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 lonely day (norah)

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Message(#)lonely day (norah) EmptyLun 3 Juin 2019 - 0:10

Pour Stephen, ç'avait toujours été compliqué de se rendre au cimetière. Le brun avait du mal à franchir le portail de ce lieu chargé d'une atmosphère qu'il jugeait négative, et chaque fois qu'il garait sa voiture sur le parking c'était le même rituel qui s'annonçait. Il mettait de longues minutes à sortir de son véhicule, frappé tant par l'étrangeté de la situation -être veuf à vingt sept ans n'avait rien de commun- que par la douleur qui battait dans sa poitrine à chaque visite. C'était son amour qui était enterrée à quelques mètres de là, au fond d'une urne ; son étoile brillante et pleine de vie, la maman de sa fillette au caractère vif, qui se retrouvait désormais réduite en poussière dans l'insalubrité d'un caveau froid et glacial. C'était sans doute cette image que Stephen avait le plus de mal à assimiler. La maladie avait été bien trop rapide, trop agressive, et lui peinait à garder la tête hors de l'eau, le souvenir d'une femme rayonnante qu'il aimait d'un amour fou encore ancré dans sa mémoire. Même s'il était conscient qu'elle ne reviendrait pas, l'imaginer ainsi six pieds sous terre le plongeait dans un mutisme duquel il avait du mal à se défaire.

Aujourd'hui encore, l'irlandais avait traîné les pieds en s'extirpant de sa voiture. Un pas après l'autre, il s'était rendu au fond du cimetière, sous un ciel gris qui n'augurait rien de bon. Les mains dans les poches, le regard rivé vers le sol, il se demandait toujours quand -si aurait été plus correct- il saurait être un jour en capacité de venir jusqu'ici sans sentir son cœur se briser à chaque avancée sur le gravier. Quelques mètres à peine le séparaient de la sépulture de Rachel, et c'est lorsque ses pieds se trouvaient face à cette tombe qu'il s'autorisait à se sortir du mode pilote automatique dans lequel il s'était glissé. "Salut" qu'il soufflait en relevant le menton, son regard croisant celui de sa femme dont la photo était apposée sur une croix en bois sobrement plantée devant une dalle de marbre froid. C'était toujours le même rituel. Un bonjour, puis une conversation silencieuse -et à sens unique- des dernières nouvelles. Anabel allait à l'aquarium avec l'école. La machine à laver était tombée en panne. Il avait fait griller les toasts ce matin. Autant de petites choses du quotidien qu'il lui lançaient dans l'espoir de ne pas sombrer, car dans les faits, tout ce que Stephen avait envie de dire lorsqu'il se tenait devant cette tombe était qu'elle lui manquait terriblement et que son cœur était brisé en mille morceaux depuis qu'elle était partie. La colère pointait souvent au bout de quelques minutes, découlant tout droit de l'injustice qu'il ressentait, et c'était généralement à ce moment ci qu'il quittait le cimetière en se terrant dans le silence pour le restant de la journée. Parfois Anabel venait et c'était différent, un peu plus animé, mais de façon générale c'était toujours le même schéma qui se répétait.

Une goutte. Deux gouttes. Alors que Stephen en était encore dans le récit mental de sa dernière crise de nerfs au cabinet, son visage quittait celui de la composition florale qui lui attirait le regard pour remonter vers le ciel. Gris et menaçant, ce dernier se mit à délivrer des trombes d'eau en l'équivalent d'une demi seconde. C'était une blague. Se protégeant en remontant son avant bras au dessus de sa tête, le brun fut pourtant incapable de bouger. Depuis quand s'en allait il sans dire au revoir ? Sans s'être suffisamment mis en colère pour abandonner la partie ? Il n'avait pas terminé, il voulait encore rester ... sous peine de finir noyé. Dans une volonté presque invisible de faire coordonner ses pieds et sa tête, il remarquait à peine une silhouette féminine qui s'approchait... et qui le sauvait des litres de pluie en partageant son parapluie. Ce n'est que lorsqu'il commençait à s’apercevoir que plus rien ne cliquetait sur son crâne que Stephen releva le menton pour croiser le regard de.. Norah. "Vous.. " La surprise se lisait dans son regard, car si jusqu'à présent la jeune maman était une figure familière pour le brun, ils ne s'étaient encore jamais parlé. Il l'avait vue une première fois à l'hôpital, aux côtés d'Alfie, puis un nombre incalculable de fois ici même, à quelques dizaines de mètres. La fille de la tombe d'à côté ; celle qui abritait le cercueil de son mari si ses investigations en papier mâché avaient été menées à bien. La curiosité piquait rarement Stephen mais dans le cas présent, Norah Lindley était un visage qu'il avait croisé bien trop souvent pour ne pas se questionner sur son histoire. "Merci. Je n'aurais pas su m'enfuir." qu'il soufflait finalement dans un rire nerveux. Était ce une phrase normale ? Probablement pas. Mais il n'y avait rien de normal à toute cette situation alors autant parler sans filtre.

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Message(#)lonely day (norah) EmptyLun 3 Juin 2019 - 19:55

LONELY DAY
the most lonely day of my life
Immobile devant l'entrée du cimetière, Norah observait silencieusement le portail aux barres métalliques peintes en noir. Elle connaissait cet endroit par coeur tant elle s'y rendait régulièrement depuis bientôt trois ans. Ce lieu de recueillement avait l'avantage d'être riche en végétations. De nombreux arbres venaient protéger certaines tombes d'un ciel qui se voulait menaçant ce jour-là. Les nuages gris rendait l'endroit bien moins accueillant qu'en jour de grand soleil. Peut-être même un petit peu glauque. Bien qu'elle adorait les histoires de fantômes, Norah n'avait jamais eu le coeur à songer à cette passion lorsqu'elle se rendait au cimetière et à l'atmosphère qui s'y prêtait. Une partie du cimetière était historique. L'on pouvait trouver des sépultures qui remontaient au XIXème siècle et qui avaient beaucoup de charme. Mais quand elle allait rendre visite à Frank, les touristes qui venaient visiter avaient tendance à l'irriter plus qu'autre chose. Une fleur blanche d'une main, le parapluie dans l'autre, la jeune femme se décidait enfin à pénétrer dans le cimetière, le visage neutre, las, voire fatigué. Il y avait des jours où elle avait besoin de le voir, de se recueillir une énième fois, de lui dire encore et encore combien il lui manquait, combien il était difficile pour elle de voir les jours se suivre les uns après les autres alors qu'il n'était pas là. D'un geste grâcieux, elle déposait la fleur sur la pierre grise et froide. Il était rare de voir la tombe de Frank dépouvru de fleurs. Norah s'efforçait à ramener régulièrement un arrangement, ou ne serait-ce qu'une simple rose. Une preuve d'amour comme une autre, et surtout un signe qui indiquait qu'elle peinait toujours autant à se défaire du lien qu'elle partageait avec lui. Elle l'aimait tant. En témoignaient son alliance et sa bague de fiançailles qu'elle avait toujours sur son annulaire gauche. Aucun mot ne traversait sa bouche durant son recueillement. Un discours tacite qu'elle était la seule à entendre, et qui la fragilisait tellement qu'une larme s'échappait de ses yeux bleus. Les lèvres légèrement pincées, elle sursautait en sentant une goutte d'eau froide tomber sur le sommet de sa tête. Persuadée que ce n'était qu'une toute petite averse isolée, elle attendant que ce soit un véritable pluie diluvienne avant de dégainer son parapluie. Lors de son geste, ses yeux dévièrent et remarquèrent une silhouette familière. Elle ne connaissait pas son nom, elle ne savait quasiment rien de lui. Si ce n'est qu'il venait au moins tout aussi régulièrement qu'elle au cimetière, qu'il avait une personne qui lui était vraiment chère à pleurer et dont il n'arrivait pas à se remettre de la perte. L'image était d'autant plus triste lorsqu'elle avait remarqué qu'il n'avait rien sur lui qui lui permettrait de s'abriter avec cette pluie. Spontanément, elle s'approchait de lui. Elle n'avait qu'à lever le bras qui tenait le parapluie pour qu'il se protège des intempéries. Et Norah avait pu constater qu'il l'avait lui aussi reconnu. De visage, au moins. Elle avait cette étrange impression qu'ils se connaissaient depuis longtemps, alors qu'ils ne savaient quasiment rien de l'un l'autre. Norah esquissa un maigre sourire. "Difficile de s'échapper d'ici, pas vrai ?" lui répondit-elle en jetant un coup d'oeil sur la tombe devant laquelle il se recueillait. Elle était si jeune. Trop jeune. C'était injuste. "Je n'aurais pas pu partir non plus." Qu'il vente ou qu'il pleuve, Norah serait restée tout le temps dont elle aurait eu besoin. "Je suppose qu'il faut l'avoir vécu pour parvenir à comprendre ce que l'on peut ressentir." finit-elle par dire, son regard se levant vers lui, compatissant. Norah était convaincue qu'il était dans la même situation qu'elle. Que cette jeune femme, partie trop jeune, était son épouse, ou qu'elle avait un statut similaire. Le parapluie n'étant pas le plus grand qui soit, ils étaient plutôt proches de l'un l'autre, pour deux personnes qui ne se connaissaient que de vue. Mais au moins, ils étaient tous les deux au sec, si ce n'est leur pantalon.  "Je suis désolée." dit-elle en guise de condoléances, indiquant d'un bref regard la sépulture devant laquelle il l'avait trouvé. Norah l'avait aperçu pour la première fois à l'hôpital. Bien qu'elle s'était principalement focalisée sur Alfie le jour-là, elle se souvenait de son visage, de son chagrin. Une si grande peine qui ne lui était que familière, pour l'avoir ressenti elle-même. Et mettant de côté son propre deuil, elle voulait faire preuve de soutien autant que possible auprès de son ami. Ils étaient tous les deux assis par terre dans le couloir l'un à côté de l'autre, elle en tenue de travail. Norah l'avait pris dans ses bras, l'ayant enlacé longuement, parsemant ses cheveux et sa tempe de baisers occasionnellement. Souvent, il n'y avait pas besoin de mots. Ils n'en avaient pas échangé beaucoup à ce moment-là. "Il y a... quelque chose de rassurant, quand je vois que vous êtes là. Je me sens moins... seule ?" confessa-t-elle au bout d'un long moment de silence, ne sachant pas elle-même pourquoi elle se mettait sur le ton de la confidence. "Pas si seule que ça à me sentir coincée, à avoir l'impression que toute la vie continue et d'avoir l'impression d'être déconnectée de ce qu'il se passe autour." Elle baissa finalement la tête, à regarder ses chaussures trempées, se rappelant d'avoir parlé de ce même sentiment à Yasmine, quelques semaines plus tôt. Son amie était d'une bonne oreille, elle pouvait se faire une maigre idée de son ressenti. Mais Norah restait convaincue que l'inconnu à qui elle venait de parler était le plus à même de comprendre son vécu.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyMer 5 Juin 2019 - 14:52

Si le plus souvent, Stephen actionnait le pilote automatique lorsqu’il se rendait au cimetière, il y avait parfois des instants où cette condition quasi robotisée qu’il s’imposait s’estompait et où il prenait la mesure de ce qui l’entourait. C’était souvent en fin de visite, lorsque la colère s’amenuisait et qu’il se demandait bien si parler à une tombe saurait réduire sa peine un jour sans le faire virer cinglé ; pour le moment il n’avait pas encore réussi à avoir d’avis sur la question. C’était lors d’un jour comme celui-ci que le brun avait pris conscience de la présence de Norah à proximité immédiate ; physiquement et moralement, les deux se trouvaient dans ce même bateau des destins brisés qui les avait conduits dans cette même allée de ce même cimetière aux rangées de tombes symétriques, et cette femme qu’il avait croisé auprès d’Alfie à l’hôpital lorsque le décès de Rachel avait été prononcé, s’était au fil des mois imposée comme une figure familière dans ce lieu chargé d’émotions. Elle rendait l’atmosphère moins lugubre, l’endroit plus vivant -sans mauvais jeu de mot- mais si ce n’était pas la première fois que le regard de Stephen s’était attardé sur la silhouette longiligne de Norah Lindley, jusqu’à présent, ni lui ni elle, ne s’étaient laissés aller à converser, du moins, si l’on pouvait considérer que ce : « Difficile de s'échapper d'ici, pas vrai ? » représentait le début d’une conversation. "Je n'aurais pas pu partir non plus. Je suppose qu'il faut l'avoir vécu pour parvenir à comprendre ce que l'on peut ressentir." Soudainement, les gouttes d’eau ne lui tombaient plus sur le crâne. Elle était apparue de nulle part à ses côtés, lui offrant l’abri de fortune que constituait ce parapluie face à ces trombes d’eau qui s’étaient mises à tomber sans crier gare. Sans doute était-il déjà perdu dans ses pensées à son arrivée puisqu’il ne l’avait pas vue ; sûrement même. Quand bien même, si le brun avait eu les idées claires, il ne faisait pas l’ombre d’un doute qu’il y aurait réfléchi à deux fois avant de s’avancer jusqu’ici sans la moindre protection alors que le ciel s’était fait menaçant. Lorsqu’il venait, Stephen ne faisait que rarement attention au reste du monde, si ce n’est à cette femme qu’il croisait parfois et qui lui rappelait la douleur de cette après-midi de février dernier. "Je suppose qu'il faut l'avoir vécu pour parvenir à comprendre ce que l'on peut ressentir." Elle relevait le menton vers lui, un regard compatissant qu’il accueillait dans un hochement de tête. « Les pieds cloués au sol devant une photo.. » …et devant un constat désolant ; 1987 – 2018, ces dates sobrement gravées d’un liseré doré sur la dalle de marbre faisaient froid dans le dos. Un traumatisme, une claque en plein visage à chaque passage ; elle avait trente ans. « C’est stupide, pas vrai ? Mais quelque part ça me rassure si c’est la même chose pour vous. » Stephen quittait la tombe du regard pour accorder un peu plus d’attention à son interlocutrice. Elle se tenait proche de lui, du moins aussi proche que deux personnes partageant le même parapluie peuvent l’être, et lui qui d’ordinaire avait besoin d’une bulle de solitude lorsqu’il se recueillait devant la sépulture de Rachel trouvait sa présence presque rassurante alors que la pluie et le ciel grisonnants rendaient ce lieu terne et lugubre. "Je suis désolée." poursuivait elle presque simplement, et lui avec une triste habitude haussait à nouveau les épaules. Il aurait pu répondre, tomber dans le pathos et lui dire qu’elle lui manquait, ou même qu’il la détestait encore, mais ils avaient beau s’être vus plusieurs fois ; il ne connaissait pas cette femme, et ce n’était pas son genre de se livrer si facilement. « Moi aussi. Pour vous je veux dire. » qu’il précisait avec une pointe de retenue. Alfie lui avait vaguement expliqué sa situation -la même que la sienne à quelques détails près-, mais il doutait que la réciproque soit vraie. A vrai dire, ni l’un ni l’autre ne s’était penché dans de grandes discussions au sujet de l’infirmière durant les semaines qui avaient suivies le décès de Rachel, et maintenant cette présence lui était devenue comme familière, alors il entretenait ce mystère, passant parfois devant la tombe de Franck en se demandant quel genre d’homme il était de son vivant. "Il y a... quelque chose de rassurant, quand je vois que vous êtes là. Je me sens moins... seule ?" Après quelques secondes d’un silence à peine interrompu par la pluie qui tombait sur le sol, elle prenait la parole, suscitant un semblant d’émotion chez le brun qui quittait à nouveau la tombe du regard pour lui accorder son attention. "Pas si seule que ça à me sentir coincée, à avoir l'impression que toute la vie continue et d'avoir l'impression d'être déconnectée de ce qu'il se passe autour." Il esquissait un sourire ; non pas que cette situation l’amusait -au contraire- il était plutôt frappé par cette similitude qu’était leur vie. Lui aussi avait du mal à refaire surface, et pire encore, développait quelque chose qui ressemblait à un semblant de double existence depuis peu. Rachel, il y avait toujours Rachel, il y aurait toujours Rachel quelque part tant sa disparition avait été une sorte de coup de massue qui s’était abattu sur lui et dont la violence le laissait dans un traumatisme encore latent. Cette femme qu’il croisait souvent le renvoyait à son sort, et presque comme un miroir ; si elle tenait debout alors il tiendrait. Au moins dans l’enceinte de ce cimetière, là où tout était toujours plus compliqué que d’ordinaire. « On est toujours déconnectés ici, quelque part ça permet de renouer avec eux. » qu’il soufflait en désignant du menton la dalle de marbre sous laquelle reposait sa femme. Même si en toute honnêteté, pour le moment cette affirmation était purement hypothétique tant venir se planter devant la tombe de son amour ne lui avait jamais rien apporté de plus qu’un cœur brisé et de la colère. Son deuil n’était pas encore totalement accompli. « …enfin j’ai toujours un peu de mal à comprendre à quoi ça rime de venir » qu’il concédait toutefois avant d’embrayer rapidement sur un autre sujet, comme si ces quelques mots n’étaient pas acceptables ; et ils ne l’étaient sans doute pas, même si lui le pensait. « Je vous ai vu à l’hôpital, quand c’est arrivé. » avec Alfie. Mais Stephen ne savait pas s’il était bon ou non de préciser. Du menton il se contentait vaguement de désigner la tombe pour illustrer son propos, ce qui était assez explicite au final ; quand ma femme est morte.  « … on traverse la même chose, pas vrai ? Quelque part je ressens la même chose quand vous êtes là. » Puisqu’on n’arrache pas les êtres chers de personnes aussi jeunes qu’eux ; il lui semblait qu’elle était l’une des seules à pouvoir comprendre, alors même visuellement, qu’elle soit là lui retirait un peu du poids qu’il avait sur les épaules.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyJeu 6 Juin 2019 - 11:58

LONELY DAY
the most lonely day of my life
On aurait pu croire à une scène cliché d'un téléfilm d'après-midi. Le ciel chargé d'épais nuage ne laissant passer aucun faisceau lumineux, la pluie diluvienne qui humidifiat le sol d'un cimetière où il n'y avait que deux âmes incapables d'en sortir qui s'y trouvaient. Tous les deux abrités sous le parapluie, ils démarraient une conversation d'une façon bien particulière et qui pourtant ne suscita aucun malaise pour les deux. Les yeux rivés sur la sépulture de la dénommée Rachel, Norah était particulièrementt songeuse. A son travail, elle rencontrait la mort tous les jours. Cela faisait partie du cycle de la vie, dirait-on, et pourtant certains médecins voyaient encore cela comme un échec. Mais il est toujours plus difficile de voir quelqu'un de jeune partir. Qu'il s'agisse d'une maladie, d'un accident ou d'une mauvaiise loterie, on ressentait toujours une profonde injustice. On avait déjà reproché à Norah quelques fois de la trouver trop froide, trop distante, surtout après le décès de Frank. Sauf que les proches des patients ne se rendaient pas toujours compte que les soignants vivaient cela au quotidien, et que des mécanismes de défense se mettaient automatiquement en place, pour protéger leur santé mentale. Peut-être même que c'était une des raisons pour lesquelles les infirmières les plus âgées devenaient particulièrement aigries. Des larmes, elle en avait déjà versé après la perte de certains de ses patients. Elle n'était pas un robot, l'affect entrait parfois en jeu plus qu'on ne le voudrait. Et parfois, l'empathie ne suffisait pour palier à la difficulté de certaines situations à vivre en tant que soignant. "Je ne trouve pas ça stupide." lui assura-t-elle avec un sourire rassurant. "Ca m'arrive encore très souvent." Peut-être trop même, trois ans après la disparition de son mari. Norah avait été un témoin indirect de la cousine d'Alfie. Elle avait été là pour lui, elle ne l'avait pas questionné sur les circonstances de son décès, elle l'avait laissé exprimé ce qu'il avait besoin de dire. Parfois, le silence était le meilleur moyen de communiquer, ce creux laissant une place considérable à celui ou celle qui avait besoin d'extérioriser. Et parfois, on ne se disait rien. On pleurait, on enlaçait, on regardait dans le vide, mais l a simple présence, le fait de ne pas être seul, se suffisait à elle-même. Il n'en fallait pas plus. Anwar était très bien placé pour le savoir, ces longs moments où ni Norah ni lui étaient particulièrement loquaces. Ils se soutenaient dans le plus grand des mutismes, à partager une peine commune. La belle brune présentait ses condoléances (car il n'était jamais trop tard pour ça) et il lui rendit la pareille. Il se questionnait ensuite sur les réelles motivations de se rendre toujours aussi régulièrement se recueillir. "Une des raisons qui me poussent à venir toujours aussi souvent, c'est que je n'ai jamais pu lui dire au revoir avant qu'il ..." Norah savait qu'il la comprendrait. Elle n'avait pas eu la chance de pouvoir être à ses côtés, de lui murmurer quelques derniers mots d'amour et d'accepter son départ. Elle n'avait pas vu son corps se dépourvoir de ce qui le rendait vivant. Elle devait se contenter de sa dépouille, et de toutes ces choses qu'elle n'aurait jamais pu lui dire une dernière fois. Cela avait vite générer de la frustration et de la culpabilité. Des problématiques qui ne seront jamais résolues. Mais il avait raison sur un point. Dans cet endroit, on se sentait en dehors de tout. Un état d'esprit qui correspondait encore bien à celui de Norah. "Je me souviens de vous aussi." reconnut-elle. Ce n'était qu'un très bref échange de regard, rien de plus. Mais ce fut apparemment suffisant pour qu'ils aient souvenir de ce visage là. Ou alors, le fait de se croiser couramment au cimetière générait une impression de familiarité, de se connaître un peu plus que ce n'était réellement le cas. "Seulement, je ne me voyais pas vous aborder. Ni là-bas, ni ici d'ailleurs." Même si elle était la mieux placée pour partager sa peine, l'ayant elle-même vécu deux ans plus tôt. Mais quand leur regard s'était croisé, Alfie était déjà dans ses bras, totalement dévasté par la nouvelle. "On n'a pas vraiment envie que des inconnus vous abordent à ce moment-là, qu'on porte une tenue de soignants ou pas." Les soignants qui étaient pour prendre soin de son épouse, oui. Mais pas une qui débarque d'un service voisin, comme un cheveux sur la soupe. "Alfie avait besoin de moi." Les liens étaient vite faits : Alfie, anéanti, le veuf, dévasté, tous les deux dans le même service. Ils étaient liés, d'une manière ou d'une autre. Et Norah n'avait pas de raisons de cacher qu'elle connaissait Alfie. C'était peut-être une phrase un tantinet égoïste, ce qu'elle venait de dire, mais pourtant vrai. Quand elle l'avait vu, il n'y avait personne à proximité pour le soutenir. Le veuf avait également à férer son propre désarroi de son côté. Et elle ne pouvait décemment le laisser seul, adossé contre le mur du couloir. "Il a aussi été là pour moi, à sa propre manière." Ils ne se voyaient pas si régulièrement, pourtant. Cela avait commencé par une relation entre patient et infirmière et il avait été témoin du contraste flagrant au niveau de sa personnalité, après le décès de Frank. De façon présentiel, Anwar et Caelan étaient de ceux qui étaient le plus là, le plus à l'écoute, les plus disponibles quand elle en avait besoin (mais elle n'était pas du genre à demander de l'aide). Elle leur était éternellement redevable. Mais Alfie avait aussi sa part de mérite, car ses interventions ponctuelles et inattendues lui permettaient de sortir de sa tourmente infernale et surtout interminable. Il avait de l'importance, aux yeux de l'infirmière. Elle releva la tête en sa direction lorsqu'il demandait s'ils traversaient tous les deux la même chose. Norah acquiesça tristement de la tête. "C'était trop tôt. Pour elle, comme pour lui." souffla-t-elle la gorge serrée. Elle gérait son deuil à sa façon, mais elle ne faisait pas partie de ceux qui étaient le plus en colère. Certes, elle aurait bien voulu que le meurtrier soit retrouvé et jugé en bonne et due forme, mais elle n'était pas aussi furax que ne pouvait l'être son frère aîné. Lui, c'était une autre paie de manches. "Beaucoup trop tôt." Il n'y avait aucun doute que le brun avait autant de projets avec son épouse que Norah en avait avec Frank. La main qui tenait le parapluie se serrait un peu plus, ses doigts se crispaient. "Ca vous arrive aussi, parfois, d'avoir l'impression qu'elle est toujours là ?" Jusqu'à un brut retour à la réalité. "Quand  vous vous réveillez le matin, ou quand vous vous retrouvez seul à la maison le soir." Ou même en pleine journée d'ailleurs. Bien que cela était beaucoup moins fréquent qu'avant, ça lui arrivait toujours. Surtout à l'aube. "Et il y a des jours où je me demande comment j'arrive toujours à tenir debout, à continuer. Mais il y a les enfants. Il y a mes proches qui ont été là pour, à toute heure du jour et de la nuit." Anwar et Caelan avaient toujours répondu présents. Ils savaient tous les deux qu'il ne fallait pas la laisser seule dans un premier temps, et ils se sont tenus à cet engagement. "Vous en avez, des enfants ?" finit-elle par demander. Norah n'osait pas imaginer sa vie sans eux, sans Frank. Ils étaient rapidement devenus la principale raison pour tenir le cap, et reprendre un train de vie relativement normal. Alors, elle espérait pour lui que c'était aussi le cas. Car il n'y avait certainement rien de pire que de vivre un veuvage dans la plus grande des solitudes.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyDim 9 Juin 2019 - 15:30

Le parapluie au dessus d'eux formait une espèce de protection sous laquelle ils pouvaient se livrer leurs ressentis, comme si l'averse qui leur tombait dessus suffisait à couvrir des paroles que Stephen n'aurait jamais osé livrer dans le silence pesant qui régnait d'ordinaire dans les cimetières. Le brun avait constamment du mal à se situer entre colère et tristesse depuis que le décès de Rachel était venu bouleverser son existence il y a un peu plus d'un an et demi maintenant, mais si le commun des mortels semblait ne pas être à même de comprendre l'attitude qu'il tenait face à sa tombe, son interlocutrice, elle, semblait le pouvoir : "Je ne trouve pas ça stupide." qu'elle lui assurait d'ailleurs, un sourire au coin des lèvres qu'il accueillait d'un hochement de tête. "Ça m'arrive encore très souvent." et ces quelques mots lui donnaient du baume au cœur. Combien de fois était il venu ici sans réussir à partir ? Alors même qu'il avait peiné à traîner sa carcasse jusque devant cette dalle de marbre qu'il avait tant de mal à supporter visuellement. Norah semblait elle aussi peiner à donner le change devant la sépulture de son mari, c'était donc naturellement que Stephen lui présentait ses condoléances en retour ; ou du moins ce qui y ressemblait. Il n'avait jamais été doué pour les formules de politesse lors des décès, et peut être qu'il finirait par l'être un jour, mais à vingt neuf ans, un "désolé" lui semblait être déjà une grande étape pour son cœur meurtri. "Une des raisons qui me poussent à venir toujours aussi souvent, c'est que je n'ai jamais pu lui dire au revoir avant qu'il ..." Silence. La brune marquait une pause -lourde de sens- à laquelle Stephen réagissait d'un regard qu'il lui lançait et qu'il espérait être compatissant. "Vous l'avez perdu jeune aussi." qu'il répondait -à côté de la plaque- mais c'était le mieux qu'il avait en stock pour le moment. Une part de lui même aurait eu envie de s'enfuir, de prendre ses jambes à son cou pour quitter ce tourbillon de sentiments contradictoires qui pointait ... mais il avait trouvé du réconfort, et une pointe de compréhension en la personne de Norah. Ce sentiment surpassait son envie de fuir. "Je n'ai pas su non plus" Une confession livrée à demi mots, qui faisait sens au reste de la conversation puisque cette information, l'infirmière la connaissait déjà, comme elle le reconnût ensuite : "Je me souviens de vous aussi." Stephen sentait son cœur se serrer à nouveau, le souvenir de ce jour de février toujours aussi compliqué à intégrer. "Seulement, je ne me voyais pas vous aborder. Ni là-bas, ni ici d'ailleurs."  Geste qu'il avait apprécié, même si la curiosité l'avait piquée lorsque ce fut elle et non sa compagne qui réconfortait Alfie lors de son arrivée dans le couloir aseptisé de l'hôpital. "On n'a pas vraiment envie que des inconnus vous abordent à ce moment-là, qu'on porte une tenue de soignants ou pas. Alfie avait besoin de moi." Il hochait la tête en retour. Stephen avait vaguement parlé de ce moment au parrain d'Anabel, sans toutefois rentrer dans les détails. Cette journée avait été assez traumatisante pour tous les deux sans qu'ils ne décident de ramener sur le tapis un sujet bien moins important que le reste. Rachel était décédée, et le monde s'en était allé avec elle ce jour. "C'est bien que vous ayez été la. Je ne me souviens pas du temps que Jules avait pu mettre à arriver ... ça a été si soudain." qu'il soufflait, presque secoué par un rire nerveux ; tout un avenir envolé en une matinée après laquelle le temps avait filé à une vitesse folle, et lugubre. "C'était trop tôt. Pour elle, comme pour lui. Beaucoup trop tôt." Il n'aurait su la contredire. Si jusqu'à présent il ne s'était pas autorisé à laisser sa curiosité s'intéresser aux circonstances du décès de Monsieur Lindley, par pudeur sans doute, Stephen se retrouvait maintenant intrigué par cette femme à laquelle il n'avait encore jamais parlé mais avec qui il partageait maintenant un parapluie, et une discussion. "Ça vous arrive aussi, parfois, d'avoir l'impression qu'elle est toujours là ? Quand  vous vous réveillez le matin, ou quand vous vous retrouvez seul à la maison le soir." Oui. Et malgré tout il n'aurait jamais réussi à l'avouer. Stephen avait si souvent essayé de tourner la page ... et pourtant même encore maintenant la vie lui rappelait sans cesse ce qu'il avait perdu. "J'ai déménagé. Changé de meubles, de voiture.. mais ce n'est pas suffisant." qu'il répondait sans poser de filtres, l'interrogeant du regard pour savoir comment cette impression se manifestait de son côté. Il n'osait pas le demander, même si de parler à quelqu'un qui le comprenait amenait chez lui une bonne dizaine de questions qui lui brûlaient les lèvres. "Et il y a des jours où je me demande comment j'arrive toujours à tenir debout, à continuer. Mais il y a les enfants. Il y a mes proches qui ont été là pour, à toute heure du jour et de la nuit." Donc elle avait des enfants. De pauvres enfants qui se retrouvaient amputés d'une figure paternelle ... et ce récit faisait inévitablement écho à sa propre vie désormais. "Vous en avez, des enfants ?" qu'elle lui demandait, et sorti de ses pensées, il hochait la tête. "Une fille. Sa fille. Elle a six ans." qu'il murmurait presque, désignant du menton la tombe de Rachel vide de toute plaque commémorative qu'il avait rigoureusement refusée de voir fleurir. "Je peux vous demander ce qu'il s'est passé ?" Stephen s'y risquait finalement, prenant mille précautions pour ne pas brusquer cette nouvelle compagnie dont la présence l'avait rassurée durant des mois à se recueillir dans une incompréhension spirituelle toujours plus grande.      
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Message(#)lonely day (norah) EmptyMar 11 Juin 2019 - 21:35

LONELY DAY
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Ils étaient les mieux placés pour se comprendre et les quelques mots qu'ils venaient à peine d'échanger en était la preuve. Norah était lassée par les "je comprends" ou les "je sais pas comment je me sentirai à ta place" pour la bonne raison que chacun vivait chaque événement de la vie de manière profondément différente. Il n'y avait pas de similitudes, il n'y avait pas de mots assez forts pour décrire ce ressenti si subjectif et si singulier. Chacun le vivait différemment. Norah et Stephen connaissaient le même vide, en ayant perdu leur moitié, ils pouvaient se faire une idée de ce que chacun ressentait. Ils savaient ce que c'était, de rester figé pendant des heures devant une stèle gravée, de voir des silhouettes qui ressemblaient étrangement à la personne disparue, à vivre la plus horrible des solitudes lorsque la nuit tombait. C'était ce que Norah détestait le plus, à chaque fois qu'elle réalisait combien elle se sentait seule, et que Frank ne reviendrait pas. Cette impression s'était peut-être atténuée au fil des années, mais elle restait très présente quotidiennement. Il y avait simplement des jours avec, et des jours sans. Oui, ils avaient tous les deux perdus leur conjoint bien trop jeune. C'était injuste, ce n'était pas naturel, ce n'était pas comme ça, le cycle de la vie, normalement. Norah, par un concours de circonstances, avait été témoin de plus horrible jour de la vie de Stephen. Elle s'était focalisée sur une autre personne qui avait besoin de soutien et qu'elle pouvait se permettre d'approcher comme elle le connaissait  bien. Enfin, bien. Son amitié avec Alfie ne manquait pas de singularité. Ils avaient été l'un près de l'autre pour les moments les plus difficiles de leur vie, et pourtant, jamais ils n'osaient d'aller chez l'un-l'autre, par pudeur, par peur de se montrer trop intrusif. Norah peinait à décrire précisément leur lien, aussi sincère leur amitié pouvait-elle être. "Durant ce genre de moments, le temps perd de tout son sens." Les aiguilles de l'horloge s'arrêtaient, puis recommençaient en un tic-tac autant assourdissant que muet. Le temps était alors flexible, devenant une donnée à qui l'on ne pouvait plus se fier tant il n'était plus régulier. Tout comme il l'était lors de sa discussion avec Stephen. Elle avait l'impression de voir chaque goutte de pluie tomber au ralenti pour finalement s'écraser par terre. Leur accumulation formait déjà de nombreuses flaques au cimetière, arrosait certaines berges de fleurs et en détruisait parfois d'autres. Norah avait peur de se montrer intrusive en lui posant une question particulièrement intime, un fait qu'elle ne partageait pas avec n'importe qui.  Mais elle devait savoir. Elle désirait savoir si elle perdait la raison, ou si c'était un phénomène qu'elle n'était pas la seule à vivre au quotidien. Le silence du brun en disait, lui offrant là une réponse silencieuse, et un complément qui révélait qu'ils avaient bien plus de points communs qu'il n'y paraissait. "Moi aussi." confessa-t-elle d'une voix à la gorge serrée, lorsqu'il parlait de son déménagement. "Enfin, je n'ai pas pu changer tous les meubles, faute de moyens... Mais je ne me voyait pas vivre dans la maison dans laquelle nous y abritions tous nos rêves. L'air là-bas devenait insupportable à respirer." Une atmosphère lourde chargée de tristesse, de chagrin, de projets morts dans l'oeuf et de souvenirs qui devenaient plus douloureux qu'autre chose. Entre ces murs, Norah se sentait enfermée dans son temps, incapable d'avancer comme tout le monde. Le déménagement lui semblait être alors la seule solution. "Je suppose que ça ne le sera jamais, suffisant." lui répondit-elle calmement, les yeux brillants d'émotions. "Même si je commence à être convaincue que c'était la meilleure chose à faire, il y a encore des jours où je me demande parfois si c'était une bonne idée." Elle haussa les épaules. "Mais sans ça, je pense que j'aurais fini par perdre la raison." Et Norah ne disait pas ça sous le couvert de l'euphémisme. Elle frôlait déjà le point de rupture depuis quelques mois, mais si elle était restée dans la maison qu'elle avait achetée avec Frank, elle l'aurait atteint depuis longtemps. Ses enfants étaient devenus sa raison de vivre, d'exister. C'était grâce à eux qu'elle se voyait un semblant d'avenir, un peu de lumière pour le jour suivant. Norah fut perplexe, lorsqu'il parlait de la fille de son épouse, mais il ne la mentionnait pas comme étant sa fille à lui. La petite ne devait pas être de son sang, mais il devait la considérer comme tel. Une telle expérience soudait certains liens. Norah ne voulait pas se montrer indiscrète sur le sujet. Ils se connaissaient à peine après tout. Mais son interlocuteur semblait prêt à franchir une limite jamais atteinte dans sa relation silencieuse avec Norah en lui demandant les circonstances du décès de son époux. Elle n'a jamais été très évasive à ce sujet. Ce genre d'informations circulait assez vite à son goût, surtout sur son lieu de travail. Les employés d’hôpitaux étaient toujours preneurs d'histoires, aussi tristes pouvaient-elles être. "Il était dans les forces de police. Brigade des stups." Norah perdait le compte du nombre de fois où elle s'était disputée avec son époux, afin qu'il troque sa place de poste pour un statut plus confortable et avec un risque moindre. Elle n'était jamais rassurée quand elle le savait sur le terrain, à le voir rentrer durant des heures tardives ou même au petit matin parfois. Ils s'aimaient tous les deux éperdument, ce n'était pas quelque chose qu'il fallait remettre en question. Mais Frank adorait son travail, aussi frustrant pour lui que c'était de voir son épouse contrariée. Mais ils s'aiment très sincèrement. "Son coéquipier et lui devaient intervenir sur un pillage dans une épicerie la nuit d'Halloween, en 2016. Le soir de la tempête, vous vous souvenez ?" Difficile pour les habitants de Brisbane de ne pas avoir de souvenirs de cette nuit-là. Halloween était devenu la nuit du cauchemar, et cela était d'autant plus vrai pour Norah. "Ca a mal tourné, il..." On approchait des trois ans de la date du drame, en parler restait compliqué pour elle. "Il a été tué par balles." La jeune femme passait une main sur son regard ému et embué avant de baisser son visage. "Le pire c'est que... Je me sentais bizarre, le soir-là. Je misais sur la tempête, les enfants avaient peur et j'étais plus concentrée à m'occuper d'eux. Personne ne devait se sentir bien le soir-là, je me disais que j'étais comme tous les autres. Mais je ne me suis pas alarmée que Frank ne rentre pas. Ce n'était pas exceptionnel, qu'il passe la nuit au boulot, à rentrer tôt le lendemain matin." Malgré son regard d'une profonde tristesse, elle tentait de forcer un sourire, faisant mine de croire que ça allait passer. "Et au matin, quand son coéquipier n'avait pas à dire quoi que ce soit pour que je sache." Il avait suffi d'un échange de regard, de la mine encore déboussolée et attristé d'Anwar pour qu'elle comprenne, rien de plus. Quelque part, Norah se sentait en droit de partager cet instant insoutenable avec le brun. Elle avait l'impression de retrouver une sorte d'équité. Elle ne connaissait pas non plus les raisons précises du décès de son épouse, mais jusqu'ici, elle en savait plus sur sa disparition que lui n'en savait sur le départ brusque de Frank. La balance était sensiblement déséquilibré. "Son assassin n'a pas été retrouvé." Bien sûr qu'elle aurait aimé que ce soit le cas, mais elle savait que d'autres proches en faisaient quasiment une obsession, comme son frère aîné. Il se gardait bien de le lui dire, mais Norah le connaissait suffisamment pour savoir ce qui lui passait par la tête. Et Anwar, indéniablement, qui peinait également à se remettre de la disparition de son ami le plus proche, et qui vivait ce sentiment d'injustice plus que quiconque. Seulement Norah ne se doutait pas jusqu'où il était prêt à aller pour rendre justice à son feu binôme. "Ca ne me fait pas sentir moins coupable. Toutes ces pensées qui commencent par "j'aurais dû"..." Elle soupira, levant les yeux au ciel.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyVen 21 Juin 2019 - 15:40

Stephen n'avait que rarement été confronté à des personnes qui savaient avec exactitude ce par quoi il était passé, et sans doute ne l'avait il pas cherché non plus. Lorsqu'il est devenu veuf, il avait avant toute autre chose cherché à protéger la fille de Rachel, sa fille par extension maintenant qu'il était officiellement reconnu comme l'un de ses tuteurs. Mais lui ... il se faisait passer au second plan depuis, son seul réconfort durant les premiers mois s'étant manifesté sous la forme d'un cabinet au planning chargé et d'une Jules qui s'assurait que son réfrigérateur avait de quoi le nourrir d'autre chose que de soda et de quinoa passé de date. Si Alfie était sans aucun doute le mieux placé pour comprendre le sentiment causé par la perte de Rachel, qu'il connaissait aussi bien (voire même bien plus), il ne pouvait pas savoir ce que cela pouvait être que de perdre son partenaire de vie, sa moitié, alors Stephen composait avec le flou qu'était devenu sa vie. Il n'aurait jamais songé que cette femme qu'il avait croisée à l'hôpital, et ici même des dizaines de fois, puisse lui apporter un soutien à son tour qui déchargeait ses épaules d'un fardeau qu'il pensait tenir seul ; il ne l'était pas. "Durant ce genre de moments, le temps perd de tout son sens." Exact. Un demi sourire, sans joie, lui naissait au coin des lèvres, comme si cette phrase reflétait parfaitement un constat qu'il n'avait encore jamais osé formuler verbalement. Si le brun repoussait systématiquement les souvenirs encore fragiles de cette désastreuse journée de l'été dernier, aujourd'hui ils s'imposaient à lui sans qu'il n'en ait un quelconque contrôle, au beau milieu des gouttes d'eau qui tambourinaient au dessus de leurs têtes et de ce cimetière qui prenait des allures de madeleine de Proust. La conversation se poursuivait ensuite assez naturellement sur leurs ressentis propres face à ce deuil avec lequel ils évoluaient. Est ce qu'il s'attendait à voir revenir Rachel un jour ? S'imposer entre lui et son ordinateur le soir quand il n'arrivait pas à décrocher ? Parfois. Stephen avait beau avoir opté pour un changement de vie complet ... ce n'était pas suffisant. Et visiblement c'était le cas aussi pour son interlocutrice. "Moi aussi. Enfin, je n'ai pas pu changer tous les meubles, faute de moyens... Mais je ne me voyait pas vivre dans la maison dans laquelle nous y abritions tous nos rêves. L'air là-bas devenait insupportable à respirer." Stephen hochait la tête, compréhensif. Changer d'habitation était déjà un bon début ... et au final sans doute était ce suffisant. Si lui avait absolument tout stocké et entreposé les souvenirs de son mariage dans des cartons, il ne serait pas tout à fait honnête en affirmant que c'était suffisant. Seul le temps pourrait faire quelque chose pour l'apaiser, et visiblement l'infirmière semblait en être arrivée à la même conclusion elle aussi. "Je suppose que ça ne le sera jamais, suffisant. Même si je commence à être convaincue que c'était la meilleure chose à faire, il y a encore des jours où je me demande parfois si c'était une bonne idée. Mais sans ça, je pense que j'aurais fini par perdre la raison." Sans doute. Il glissait un doux regard vers elle, répondant : "Ça permet de réécrire une nouvelle page ... même si ce n'était pas ce que vous souhaitiez." dans un haussement d'épaules. Un pas devant l'autre. Norah avait sans doute raison de penser qu'elle avait pris la bonne décision. Ressasser sans arrêt les souvenirs douloureux d'une vie qui lui avait été arrachée si brutalement n'aurait rien amené de bon. Il était souvent compliqué pour le conjoint survivant de penser à soi, d'envisager refaire quelque chose de sa vie sans que ce dernier n'ait peur d'être pointé du doigt par l'égoïsme. Les enfants passaient avant tout, et pour le reste ... il fallait voir plus tard. Stephen restait convaincu que déménager restait une bonne idée, et que passer à autre chose était sans doute une belle revanche, bien que dans les faits il était partagé entre l'idée de tourner la page et celle de s'accrocher au passé en se rendant chaque semaine au cimetière dans ses moments de faiblesse récurrents. La brune avait fini par lui demander s'il avait des enfants, et si dans sa tête se manifestaient les cris joyeux d'Anabel et sa malice ... dans les faits il était un peu plus pondéré. Stephen ne se montrait jamais expansif, il en disait peu sur lui, même si cette rencontre prouvait le contraire. Il en avait presque oublié de demander ce qu'il en était d'elle, si les enfants qu'elle avait mentionné plus tôt l'aidaient à faire face elle aussi -ce qu'il se promettait de faire plus tard- car la curiosité l'avait piqué. Qu'était il arrivé à cet homme ? Pourquoi était il parti si tôt ? Quelque part, son instinct lui disait que sa disparition n'avait pas été amortie par une longue maladie, sans quoi cette femme ne ressentirait pas cette sensation qu'elle avait pu décrire plus tôt. "Il était dans les forces de police. Brigade des stups." Oh. Un scénario prit place dans son esprit sans qu'il ne sache véritablement s'il pouvait s'autoriser à laisser son imagination décrire le sort de Frank Lindley. "Son coéquipier et lui devaient intervenir sur un pillage dans une épicerie la nuit d'Halloween, en 2016. Le soir de la tempête, vous vous souvenez ?" La mémoire de Stephen fut mise à contribution de ce récit, et bien qu'elle lui faisait souvent défaut ... cette fois ci il était difficile d'oublier cette soirée d'Halloween entachée de ce drame il y a trois ans. D'un hochement de tête poli, il l'invitait alors à poursuivre. "Ça a mal tourné, il.. Il a été tué par balles. Le pire c'est que... Je me sentais bizarre, le soir-là. Je misais sur la tempête, les enfants avaient peur et j'étais plus concentrée à m'occuper d'eux. Personne ne devait se sentir bien le soir-là, je me disais que j'étais comme tous les autres. Mais je ne me suis pas alarmée que Frank ne rentre pas. Ce n'était pas exceptionnel, qu'il passe la nuit au boulot, à rentrer tôt le lendemain matin. Et au matin, quand son coéquipier n'avait pas à dire quoi que ce soit pour que je sache." Des paroles qui restaient compliquées à formuler. Norah avait baissé le visage, s'était parfois passé une main fatiguée sur le visage, et lui avait cessé de regarder devant lui pour l'observer lui livrer son récit le cœur serré. Il ne sut pas quoi répondre sur le moment ; personne ne devrait mourir ainsi. Pas dans ces circonstances. Le silence autour d'eux était rendu pesant par cet aveu, et sinistre par cette atmosphère somme toute lugubre propre aux cimetières. Stephen ouvrait la bouche comme pour répliquait, puis se ravisa aussitôt. "Son assassin n'a pas été retrouvé." Ce qui ne devait pas l'aider à faire son deuil. Ses lèvres se tordirent d'une moue encore inédite à la palette d'émotions qui le composait. Un mélange de tristesse, et un sentiment d'iniquité aussi sans doute. Le monde entier vivait heureux ... pourquoi pas eux ? Pourquoi le sort s'était il acharné ? "Ça a été brutal pour vous. Rien n'aurait pu vous y préparer ... alors je comprends bien que vous avez encore du mal, c'est injuste." soufflait il sans tenter d'édulcorer cette triste réalité qu'était la sienne. Il en était profondément touché, mais rien de ce qu'il aurait pu dire n'aurait su lui amener du réconfort. ".. j'espère qu'il le retrouveront un jour, et que .. enfin que ça ne rouvrira pas trop profondément ces vieilles blessures lorsqu'il sera jugé." Car personne ne méritait cela, et Stephen peinait à s'imaginer ce que la froideur d'un procès pouvait causer chez une veuve. Lui même n'aurait sans doute pas supporté. "Ça ne me fait pas sentir moins coupable. Toutes ces pensées qui commencent par "j'aurais dû"..." Stephen esquissait l'ombre d'un sourire sans joie. "J'aurais du réserver ces billets d'avion pour nos vacances à Adélaïde, j'aurais du ne pas attendre son anniversaire pour lui acheter cette chose sur laquelle il lorgnait ... et peut être aussi dans votre cas j'aurais du lui dire de ne pas aller travailler aujourd'hui." qu'il murmurait presque en haussant les épaules. Combien de fois s'était il dit la même chose ? A ceci près que dans son cas ... Rachel et lui avaient vu la fin arriver, bien qu'on ne se prépare jamais vraiment à ces choses là. "Vous savez quand ma femme est morte, elle a fait ce truc qui m'a littéralement brisé le cœur pour rester dans la vie de sa fille ... dans la notre aussi. Elle nous a écrit des cartes. Pour son anniversaire, pour le mien. Je l'ai détestée de l'avoir fait.. et même encore maintenant je n'ai pas réussi à ouvrir aucune des miennes." qu'il ajoutait dans un rire sans joie, plus nerveux qu'autre chose en fait. "Elle aurait aimé que ça se passe différemment, et ... je ne dis pas que de ne pas avoir été préparée au décès de votre mari est une meilleure façon de vivre sa disparition ... mais vous n'auriez rien pu changer. Les choses sont ce qu'elles sont ..." Et ça le tuait de l'avouer. Quelques fois il aurait aimé que la mort de Rachel n'ait pas été si longuement préparée, qu'elle ait été brève et indolore, car durant les premiers mois, vivre avec l'ombre d'un fantôme avait été une douloureuse réalité. "Quel âge ont vos enfants ? Ils ... arrivent à reprendre le dessus ?" demandait il finalement, au moins histoire d'avoir un point de comparaison sur sa façon de vivre les choses avec Anabel.


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Message(#)lonely day (norah) EmptySam 22 Juin 2019 - 16:38

LONELY DAY
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Norah se souvenait encore du jour où elle avait visité la maison dans laquelle elle vivait depuis quelques mois. Elle en avait vu plus d'une avant, mais aucune ne l'inspirait, ou elle était rapidement prise d'un vif sentiment de culpabilité à l'idée de s'éloigner tous les jours un peu du foyer qu'elle avait bâti avec son époux. Elle avait insisté à ce qu'elle fasse ces visites seule, car son frère jumeau était insistant et craignait qu'elle ne rebrousse à nouveau chemin. La maison trouvée était celle qui lui convenait le plus, et qui rentrait dans son budget. Norah savait qu'elle ne pouvait plus se permettre d'hésiter et de laisser ce projet-là éternellement en suspend, même si chaque étape était très difficile à vivre pour elle, chaque signature la confortant à la fois dans son choix, mais aussi dans ses regrets. Un mal nécessaire, dirait-on. Stephen se voulait malgré tout optimiste, dans un sens. Oui, cela allait lui permettre d'écrire une nouvelle page de sa vie, scindée de manière inattendue. "Pour être honnête, je ne sais pas vraiment quoi faire, maintenant." Le déménagement, c'était une étape. Ses cartons étaient enfin tous déballés, la maison ressemblait enfin à une vraie maison. Mais en soi, Norah n'avait pas de projet de vie qui motivait son quotidien pourtant déjà bien chargé. Elle faisait au mieux pour que ses enfants grandissent dans les meilleures conditions, elle reprenait du poil de la bête en continuant de travailler et d'aimer son métier, elle tentait de revoir des amis, de s'ouvrir aux autres. Mais elle ne se sentait pas plus orientée vers son futur. Anwar avait réussi à la convaincre de prendre quelques jours pour elle pendant que lui gérerait les petits. Il avait bien constaté, avec Caelan, qu'elle ne faisait rien pour elle. Norah espérait un jour entrevoir un projet d'avenir pour elle, mais pour le moment, elle s'était accomodée de ne pas en avoir. Ca la rendait peut-être moins vivante, moins enthousiaste. Mais au moins, elle ne se laissait pas mourir, même si l'idée lui avait effleuré l'esprit plus d'une fois, surtout l'année qui a suivi la disparition de Frank. D'ailleurs, le brun s'était intéressé sur les circonstances de son décès. Ce n'était pas une histoire qu'elle racontait très souvent, car les personnes avec qui elle en parlait quand elle en ressentait le besoin connaissaient déjà chaque détail de ce sinistre récit. "Le retrouver ne fera pas revenir Frank." répondit-elle tristement. "Je sais que mon frère aîné n'attend que ça, qu'il soit retrouvé. Je sais que son coéquipier a besoin de mettre la main sur lui pour qu'il ait les épaules moins lourdes, parce que je sais combien ça lui pèse de ne rien avoir pu faire. Moi, je..." Sa voix devint tremblante, étouffée par des sanglots qui venaient tirer les traits d'un visage déjà bien fatigué. "Ils ont besoin de cette justice, qu'il y ait un procès, qu'il ait ce qu'il mérite. Mais à mes yeux, il n'y a plus eu de justice à partir du moment où on a tué mon mari." Norah hoqueta. "Le jugement du coupable ne permettre pas à ma fille de n'avoir que de vagues souvenirs de son père et mon fils de ne pouvoir que se fier aux photos de Frank pour mettre un visage sur son père." C'était ce qui la peinait le plus, qu'Aidan était beaucoup trop petit pour avoir de précieux souvenirs de moments partagés avec son père. "Si on retrouve un jour le coupable, bien sûr que j'assisterai au jugement. Mais je ne suis pas certaine que ça me soulagera vraiment." Norah n'avait pas trop d'attente par rapport à cela. Stephen reconnaissait qu'il avait aussi son propre poids de remords et de culpabilité concernant son épouse. Le regard bleu de Norah se levait vers son interlocutrice, ses yeux d'autant plus tristes lorsqu'il racontait que sa femme avait été écrit des cartes en prévision des anniversaires de sa famille. "Le jour viendra, quand vous vous sentirez prêts à les ouvrir." dit-elle avec un faible sourire. "Et quand vous les lirez, peut-être que la détesterez un peu moins de vous avoir écrit ces quelques mots. C'est quelque chose que vous laissez en attente, et je veux bien croire que ça prend du temps, de se sentir digne de lire ces cartes. Mais je me dis qu'après, vous vous sentirez peut-être un peu mieux, d'avoir levé le mystère sur ce qu'elle a bien pu y écrire." Elle haussa les épaules, laissant deviner qu'il ne s'agissait là que de l'une de ses suppositions. Norah aurait aimé avoir pu échanger quelques derniers mots avec lui. Un peu plus qu'un simple baiser avant de le voir partir pour la nuit. Il avait pu avoir avec Anwar, une conversation des plus normales avant le drame. C'était pour le mieux. Il y avait beaucoup de non-dits, de projets non aboutis, de disputes laissés en suspend, de gestes affectueux qu'ils auraient bien voulu faire. Les mots de Stephen étaient plus blessants qu'autre chose. La façon dont mourrait une personne avait son importance, encore plus si les proches en avaient été avertis. "On n'est jamais prêts, pour ce genre de choses. Que l'on sache ou non." répliqua-t-elle, le regard dans le vide. La douleur était la même, plus ou moins latente et le deuil qui suivait n'en était pas moins compliqué. "Ma fille aînée va avoir dix ans, et mon fils en a quatre." répondit-elle au brun. "Ils... gèrent bien mieux que moi. Depuis le début, d'ailleurs." reconnut Norah avec un rire nerveux. "J'ai toujours été émerveillée par la capacité d'adaptation des enfants. Ils s'habituent bien plus rapidement et facilement à des situations qui sont difficilement insurmontables pour des adultes." Elle le voyait rien que ces petits bouts de chou de deux ans à peine, qui n'ont rien demandé au monde et qui avaient un cancer. Même avec les traitements, ils arrivaient à vivre leur enfance presque normalement. Quoi qu'elle trouvait que certains gagnaient bien plus vite en maturité que certains de ses congénères. "Julie, ma fille, ressent parfois un vide, il lui manque. Et Aidan était trop petit pour se souvenir de quoi que ce soit." Norah s'efforçait de leur montrer régulièrement des photos, des vidéos, pour qu'ils en fassent un souvenir. Mais ces séances étaient difficiles pour elle, de revoir tous ces souvenirs. "Mais je suis bien entourée. Mon frère jumeau et le coéquipier de Frank viennent régulièrement, je suppose qu'à force, ils remplacent la figure paternelle manquante sous notre toit." L'infirmière ne manquait pas de justesse et d'autorité avec ses enfants. Elle n'était pas du genre à tout laisser passer. Mais à la longue, elle se sentait seule pour leur prise en charge. Les efforts demandés étaient considérables, elle tenait le coup. "Pour être honnête, sans eux, je... J'aurais pas tenu le coup." Anwar le savait. Avec ou sans enfants, il avait toujours été admiratif de l'amour sincère qui liait Frank et Norah. De ce fait, il savait très bien que si l'un perdrait sa moitié, il se laisserait facilement couler. Il avait donc été d'un immense soutien, en gardant les enfants, en l'aidant dans les tâches administratives, ou en étant tout simplement présent. "Et la fille de votre épouse... Vous vous en sortez ?" En plus d'avoir le veuvage en commun, Norah et Stephen avaient tous les deux un ou deux enfants à charge. Un paramètre supplémentaire sur lequel ils pouvaient se comprendre, à la seule différence où Stephen n'était pas le géniteur de la petite. Mais il en avait la garde, et certains liens dépassaient parfois largement les liens du sang. "Est-ce que... Vous arrivez à avancer ? A envisager d'autres choses ?" lui demanda-t-elle après un long moment d'hésitation, gênée. Elle ne voulait pas se comparer, car chacun vivait son deuil à sa manière, mais elle se demandait parfois si le sien ne finissait pas par devenir pathologique. "Il y a quelques mois, mon frère jumeau a commencé à me proposer à... sortir un peu. Rencontrer des personnes." Ce qui était difficilement envisageable pour elle. Norah avait encore l'impression de tromper Frank si elle commençait à fréquenter quelqu'un d'autre. Elle voulait savoir si son interlocuteur partageait également ce sentiment.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyMar 2 Juil 2019 - 21:07

Déménager n'effaçait pas la douleur, mais elle permettait au moins de l'atténuer. Tout un chacun gérait son deuil à sa façon, mais force était de constater que les personnes ayant perdu un être aussi proche qu'un conjoint ou un parent passaient plus ou moins par les mêmes étapes. Stephen avait rapidement été incapable de vivre dans la maison pleine de projets qu'il avait acheté avec Rachel. Elle était partout. Dans les fantômes des cadres décrochés des murs, dans les petits coups de peintures imparfaits sur le plafond, dans les traces de vernis qu'elle avait fait tomber sur les planches du parquet. Les souvenirs l'assaillaient à longueur de journée ; les plus beaux comme les plus sombres, et finalement, se rattacher aux branches ne l'avait pas fait revivre. Tourner la page n'était pas quelque chose de simple, vendre avait été une étape de plus dont il ne savait pas bien si elle l'avait soulagé ou fait sombrer davantage ; à ses yeux du moins, ç'avait été la meilleure chose à faire. "Pour être honnête, je ne sais pas vraiment quoi faire, maintenant." Stephen glissait un coup d’œil à son interlocutrice, répondant d'un ton neutre, presque résigné : "Mettre un pied devant l'autre." sans pour autant cacher la frustration que ces paroles lui coûtaient. Il était extrêmement compliqué d'assimiler le fait que les choses étaient ce qu'elles étaient, que ce n'était pas juste -ni pour Frank Lindley, ni pour Rachel, ni pour aucune des autres personnes parties trop tôt- mais ... le destin était ce qu'il était ; cruel, sans pitié, naturel. Stephen s'était surpris à songer des dizaines de fois à ce que la vie aurait pu être si sa jolie dentiste ne s'était pas envolée. Ils auraient certainement eu d'autres enfants, seraient partis en vacances à l'autre bout du monde pour fêter dignement leur mariage, terminé d'aménager les combles du grenier pour y faire une salle de jeu, au lieu de quoi il se retrouvait désormais plus perdu que jamais, oscillant entre une page à tourner et une autre qui s'écrivait bien plus vite que prévu. Le temps pansait ses blessures, mais ne lui faisait pas oublier. Pour cette raison, il se sentait capable de comprendre Norah lorsqu'elle lui expliquait à son tour son ressenti sur l'après. "Le retrouver ne fera pas revenir Frank. Je sais que mon frère aîné n'attend que ça, qu'il soit retrouvé. Je sais que son coéquipier a besoin de mettre la main sur lui pour qu'il ait les épaules moins lourdes, parce que je sais combien ça lui pèse de ne rien avoir pu faire. Moi, je..." d'une voix tremblotante, la main qu'elle avait sur le parapluie trahissant une tristesse qui lui serrait le cœur par mimétisme. "Ils ont besoin de cette justice, qu'il y ait un procès, qu'il ait ce qu'il mérite. Mais à mes yeux, il n'y a plus eu de justice à partir du moment où on a tué mon mari. Le jugement du coupable ne permettre pas à ma fille de n'avoir que de vagues souvenirs de son père et mon fils de ne pouvoir que se fier aux photos de Frank pour mettre un visage sur son père. Si on retrouve un jour le coupable, bien sûr que j'assisterai au jugement. Mais je ne suis pas certaine que ça me soulagera vraiment." D'ordinaire, Stephen n'était pas quelqu'un que l'on chamboulait facilement. Il était devenu de ceux qui étaient persuadés que leur malheur était supérieur, incompréhensible aux yeux des autres mais visiblement l'infirmière était au beau milieu d'une histoire dramatique qui le touchait plus qu'il ne l'avouerait. Avec pudeur, le brun était venu attraper sa main pour la serrer contre la sienne, l'espace d'une seconde, dans un geste qui traduisait quelque chose comme un : "Je suis désolé." bien qu'au fond il ne pouvait qu'imaginer ce qu'était la vie de cette femme. Elle semblait dévastée, tiraillée par une douleur sourdre qui ne la quittait pas vraiment, sur laquelle elle semblait ne pas avoir le moindre contrôle ... et sans savoir exactement pourquoi, Stephen s'était laissé aller à lui raconter des détails sur sa propre vie, sur des choses dont il ne parlait à personne et qui le rongeaient ; les lettres de Rachel. L'infirmière pourrait comprendre. Elle saurait sûrement comprendre. "Le jour viendra, quand vous vous sentirez prêts à les ouvrir. Et quand vous les lirez, peut-être que la détesterez un peu moins de vous avoir écrit ces quelques mots. C'est quelque chose que vous laissez en attente, et je veux bien croire que ça prend du temps, de se sentir digne de lire ces cartes. Mais je me dis qu'après, vous vous sentirez peut-être un peu mieux, d'avoir levé le mystère sur ce qu'elle a bien pu y écrire." Elle avait haussé des épaules, lui ayant livré des paroles sages, sincères ... qu'il n'arrivait pourtant pas encore à intégrer ; pas encore, c'était trop frais, alors une prochaine fois sans doute. Stephen n'avait jamais su quoi faire de ces lettres qu'il considérait pourtant comme les choses les plus précieuses qu'il avait en sa possession, les conservant dans un dossier entre deux bouquins dans sa bibliothèque ; comme si elles n'étaient rien, alors qu'en fait elles étaient tout. "Vous avez l'air d'être une personne réfléchie. J'aimerais avoir le même recul que vous, sur tout ça." qu'il soufflait dans un demi sourire sans joie, désignant du menton les tombes faces à eux. "J'espère sincèrement pouvoir y arriver. Tourner la page, vous savez. Et ... j'espère que ce sera le cas pour vous aussi, et pour vos proches." Le frère aîné et le coéquipiers épris de justice, puis les enfants, dans une autre mesure. "On n'est jamais prêts, pour ce genre de choses. Que l'on sache ou non." Certainement. Chaque mort était différente, et chaque personne traversant ce deuil aussi. Peut être que les mots de Stephen avaient été maladroit, mais toute maladresse dont il avait fait preuve ne trahissait que son point de vue, aussi se contentait il de ne pas relever. Il préférait plutôt parler des enfants, de ceux qui méritaient que l'on se batte et que l'on continue de mettre un pied devant l'autre jusqu'au jour ou vivre ne serait plus si compliqué. "Ma fille aînée va avoir dix ans, et mon fils en a quatre. Ils... gèrent bien mieux que moi. Depuis le début, d'ailleurs. J'ai toujours été émerveillée par la capacité d'adaptation des enfants. Ils s'habituent bien plus rapidement et facilement à des situations qui sont difficilement insurmontables pour des adultes." Il esquissait un sourire en retour, ravi de constater que quelque part, cette femme était bien entourée et que ses têtes blondes évoluent bien. "Julie, ma fille, ressent parfois un vide, il lui manque. Et Aidan était trop petit pour se souvenir de quoi que ce soit. Mais je suis bien entourée. Mon frère jumeau et le coéquipier de Frank viennent régulièrement, je suppose qu'à force, ils remplacent la figure paternelle manquante sous notre toit. Pour être honnête, sans eux, je... J'aurais pas tenu le coup." Ces paroles le rassuraient un peu, bien qu'elles ne rendaient pas la situation plus évidente. Elle n'était pas seule, et ses deux enfants semblaient réussir à avancer eux aussi. Ils avaient des appuis solides, des personnes de confiance sur qui compter. "C'est bien qu'ils soient là, ça redistribue un peu la pression qui pèse sur vos épaules." Deux enfants, c'était beaucoup, du moins pour lui. Stephen avait toujours cette façon de vouloir tout contrôler ... et c'était sans doute pour cette raison qu'il s'était senti si épuisé à jongler avec Anabel et son intendance lorsque Rachel était décédée. Certaines choses ne pouvaient tout bonnement pas être évitées, et le quotidien reprendre comme si de rien n'était. "Et la fille de votre épouse... Vous vous en sortez ?" Il secouait la tête, passant sous silence le passage : "Ses grands parents ont réclamé la garde tout de suite après le décès de leur fille et je compose maintenant avec un weekend sur deux." Déjà car il y aurait de quoi en discuter durant de longues heures, et ensuite car c'était un sujet encore trop douloureux envers lequel il ressentait de la rancœur. "On en parle souvent. Elle m'en parle. Et quelque part j'imagine que ça me soulage de savoir qu'elle n'a pas de tabou à l'évoquer." répondait il dans un demi sourire, une pointe de fierté perçant dans toute cette mélancolie. Anabel était une petite fille forte, et assez futée pour comprendre ce qu'étaient les choses désormais. C'était d'elle dont il tirait sa force, un peu comme Norah le faisait avec ses enfants sans doute. "Est-ce que... Vous arrivez à avancer ? A envisager d'autres choses ?" qu'elle lui demandait ensuite, après avoir laissé filer quelques secondes qu'il interprétait comme de l'hésitation. "Il y a quelques mois, mon frère jumeau a commencé à me proposer à... sortir un peu. Rencontrer des personnes." Oh. Stephen ouvrit la bouche, comme pour formuler quelque chose, mais désarçonné, il eut besoin à son tour de quelques secondes pour faire fonctionner ses neurones. "J'ai beaucoup travaillé. Puis j'ai retrouvé quelqu'un." annonçait il, ne sachant pas trop s'il répondait correctement à la question. "Mais c'est pas pour autant que j'arrive à tourner la page. Elle est partout." concédait il en secouant doucement la tête, l'ombre d'un sourire étirant ses lèvres. Il acceptait que Rachel soit encore là, Leah aussi. Elle était la mère de sa fille, sa femme, sa moitié, et quelque part, le fait qu'Anabel parle encore de maman d'une façon si décomplexée ne rendait pas les choses évidentes, mais c'était un équilibre qu'ils arriveraient à trouver. "J'arrive à avancer en acceptant que c'est terminé." soufflait il finalement, haussant les épaules dans un geste qui traduisait cette fatalité qu'était devenue la sienne. " ... qu'est ce que ça donne pour vous ?" demandait finalement le brun, lui glissant un coup d'oeil.        
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Message(#)lonely day (norah) EmptyMer 3 Juil 2019 - 16:34

LONELY DAY
the most lonely day of my life
Stephen avait les mots. Il parvenait à verbaliser des fatalités que Norah n'avait pas réussi à prononcer jusque là. Elle était pourtant une femme qui aimait se fixer des objectifs, qui aimait savoir où elle allait. Le chemin du déménagement était tout tracé. En revanche, le sentier qui suivait cette étape était flou, voir inexistant. Le brun comprenait ce sentiment là, et l'avait décrit par une simple phrase difficile à prononcer pour lui, apparemment. Les yeux bleus de Norah se tournaient tristement vers lui. Au premier abord, il n'avait pas l'air plus avancé qu'elle, et pourtant. Comme la majeure partie des personnes qui le pensait, Stephen avait estimé que retrouvé l'assassin de Frank allait un tant soit peu soulagé la peine de la veuve, mais il n'en était rien. Les épaules d'Anwar et de ses frères allaient peut-être plus légères, mais cette justice là n'allait pas apaiser son chagrin, ni ramener Frank à la vie. Apparemment ébranlé par ses propos, Stephen ne sut quoi répondre, ne s'attendant peut-être pas à ce que Norah envisage les choses sous cet angle. Les mots lui manquaient tant qu'il avait préféré user de sa gestuelle, en tenant la main de la jeune femme l'espace d'une seconde. Elle le regardait alors avec reconnaissance, saisissant immédiatement par ce contact ce qu'il essayait de lui dire. Il comprenait. Ils se connaissaient à peine et pourtant leur point commun poussait à la confidence. L'on ne croisait pas si régulièrement une autre personne ayant perdu sa moitié si tragiquement, bien que pour chacun, les circonstances aient été différentes. La conversation n'avait été engagée qu'il y a que quelques minutes, mais ils se soutenaient déjà solidement, cherchant à encourager l'autre d'avancer. Comme Norah invitait Stephen à ouvrir les cartes d'anniversaire que sa femme lui avait écrite quand il serait prêt. "Je l'espère pour vous aussi." lui répondit-elle avec un sourire sincère. Elle ne saurait dire au brun si elle se sentait capable un jour de tourner la page. Il était qu'elle parvenait à se changer un peu plus les idées ces derniers mois. Malgré leur emploi du temps chargé, Norah et Anwar parvenaient à se voir régulièrement, bien qu'ils n'aient pas encore réussi à convenir d'une date à laquelle le fils du policier pouvait également venir. Mais ils se donnaient le temps de se voir, même si ce n'était que pour boire un coup, pour donner les dernières nouvelles. Elle appréciait passer du temps avec lui, il partageait la même peine, avec la disparition de Frank. Elle faisait également de temps en temps du footing avec Alfie. Parfois, ils peinaient encore à décrire véritablement leur amitié. Elle appréciait sa compagnie, et malgré ce léger malaise qui planait régulièrement autour de leur relation, elle aimait ces moments partagés avec lui. Il ne perdait jamais son sourire, il était une véritable pile électrique et ses anecdotes permettaient à la jeune femme de décrocher un peu, et de se sentir l'esprit un peu plus léger durant ces laps de temps. Elle ignorait si c'était son objectif, de la voir sourire un peu plus, et s'il prenait autant de plaisir qu'elle à partager ces moments là avec elle.  Et Caelan, qui ne manquait pas de venir et de lui dire qu'Anwar avait évoqué le fait qu'elle veuille prendre quelques jours pour elle et depuis, il n'arrêtait pas de la lancer là-dessus de façon adorable. Son frère jumeau était doté d'une profonde bienveillance, il était plus que désireux de voir sa soeur reprendre véritablement sa vie affective en main un jour, et ne pas résumer son existence à l'éducation et au bien-être de ses enfants. "C'est bien qu'elle arrive à en parler avec vous, qu'elle ne garde pas tout pour elle." La perte d'un parent pouvait avoir des conséquences terribles sur le développement d'un enfant, mais Stephen semblait avoir les choses bien en main. "Ils sont costauds, ces petits bouts de choux." dit-elle avec un sourire amusé. Mais c'était vrai. Ils encaissaient bien mieux que la plupart des adultes. Norah s'était risquée à poser une question plus délicate. D'habitude, elle avait bien plus d'aisance à dire ce qu'elle pensait, mais ce sujet était encore particulièrement sensible pour elle. Par chance, elle n'avait pas besoin de se plonger dans les détails pour que Stephen en comprenne le sens. Il partageait qu'il avait rencontré quelqu'un. Quelqu'un. Après de longs mois où il ne se focalisait que sur son travail. Norah avait repris le travail très tôt. Trop tôt. Quelques jours à peine après la mort de Frank. Elle avait fait un déni en bloc et avait fait comme si de rien n'était. C'était un médecin de son service, ami de longue date, qui avait eu la lourde tâche de lui rappeler les événements, ce qu'il s'était vraiment passé. Il avait pu être autant délicat que possible, la chute fut particulièrement rude. Norah avait quelque peu éclipsée ce jour-là, ayant parfois l'impression que c'était un mauvais rêve. Mais ses collègues, ceux qui avaient été présents le jour là, s'en souvenaient comme si c'était la veille. Stephen voyait son épouse partout, elle était toujours présente, tout le temps. Norah ne pouvait que le comprendre là-dessus. "Comment vous arrivez à gérer ?" lui demanda-t-elle. "Je veux dire... fréquenter quelqu'un et... toujours penser à votre femme ?" Elle trouvait sa question maladroite, peut-être mal posée. Il arrivait à avancer bien plus rapidement qu'elle et elle finissait par se demander si son propre deuil ne virait pas au pathologique. Et étrangement, Norah se sentait prise de court quand Stephen lui retournait naturellement la question. "Je..." Elle bégayait quelques secondes, ne sachant par quoi commencer. "Quand on a commencé à m'en parler, même le plus subtilement possible, je..." Elle secouait la tête. Sa voix tremblait à nouveau. "Rien que d'y songer, je... J'ai l'impression de tromper Frank." Mais ce n'était pas tout. Elle savait que c'était normal de vouloir, un jour, passer à autre chose, accepter la perte, et peut-être trouver quelqu'un qu'elle aimera tout autant que son feu mari. Caelan pensait qu'il était temps et Anwar semblait suivre ce mouvement également. Ils devaient avoir raison. "Même si j'avoue que... Il y a des jours, où... ça me manque, tout ça." Et Norah se sentait coupable de l'avouer, mais aussi, presque soulagée. Comme si elle venait de confesser un de ses vices. Les larmes coulaient malgré elle, se sentant déchargée de ce poids là, mais aussi honteuse.  "Et c'est bête, mais... Quand j'ai une certaine proximité avec des amis – ça ne peut être qu'une étreinte, ou une main prise –, je réalise combien ça me manque." L'affection, la complicité, les moments de légèreté. Toutes ces petites choses qui permettraient d'alléger son quotidien. Qui la ferait sentir moins seule. "Mais d'un autre côté... il m'en empêche." Norah se l'empêchait surtout toute seule. Son quotidien restait le même, très occupé, surchargé, ne s'accordant que très peu de temps pour elle (et ça ne fait pas si longtemps qu'elle se le permet vraiment). Ces trois dernières années avaient été quasiment sans répit et elle était épuisée. Elle l'avait verbalisé auprès d'Anwar, c'était un bon début. Mais cette fatigue accumulait la rendait plus émotive, moins alerte, laissant place à n'importe quelle faiblesse susceptible de se greffer à elle. Elle n'était pas dans le meilleur état mental qui soit, ces dernières semaines. Et pourtant, elle continuait de retarder ces quelques jours de répit qu'elle voulait s'accorder. Loin de Brisbane, loin des enfants, loin de ses responsabilités habituelles. "Vous vous en sortez bien mieux que moi. Malgré tout, vous arrivez à avancer." Elle était admirative, peut-être même un peu envieuse. Norah fouillait d'une main son sac à main afin de se prendre un mouchoir en papiers. La pluie ne semblait pas vouloir s'arrêter, vu le teint grisâtre et menaçant des nuages qui surplombaient Brisbane. "Est-ce... que ça vous dit, d'aller boire un café... au sec ?" lui demanda-t-elle avec un rire nerveux. A dire vrai, cela lui faisait du bien, de discuter un petit peu avec lui, de pouvoir enfin mettre une voix, une personnalité, un état d'esprit, à une silhouette qu'elle ne connaissait que trop bien. "Au fait... Je m'appelle Norah." dit-elle alors, après avoir réalisé qu'ils n'avaient même pas eu la décence de se présenter.
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Message(#)lonely day (norah) EmptyLun 8 Juil 2019 - 23:29

Stephen ne se s'était pas senti de taille à affronter ce deuil, cette épreuve qu'on lui imposait si jeune. Perdre Rachel, perdre pieds, perdre espoir. C'était tout un monde qui s'était effondré pour lui en l'espace de quelques mois, et quelque part, s'il n'était pas le plus à même à comprendre Norah et son ressenti après que l'on ait pu lui avoir annoncé que son mari s'était fait assassiné -ce n'était pas comme s'ils avaient pas vécu le décès de leur moitié dans les mêmes circonstances-, le brun pouvait en revanche savoir ce que cela faisait de voir tous les rêves que l'on avait pour son foyer se voir réduire en fumée. Ça faisait mal, c'était déroutant ... et pourtant il fallait bien mettre un pied devant l'autre. Ne serait ce que pour les enfants. Tourner la page n'avait rien d'évident, et sans doute que celle de leurs mariages respectifs ne se tournerait jamais. Pour Stephen c'est comme s'il y en avait deux ; celle à laquelle il se rattachait en rassemblant des souvenirs comme un patchwork qu'il garderait pour lui, et celle qu'il écrivait en avançant petit à petit. Les deux lui semblaient nécessaires. L'une pour se forcer à aller de l'avant, et l'autre pour se ressourcer lorsque le quotidien devenait trop dur. "Je l'espère pour vous aussi." L'infirmière arborait un sourire sincère qui lui réchauffait le cœur. Stephen n'avait que rarement rencontré des personnes qui ne se limitaient pas à une vision superficielle de ce qu'il ressentait. Rien ne l'agaçait plus que des complaintes, mais la jeune maman à ses côtés semblait réellement penser ce qu'elle disait ; pour la simple et bonne raison qu'elle le comprenait. Sa présence à ses cotés était reposante, et compte tenu du fait qu'ils se trouvaient dans un cimetière sous une pluie battante, cela relevait presque de l'exploit.
Le sujet des enfants revint finalement entre eux, et Stephen exposait avec une pointe de soulagement le comportement d'Anabel depuis que Rachel était partie. Il avait volontairement désiré qu'ils en parlent le plus souvent possible, qu'elle ne lui cache jamais ses questions -ni à lui, ni à Alfie, ni à personne- et c'est ce que la petite fille avait fait. Une force de caractère qu'il fallait lui reconnaître et dont Stephen -à défaut d'en être fier- en était reconnaissant. "C'est bien qu'elle arrive à en parler avec vous, qu'elle ne garde pas tout pour elle." Il hochait la tête en retour, sans trop savoir quoi ajouter de plus. Finalement, c'était à nouveau la petite brune qui trouvait les mots justes en concluant : "Ils sont costauds, ces petits bouts de choux." qui eut don de faire sourire le kiné. Costauds. C'est le bon terme en effet. "Plus que nous.. ça c'est sûr." soufflait il en retour, un sourire sans joie au coin des lèvres. Les enfants évoluaient là ou eux s'accrochaient au passé. Ni Norah ni Stephen ne pourrait de toute façon arguer du contraire, sans quoi ils ne se tiendraient pas là, devant la sépulture de leurs moitiés aussi régulièrement. Par la suite, comme si l'atmosphère se prêtait aux confessions, Norah s'était risquée à une question plus personnelle qui avait un peu déstabilisé un Stephen qui n'avait pas vu d'intérêt de mentir ; il avait commencé à refaire sa vie, à recoller tout doucement les morceaux de son cœur brisé, ce qui ne semblait pas être le cas de la jeune maman, et si d'ordinaire le brun ne se considérait pas comme étant de bons conseils, aujourd'hui il se sentait d'essayer. "Comment vous arrivez à gérer ? Je veux dire... fréquenter quelqu'un et... toujours penser à votre femme ?" Quelques secondes lui furent nécessaires pour trouver les mots justes, ceux qui ne le feraient pas passer pour une sorte de névrosé qui se raccrochait au passé. "J'ai eu de la chance de tomber sur quelqu'un qui comprenait mes moments d'absences, qui m'a aidé à réussir à parler d'elle, qui a accepté qu'elle soit encore là ... notre fille parle encore énormément de sa mère, mais ... le fait qu'elle se sente si bien quand Leah est avec nous, ça me donne l'impression qu'on forme quelque chose tous les trois. Alors j'essaie de ne pas tout gâcher, et je viens ici quand elle me manque trop pour ne pas ... ruiner cet équilibre encore précaire." Sa vie était plus ou moins réduire à cela maintenant, mais quelque part, cela lui convenait. Si Stephen n'imposait pas à Leah de longues discussions au sujet de Rachel, il appréciait le fait qu'elle accepte qu'Anabel puisse en parler plus ou moins régulièrement par période, qu'elle lui raconte des anecdotes, des souvenirs. Il avait eu de la chance d'être tombé sur elle, qu'elle l'accepte dans son intégralité, alors tout ce qu'il essayait c'était de ne pas trop tirer sur la corde, de s'investir un maximum. "Je... Quand on a commencé à m'en parler, même le plus subtilement possible, je... Rien que d'y songer, je... J'ai l'impression de tromper Frank." Fronçant les sourcils, Stephen observait avec davantage d'attention l'infirmière à ses côtés. Elle semblait chercher ses mots -ou plutôt ne pas oser les sortir- ce qu'il pouvait parfaitement comprendre, mais qui lui serrait néanmoins le cœur. "Même si j'avoue que... Il y a des jours, où... ça me manque, tout ça." Des larmes semblaient rouler contre ses joues, et à en juger par le ton de sa voix, Stephen se disait que sa déduction était sans doute vraie. Il ne savait pas exactement comment les interpréter. Le kiné se risquait à penser que ce devait être la première fois qu'elle en parlait ; sans doute était ce plus facile avec un inconnu. "Et c'est bête, mais... Quand j'ai une certaine proximité avec des amis – ça ne peut être qu'une étreinte, ou une main prise –, je réalise combien ça me manque." Oh. Sans trop savoir quoi dire, Stephen continuait de fixer la jeune femme avec une expression que lui même n'aurait su interpréter. Il avait toujours été quelqu'un de tactile -et quoi de plus normal pour un kiné après tout- mais si lui avait vite comblé sa solitude dans les bras d'autres femmes, il pouvait concevoir il n'en valait pas de soi pour d'autres, comme Norah. "Mais d'un autre côté... il m'en empêche." Et par il, le nom de Frank résonnait sans qu'elle n'ait besoin de faire la moindre précision. "C'est déjà une grande étape de se rendre compte que vous ressentez ce besoin." murmurait il en esquissant un sourire qui se voulait compatissant. Tout le monde gérait son deuil à sa façon, et quelque part Stephen trouvait cette femme courageuse de placer des mots sur ses besoins, sur ses envies en assumant par la même être une veuve, une mère, une amie. "Vous vous en sortez bien mieux que moi. Malgré tout, vous arrivez à avancer." En apparences. Stephen sentait qu'elle fouillait dans son sac à main à ses cotés, mettant finalement la main sur ce qui semblait être un mouchoir pour éponger les larmes qui s'étaient finalement arrêtées. "Est-ce... que ça vous dit, d'aller boire un café... au sec ?"  Un rire nerveux lui échappait, rire auquel Stephen ne put s'empêcher de réagir par un sourire qui devait emprunt de nervosité lui aussi. Ils étaient à pas grand chose d'être trempés jusqu'aux os, l'eau ruisselant à leurs pieds ne tardant certainement pas à s'infiltrer là où elle le pourrait, et pourtant il n'aurait bougé pour rien au monde. "Au fait... Je m'appelle Norah." "Je sais." coupait il presque, avant de se reprendre : "enfin, Alfie m'a vaguement parlé de vous. Je ne savais pas qui vous étiez. Et ... je suis Stephen." Il était plus que temps qu'ils se présentent l'un et l'autre, effectivement. Rien n'était commun dans cette conversation, mais comme le lui suggérait Norah à ses côtés, la poursuivre au sec lui semblait être une excellente idée. Quelque part, Stephen se disait qu'ils avaient bien des choses à partager. "Je serais ravi d'aller me mettre au chaud derrière un demi litre de café filtre." soufflait il dans un demi sourire, invitant son interlocutrice à délaisser l'abri de fortune offert par leur parapluie, à quitter ces tombes qui les raccrochaient tant au passé et cette atmosphère lourde de sens pour poursuivre cette discussion autre part, n'importe où mais pas ici.

-sujet terminé-

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