Une semaine. C’était le temps que, pour la première fois, Ezra avait eu Noah pour lui tout seul. Ca aurait pu être deux semaines si un certain - même dans sa tête il refusait de lui accorder assez de crédit pour l’appeler par son prénom, simple réflexe -, n’avait pas rechigné et n’avait pas presque exigé que Noah passe également une semaine chez lui pendant l’absence de Ginny. Cette dernière s’était envolée pour Londres pour aller voir ses parents une quinzaine de jours plus tôt. Et aujourd’hui était le grand retour. Ils avaient convenus, avant son décollage, qu’elle passerait chercher le petit chez Ezra directement en arrivant. Alors, en bon père qu’il était, les deux dernières heures avaient servi à Ezra pour qu’il planque tous les gâteaux super-sucrés dans les placards, qu’il aile jeter les cartons de pizza de la veille au soir, et qu’il remette la Switch bien dans son nouvel emplacement sous la télé - comme si de rien n’était. « On dirait que t’as plus peur de maman que moi. » Ecarquillant légèrement les yeux, Ezra vint se tourner vers Noah qui était tranquillement assis dans le canapé, ses chaussures aux pieds et son sac sur le dos - alors qu’Ezra lui avait déjà répété que Ginny n’arriverait pas avant presqu’une heure. « Mais n’importe quoi ! » Crédibilité: zéro. « De un, j’ai pas peur de maman. » Comme pour montrer qu’il avait raison, il en était venu à compter sur ses doigts, une main posée fermement sur sa hanche. « De deux… » Il y eut un léger silence. « La Switch achetée exprès pour cette semaine ça passerait mais pas la tonne de sucre que t’as mangé quand t’étais ici. » Il finit par lever les yeux au ciel, s’avouant presque vaincu par son fils. De huit ans. De la façon dont il était assis, Ezra ne pouvait pas apercevoir le petit sourire cependant qui se formait sur les lèvres de son gamin. Le sourire de la victoire - et de la connerie qui arrive au galop. « Tu sais que Bailey fait exprès de me faire manger des légumes quand je vais chez lui ? » Levant davantage, si c’était encore possible, les yeux au ciel, Ezra tourna son regard un peu noir sur les bords vers le gamin. Noah faisait partie de ces garçons très futés qui savaient appuyer sur la corde sensible, qui savait même parfaitement en jouer. « Tu veux que je revende la Switch ? » Le sourire de Noah ne fit que s’agrandir à la menace d’Ezra, et ce dernier ne put s’empêcher de répondre par un sourire également. Voir Noah espiègle, mais heureux, ça valait toutes les foudres que Ginny pourrait lui faire tomber dessus par la suite. En parlant du loup, le téléphone d’Ezra vibra dans sa poche. Le tirant, il soupira légèrement en voyant le message qu’il venait de recevoir. « On a planqué les gâteaux et la Swtich pour rien, c’est moi qui te ramène à l’atelier de maman finalement. Aller, go go ! » Le message de Ginny lui signalait qu’elle devait finalement se rendre à l’atelier et qu’elle ne pourrait pas passer directement par chez Ezra, alors il avait pris la décision de ramener Noah à Ginny directement. Il savait qu’après deux semaines sans le voir, elle voudrait rapidement avoir de ses nouvelles - et il ne voyait pas l’intérêt d’attendre ici et de lui en donner par messages. Si elle n’était pas venue directement, c’était pour une bonne raison. Et puis comme ça, il aurait un résumé de ces fameuses deux semaines à Londres un peu plus rapidement. La savoir tout là-bas, à l’autre bout du monde et surtout, surtout, chez ses parents - ce n’était pas rassurant du tout. Attrapant sa veste, il laissa sortir Noah en premier de l’appartement, direction l’arrêt de bus pour se rendre à l’atelier. « Et on s’arrêtera prendre une glace sur le chemin ? » Ezra eut un petit rire en donnant la monnaie au chauffeur de bus. « T’as pas compris que je tiens à ma vie ou quoi ? » Et Noah leva les yeux au ciel - Ezra aurait pu lui faire une réflexion, mais il était quasiment sûr qu’il avait copié cette habitude sur lui, alors il n’était vraiment pas à une bonne place pour lui faire remarquer quoi que ce soit.

C’est la course depuis la seconde où j’ai mis le pied à Brisbane à nouveau. Et c’est tant mieux. Ne pas avoir le temps de souffler, encore moins de réaliser tout ce qui vient de se passer pour moi là-bas. C’est essentiel que j’arrête le moins possible, que je me précipite partout dans tous les sens et de tous les côtés où je suis nécessaire – où je me donne l’excuse de l’être. Une urgence à l’atelier apparaît donc comme une libération plus qu’un ennui, la seule alerte restant Noah à l’autre bout de la ville que je devais passer chercher chez Ezra après avoir quitté l'aéroport. Mais ils sont bien tous les deux, ils se connaissent là, ils s’apprivoisent un peu moins, sont adaptés, sont liés. Pour vrai. Le stress est moins palpable au fil des mots que j’échange avec Ez au téléphone, lui qui me confirme qu’il n’y a pas de mal du tout, qu’ils viendront sans soucis me rejoindre au local sans m’en tenir rigueur. Et je souffle, un peu, à peine, juste assez. Mes affaires et ma valise sont entassées sous l’établi, et c’est en catastrophe calculée – à qui tu mens Ginny, il n’y a jamais rien de calculé avec toi – que je finis par aboutir à l’atelier pour recevoir la livraison de matériel attendue dans deux jours, mais qui apparemment avait de l’avance à l’horaire. Les gars sont en train de transporter les nouveaux canevas et la panoplie de chevalets dans l’arrière-boutique quand Ezra et Noah arrivent. Je les entends passer la porte avant même de les voir, la clochette qu’on a installée dans l’embrasure qui fait le boulot à merveille, et j’ai tout juste le temps de signer la dernière pile de paperasse et de finaliser le paiement qu’ils apparaissent comme par magie dans mon champ de vision.

« Je suis tellement désolée de vous avoir fait venir jusqu’ici. » bien sûr que je m’excuse à nouveau, sachant qu’à cette heure-ci les embouteillages peuvent être particulièrement difficiles à contourner. Je sais bien qu’Ezra ne m’en veut pas, qu’il profite de chaque minute passée avec son fils, encore plus les imprévues ; mais d’office, c’est une mine un brin coupable qui orne mon visage. « On a eu une urgence et Dannie était ailleurs et Auden est en exposition et… » j’énumère, avant de m’arrêter complètement dans mes justifications, la petite tête blonde de Noah qui dépasse de derrière Ez, et le gamin qui l’instant d’après sprinte dans ma direction pour s’échouer violement contre mes genoux. « … et salut toi! » deux semaines sans voir ma terreur. Les Facetime qu’on s’était organisés par ci par là avaient aidés, bien sûr. Mais c’était là la plus longue période de temps où je n’avais pas été en contact direct et régulier avec mon fils. Évidemment que je m’étais ennuyée de lui. Évidemment que j’avais pensé à lui à tous les instants, que je n’avais même pas eu le cœur de vouloir poursuivre le séjour à Londres plus longtemps tellement il me manquait. Mais j’étais fière d’y être allée, j’étais en paix avec les raisons qui m’y avaient motivée. Et bien sûr que mon regard attrape celui d’Ezra, que j’ai envie de tout lui raconter, que j’ai besoin de tout lui dire. Il a connu l’histoire en long et en large dans ses énièmes détails même les plus tordus, beaucoup plus douloureusement qu’il ne l’aurait jamais dû au final. Il mérite de savoir où se situe l’aboutissement, où on se trouve, nous tous, là-dedans. Mais pour le moment ce sont mes narines qui me rappellent à l’ordre, mon nez enfoui dans la tignasse de Noah, et mes sourcils froncés d’amusement qui complètent. « Il sent un mélange de biscuits, de pizza, de burger et de savon. » encore heureux, il a eu une douche à travers, que je pense, presque hilare, avant d’embrasser le front du bambin, pour finir par me redresser et accorder toute mon attention à Ezra. « Tout s’est bien passé pour vous deux? Pas trop de disputes, pas de crises de larmes à outrance? » les doigts de Noah jouent avec les miens, et je m’y accroche, un temps. Plus ils me parlent de leurs moments ensembles, plus longtemps je peux laisser une distance entre mes parents et moi, et nous.

Bien sûr qu’ils n’avaient à peine eu le temps de passer un pied dans l’atelier que déjà, Ginny apparaissait de derrière un rideau, un mur ou d’une porte - peu importait, elle était déjà en train de marcher vers eux qu’ils n’avaient même pas eu le temps de se mettre à l’aise. Surtout que rien ne pressait, Ezra était encore en vacances jusqu’au lendemain soir, jours qu’il avait gardé précisément de côté pour une occasion comme celle qui s’était présentée. « Je suis tellement désolée de vous avoir fait venir jusqu’ici. On a eu une urgence et Dannie était ailleurs et Auden est en exposition et… » Un petit rire s’échappa d’entre les lèvres d’Ezra; il aurait pu dessiner la scène à l’avance, si on lui avait demandé. « … et salut toi! » Il n’eut même pas le temps de suggérer à Ginny de respirer un coup, de reprendre de l’air, que déjà Noah lui courait dans les bras, délaissant Ezra à peine ses pupilles posées sur sa mère. La tendresse incarnée dans ce duo tant soudé. L’étreinte entre les deux fut plus longue que d’habitude, plus intense, l’absence de contact physique de ces deux dernières semaines se ressentant grandement en cet instant. « Il sent un mélange de biscuits, de pizza, de burger et de savon. » Busted. Ce fut un petit rire qu’exprima Ezra. « Surtout le savon, avoue. » Il ne savait même pas si c’était correct ce qu’elle disait, ou si elle prêchait juste le faux pour savoir le vrai, mais il s’en fichait. Ca le faisait rire, ça faisait rire Noah en arrière plan et ça mettait du baume au coeur. Quelques secondes supplémentaires où elle gardait son fils dans ses bras, avant que Ginny ne reporte son attention sur le jeune homme. « Tout s’est bien passé pour vous deux? Pas trop de disputes, pas de crises de larmes à outrance? » Ezra tenta de prendre son air le plus sérieux - et surtout le plus faux. « Oh si, ça a été super compliqué. On s’est pas du tout amusé, on est pas allé au parc d’attractions non plus je crois. » Ce fut Noah qui craqua en premier, laissant son rire venir rebondir dans le moindre recoin de l’atelier. il fut bientôt rejoint par son père, qui n’avait pas su garder son sérieux bien plus longtemps. « Non franchement, aucun soucis. A part qu’il faudra vraiment que tu m’expliques comment tu lui fais manger ses légumes sans culpabiliser devant la bouille qu’il fait. » Il avait prononcé ces derniers mots un peu plus bas, presque sans bouger les lèvres, destinés uniquement à l’attention de la jeune femme. Bien sûr que Noah avait quand même mangé un légume. Ou deux. Mais seulement sous la menace - et ce n’était pas comme ça qu’Ezra voulait jouer avec lui. Pas qu’il n’aimait pas trop faire l’alternance entre good cop/bad com, mais qu’il n’aimait pas du tout avoir à hausser le ton avec des enfants quand leurs vies n’étaient pas en danger immédiat. « Tu veux qu’on repasse plus tard ou t’en as terminé avec tes affaires ici du coup ? » Il avait repris un peu plus  de sérieux, se concentrant sur l’instant présent, sur les raisons qui avaient fait qu’ils s’étaient tous les trois trouvés plutôt à l’atelier que chez lui. C’était un bel endroit, mais ce n’était pas là qu’il souhaitait discuter des deux dernières semaines de la jeune femme. Et puis, il n’y avait pas autant de quoi occuper Noah sans être sûr qu’il ne refasse pas la décoration des murs. « Parce-que si tu as terminé ici, on pourrait aller faire un tour au parc ou quelque part. Noah ne s’est pas encore défoulé aujourd’hui, alors si tu veux être tranquille et qu’il dorme ce soir… » Et s’ils voulaient pouvoir discuter tranquillement, il fallait qu’il soit occupé autrement qu’à leur courir autour et qu’à faire la course avec son ombre. Ezra haussa alors un sourcil, prêt à aller faire un tour avec Noah de suite si Ginny n’était pas encore libérée de son côté, mais prêt également à être l’oreille attentive dont elle aurait surement besoin en ce temps. « Dis moi juste si on repasse plus tard ou pas. » « Au pire on va manger une glace en attendant ? » La petite voix qui venait se faufiler dans la conversation des adultes, de la façon la plus innocente possible; comme s’il n’avait pas compris que ce n’était pas le genre de chose à demander à l’instant, mais qu’il ne pouvait s’empêcher de se retenir de poser la question, regardant ses baskets alors qu’Ezra lui jetait un regard noir.

« Oh si, ça a été super compliqué. On s’est pas du tout amusé, on est pas allé au parc d’attractions non plus je crois. »  le rire de Noah s’additionne parfaitement au mien quand Ezra affirme le climat de terreur qui semblerait avoir été la normale entre eux durant leur semaine de mecs. « Ça vous ressemble parfaitement, j'te crois sur parole. » que je réponds même, sur un ton identique au sien, pas le moins du monde convaincue mais prête à jouer le jeu rien que pour les besoins de la cause. J’adorais le quotidien qu’ils s’imaginaient tous les deux, je me complaisais de les voir si complices, de savoir que les souvenirs qu’ils bâtissaient à retardement restaient leurs souvenirs tout de même, et que désormais, quand Noah entendait parler d’Ezra, quand il rattachait sa mémoire à lui, c’était son père qu’il voyait, et non les commentaires haineux étouffés de mes parents, de Matt. Grand bien lui en fasse. « Non franchement, aucun soucis. A part qu’il faudra vraiment que tu m’expliques comment tu lui fais manger ses légumes sans culpabiliser devant la bouille qu’il fait. » l’éternel dilemme, les légumes qui avaient parfois la gueule de l’ennemi à la maison. Mais comme tout bon McGrath qui se respecte, c’était dans la ruse que le secret de cachait, dans les moyens détournés, dans les sous-entendus qui au final menaient exactement là où il fallait aller. Dramatique, dit ainsi, n’est-ce pas ? Mais si ça fonctionne pour la santé de mon gamin, qui suis-je pour me plaindre. « Le truc c’est d’en mettre dans les gâteaux – et de l’engraisser aux smoothies qu’on fait passer pour des milkshakes. » faisant gaffe à murmurer à l’oreille d’Ezra le plus possible, je la vois bien, la petite tête blonde de Noah qui se dresse vers nous, les yeux qu’il plisse, le nez également, sachant qu’on complote, étant déjà sur ses gardes sans plus de cérémonies. « Tu veux qu’on repasse plus tard ou t’en as terminé avec tes affaires ici du coup ? » mais Ezra est plus rapide que moi pour brouiller les pistes, et le voilà qui questionne, qui propose, non sans que j’attrape son regard au vol et y vois clairement que tout comme moi, il sait qu’on a autre chose à se dire, qu’il y a un éléphant dans la pièce et que l’aller-retour à Londres signifie beaucoup plus qu’une gymnastique perfectionnée de garde de bambin au final. « Parce-que si tu as terminé ici, on pourrait aller faire un tour au parc ou quelque part. Noah ne s’est pas encore défoulé aujourd’hui, alors si tu veux être tranquille et qu’il dorme ce soir… »  il finit son plaidoyer avec l’argument qu’il me faut, entre les regains d’énergie de Noah en dents de scie et la possibilité de pouvoir discuter avec Ez tranquillement de la suite des choses, y’a peu de chances que je le lui refuse.

« Dis moi juste si on repasse plus tard ou pas. » « Au pire on va manger une glace en attendant ? » « Bien vu. » Noah gigote de bonheur, je sais exactement sur quel pion il a tiqué. « Je parle du parc, pas de la glace. » que ma voix chantonne, mes paupières qui battent la mesure, et son soupir excédé qui m’arrache un énième éclat de rire le temps de lui ébouriffer les cheveux plus qu’ils ne le sont déjà. « Ok, des deux. » voilà qui calme les troupes, quand mon morveux d’enfant reprend son air angélique, le sourire plus grand que son visage en entier. Tournant la tête vers Ezra, je calcule un peu ce qu’il me reste ici, la livraison déjà passée et rangée, il ne suffira juste que de faire un petit tour et je risque d’être dans les temps sans soucis. « Tu me laisses cinq minutes que je puisse tout fermer? » prenant pour acquis qu’il acceptera sans soucis, je pars de mon côté, les laissant tous les deux à même la galerie où ils pourront vaquer pendant que je me charge de boucler en trombe les derniers détails.

Lumières éteintes, portes verrouillées, fenêtres fermées, c’est un atelier tout prêt pour nous accueillir demain matin qui reste derrière moi quand je les retrouve à l’extérieur, eux qui ont déjà commencé à prendre leurs aises sur la pseudo-terrasse que Dannie a aménagée devant l’immeuble pour les gens qui veulent se poser, discuter, boire un café et attendre le début des ateliers en matinée. Noah part à la course vers le parc qui est à même pas deux mètres du bâtiment, et d’office je reste en retrait avec Ezra à quelques pas de notre pile électrique commune, mon regard qui ne le lâche pas pour autant. « Breaking news : ils ont demandé de tes nouvelles. » pas besoin de préciser de qui je parle pour qu’Ez sache totalement que ce sont mes parents qui apparemment ont pris le pouls de notre relation sans vraiment vouloir le faire, je parie. « Je pense que c’était une façon détournée d’aller chercher de quoi potiner contre toi, mais au moins, c’est déjà ça. »

Le regard d’Ezra qui déviait vers Noah alors que le petit proposait, encore, d’aller manger une glace. Ginny était bien gentille et elle en avait plaisanté au premier abord, mais il savait bien que si Noah continuait sur ce chemin là, elle se poserait de sérieuses questions quant à l’alimentation qu’il avait eu en son absence. Ce n’était pas une bonne idée, vraiment. « Bien vu. » Telle une danse synchronisée, les yeux de Noah et d’Ezra se tournèrent vers la jeune femme, étonnés autant l’un que l’autre. Le petit se ressaisit plus vite que le grand, s’imaginant déjà se régaler d’une crème glacée. « Bien vu ? » Il était perdu. S’ils étaient plutôt sur la même longueur d’onde depuis que les Beauregard avaient mis un pied à l’atelier, là il ne comprenait pas la réaction de Ginny. « Je parle du parc, pas de la glace. » Ce fut au tour d’Ezra d’avoir un petit sourire de victoire, et à Noah d’aborder une moue boudeuse. Il ne perdait donc pas la boule, elle avait juste joué de la feinte. « Ok, des deux. Tu me laisses cinq minutes que je puisse tout fermer? » Leurs chemins de pensées qui se remettaient doucement en phase. Leurs regards qui s’accrochèrent un instant, dialogue silencieux, avant que la jeune femme ne parte au bout de l’atelier, déjà les idées ailleurs, au rangement, les mains occupées à s’activer. « Viens, on va attendre maman dehors. On a rien à faire ici, on risque de la gêner plus qu’autre chose en plus. » Les petits pas qui trainaient sur le sol de Noah tirèrent un sourire à Ezra. Il avait l’impression de se revoir des années en arrière, quand son père était plus occupé à prêter attention à ses frères et à leurs études qui promettaient déjà, qu’à lui qui venait de monter tout un circuit de voitures tout seul, comme un grand. « T’as vraiment cru qu’elle allait te laisser manger une glace après autant de temps avec moi ? » Il vint tirer la porte, laissa passer Noah. Celui-ci en profita pour se retourner vers son père. « T’as cru aussi alors… » Noah vint lui tirer la langue, mais Ezra ne releva pas. Qu’il se forge un petit caractère, ça lui ferait du bien. Ca se voyait qu’il passait davantage de temps à l’école, il changeait, évoluait - grandissait. Ce qui lui semblait l’instant d’après, Ginny passait à son tour la porte. « En route ! » Et leurs pas qui s’activèrent en harmonie vers le parc à deux rues d’ici, Noah prenant la tête de l’expédition, se prenant pour un Ninja de temps à autres avec les bordures de trottoir. Il finirait un jour par se casser une jambe. Mais ce n’était que d’un oeil distrait qu’Ezra accordait cette importance à Noah, car il savait que le véritable coeur de la scène se passait ailleurs, et non focalisée sur celui prévu pour distraire le public. « Breaking news : ils ont demandé de tes nouvelles. » La jeune femme n’avait pas mis longtemps avant de prendre la parole, d’en arriver aux faits, d’exposer le contenu de son sac. Sa phrase arracha un lever de sourcil, interrogateur, de la part d’Ezra, qui tourna son regard un instant vers la jeune femme - il devait y avoir plus à cette information que juste ça. « Je pense que c’était une façon détournée d’aller chercher de quoi potiner contre toi, mais au moins, c’est déjà ça. » Bingo. Petit rire amer de sa part à lui, il ne pouvait pas en attendre franchement plus de la part de ceux qui furent ses beaux-parents un temps, il y a longtemps. Il vint fourrer ses mains dans ses poches, butant dans un cailloux, ne sachant trop comment tourner sa phrase sans être vraiment blessant - il tourna sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. « Franchement ? Je suis même surpris qu’ils se souviennent de moi. » Ils avaient fourni tellement d’efforts pour l’effacer de leur vie et de celle de tous les McGrath, qu’il ne serait pas le moins du monde étonné que Ginny lui apprenne qu’ils référaient à lui comme simplement un géniteur. « Et sache que je pose cette question maintenant parce-que je suis poli, et rien d’autre: comment vont-ils ? » Pas morts étouffés par leur connerie ? - il se garda de mentionner ses dernières pensées. Ce n’était pas le moment. « Ils étaient au moins contents, au pire reconnaissants, de te voir ? »

Ni Ezra ni moi n’avons envie d’attendre bien longtemps avant d’aborder les sujets qui fâchent. Il savait autant que moi que ça venait. La conversation qu’on avait même déjà entamée à coup de regards sous-entendus et de silences soutenus, qui ne fait qu’aller dans sa continuité, alors que Noah flotte dans son innocence à quelques mètres de nous. « Franchement ? Je suis même surpris qu’ils se souviennent de moi. » qu’il répondra, quand j’entame la discussion, que je lui fais état de la façon détournée dont mes parents ont eu l’amabilité de prendre de ses nouvelles. La vérité, c’est qu’ils y sont allés à tâtons, probablement pour faire joli, faire poli. Mais le fond ne m’intéresse pas, plus en fait. Je tente d’y voir du bon, je sais faire que ça maintenant. « Et eux, ils doivent être enragés que ce soit pas le cas t’imagine bien. » je tente, à la blague, plongeant mes mains à l’intérieur des poches de mon jeans en réfléchissant à voix haute. Il a raison sur ce point Ez, malgré le fait qu’il a été ambiant pendant les 5 années de notre exil à Londres, il a toujours été celui dont on ne doit pas prononcer le nom, mais qui flotte, qui fait office d’épée de Damocles au-dessus de nos têtes. La vérité reste celle-ci : s’ils avaient pu l’effacer de notre histoire, de mon histoire, ils l’auraient fait depuis longtemps. Je prends le temps de tourner la tête vers lui, alors qu’il réfléchit, qu’il cherche ses mots, que je m’en veux de le mettre dans pareille situation, que je déteste le forcer à retoucher à ce que le passé a laissé comme marques sur lui, sur nous. Je tente de m’excuser en silence, à nouveau et à répétition. Il n’y a rien que je puisse y faire, on l’a bien compris maintenant, mais tout de même, j’essaie. « Et sache que je pose cette question maintenant parce-que je suis poli, et rien d’autre: comment vont-ils ? »  mes iris trouvent ceux d’Ez pour une seconde, une dizaine d’autres. Il demande vraiment, et c’est l’une des choses que j’aime le plus chez lui. Le fait qu’il arrive à faire le point, qu’il tente, même s’il n’en pas du tout envie. Il sait à quel point c’est important pour moi de faire les choses bien, il est au courant de l’énergie et des intentions que je souhaite poser pour m’assurer que Noah ait accès à ses grands-parents maternels, qu’il ne soit pas coupé des siens, qu’il ait la latitude et le choix de choisir, justement. Et le fait de ne pas me retrouver pressée à devoir choisir entre eux et Ezra me rassure énormément. Un merci que je souffle du bout des lèvres, muette, qu’il attrapera sûrement au vol. « Papa n’a pas changé d’un millimètre. Maman elle… elle a l’air épuisée. » j’abrège à l’essentiel, j’explique simplement ce qu’il en advient. Isaïah qui jamais ne croule, jamais ne tremble. Il allait nous survivre tous, malgré les cigares qu’il accumulait comme son oxygène, malgré les litres de brandy qu’il se sifflait bien avant l’apéro. Marianne, elle, c’était tout autre chose. Entre Jill qui était partie sans mot dire et Matt qui prenait ses distances depuis une bonne année d’avec eux, elle partait à la dérive, elle n’avait plus aucun nid à couver. Être mère m’avait fait comprendre certaines de ses réactions – pas les approuver, ni les pardonner, mais les interpréter à sa façon – et ce serait mentir de dire que mon cœur n’avait pas été brisé de la voir ainsi. « Ils étaient au moins contents, au pire reconnaissants, de te voir ? » Ez me rattrape dans mes pensées nostalgiques en questionnant une potentielle suite. Inspirant longuement, je sens mes doigts qui jouent les uns les autres ensembles, signe que je pense, fort, que j’angoisse aussi, un peu. « Pas la première fois. C’était un vrai chaos Ez, ils voulaient rien entendre, ils étaient hyper fermés, j’ai voulu revenir ici à la seconde où je suis partie de leur maison. » ils avaient fini même par me chasser de là, ils m’avaient pointé la porte, complètement excédés, dépassés. Mon estomac se sert de m’en rappeler.  « Mais j’ai retenté, quelques jours après et… et je suis pas sûre du tout de ce que j’avance, j’ai pas encore pris le temps d’y réfléchir de fond en comble, mais je crois qu’ils sont prêts à faire la part des choses. » à petit pas, un à la fois. Mais j’avais vu une lueur d’espoir, rien qu’une, c'était suffisant. Et c’était à cela que je me rattachais si fort, depuis que j’étais revenue à Brisbane.

« Et eux, ils doivent être enragés que ce soit pas le cas t’imagine bien. » Ginny qui tentait la blague, qui maintenait l’effort pour que tout reste facile à aborder, tout reste dans la lisière du beau et du happy ending. Il ne pouvait pas lui en vouloir, elle voulait que tout rentre dans l’ordre pour que Noah puisse profiter pleinement des membres de sa famille - de tous les membres. Même si ça devait inclure deux personnes qu’Ezra ne pouvait plus voir en peinture depuis longtemps. Et malheureusement, comme le sentiment était réciproque, les paroles de Ginny avait un fond de vérité qui perçait le coeur. Ezra se voulait être plus intelligent que ça, qu’eux, et savait à quel point remettre quelques pièces du puzzle à leurs places comptait pour Ginny. Alors, refoulant sa rancoeur et tout ce qui allait de paire avec, il vint demander des nouvelles de ses parents. Poliment, pas autrement, mais il le fit. « Papa n’a pas changé d’un millimètre. Maman elle… elle a l’air épuisée. » Pauvre petit bout de femme qui n’avait jamais compris ce que la vie avait eu contre elle. Ses idéaux brisés à jamais par les enfants qu’elle avait eu. Toutes ses attentes qui s’étaient brisées en mille morceaux avec le temps - et les fausses bonnes surprises. Il ne laissa pas ses pensées aller vers le père de Ginny, pour qui il avait un opinion bien tranché et qu’il préférait garder pour lui encore un peu plus longtemps. « Elle comprend seulement maintenant que ses enfants ne sont pas aussi sages que des images, ça va lui prendre du temps d’intégrer tout ça. Tellement une surprise aussi. » Il tenta de teinter ses paroles d’un brin d’humour - il ne savait pas si Ginny percevrait la touche à travers ses mots. Les enfants McGrath avaient toujours été beaucoup de choses, mais sages n’était pas réellement le meilleur adjectif qui pourrait les qualifier. Celle qui avait le mieux réussi dans ce domaine, tout de même, c’était Ginny et pourtant on connaissait l’état de ses relations avec ses parents. Ils n’étaient cependant pas ensemble aujourd’hui pour disserter sur les croyances et les échecs des parents McGrath, Ezra vint alors recentrer la discussion sur l’objectif de la visite de Ginny. Tentant de tirer un brin de bon dans son arrivée en terres ennemies. « Pas la première fois. C’était un vrai chaos Ez, ils voulaient rien entendre, ils étaient hyper fermés, j’ai voulu revenir ici à la seconde où je suis partie de leur maison. » Il se pinça l’intérieur de la joue avec les dents quand la maudite phrase du je te l’avais dit lui traversa l’esprit. Bien sûr qu’il avait soumis l’idée à Ginny que ça se passerait comme ça. Mais elle avait des rêves grands comme le monde et il fallait qu’elle tente sa chance dans ce domaine. C’était vital, à ce niveau là. Il n’y eut cependant pas d’effet de surprise à entendre les paroles de la jeune femme. « Et pourtant, tu n’es rentrée qu’aujourd’hui… » Sous entendant qu’il y avait plus que ça à cette histoire, que ce n’était pas le point final de ce voyage en Angleterre. Même si ça aurait mieux valu, surement. Peut-être. Il n’en savait plus rien. Il était juste sûr d’une chose, c’était qu’en reparlait mettait Ginny dans tous ses états et que ça ne lui plaisait pas. Ezra avait beau ne plus nourrir le même genre de sentiments à son égard, il ne cesserait jamais de s’inquiéter pour elle. « Mais j’ai retenté, quelques jours après et… et je suis pas sûre du tout de ce que j’avance, j’ai pas encore pris le temps d’y réfléchir de fond en comble, mais je crois qu’ils sont prêts à faire la part des choses. » Ezra détourna un instant le regard de la jeune femme, tentant de comprendre les mots qu’elle avançait, les idées qui en découlaient. Il se fit violence pour ne pas lever les yeux au ciel, montrer physiquement ses doutes quant à ce qu’elle avançait. Elle y travaillait dur, et elle méritait que toute cette histoire s’oriente vers une telle issue. Mais ce n’était pas simplement avec ces mots là qu’Ezra cesserait d’avoir ce doute en lui. « Si c’est le cas, je serai vraiment heureux pour toi, Gin. » Son regard se porta légèrement plus loin, juste devant eux, à quelques mètres. « Pour Noah aussi, bien évidemment. » Il coupa ses paroles, rassemblant ses pensées une dernière fois. Il s’en voudrait peut-être de poser la question, mais c’était aussi ce pour quoi il était là. « Mais tu es vraiment sûre que ça pourrait évoluer dans ce sens là ? » Il s’était permis de venir attraper une des mains de Ginny, ralentissant par la même occasion leur allure de croisière. « Tu sais à quel point je serai heureux si ça fonctionne, mais… » Mais je n’ai pas confiance en eux, la phrase qu’il n’avait besoin de prononcer tellement elle transpirait de son être entier. « Mais tu es sûre qu’ils arriveraient à marcher vers ce chemin là, Ginny ? » Il avait quasiment ralenti leur course au point zéro, Noah prenant déjà de l’avance sur eux, son oeil qui naviguait entre la silhouette de l’enfant qui marchait devant, et celui de la femme dans le doute persistant, à ses côtés. « Qu’est-ce qui fait que tu penses que ça marchera ? » Sa voix s’était adoucie au plus fort, la braquer était loin d’être un objectif dans cette conversation. Il tentait juste de veiller au mieux sur elle contre les démons incarnés par ses propres parents. Il lui semblait mieux les connaître qu’elle ne pourrait jamais, dans leur côté obscur. Il en avait payé longtemps les frais - mais c’était aussi pour ça qu’il était davantage suspicieux que n’importe qui d’autre le serait à sa place.

C’était insensé de croire qu’Ez sauterait de joie de m’entendre relater mon voyage. C’était ridicule de penser même une seule seconde qu’il n’anticipait pas mon retour, qu’il ne s’attendait pas au pire de la discussion qui s’étalait doucement entre nous deux. Lui parler avec toujours été l’une des choses sur laquelle je palliais, du plus loin que je me souvienne. Ezra et moi, on avait eu des dizaines, des centaines de conversations. Sur tout, sur sa vie, la mienne, sur des détails, et sur des grands débats. On avait probablement plus parler ensemble qu’avec quiconque de notre entourage pendant toutes les années passées. Et revenir à Brisbane il y a 3 ans m’avait remis en plein visage à quel point je m’ennuyais de nos longues conversations, des échanges qui prenaient des heures, des soirées entières parfois à s'étendre, à se mettre en place. Ça n’avait pas été facile au début de communiquer, de reprendre nos marques quand jadis il n’y avait rien de tabou entre nous, rien qu’on n’avait pas encore traité avec intérêt. Mais notre routine m’allait maintenant, elle était douce, elle était simple, on se retrouvait, on retrouvait tous les bons côtés, aucuns des mauvais. « Si c’est le cas, je serai vraiment heureux pour toi, Gin. Pour Noah aussi, bien évidemment. » je sais, qu’il sera heureux. Je sais aussi que jamais il n’oserait s’interposer entre nous tous s’il juge que ses opinions sont strictement les siennes. J’ai une confiance absolue en lui, je sais également que si jamais mes parents d’un côté comme de l’autre tentent quelque chose d’illogique, d’irrespectueux, Ez ne mettra pas une seule seconde de délai avant d’intervenir. « Mais tu es vraiment sûre que ça pourrait évoluer dans ce sens là ? » il remet en question, et je m’y attendais, bien sûr que je m’y attendais. Je ne lui en aurais pas parlé autrement. Parce que j’ai besoin de son avis. Pas d’un combat à gagner, pas d’arguments à lui forcer à la gorge sans qu’il ne puisse dire ou faire quoi que ce soit contre. Non. Je veux juste avoir son avis, je veux juste connaître sa version, je veux juste avoir son côté, y arrimer le mien, et voir où on se situe là-dedans. « Tu sais à quel point je serai heureux si ça fonctionne, mais… Mais tu es sûre qu’ils arriveraient à marcher vers ce chemin là, Ginny ? Qu’est-ce qui fait que tu penses que ça marchera ? » je le remarque, son regard qu’il perd vers Noah. Et mon cœur qui se réchauffe de les voir ensembles, de les voir évoluer, d’avoir enfin pu offrir à la petite tête blonde qui sautille plus loin la vérité, son père biologique. Une seconde passe, une autre, je les admire, je ne m’en cache pas. Puis, je profite du fait que Noah a filé avec des copains qu’il semble s’être faits à peine une poignée de minutes plus tôt pour reporter mon attention sur Ezra. Pour finalement lui répondre avec autre chose que des silences, des questions muettes. « Je pourrais ne pas les croire, Ez. » que je statut d’abord, simplement, l’évidence. Ils l’avaient bien cherché. « Je pourrais rester sur mes craintes, et mes doutes, et toute la colère qu’ils m’ont faits accumuler pendant des années. » en m’arrachant à ici, en m’envoyant à l’autre bout du monde, en me mariant à Bailey, en me poussant à bout à chaque jour possible, en me menaçant de me reprendre Noah envers et contre tout. « Mais je suis exténuée. De tout ça. » il le sait autant que moi Ez, il m’a vue avant, il m’a vue après. Il connaît tout le chemin que j’ai parcouru depuis. « Et ils le sont eux aussi. » c’était ce qui m’avait frappé. D’abord maman qui s’effrite. Puis papa, à ma deuxième visite, qui était différent, pas des masses, mais suffisamment pour que je porte intérêt. « Je ne dis pas que tout va bien aller, que j’ai une confiance absolue en eux, que tout redeviendra comme avant non plus. Je n’en veux pas, du avant. » surtout pas. Le climat hostile à la maison, le besoin constant de performance, l’impression récurrente de n’être rien à part à leurs yeux. Tout ça, c’était fini. « T’auras tout le loisir de me dire "j'te l’avais dit" si je me plante à leur sujet. » de l’épaule, je pousse doucement Ezra, presque complice, lui autorisant sans aucun doute qu’il ne sera jamais aussi cruel pour me le remettre sur le nez advenant le fait que tout s’effondre. Mais si ça peut alléger la conversation, je prends. « C’est une impression. C’est dans la façon dont ils s’adressaient à moi, comment ils me regardaient. Je pense qu’ils commencent à me voir comme une personne entière et… et c’est ce que j’ai toujours voulu d’eux. » ce qui avait changé, ce qui me souffle à l’oreille que oui, ça peut marcher.

La conversation qu’ils entreprenaient pouvait porter deux tournants tout à fait différents. Ezra savait que si Ginny venait vers lui, qu’elle lui narrait sa version des faits, qu’elle lui faisait un résumé de ces prétendues-vacances, c’était parce-qu’elle avait confiance en lui. Qu’elle savait qu’ils pourraient en discuter. Mais il ne mettait pas de côté que cette conversation pouvait, mine de rien, tourner vinaigre très rapidement s’il se laissait aller trop loin à ses pensées. Car, lorsqu’il s’agissait des parents de Ginny, elles n’étaient jamais des plus douces. Alors il amorçait la chose doucement, tâtait du bout du pied le terrain pour être sûr que le sol n’irait pas s’effondrer de suite. « Je pourrais ne pas les croire, Ez. Je pourrais rester sur mes craintes, et mes doutes, et toute la colère qu’ils m’ont faits accumuler pendant des années. » Oh, qu’elle pourrait. Elle avait de tout ça surement un stock plus grand que le monde entier, stock qu’Ezra pourrait alimenter si pénurie venait à pointer le bout de son nez. Ce n’était pas juste de penser à ce genre de chose dans ces moments là, alors qu’elle y était allée en paix, armes déposées, mais il ne pouvait s’en empêcher. Son instinct lui disait, lui criait qu’ils ne pourraient jamais faire complètement confiance aux parents McGrath. « Mais je suis exténuée. De tout ça. Et ils le sont eux aussi. » Mais, et c’était ce qu’il le perdrait, il avait davantage confiance en Ginny. Parce-que malgré les années passées, il y avait des choses qui ne changeaient pas vraiment. Sa confiance en elle avait toujours été plus qu’aveugle. « Je ne dis pas que tout va bien aller, que j’ai une confiance absolue en eux, que tout redeviendra comme avant non plus. Je n’en veux pas, du avant. » Un léger poids sembla se retirer de lui-même lorsqu’il entendit ces mots prononcés par la jeune femme. Ils n’avaient donc pas réussi à complètement la bercer d’illusions, c’était déjà un bon point. Elle était toujours aux commandes de sa relation avec eux. « T’auras tout le loisir de me dire "j'te l’avais dit" si je me plante à leur sujet. » Ezra vint secouer légèrement la tête, les sourcils légèrement froncés désormais. Même si la situation s’y prêtait, même si les parents de Ginny se relevaient être simplement ce qu’ils étaient dans le fond, il serait bien trop préoccupé à savoir comment Ginny en ressortait pour se rappeler à lui dire qu’il l’avait prévenu. Peut-être plus tard, dans quelques années. Quand ils passeraient des Noëls, familles réunies, devant un feu de cheminée - peut-être que là il s’autoriserait, un sourire nostalgique, à lui rappeler qu’il avait eu raison tout du long. « C’est une impression. C’est dans la façon dont ils s’adressaient à moi, comment ils me regardaient. Je pense qu’ils commencent à me voir comme une personne entière et… et c’est ce que j’ai toujours voulu d’eux. » Leurs pas qui se remettaient à danser ensemble, à l’unisson, comme si un chef d’orchestre se trouvait là caché quelque-part derrière un banc. Ezra jeta au long à coup d’oeil à Noah, qui attendait sagement à quelques mètres du bord de route, pour traverser vers le parc - ou était-ce parce-qu’Ezra n’arrêtait pas de lui faire croire que lorsque le bonhomme piéton était rouge, le sol était de la lave ? A méditer. Mais rien qu’à penser au grand garçon qu’il devenait, l’image vint lui tirer un sourire supplémentaire. Et il se dit là, dans l’instant, que peut-être effectivement Ginny pouvait avoir raison. Que ses parents pouvaient faire des efforts, qu’ils pouvaient avoir changé. Ou du tout du moins juste ce qu’il faut. Ne pas trop leur en demander, juste espérer assez qu’ils s’osent à faire le déplacement par exemple pour venir voir leur petit fils à Noël. Cela pourrait un bon début. Mais dans ce genre de situation, Ezra ne les croirait que s’il voyait ça de ses yeux - et les deux McGrath séniors, à l’instar du McGrath junior, prenaient un malin plaisir à l’écarter de tous les éléments de leur vie. « Tu les connais mieux que moi, après tout. Si tu sens que c’est le bon moment pour eux pour revenir dans les parages… Je te crois. » Ca lui faisait mal d’avouer ça, encore plus à haute voix qu’à travers ses simples pensées, mais c’était vrai. En Ginny, il avait amplement confiance. Complètement, confiance. « Et je suis sûr que Noah serait ravi de pouvoir les revoir, tu sais. Malgré tout. » Un petit sourire, léger là, teinté d’une certaine tristesse, s’étira sur les lèvres d’Ezra. « Il a de la chance d’être encore dans son monde d’enfant… » Il s’empressa de laisser sortir ces paroles avant de revenir à hauteur du petit diable, de lui attraper la main afin qu’ils puissent enfin traverser la route. Le parc s’étendait désormais à leurs pieds, et ce ne fut qu’à ce moment là que Noah fut autorisé à vagabonder comme bon lui semblait. Sans grande surprise, les jeux à l’autre bout de l’étendue furent sa cible. Et comme s’il avait compris que ses parents n’avaient pas fini de parler, il ne les embêta pas de nouveau de suite. « Ca t’a fait du bien de retourner à Londres, en dehors de ça ? » Laisser trop longtemps les parents McGrath sur le tapis risquait d’attirer des ennuis - c’était prouvé. Mais Ezra savait que Ginny avait quand même passé un bout de sa vie là-bas, outre-mer, et qu’il y avait forcément un petit côté satisfaisant de retourner dans un endroit qu’on avait appelé chez soi.

C’est attendrissant de voir comment Ezra regardait Noah. Je ne m’en lasserais probablement jamais. À plusieurs reprises, je me surprends même à laisser mes iris couler du visage de l’un vers le visage de l’autre, à y compter les ressemblances, à y voir tous les traits qu’ils se partagent, qu’ils se complètent. J’avais pu mettre le nez dans pléthores d’albums-photos d’Ez y’avait des années de ça, et du peu que je me souvenais, les deux étaient proches d’être des copies conformes au même âge. Et les mots s’additionnent, et les confessions se multiplient. Je retrouve dans notre échange le peu de contenance qui m’avait manqué à l’autre bout du globe quand j’avais eu envie d’envoyer valser mes principes, quand j’étais à deux doigts de tout laisser derrière pour revenir ici, bredouille, bien plus tôt dans le processus. Mais d’avoir à présenter mes arguments à Ezra, d’avoir à les mettre en mots, à les concrétiser pour bien les lui expliquer, et surtout lui exposer mon point de vue le plus honnêtement possible, tout ça me permet d’y voir un peu plus clair. De refaire le trajet de mes pensées, de repasser par chaque étape, de comprendre le pourquoi du comment derrière, de l’assumer un peu mieux. Il écoute, il est attentif, il ne m’interrompt pas, répond lorsque je le lui demande. Il est patient Ez, il l’a toujours été avec moi, il s’est adapté à mon rythme du plus loin que je me souvienne et je ne pourrai jamais assez le remercier. Parce qu’il savait aussi à quel point les scénarios se multipliaient toujours dans ma tête, à quel niveau j’arrivais à me noyer dans mes interrogations et dans mes idéaux toute seule, all by myself.  « Tu les connais mieux que moi, après tout. Si tu sens que c’est le bon moment pour eux pour revenir dans les parages… Je te crois. » mais s’il y a bien un endroit, un moment, un canevas sur lequel je ne me sens pas seule justement, c’est celui-là. Mes iris s’accorchent à ceux d’Ezra, ils y restent aussi longtemps que nous en avons besoin l’un et l’autre. Il me fait confiance, je n’aurais jamais même cru cela possible il y a encore peu de temps. Et je lui fais confiance tout autant. « Je te mentirai pas, il reste une minuscule part de moi qui se méfie d’eux encore trop pour céder entièrement ; mais j’essaie de la garder silencieuse le temps qu’ils aient le bénéfice du doute. » ma voix est triste, nostalgique un peu. De la Ginny qui croyait tout si facilement, de la Ginny que j’avais personnifiée si longtemps, la candide. Celle qui ne se méfiait pas des gens qu’elle aimait. Celle qui avait une confiance absolue en sa famille parce qu’à ses yeux, ils étaient les seuls qui ne me briseraient jamais. Quel gâchis. « Et je suis sûr que Noah serait ravi de pouvoir les revoir, tu sais. Malgré tout. » à son sourire un brin désolé, le mien s’ajoute doucement.  « Il a de la chance d’être encore dans son monde d’enfant… » « Oh, tu sais, je suis plus souvent une enfant que lui. Et ça, ça étonne personne. » il n’y avait qu’à compter le nombre de fois où il me pointe du doigt quand je mangeais et me retrouvais tachée de partout. Quand je préférais jouer aux jeux vidéos plutôt que d’aller dormir. Quand chaque virée vers l’école se terminait en chasse à l’homme à travers les buissons longeant les trottoirs. Noah avait une maturité épatante pour son âge, il avait survécu à bien des épreuves avec un courage qui me fascinerait toujours et rien que pour ça, il avait une grande, une énorme longueur d’avance sur nous tous. Mais en effet, encore aujourd’hui, il n’était qu’un enfant. « Mais ouais, il est bien là. Il mérite de rester un gamin encore un peu, il mérite qu’on garde ça loin de lui le plus possible, qu’on règle tout pour qu’il profite que du bon qui en retourne. » c’était ça la priorité maintenant. D’agir à titre de cocon de confort, de permettre à notre fils de grandir en douceur, de ne plus rien presser désormais. Il n’en avait plus besoin.

De l’autre côté de la rue, Noah file comme une flèche, mes pas restent aux côtés de ceux d’Ezra sans que ni lui ni moi nous ne nous pressions. Ça arrivait souvent de toute façon ces derniers temps, où on prenait des moments à deux, où on s’assurait de partager l’un à l’autre les nouvelles, les divers éléments qui changeaient, qui s’adaptaient. J’avais parfois l’impression aussi cruelle que salvatrice que toutes ces années à ne plus se parler nous avait rendus avares de conversations. On n’arrivait jamais à arrêter de parler, on tentait toujours de tout dire, la vérité comme ligne de conduite. « Ca t’a fait du bien de retourner à Londres, en dehors de ça ? » sa question donc, ne m’étonne pas le moins du monde. En situation inverse, j’aurais posé la même. « C’était… étrange. Par moments oui, beaucoup de bien. Ça m’a permis de fermer certains dossiers, d’en ouvrir d’autres.  » tous ces lieux qui avaient été des endroits de paix, de repos, de petits exutoires, des oasis pendant les instants plus difficiles. Comme un pèlerinage par le passé où j’avais retrouvé mes habitudes, où j’avais effleuré du bout des doigts des souvenirs qui faisaient du bien, en tentant de garder le plus loin possible ceux qui faisaient mal, ceux qui étaient rattachés aux moments les plus sombres de ces quelques années d’exil. Un drôle d’équilibre au final, où je m’étais retrouvée troublée moins souvent qu’apaisée, en paix. Au moins. « J’étais soulagée aussi, qu’Isy soit là. C’était pas grand-chose, mais ça a fait une grande différence, surtout au tout début quand ils… quand mes parents ont pas rendu la tâche facile à personne. » Ezra savait que je ne partais pas seule, même si je n’avais pas abordé des masses de détails non plus. Je n’aurais jamais pu penser laisser qui que ce soit traîner autour de Noah sans le présenter à Ezra de toute manière, et dans ce cas-ci, Isy avait été autant un support durant toute la convalescence de mon fils que durant l’après. Londres aurait été une toute autre épreuve s’il n’avait pas accepté de m’y suivre.

« Je te mentirai pas, il reste une minuscule part de moi qui se méfie d’eux encore trop pour céder entièrement ; mais j’essaie de la garder silencieuse le temps qu’ils aient le bénéfice du doute. » Il avait confiance, mais une partie de lui l’aurait pensé folle de ne pas avoir au moins cette retenue, ce petit panneau attention, danger. Le bénéfice du doute suffirait amplement à tout le monde pour le moment. Et même s’il sentait que ça tiraillait Ginny de l’intérieur de devoir leur laisser au moins ce bénéfice là, ils savaient tous les deux que c’était plus que nécessaire pour que la situation avance vers l’avant - vers le meilleur. « Oh, tu sais, je suis plus souvent une enfant que lui. Et ça, ça étonne personne. » Malgré le tournant sérieux de la conversation, un petit sourire ne put s’empêcher de se glisser aux coins des lèvres d’Ezra. Bien sûr qu’elle était encore une enfant, et bien sûr qu’ils devaient s’en donner à coeur joie Noah et elle le soir à la maison à jouer à celui qui sera plus enfant que l’autre. Il n’en doutait pas un instant. « Mais ouais, il est bien là. Il mérite de rester un gamin encore un peu, il mérite qu’on garde ça loin de lui le plus possible, qu’on règle tout pour qu’il profite que du bon qui en retourne. » Un hochement de tête fut perceptible de la part d’Ezra, le regard porté au loin sur le gamin qui courrait à vive allure, profitant pleinement de chaque instant. Le plus loin les soucis de famille restaient de Noah, mieux le petit se porterait. Il avait déjà eu sa dose de problèmes pour toute sa vie, pas besoin que ceux de ses parents viennent s’empiler aux siens. C’était à Ginny, et à lui, de s’arrangeaient pour que tout rentre dans l’ordre - et à ce moment là, ils incluraient Noah dans le plan. Et pour le moment, ce plan n’avancerait pas tant que les parents de Ginny ne daigneraient pas faire un pas vers eux, alors autant parler d’autre chose, alléger la conversation un petit peu. Rester sur Londres comme sujet, mais parler des à-côtés, des détails plus légers. « C’était… étrange. Par moments oui, beaucoup de bien. Ça m’a permis de fermer certains dossiers, d’en ouvrir d’autres. » Les oreilles d’Ezra qui restaient attentives au moindre mot, à la moindre parole qui lui indiquerait que ce séjour était arrivé trop tôt, trop vite. Il s’était assuré que Ginny était bien prête avant de retourner là-bas, il ne voulait pas qu’elle se mette en danger pour tenter de réparer une autre situation. Londres avait été sa maison, son cocon, son refuge pendant des années. Cependant, il l’était devenu de force, et cette action avait emporté avec elle tout un lot de traumatismes qui restaient encore douloureux dans les coeurs de tout le monde. Remuer le couteau dans la plaie n’était jamais agréable, mais s’il restait en surface c’était correct. Ezra voulait savoir jusque où il s’était enfoncé pendant le séjour, anticiper les répercutions de tout ça sur le futur. Alors il vint hausser un sourcil, prolonger son attention un instant de plus, laissant la jeune femme toute la place dont elle avait besoin pour s’exprimer avec le coeur. « J’étais soulagée aussi, qu’Isy soit là. C’était pas grand-chose, mais ça a fait une grande différence, surtout au tout début quand ils… quand mes parents ont pas rendu la tâche facile à personne. » Right, Isy. Ezra avait surement effacé un peu trop rapidement ce détail des aventures prévues dans la vie de Ginny. Pas que ce soit une surprise qu’il entende le prénom du jeune homme dans la conversation, Ginny ne lui avait rien caché quant au fait qu’il faisait le voyage avec elle. Juste qu’il avait du mal, encore pour le moment, à l’imaginer autour de Ginny bien plus longtemps que le temps d’un soin à l’hôpital, d’une oreille attentive quand il avait fallu. Il connaissait et appréciait Isaac, sans aucun soucis, et il ne renierait jamais l’aide qu’il avait apporté à sa famille dans un temps où les besoins avaient été immenses, submergeants. Mais il n’était toujours pas encore à l’aise, de manière générale, avec l’idée d’un homme qu’il ne connaissait pas réellement au bras de Ginny. « Ils l’ont rencontré ? » Peut-être des mots prononcés trop vite. Un brin de jalousie, une pincée d’inquiétude aussi avaient fait écho dans les mots du jeune homme. De la curiosité presque mal placée qui entourait tout ça. Il savait qu’il en faisait un quelque-chose pour rien, et il espérait juste que Ginny laisse ça de côté pour aujourd’hui, car il finirait par apporter assez de confiance à l’infirmier pour l’accepter complètement dans l’entourage de sa famille. « Je sais à quel point ils peuvent être assez… » Il mesurait tout de même ses mots. « Oppressants ? Concernant les personnes qui entourent leurs enfants… » Ezra se rappelait très bien de l’instant où il avait basculé du fils adopté au gendre non-idéal. Pas un super souvenir dans sa collection. Et il ne souhaitait à personne le regard du patriarche McGrath porté sur vous. Comme pour indiquer que la conversation continuait toujours sur un courant naturel, Ezra vint s’asseoir sur l’un des bancs près des jeux, là où la petite tête blonde réfléchissait au soleil. Un banc qui semblait devenir une habitude, car si sa mémoire était bonne, ils s’étaient déjà arrêtés sur celui-là la dernière fois. « Il en est ressorti vivant ? » Il s’obligea à tirer un petit sourire, là, en coin, pour montrer que la blague était de mise, toujours. Si la conversation avait été différente, si elle n’avait pas porté autant de teintes sérieuses, peut-être qu’il aurait ajouté un commentaire sur la santé mentale du jeune homme. Mais la santé mentale et les McGrath ne formaient pas une bonne paire, et il ne voulait pas ajouter une ombre au tableau qui portait des couleurs appréciables jusque là.

« Ils l’ont rencontré ? » « Oui. » mon regard était perdu vers mon fils, peut-être même volontairement. C’était toujours un peu irréel de parler d’Isaac avec Ezra, même les plus petites mentions au détour d’un éclat de rire de Noah. J’imaginais que c’était la même chose pour Ez, que parler d’une de ses conquêtes avec moi devait toujours être un peu plus délicat. Et l’espace d’un instant, je réfléchis, j’y pense vraiment. Ezra ne m’avait pas parlé d’une personne partageant sa vie, partageant son quotidien, jamais. Si je n’osais absolument pas penser qu’il me mentirait à ce sujet, comme j’avais pris la décision de lui dire de mon côté, j’imaginais simplement que du sien, il m’en parlerait en temps venu. « Je sais à quel point ils peuvent être assez… Oppressants ? Concernant les personnes qui entourent leurs enfants… » mon nez se fronce, mes yeux finissent par se tourner à nouveau vers Ezra une fois qu’on est bien posés sur notre banc habituel, qu’on vient d’effectuer l’une des dizaines de routines et autres chorégraphies qu’on a apprises par coeur sans même le réaliser depuis qu’on est parents, depuis qu’on l’est officiellement, à deux. « J’étais certaine que tu serais encore plus coloré pour les qualifier. T'as de la ressource. » un léger rire glisse sur mes lèvres. Qu’il ne se sente pas l’obligation d’être poli envers eux non plus, il avait tous les droits de lâcher son air. Je n’étais absolument pas là pour le censurer, pour le juger dans ses commentaires même si certains les déclareraient déplacés. Il avait gagné de souffler après tout le mal qu’ils lui avaient affligé au fil des années. « Il en est ressorti vivant ? » une longue inspiration entre doucement à l’intérieur, réchauffe ma silhouette qui s’adapte comme elle peut aux journées un peu plus fraîches des derniers temps. « Il a fait ça comme un grand. » la vérité étant que j’avais fait très, très attention pour impliquer le moins possible Isy en situation de drame. Il était venu se greffer à nous en fin de voyage, il était arrivé au bon endroit au bon moment, et même si j’étais terrifiée à l’idée qu’ils lui réservent un terrible accueil comme leur réputation les précédant semblait toujours vouloir confirmer, tout s’était particulièrement bien passé.

Le seul soucis avec mes parents, restait toujours le compte à rebours, la bombe à retardement qu’ils personnifiaient. Et je ne pouvais que me faire violence en espérant oublier mes craintes de les voir revenir  me briser du revers au moment où je ne m’y attendrais absolument pas. « Maman… elle a rien confirmé, mais quand je suis passée avant de partir, elle m’a mentionné qu’ils prévoyaient peut-être venir à Brisbane d’ici la fin de l’année. » et je reprends la conversation, mes prunelles toujours dans celles d’Ezra. Mes mots sont lents, je sais qu’il me verra venir à des kilomètres à la ronde. Mais pourtant, je prends mon temps, probablement même inconsciemment, rien que pour m’assurer qu’il ait la latitude de se faire à l’idée avant même que les demandes officielles ne viennent à ses oreilles. « Je sais que je t’en demande énormément, et je veux que tu te sentes hyper à l’aise d’accepter comme de refuser. » je l’imagine déjà m’encourager, me presser à parler, à tirer sur le pansement vigoureusement une bonne fois pour toute. « Mais s’ils viennent, et si tu en as envie, crois-tu que tu… que tu pourrais être là? Avec Noah, et moi? » un haussement d’épaules, un sourire presque triste qui l’accompagne. « Tu mérites aussi de mettre toute cette histoire-là derrière toi. » une bonne fois pour toute.

« Oui. » Oui. Oui, Isaac avait rencontré les parents McGrath. Un sentiment étrange vint à s’emparer d’Ezra à ces mots, et en même temps il ne savait pas s’il était content pour Isaac ou désolé pour lui de les avoir rencontré. Après tout, ce n’était pas forcément évident, quand c’était aux côtés de Ginny que cela se produisait. Jill et Matt pouvaient leur faire connaître n’importe qui, ça passerait, ils hocheraient la tête volontiers, afficheraient des sourires ravis. Côté Ginny, ils grinçaient plus souvent des dents. S’il n’était pas tant concentré à ne pas faire une moue presque déçue, Ezra pourrait rire du fait que tout ça, toute cette crainte et inquiétude autour de leur fille, c’était à cause de lui à dire vrai. Il avait été le premier à être annoncé officiellement comme petit-copain, et ce après avoir installé la vie en elle. Autant dire que ça n’avait pas plu aux beaux-parents, et que s’ils étaient sur la défensive depuis c’était de sa faute. A tel point qu’ils avaient tenté de chercher un gendre par leurs propres moyens, c’était pour dire. Ces quelques pensées vinrent tempérer tout ce qu’il se passait là, à l’intérieur, un instant. Ces nouvelles émotions n’avaient pas été prévues au programme et Ezra devait apprendre à composer avec sur le tas - et même s’ils s’étaient promis la vérité à toutes épreuves, Ginny n’avait pas besoin d’avoir un aperçu de tout ça, pas maintenant - ça la ferait culpabiliser et ce n’était pas l’intention. Alors il repartit de plus belle sur la conversation, mentionnant les parents de la jeune femme et leur façon bien à eux, si chaleureuse, d’accueillir les nouveaux arrivants dans la famille. Contrôlant ses dires, ajustant ses mots. « J’étais certaine que tu serais encore plus coloré pour les qualifier. T'as de la ressource. » Avec le petit rire qu’elle saupoudra sur tout ça, bien sûr que le coin des lèvres d’Ezra se releva quelque peu. Bien sûr qu’il pourrait être plus coloré quand il parlait d’eux. Bien sûr qu’il savait utiliser d’autres adjectifs pour les décrire et il savait, au fond de lui, qu’elle ne lui en voudrait pas. Mais ils essayaient tous d’avancer dans une direction nouvelle, vers un chemin où les mauvaises intentions ne devaient plus avoir lieu. Il fallait qu’il s’y fasse d’avance, qu’il commence à s’entrainer, pour réussir parfaitement à la suite. C’était pour cette finalité en tous cas que Ginny avait décollé pour Londres. Pour donner une seconde chance à cette famille qui avait éclaté jusqu’à son plein coeur depuis bien trop longtemps. « Maman… elle a rien confirmé, mais quand je suis passée avant de partir, elle m’a mentionné qu’ils prévoyaient peut-être venir à Brisbane d’ici la fin de l’année. » La conversation qui reprit de plus belle dans la bonne direction, elle aussi. Vers une finalité, vers un quelque-chose nouveau. L’oreille d’Ezra était tendue, ses yeux ne lâchaient pas ceux de Ginny - tout en ayant quand même un oeil sur le gamin, de quoi vous coller un strabisme à vie -, et toute son attention s’arrêtait sur la suite de ses mots. Elle avait peut-être obtenu là-bas quelque-chose qu’elle n’avait su trouver tous ces mois écoulés ici. « Je sais que je t’en demande énormément, et je veux que tu te sentes hyper à l’aise d’accepter comme de refuser. Mais s’ils viennent, et si tu en as envie, crois-tu que tu… que tu pourrais être là? Avec Noah, et moi? » Un instant, le silence s’installa. Ezra était à la fois surpris par les paroles de la jeune femme, ce qu’elle lui demandait, ce que ça impliquait. Il semblait se perdre de nouveau dans tout un tas de pensées, de souvenirs d’un autre temps mélangés à ceux de l’instant présent. Comme si un boomerang retenu trop longtemps en atmosphère revenait à lui. Revoir les parents McGrath. Vraiment les revoir. Pas juste à travers des paroles, à travers des photos, à travers toutes ces choses qui avaient permis de les laisser dans un coin de la réalité, sans pour autant trop les oublier. « Tu mérites aussi de mettre toute cette histoire-là derrière toi. » Il vint inspirer un grand bol d’air, retenant le silence de son côté un instant de plus encore. Ses yeux qui en vinrent à naviguer un instant entre Noah et Ginny. Ils méritaient totalement que les deux McGrath séniors fassent le déplacement. Ils méritaient de pouvoir remettre le train sur les rails, prêt pour de nouvelles aventures. Mais avait-il envie de monter à bord de ce train, tant familier, tant étranger ? « Je… » ne sais pas, Ginny furent les premiers mots que son cerveau tenta de lancer à la dérobée. Et pourtant, seul le premier réussi à passer la barrière de ses lèvres. Comme si ces mots n’étaient pas le parfait reflet de sa pensée. Comme si la vérité n’y résidait pas de façon permanente. Certes, l’idée même d’être de nouveau confronté à ces ex-beaux-parents qu’il avait pourtant apprécié si longtemps ne l’enchantait pas particulièrement, il savait au fond de lui que sa place serait aux côtés de Ginny, aux côtés de Noah. Pour leur tenir la main, pour les soutenir, pour créer de nouveaux souvenirs. « Ce serait peut-être pas une si mauvaise idée. » Il avait enfin réussi à sortir de son mutisme passager, les mots n’étant pas pour autant prononcés avec beaucoup vigueur. « Mais… Si je les vois de nouveaux, je veux pas que Noah soit là… » Son regard se plongea dans celui de Ginny. « Pas la première fois en tous cas. » Une petite moue désolée, attristée par son propre comportement, prit place sur ses lèvres. Il s’en voulait de réagir de la sorte, de ne pas simplement se dire que tout irait bien et que tout serait facile; que les temps avait arrangé les choses et que l’appartenance à la même famille serait bien plus importante que le reste de l’histoire de cette dernière. « Si on veut mettre un terme à toute cette histoire, je veux pouvoir le faire vraiment, et pas avoir à me retenir de dire quelque-chose parce-que Noah est là avec ses oreilles curieuses. » Parce-que le petit était de ceux qui comprennent, de ceux qui analysent. Et qu’il saurait tôt ou tard que la situation était bien plsu grave qu’annoncée au début. Et qu’Ezra ne voulait pas que son ressentit concernant les parents McGrath soit à la vue de Noah et que ce dernier le calque sans apprendre à les connaître de nouveau, en étant grand désormais. Ils savaient être des gens charmants, à dire vrai, quand ils le voulaient. « Mais il faut déjà qu’ils viennent jusqu’ici pour que ça arrive… Mais oui, s’ils viennent, je ferai un effort. » Ca lui couterait, mais il le ferait.

« Je… » et j’inspire, je dis rien, me complais dans un silence qui lui laisse toute la place à Ezra. Parce que j’ai déjà tant parlé, parce que j’ai déjà tant monopolisé la moindre bribe de conversation, qu’il devrait se sentir plus qu’à l’aise maintenant de partager ce qu’il a envie de me dire. J’attrape son regard au vol lorsqu’il daigne me le donner, je fixe mes prunelles aux siennes sans détourner la tête, sa suite que je ne presse pas, mais que j’attends plus que n’importe quoi. « Mais… Si je les vois de nouveaux, je veux pas que Noah soit là… Pas la première fois en tous cas. » qu’il commence, me donnant l’impression qu’il se fait mal à dire ça, qu’il doute de ma réaction selon ce qu’il avance. C’est qu’Ezra ne voit pas pour l’instant, mais que je tenterai de tout mon cœur de lui faire savoir dès qu’il me l’autorisera c’est que justement, il a le droit de faire de telles demandes, de poser ses limites. Pendant toute ma vie mes parents se sont donné ce rôle, et avec le Beauregard, ils étaient allés même au-delà de toutes restrictions possible et inimaginables à imposer leur façon de faire, leur façon de penser. Le juste retour de l’ascenseur me paraît bien faible, et son inquiétude d’y mêler notre fils n’est que parfaitement fondée. « Si on veut mettre un terme à toute cette histoire, je veux pouvoir le faire vraiment, et pas avoir à me retenir de dire quelque-chose parce-que Noah est là avec ses oreilles curieuses. » un sourire aussi triste que compréhensif vient trouver mes lèvres, fait écho au sien. Noah qui s’éclate à l’instant, qui ri comme si le monde entier allait bien, comme si tout ce qui se tramait entre ses parents et ses grands-parents n’avait pas la moindre chance de lui faire du mal, n’avait absolument rien pour impacter sur son bonheur. Il est si naïf et si doux, il s’amuse à un point où je m’égare vers lui quelques minutes de plus, revient ancrer mon coup d’œil dans celui d’Ez dès qu’il reprend doucement la parole. « Mais il faut déjà qu’ils viennent jusqu’ici pour que ça arrive… Mais oui, s’ils viennent, je ferai un effort. »

Et délicatement, au ralenti, ma main vient prendre la sienne, mes doigts s’enlacent aux siens avant que j’hoche légèrement de la tête, que j’acquiesce en silence. « Je respecte ça. Je t’en demandais beaucoup déjà et juste que tu acceptes… » mes mots restent en suspens, il sait que tout tourne si vite dans ma tête, que j’avais tant anticipé le pire, que le simple fait qu’il ait dit oui, malgré ses conditions louables, est suffisant. Mes épaules se détendent, mon souffle tente de reprendre un rythme régulier, je finis par faire de l’ordre dans ma tête à travers ses différentes questions, ses interrogations qui n’en sont pas vraiment, ses constatations qui frôlent de près les miennes. Vont-ils vraiment venir jusqu’ici? Était-ce une ruse de maman, ou sont-ils désormais prêts à faire plus que ruminer le passé de leur côté sans jamais voir, sans jamais croire à un futur possible ? « Y’a rien de confirmé. Ils en ont parlé, mais ils n’ont rien avancé de concret qui voudrait dire qu’ils vont aller de l’avant. Ils savent qu’ils ne sont pas sur leur terrain de jeu ici, mais sur le nôtre. » et j’hausse doucement de l’épaule, réalise au fur et à mesure que si vraiment, ils viennent, c’est tout un univers qui change, c’est tout un monde qui s’ouvre à nous, c’est tout un champ de possibilités que je n’aurais jamais pu croire avoir envers eux. Parce que cela voudrait dire qu’ils sont prêts à me voir au-delà de leur gamine faible, de leur prunelle qui bat de l’aile, qui a besoin d’être constamment protégée. S’ils viennent, c’est qu’ils savent que je suis en mesure de reprendre le contrôle de ma vie, et que l’une des premières choses que je ferai en ce sens, c’est de les autoriser à y assister en avant-scène. « J’espère tellement ne pas me tromper sur eux. » que je finis par souffler, entre deux soupirs, le doute qui réussit toujours à s’immiscer dans mes pensées, que je tente de balayer du revers tout de même. Mais que je ne m’autorise pas à cacher à Ezra, jamais. « Mais je pourrai jamais le savoir tant que j’aurai pas essayé. Tant qu’on aura pas essayé. » ma main serre la sienne un peu plus fort. « Merci. » il l’ignore probablement, mais de savoir qu’il sera présent ce jour-là, qu’il est prêt à aller de l’avant lui aussi, ça compte énormément, ça compte plus que tout à mes yeux.

Même si le geste le surprit quelque peu, qu’il n’osa bien sûr le montrer, Ezra accepta volontiers la main de Ginny au creux de la sienne. Elle qui n’était pas très tactile jusque maintenant, jusqu’à temps qu’ils se retrouvent vraiment - il appréciait énormément ce changement de situation dernièrement. « Je respecte ça. Je t’en demandais beaucoup déjà et juste que tu acceptes… » Il inspira une fois, renouvelant l’air dans ses poumons, dans tout son corps. « Je sais. » Dit d’une voix presque distraite. Mais c’était là la vérité. Il savait à quel point ça pouvait la toucher, parce-qu’il connaissait par coeur et sur le bout des doigts la relation si singulière qu’avait Ginny avec ses parents. Il connaissait les yeux fermés la façon dont leur présence dans sa vie était importante, aussi étonnant que la situation puisse paraitre. Il comprenait, parce-que parfois il avait le même ressentir et le même comportement concernant son propre père. Les faits ne définissaient pas les gens, et il tentait de garder ça en mémoire le plus longtemps possible, si fort, pour continuer de laisser couler cette conversation. Les faits ne définissaient pas les gens et peut-être que les parents McGrath pouvaient réellement changer avec le temps. « Y’a rien de confirmé. Ils en ont parlé, mais ils n’ont rien avancé de concret qui voudrait dire qu’ils vont aller de l’avant. Ils savent qu’ils ne sont pas sur leur terrain de jeu ici, mais sur le nôtre. » Car lorsque tous les McGrath avaient été réunis à Brisbane avec Ezra la dernière fois, la ville était leur terrain de jeu commun à tous. Ils le partageaient, l’appréhendaient, le connaissaient tous. Désormais, l’exile des parents de Ginny avait permis de rendre à César ce qui appartenait à César - et rentre le terrain de jeu à Ginny et Ezra. Désormais, c’était eu qui éditaient les règles et ils n’auraient pas d’autre choix que de les accepter, en venant dans le coin. « J’espère tellement ne pas me tromper sur eux. » Ezra tourna son regard vers Ginny, analysant le moindre changement d’émotion sur son visage, anticipant la moindre déception à venir - et malheureusement, la liste était déjà longue. Car même si Ginny était lucide désormais sur le comportement de ses parents et ce que ce dernier impliquait, il était normal que ses espoirs se retrouvent grossis en ces temps. Il y avait tant à espérer d’une telle situation, tant de belles choses qui pourraient en ressortir. « J’espère aussi. » Pour elle, il l’espérait. Si Ginny se trompait, en revanche, sur ses parents, Ezra n’en serait pas plus surpris que ça. Il ne serait jamais complètement guéri du premier coup de poignard dans le dos qu’ils lui avaient mis. « Mais je pourrai jamais le savoir tant que j’aurai pas essayé. Tant qu’on aura pas essayé. » La main de Ginny qui vint serrer un peu plus fort celle d’Ezra, déclenchant une légère slave de frissons le long de la colonne du jeune homme. Un sourire quelque peu étiré de sa part à lui, en direction de la jeune femme. « Merci. » Son sourire qui vint s’agrandir davantage. ils avaient beau être à un endroit complètement différent désormais, entre eux deux, Ezra savait qu’il ne pourrait cesser de s’inquiéter pour son bien-être. Et si cela passait par revoir ses convictions, par repenser certains situations - bien sûr qu’il tenterait de faire au mieux. Mais maintenant, il savait surtout que les enjeux étaient bien plus importants, que tout ceci ne dépendait plus que d’eux depuis bien longtemps. Déposant un léger baiser sur le front de Ginny, il finit par venir porter son regard sur la petite tête blonde attentive qui courrait dans leur direction. Leur enjeu le mieux réussi. « C’est à lui qu’il faut dire merci. » Et le sourire de la fierté qui s’encrait dans le visage d’Ezra ne laissait pas de place au doute.