diplomate par contre, il se peut que je m’énerve suivant ce qu’elle me dira. – Et toi alors, tu deviens quoi ? Oh vaste sujet de conversation ! Rien : c’est une réponse ? Pas satisfaisante, je le crains. Et je devine au fond de son regard l’envie d’en apprendre bien plus. La vérité, c’est tout ce que j’ai désormais : - Je suis vigile dans un club de strip, au Confidential Club. Je ne t’y ai pas encore croisé d’ailleurs. Je souris comme un con en pensant qu’elle est loin d’être le genre de filles à trainer vers les clubs de strip. – L’endroit n’est pas très recommandable honnêtement, mais ça paie bien.
La jeune femme devinait que quelque chose n’allait pas chez Harvey. Il avait quelque chose dans le regard, le genre qui vous faisait immédiatement comprendre qu’il avait vécu des choses terribles. Leah le savait, parce qu’elle aussi avait eu ce regard tout un temps. Un an plus tôt, la brune était sortie de l’hôpital en débordant de colère. Contre elle, avant tout. Mais aussi contre ces personnes qui l’avaient jugée sur ses blessures, avec cette interrogation dans les yeux ; mais pourquoi tu ne t’es pas défendue ? Pourquoi n’as-tu rien dit? La jeune femme s’était sentie humiliée comme jamais, regrettant presque de ne pas y être restée. Le pire étant qu’ils n’avaient jamais retrouvé Camden, qu’elle avait vécu des mois en regardant derrière son épaule à chaque angle de rue, terrifiée à l’idée de tomber nez à nez avec lui. C’est ce qui l’avait poussée à s’inscrire dans cette salle de boxe au final, pour reprendre peu à peu confiance en elle après cet épisode traumatisant. Elle y était parvenue – non sans mal – et se sentait beaucoup mieux à présent. Pas comme son interlocuteur. Le jeune homme semblait mal à l’aise en sa présence, elle n’aurait su dire pourquoi. Mais avec tout ce qu’elle avait traversé, il était hors de question qu’elle l’interroge à ce sujet. Elle ne l’avait plus revu depuis près de vingt ans, et ils n’avaient jamais vraiment été proches. Elle se voyait mal relever son comportement pour le moins étrange, préférant jouer la carte de celle qui ne voyait rien, ou en tout cas qui ne voulait pas poser de questions. Ce n’était pas son cas à lui, puisqu’il décida de rebondir sur l’une de ses confidences, cherchant à savoir si quelqu’un lui avait fait du mal. Cela ne servait à rien de mentir, et elle décida de jouer la carte de la franchise en lui avouant que c’était précisément le cas. A son tour d’être mal à l’aise. La réaction d’Harvey ne se fit pas attendre, et Leah pu percevoir de la colère face à cette révélation. Cependant, l’air qu’affichait la brunette fut suffisant pour que la conversation ne s’attarde pas sur ce sujet, et ils décidèrent d’aller se rafraichir à l’intérieur, histoire de rattraper le temps perdu autour d’une boisson vitaminée. Quelques minutes plus tard, le brun lui appris qu’il était revenu depuis peu à Brisbane, ce qui intrigua la brune qui s’empressa de l’interroger à ce sujet. « Pour les études, oui. En Irlande. » Beau résumé. Harvey n’avait pas l’air d’avoir plus envie qu’elle de s’attarder sur sa vie privée, ce qui naître un sourire au coin de ses lèvres. « C’est beau l’Irlande ? J’ai pratiquement jamais quitté Brisbane… » Lança-t-elle machinalement en haussant les épaules. Elle avait toujours envié ceux qui avaient eu la chance de voyager, et ne pouvait s’empêcher de demander des détails sur leur destination. Elle s’abstint de lui demander comment s’était déroulé son parcours scolaire, ayant très vite compris qu’il n’était pas très loquace lorsqu’il s’agissait de parler de sa personne. Tout naturellement, le sujet glissa sur Lonnie ; leur seul point commun à première vue. « T’as l’air de t’en être bien sortie… Enfin, hormis pour ta ‘longue histoire’. J’espère bien que tu vas m’en dire plus à ce sujet. Si t’as des emmerdes, faut pas hésiter à en parler. Sinon à quoi serviraient les vieux voisins avec lesquels on a grandi, hein ? » Sur ces dernières paroles, le brun s’autorisa – enfin – à sourire en l’observant avec un air qui se voulait sans doute rassurant. Leah passa une main dans sa nuque en soupirant, se demandant pourquoi elle avait laissé s’échapper cette information. « T’en fais pas. C’est du passé… Un pauvre con qui préférait communiquer avec ses poings qu'avec des mots. » Lâcha-t-elle à mi-voix, espérant qu’il se satisferait de cette réponse. Elle n’avait pas très envie de lui dire qu’elle avait passé quatre années de sa vie enfermée dans cette relation sans trouver le courage d’en sortir, qu’elle avait fini dans le coma avec toutes sortes de fractures et qu’elle avait failli y passer. La version longue était pénible à raconter, encore aujourd’hui. Leah lui retourna tout de même son sourire, histoire de ne pas paraître trop froide. Après tout, c’est elle qui était venue à sa rencontre et non l’inverse. Dans l’idée de changer une nouvelle fois de sujet - à croire qu’ils se relançaient la balle – la brune lui demanda ce qu’il devenait après toutes ces années. La réponse manqua de la faire s’étouffer : « Je suis vigile dans un club de strip, au Confidential Club. Je ne t’y ai pas encore croisé d’ailleurs. » Leah laissa un petit rire s’échapper tandis qu’elle observait Harvey, se remémorant l’image du petit garçon qu’elle avait côtoyé à l’époque. Vraiment, on ne savait jamais ce que l’avenir nous réservait. Lonnie était flic, et Harvey vigile dans un club de striptease. Et elle, ancienne barmaid à la recherche d’un emploi. Finalement, c’est le plus jeune des Hartwell qui s’en sortait le mieux parmi leur trio. « Cool. » Répondit-elle sans trop savoir si un commentaire était nécessaire ou non pour le coup. « Et non, je traîne rarement dans ce genre d’endroits à vrai dire. » Ajouta-t-elle en fronçant le nez avant d’éclater de rire. A vrai dire, elle aurait très bien pu passer du temps là bas à une certaine époque, mais elle se garda bien de le préciser. En véritable fêtarde, elle avait fréquenté pas mal de personnes pas toujours fréquentables, qui elles côtoyaient ce genre de milieu. « L’endroit n’est pas très recommandable honnêtement, mais ça paie bien. » La brunette hocha la tête avec un petit sourire, sirotant une gorgée de sa boisson tout en observant Harvey. « Ecoute, si ça te permet de t’en sortir, c’est le principal. Ces dernières années j’ai été barmaid au MacTavish, mais avant ça j’ai bossé dans pas mal de bars miteux. Alors, pas de jugement ! » Lança-t-elle avec un air rassurant à son tour. Elle ne voulait pas qu’il se sente jugé à la moindre parole qu’il dirait, c’était loin d’être son genre.
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Leah Baumann le Mer 19 Juin 2019 - 22:21, édité 1 fois
→ Installés au bar du complexe sportif, à quelques mètres de la salle de boxe, je me laisse aller au bavardage, ce qui n’est pourtant pas mon activité favorite. Il faut dire que je manie difficilement les mots, et que ma maladresse légendaire me cause souvent du tort dans une conversation. J’évite toujours de trop en dire, par peur de gâcher le plaisir de l’autre en le blessant bêtement. Je ne suis pas non plus du genre à m’épancher et à me confier facilement, aussi j’évoque seulement l’Irlande de manière brève, comme si les dix années qui venaient de s’écouler n’existaient pas. C’est l’impression que ça me fait depuis que je suis revenu au pays. Dix ans de ma vie foutus en l’air, irrattrapables, envolés comme des grains de poussière… Et pourtant, il s’est bien passé des choses durant ces dix années. J’ai rencontré des gens, vécu des moments agréables et d’autres moins, fait des découvertes, appris des choses… J’ai connu des histoires aussi, avec des hommes charmants, certaines plus intenses que d’autres. Toutefois, lorsque j’évoque l’Irlande, je n’en parle pas vraiment. Je garde sous silence les dix années que j’ai passées là-bas, conscient qu’elles ont comptés malgré tout. –C’est beau l’Irlande ? J’ai pratiquement jamais quitté Brisbane… Je fronce les sourcils à la déception que je soupçonne dans son affirmation et je m’enquiers davantage : -T'es allée où ? T'aurais envie de voyager encore ou tu n'en as pas l'opportunité ? Cela peut arriver. Sans cette bourse offerte pour étudier à l’étranger et l’appui de mes professeurs de l’époque, je ne serais jamais parti. J’ai saisi l’opportunité qui m’était offerte en sachant que cela ne se reproduirait pas de sitôt. –Mais sinon c’est beau oui. Bon le temps n’est pas exceptionnel faut l’avouer. Il pleut tout le temps, sans exagération mais les paysages sont magnifiques, et les gens plutôt agréables. Je ne mentionne pas le fait qu’ils soient tous alcooliques, ça va de soi. Et c’est à son tour d’éviter soigneusement le sujet que je tente en vain de relancer. Je comprends alors qu’il s’agit là d’une chose qu’elle ne souhaite pas évoquer, et je vais éviter de faire le gros lourd, ce n’est généralement pas plaisant. Evasive, elle me répond donc : -T’en fais pas. C’est du passé… Un pauvre con qui préférait communiquer avec ses poings qu’avec des mots. –Malheureusement, y’en a beaucoup des comme ça… Je lui réponds, avant de désigner la salle de boxe d’un coup de tête. –T’as raison d’apprendre à te défendre, et puis ça défoule aussi ! Je fais un clin d’œil, lui assurant que le sujet est donc clos pour ma part et que je n’insisterai pas. La mettre mal à l’aise n’est pas le but de cette conversation, au contraire. Je trouve cela désolant et révoltant qu’un homme puisse s’en prendre à une femme, mais j’essaie de ne pas m’attarder sur mes ressentis, ils ne seront pas objectifs. Une nouvelle fois, mon histoire familiale me tire vers la noirceur et la colère. Lorsque Bau me tend une perche pour parler d’autre chose, je la saisis et mentionne sans honte mon activité au sein de Confidential Club. Ce n’est pas un endroit très recommandable, il faut bien l’avouer mais je n’ai pas honte de ce que je fais : assurer la sécurité des uns et des autres dans ce genre de lieu, c’est essentiel. Il faut savoir garder la tête froide et jusqu’à présent, je n’ai pas eu de problèmes. J’ai su me servir de mes poings lorsque c’était nécessaire, et user de ma tête à d’autres moments. Je me suis même épaté certaines fois à être diplomate. Et bien que je déplore la souffrance qui reste omniprésente là-bas, je trouve un certain but à mon travail. Protéger les filles, et plus récemment les hommes, qui dansent me semble honorable. Je ne les protège pas d’eux-mêmes et de leurs propres décisions, mais je leur accorde le droit de dire ‘non’ s’ils le souhaitent et je fais en sorte qu’ils ne soient pas importunés. Je souligne le fait que je ne l’ai pas croisé par là-bas, et ça la fait éclater de rire. Je souris, amusé par sa réaction. Elle a l’air d’une bonne vivante, croqueuse de vie à pleines dents et je la vois sans mal faire réagir Lonnie. J’espère qu’elle met un peu de baume sur son cœur meurtri. – Cool. Et non, je traîne rarement dans ce genre d’endroits à vrai dire. J’ajoute que la paie est intéressante, ce à quoi elle me répond -Ecoute, si ça te permet de t’en sortir, c’est le principal. Ces dernières années, j’ai été barmaid au MacTavish mais avant ça j’ai bossé dans pas mal de bars miteux. Alors, pas de jugement ! Surpris, je m’exclame –Au MacTavish, vraiment ? J’adore ce pub ! J’vais souvent sur la côte pour profiter un peu du calme de la plage. J’connais bien ce pub, ils y font d’excellents fish&chips et y servent de bonnes mousses ! Ravi d’avoir trouvé quelque chose qui nous lie, je demande –Tu y es toujours ? J’y suis allé récemment mais je ne t’ai pas vu. Enfin remarque, on s’est peut-être croisé sans se reconnaître ! C’est quand le gérant a gueulé mon nom que tu m’as reconnu, non ?
Lorsqu’Harvey lui confia n’être revenu à Brisbane que depuis peu, la curiosité légendaire de Leah la poussa à lui demander de plus amples informations à ce sujet. Elle avait arrêté ses études bien trop tôt que pour avoir pu en profiter pour s’envoler vers des contrées inconnues, et à ça s’ajoutait son regret de ne pas avoir poursuivi sur une voie qui lui aurait ouvert d’autres portes que celles des bars où elle avait bossé. Sirotant avec un plaisir non-dissimulé sa boisson, la brune observa avec attention le grand frère de son amie d’enfance. Son regard sombre ne trompait personne, mais il semblait faire un effort pour se montrer plaisant à son égard. L’Irlande, ça semblait tellement éloigné de l’Australie… même si ça ne sonnait pas vraiment exotique. La jeune femme ne put s’empêcher de lui demander comment c’était, habituée à vivre par procuration ces nombreux voyages auxquels les gens autour d’elle s’était adonné. Le MacTavish était réputé pour accueillir une cohorte de touristes venus des quatre coins du monde, et c’est une des choses que Leah avait toujours apprécié ; discuter avec les clients lui faisait passer le temps, et lorsque le sujet s’attardait sur celui des voyages, la brune se laissait volontiers aller à des conversations qui pouvaient parfois durer des heures. « T'es allée où ? T'aurais envie de voyager encore ou tu n'en as pas l'opportunité ? » Un fin sourire étira les lèvres de la brunette alors qu’elle se remémorait ces voyages qu’elle avait eu l’occasion de faire grâce à Stephen. Sans lui, elle n’aurait probablement jamais quitté cette ville, et elle espérait que ces deux périples ne seraient pas les derniers. Partir avec le brun était une expérience qu’elle aurait aimé revivre encore et encore. Ces moments passés loin de la réalité étaient les meilleurs, ceux qui leur avait permis de cimenter leur couple. La Tasmanie avait été le lieu où s’était joué l’évolution de leur amitié en quelque chose de bien plus fort, les amenant lentement à former le binôme qu’ils étaient aujourd’hui. Et ce mois de mars passé au Cambodge n’avait fait que renforcer leurs liens, développant des sentiments de plus en plus intenses l’un envers l’autre. « J’ai passé une semaine en Tasmanie l’année dernière, puis un mois complet au Cambodge. Tout ça grâce à mon compagnon qui travaille sur des projets humanitaires, il m’embarque avec lui à l’occasion. » Répondit-elle dans un petit rire. Ce qu’elle avait vu le kiné accomplir lui avait donné envie à elle aussi de se rendre utile, et ce mois passé là bas avait sans doute accentué ce désir d’aider les autres qui l’avait finalement amenée à s’inscrire chez les pompiers. Une décision qu’elle n’avait pas encore partagée à Stephen, appréhendant sa réaction, mais elle était bien décidée à accomplir cette nouvelle ambition qui était la sienne. « J’avais jamais eu l’occasion de voyager avant ça, les finances et tout ça… » Ajouta-t-elle en fronçant le nez, se rappelant non sans peine de ses galères financières de l’époque. Encore un mauvais pas dont Stephen l’avait tirée, et elle lui en serait à jamais reconnaissante. « Et du coup j’aimerais encore pouvoir partir, mais cette année ça risque d’être compliqué… Si tout se passe bien, dans quelques semaines je devrais être en formation chez les pompiers. » Lança-t-elle avec fierté, ravie de pouvoir partager cet évènement avec quelqu’un. Elle était consciente que garder plus longtemps ce secret allait faire péter un câble à Stephen, et elle se promit de lui en parler le plus rapidement possible. « Mais sinon c’est beau oui. Bon le temps n’est pas exceptionnel faut l’avouer. Il pleut tout le temps, sans exagération mais les paysages sont magnifiques, et les gens plutôt agréables. » La brunette hocha la tête d’un air entendu, constatant qu’il comptait bien rester sur des banalités et ne pas aller plus loin dans les détails concernant ces plusieurs années loin du sol australien. « En général je préfère les destinations plus ensoleillées, mais je suis sûre que ça doit valoir le détour. » Répondit-elle, se gardant bien d’ajouter un « Tu pourras jouer au guide touristiques ? » ironique qui lui brûlait les lèvres, se disant que la plaisanterie ne risquerait pas de faire mouche chez Harvey. Il n’avait pas l’air très emballé par ces années passées en Irlande, et elle décida de ne pas s’aventurer plus loin sur le sujet, au risque de se faire sévèrement rembarrer. Comme pour enchaîner un sujet personnel après un autre, Harvey décida de la relancer sur ce qu’elle avait malencontreusement avoué quelques minutes auparavant, et la brune préféra éluder plutôt que de rentrer dans le vif d’un sujet qui la touchait encore bien trop, en dépit des plusieurs mois qui s’étaient écoulés depuis. « Malheureusement, y’en a beaucoup des comme ça… T’as raison d’apprendre à te défendre, et puis ça défoule aussi ! » Sur ces dernières paroles, la brune se rappela la façon dont Harvey avait attiré l’attention sur lui dans la salle, et se dit qu’effectivement, lui aussi utilisait la boxe comme défouloir. « Un peu trop. » Lança-t-elle en haussant les épaules, clôturant ainsi ce sujet. Elle n’aimait pas discuter de Camden, estimant que prononcer son nom lui accordait encore bien plus d’importance qu’il n’en méritait. Et puis, son côté superstitieux lui faisait se dire que de proférer son identité à voix haute le ramènerait dans sa vie, ce qu’elle voulait éviter à tout prix. Ces derniers mois, elle avait déjà eu la très nette impression de l’avoir aperçu au détour d’un carrefour, presque invisible au milieu de la foule. Si on ajoutait à ça le net sentiment de s’être fait surveillée, on obtenait un savant mélange de paranoïa et de psychose. Heureusement, elle n’avait plus ressenti ça depuis quelques temps maintenant, ce qui l’avait plus ou moins rassurée, même si une partie d’elle conservait ces doutes et cette peur. « C’est vrai que j’ai commencé pour me défendre, mais c’est devenu bien plus que ça. Ca m’a aidée. » Lâcha-t-elle en toute honnêteté, espérant que ces mots feraient écho au comportement qu’il avait adopté dans le fond de la salle, arrachant des cris au gérant qui n’était déjà pas très commode d’ordinaire. Harvey lui avoua ensuite travailler au Confidential Club, un endroit qu’elle connaissait de réputation mais où elle n’avait jamais mis les pieds. Il y était vigile, ce que Leah ne jugea absolument pas compte tenu de ses propres activités professionnelles. Un travail était un travail, du moment qu’il permettait de pourvoir à ses besoins. A son tour, elle déclara avoir bossé au MacTavish, ce qui déclencha une forte réaction chez le brun qui s’exclama d’un seul coup : « Au MacTavish, vraiment ? J’adore ce pub ! J’vais souvent sur la côte pour profiter un peu du calme de la plage. J’connais bien ce pub, ils y font d’excellents fish&chips et y servent de bonnes mousses ! Tu y es toujours ? J’y suis allé récemment mais je ne t’ai pas vu. Enfin remarque, on s’est peut-être croisé sans se reconnaître ! C’est quand le gérant a gueulé mon nom que tu m’as reconnu, non ? » Leah ne put s’empêcher d’hausser un sourcil étonné face à tant d’enthousiasme de la part du big brother Hartwell. Une première. Enfin, cela n’avait peut-être rien d’étonnant finalement, lui qui avait passé autant de temps dans un pays de buveurs de bières invétérés. Elle se mit à rire suite à cette réaction inattendue, ravie d’avoir déclencher une once de bonne humeur chez Harvey. « Sérieux ? Si ça se trouve on s’y est déjà croisé sans le savoir… J’ai bossé là bas plus de quatre ans, mais j’ai arrêté en janvier dernier. J’en avais vraiment marre. » Répondit-elle en secouant ses boucles brunes, repensant avec dépit à ces clients horribles qu’elle avait du servir et à toutes ces longues soirées passées à déprimer, espérant un jour rebondir sur une nouvelle voie professionnelle. « Et oui, le HARTWELL ne m’a pas échappée. » Ajouta-t-elle en pouffant de rire, mimant le hurlement du gérant de la salle. « Tu sais c’est marrant, c’est justement au MacTavish que Lonnie et moi on s’est retrouvé par hasard. Il nous aura fallu la soirée pour comprendre qui on était l’un pour l’autre. » Lança-t-elle avec un petit sourire, sourire qui se posait instinctivement sur ses lèvres lorsqu’elle évoquait son ami d’enfance.
→ Lorsque la conversation dévie sur les voyages, le regard de Bau s’illumine et son bonheur est communicatif au point où je me mets à sourire tout en l’écoutant me parler de la Tasmanie et du Cambodge. J’apprends en même temps qu’elle a un petit ami et que ce n’est pas Lonnie. Envolé l’espoir que mon petit-frère puisse trouver un point d’ancrage avec l’ancienne voisine, même si rien n’est jamais définitif dans la vie. J’ai toujours été admiratif de ceux qui s’engagent dans des causes humanitaires, avec la profonde envie d’aider son prochain. J’ai toujours eu l’impression d’être incapable de faire pareil, car je n’ai rien à offrir de bien. Je me trompe sûrement, la tête bien trop enfoncée dans mes problèmes pour m’ouvrir au monde et à tout ce qu’il a à m’offrir. – ça a l’air vraiment génial. Un mois complet… Tu as du en voir du pays… Je dis d’un air un peu rêveur. Le Cambodge, je ne connais pas. Ce n’est pas si loin en comparaison à l’Irlande, et pourtant je n’ai jamais éprouvé l’envie d’aller visiter. Mon âme d’aventurier a été saccagée durant l’enfance, j’ai du mal à me projeter vers d’autres destinations. L’Irlande, ce fut un coup de bol, une opportunité à saisir pour éviter d’embraser un plus sombre destin. Et tandis que mes pensées tournoient et dérivent involontairement, Leah poursuit, je l’écoute distraitement. – J’avais jamais eu l’occasion de voyager avant ça, les finances et tout ça… Et du coup j’aimerais encore pouvoir partir mais cette année, ça risque d’être compliqué… Si tout se passe bien, dans quelques semaines je devrais être en formation chez les pompiers. Cette annonce a pour effet de me secouer un peu et j’arque les sourcils, étonné. Un si petit gabarit chez les pompiers, les tests n’ont pas dû être faciles à valider pour elle. Je peux m’y tromper, évidemment, mais tout de même. La formation de pompier est loin d’être facile et accessible à tous. – Et bah, je comprends mieux l’entrainement intensif alors et pourquoi je te croise ici ! C’est pas rien les pompiers et c’est un sacré engagement ! Je souligne cette réalité avec un brin d’admiration et d’enthousiasme. Elle a l’air si fière d’elle qui plus est !
J’évoque l’Irlande brièvement. Je n’ai pas réellement envie de m’attarder dessus, pas parce que le sujet est déplaisant mais parce que j’ai envie de garder ces dix années d’exil pour moi. Personne ne sait ce que j’ai vécu là-bas et c’est très bien ainsi. Le mystère est une chose que je sais entretenir en général, il suffit de se montrer peu enclin à la conversation. – En général, je préfère les destinations plus ensoleillées, mais je suis sûre que ça doit valoir le détour. Je souris en me faisant la réflexion que le soleil des cœurs est plus important que celui qui peut briller dans le ciel, mais je ne réponds rien à cela et me contente de hocher simplement la tête. Il est clair que ce n’est pas en Irlande qu’on peut espérer bronzer. Même moi j’ai fini par adopter un teint plus livide en y habitant, et la chaleur Australienne m’a surprise lorsque j’ai débarqué ici il y a quelques mois. Je m’y suis fait rapidement toutefois, j’ai ça dans le sang.
Ma langue se délie et je me surprends moi-même à être curieux et à faire la conversation. Leah est une sorte de magicienne pour réussir à me faire parler autant. Néanmoins, je perçois dans son hésitation à évoquer l’événement qui l’a amené ici une sorte de peur encore bien présente et ancrée. Je la reconnais à son regard fuyant, à sa nervosité qui transparaît de manière soudaine dès l’évocation de cet ‘incident’ dont je ne fais que deviner le contenu. – C’est vrai que j’ai commencé pour me défendre, mais c’est devenu bien plus que ça. Ça m’a aidée. Je n’ai pas de mal à la croire, beaucoup disent la même chose. Se défouler dans la pratique sportive apporte un certain équilibre au quotidien, un bien-être général. Cela permet de libérer les tensions, les ressentiments et le négatif… Je ne demande qu’à vérifier cette théorie pour ma part, ça ne fait pas longtemps que je viens ici. – Tant mieux alors, il parait que c’est fait pour. J’hausse les épaules, encore dubitatif quant aux effets de cette salle bondée sur ma personne. Trop de monde, trop de spectateurs donc…
Et puis, Leah révèle qu’elle a travaillé longtemps au Mac Tavish. Je connais tellement bien le bar que je suis étonné de ne pas l’y avoir croisé – mais en ayant été dix ans à l’étranger, forcément… - Sérieux ? Si ça se trouve on s’y est déjà croisé sans le savoir… J’ai bossé là-bas plus de quatre ans, mais j’ai arrêté en janvier dernier. J’en avais vraiment marre. Et oui, le HARTWELL ne m’a pas échappé. Tu sais c’est marrant, c’est justement au MacTavish que Lonnie et moi on s’est retrouvé par hasard. Il nous aura fallu la soirée pour comprendre qui on était l’un pour l’autre. Je ne peux pas m’empêcher de sourire, amusé de me trouver malgré moi un point commun avec mon frère. Ainsi, Lo’ fréquente ce pub. Il doit aimer les bonnes bières alors. C’est surprenant de voir à quel point apprendre ce genre de détails sur lui me fait du bien. J’ai tellement envie de le savoir heureux que l’imaginer en train de discuter toute la soirée avec Leah me mets du baume au cœur. – Pas étonnant tiens, les Hartwell n’aiment que la bonne bière. Et malheureusement, en disant cela, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour mon père et son alcoolisme qu’il m’a sûrement transmis. Un éclat douloureux dans le regard, j’observe mon cocktail fruité et le porte à mes lèvres pour faire diversion et me ressaisir. Je le repose sur le bar et demande, poussé par un élan de curiosité et par l’envie d’échapper à mes sombres pensées – Je suppose que passer de serveuse à pompier va sacrément te changer la vie. Ton copain, il fait quoi lui ?
La brunette se plaisait à parler des récents voyages qu’elle avait eu la chance de faire grâce à Stephen, tout simplement parce que c’était tout nouveau pour elle. Après des années à envier toutes ces personnes qui visitaient le monde alors qu’elle-même restait coincée à Brisbane, ça avait été son tour de se lancer dans de magnifiques périples. Bien entendu, ça avait toujours été dans le cadre du projet humanitaire que menait le kiné, mais Leah n’y voyait qu’un aspect positif supplémentaire. En Tasmanie, elle avait eu l’opportunité d’évoluer un peu au milieu de tous ces enfants, mais au Cambodge ça avait été différent. C’est Stephen qui s’était éloigné dans la pampa pendant quelques jours, la laissant seule dans un hôtel duquel elle n’avait pas été autorisée de sortir sans être accompagnée ; la faute à un climat politique incertain. « Ca a l’air vraiment génial. Un mois complet… Tu as du en voir du pays… » Harvey avait le regard rêveur, ce qui étonna la brunette. Les traits du Hartwell s’étaient adoucis par rapport aux premières minutes de leur rencontre, et ça faisait plaisir à la jeune femme de le voir ainsi ; il ressemblait davantage au jeune garçon qu’elle avait eu l’habitude de croiser dans le voisinage.« On s’est principalement concentré sur la capitale, mais j’avoue que j’ai pu voir beaucoup de belles choses. Le Cambodge c’est pas vraiment la première destination vers laquelle je me serais tournée en temps normal, mais je regrette pas du tout ! » Répondit Leah avec un enthousiasme probablement exacerbé par le fait que ce voyage avait resserré ses liens avec le kiné, la rendant plus amoureuse que jamais de lui. Un mois entier hors de la réalité, dans une bulle qui n’appartenait qu’à eux…Ca avait été comme évoluer dans un rêve éveillé. Il ne fallu pas plus de quelques minutes pour que la brunette ne lâche l’info sur le fait qu’elle désirait intégrer la caserne des pompiers de Brisbane, provoquant la surprise chez Harvey qui haussa un sourcil dans sa direction. La jeune femme ne s’en formalisa pas, habituée à ce qu’on ait ce genre de réaction quand elle avouait son projet ; un si petit gabarit chez les pompiers, hein ? « Et bah, je comprends mieux l’entrainement intensif alors et pourquoi je te croise ici ! C’est pas rien les pompiers et c’est un sacré engagement ! » La brune hocha la tête avec un sourire en coin, car il soulignait précisément ce pourquoi elle avait décidé de se reconvertir pour devenir un soldat du feu. La jeune femme avait l’impression d’avoir gâché de précieuses années à évoluer dans le milieu de la nuit, entre soirées et shifts au bar. Elle voulait faire mieux, faire quelque chose de significatif qui la rendrait fière et qui lui donnerait une vraie raison de se lever le matin. C’était un vrai engagement, effectivement, et cette décision allait tout changer. C’est d’ailleurs pourquoi elle appréhendait tant d’annoncer ce choix de carrière à Stephen, en dépit du fait qu’il était le premier concerné par tout ça puisqu’il serait impacté autant qu’elle par sa nouvelle routine. « C’est vrai, j’aimerais être au maximum de mes capacités pour les tests physiques. » Commença-t-elle en faisant un geste en direction de la salle où s’entraînaient toujours d’autres personnes. « Je veux simplement me rendre utile, aider les autres… Apporter ma pierre à l’édifice. » Expliqua-t-elle en haussant les épaules, minimisant quelque peu les faits en voyant le regard admiratif qu’il lui lançait, ça la gênait un peu. « Sans doute que je croiserai parfois ton frère. » Ajouta-t-elle en fronçant le nez, sachant que les pompiers et les policiers se retrouvaient souvent en même temps sur certains lieux sinistrés. Revenant sur l’Irlande, Leah lui demanda davantage d’informations sur ce pays où il avait passé tant d’années, mais Harvey décida de ne pas se montrer très loquace sur le sujet, ce qui poussa la brune à ne pas pousser davantage. Finalement, il ne leur aura pas fallu trop de temps pour aborder ce sport qu’ils pratiquaient tous les deux et qui s’était révélé d’une aide précieuse pour la Leah blessée et en colère d’il y a un an., ce qu’elle n’hésita pas à lui dire tout en conservant un petit sourire. L’atmosphère s’était quelque peu détendue entre eux, le brun semblait moins sur ses gardes et la jeune femme se sentait plus à l’aise dans ces retrouvailles absolument impromptues. « Tant mieux alors, il parait que c’est fait pour. » Leah pencha la tête sur le côté, se demandant ce qu’il avait bien pu traverser ces dernières années. Lui et Lonnie avaient vécu la même enfance tragique, pourtant le policier était bien plus solaire que son frère. Harvey avait l’air d’avoir sombré, comme s’il n’avait jamais réussi à sortir la tête hors de l’eau. « Tu verras. » Elle lui adressa un clin d’œil encourageant avant de siroter sa boisson en regardant les autres taper sur les sacs comme si leur vie en dépendait. En temps normal, la brunette lui aurait proposé un petit combat pour se défouler. Mais le fait d’être ici en étant enceinte ne lui semblait pas vraiment très indiqué, bien qu’elle ne se soit pas encore renseignée sur la question, et l’idée de se lancer dans un combat gratuit ne pourrait rien lui apporter de bon, c’était certain. A la place, elle se lança dans une explication détaillée de son précédent job au MacTavish, ce qui provoqua un nouvel enthousiasme chez l’aîné des Hartwell qui lui avoua à son tour côtoyer énormément ce bar. Cette révélation fit à nouveau sourire la brunette qui lui apprit que c’est à ce même bar qu’elle avait retrouvé Lonnie après plus d’une décennie sans se voir, ce qui amusa beaucoup Harvey. « Pas étonnant tiens, les Hartwell n’aiment que la bonne bière. » Hum. Leah remarqua que ces quelques mots l’avaient replongés dans le passé, et elle s’abstint de rebondir dessus. Elle avait assisté à leur souffrance, et même si elle était extrêmement jeune à l’époque – bien trop que pour comprendre toute la situation dans sa globalité – elle avait été marquée par ce qu’ils traversaient. « Tu le vois souvent Lonnie ? » La jeune femme était redevenue sérieuse, poussée par l’envie de savoir si ces deux frères étaient encore présents l’un pour l’autre. Le fait qu’Harvey ait passé autant de temps à l’étranger n’avait pas du les aider à conserver une relation suivie, mais ils étaient la seule famille qui leur restait. « Je suppose que passer de serveuse à pompier va sacrément te changer la vie. Ton copain, il fait quoi lui ? » Sans blague. Leah éclata de rire face à cette remarque, avant de reprendre une contenance pour lui répondre. « Effectivement, mais je risque pas de le regretter tu sais. Les clients désagréables et bourrés à longueur de temps, j’ai assez donné. » Lui répondit-elle en secouant la tête, repensant à tout ce qu’elle avait vécu sur autant de temps à servir à ce bar, jour après jour ; nuit après nuit. « Il est kiné. Il a son propre cabinet et ça marche pas mal pour lui. » Lâcha-t-elle, sans dissimuler la fierté dans sa voix. « Si tu veux tout savoir, je ne lui ai pas encore dit, parce que je sais qu’il va mal le prendre. Je préfère attendre d’être certaine d’être prise, histoire de me disputer avec lui pour une bonne raison. » Lui apprit-elle en levant les yeux au ciel, consciente que ça n’était pas forcément la meilleure manière d’agir. « Et toi, tu as quelqu’un dans ta vie ? » Demanda la brunette, retrouvant son sourire en coin tout en lui posant cette question.
→ Evoquer les voyages me rappelle forcément Gold Coast et mes rêveries. Combien de fois avais-je eu envie de partir à la conquête de l’inconnu en me lançant sur l’immensité bleutée ? Des milliers de fois… En Irlande, lorsque je me rendais à Howth c’était exactement la même chose. Combien de matins ai-je passé à admirer les levers du soleil en m’imaginant ailleurs, n’importe où sur la planète, à vivre une vie différente, à être quelqu’un de différent ? Je n’ai jamais sauté le pas, jamais pris la mer malgré l’envie qui me tord le ventre à chaque fois. Je suis resté les pieds sur terre, enfermé dans ma zone d’inconfort, incapable de m’en extirper de moi-même. Aussi, j’écoute Bau d’un air rêveur alors qu’elle s’enthousiasme sur son voyage au Cambodge et je souris simplement. Je souris car je vois une petite lueur briller au fond de ses prunelles et j’en conclus que ce voyage a aussi été déterminant pour elle. Quelque chose s’est passé là-bas, pour son couple, et son bonheur me laisse admiratif. Je ne réponds pas cependant, préférant rebondir sur le fait qu’elle ait décidé de s’engager auprès des pompiers. Je trouve ce projet particulièrement honorable et le souligne avec enthousiasme. – C’est vrai, j’aimerais être au maximum de mes capacités pour les tests physiques. Je veux simplement me rendre utile, aider les autres… Apporter ma pierre à l’édifice. J’aurai envie de lui répondre qu’il existe mille et une façons différentes d’apporter sa pierre à l’édifice, mais si c’est la voie qu’elle a choisi et qui lui convient alors elle n’a besoin que d’encouragements. – Je comprends ça et c’est tout à ton honneur. Entrainement intensif du coup, les tests sont pour quand ? Je sirote mon cocktail vitaminé lorsqu’elle ajoute innocemment – Sans doute que je croiserai parfois ton frère. Et je fronce automatiquement les sourcils, sans comprendre le lien entre la police et les pompiers. Un peu trop brusquement peut-être, je demande un – Pourquoi ? Me rendant compte la seconde qui suit de mon ton brutal, je me reprends – Excuse-moi, c’est juste que Lonnie il ne bosse pas avec les pompiers si ? Et dans ma tête, je me demande ce que fous Lonnie chez les flics. De la paperasse non ? Je ne le vois carrément pas sur le terrain et cette idée me perturbe d’ailleurs. Je n’aime pas ça, ça m’inquiète mais qu’est-ce que je peux y faire ? J’ai perdu le droit de m’inquiéter pour lui depuis longtemps. Et puis, il a choisi sa voix ! Ce ne serait clairement pas celle que j’aurai envisagé mais… Lonnie et moi sommes si différents finalement. Si différents… - Tu le vois souvent Lonnie ? Je me mordille l’intérieur des joues, prenant un temps pour bien réfléchir à ma réponse, ayant l’impression de marcher sur des œufs. – Pas vraiment, non. J’opte pour la vérité sans la rendre trop brutale pour autant. – On s’est assez éloignés, ce n’est pas facile de se retrouver maintenant. Je l’ai abandonné. Je le laisse gérer la prison et notre mère car j’en suis incapable. Au final, c’est lui qui joue le rôle de l’ainé, et moi celui du cadet insouciant. C’est lui qui endosse le rôle du responsable tandis que je joue les inconscients et que je foire tout. Je chasse toutes ses sombres pensées et décide de rediriger la conversation vers Leah et son changement de carrière, un sujet qui me semble bien plus intéressant sur le coup. – Effectivement, mais je ne risque pas de le regretter tu sais. Les clients désagréables et bourrés à longueur de temps, j’ai assez donné. Ça je peux le comprendre aisément, d’autant plus quand je vois comment peuvent se comporter certains clients au Confidential Club avec les serveurs. L’irrespect est quasi-constant, sans parler du mépris et du manque de considération. Apparemment l’expression ‘le client est roi’ ouvre la porte à tous les vices. Et c’est bien dommage. – Je vois très bien ce dont tu parles, ça doit être plus que lourd à la longue. – Il est kiné. Il a son propre cabinet et ça marche pas mal pour lui. Kinésithérapeute ! En voilà un métier particulièrement riche aussi ! – Oh... Il doit savoir faire de bons massages ! Je souris, amusé avant de froncer les sourcils en l’entendant dire – Si tu veux tout savoir, je ne lui ai pas encore dit, parce que je sais qu’il va mal le prendre. Je préfère attendre d’être certaine d’être prise, histoire de me disputer avec lui pour une bonne raison. S’il y a bien quelqu’un qui ne peut pas donner de conseils sur la façon de se comporter au sein d’un couple, c’est moi. – Tu es sûre que c’est mieux ainsi ? ça me semble un peu risqué… Pourquoi est-ce qu’il va mal le prendre ? Je suis curieux de savoir comment elle peut affirmer ça, et surtout pourquoi elle agit de la sorte. Je ne comprends absolument rien au fonctionnement d’un couple en général, alors si elle peut m’éclairer un peu… - Et toi, tu as quelqu’un dans ta vie ? J’évite de justesse le pouffement de rire qui me ferait vider le contenu de ma bouche sur le bar et j’avale rapidement, avant de rouler des yeux. – Oh non, non personne. J’crois pas que j’suis fait pour ça. Faire confiance, s’attacher, ne pas décevoir… C’est trop de pression.
Harvey avait l'air captivé par les souvenirs que Leah prononçait à haute voix, ce que la brunette ne put s'empêcher de trouver étonnant. Après tout, il avait passé plusieurs années en Irlande, un pays extrêmement éloigné de leur Brisbane natale. Sur tout ce temps, il avait sans doute du visiter les pays voisins, ou du moins voyager à travers ce pays magnifique que devait être l'Irlande. Le sourire que lui adressait le brun était contagieux et la jeune femme continua à discuter du Cambodge afin de lui faire partager une infime partie de ce qu'elle avait pu voir là-bas. Après quelques minutes, le sujet des voyages s'éteint par lui-même, laissant un Harvey rêveur et une Leah nostalgique. La jeune femme prévoyait de repartir dès que possible tant ces périples renforçaient son envie de parcourir le monde, sa curiosité étant insatiable. La surprise apparu sur le visage d'Harvey lorsqu'elle lui apprit qu'elle prévoyait d'intégrer la caserne des pompiers, et cela la fit sourire de constater qu'il était lui aussi étonné de la voir suivre cette voie si improbable. Passer de barmaid à pompier, c'était peu commun, elle devait l'avouer. Mais son air encourageant lui fit plaisir, et elle lui expliqua la raison de sa présence dans la salle aujourd'hui; s'entraîner pour les tests physiques. « Je comprends ça et c’est tout à ton honneur. Entrainement intensif du coup, les tests sont pour quand ? » La jeune femme l’imita en attrapant la paille de son verre entre les dents afin d’en boire une gorgée, avant de reprendre sur un ton un peu plus sérieux. « Dans deux semaines. C’est assez proche mais je suis pas en si mauvaise condition physique. » Lança la brunette en faisant mine de se vanter, avant d’éclater de rire. Pas en si mauvaise condition était un euphémisme, Leah était une sportive accomplie depuis toujours et ne pouvait pas passer deux jours sans aller se dépenser en salle de sport. Sa plaisanterie cachait un peu de stress car la jeune femme avait une peur panique de se planter. La confiance en soi n’avait jamais été son fort, et l’idée de ne pas être à la hauteur la tiraillait énormément. Continuant sur l’humour, elle énonça la possibilité de tomber sur Lonnie, mais cette remarque eut un effet pour le moins étonnant chez Harvey qui la coupa pratiquement avec un « Pourquoi ? » assez brusque qui suscita l’étonnement chez Leah. Haussant un sourcil interloqué, elle se raidit légèrement. « Excuse-moi, c’est juste que Lonnie il ne bosse pas avec les pompiers si ? » La brunette se laissa aller contre le dossier de sa chaise, passant une main dans ses cheveux avant de croiser les bras. "...Non. Je disais juste ça parce que tu sais, ça arrive parfois que les flics et les pompiers se croisent sur certains sinistres c'est tout." Leah ne comprenait pas forcément pourquoi Harvey avait réagit de façon aussi abrupte et surtout, comment était-il possible qu'il lui demande si son frère bossait avec les pompiers? N'était-il pas sensé être au courant des activités professionnelles de son frère? Ces interrogations se cristallisèrent dans la question que Leah lui posa ensuite, à savoir s'ils se voyaient souvent ou non. Même si cette question s'annonçait rhétorique. Le brun semblait réfléchir à sa réponse et Leah décida de se détendre un peu. Les Hartwell avaient l'air d'avoir une relation compliquée et Harvey avait toujours été plus taiseux que Lonnie. Et ils avaient beau se connaître depuis l'enfance, la jeune femme et le brun n'avaient pas vécu une relation aussi forte que celle qu'elle avait partagé avec le policier. Et un trou béant de plus de quinze ans les séparaient. "Pas vraiment, non. On s’est assez éloignés, ce n’est pas facile de se retrouver maintenant." La brunette fit la moue en apprenant cela. A ses yeux, la famille était ce qu'il y avait de plus important. Ses frères avaient quitté Brisbane pour poursuivre leur vie, mais elle restait malgré tout très proches d'eux. Seul Logan était resté à Brisbane, et il est vrai que ses rapports avec lui s'était légèrement détérioré depuis qu'il avait appris sa relation avec Stephen. "Il faut pas que tu laisses tomber. Je suis sure que tu dois lui manquer." S'avança-t-elle, se rappelant à quel point Lonnie admirait son grand frère à l'époque. Elle ignorait ce qu'il s'était passé entre eux, tout simplement parce qu'elle n'avait plus parlé au policier non plus depuis toutes ces années, mais elle restait persuadée que les choses finiraient par s'arranger. Ils étaient la seule famille qu'ils leur restait. A nouveau, le sujet revint sur son futur métier et sur d'éventuels regrets concernant son boulot de barmaid au MacTavish. Regrets qu'elle ne ressentait absolument pas tant la décision de partie avait été mûrement réfléchie. Et puis la clientèle aux mains baladeuses ne lui manquerait certainement pas non plus, comme elle ne manqua pas de le faire remarquer à haute voix à Harvey qui semblait tout à fait comprendre ce qu'elle voulait dire. "Je vois très bien ce dont tu parles, ça doit être plus que lourd à la longue" iLa brunette hocha la tête en levant les yeux au ciel avant de pencher la tête sur le côté. "Toi aussi tu dois voir pas mal de spécimens là où tu bosses?" Lui demanda-t-elle en fronçant le nez, imaginant sans peine la clientèle du Confidentiel Club. Il la questionna ensuite sur Stephen et elle lui apprit qu'il était kinésithérapeute, un métier qui fit sourire le brun alors qu'il lui lançait un "Oh... Il doit savoir faire de bons massages !" lui lança-t-il sur un ton amusé, ce à quoi Leah répondit par un petit rire. Après tout, elle se rappelait davantage de sa rééducation désastreuse à coup de balles en mousse plutôt que des massages auxquels il faisait référence... Il allait falloir qu'elle at une discussion avec lui maintenant qu'elle y pensait. "Sans doute, j'ai jamais eu droit à ce traitement de faveur!" Lança-t-elle en riant. "Mais maintenant que tu soulèves le sujet, je vais lui en demander tiens!" Ajouta-t-elle en secouant la tête, amusée. Reprenant un air plus sérieux, elle lui expliqua ensuite qu'elle n'avait pas encore parlé de ses projets au kiné. "Tu es sûre que c’est mieux ainsi ? ça me semble un peu risqué… Pourquoi est-ce qu’il va mal le prendre ?" Harvey avait l'air intrigué, et elle le comprenait. Mais il fallait connaître Stephen pour comprendre ses appréhensions à aborder ce sujet avec lui, même si elle savait dans le fond qu'elle n'agissait pas de la bonne façon. "Tu sais, il était si content quand j'ai arrêté de bosser au bar... Et là je prévois de reprendre des horaires de folie, mais en risquant ma vie en plus de ça. Je pense pas que ça risque de lui plaire..." Elle haussa les épaules, fataliste quand à l'issue de leur conversation lorsque le sujet des pompiers arriverait sur le tapis. Elle l'interrogea à son tour sur sa vie amoureuse, avide d'en apprendre plus à son tour sur lui. Sa question semble faire rire le brun, et Leah laisse un nouveau sourire étirer ses lèvres en attendant de savoir ce qui lui paraissait si drôle à l'idée d'avoir quelqu'un dans sa vie. "Oh non, non personne. J’crois pas que j’suis fait pour ça. Faire confiance, s’attacher, ne pas décevoir… C’est trop de pression. " Dommage. La brunette fit la moue, tout en se disant que c'était dommage de gâcher un si beau potentiel. "Tu dis ça maintenant... Et puis tu tomberas sur la personne qui changera tout." Répliqua-t-elle dans un clin d'oeil, une lueur amusée dans le regard.
→ Lorsque Leah a évoqué son changement de carrière professionnelle, ce virage à 90 degrés assez impressionnant, je n’ai pas pu réprimer une moue surprise, admirative et curieuse à la fois. Loin de moi l’idée de douter de ses capacités physiques, mais j’ai déjà regardé plusieurs documentaires sur les pompiers et leurs formations, les risques du métier, leurs engagements profond et humaniste et leurs performances physiques – sans compter que j’ai connu un pompier intimement et que la conversation sur l’oreiller a dérivé sur sa formation intense. Je parle donc en connaissance de cause, conscient que les tests ne sont pas accessibles à tous – et j’ignore tous des capacités physiques de Bau qui plus est, même si malgré son petit gabarit, à y regarder de plus près et avec attention, elle semble très musclée. Poliment, je lui demande donc quand débute la sélection. – Dans deux semaines. C’est assez proche mais je ne suis pas en si mauvaise condition physique. Je manque de m’étrangler avec mon cocktail fruité en me rendant compte qu’une fois de plus, j’ai été assez maladroit. Je m’essuie grossièrement du revers de la manche les gouttes qui perlent sur mon menton et me confond en explications désordonnées – Oh ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu as l’air en parfaite forme physique pour ça, t’es… hyper musclée et je ne t’ai pas vu sur un ring mais j’suis sûr que tu déchires tout. A vrai dire, je suis plutôt impressionné même car je sais que la sélection est vraiment difficile alors, tu me vois tout admiratif surtout. J’trouve ça génial que tu te lances dans ce nouveau projet de vie, vraiment. Et je ne doute pas une seconde de tes capacités non. Respire, Harvey, respire. Et tais-toi, aussi. Je parle comme si je devais me justifier d’une énormité, mais je ne veux absolument pas vexer l’amie de Lonnie – pour qu’elle aille répéter au petit-frère que son aîné est un débile con et maladroit, non merci. Et d’ailleurs, en parlant du loup, Leah évoque le cadet ce qui me fait réagir immédiatement – peut-être pas de la meilleure des façons. C’est un peu trop brusque, un peu trop sur la défensive pour que ma réaction ne soit pas suspicieuse. Leah le remarque, évidemment. – Non… Je disais juste ça parce que tu sais, ça arrive parfois que les flics et les pompiers se croisent sur certains sinistres c’est tout. Je me rends surtout compte que je sais absolument rien de la vie de mon frère – tout comme il ne sait rien de la mienne – et c’est un constat plutôt affligeant. Notre histoire familiale nous aura détruits et séparés avec une violence inouïe. Comment rattraper tout ça maintenant ? J’en ai envie mais j’ignore réellement comment m’y prendre. Il me semble surtout que Lonnie n’a pas besoin d’un ennui comme moi dans sa vie. J’avoue alors à Leah que nous ne nous voyons plus vraiment, sans réellement rentrer dans des explications plus poussées. Je ne suis pas du genre à me confier facilement et alors lorsqu’il s’agit de Lonnie, je suis carrément fermé à double-tour. Les sentiments que j’éprouve pour mon frère sont ambivalents, explosifs et difficiles à comprendre, encore moins à expliquer. Et vu que je ne sais pas m’exprimer, autant ne rien dire. – Il ne faut pas que tu laisses tomber. Je suis sûre que tu dois lui manquer. Je souris, devant cette vaine tentative pour positiver la situation. Je crois que notre situation est des plus merdiques et j’ignore si cela changera un jour. J’ai une vision assez défaitiste de la chose, en dépit des espoirs que je nourris malgré tout. – Je n’en suis pas aussi sûr mais bon. J’suis là et j’compte bien le voir plus souvent, oui. Evidemment, depuis que je suis rentré, il aura fallu une soirée un peu trop alcoolisé pour que nous nous rencontrions en cellule de dégrisement, moi derrière les barreaux et lui, du bon côté de la loi. Pitoyable, je sais. Je ne sais pas ce qui est le pire : le fait que je me mente à moi-même ou que j’espère encore que la situation puisse évoluer d’elle-même. Quoiqu’il en soit, c’est pitoyable. La conversation s’éloigne de ses sujets bien trop personnels et sensibles, et c’est soulagé que je lui réponds – Oui, disons que le club n’est pas fréquenté que par des lumières. Même s’il est assez étonnant de trouver parfois des personnalités connues, venues s’éclater et s’adonner aux plaisirs non-vertueux des lieux. Mais Leah n’a pas besoin de connaître les détails, alors je laisse la conversation dévier vers son petit-ami qui est kinésithérapeute. C’est un métier qui me semble très intéressant. De toute façon, s’il fait en plus de ça de l’humanitaire, le type doit être sérieusement engagé et impliqué dans l’aide aux autres. Et c’est un choix de carrière que j’admire carrément, encore une fois. Leah et lui ce sont bien trouvé finalement, ils choisissent tous les deux des voies tournées vers les autres, c’est un mariage parfait. Après une petite plaisanterie sur les massages que peut sûrement lui faire son ami, c’est sérieusement que Leah me confie ne rien lui avoir dit concernant son engagement auprès des pompiers. Je me permets alors de douter de ce choix-là, le trouvant préjudiciable à la bonne entente nécessaire au sein d’un couple. Mais bon, je n’y connais pas grand-chose à tout ça finalement alors mes conseils ne sont pas à prendre au sérieux. – Tu sais, il était si content quand j’ai arrêté de bosser au bar… Et là je prévois de reprendre des horaires de folie mais en risquant ma vie en plus de ça. Je pense pas que ça risque de lui plaire… Je lève les yeux au ciel, toutes ces préoccupations me sont totalement étrangères. Je ne vois pas ce qu’il aurait à dire concernant son choix de carrière et en même temps, s’ils sont dans une dynamique de fonder une famille, les ambitions de Leah ne correspondent pas trop à cela. Enfin, je suis peut-être vieux jeu… Lorsque la jolie Leah me demande si j’ai quelqu’un dans ma vie, je ris et réponds honnêtement. Les relations durables ne sont pas faites pour moi, je gâche toujours tout. – Tu dis ça maintenant… Et puis tu tomberas sur la personne qui changera tout… Je souris, amusé et hausse les épaules. – Seul l’avenir nous le dira. Mais je n’y crois pas. Nos verres étant terminés, je me redresse un peu et jette un coup d’œil circulaire dans la salle. Vu mon état, la douche s’impose et je ne suis plus d’humeur à frapper dans quoi que ce soit. Je vais donc rentrer tranquillement chez moi, peut-être passer au garage pour récupérer une pièce pour ma bécane et bricoler un peu. – J’vais te laisser retourner à ton entraînement intensif et rentrer chez moi, j’en ai fini pour aujourd’hui. Si tu fréquentes cette salle, on se reverra sûrement. Toutefois, je ne suis pas sûr de revenir. L’ambiance ne me plait pas vraiment et ce n’est pas ce que je recherche. Je ne me fais pas suffisamment mal ici. – En tout cas, ça m’a fait drôlement plaisir de te revoir Leah. Et je le pense sincèrement. La jeune femme est un océan de douceur et de bonne humeur, ça fait vraiment du bien de croiser des personnes comme elle.