calls for an alarm

auden & ginny

La chambre a tout pour faire le pire comme le meilleur casting de film d’horreur. J’essaie de ne pas laisser mon regard dériver trop longtemps sur la porte du garde-robe entrouverte qui a l’air de cacher un genre d’amas, une silhouette noire que doit être rien mais qui a l’air d’être tout, pour reporter mon regard sur la télé l’instant d’après. ”Range ton ego, on s’tire.”  Auden attend pas le break publicitaire pour faire état de la situation, pour décréter que ce n’est pas ici qu’on va passer le reste de la soirée. Et même si je ne suis pas du genre à râler pour grand chose, et même si j’arrive quand même pas mal à m’adapter à toute situation en me disant que ça pourrait être pire, là, faut être honnête, ça pourrait pas vraiment être pire. ”Tu peux attendre le remake de The Ring si tu veux, ça me dérange pas.”  mes sourcils se froncent doucement, ma tête se tourne vers lui quand je comprends que depuis le début, il m’inclut dans son plan. Auden de base avait besoin de personne et je l’avais bien compris dès ma toute première impression de lui. Ça m’avait marquée je sais pas pourquoi, mais j’avais depuis toujours mis un point d’honneur à faire le plus toute seule sans l’aide de personne. J’avais des capacités moindres dans certains domaines, mais en général, le fait qu’il m’ait autant cassée à l’époque aidait beaucoup plus la personne que j’étais aujourd’hui que je ne le réaliserai jamais. ”Ils doivent bien avoir des bars dans cette ville, pour que les gens oublient à quel point ils vivent dans un endroit de merde. On se fait un concours de shot de virgins et le premier qui va pisser a perdu.” nouveau haussement de sourcils, je dois avoir l’air drôle là, avec deux accents circonflexes brun chocolat qui tartinent mon visage de perplexité. Il veut que je suive ET il veut qu’on ait une activité officielle ensemble? Où est l’attrape? Où est le cachet qu’il tire pour jouer au babysitter? ”T’auras des distributeurs sur le chemin.” le filet de brouillard qui chasse tous mes doutes et qui m’encourage de suite à fermer le téléviseur sans même un regard sur la scène sanglante qui se jouait par-dessus son épaule.

« Merci. » je sais pas trop pourquoi je le remercie, mais ça sonne right. Je crois que je le remercie de réaliser dans quelle chaos il nous a mis – t’as tout de même ta part de responsabilités là-dedans Ginny, l’oublie pas – de vouloir faire tourner la balance, de s’assurer qu’on ne meurt pas ici poignardés derrière le rideau de douche, un à la suite de l’autre pas en même temps oh mon Dieu surtout pas les deux, là en même temps mes joues rougissent maintenant, ou non hm? « Range ton ego. » que je paraphrase, devant mon remerciement sorti de nulle part mais qu’il pourra ranger dans la poche secrète des moments où j’ai été bizarrement contente qu’il soit là. Puis, je me lève du canapé qui grince assez que je remette en doute mon poids actuel, passant à ses côtés pour aller attraper ma veste qui gisait sur la table de nuit approximative.

Un détour à l’accueil nous confirme que le bar le plus en vogue est à 15 km d’ici, que le dernier bus est passé et qu’on risque d’attendre le taxi sur le trottoir en face du motel trop longtemps pour que ce soit sécuritaire si on souhaite en réserver un pour tenter notre chance en ville. Le coup d’œil que je renvoie à Auden flirte avec le non-étonnement que notre karma soit encore aussi désastreux. Le pauvre adolescent toujours à tenter d’aider non sans avoir une touche de condescendance dans la voix que je ne remarque pas, parce que je ne remarque pas ces choses-là, propose le bar qu’ils ont à même le bâtiment, tout derrière, à côté de la piscine extérieure. Et mes espoirs sont bas, très, très, très bas. Mais il semblerait que pour une raison que j’ignore, on décide de s’y rendre, de voir, de faire le tour, de s’installer au comptoir. Les tabourets sont presque aussi collants que le plancher, et la thématique est un mélange douteux de décor tiki et de vieux éléments métalliques d’un garage des 70’s collés au mur. Je ne sais pas comment je me sens face à tout ça.

« Ça me fait penser au bar crade en face de ton hôtel à Londres.  » un bref coup d’œil tout autour me rappelle l’endroit où il m’avait traînée de force à Camden y’a des années, y'a une vie entière de ça. Le pub qui n’avait l’air de rien de l’intérieur, ni de l’extérieur. « Il y est encore d’ailleurs. Pas dévoré par la vermine ni incendié pour l’en chasser. Je suis passée devant le mois dernier. » quand je suis retournée en éclaireur voir mes parents, tenter de régler la situation avec eux, faire les premiers pas. Ils étaient censés me revenir depuis pour me dire s’ils étaient prêts à prendre une nouvelle place dans ma vie et dans celle de Noah aussi, en douceur. Mais toujours aucune nouvelle d’eux. Le timing est étrange quand, en pensant à eux qui ne me contactent pas, le portable dans la poche arrière de mon jeans commence à vibrer. J’oublie Auden, j’oublie même mes parents, quand c’est la voix de Dannie à l’autre bout du fil qui me laisse savoir les résultats de vente du vernissage d’aujourd’hui. « T’es sûre? SÛRE? » elle confirme, je laisse un petit cri de joie s’additionner à une danse de la victoire qui renverse deux chaises et un pichet d’eau à demi vide au sol. Dammit.

« Auden! » il est accoudé au bar là où je l’ai laissé, quand je reviens à la course à sa hauteur, m’appuyant sur le comptoir humide d’un liquide tiède que je préfère ne jamais être en mesure d’identifier. « J’ai vendu autant de toiles que toi! Tu penses que ça veut dire que je vais être dans la grande salle maintenant, et pas exposée dans le placard à côté des toilettes et des cuisines? » ma voix chante, mes yeux brillent, mes paupières battent et j’ai le rire tellement facile qu’il va rager dans la seconde, j’en suis persuadée. « La tournée de shirley temple est pour moi! » c’est pourquoi je fais d’office volte-face vers le barman, lui commande son meilleur Sprite grenadine en double pour célébrer ma nouvelle gloire insoupçonnée. « Extra fruits pour lui, faut qu’il soit en santé longtemps question de voir mon ascension. » L’élève surpasse le maitre. Je m’emballe, ajoutant tranches d’orange, de citron, de lime et des tas de cerises confites au verre de Williams, avant de lui tendre avec entrain.

Heureusement que le remerciement est rapidement suivi d’un rabrouement parce qu’on aurait pu nous prendre pour d’ignobles personnes lambdas ennuyantes à souhait et bien sûr que ce n’est absolument pas le cas. Mon regard reste posé sur elle alors que je n’ai pas vraiment avancé dans la chambre miteuse, je l’observe seulement du coin de l’oeil avec un sourire sur les lèvres. Son attitude me fait rire. Ça me fait oublier qu’on passe une journée de merde, en tout cas. Il en faudrait peu pour me faire sourire et son merci était inattendu. Je lui rappellerai ce moment en temps voulu mais cette fois ci je la laisse profiter de sa pseudo autorité inexistante sur moi.

Il se passe plein de trucs ensuite et je n’écoute plus vraiment, me perd dans mes pensées, me questionne pour savoir si oui ou non il faudrait enlever les poils d’un homme sur sa jambe si on était amené à le cuire. Oui sûrement, parce que sinon ça aurait un goût de brûlé. Ils ont fait ça, les rugbymen qui se sont écrasés dans la montagne ? Personne ne leur a sûrement posé la question pourtant cela me semble désormais essentiel à savoir. Journalistes de merde. Ginny nous replonge une décennie en arrière et là non plus, je dis rien. Je ne m’y attendais pas, cette époque est loin de me remémorer les meilleurs souvenirs de ma vie. ”Ils avaient la plus grande offre de virgins cocktails de la ville, ça valait bien quelques fissures sur les murs et les verres.” Peut être pas autant de fissures, c’est vrai. Mais au moins rien ne nous est tombé dessus et rien n’est tombé tout court depuis - ça c’est le plus troublant.

Puis Ginny redevient Ginny, y’a eu un moment de calme et elle recommence à crier et à sauter partout, mon poing s’enfonce un peu plus dans le gras de ma joue parce que je sais que cette soirée va être longue. Je ne sais encore rien de rien, mais ça ne va pas tarder, ça va être long, ça va être chiant. Elle finit par aborder le sujet des peintures et je me rends compte que c’est encore pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Elle va être insupportable. Elle va être pire qu’insupportable et cette nuit va être encore plus longue que prévue ; interminable. ”Tu seras dans le placard de la grande salle.” Que je lui concède parce que j’ai vraiment un grand coeur ce soir mais qu’il ne faut pas non plus lui faire miroiter monts et merveilles. Aussi bien y’a eu un problème dans les chiffres, parce que y’a clairement trop de papillons et de rose pour que ses toiles plaisent autant ; tout comme moi y’a un gros manque de couleurs et de n’importe quoi qui ne soit pas awkward. On se complète, dans un sens, ouais. Le fait est que je finis par machinalement attraper le verre qu’elle me tend, priant fort pour qu’elle boive à son tour et se taise. Et c’est même pas ce qu’elle fait. Elle commande un milliard de suppléments alors qu’elle n’a même pas son porte monnaie, joue avec la nourriture alors que si c’était Noah elle l’aurait rapidement remis à sa place.

”Pourquoi t’es retournée à Londres ?” Je joue avec la paille alors qu’elle assemble les fruits comme des lego et mon visage reste impassible. Je m’en fous des tableaux et ça m’arrange plutôt pas mal qu’on change rapidement de sujet - elle le remettra sur le tapis trois fois par heure quoi qu’il arrive. Y’a un truc qui me chiffonne, un truc dont je pensais pas reparler à Gin avant la fin des temps parce que y’a des apparences à préserver et une image à garder. ”Leur virgirn vodka redbull te manquait ?” Un gars avait vraiment demandé ça et j’ai pas arrêté de me foutre de sa gueule pour les dix heures suivantes. Dix heures plus dix ans.
N’empêche que je veux vraiment connaître la réponse et que mes yeux se plantent dans le sien, sans aucun sourire narquois sur le visage.

calls for an alarm

auden & ginny

”Ils avaient la plus grande offre de virgins cocktails de la ville, ça valait bien quelques fissures sur les murs et les verres.” et ça, c'était probablement l'Univers qui se moquait de rendre la chose aussi facile que ça à l'époque. Rien d'autre l'était, tout était devenu compliqué et impossible à la seconde où j'avais mis le pied sur le sol anglais. On cherchait un endroit où aller prendre un verre et discuter d'absolument rien relié à mes parents, on voulait juste jouer aux autruches idiotes à rien dire et à faire comme si c'était une altercation comme une autre, les vannes de l'un et le nez froissé de l'une comme d'hab, mais à l'autre bout du monde. On avait pu être doués pour nier, quand on y pense. « Je suis encore étonnée qu'on ait pas attrapé la lèpre ou le choléra juste à respirer l'air. » la blague assaisonnée d'un sourire triste qui passe une seconde une seule sur mon visage, avant que je le remplace volontairement par le même rictus de dégoût que fait Noah quand je troque de son lunch les cookies pour la salade de fruits.

L'appel de Dannie qui change complètement l'ambiance - et c'est tant mieux. Mentionner Londres ne me faisait jamais plaisir bien longtemps, encore moins lorsque les souvenirs remémorés touchaient le passage d'Auden sur le continent. Pourquoi tu l'as abordé alors, Gin? Parce que je tente de me convaincre le plus possible qu'un jour, cette vie-là, elle fera moins mal. Je veux m'en persuader. ”Tu seras dans le placard de la grande salle.” « T'en ri, mais il a une fenêtre. » c'est ça Auden, moque-toi. Mais le placard de la grande salle, déjà, c'est beaucoup pour une peintre qui n'a absolument pas confiance en son art et qui en doute constamment ; surtout quand Williams est dans les parages.

Les fruits occupent mes dix doigts, je m'étonne qu'il soit encore là quand y'a une table de billard presque pas inégale à côté, et un jeu de dards sur lequel il pourrait facilement accrocher les nombreuses photos de tous ses ennemis pour lâcher un peu de pression. Et si je ne m'attendais pas à ce qu'il passe la soirée entière à mes côtés, je m'attendais encore moins à ce qu'il ramène Londres de lui-même. ”Pourquoi t’es retournée à Londres ?” mes iris quittent les cerises confites et ignorent complètement les oranges en fleurs pour finir par se retrouver séquestrés par le coup d'oeil sérieux d'un Auden qui, je sais, changera pas de disque tant que j'aurai pas donné la vraie réponse, tant qu'il aura pas la vérité. Ça a du bon de le connaître depuis si longtemps, je sais quand je peux me défiler ou quand ce sera impossible.

Et là, c'est mission suicide si j'ose lui mentir. ”Leur virgirn vodka redbull te manquait ?” « Parce que je voulais pas faire à Noah ce qu'eux m'ont fait. » j'ai même pas besoin de penser deux secondes de plus lorsque je lui réponds d'emblée. Noah m'avait demandé de lui-même, un peu après que j'ai recommencé à parler à Matt, si un jour il reverrait ses grands-parents. Et la seule impression que je le couperais d'eux comme eux m'ont coupé jadis d'Ezra et de Brisbane en entier m'avait assez retourné la tête et le coeur pour prendre un billet vers Londres et tenter une première approche avec eux. Isy était venu en backup, mais j'avais tout de même su leur tenir tête toute seule et pour ça, je m'en étonnerais probablement toujours. « Je suis allée les voir pour m'assurer que s'ils revenaient dans sa vie, ce serait de la bonne façon, selon mes termes. Ils m'ont dit qu'ils y penseraient. »

J'ai pas remarqué que j'avais commencé à jouer avec tous les sous-verres à disposition, ni que j'avais réorganisé les fruits selon l'ordre des teintes de l'arc-en-ciel en parlant. Je le remarque que maintenant. « Apparemment, j'ai surestimé leur volonté de revenir vers nous tout court parce que depuis, c'est silence radio de leur part. » aucun message, aucun appel, ils me laissent dans le néant et à mon sens, ça a tout l'air d'un refus catégorique. Seems like I'm out of their life for good. « Fais attention à ce que tu vas dire, ton opinion compte beaucoup trop dans cette histoire pour que de un je l'assume, et que de deux je l'écoute pas. » mes yeux ont pas quitté ceux d'Auden, et il sait aussi bien que moi que ça aussi, c'est vrai. Son avis jadis avait été presque ce qui avait suffit pour que je quitte la maison familiale et revienne en Australie, quoi qu'il ajoute aujourd'hui pèsera tout autant douloureusement dans la balance des "et si".

Tout le monde sait qu’il ne faut pas poser les questions pour lesquelles on n’a pas envie d’en connaitre la réponse. Tout le monde sauf moi apparemment, parce que je fonce dedans tete baissée comme un putain d’abruti et quand je vois qu’elle ne me répond pas à propos du virgin vodka redbull, je regrette aussitôt. Je regrette parce qu’on a tous les deux cet air beaucoup trop sérieux qui ne nous ressemble pas, parce que Ginny et Auden ça ne parle pas de trucs sérieux. Une Ginny et un Auden ça se tire dans les pieds, ça s’envoie des messages pour ouvrir l’atelier, ça se plaint qu’il n’y a plus de sucre, ça fait tout sauf être sérieux. On fait pas ça, nous. Et là je la déteste pour les mots qu’elle a, pour le sérieux qu’elle affiche et pour ses mains paniquées qui s’activent sur la table.

Une de mes mains se pose sur les siennes pour qu'elle arrête de tout tripoter. Je ne remarque pas le sucre qu’elle s’est collée dessus, et même pas que je me fais la remarque que c’est vraiment dégoûtant et que je devrais décoller ma main du dos des siennes. Je reste juste là pour qu’elle arrête de faire n’importe quoi et mes yeux se posent dans les siens, sans expression aucune. "T'as jamais eu besoin d'eux, tu te débrouilles très bien Ginny." Tuez moi. Tuez moi. Tuez moi. Je regrette déjà ces mots et tous ceux qui vont suivre, je regrette toutes mes idées de merde qui nous ont conduit jusque là parce que de base on devait juste faire ce foutu vernissage. J’ai l’impression que ça remonte à des années en arrière, tout ça. Il s’est passé beaucoup trop de choses pour une seule et unique journée. "Tout le monde est là pour vous." C’est moins difficile à dire, ça. Même si ça fait mal à mon ego de lui rappeler que je suis pas suffisant pour elle. Y’a plusieurs mains pour la retenir quand elle tombe, pour l’aider à se reveler et lui faire la courte échelle pour qu’elle accède à de nouveaux paliers. Je ne cite pas les noms mais on sait tous les deux de qui je parle, parce que ça fait des années qu’on se connaît et que je connais son entourage autant qu’elle le mien. Même les affaires de famille, on les connaît - c’est pour dire.

Elle me fout la pression en insistant sur le fait que mon avis compte beaucoup à ses yeux et elle gravit encore un palier dans le monde de “je la déteste”. Je ne lui ai pas fait boire d’alcool, pourtant. Elle n’était pas supposée dire tout ça et j’ai rien anticipé. Putain. J’ai même pas d’avis là dessus si ce n’est que ses parents sont des gros cons. Peut être qu’elle n’a pas besoin de moi pour s’en souvenir alors je ferme ma gueule. Mon avis est si important pour elle qu’elle ne l’entendra pas, parce que je ne veux pas avoir à gérer les conséquences de mes propos. C’est égoïste, c’est tout moi, et c’est ce que je peux faire de mieux pour elle. Mon pouce caresse sa main une demie seconde et si jamais on me pose la question je rejette la faute sur mon doigt qui me grattait et rien de plus. Le fait est que j’ai retiré ma main de la sienne la seconde suivante pour me diriger vers le bar. "T'avise pas de répondre quoi que ce soit ou de te souvenir de ce moment. Je nous appelle un taxi." Toujours pas de sourire sur mon visage, toujours pas de geste rassurant ou n’importe quelle autre connerie non plus. On est déjà bien trop loin de la safe zone, là.