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auden & ariane

Esmee qui jubile de l’autre côté du bureau à aire ouverte qu’on m’a légué aujourd’hui pour enregistrer le podcast. C’est cool, se faire chier à venir au bureau le samedi matin. C’est vraiment génial, d’avoir la semaine entière à se fendre en mille pour arriver à bout de toutes les dates de tombée de merde qu’ils nous foutent entre les dents, pour finir par pas pouvoir prendre une matinée off une fois dans notre foutue vie et devoir se poster ici pour roucouler au téléphone et enregistrer les mêmes questions et les mêmes réponses pour des auditeurs qui s’en balancent la majorité du temps, qui se touchent en attendant. Voyez, je suis dans un bon mood là. Not. Esmee donc, elle jubile. Et je jubilerais aussi si elle n’haussait pas le sourcil la seconde qui suit, désapprouvant totalement l’ajout de whisky dans mon café de bon matin, elle qui fait une cure aux jus en ce moment, ou un truc sans gluten, ou je sais pas, j’ai pas vraiment écouté pour être totalement honnête avec vous. « C’est le gars. De l’autre fois. » qu’elle introduit platement, me faisant signe qu’elle me transfère la ligne dans 1 minute top chrono. Et c’est à mon tour de lui lancer le regard du jugement, parce que really « Girl, va falloir que tu sois plus précise. ». Le gars de l’autre fois, tu peux pas être plus vague. On en avait des habitués. On en avait qui comprenaient pas le message, peu importe la langue – et les insultes – avec laquelle je leur parlais. Ils finissaient toujours par retéléphoner, par espérer les mêmes conseils love qui les aideraient à passer à travers leur situation si minime, si dérisoire, si répétitive qu’à un moment j’avais juste envie de leur conseiller de la foutaise juste pour voir s’ils étaient assez idiots pour m’obéir au doigt et à l’œil. « Celui au sous-sol avec les fouets et la collection de menottes arc-en-ciel. » ding ding ding, lui, difficile à oublier. Un grand sourire illumine mon visage, mon « Oh, lui. » qui encourage Esmee à finaliser le décompte de 15 secondes qu’il reste avant de me passer la ligne.

Alors le gars de l'autre fois, c’était du bonbon. Il m'avait téléphoné pour passer une bonne heure à me déblatérer les pires scénarios risibles du monde, et limite, j’aurais voulu être une auditrice moi-même pour vivre le tout de l’extérieur. Ici, à GQ, j’avais des règles à suivre, des limites à poser. Mais en toute transparence, j’en ai rien à chier. Du coup je l’avais encouragé le plus diplomatiquement possible dans ses allégations, j’avais fait preuve d’une gymnastique le plus agile possible pour lui poser les questions qui me permettraient de l’entendre répondre de la merde qui allait pour sûr traumatiser les gens à l’écoute – et ultimement, les patrons. Ils avaient fini par faire censurer une bonne tranche de presque 25 minutes au call, et lorsque le podcast avait été publié, je me souviens de la bulle de cafard que j’avais traînée avec moi une journée entière qu’on nous ait coupé ce qui s’apparentait plus à un show d’humour qu’à un appel pour un dude en mal d’amour. « Alors, elle a survécu à tes nouvelles frasques ou justement t’appelles pour que je te file d’autres ruses qui lui feront avaler tout ce que tu veux? » que j’ouvre, d’emblée, pas envie de faire dans les banalités et dans l’historique boboche dont tout le monde se fout bien. Je veux lui donner le plus de temps d’antenne possible, avec les idioties qu’il me donne l’impression d’inventer, le gars c’est une star, qu’on lui file un micro et qu’on le laisse bénéficier de la liberté d’expression que ses générations précédentes ont revendiquée. Yes please. « Autant au sens littéral que figuré, on s’entend. » Esmee est déjà outrée et il a même pas encore parlé. This will be fun.

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Entendre sa voix à l’autre bout du fil m’arrache un grand sourire, faut l’avouer. Ça, et probablement l’air horrifié d’Esmee qui se souvient parfaitement du fiasco qu’elle a dû gérer, la dernière fois, et des tentatives infructueuse qu’elle avait dû mettre sur pied pour tenter de changer les angles de conversation. À savoir les dizaines de messages textes et tout autant de feuilles de notes à mon intention, où elle m’avertissait que ça, ça allait pas faire les ondes, que ça, c’était risqué, que ça, ça ferait grincer des dents. J’avais pris le tout comme des encouragements à continuer, avant qu’on me coupe l’herbe sous le pied. D’où mon élan précipité aujourd’hui pour en venir tout de suite aux faits, et à ce qui le mettra à l’avant-scène en deux temps trois mouvements. On a pas énormément de latitude, c’est là où jamais. « Bah finalement il semble que l’être humain ai besoin de respirer un peu plus que cinq secondes toutes les minutes, c’est plus compliqué à gérer qu’une plante verte … Du coup j’ai changé de copine, j’en ai choisi une jolie à la sortie de l’école et l’autre elle flotte quelque part là. » faussement affligé il est, le gars. J’aime particulièrement qu’il statut d’office d’où il part, ainsi, ça donne l’impression d’un “what you’ve missed in last week episode” qui fera amplement l’affaire pour situer les pauvres âmes qui se coltineront notre conversation de bonne heure, une fois le podcast publié. Les jambes allongées sur la table où je suis posée pour enregistrer aujourd’hui, j’ai mes Converse qui cognent l’une sur l’autre. Le gars qui déblatère et qui parle plus que quiconque j’ai pu croiser aujourd’hui – normal, on sait qu’aligner 3 phrases ou plus à min intention si j’ai pas eu autant de café si ce n’est plus, c’est toujours très suicidaire comme pratique. « Ah damn, ça veut dire qu’elle n’a aucune daddy issue, et c’est un très, très mauvais signe pour toi. » Esmee roule des yeux, j’hausse de l’épaule. Et ça s’adapte autant pour les nanas de 30 ans tout juste que pour les gamines du préscolaire. Je pense à tous mes publics, I know, I’m the best. « Va falloir que tu pallies sur un autre de ses traumatismes. » et en plus de penser à tout le monde, je pense à des solutions aussi. Toujours proactive Ariane, toujours au-devant des autres. « Genre s’être fait voler ses bonbons dans la cours de récréa… » Esmee qui me mime un « me too » des lèvres, qui l’articule en silence mais qui secoue la tête de la négative tout juste après. Mon soupir n’a pas le temps de se rendre au micro que je relance, blasée. « … dans son cours de sciences politiques ouais. Elle finit son diplôme là, c’est bon? » et le c’est bon, il est dit à lui, mais je l’aligne surtout vers Es qui, je jure, a déjà une sueur froide coulant le long de sa nuque.

« Enfin bref, en parlant d’avaler, qu’est ce que vous pensez du waterboarding ? Mes oreilles commencent déjà à siffler car elle crie trop. Le problème c’est que je me dis que si je lui donne de l’eau elle va pouvoir se remettre à pleurer et c’est chiant. Sinon je la bâillonne directement ? Sans le nez cette fois-ci, pour pas avoir à changer de copine une nouvelle fois. »  « Tu peux faire mieux, me déçois surtout pas avec de la torture vanille comme ça. » presque déçue qu’il y soit allé avec du si facile, du vu et revu, je capte qu’il doit sûrement simplement la jouer cool, la jouer relax, prendre son temps pour bien placer ses cartes. Franchement Ari, si le waterboarding c’est relax pour toi, I don’t get you. Mais je le sais plus inventif, je l’imagine probablement et l'estime un peu trop, parce que le dude, je le connais absolument pas. Je l’ai peut-être même déjà croisé sur la rue, il prend peut-être son take out au même japonais que moi. Si ça se trouve, il est mon voisin de pallier, celui à qui je parle jamais, celui qui fait chier juste d’exister parce qu’il prend toujours mille ans à traîner autour de la boîte postale, et que c’est pas dit que je vais aller chercher mon courrier en même temps que lui et être forcée de lui taper une discussion sur des banalités. Le fait qu’il soit un inconnu rend le tout bien plus fun par contre, faut dire, et je sais pas si un jour je serai prête à le rencontrer en vrai. La magie du personnage, tout ça. Aussi dégoulinant de cul cul ça puisse être. « Bâillonner ça a des avantages par contre. » que je finis par lui donner, un point pour l’effort – et 40 points pour la prochaine mention que je me réjouis déjà de faire. Ils adoraient ça, les gens du marketing, quand je faisais de la promo à même le podcast. Vente ciblée et autres conneries. Ma voix qui change d’un ton, qui joue avec le timbre parfait d’infopub stupide, et qui précise, la bouche en cœur, les paupières qui battent la cadence. « Et on a justement tout un article sur les cravates et les nœuds pap’ vraiment bien dans la prochaine édition du magazine si tu veux t’inspirer un peu. »

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« Si t’es pas fan de vanille j’peux t’offrir des boules au parfum que tu veux. De glace, hein. Les boules. » « Quelle grande âme. J’vois tout de suite pourquoi elle a cédé si facilement avec les gâteries que tu lui promets. » on le perçoit parfaitement bien le sourire dans ma voix, alors qu’il relance avec une candeur tellement forcée qu’elle m’aurait arraché un éclat de rire si Es n’était pas occupée à tenter de me culpabiliser dans l’angle. Là, c’est qu’un soupir que je retiens, m’assurant au passage de tourner ma chaise dos à la pauvre figure d’autorité sans autorité aucune qu'elle tente de pesonnifier à mes côtés. Sans qu’elle ne dise rien, sans même qu’elle m’avertisse, je sais d’emblée que le compte à rebours est lancé et que ce n’est qu’une question de minutes avant qu’elle ne soit forcée de couper la ligne et de me faire passer à un autre appel. La vérité, c’est que je resterais probablement tout l’après-midi à discuter avec le dude là, parce que clairement j’ai plus du tout envie de me faire chier à répéter les mêmes conseils over and over à des gens qui clairement n’écouteront jamais et resteront toujours bloqués dans leurs comportements bourrés d’appréhensions et d’auto sabotage. Lui au moins, il dit de la merde, mais il la dit volontairement. « Est ce que vos cravates glissent ? Parce qu’après elles s’enfuient et c’est un peu chiant de leur courir après dans la rue, elle ameutent les voisins, les passants, tout ça … Tu vois le genre. » parlant de se foutre du monde, j’éclate franchement de rire, je l’imagine même à la poursuite de sa proie, je le vois le gars, clairement, même si j'ai pas la moindre idée de son visage mais que je me le trace mentalement le sourire aux lèvres. « Y’a de tous les styles, toutes les rétentions aussi. Perso, celle à velcro me plaît plus, elle reste vraiment stable, c’est un charme. » l’instant pub qu’ils m’ont forcé et que j’use à la corde, battant des paupières en teintant mes propos d’expériences personnelles. Et comme le mystère fait vendre, c’est absolument hors de question que je précise quelle en a été la véritable utilisation, beaucoup plus amusée de laisser quiconque perdre de précieuses minutes juste pour fabuler à mon intention. Les gens ont trop d’heures dans une journée – exhibit A, mon interlocuteur qui a probablement de quoi remonter dans le temps tellement il prend son pied à étirer notre conversation le plus loin qu’il le peut.

Et c’est là où il devient émotif, c’est son moment de gloire – ou plutôt, le mien. « Par contre tu donnes toujours de très bons conseils parce qu’on s’est rencontrés quand je vendais des bonbons, elle m’a pris une grosse sucette et j’ai tout de suite su qu’on était faits pour s’entendre. Je recommande vivement aux autres auditeurs du coup, et puis la prison c’est qu’une passade hein. » plantant mon regard dans celui d’Es qui a l’index bien prêt à raccrocher, je lui envoie un baiser soufflé à distance. « Laisse-moi m’assurer qu’on enregistre toujours pour enrichir la rubrique de témoignages du podcast. » d’un geste de la tête de la négative, elle me fait clairement comprendre que c’est coupé, que le podcast ne tourne plus, qu’on est allés trop loin beaucoup plus rapidement que la dernière fois. Petit record personnel ici, faut dire. « Bon, chaton, il semblerait que t’aies été censuré, encore. » que je finis par confirmer, lasse, quand Esmee me mentionne d’un coup d’œil vers l’horloge que j’ai quelques minutes à peine pour conclure (et m’assurer qu’il ne nous refasse plus le coup, bouhou) avant qu’elle ne bascule vers un autre appel et tente de racheter le tout au montage. Elle sort chercher des cafés, il ne reste que lui et moi sur la ligne, et je pense que c'est la pire erreur qu’elle ait pu faire depuis bien longtemps quand on y pense. « À moins que tu retéléphones en changeant ta voix, ton numéro de téléphone et/ou juste ton discours pour un truc aussi beige qu’ennuyant, je pense que c’est fini pour notre stand up comedy show du jour. » est-ce que t’es vraiment en train de lui donner une liste de quoi faire pour qu’il rappelle à répétition sans alarmer les radars, Ari? Yep.

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Qu’elle est conne, qu’elle est naïve Esmee, de nous avoir laissé seuls lui et moi. Qu’elle sait pas du tout dans quoi elle s’est foutue, et à quel point je me régale d’entendre sa voix à l’autre bout du fil, de l’imaginer sourire le con, de l’imaginer se réjouir, de l’imaginer tout court. Il fait partie du monde des interdits parce que je préfère me dépeindre un portait différent de lui à chacune de ses idioties, il me fait fabuler tellement il est improbable, tellement des cas dans son genre sont des licornes, des éléments isolés, des électrons libres qu’on croise à peine quelques fois dans une vie, qu’on doit user à la corde pour en profiter de tous les bénéfices. « Mais bien sûr que je ne ferais jamais cela, ce serait insensé. » mon rire que je ne cache même pas, pas besoin de faire la chiante quand personne n’est témoin de nos manigances pour le moment, et que je sens son sarcasme jusqu’ici. « Absolument irrespectueux. » j’insiste, le ton chantant, l’œil brillant. Et surtout, je l’encourage le gars, je le pousse vers le vice, je l’invite à me désennuyer, à faire de la séance d’appel quelque chose de beaucoup plus fun, de beaucoup moins linéaire. Ça me rappelle les podcasts d’avant GQ, ça me ramène directement aux souvenirs où c’était moi, la productrice de tout ça, où je me chargeais de tout, absolument tout, sans censure aucune. Où c’était moi aux commandes, et où on me foutait la paix royale dans le choix des sujets comme des invités. T’as voulu faire partie du monde des adultes Ariane, en faisant déménager ton projet sur leur chaîne? Enjoy, sister. La tête sérieuse et chiante à morte d’Es revient dans mon champ de vision quand l’autre raccroche précipitamment. J’ignore s’il va jouer de ruse, ou s’il va aller embêter quelqu’un d’autre parce que c’est quand même un tantinet compliqué de se tordre en gymnastique et de tenter de téléphoner à nouveau sans être grillé. Ce serait mentir de dire que je ne serais pas vachement déçue si finalement, fatalement, l’enregistrement d’aujourd’hui se termine sans un rematch de sa part. Mais je suis pas payée pour soupirer de sentimentalisme, pour me la jouer larmoyante à souhait, et d’emblée, je me ressers du vin blanc parce qu’il est presque 11h là, ça va, it’s all good – Ari, la bouteille est finie, t’as commencé y’a deux heures déjà. Détail.

C’est long ensuite, c’est ennuyant, ça passe lentement, je bâille, je me retiens même pas. Puis Esmee passe un autre numéro à mon intention, me laisse lancer la ligne, se cale dans son siège pour savourer une douce, une longue, une salvatrice gorgée de café. « Bonsoir, je vous appelle parce que j’ai eu une relation sexuelle avec une pêche aujourd’hui et je voulais savoir si c’était grave ? Enfin peut être que ça peut transmettre des maladies, parce que Mary la pêche et moi, on s’est pas protégés … Et c’était ma première fois alors j’étais tout stressé et j’ai pas envie d’être papa d’un prunier, c’est encore trop tôt … Vous croyez que si j’enlève le noyau elle avorte ? » café qu’elle recrache directement. Y’en a partout, sur son jeans trop bien taillé, sur son bureau entier, son ordinateur en mène pas large, j’en ai même jusque sur la joue. J’essuie ma peau du revers de la paume, hilare, charmée. « Pêche ou prune là, tu m’as perdue? » que je tente, mais quand je la vois qui se lève en catastrophe, qui file à la course vers la régie, je sais que j’ai encore moins de temps, que là, c’est une question de vie ou de mort, que c’est quitte ou double, quitte ou triple même. « Je conseille aux auditeurs de tourner en page 44, on y parle d'une excellente crème qui aide à faire passer les démangeaisons dûes aux herbes et aux arbres et à la nature ambiante en camping et… » je vomis mes mots, je les crache dans le combiné, j’éclate de rire, on est les pires, on a l’humour mal, mauvais, on se réjouit – on va aller en enfer sûrement. « Oh, come on. » Esmee qui a pas l’air de la trouver aussi drôle que moi, ses iris vrillés dans les miens, elle panique, elle est à bout. Et je me lève d’un bond, ramène ma coupe encore pleine avec moi, pique le post-it où elle a listé les coordonnés de ceux qui ont appelé jusqu’à maintenant. « Je prends une pause. » la seconde d’après, je monte sur le toit de GQ, m’y allume une clope – verte, vous me connaissez – et scrute tous les numéros avant de trouver celui qui semble correspondre au descriptif de la licorne. Good, good. Une tonalité, juste une, avant qu’il ne réponde. « Mary la pêche, vraiment? » je pouffe, la fumée d'herbe qui sort d’entre mes lèvres.

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« La vierge Marie, je trouvais ça drôle ouais. J’aurais pu tester avec Elizabeth, mais c’était trop long à prononcer. Et puis choisir un autre fruit ... j'avais pas le temps d'improviser plus, désolé. » il se confond en excuse, c’est presque cute. Presque, si j’avais porté la moindre attention à ses mots, si ce qu’il râlait là dans l’instant s’était pas envolé dans le néant au fur et à mesure où il l’articule. Parce que mes yeux sont vissés par-dessus la rambarde, qu’ils suivent du haut de l’immeuble les microscopiques humains qui évoluent en bas. Ils scrutent et ils critiquent et ils enregistrent, chaque pas, chaque réaction, chaque geste. Je leur imagine des vies et des horreurs comme cachoteries, des squelettes dégueulasses dans leur placard et tout autant de kinks qui les rendraient passibles de filer direct en enfer s’ils s’assumaient un peu plus, s’ils assumaient leur côté pervers d’idiots suiveurs. « Tu t’es libérée du joug de tes patrons qui ne connaissent rien à notre humour subtil ? » ah, déjà plus intéressant. J’ai pas envie qu’il râle et qu’il soupire, j’ai besoin qu’il s’amuse et qu’il pique lui aussi, et là, ça passe, ça vrille, ça joue. Le briquet avec lequel je joue de ma main libre quand mon portable vient se nicher au creux de na nuque contre ma joue, le joint au bord de mes lèvres un peu trop naturellement pour que ça ne soit pas inquiétant, pour qu’on ne doute pas que ma consommation est trop répétitive, trop alarmante, trop déplacée aussi. Sur ton lieu de travail Ariane, vraiment? Vraiment. Don’t care. Never did.  « Tu fais quoi ? Maintenant qu’t’es sûrement viré de l’émission pour au moins cinq minutes. » et un sourire vient creuser des fossettes sur mon visage, la bouffée que j’avale doucement, sans forcer, les secondes qui se cumulent quand sa voix rauque et juste assez acide me confirme que j’ai bien fait de le rappeler, que tout ça, c’est que le début au final.

« Je juge. » que mes mots s’enflamment, une minute plus tard, j’en fais pas de cas, il reste là anyways, il attend, il est patient, so am I. « Y’a des piétons, tu les verrais, t’aurais pitié. » et le soupir suit, exagérément, quand ma silhouette se cambre par-dessus le rebord de la galerie, que mes avant-bras s’y déposent au même titre que mon menton. Mes yeux ont pas lâché les microbes, les fourmis à plusieurs dizaines de mètres sous mes pieds. C’est pas pour rien qu’on monte ici pour se donner un trip de pouvoir supplémentaire en réunion, c’est pas inutile de venir ici pour se sentir un peu plus fort, un peu plus puissant, un peu plus en confiance. Et je ri, je laisse aller un éclat, juste un, consciente de la connerie, mais amusée tout de même, assez. « J’ignore pourquoi personne vient râler sur la race humaine plus souvent du haut du toit de GQ. C’est le meilleur endroit pour cracher sur la tête des passants sans qu’on se fasse voir. Sans qu’on soit censurés, sans personne qui comprend que dalle à l'humour subtil. » ses mots que je réutilise, sur lesquels je mets l’accent, sur lesquels j’insiste juste assez. Parce que là, je prends pour acquis qu’il capte les indices, qu’il se magne aussi. C’est pas dans mes habitudes de juste faire dans les mots, les actions parlent bien plus. Alors je sème les pions, fais volte-face aussi, le dos que j’appuie sur le muret de briques et la clope verte que je termine en étirant la fumée un peu plus, en lui laissant un compte à rebours mental pour capter que s’il me tend une perche du genre, je vais pas mettre longtemps à l’attraper. Et puis je fais quoi, s’il est con? S’il a pas passé la sélection naturelle? S'il allume pas aussi vite que je voudrais? Faut que je lui fasse d’autres allusions aussi évidentes que dégoulinantes pour qu'il se ramène ici asap? Je lui donne donc un dernier indice, assez évident pour qu’il fasse pas chier. « C’est juste dommage de manigancer ça toute seule. » don’t make me beg.