Il était 20 heures lorsque James quitta son appartement pour aller en ville. Il voulait manger dehors ce soir. Il aurait pu contacter quelqu'un pour ne pas être seul mais il voulait être seul, il avait besoin de se changer les idées. Il monta dans sa voiture, mit le contact et partit vers le nord de la ville, direction Fortitude Valley. A un feu rouge, il se remémora les événements de la journée. Son agent l'avait contacté aujourd'hui, pour lui proposer un shooting avec une partenaire. Une jeune femme d'une vingtaine d'années, française apparemment. Elle était jeune, elle devait avoir du talent pour déjà en être là. Le jeune homme avait fini par accepter après les multiples demandes de son agent. Il n'avait fait encore aucun boulot depuis qu'il était arrivé à Brisbane, il était peut-être temps de s'occuper un peu. Pour dire vrai, il avait tout arrêté pour se consacrer à l'écriture de son premier livre. Mais étant donné le mal qu'il avait à s'y mettre, autant reprendre le mannequinat. Bref, le français avait par la suite appelé ses parents. Il ne leur avait pas vraiment parlé depuis son arrivée puisqu'ils s'étaient quittés en mauvais terme. C'était l'occasion de reprendre contact et d'annoncer la nouvelle. Si sa mère a été heureuse de lui parler et d'apprendre qu'il avait accepter un job, ce ne fut pas le cas de son père. Ils ne s'engueulèrent pas, mais au final James raccrocha en étant profondément blessé par l'attitude de son père. Pour lui, être mannequin n'était pas un vrai métier et, s'il l'avait accepté jusque là, il considérait désormais qu'il était temps pour James de trouver un réel métier et de faire quelque chose de sa vie.
Un coup de klaxon fit sursauter James. Il remarqua que le feu était vert et que de nombreuses voitures derrière lui attendaient qu'il n'avance. Il s'excusa d'un signe dans son rétroviseur et avança. Quelques minutes plus tard, il s'était garé et marchait en direction du restaurant. Il allait au Burrow ce soir. Il y avait déjà mangé à plusieurs reprises, c'était toujours très bon. Et l'ambiance était sympa, familiale. Comme ce n'était pas un restaurant chic, on pouvait venir en tenue décontractée. Le jeune homme étant seul, il s'était mis à l'aise et portait un jeans, un t-shirt blanc et un blouson en cuir. Ses longs cheveux étaient en bataille et il ne portait pas ses lunettes. Enfin, il arriva devant le bâtiment et y entra. Il y avait un peu de monde mais c'était loin d'être complet, normal quand on est en semaine. Rapidement, une jeune femme vint à sa rencontre. Elle semblait plutôt jeune et il la gratifia d'un simple sourire. Il l'informa qu'il n'avait pas réservé et qu'il était seul. Elle le pria de la suivre et l'installa dans un coin tranquille, à une table pour deux sur laquelle elle retira la vaisselle consacrée à une seconde personne. Il retira sa veste et s'installa aussi confortablement que possible sur une chaise.
Lorsque la serveuse revint le voir, le français lui commanda directement un plat, il n'avait pas envie d'une entrée. Il prit un bon morceau de viande, accompagné de frites et de légumes. Un bon petit repas en perspective. Il savait cependant qu'il allait devoir attendre un peu avant de le savourer. En effet, le Burrow n'était pas forcément connu pour sa rapidité, ce qui n'était pas grave puisqu'il n'était pas pressé. En plus, il avait remarqué que de nombreux clients attendaient d'être servis. Il se leva, mis sa veste et sortit. Une fois devant le restaurant, il prit son paquet de cigarettes qui se trouvait dans la poche intérieure droite de son blouson. Il en sortit une clope, la mit entre ses lèvres et l'alluma. Enfin, il essaya. Après plusieurs tentatives, il s'avérait que son briquet était mort. Ah, fais chier ! Jura-t-il d'une voix peu audible. La porte du restaurant s'ouvrit et une femme, blonde, la trentaine, en sortie. D'après sa tenue elle devait y bosser, sûrement dans les cuisines. Bonsoir. James lui sourit, toujours avec cet air charmeur qu'il prenait lorsqu'il s'adressait à une jolie femme. Il la vit sortir une cigarette et l'allumer. Il sauta sur l'occasion. Excusez-moi, puis-je vous emprunter du feu ? Mon briquet m'a lâché. Demanda-t-il, sa clope dans une main et son briquet dans l'autre.
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Dernière édition par James Evans le Jeu 11 Juin 2015 - 22:38, édité 1 fois
Il fait terriblement chaud. Comme toujours dans la cuisine du Burrow. La ventilation est pas folle. Le patron préfère mettre le budget dans la rénovation de la salle plutôt que pour l'arrière du décor. Alors on laisse toujours la porte qui mène à la petite cour miteuse de l'établissement ouverte, pour créer un courant d'air. Ca ne dérange pas le grand manitou, les clients ne peuvent pas nous voir par là. N'empêche qu'il fait toujours aussi chaud. Entre les casseroles et les fours, on étouffe. Et la vapeur des marmites rend l'air humide. Il vous prend à la gorge où le choc avec la température corporelle le transforme en gouttes d'eau qui semblent couler goutte à goutte le long de l’œsophage jusque dans les cavités de nos poumons. Le sol est trempé, et si personne ne glisse, c'est uniquement grâce à nos énormes chaussures de sécurité. Le brouhaha ambiant de tintements de métaux est ponctué de quelques éclats de voix de part et d'autre de la cuisine. On s'active, on se transmet les ordres. C'est le lot de tous les restaurants, j'ai envie de vous dire. Nous sommes en plein coup de feu du soir. La cadence n'est pas trop soutenue, comme tous les soirs de semaine. L'équipe trouve rapidement un rythme de croisière. Si bien, au milieu du service, je me permets une pause clope. Le patron préfère toujours que nous allions fumer dans la cour, là où personne ne peut nous voir. Mais je n'en ai strictement rien à faire. Je détache rapidement mes cheveux, mais garde mon tablier, et passe devant ce bougon avec un large sourire. « Cw..Cwm… ALICE. Qu'est-ce que tu crois faire ? » J'hausse les épaules, parfaitement incrédule, et le regarde comme s'il était le dernier des hystériques. J'aime le prendre pour un idiot. C'est assez risqué pour ma place à vrai dire, les cuistots courent les rues, et des meilleurs que moi. Je ne sais même pas pourquoi ce type m'a embauchée, et encore moins pourquoi il me garde. C'est sûrement qu'il l'est vraiment, idiot. « Pause clope, boss. » Ses yeux sortent de ses orbites, ses oreilles rougissent. Un jour, il perdra patience avec moi. Bien assez tôt. Je continue de le regarder sans avoir l'air de comprendre où est le problème. « Hors de question, tu vas derrière. » Mec, j'ai pas le matos pour aller derrière, j'ai envie de lui répondre. Mais pas sûr qu'il comprenne la vanne. Je sors tranquillement mon paquet de cigarettes de ma poche arrière et en porte une au bout de mes lèvres avec un petit sourire mesquin. Puis ma main se pose sur la porte du restaurant, menaçante à souhait. « Empêche-moi. » Bien sûr qu'il ne fait rien. Il ne sait jamais me refuser quoi que ce soit. Il abandonne et s'en va. Satisfaite, je peux enfin sortir. La première chose que j'entends dehors est un joli juron lâché par le jeune homme qui se trouve déjà là. Tendu, ce garçon. « b'soir. » je marmonne tout bas, histoire d'avoir l'air plus polie que je ne le suis. Je sors mon briquet et grille doucement l'extrémité de ma cigarette, tirant une première grand bouffée de tabac qui vient envahir et se coller à mes pauvres poumons déjà mis à rude épreuve. Qu'ils se plaignent à leur syndicat. Le bonhomme à côté de moi me demande s'il peut m'emprunter mon feu. Je le toise, de haut en bas, rapidement. Mignon, brun ténébreux, pas mal de prestance, mais l'air adolescent, un peu écorché, style chihuahua en hiver. « Nope. C'pour votre bien. C'est mal de fumer. » Et puis, je m'appelle pas Prométhée. Le narguant avec plaisir, je prends une belle bouffée sous ses yeux. Personne ne refuse de prêter son briquet de nos jours. Sauf moi, et mon esprit de contradiction sur-développé. J'hausse les épaules, faisant mine de justifier cela par un ; « Une cigarette en moins, c'est trois minutes de vie plus, que disent les scientifiques. » Je devrais arrêter de me passionner pour toutes les études complètement débiles qui sont publiées sur le net ou dans les magazines. Magazine… Je plisse les yeux, recommence à observer le garçon avec attention, bras croisés, l'air intensément concentrée. C'est impoli de fixer les gens, il paraît. Mais ils disaient pas ça sur les cassettes qui ont fait mon éducation. « Je crois que je vous ai déjà vu quelque part. »
Alors que James avait salué la jeune femme avec entrain et le sourire au lèvre, elle lui répondit en marmonnant. A première vue, on ne pouvait pas dire qu'elle semblait super agréable. Il observa la jeune femme dans l'attente de sa réponse. Ses cheveux étaient lâchés, elle portait encore son tablier, elle semblait fatiguée et son visage était un peu rougie, sûrement par la chaleur étouffante des cuisines. « Nope. C'pour votre bien. C'est mal de fumer. » Il resta interdit en face de la jeune femme et son sourire s'éclipsa lentement. Quoi ? Avait-il bien entendu ?
Pardon ? Il n'avait pu s'empêcher d'exclamer sa surprise à haute voix. Il n'avait déjà pas l'habitude qu'une femme lui refuse quelque chose, encore moins le simple fait de lui prêter un briquet. Elle devait plaisanter, ça ne pouvait être que ça. Ce devait être sa façon d'entamer une discussion. Ou alors elle était de mauvais poil. Ce qui était aussi possible, si elle bossait dans les cuisines ça ne devait pas être tout le temps facile. La pression des clients, suivre le chrono, peut-être un boss avec qui elle ne s'entendait pas... Dans ce cas-là, une pause clope était supposée lui permettre de souffler un peu et James pouvait alors la déranger. Cependant, et après avoir pris une grosse bouffée, elle continua en parlant des méfaits de la cigarette et d'une étude scientifique. Le tout, en fumant face à lui.
Elle se fout de ma gueule. Le jeune homme fit la moue, visiblement agacé par l'attitude de la blonde, qu'il ne comprenait absolument pas. Il faut dire qu'il n'était déjà pas de super humeur après ce qu'il c'était passé plus tôt avec son père au téléphone. Toutefois, ce n'était pas dans sa nature d'agresser les gens gratuitement ou de démarrer au quart de tour, même si cela pouvait lui arriver. Vous blaguez ? C'est ça ? Il se passa la main dans les cheveux, il cherchait ses mots. Enfin, il cherchait surtout comment réagir dans cette situation. Etait-elle de mauvais poil ? Ou tout simplement pas civilisée ? Je vous ai simplement demandé du feu pour allumer ma cigarette, pas un flingue pour mettre fin à mes jours. Il souffla. Voilà maintenant qu'elle le fixait. Dans une autre situation il aurait sûrement apprécié, mais là... Elle lui avoua qu'elle avait l'impression de l'avoir déjà vu. Super, et il devait se montrer aimable dans sa réponse ?
D'un côté elle n'avait rien fait de mal, elle avait refusé de prêter son briquet et elle en avait le droit. D'un autre côté, ça foutait James en rogne car ça ne se faisait pas, et en plus elle semblait le narguer dans tout qu'elle faisait et disait. Possible. Il la fixa. Il n'aimait pas agir comme cela, ce n'était pas lui. Il préférait sourire, s'amuser, passer du bon temps avec les gens. Il était presque tout le temps de bonne humeur. Il ne voulait pas qu'elle gagne. Il essaya de se reprendre. Je suis mannequin. Ce doit être pour ça. Il lui fit un demi-sourire. Il désigna son tablier. Apparemment vous bossez ici... Je ne sais pas depuis combien de temps, mais je suis venu manger quelques fois et à chaque fois c'était très bon. James se voulait poli et essayait d'être amical. Peut-être qu'en voyant qu'il ne s'était pas énervé elle changerait de comportement ou se montrerait un peu plus civilisée. Et peut-être qu'elle lui prêterait son briquet. Il avait vraiment envie d'une clope, et encore plus maintenant.
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Dernière édition par James Evans le Ven 12 Juin 2015 - 10:43, édité 2 fois
J'adore le regard de merlan frit qu'il me lance. Son air surpris. Non, choqué. J'adore choquer. Alors son expression est délectable. Je prends l'air le plus crédule qui soit, la parfaite petite femme naïve qui ne voit pas le problème dans ce qu'elle fait, innocente comme un nourrisson. « Ah non, non. Je vous jure. J'ai lu ça quelque part. Dans un magasine. Ils disaient que chaque cigarette, c'est trois minutes de vie en moins. » dis-je en reprenant moi-même une bouffée de tabac. Toujours aussi faussement idiote, je prends l'air de réfléchir intensément à la question jusqu'à tomber sur la conclusion la plus basique qui soit ; « Donc, la logique veut que je vous permet de vivre trois minutes de plus. » Je lui adresse un large sourire. Et lui, toujours aussi interloqué, me réponds sèchement qu'il ne veut qu'une cigarette. C'est vrai que je pourrais lui donner, et le feu qui va avec. Je pourrais… Si je n'avais pas envie de le faire galoper. Le pauvre est coincé ici avec moi tant qu'il aura en tête de me soutirer une cigarette, et son obstination me fait jubiler. L'air particulièrement déçue par son attitude, je laisse tomber mes bras en soupirant, secouant négativement la tête. « Et dire que vous ne me remerciez même pas. » Vilain petit ingrat au joli minois. Je lui fait remarquer que je l'ai déjà vu quelque part. Je ne saurais pas dire où, et ça, ça me turlupine vraiment. Le jeune homme tente un sourire. L'air charmant. C'est son boulot d'avoir l'air tout gentil, tout beau, alors ça ne doit pas être bien difficile pour lui. Je lui souris en retour, ayant enfin l'air civilisée. Une gentille dame. « Mannequin ! Pfiou, carrément. C'est chouette ça. Au fond, ça ne m'étonne même pas. Vous avez une belle gueule. » dis-je en tirant sur ma cigarette. Je le toise à nouveau. Pas mon genre de garçon. Trop frêle, un chouïa trop jeune, et ses yeux de cocker ne sont pas ma tasse de thé. Ca manque de virilité tout ça. Au bras d'un type pareil, j'aurais l'impression d'être le bonhomme du couple. Il remarque que je bosse dans le restaurant, et dit que la cuisine est bonne. Je me mets à rire. Intelligent, le joli coeur. « Ah ! 'croyez que les flatteries ça marche à tous les coups pour avoir c'que vous voulez, hein ? » S'il avait été plus subtile, peut-être, oui. Mais pour le coup, il est grillé. Je continue de rire, sortant le paquet de cigarettes de la poche de mon tablier et le tendant ouvert devant son nez. « Allez, gagné. Prennez, avant que j'change d'avis. » Bien sûr qu'il se jette dessus, petit drogué à la nicotine en manque depuis dix minutes. Je range le paquet et sort ensuite mon briquet. Juste pour l'embêter, je le lance en l'air, un peu au hasard. « Réflexe ! » je m'exclame avec un rire, voyant s'il parvient à l'attraper avant qu'il ne tombe par terre. Au pire, je me ferais une joie de le regarder se pencher pour le récupérer sur l'asphalte. Gardant un sourire sur mes lèvres, je le regarde allumer sa cigarette. « Contente que ma cuisine vous plaise. Je suis chef ici. »
James n'en menait vraiment pas large ce soir. Il était complètement perdu, décontenancé par l'attitude de la jeune femme. Elle refusait de lui prêter son briquet, et se servait des dangers de la cigarette pour justifier son refus. Il n'y croyait pas. Soit elle s'amusait de lui, soit elle était particulièrement idiote. Ce n'était pas possible autrement. Il était dans un état tel qu'il lui demanda si elle blaguait. C'était une sorte d'aveu de faiblesse, mais d'un autre côté, c'était révélateur de son état d'esprit. Elle surenchérit, réaffirmant qu'une cigarette, c'était trois minutes de vie en moins. Et donc qu'elle était précisément en train de rallonger son espérance de vie de trois minutes. Incroyable. Il aurait aimé voir sa tête à cet instant précis, cela devait être plutôt drôle. Si Kaleb était là, il ne se gênerait pas pour se foutre de sa gueule. Entre fumer et discuter avec elle, je ne sais pas lequel des deux est le plus dangereux pour ma santé...
Le jeune homme s'abstint de toute réplique cinglante, pour se contenter de dire froidement qu'il ne demandait qu'un briquet, pas une arme à feu. C'était surréaliste. Mais peut-être était-ce son état d'énervement déjà bien présent depuis qu'il avait été au téléphone avec ses parents qui le rendait si impatient et peu enclin à rire. Dans une autre situation, peut-être n'aurait pas été si froid avec la demoiselle. Elle baissa les bras et soupira, remarquant qu'il ne la remerciait pas de cet acte de bienveillance. Je ne suis pas vraiment d'humeur. Lança-t-il, pour s'excuser et se justifier de son comportement. Elle semblait a priori de bonne humeur, et il se sentait mal de réagir si mal alors qu'elle n'était peut-être pas si mal intentionnée comme il avait pu le penser.
Il lui avoua qu'il était mannequin, pour répondre à cet air de déjà-vu qu'elle avait. Il sourit poliment et eut droit à un sourire en retour. « Mannequin ! Pfiou, carrément. C'est chouette ça. Au fond, ça ne m'étonne même pas. Vous avez une belle gueule. » Il ouvrit grand les yeux, abasourdi. Voilà maintenant qu'elle le complimentait. Cela n'avait ni queue ni tête. Euh, merci ? Il s'exprimait sans vraiment être sûr de lui, elle l'avait vraiment perturbé. Il se mit à rire, à la fois gêné et amusé. Il avait tellement confiance en lui d'habitude, il ne comprenait pas son comportement actuel. Vous n'êtes pas mal non plus. Et voilà, le naturel revenait au galop plus vite que prévu. Il était sincère, c'était une belle femme. Enfin, il ne pouvait juger qu'au visage. Elle était en tenue de travail, et ce n'était logiquement pas très féminin. Il se permit de l'observer un peu plus, elle ne se gênait pas pour en faire de même. Ils devaient avoir le même âge. Peut-être était-elle un peu plus âgée, mais pas de beaucoup.
Finalement cela semblait aller un peu mieux, et le mannequin se permit de complimenter les repas, remarquant qu'elle devait travailler en cuisine. Elle rit. Cela le fit sourire. Il n'avait absolument plus envie de lui vouloir en quoi. Il fallait préciser qu'il était de nature lunatique, et il n'était pas rare qu'il passe d'un extrême à l'autre très rapidement. Mais ce n'était pas gagné, il pouvait encore repasser de l'autre côté. « Ah ! 'croyez que les flatteries ça marche à tous les coups pour avoir c'que vous voulez, hein ? » C'était à son tour de rire. Grillé. Il se passa la main dans les cheveux. Qui ne tente rien n'a rien, pas vrai ? Elle avait raison, il essayait toujours de brosser les gens dans le sens du poil pour obtenir ce qu'il voulait. Mais après tout, qui ne le faisait pas ? D'autant plus qu'il était sincère, c'était toujours très bien. Sinon il ne reviendrait pas.
Finalement, elle lui tendit son briquet. Il arqua un sourcil, surpris. « Allez, gagné. Prenez, avant que j'change d'avis. » Il ne se fit pas prier et prit le briquet en lui souriant. Merci ! Il s'empressa de mettre sa cigarette en bouche et de l'allumer. Enfin, il sentit la fumée pénétrer ses poumons. Il ferma les yeux et souffla sa première bouffée. Dieu que ça faisait du bien. Il les rouvrit et rendit le briquet à son interlocutrice. Je vais la savourer celle-là, elle n'était pas facile à avoir. Il souriait, véritablement amusé par la situation. Et dire qu'il y a quelques minutes, il pensait qu'elle était le Diable incarnée. Bon peut-être pas autant, mais il n'avait pas eu une bonne première impression. Au fait, je m'appelle Ja... Il n'avait pas fait attention mais elle venait de lancer son briquet en s'exclamant : réflexe ! Il fut surpris mais tenta de rattraper l'objet. Malheureusement, la soudaineté du geste fit qu'il n'y arriva pas. Il regarda la blonde qui était entrain de rire et de s'amuser. Cela lui soutira un sourire. Il se pencha pour ramasser l'objet puis le lui tendit. James. Je m'appelle James. Se présenta-t-il.
Le français tira un nouveau coup sur sa clope. Sa partenaire le remercia pour les compliments sur sa cuisine et lui apprit qu'elle était la chef. Chef hein ? C'est un honneur de vous rencontrer. Il ne s'exprimait pas ironiquement, il était seulement malicieux. Elle était donc chef. Il avait toujours apprécié ce métier, les chefs arrivaient à faire de la magie en cuisine. Lui n'était pas très doué derrière les fourneaux malheureusement. Vous bossez ici depuis longtemps ?
J'ai donc face à moi un mannequin qui a visiblement eu une sale journée. Parce qu'il ne m'a pas l'air d'avoir un mauvais tempérament par nature, vu le joli sourire auquel j'avais eu droit en sortant. C'est un joli coeur, la bouche en cul de poule pour toutes les nanas qui passent. Le genre de spécimen qui enfonce un peu plus la gente masculine dans mon estime (qui est déjà foutrement basse). Mais il est mignon, quand même. Ca doit être ses yeux de cocker qui me poussent à le titiller moins méchamment que d'habitude. Je n'aime pas être gentille et douce avec les hommes, à moins qu'ils ne me prouvent qu'ils n'ont mérité. De manière générale, j'ai un problème avec la race humaine. Je ne suis qu'une sauvage élevée par des kangourous après tout. Je suis plus proche du petit animal que de l'aimable demoiselle. J'essaye de me civiliser, mais ce n'est pas gagné. Je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Mais faut ce qu'il faut pour pouvoir rester auprès d'Elie. Je ne serais pas une marginale toute ma vie. J'ai trente-cinq piges après tout, il faudrait que je songe à construire quelque chose dans un autre matériau que le vent. Le joli minois me retourne mon compliment, mais je balaye sa pseudo-gentillesse d'un signe de main dans l'air alors que j'expire la fumée hors de mes poumons. « Je suis vieille, transpirante, pas coiffée, pas maquillée, et sans soutien-gorge sous mon tablier. Soyez pas ridicule. » dis-je avec tout le manque de classe qui me caractérise. Mais faut pas se voiler la face, chef est pas le job le plus glamour du monde, ça désespère ma pote Chloë. Quoi que, en dehors du travail, les choses ne changent pas vraiment. Je ne suis jamais apprêtée, je ne fais jamais plus que tartiner un peu de fond de teint sur ma tronche pâle, je peigne ma tignasse tous les deux jours, et j'ai horreur de porter des dessous -détail dont le jeune homme se serait sûrement passé. Je n'ai pas envie de suivre la mode, me faire passer pour la femme que je ne suis pas, que je ne serais jamais. Au fond, les fringues, le maquillage, la pression que toutes les nanas se mettent pour être belles, c'est uniquement pour les hommes. Elles veulent plaire. Et moi, j'en ai rien à foutre. Je sais déjà que je ne trouverai jamais d'homme pour moi. Je vais finir mariée à mon job, à la bouffe -sans prendre un gramme, parce que j'ai au moins cette chance-là pour moi. J'suis pas mauvaise dans mon travail, c'est au moins ça. Même le mannequin le souligne. Mais je suppose que c'est plus pour m'amadouer et avoir sa cigarette que pour vraiment complimenter la cuisine. Qui ne tente rien n'a rien, comme il dit. « Y paraît, ouais. Mais vous fatiguez pas, vous êtes pas mon genre. » dis-je en récupérant mon briquet. J'ai rien de désirable, mais je préfère casser ses espoirs de réussir à me charmer dans l'oeuf. J'aime pas les flatteries dans le vent. Le brun se présente, James qu'il s'appelle. Tu parles d'un prénom original. Je ne suis pas mieux lotie non plus. « Alice. Comme la petite blonde camée psychotique dans le bouquin. » Ca sonne français et mignon, et je ne suis aucun des deux. Loupé. En revanche, je suis blonde. Et rien que pour ça, il m'arrive de remercier l'univers pour ne jamais m'avoir envoyée à l'école. Je pense que j'aurais pété le nez de tous ceux qui m'auraient surnommé « Alice aux Pays des Merveilles ». Faut dire que c'est débile, les gamins. James me fait des courbettes qui me font sourire en coin, soit-disant honoré de me rencontrer. Le Burrow n'est pas un resto chic et je ne suis pas un chef étoilé -je ne suis même pas vraiment légitime à ce poste, n'ayant pas diplôme, seulement forte de l'expérience reçu sur les routes australiennes. Il y a largement plus qualifié que moi. « Un an, pt'être un peu moins. » je réponds à sa question en tirant sur ma cigarette. La fin est proche. « C'est un chouette boulot. J'ai toute la gente masculine à mes ordres toute la journée, ça fait du bien à mon complexe de supériorité. » j'ajoute en haussant les épaules. Une journée ponctuée de « oui, chef » beuglés par une troupe de machos, je ne pense pas qu'on puisse faire mieux pour une nana en colère contre les hommes. Cherchant un truc à ajouter, sans trop réfléchir, je lance, comme ça ; « Mannequin, ça doit garantir de la compagnie au lit. » Moi et mon tact. Néanmoins, je ne doute pas du succès de James auprès des demoiselles. Surtout les jeunettes qui s'éprennent si facilement d'un regard de chien battu et d'un air d'homme blessé par la vie comme le sien. Les femmes sont d'une naïveté. « C'quoi votre accent ? Italien ? » je demande, ayant remarqué qu'il y a clairement une prononciation différente chez lui. Une sorte de hachage de la langue d'une manière très latine. Mais je suis une quiche pour reconnaître les accents. Moi, je sais que j'ai gardé mes habitudes de sauvage du désert, je bouffe mes mots, de parle parfois trop vite, et ça n'a rien de gracieux, histoire d'embellir le tableau.
Je regarde la jeune femme qui me fait face : elle m'intrigue. Il y a un je ne sais quoi au fond de son regard, un petit quelque chose dans son attitude. Ses réponses sont pour la plupart cinglantes. Elle ne mâche pas ses mots, dit ce qu'elle a à dire, que ce soit sympa ou non, elle semble s'en ficher. Je reprends mon assurance face à elle depuis qu'elle a décidé d'arrêter son petit jeu avec moi et qu'elle m'a filé un briquet. La clope me fait du bien, je me détends. Mais je comprends rapidement que mon rôle de séducteur ne fera pas bien long feu avec elle, mon charme ne parait pas l'atteindre. Aime-t-elle les femmes ? Ou une déçue des hommes ? Je chasse rapidement ces pensées. Je ne peux pas le savoir rien qu'en la regardant, inutile de me jouer tous les scénarios inimaginables en tête. Je fais de mon mieux pour la mettre à l'aise, je suis poli, courtois, souriant. J'ai l'impression d'y arriver, elle me gratifie souvent de sourires. Elle n'est définitivement pas le monstre que j'imaginais au début. Mais c'est aussi certain qu'elle possède une personnalité complexe, un vécu pas comme les autres.
Elle me complimente et je fais de même. Je ne plaisante jamais quand il s'agit de complimenter une femme. Mentir, c'est les prendre pour des connes, leur faire du mal. Et je les aime trop pour ça. « Je suis vieille, transpirante, pas coiffée, pas maquillée, et sans soutien-gorge sous mon tablier. Soyez pas ridicule. » Je suis surpris par sa réponse, mais pas tant que ça. Je commence à cerner le personnage, elle ne pouvait pas accepter un compliment sans une réponse bien sentie. Vous avez d'autant plus de mérite. Ma réponse fuse, bien trop vite. Avec du recul, je n'aurais pas utilisé le terme " mérite ", pouvait-on parler de mérite ? C'était maladroit, mais c'était dit. Elle avait raison dans ce qu'elle disait, c'est vrai qu'elle n'apparaissait pas à son avantage, qu'elle n'était pas sous son meilleur jour. Et pourtant, je la trouve jolie. Je parle de son visage, de ses traits, de son sourire, de ses cheveux. Malgré tous les éléments qui jouent en sa défaveur, je ne la trouve pas repoussante. Un élément m'intrigue dans ce qu'elle vient de dire. Vieille ? Vous plaisantez ? On doit avoir le même âge ! M'étais-je trompé en pensant qu'elle avait la trentaine tout comme moi ? Je ne pense pas qu'elle puisse avoir plus de 38 ans, impossible. Peut-être autour de 33 ans, mais ce n'est pas vieux. Et si elle était vraiment vieille, cela viendrait confirmer d'avantage le compliment que je lui ai fait plus tôt.
Je devine qu'elle travaille dans les cuisines et complimente les repas. Encore une fois, je suis sincère. Ce n'est certes pas un restaurant gastronomique, mais on le savait en y venant. Et on venait quand même, preuve que c'était bon. Quand je lui dis qu'il faut tenter pour espérer avoir quelque chose, elle me répond que je ne suis pas son genre. Cette remarque me fait sourire. Et quel est votre genre ? Demandais-je, malicieux. C'est plus fort que moi, j'aime jouer. C'est ce que je suis, et c'est un peu mon métier aussi. Je sais que ça ne plait pas à tout le monde, mais je vis très bien avec. J'imagine qu'elle va me faire regretter cette question étant donné son caractère, mais tant pis. Je tire sur ma clope et me présente. Elle c'est Alice. Je souris à façon dont elle décrit l'héroïne d'Alice au pays des merveilles. C'est une façon de voir les choses. D'un côté elle a raison, tous les Disney peuvent être lus d'une façon très réaliste, sombre, et souvent sexuelle. Je préfère me contenter de garder l'esprit enfantin et magique de ces choses-là. Enchanté Alice.
Elle m'apprend qu'elle est chef, je suis impressionné. C'est un superbe métier, je suis très respectueux d'eux. Bien sûr, il existe des imposteurs. Mais généralement, quand une personne sait cuisiner, c'est assez impressionnant ce qu'elle arrive à faire avec de la nourriture. Alors que moi, je suis tout bon à me faire des œufs et des pâtes. Je souhaite en savoir davantage, et lui demande depuis quand elle travaille ici. Depuis un an, voir moins. J’acquiesce de la tête. Ce n'est pas trop fatiguant ? Il fallait crier à longueur de journées, suivre le rythme des commandes, faire avec les aléas du métier, travailler dans une chaleur étouffante, ça ne devait pas être de tout repos. « C'est un chouette boulot. J'ai toute la gente masculine à mes ordres toute la journée, ça fait du bien à mon complexe de supériorité. » Sa remarque me fait rire. Ok, je fais certainement face à une déçue des hommes. Je ne peux pas la blâmer, il existe de tels connards. Moi-même, j'en ai bien conscience, je n'ai pas dû laisser un superbe souvenir à toutes les femmes que j'ai rencontrées. Malheureusement. Je continue de fumer. Pas encore de rébellion en vue ?
Elle me prend de court en parlant de ma profession. Enfin, pas en elle-même, mais plutôt de l'effet sur les femmes. Je souris. Cette Alice n'a vraiment aucune gêne, j'ai l'impression de parler à un mec tant ses remarques sont naturelles. C'est un peu surprenant mais pas désagréable, certaines femmes font tellement semblant d'être une autre personne. Et puis Alice m'a déjà prévenu que je n'avais aucune chance, autant parler normalement sans arrière pensée. C'est vrai que je n'ai pas de problème de ce côté-là. Mais ce n'est pas si facile, certaines femmes perdent leurs moyens quand elles l'apprennent, et d'autres deviennent très lourdes. J'hausse légèrement des épaules. Ce n'est pas pour me vanter mais, je sais que même si je n'étais pas mannequin, j'aurais du succès avec la gente féminine. J'ai eu la chance de mon côté à la naissance, simplement. « C'quoi votre accent ? Italien ? » Une nouvelle fois, elle me fait rire. J'adore sa façon de parler et de tout remarquer. Je m'ébouriffe les cheveux. On peut se tutoyer, non ? Je venais de remarquer qu'on se vouvoyait continuellement, et ce n'est pas ce qui me met le plus à l'aise dans une conversation. Je me sers aussi de cette question pour ne pas répondre à sa précédente et entretenir le mystères quelques secondes de plus.
Finalement, je réponds. Français. Je suis né à Paris. Je souris. Je suis très fier d'être français, j'adore mon pays natal. J'y ai vécu en permanence jusqu'à mes 18 ans, puis je suis parti continuer mes études à Londres. Et à la fin de celles-ci, je suis devenu mannequin et n'ai plus vraiment eu le temps de me poser dans un endroit. Ce n'est pas la première personne à reconnaître mon accent. Je ne peux que remarquer que, malgré le fait que je parle couramment anglais depuis mon enfance, je n'arrive pas à m'en détacher. Ce n'est pas trop grave, ça a toujours fait son petit effet. Et le tien ? Demandais-je en prenant une nouvelle bouffée sur ma cigarette. Elle est bientôt finie. J'avais remarqué qu'Alice s'exprimait différemment des autres personnes à Brisbane. Et pourtant, son accent n'est pas américain, ni européen, et encore moins anglais. Je ne sais absolument pas de quoi il s'agit, peut-être un accent local australien ?
love.disaster&born to die
Dernière édition par James Evans le Lun 15 Juin 2015 - 11:26, édité 1 fois
Donc j'ai du mérite à réussir à être laide mais pas mal à la fois. Ok, si on veut. J'arque un sourcil, me demandant si cette remarque a vraiment du sens, alors qu'il me demande -entre les lignes- mon âge. Je rétorquerais bien qu'on pose pas ce genre de questions aux dames, mais je suis bien trop loin d'être une dame pour protester. Et puis, si ça peut lui faire ravaler ses flatteries, autant tout déballer ; « J'ai 35 piges mon joli. Et vous, vous avez la tronche d'un bébé de 25 ans. » Un peu plus, à la limite. N'empêche qu'il fait jeune, malgré la barbe (et encore, c'est le détail traître qui sert à se vieillir), et qu'il doit avoir sacrément besoin d'une bonne paire de lunettes pour penser que je peux être aussi âgée que lui. Rien que pour ces quelques années de moins que moi, je ne pourrais jamais m'intéresser à lui. J'ai déjà du mal lorsqu'un homme n'a qu'un ou deux ans de moins que moi, alors plus, ça met le bellâtre hors catégorie d'office. Curieux, il me demande quel est mon genre d'homme, s'il n'en fait pas partie. Je me raidit et me mord l'intérieur de la joue pour éviter d'être trop cinglante ; « Le genre qui n'est pas encore né. » je réponds en tirant une des dernières bouffées de tabac de ma clope. Qu'importe la logique de la chose, c'est quand cette conversation pend sur sa fin -au vu de nos cigarettes- qu'on en vient à faire les présentations. Encore une fois, le James me fait des courbettes. A croire que c'est plus fort que les mannequins beau gosses. Histoire de me payer sa tête, je me fais plus précise ; « Alice Cwmytsmith, en fait. » Vas-y, essaye d'être sexy en prononçant ça, qu'on rigole. Mon sourire narquois s'étire sur le coin de ses lèvres, fière de mon coup. Ce devrait être répertorié comme un toc, le besoin compulsif de mettre les hommes à sa solde, de les rabaisser, les humilier, les emmerder. Ceux qui pensent que c'est juste la définition même de la femme ne me connaissent décidément pas -et ne savent pas à quoi ils échappent. J'ai trouvé le job parfait pour moi. Chef de cuisine. Le travail masculin par essence, le genre d'univers dans lequel il est quasiment impossible de s'imposer, se faire une place. Pourtant, je suis là, et je mène tout le monde à la baguette. Amusé, James demande s'il n'y a pas de rébellion. L'air sérieuse, j'hausse les épaules ; « Les mutins, on les butte et on les fout au menu. » Façon Hannibal Lecter. Et aucun client ne sait qu'il a un congénère humain dans l'assiette. Je plaisante bien sûr, mais plus je songe à cette idée, plus je la troue séduisante. Après tout, le crime parfait reste celui où il n'y a pas de corps. Si je dois me débarasser d'un cadavre, je pense que je ferais ça. Comme un homme. Oui, bordel, j'ai vraiment un problème avec la gente masculine. J'écoute James confirmer qu'il n'a pas vraiment de problèmes pour se trouver de la compagnie lors des nuits fraîches. Amusée, je souris. L'honnêteté est toujours un point gagné avec moi. « C'est vrai qu'un mannequin hétéro, c'est assez rare pour faire péter un câble aux nanas. » je réplique. Je suis peut-être naïve de me fier au stéréotype comme quoi tous les mannequins sont gay, mais je n'ai jamais dit que je suis une femme très futée de toute manière. Curieuse à mon tour, je demande d'où vient le jeune homme. Avant de répondre, il propose qu'on se tutoie. « M'ouais. » je bougonne, pas convaincue de la nécessité de tomber dans la familiarité. Après tout, ça reste un client, pas un pote. Chez moi, tutoyer, c'est admettre un rapprochement. Et ce James, aussi sympa soit-il, je ne le connais pas. Mais je me vois mal de renfrogner et l'envoyer bouler. Alors je fais une exception à la règle. Il lâche le morceau et révèle qu'il est français. J'arque un sourcil. « T'es loin de chez toi, dis donc. » je fais remarquer. Moi aussi, me direz-vous, mais pas à ce point. Même en quittant mon chez moi, je ne me suis jamais résignée à quitter l'Australie. J'aime beaucoup trop ce pays. Même le désert. En hiver. James me retourne la question. Je le dévisage. Dis donc, je n'étais pas au courant que j'avais un accent. Au pire, je fais juste de la démolition quotidienne de ma propre langue. « C'est l'accent de nana qui débarque du désert australien et qui a pas eu à causer à quoi que ce soit d'autre que des kangourous pendant une vingtaine d'années. » je réponds, supposant qu'il parle de mon air de campagnarde. Je tire la dernière bouffée de ma cigarette et écrase le mégot par terre. Il y a un cendrier juste à côté de moi, mais j'ai l'esprit de contradiction trop développé pour me résoudre à l'utiliser. « C'pas hyper causant, les kangourous. » je marmonne, me souvenant qu'Elie et moi, on se sentait bien seules à la ferme. Pas un chat à des kilomètres à la ronde. Juste des kangourous. Encore et toujours des kangourous. Du sable. Et rien d'autre. Songeuse, je soupire. Même si je n'aime pas ma vie de sédentaire à Brisbane, je ne retournerai pas la bas, pas pour tout l'or du monde. Mon pied continuant d'écraser furieusement mon mégot, je lance, sans tact ; « Bon, c'pas que j'ai un coup de feu à assurer, mais j'vais devoir retourner à mon rôle de cuistot, et toi à celui de client. » Je regarde à nouveau James de haut en bas, essayant de me faire un bilan de cette discussion. Type sympa, qui se la pète un peu, qui a décidément besoin de plaire autant qu'il a besoin de lunettes, gentil, avec des airs de cocker. Je suis pas la plus positive qui soit dans je pense à un homme. « Passe dire bonjour en cuisine, à l'occasion. » je dis quand même. Après tout, en un an, je ne me suis pas fait une montagne d'amis à Brisbane. Et s'il aime ma cuisine, il reviendra sûrement. Autant accepter un contact humain supplémentaire dans ma vie de marginale. Ma main sur la porte, je m'apprête à la tirer quand je m'arrête dans mon élan, et, avec un sourire, m'adresse à James ; « Et ''bon appétit''. » En français, s'il vous plaît.
Son sourcil s’arque et je me rends compte de ma maladresse. Je me pince les lèvres. Quel con. On ne demande jamais à une femme son âge, jamais. Et c'est ce que je venais de faire, indirectement. Mais c'est elle qui m'avait interloqué en se qualifiant de vielle ! Cela fait des années que je joue le séducteur, le parfait gentleman. Je ne sais pas, plus, comment être autrement avec une femme. C'est pourquoi lorsque je dois sortir de ce rôle, et c'est le cas en l'occurrence avec Alice, je me montre très maladroit. Je suis soulagé quand elle me répond sans m'envoyer paître. Elle a donc 35 ans. Elle n'est donc pas vieille, et nous n'avions pas tant de différence. Sauf qu'elle m'avoue que j'ai " la tronche d'un bébé de 25 ans ". Je fais semblant de m'offusquer. 25 ans ?! Mince, il me reste encore de belles années dans le métier si je fais si jeune. Je me mets à rire. 25 ans, on ne me l'avait jamais faite encore. Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle n'est pas très à l'aise avec les hommes, ce qui expliquerait ses remarques qui peuvent être déplaisantes. Je ne m'en offusque pas trop, j'ai appris à garder le sourire et à ne pas me laisser toucher par ce genre de choses. A force de traîner dans les soirées mondaines et un milieu très superficiel, j'ai appris à faire semblant avec les gens. Je sais qu'à la fin, si ça ne passe pas, je ne revois pas la personne. Mais avec Alice, et malgré son caractère sauvage, je ne ressens pas ça. Je passe plutôt un agréable moment, même si c'est sûr qu'elle n'est pas facile à suivre. Je tire sur ma cigarette. Mais c'est loupé, j'ai déjà 30 ans. 30 ans, déjà. Plus j'y pense et moins je suis à l'aise avec. C'est un âge symbolique, une étape à franchir que je ne me sens pas encore prêt à atteindre. J'hausse un peu des épaules et la conversation se poursuit.
Encore une fois, ma répartie légendaire me fout dans une position inconfortable lorsque je lui demande quel est son genre. Je la vois se raidir et je m'en veux un peu. Il est clair que nos caractères sont très éloignés. Pour moi cette question est complètement bateau, ce n'est qu'un jeu. Jeu auquel elle ne goûte définitivement pas. « Le genre qui n'est pas encore né. » La réplique fuse et je souris poliment. Je ne m'attarde pas sur le sujet et ne prends même pas la peine de répondre, je n'ai pas envie de m'enfoncer encore plus ni de la mettre mal à l'aise. Les présentations se font, la chef se prénomme joliment Alice. Ça fait très français, mais elle ne l'est pas. Elle décide de se présenter complètement : Alice Cwmytsmith. Ke... Kewmi... Alors qu'elle avait prononcé son nom très facilement et naturellement, je galère comme pas possible. C'est imprononçable. Je me mords la lèvre puis ris légèrement. Désolé, ce n'est pas le nom le plus simple au monde. Je préfère le mien : Evans. Je continue de sourire, bien qu'un peu gêné d'avoir détruit la prononciation de son nom. Finalement, elle m'apprend que c'est la chef du restaurant, et que c'est un chouette boulot puisqu'elle peut donner des ordres aux hommes toute la journée. Cela me fait rire, même si je ne sais pas s'il s'agit d'humour ou si elle est sérieuse. Prenant cela pour de l'humour, je souhaite savoir si une rébellion ne se prépare pas. « Les mutins, on les butte et on les fout au menu. » Mes yeux s'agrandissent un peu mais finalement cela me fait rire. C'est un humour un peu particulier, surtout à partager avec un inconnu qui s'apprête à manger dans son restaurant. J'apprécie son culot, je n'en manque d'ailleurs pas. Miam, mon plat préféré. J'ai dû être cannibale dans une autre vie. Je la regarde avec un grand sourire.
Après m'avoir parlé de son métier, nous parlons du mien. Je suis mannequin. Après m'avoir dit que j'avais une belle gueule, suppose que je ne dois pas souvent être seul dans mon lit. La question ne me choque pas et ne me dérange pas, je décide d'être sincère et lui donne raison. « C'est vrai qu'un mannequin hétéro, c'est assez rare pour faire péter un câble aux nanas. » Amusé, je souris. Le fameux cliché des mannequins tous homos. Ça ne me vient pas à l'idée qu'elle y croit vraiment, je réponds donc sur le ton de la plaisanterie. Ça me fait moins de rivaux et plus de choix. Interloquée par ma façon de parler, elle me demande mes origines. J'apprécie sa capacité d'analyse. Je lui demande d'abord si on peut se tutoyer. Elle accepte mais ne semble pas convaincue pour un sous. Je trouve cela étrange mais ne demande pas pourquoi. Je ne suis pas très à l'aise avec le vouvoiement, je trouve ça très impersonnel et distant. Et comme je suis très sociable, je préfère tutoyer les personnes à qui je m'adresse. Je lui confesse être français et venir de Paris. « T'es loin de chez toi, dis donc. » Elle n'a pas tort. J'hausse des épaules. Il le faut parfois, pour avancer. Je n'en dis pas plus, je ne pense pas que ça l'intéresse de toute façon. Je lui retourne la question, ayant remarqué qu'elle s'exprimait un peu plus " durement " que le reste des habitants de la ville. Je ne dis pas qu'elle ne vient pas d'Australie, mais il existe des accents locaux. Comme en France, il y a l'accent marseillais, du sud-ouest, d'Alsace, corse, etc. Je n'ai pas voyagé en Australie et ne sait donc pas comment ils s'expriment ailleurs qu'à Brisbane. Elle m'apprend qu'elle ne vient pas de la ville mais du désert, où elle y a vécu pendant une vingtaine d'année. Je l'écoute attentivement. Et bah, une vie dans le désert quoi... Je ne sais pas si j'en serais capable. Surtout qu'il me semble que dans le désert, il fait très chaud la journée, et très froid la nuit. Ce ne sont pas des conditions paradisiaques. Elle rajoute qu'un kangourou, ce n'est pas ce qui parle le plus. Une fois de plus, je souris. J'ai l'impression qu'elle vient de parler d'une partie un peu difficile de sa vie, je ne sais pas quoi lui dire. Et vu comme elle écrase son mégot au sol, je n'ai pas envie de la mettre en colère. Je me contente simplement de dire, naïvement. Moi je n'ai jamais vu de kangourou.
Elle a terminé sa cigarette, et je comprends que cela signifie que sa pause se termine, tout comme notre conversation. Elle me le confirme rapidement en prenant la parole, pour dire qu'elle doit reprendre son rôle de cuisinière, et moi de client. J'acquiesce de la tête. Elle m'invite à passer à l'occasion en cuisine. Je souris franchement. Je n'y manquerai pas. Elle s'approche de la porte pour rentrer, mais se tourne une nouvelle fois vers moi. « Et ''bon appétit''. » L'attention me fait très plaisir et mon sourire s'agrandit. Pas mal, surtout pour une fille du désert qui a commencé la soirée en refusant de me passer son briquet. Je lui fais un signe de la tête tout en la fixant. "Merci." Et bon courage pour le service. Après un dernier sourire, elle rentre dans le restaurant et je me retrouve seul à l'extérieur. Je continue de fumer, ma cigarette est presque finie. Je connais enfin la personne qui prépare tous ces plats très appétissants, et quelle personne ! Même si elle semble un peu rustre au premier abord, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'au fond c'est une fille bien mais qui n'a pas été épargnée par la vie. Dans tous les cas, je compte bien revenir souvent manger ici, et surtout passer la voir en cuisine. J'écrase mon mégot au sol et rentre à mon tour dans le bâtiment, pour enfin profiter de mon dîner.