Bien que mon retour sur scène, qui a suivit ma crise d'angoisse il y a quinze jours de ça, ait été un franc succès, autant au niveau du public que pour Charles et mes autres collègues, j'ai tout de même décidé de faire un break. Ce besoin de pause m'a été confirmée lorsque je n'ai pas réussi à passer les portes du théâtre deux jours après ce spectacle. J'étais devant le bâtiment, j'observais les portes et j'avais envie d'entrer, mais mon corps ne me répondait plus. Paralysé sur place, j'avais beau hurler ma main de se lever pour abaisser la clenche puis entrer, mais rien n'y faisait. Alors j'ai simplement fait demi tour, j'ai appelé Robin pour lui confirmer mon envie de la rejoindre à Bali et je suis parti. Je ne l'ai dis à personne -si ce n'est Ambroise, Sybbie et Charles, qui l'a sans doute révélé au reste de la troupe- et j'ai coupé mon portable pendant toute la durée du séjour. J'avais réellement ce besoin de me couper de tout, de partir avec mes problèmes pour essayer de les régler dans ce centre perdu au milieu de la jungle.
Et ça a fonctionné. En revenant 10 jours plus tard à Brisbane, mon corps et mon esprit étaient parfaitement reposés et c'est avec une sérénité sans précédente, que je suis retourner au théâtre. Malheureusement, ce bonheur et ce bien être n'ont pas duré bien longtemps lorsque j'ai apprit que ma petite Yoko n'est plus revenue à la compagnie depuis presque une semaine. Personne ne savait pourquoi, il n'y avait que des rumeurs et des on-dit. Allant du malaise jusqu'à la grosse maladie, ils y en avaient même qui évoquaient le Burn out. Et c'est là que j'ai réagit.
Je connais Yoko, je sais qu'elle ne parle jamais de ses problèmes, qu'elle pense pouvoir tout gérer. Pétillante, joyeuse et d'humeur égale, elle veut toujours tout gérer elle-même et fait très régulièrement passer les autres avant elle-même quitte à se détruire la santé. Elle a accepté un boulot dernière au DBD, suit des cours à l'université -ce qui signifie donc aussi des examens- et s'entraîne inlassablement pour retrouver son niveau de danse d'il y a deux ans. Ce n'était donc qu'une question de semaines avant que son corps ne lui dise merde.
Alors que je marche dans la rue, armé de sushi de chez Minami -les meilleurs sushi de la ville- et de quelques paquets de bonbons, fruits exotiques et autre conneries ramenées d'Indonésie, je me sens réellement con et incroyablement idiot de ne pas avoir réagis avant. Pourtant les signes avant coureurs étaient là, je ne les connais que trop bien et je n'ai pas réagis ! Pire encore, je suis parti et j'ai laissé la petite asiatique seule avec ses problèmes. Me traitant de pire ami du monde, j'entre dans le bâtiment dans lequel se trouve l'appartement de Yoko – merci le voisin qui sortait en même- et monte rapidement les escaliers. Une fois au bon étage et devant la bonne porte, je tambourine le bois de mes poings afin de bien lui faire comprendre que je suis là et qu'elle ferait bien de venir me faire entrer.
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juin 2019
Qui a inventé les examens ? — qui s’est dit un jour venez on va mettre en place des contrôles de fin de semestres pour soûler tous les étudiants des Universités ? ; avachie sur son bureau (qui fait aussi office de table à manger, table de salon, bibliothèque et meuble pour l’imprimante), Yoko meurt face à ses cahiers de cours et ses vagues prises de note pour tenter d’éviter les rattrapages. Elle déteste réellement ses études et chaque session d’examen semestrielle est un véritable calvaire pour la petite nippone qui ne rêve que d’une chose — tout abandonner pour consacrer l’ensemble de son temps à la danse. Ah ! la danse — sa passion, la raison même de son existence et de sa motivation. Jouant machinalement avec son stylo tout en esquissant quelques croquis sur une feuille de brouillon, elle lâche un soupir de dépit ; les examens sont la semaine prochaine et c’est la catastrophe monumentale, elle le sait par avance. Et puis, ce n’est pas tout (parce qu’un problème n’arrive jamais seul) ; à force de trop solliciter son petit corps qui n’atteint même pas les cinquante kilos, à papillonner d’activités en activités sans jamais prendre de pause, il a bien fallu que tout cède un beau samedi (celui de la semaine dernière précisément) — malaise en pleine répétition solitaire et si Charles est le seul présent au moment de la chute, les rumeurs circulent rapidement au sein de la compagnie et son absence depuis plusieurs jours n’a pas apaisé les bruits de couloir. Et Yoko — comme à son habitude — s’est mue dans le silence du déni. Elle n’a rien dit, à personne ; n’a mentionné à quiconque la moindre faiblesse, le moindre détail sur ce surmenage car la peur terrible de devoir cesser la danse lui donne presque la nausée. Son médecin n’a pour le moment rien évoqué (Charles l’ayant forcée à y aller sous peine de devoir lui retirer des chorégraphies) mais Yoko sait que ça ne serait tarder — elle claque sa langue contre son palais en y songeant et tente vainement de se concentrer sur sa feuille de cours (celui sur la littérature contemporaine dont elle ne comprend strictement rien). Lâchant un soupir une énième fois, elle tapote ses joues porcelaine avec ses mains pour se donner une motivation quasi-inexistante et s’apprête à tourner la page lorsque des coups de poings virulents tambourinent sa porte. La petite coréenne se lève brusquement de sa chaise (ah ! elle a une excuse pour stopper ses révisions hein) et lance un « C’est bon j’arrive, allez pas casser ma porte ! » avant d’ouvrir en grand cette dernière et tomber sur Clément (avec des sushis !!) — un large sourire s’étend sur ses lèvres gercées (as usual) mais une envie presque maladive de s’amuser de son meilleur ami lui traverse l’esprit. Avec un regard narquois et une mine amusée, elle saisit le sachet dans les mains du jeune homme, ajoute un « Merci Uber Eats ! » et referme la porte en éclatant de rire la seconde suivante ; elle est vraiment super fière de sa blague d’enfant de dix ans et demi. L’instant d’après, elle ouvre de nouveau la porte et, en fou rire total, finit par reprendre contenance. « Désolée, trop tentant ! » — son sourire est pétillant et il y a toujours son éternelle bonne humeur ; Yoko est une très bonne actrice pour cacher tous ses problèmes et la présence de Clément en face d’elle semble avoir effacé toutes ses craintes (elle en oublierait presque s’être évanouie la semaine dernière). Se décalant pour laisser entrer son pote de toujours, elle laisse sa curiosité l’envahir. « Alors ? Ce stage chez les bouddhistes, c’était comment ? Parce que oui— évidemment, Charles a cafeté mais t’sais très bien que dans cette compagnie, tout s’apprend ! » (elle glisse un clin d’œil tout en refermant la porte et pose le sachet sur la table) « J’ai que d’l’eau à te proposer en revanche, pardonne-moi d’avance » — la petite nippone déteste les sodas et a récemment terminé son pack de bières lors d’une soirée. Après avoir sorti ses propres baguettes (offertes par sa mère quelques années plus tôt lors de son départ), elle saisit la boîte contenant les sushis et se laisse tomber dans le canapé, délaissant totalement ses cours. « T’es vraiment un homme à marier, Winchester » — sourire narquois aux lèvres mais compliment déguisé.
Je frappe fort la porte autant pour montrer que je suis là que pour lui signifier que je n'accepte pas qu'elle ne soit pas là et qu'elle doive m'ouvrir le plus vite possible. Fort heureusement, la voix forte de Yoko retentit derrière la porte quelques secondes avant que celle-ci ne s'ouvre en grand. C'est un large sourire qui m'accueille avant que le regard de la jeune asiatique ne se pose sur le sachet que je tiens en main. Ni une ni deux, elle s'en empare puis referme la porte après m'avoir remercier. Bien trop surpris par cette réaction, je reste immobile comme une statue, main levée et fixe la porte en clignant des yeux. Elle est sérieuse là ? Elle m'a sincèrement claquer la porte au nez APRES avoir pris NOS sushi ?
J'allais protester vivement lorsque j'entende son rire claire derrière la porte et qu'elle ne l'ouvre à nouveau. Avec son sourire de gamine de dix ans, elle s'excuse, disant que 'c'était trop tentant' avant de se décaler. Je roule des yeux et lâche un soupire, las, alors que je passe à côté d'elle pour entrer dans l'appartement que je ne connais que trop bien, y ayant déjà passé plusieurs soirées. Retirant ma veste en jeans, je remet la capuche de mon sweat shirt en place et me tourne vers Yoko lorsqu'elle me demande comment était mon stage chez les Bouddhistes. J'arque un sourcil puis soupire lourdement en apprenant que Charles a cafté à tout le monde et que les rumeurs sont rapide dans la compagnie.
« Sérieusement, on peut rien lui confier à cet homme» dis-je en secouant la tête «Aucun respect pour la vie privé de ses élèves » j'affiche un sourire en coin alors que je suis Yoko dans le salon où elle a tôt fait de déballer les sushi « Mais le stage chez les bouddhistes, comme tu dis, étais génial. Vraiment, ça m'a fait beaucoup de bien» je l'observe sortir ses baguettes personnelle et s'installer sur le canapé déclarant que je suis un homme à marier «Parle pas trop vite ... » dis-je sur un ton menaçant.
Sans lui laisser le temps de réagir, j'attrape la boîte de sushi qu'elle tient entre ses mains et la lui retire. Je la referme et le remet dans le sachet et je place loin de la gloutonne qu'est Yoko. « Tout d'abord tu me dis ce qui se passe » dis-je, mon ton sérieux faisant comprendre que le temps n'étant pas à la rigolade «Quand est-ce t'as fait ton malaise ? Où ? Comment ?Pourquoi ? » je me redresse et la retient de se lever pour attraper le butin alimentaire qui se trouve derrière moi et la repousse dans le canapé « Si tu me dis tout d'un coup, en dix minutes c'est réglé. Sinon … eh bien … tu vas devoir observer comment je jette les sushi un par un à la poubelle sous ton regard impuissant» pire torture qui existe, pour la japonaise qui est en Yoko, j'en suis sûr.
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juin 2019
Yoko est une enfant — physiquement et mentalement parlant (dans tous les sens du terme, en fait) ; incapable d’être sérieuse plus de quelques minutes et constamment à la recherche d’un moyen pour taquiner ses proches, la petite nippone ne cesse d’afficher son regard malicieux et son sourire narquois. Et avec Clément, c’est comme si tous ses sens enfantins se réveillaient à chacun de leurs échanges ; elle est encore plus pétillante et taquine parce qu’elle sait qu’avec lui, elle peut aller loin dans la plaisanterie (mais pas trop quand même !). Evidemment, le jeune danseur lève les yeux au ciel face à sa plaisanterie tout en lâchant un soupir las (on dirait un papa fatigué de l’énième bêtise de sa fille et ça fait beaucoup rire Yoko intérieurement). Alors qu’il retire sa veste et arque un sourcil en ajoutant que Charles est définitivement l’homme le moins fiable du monde, la petite nippone hoche la tête — en effet, Charles fait typiquement partie de ces êtres humains profondément bon mais ne pouvant s’empêcher de divulguer quelques informations qu’il ne juge pas très secrètes (il semblerait donc que le stage chez les moines tibétains soit considéré comme tel). « C’était comm— » ; mais Clément ne compte absolument pas lui répondre immédiatement et, après lui avoir conseillé de ne pas parler trop vite sur un ton menaçant qui fait hausser un sourcil à la petite nippone, il attrape la boîte de sushis pour la lui confisquer (carrément quoi !) et lui intime de s’expliquer ; sur son malaise. A la mention de l’événement, une expression fermée se dessine sur le visage de la japonaise qui laisse glisser son regard ailleurs. « Je vois pas de quoi tu— » murmure-t-elle mais Clément se redresse, empêchant toute tentative de sa part pour récupérer la boîte de sushis — et c’est là qu’elle comprend. Si elle ne dit rien maintenant, Clément ne va pas la lâcher (pire, il va carrément jeter cette nourriture si sacrée ! car au Japon, ce plat est considéré comme un repas de fête, interdiction formelle de le mettre à la poubelle). Horrifiée à l’idée de ce gâchis, Yoko se rassoit dans le canapé en lâchant un lourd soupir (un peu exagéré, certes). Pourtant, au fond — elle s’en doutait un peu. Trois ans d’amitié avec Clément lui ont permis d’apprendre non seulement de merveilleux pas de danse mais également la personnalité du jeune homme. Elle sait pertinemment qu’il ne va pas la laisser tranquille et qu’il vaut mieux qu’elle lui explique tout maintenant ; sauf qu’elle a peur. Comment lui dire ? Comment avouer que son ventre se serre rien qu’à l’évocation de ce malaise ? Elle se retient au dernier moment de répliquer un on dirait ma psy — hors de question de le lui dire (car personne ne sait, pas même Primrose — secret étatique que ces rendez-vous avec ce professionnel de santé). Elle se mord la lèvre, hésitante. « On peut vraiment rien confier à Charles » — commentaire sarcastique faisant écho à celui de son interlocuteur quelques minutes plus tôt. « Il y a rien de grave, Clément— genre vraiment » (elle tente son sourire le plus convaincant, un peu en désespoir de cause car il lit en elle comme dans un livre ouvert) « J’étais juste—fatiguée, je sais pas. Il faisait hyper chaud dans la salle en plus » (en hiver Yoko, bien tenté oui) ; elle tente un mouvement vers la boîte mais juge finalement que son discours n’est largement pas suffisant pour qu’ils passent au sujet suivant (à savoir le stage chez les bouddhistes au fin fond du coin le plus reculé de la planète Terre). « J’suis sûre que ça t’est— » (elle se rattrape au dernier moment — si elle parle de ça, il va forcément rebondir en évoquant un parallèle quelconque et elle refuse littéralement d'entendre le mot burn out sortir de ses lèvres) « —que c’est déjà arrivé à plein d’gens. J’suis pas tombée dans le coma pendant dix jours, promis ! J’avais juste... raté le petit-déjeuner, c’tout » (elle accentue ses propos d’une expression des plus rassurantes possibles). C’est terrible, non ? Cette incapacité à accepter l’évidence même, ce déni inébranlable qui l’habite pour combattre ses problèmes. Yoko a beau être un soleil chaleureux qui ne cesse jamais de réchauffer le cœur des autres, à trop ignorer son corps — elle va finir par se brûler.
Non. Non, je ne vais pas laisser passer une explication de la part de Yoko. Je sais qu'elle va tout faire pour l'éviter, qu'elle va cacher le tout sous des mots du style 'mais tout va bien' et 'c'est rien de grave', fait est que non, ce n'est pas rien. Ce n'est pas normal pour une personne de son âge et encore moins de sa forme physique de s'évanouir aussi subitement. Elle me dit qu'elle a skipper le petit déjeuné le matin, mais je suis persuadé au plus profond de moi que ce n'est pas la seule raison. Yoko n'a jamais fait de malaise. « Te connaissant, toi et ton appétit d'ogre, je 'rater le petit déjeuné' n'est pas une excuse valable avec moi» dis-je avec sérieux. «Et oui c'est déjà arrivé à plein d'autre personne, mais tu n'es pas tout le monde. Désolée ma chérie, mais ton excuse ne marche pas avec moi. »
Je me cale dans le canapé avant de poser mon regard sur la boîte de sushi. J'hésite un instant, lance un coup d’œil vers Yoko puis me lève, attrape la boîte et me dirige vers la cuisine «Tu l'auras voulu » dis-je en ouvrant la poubelle en grand. Posant les sushi sur le comptoir et en attrape un adroitement avec les baguettes « Je t'écoute Yoko» reprenais-je en me tournant vers la jeune asiatique « La vérité» mais Yoko reste muré dans son silence. Et un silence n'est jamais bon signe. J'incline légèrement la tête sur le côté et lui fait les yeux ronds avant d'hausser les épaules « Très bien.» et sans crier gare je lâche le sushi qui vient s'écraser au milieu des autres détritus dans la poubelle. Au cris de surprise -ou d'horreur?- de Yoko, je lève une main et attrape le deuxième Maki entre les baguettes «Alors ? Toujours pas prête de tout m'avouer ? » demandais-je, menaçant, ayant sincèrement l'impression de me trouver dans un film d'espion où le méchant doit torturer celui qu'il pense être un espion.
Ça peut paraître cruel -non, en vrai c'est super cruel- mais si c'est la seule manière pour que Yoko s'ouvre un peu à moi et accepte le fait qu'elle ne va pas bien, que ce malaise est signe que si elle continue son corps va réellement la lâcher, alors j'irais jusqu'au bout. Car je sais sincèrement que la manière douce n'a jamais réellement fonctionné sur la jeune fille.
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juin 2019
Game over — évidemment, sa piètre tentative pour diminuer toute réalité est un échec total ; pretends to be shocked hein. L’air sérieux sur le visage de Clément rend brusquement l’atmosphère bien plus sévère qu’elle ne l’était quelques minutes plut tôt et le sourire narquois légèrement impertinent sur les lèvres de Yoko s’efface inévitablement — merde. Pourtant, tout au fond d’elle, la petite voix de la raison lui hurle à plein poumon qu’elle aurait dû s’y attendre ; c’était certain qu’il allait 1) le savoir 2) revenir vers elle à ce sujet 3) demander des explications bien plus satisfaisantes que sa maladroite excuse du repas sauté et de la chaleur en hiver. Alors qu’il se cale dans le canapé, la petite nippone prend une moue mi-boudeuse mi-stressée tout en croisant les bras. Pendant un bref instant, le temps d’une seconde, elle se dit qu’il ne va pas mettre sa menace à exécution — pas pour ça, quand même (aucun sushi ne mérite de finir ainsi pour un vague malaise en répétition). Sauf que c’est Clément et que Clément a la qualité (qui apparaît à ce jour comme le pire des défauts aux yeux de la petite coréenne) d’appliquer ses promesses ; avec horreur, elle le voit se lever et attraper adroitement un met de la boîte avant de le positionner juste au-dessus de la poubelle — il est pas sérieux ? Son regard chocolat lance des éclairs à son interlocuteur qui insiste pour demander la vérité mais qui ne reçoit de sa part qu’un silence muré ; elle ne dira rien parce qu’elle n’a rien à dire — oh ! le joli déni qui revient, qui s’esquisse doucement sur la toile de la vie de Yoko. Elle ne veut pas rendre tout cela réel, ne veut pas assumer le fait que peut-être (très certainement même !) son petit corps qu’elle transporte depuis des mois sous une activité trop grande pour être supportée est en train de la lâcher, tout simplement. Silence entre les deux, que Clément brise d’un Très bien avant de lâcher le sushi dans la poubelle. « T’es sérieux ?? » s’exclame-t-elle après avoir lâché un cri mélangeant l’horreur de l’acte et la surprise qu’il ait mis à exécution sa menace. « Ok ok, j’vais parler— repose ce maki dans sa boîte, il t’a rien fait » ajoute-t-elle en pointant du doigt les baguettes tenues par le jeune homme. Dans un tout autre contexte, ils auraient ri — dans une autre situation, un autre moment plus léger, les deux auraient éclaté de rire avec harmonie à l’idée de se croire dans un film de gangster où l’héroïne tente de sauver vaillamment ses potes innocents du complot présent depuis le début de l’histoire — mais pas là ; pas là car Yoko sait qu’elle va devoir mettre des mots, formuler à voix haute ce qui la terrifie littéralement depuis une semaine. « Je— j’ai peut-être surestimé— » (elle se tait une seconde, se mord la lèvre et détourne le regard) « —mon énergie » ; son corps, son mental, tout (elle a absolument tout surestimé). Entre ses cours, son boulot au DBD, les répétitions qu’elle ne raterait pour rien au monde au sein de la compagnie et les activités extrascolaires (comme elle aime les appeler) avec Zelda, la petite nippone a trop tiré et ce malaise n’est que l’application physique d’un mal-être intérieur qui dure depuis trop longtemps — elle va devoir faire des choix. « C’était… » ; elle bute sur la formulation de ses phrases, hésite et finit par replier ses jambes contre son torse, pieds sur le canapé avant d’enfouir sa tête pour masquer sa gêne ; sa gêne de parler, de s’ouvrir, de ne plus être cette pétillante boule d’énergie que rien ne semble pouvoir arrêter mais juste cette petite fille qui ne veut pas mettre fin à ses rêves mais qui ne voit aucune solution devant elle. « C’était intense, peut-être trop. J'ai même pas vu passer ces deux derniers mois et j'te parle pas des examens de fin de semestre où le seul truc qui m'retient de me jeter par la fenêtre pendant mes révisions, c'est que j'suis au premier étage » (rire sarcastique suivi d'un court silence) « Mais je peux pas arrêter, Clément. Je peux pas— ni le DBD parce que j’ai besoin de cet argent, ni les cours parce que mes parents vont faire une crise cardiaque, ni la danse parce que— » (sa voix s’arrête, son souffle se coupe et elle relève la tête, ses iris brillant d’un éclat si triste) « —c’est moi qui vais faire une crise cardiaque dans c’cas » ; et dans ses paroles jaillissent toute la sincérité de ses pensées ; sans la danse, Yoko n’existe tout simplement plus et elle n’a pas besoin d’en dire plus car Clément le sait déjà.
Je suis du genre à tenir mes promesses. Autant les gentilles et agréables que celles dont on se passeraient bien et les menaces. Ainsi donc, sans réellement hésiter, je me lève avec le paquet de sushi et me dirige vers la cuisine. Attrapant un maki, je donne une dernière chance à la jeune japonaise. Mais celle-ci n'a vraisemblablement pas envie de manger aujourd'hui car elle reste murée dans son silence et le pauvre maki finit sa course au milieu de détritus divers et variés -elle gère pas très bien son tris la jeune fille !
Bien que je sois un peu dégoûté d'avoir été aussi loin, je ne regrette pas mon geste pour autant car ça a au moins le mérite de la réveiller. Ainsi donc, c'est dans un soupire qu'elle m'avoue avoir surestimé son énergie. Reposant le maki à sa place dans la boîte je la referme, tandis que Yoko retourne s'asseoir sur le canapé et, repliant ses jambes contre elle, se met à m'expliquer un peu plus en détail. Ces deux derniers mois étaient trop intense pour elle et son petit corps. Elle n'a tout simplement pas vu passer ces dernières semaines entre son boulot au DBD, les cours et ses entraînements quotidiens avec la compagnie.
Et dieu que je la comprend, beaucoup trop bien. Elle a, toutefois, l'avantage que ça n'ai duré que deux mois et que son corps lui ait simplement donné un avertissement. Je n'irais absolument pas jusqu'à comparer nos deux situations, dire qu'une est pire que l'autre, mais je me dois tout de même de dire quelque chose.
«Je vois» dis-je dans un premier temps, me laissant ainsi quelques instants pour réfléchir plus sincèrement à ce que je souhaite lui dire afin de surtout lui faire comprendre qu'il faut qu'elle se calme. « Je comprends tout à fait ce que tu veux dire et la position dans laquelle tu te trouves» reprenais-je en hochant doucement la tête «Dans tous les cas, je pense que tu ne passeras pas à côté du fait de devoir faire un choix » je me redresse, me tourne vers Yoko et m'installe en tailleur face à elle «Mais ça tu t'en doutes sûrement » je lui offre un sourire rassurant «du coup … » je regarde autour de moi puis me penche en avant et attrape une feuille vierge ainsi qu'un stylo qui sont posés là, sur la table.
Plus ou moins adroitement, je trace trois lignes verticales puis les barre de trois horizontales. J'inscris ensuite des + et des – dans chaque cases du haut, puis 'DBD', 'cours' et 'danse' dans les cases les plus à gauche. « Voilà» dis-je en me redressant « Ce genre de listes m'ont pas mal aidé à faire un choix cette année donc ...» j'hausse les épaules «Je suppose que ça pourra éventuellement aussi t'aider » je lui souris puis attrape un cahier et m'installe à nouveau face à Yoko.
«Alors, dis moi tout ? En plus de l'argent qu'il t'apporte, pourquoi est-ce que tu garderais ton job au DBD ? » demandais-je, posant mon regard sur la jeune coréenne, stylo dans la main gauche, près à écrire toutes les idées qui lui passent par la tête.
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juin 2019
Enfant perdue dans ce monde trop grand — c’est exactement ainsi que Yoko apparaît en cet instant ; assise sur ce vieux canapé qu’elle a chopé sur un site équivalent au bon coin, jambes repliées contre son torse et visage à demi-caché de peur d’afficher sa détresse, la jolie nippone semble bien plus petite qu’elle ne l’est déjà face à Clément. Pourtant, elle ne peut pas le nier ; en parler lui enlève légèrement ce poids qui lui pèse depuis des mois (ah !) si seulement elle n’était pas aussi rebutée à l’idée de se confier, tout se déroulerait avec bien plus de facilité. D’une voix douce et dans laquelle n’apparaît aucune nuance de jugement ou de réprimande, le jeune danseur répond calmement qu’il comprend — qu’il comprend vraiment. Relevant la tête à cette phrase où perce l’insistance pour montrer la compréhension, Yoko plonge son regard dans celui de son interlocuteur ; quelle idiote ! de ne pas avoir abordé le sujet avant avec lui, lui qui, dans cette situation, peut la comprendre mieux que personne. Elle grimace à l’idée du choix mais hoche cependant silencieusement la tête ; elle en a parfaitement conscience, rester dans cette situation est impossible ou elle court droit vers le second malaise (ce qui ne l’intéresse franchement pas). Affichant un sourire rassurant, Clément se penche en avant pour attraper une feuille volante et la pose sur la table avant de griffonner des traits qu’elle ne peut pas voir — froncement de sourcil, sourire un peu narquois. « Tu t’mets au dessin toi ? » ; pour détendre un peu l’atmosphère, pour rendre cette prise de décision plus légère. Evidemment, le jeune homme ne se lance absolument pas dans un tableau d’art mais sur une méthode bien particulière pour faire des choix. Il s’assoit à côté d’elle, ayant précisé une seconde avant que c’est ce qui lui avait permis de trouver sa voie cette année — un moyen de définir l’important et les priorités ; de fuir ce qui n’apporte rien ou pollue le reste. Pendant quelques minutes, Yoko reste silencieuse — c’est étrange même de la voir muette, elle qui déballe des paroles et des paroles d’une façon plus ou moins classe à longueur de journée ; mais c’est parce qu’elle souhaite choisir les bons mots, s’exprimer correctement (plus sincèrement). Au-delà d’une réflexion, Clément suppose également une ouverture sur ce qu’elle ressent, sur ce qui compte réellement pour elle. « Je— » (elle se racle la gorge, reprend) « J’ai l’impression d’être indépendante, d’avoir mon propre moyen de revenu, tu vois ? » (elle se mord la lèvre, regarde ailleurs) « C’est mon père qui m’paye mes études— c’est la seule chose d’ailleurs qu’il me paye de l’année et les billets d’avion pour la Corée aussi, parfois mais ça dépend des années parce que là, c'tte année, c'est ma mère. Sinon, c’est à moi de me démerder pour tout le reste— et ce job, ça me donne le sentiment d’être— maître de mon budget ? » ; timidement, elle pointe de l’index la colonne indiquant DBD et trace un trait imaginaire en direction de celle où est inscrit Danse. « Mes parents comprennent pas ma passion— ils la comprendront probablement jamais. En Corée, sauf si tu veux devenir une idole— t’sais les groupes de chanteurs là, c’est pas vraiment accepté. Et encore, même les idoles, ça passe pas toujours. Dès que je veux prendre des cours en plus, genre des séminaires sur un type de danse en particulier, c’est moi qui paye » (elle laisse glisser son index vers la colonne Cours) « Et les cours de littérature, je déteste, tu l'sais très bien— » (elle écarte son autre main pour présenter le bordel ambiant sur son bureau) « —mais je pense que ma mère se tire une balle si je lui dis que j’arrête. J’ai— j’ai aucun point positif dans les cours. A la limite, le statut d’étudiante étrangère me permettait de rester en Australie sans que la loi vienne me chercher mais maintenant que j’ai un travail— » (elle tapote du doigt la colonne DBD) « —j’attends juste que la procédure se finalise et j’aurai un visa sans problème. C'est juste que ça met 6 mois ce merdier ». Elle esquisse un sourire avant d’ajouter « Désolée, j’tiens trop à ma nationalité coréenne pour la laisser » ; et puis, reprenant un air plus sérieux, elle enfouie de nouveau sa tête dans ses jambes. « Clément, j’sais pas quoi faire. J’sais vraiment pas quoi faire » — et dans sa voix perce toute sa détresse.
Il aura fallut que j'aille réellement jusqu'au sacrifice d'un sushi pour que Yoko daigne enfin parler. Alors que j'étais entrain de tenir en équilibre un deuxième Maki au-dessus de la poubelle, je suppliais silencieusement la jeune danseuse de me sauver de cette misère -car avouons-le, sacrifier ces petits rouleaux du bonheur, ça ne me fait vraiment pas plaisir- et c'est ce qu'elle décide de faire finalement ! Dans un soupire, elle s'installe sur le canapé et avoue tout. Et plus elle parle, plus je suis pris de remord. De ne pas avoir été là plus tôt, de ne pas avoir fait attention aux états émotionnels de mon amie, de ne pas avoir été la personne qui aurait pu lui dire stop avant que son corps de la lâche. Car ne suis-je pas celui qui soit le plus apte à comprendre et voir ces signes avant-coureurs ?
Essayant de ne pas me tracasser d'avantage sur ce que j'aurais pu faire, je décide d'aller de l'avant et invite Yoko à me rejoindre dans mon avancer. Me penchant en avant, j'attrape une feuille sur laquelle je dessine grossièrement quelques traits. «Je suis aussi doué pour le dessin que pour la cuisine » répondais-je à la remarque la jeune asiatique «C'est à dire que mon niveau est plus bas que zéro » précisais-je en lui lançant un coup d'oeil complice. Une fois la feuille prête et après lui avoir expliquer le fonctionnement, je laisse Yoko s'exprimer.
Ecrivant au fur et à mesure qu'elle parle, les cases se remplissent. Et très rapidement, je vois où se situe le plus gros du problème : la relation plus ou moins conflictuel avec sa famille. Si elle abandonne son job elle n'a plus d'argent car seul son père lui payes les études mais ne lui donne pas d'argent de poche. Si elle abandonne ses études, sa mère lui en voudra amèrement. Et si elle arrête la danse elle ne le supportera pas autant parce que c'est sa passion que parce qu'elle donnerait raison à ses parents, la danse étant très mal vu en corée. « Je vois» soufflais-je doucement. Je me tapote la bouche avec le bout du stylo puis pose mon regard sur Yoko qui me parle de visa étudiant qu'elle pourra troqué par un visa de travail mais que ça met trop de temps à arriver.
« Je comprends totalement» dis-je en hochant la tête, me reculant contre l'accoudoir du canapé, le regard toujours rivé sur la feuille «A mon sens, si tu devais abandonné un truc de tout ça, ce serait les études » dis-je, sérieux « Mais simplement parce que je ne peux décemment pas te dire d'abandonner la danse. Je ne me vois pas arrêter la danse moi-même, alors j'imagine fortement que toi non plus. Bref ...» je pince les lèvres en une grimace de réflexion « Le travail est important dans tous les cas : il te procure une stabilité financière qui n'est pas à exclure mais ...» je lève mon regard sur Yoko « T'as jamais songé demander à Charles d'intégrer la troupe purement professionnelle ?» demandais-je « Genre à 100% comme moi. Tu seras payer pour les représentations et tout ça» j'hausse les épaules «Pas énormément non plus, pas assez pour que tu abandonne totalement ton job, mais assez pour que tu réduise un peu tes heures » mon regard se pose à nouveau sur la case 'étude' « Mais pour ça tu devras vraiment faire un trais sur tes études. Genre ...» je me passe une main dans les cheveux « ce ne sera plus du tout compatible» je relève la tête « T'as déjà essayé d'évoquer un éventuel arrêt des cours avec tes parents ?» j'affiche une moue contrite « C'est horrible à dire mais … ils sont genre à je sais pas combien de milliers de kilomètre, qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire si tu décidais de tout stopper de ce côté là ? » je tapote la case 'étude' avec mon stylo. «Et si tu rejoins la troupe pro à 100% je pense qu'il y ait des chance que ça accélère ton histoire de visa, mais ça faut voir avec Charles » ajoutais-je, persuadé d'avoir donner la meilleure des solutions.
CLÉMENT & YOKO ⊹ Friendship is born at that moment when one person says to another, “What! You too? I thought I was the only one.”
juin 2019
Elle aurait du en parler avant — alors que ses maux exprimés en mots jaillissent de ses lèvres gercées, Yoko réalise le bien que tout celui lui fait ; s’ouvrir, avouer ses craintes et sa fatigue, confesser ses peurs et ses douleurs. L’angoisse d’affronter ses parents en cas d’arrêt de ses études, la peur viscérale qui la saisit à chaque pic de douleur dans sa cheville, le doute à chaque séance avec la psy qui pose sur elle son regard transperçant de jugement. Ses paroles finissent par se fondre dans le silence alors que son index reste encore quelques secondes sur le papier où figurent les traits grossiers de Clément (il l’a dit lui-même ! autant de talent en dessin qu’en cuisine) — son cœur bat plus vite et elle ne comprend pas vraiment pourquoi avant que son esprit lui apporte la réponse, claire, limpide, évidente même ! elle a peur de ce que va dire son partenaire de danse et d’amitié, ce garçon qui est le seul qu’elle se permet d’écouter sincèrement. Il y a ce souffle murmuré, qui confirme la compréhension, qui sous-entend la compassion et Yoko se sent légèrement rassurée. Elle sort sa tête de ses jambes pour poser ses orbes chocolat sur Clément, attentive à la moindre de ses paroles. Et puis, Clément parle — de façon simple, factuelle, assez détachée pour ne pas se laisser envahir par l’émotionnel ; elle doit arrêter une activité, ne peut continuer ce rythme qui s’apprête tout simplement à la tuer et la seule qu’elle peut se permettre de rayer, c’est l’Université (là ! les langues, la traduction, tout ce qui lui donne envie de disparaître à l’horizon) — silencieuse, elle hoche la tête et la secoue finalement lorsqu’il lui demande si elle a déjà songé à intégrer la troupe en tant que professionnelle, en tant que vraie professionnelle. Elle écarquille légèrement les iris, le laisse continuer (pendant que son esprit brûle d’une question primordiale : a-t-elle le niveau pour demander une telle requête à Charles ?) — tout concorde, tout s’emboîte parfaitement et elle sait, au fond d’elle, que c’est l’unique solution : abandonner les études, passer en professionnel et prier pour que ses parents ne la renient pas. Elle hésite un instant, à expliquer à Clément ; à lui confier que son frère est mort et qu’elle ne voudrait pas briser leur cœur une seconde fois, que sentir leur regard déçu pourrait l’achever, même à des milliers de kilomètres de son propre toit. Yoko est la fille unique, celle sur qui tout repose et pour qui les rêves sont loin d'être ceux attendus par sa famille. « T’as raison » finit-elle par dire en hochant lentement la tête, ses doigts jouant avec sa lèvre inférieure et son regard plongé dans le vague. « Il faut que j’arrête la fac. J’peux pas continuer, ça mène à rien et— et si je passe en professionnel dans la troupe et avec le job du DBD, je pourrai rester en Australie sans risquer d’me faire expulser à la fin du mois » (elle a un sourire ironique qui se dessine furtivement avant de reprendre son sérieux) « Clem, tu crois que— tu crois que j’ai l’niveau pour passer pro ? » ; il y a dans son regard le véritable doute mais en même temps, la flamme de l’espoir qui brûle, scintille dans le noir car son rêve ne lui a jamais semblé aussi près. « J’veux dire— vraiment ? » (ah !) vous voyez, ça n’a pas changé ; c’est peut-être même le fondement de leur amitié qui ne s’effacera jamais. Dès qu'il s'agit de son avenir, de danse, Yoko demande toujours à Clément, comme une petite sœur à son grand frère, cherchant la protection, les mots qui rendent forts et qui chassent les doutes. Elle esquisse de nouveau un sourire, amusé cette fois-ci. « Pour mes parents, j’vais essayer de leur en parler pendant mes vacances— comme j’retourne en Corée. Et sinon, j’le ferai à mon retour. Si j’reviens pas, tu sais pourquoi » ajoute-t-elle d’une réplique taquine avant de se lever pour s’approcher de la boîte de sushis qu’elle pointe de l’index, une expression clairement intéressée sur le visage « J’peux les manger, maintenant ? » — récompense pour s’être ouverte (enfin !)
Si je déteste voir mes amis démunis devant une situation qui les angoissent plus que de raison, avec Yoko j’ai l’impression que c’est pire. Non seulement car je tien énormément à elle en tant qu’amie, mais aussi car j’ai l’impression que, quelque part, c’est à cause de moi qu’elle est là où elle est maintenant : perdue et incertaine. Car c’était moi, il y a 4 ans, qui me suis prit comme mission de l’emmener loin dans sa carrière. Carrière qui a commencé à décoller lorsqu’elle a été acceptée à la Northlight. Je suis donc, en quelque sorte, à l’origine de ce qui s’est passé. Si je n’avais pas été là au début, elle n’aurait jamais eu à choisir entre tout ce qui la stresse et lui taraude l’esprit. Mais, ne pouvant pas changer le passé (et même si je le pouvais je n’en ferais rien !) je peux au moins l’aider à appréhender plus sereinement son futur.
Sachant parfaitement à quel point elle aime la danse et combien le travail au DBD est socialement et financièrement important pour elle, la plus simple des solutions serait d’abandonner les études. Et si la seule chose qui l’en empêche est cette histoire de visa, elle peut, tout simplement passer professionnel au sein de la compagnie. C’était, là, un point que j’avais envie d’évoquer depuis quelques temps avec elle. Je sais bien que d’elle-même elle n’irait jamais voir Charles, ne se voyant pas avoir le niveau nécessaire.
C’est cette question et ce petit manque de confiance en elle et en ses capacités qui me fait doucement sourire alors que j’hoche la tête, plus que sérieux. « Complètement» assurais-je «T’as fait des progrès énorme depuis la première fois que je t’ai vu danser et même si t’as été obligé d’arrêter pendant plusieurs mois, aujourd’hui j’ai l’impression que tout est oublié et que tu as dépassé le niveau que tu avais avant ton accident » dis-je en déposant la feuille sur la table « Je pense sincèrement que tu as le niveau nécessaire pour passé chez les pro à temps pleins. Et puis je suis sûr que tu adorerais le spectacle qu’on est entrain de monter !» mon regard se fait plus brillant comme à chaque fois lorsque je parle de la comédie musicale inspirée de Broadway que Charles a décidé de mettre en scène avec nous « Tu devrais lui faire la demande officielle. On préparera un truc, des petits films à l’appuie, je demanderais à mon père de faire un montage, peut-être même un petit shoot et on dépose ta candidature à ton retour de Corée.»
Je souris doucement puis rigole et hoche la tête à sa question concernant les sushi « Bien sûr, ils sont tout à toi !» dis-je en poussant la boîte vers la jeune asiatique puis attrape l’autre « Faudra que t’essaie de me prévenir avant que tes parents ne te tuent après que tu leur ais avoué que tu arrêterais les études» précisais-je avec amusément en attrapant un maki entre mes baguettes « bon allez, bon ap’ !» déclarais-je presque solennellement, mettant ainsi un terme à une discussion un peu trop chargée émotionnellement parlant pour revenir à une soirée bien plus légère comme nous en avons l’habitude.