J’ose à peine sortir ces derniers temps, persuadé qu’une tuile est sur le point de me tomber dessus vu le déroulement de ma dernière nuit travaillée au Confidential Club. Mon patron m’a expressément demandé de prendre ma semaine de congés avant de revenir et de bien réfléchir à mon poste et aux conséquences de ma dernière perte de contrôle. L’idée de finir en taule me terrifie, je deviendrais fou enfermé je le sais. J’ai toujours eu une peur incontrôlable de la prison depuis que Maman s’est faite emprisonnée. J’ai même tourné le dos à des amis à cause de ça, préférant éviter de trop m’enfoncer dans les trafics louches par crainte de finir enfermé un jour. L’autre soir, j’ai carrément vrillé. J’ai déconné et j’espère que ce mec ne gardera pas de séquelles de mon intervention musclée. Je ne sais pas ce qui s’est passé, en le voyant serrer ses mains autour du cou de cette jeune femme, je n’ai pas pu maîtriser la montée de rage. Et il se l’est prise en pleine tronche. Résultat, je suis stressé, sur le qui-vive, je m’isole et rase les murs. Je ne sors que lorsque c’est nécessaire, comme aujourd’hui, parce que j’ai besoin de manger accessoirement.
Mon allure d’ordinaire peu avenante l’est encore moins aujourd’hui vu mon état d’esprit. J’enfonce mes mains dans la poche ventrale de mon sweat noir et marche d’un pas pressé en évitant les regards des autres, proche du délire de persécution. Les cernes sous mes yeux bleus témoignent de mon manque de sommeil serein – et pour cause : je ne cesse de me réveiller en stress et en sueur depuis deux jours au bout de quelques heures. Mon anxiété s’exprime à travers tous les pores de ma peau, et lorsque j’aperçois au bout de la rue des agents de la circulation, je m’engouffre sans réfléchir dans une petite ruelle dégueulasse, le souffle court et le cœur prêt à exploser. Posant les mains sur mes genoux, courbés sur moi-même, je m’astreins au calme. Tout cela vire à la psychose générale, c’est n’importe quoi ! J’essuie la sueur de mon front lorsque des bruits étranges me parviennent du fond de la ruelle. On dirait des tout petits cris, de bébé en quelque sorte. C’est flippant…
Je m’avance vers le fond de la ruelle et découvre un sac en plastique noir fermé qui bouge dans tous les sens. Avec effroi, je réalise qu’un animal doit être enfermé à l’intérieur alors, sans réfléchir davantage, je me penche vers le sac et le déchire de mes mains rugueuses. Trois minuscules boules de poils apparaissent devant moi, la peau sur les os, squelettiques, leurs yeux sont à peine ouverts et ils chancellent en miaulant faiblement. Effaré devant ce spectacle inhabituel et n’ayant jamais eu d’animal de compagnie, j’ignore absolument quoi faire. Lorsque les bestiaux viennent se frotter contre mes chaussures, je soupire et d’un regard circulaire essaie de trouver de l’aide. Mais personne ne fait attention à nous, dans cette ruelle dégueulasse qui pue la pisse, tout le monde est concentré sur son shopping et ses affaires. J’observe les chatons qui viennent sûrement chercher un peu de chaleur humaine et je décide de les récupérer et de les éloigner de cette ruelle dégueulasse dans un premier temps. La poche ventrale de mon sweat est suffisamment large pour les transporter tous les trois sans leur faire de mal, alors je les y fourre et pianote sur mon téléphone en avançant, cherchant un coin d’herbe où me poser avec eux.
Rapidement, je trouve le numéro d’une association de sauvegarde animale et sans hésiter je les appelle pour connaître les démarches à suivre dans ma situation. Je ne me vois vraiment pas balancer ces trois petits chats à la rue – ils crèveront d’ici ce soir vu leur état de toute évidence. J’explique patiemment mon cas et tombe sur une dame particulièrement impliquée qui me conseille de ne pas bouger en attendant que quelqu’un arrive pour prendre le relais. N’ayant rien de mieux à faire (à part m’acheter des clopes et des bouteilles de whisky), je m’étale sur un coin d’herbe ombragé et prend mon mal en patience tout en observant les trois petits gars qui font peine à voir. J’espère ne pas attendre trop longtemps, pas pour moi, mais plus pour eux. Ils doivent avoir besoin de soins, ou autres… Je n’en sais rien. Le seul chat que j’ai approché dernièrement, c’était celui de Sid et il ne fait pas la même taille. Je m’allume une clope sans les lâcher du regard, et de toute façon ils semblent tellement épuisés les petits gars qu’ils ne vont pas bien loin. J’enlève mon sweat et le pose dans l’herbe pour qu’ils s’y pelotonnent et s’y sentent en sécurité. Ils ont l’air d’apprécier la matière car ils s’y roulent en boule, les uns contre les autres. Moi je me contente de les observer en oubliant mes sombres pensées.
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Dernière édition par Harvey Hartwell le Jeu 20 Juin 2019 - 13:18, édité 1 fois
Les derniers temps, Leonardo avait été bien trop occupé pour s’engager à plein temps avec la SPA de Brisbane. D’habitude il essayait de garder un chat par-ci et par-là lorsque ceux-là avaient besoin d’une famille d’accueil – encore plus lorsque l’alternative était l’euthanasie. Mais son travail avait récemment engendré bon nombre de changements : son cabinet avait récemment déménagé dans une structure un peu plus grande, où ils seraient non plus deux mais quatre orthophonistes. En soi il fallait juste s’habituer à de nouvelles routes pour aller au travail, mais un tel déménagement signifiait aussi qu’il fallait déménager tous leurs dossiers, en cours mais aussi archivés. Beaucoup de documents étaient numérisés, mais Leonardo s’était retrouvé à avoir des courbatures aux bras à force de transporter des boîtes pleines de papiers différents. Pour combler le tout, il fallait savoir que le pauvre Leonardo n’était pas vraiment du genre à s’adapter à de nouvelles situations d’un simple claquement des doigts : le déménagement de son travail l’avait un peu renfermé sur lui-même, le drainant de toute énergie une fois de retour chez lui. Pour toutes ces raisons-ci, Leonardo n’avait pas hébergé de chats depuis plusieurs semaines – et s’il n’en ressentait pas vraiment le manque, puisqu’il était bien trop occupé ailleurs pour y réfléchir – il se sentait tout de même légèrement coupable. Après tout, même s’il était loin d’être le seul volontaire, ils avaient constamment besoin d’aide supplémentaire – et s’il disparaissait de la sorte, ça signifiait qu’ils devraient prendre en charge le même travail en étant moins nombreux. D’un côté, Leonardo savait bien que les fondements du volontariat étaient l’envie et la disponibilité – mais de l’autre, il ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression de manquer à une sorte d’obligation morale qu’il s’était imposé tout seul. Ainsi, pour compenser ce manque d’engagement de sa propre part, il essayait d’être plus présent d’autres manières, par exemple en assurant l’accueil d’éventuels intéressés par l’adoption de tel ou tel animal ou lors des portes ouvertes de leur centre ; il s’agissait de tâches assez triviales, puisque Leonardo n’avait pas les formations requises pour s’occuper vraiment d’animaux comme un véritable métier, mais il fallait bien que quelqu’un fasse ce genre de choses. Et s’il pouvait aider encore plus que d’habitude une cause qui lui était si chère, le Grimes n’en demandait pas plus. Ça lui donnait l’impression d’apporter sa pierre à l’édifice – aussi petite soit-elle, c’était toujours une pierre de plus.
Une autre des tâches que les volontaires pouvaient se voir imparties était d’aller venir en aide de ceux qui trouvaient des animaux abandonnés ; dans la théorie ils étaient censés être accompagnés par un spécialiste, mais le manque d’effectif rendait les choses un peu plus compliquées à gérer. En revanche, la procédure en elle-même était assez simple. Option 1, l’animal ne posait aucun danger et ils l’emmenaient chez le vétérinaire le plus proche. Option 2, l’animal pouvait être dangereux et dans ce cas-là uniquement, ils rappliquaient pour être accompagnés. Le Grimes se mit en route dès que la réceptionniste l’appela pour l’informer que trois chatons avaient été retrouvés, et assez rapidement Leonardo arriva à destination. Son très joli poli d’un vert kaki bizarrement délavé l’identifiait immédiatement comme un membre de la SPA, ce qui évitait d’éventuels blancs embarrassants. Il n’eut pas beaucoup de mal à trouver les trois chats, roulés en boule sur un sweat posé sur l’herbe – à leurs côtés se tenait un homme qui devait avoir le même âge que lui, prendre ou donner. L’odeur du tabac devint bien trop forte une fois qu’il arriva à leur niveau, mais il se concentra plutôt sur les trois chatons que sur les jugements qu’il pouvait porter sur leur sauveteur. « Bonjour ! C’est bien vous qui avez appelé pour ces chatons ? » Sans trop attendre de réponse, Leonardo posa la cage de transport par terre, avant de s’agenouiller pour regarder de plus près les pauvres rescapés. « Comment vous les avez trouvés ? Vous savez s’ils étaient là depuis longtemps ? » À en juger par leur aspect, ça faisait déjà un bon moment qu’ils avaient été abandonnés – sinon, ils ne seraient probablement pas aussi minces. Leonardo reprit la parole d’une voix plus calme et posée, expliquant à l’inconnu comment se passaient les choses une fois qu’ils prenaient la relève – c’était un speech tout prêt et appris par cœur, qu’il pouvait réciter dans son sommeil. « En règle générale, avant de ramener des animaux au refuge on a l’habitude de les emmener chez un veto’ avec lequel on travaille – histoire de vérifier que tout va bien, qu’ils n’ont pas de puces ou… d’autres maladies par exemple. » En règle générale, les personnes qui trouvaient tel ou tel animal n’étaient pas spécialement intéressées par tous les détails de la question – et tant mieux, parce que Leonardo n’était pas un expert en la matière, malgré tout ce qu’il avait appris par cœur au sujet. « Et ils m’ont pas l’air spécialement en forme. » Mais ils semblaient suffisamment bien pour survivre au choc. Du moins, c’est ce que Leonardo espérait – il n’avait pas vraiment envie de fondre en larmes devant le vétérinaire une énième fois.
→ Au bout d’une bonne vingtaine de minutes d’attente, je vois apparaître un mec assez grand vêtu du sweat reconnaissable de la SPA au milieu de la foule des passants. Je me redresse alors et époussette mon jean et mon t-shirt pour ne pas avoir l’air trop minable. Je jette un coup d’œil aux trois petits chats pelotonnés les uns contre les autres. Ils ont cessé de pleurer depuis plusieurs minutes et je pense qu’ils se sont endormis – je l’espère, car s’ils sont juste morts, je serais triste d’avoir fait tout ça pour rien. – Bonjour ! C’est bien vous qui avez appelé pour ces chatons ? Je me gratte la nuque, un peu embarrassé devant l’aisance du type et hoche la tête, répondant brièvement et avec une voix enrouée – Oui, c’est moi. Je me racle la gorge et l’observe s’agenouiller devant les bébés chats. Il a apporté une cage de transport, ce qui sera très certainement mieux que mon pauvre sweat pour les trimballer. – Comment vous les avez trouvé ? Vous savez s’ils étaient là depuis longtemps ? Je me mords la lèvre et enfonce mes mains dans mes poches en expliquant – Je les ai trouvé dans un sac plastique au fond d’une impasse au milieu des rues marchandes. Avec le bruit, difficile d’entendre leurs cris pour l’coup. Ils ont l’air d’avoir à peine une semaine, non ? Je les trouve tout simplement minuscules mais leur apparence ne joue pas vraiment en leur faveur, ils sont assez pitoyables tous les trois. La peau sur les os, très peu de poils et ce dernier est sale et collé par endroits… Ils font malades, tout simplement. – En règle générale, avant de ramener des animaux au refuge, on a l’habitude de les emmener chez un véto avec lequel on travaille histoire de vérifier que tout va bien, qu’ils n’ont pas de puces ou… d’autres malades par exemple. Ça ne serait pas du luxe de vérifier s’ils ne sont pas déjà en train de mourir, en effet. J’acquiesce en hochant la tête, m’en remettant totalement à lui car il a l’air de savoir ce qu’il faut faire, à l’inverse de moi. – Et ils m’ont pas l’air spécialement en forme. Je grimace. – Non, c’est clair. J’vous accompagne ? Fin, j’veux dire : est-ce que je peux ? Au risque de passer pour un grand sentimental, j’ajoute un peu gêné – J’aimerai bien savoir s’ils vont s’en sortir… J’suis pas forcément prêt à prendre un animal de compagnie – ce dernier ne serait pas forcément mieux loti avec moi qu’à la rue - mais le sort de ces trois petits gars me tient à cœur pour le coup. Après tout, ça fait presqu’une heure que nous nous sommes rencontrés et le feeling est plutôt bien passé, entre cabossés. – Vous pouvez garder mon sweat comme couverture s’ils veulent, ils ont l’air de l’apprécier. Dis-je en m’accroupissant à mon tour près des petits chats. Ils vont très certainement pisser dessus mais bon. Ça se lave les fringues, ça va. Je lève mon regard vers l’homme, espérant qu’il accepte que je le suive. Je pourrais très bien m’en foutre, lui laisser la charge des chats et me tirer acheter mon whisky et mes clopes ; mais à cet instant rien ne me semble plus important et urgent que d’accompagner ces chats chez le vétérinaire afin de m’enquérir de leur état, de savoir s’ils vont survivre et connaître un meilleur sort.
Si Leonardo était toujours aussi maladroit et peu à l’aise en présence d’inconnus, étrangement ça se passait un peu mieux lorsqu’il arborait son polo de la SPA – même s’il fallait avouer que sa couleur était assez hideuse, ça l’aidait à cacher Leonardo derrière un simple volontaire de la SPA. C’était un peu comme une sorte de rôle fictif qui l’aidait à se détacher de la situation : si son interlocuteur avait un quelconque reproche à lui faire, ça tomberait plutôt du côté de Leonardo-le-volontaire que Leonardo-la-personne, ce qui rendait l’éventualité de ces coups-là bien moins terrifiante pour le jeune Grimes. Il regardait prudemment les trois chatons, osant à peine s’en approcher de peur de les effrayer tellement ils avaient l’air faibles. « Ouais, je saurais pas trop donner d’âge exact, mais ils sont encore vraiment jeunes, ils sont encore très loin de pouvoir se débrouiller seuls. » Leonardo fut quelque peu surpris par la question de l’inconnu – dont il ne connaissait toujours pas le nom par ailleurs, et à ce stade de la conversation il n’osait plus trop poser la question. « Oui, y a pas de soucis. » À première vue, il n’aurait pas vraiment pensé que ledit homme pouvait s’intéresser à trois pauvres chats en si mauvais état, mais il fallait bien croire qu’il s’était trompé. Il se dépêcha de reprendre la parole, préférant éviter tout silence gênant ou réaction silencieuse. « C’est bien la première fois que quelqu’un se propose pour m’accompagner. En règle générale, une fois qu’on est bien arrivés les gens partent sans trop attendre. Comme c’est à nous de faire le boulot, on peut pas trop leur en vouloir tant qu’on retrouve l’animal. » Il haussa doucement des épaules pour ponctuer sa phrase et montrer qu’il ne disait pas ça juste pour faire joli ; à partir du moment où ils étaient là pour aider les animaux dans le besoin, il se moquait bien de ce que pouvaient faire les autres. « Effectivement. Je pense que ça doit leur changer d’être sur quelque chose d’un tant soit peu doux et confortable. » Leonardo prit aussi délicatement que possible le pull sur lequel se trouvaient les chats, le déplaçant alors dans la caisse de transport qu’il avait ramené. L’un des trois chatons semblait prêt à se remettre à miauler de plus belle, mais il semblait avoir compris que le Grimes ne comptait pas vraiment lui faire de mal. Le coeur de Leonardo se serra un peu à la vue des trois, tout simplement parce qu’il ne comprenait pas comment on pouvait en arriver là. Avec un pauvre soupire à peine caché, il ferma la cage de transport avant de la prendre par le bas, ses bras lui servant de support. Il y avait certes une poignée pour faciliter le transport, mais le Grimes avait beaucoup moins de mal à déplacer la cage de la sorte, et ça lui évitait de secouer inutilement les pauvres animaux. Il fit un signe de la tête à l’inconnu en commençant à se déplacer, montrant de sa tête la direction dans laquelle ils devaient aller. « Comme il y a un véto juste à côté, on peut juste y aller à pieds. Ça fait cinq minutes à tout casser, ça devrait aller. » Heureusement que c’était le cas, parce qu’autrement il aurait dû se déplacer en voiture, c’est-à-dire l’un de ses pires cauchemars – encore plus avec trois chatons blessés. Puisqu’ils devaient quand-même marcher cinq minutes côte-à-côte, Leonardo avait l’impression qu’il se devait de remplir le silence pour éviter la gêne constante qui aurait pu s’installer. « Vous avez déjà eu des chats, ou vous êtes plutôt du type chien ? » C’était l’une des questions les plus bateau qui soient – mais ça donnait souvent de la matière à répondre, et s’il avait détesté à ce point les chats il n’aurait jamais été appelé, ce qui suggérait qu’il ne devait peut-être pas les détester.
Mince, tu es encore être en retard. Maintenant que tu travailles pour Rehane, ou du moins pour les parents de cette dernière, tu te dois de garder certains horaires fixe. Marchant dans la rue, tu viens de voir à ta montre que tu n’es pas prêt d’arriver à l’heure sur le lieu de résidence alors que tu dois être déjà là-bas. Malheureusement tu ne peux pas être à deux endroits au même moment, tu n’as pas de pouvoir pour réaliser cela. Maudissant les travaux en cours, tu souris quand même aux employés, c’est comme ça que tu es élevé et ça ne change pas malgré tout ce qu’il se passe. Malgré le fait de faire attention, certains côtés du bâtiment sur lequel ils travaillent manque de tomber, entre les poutres, des tiges ou autres liernes, tout fout le camp mais tu ne peux rien dire, tu n’y comprends rien à ça. Médecine, voilà un terme que tu connais bien, auquel tu peux exposer des termes pendant des heures derrière une micro pendant une conférence. Malheureusement c’est loin de tout ça, il faut que tu te fasses une raison. Mission impossible pour le passionné que tu es, mais tu ne peux t’en prend qu’à toi. Marchant toujours, tu sors ton téléphone pour regarder les notifications et messages que tu reçois encore et encore. Machinalement, tu regardes ton fil d’actualité sur Facebook, tu n’y postes rien mais tu es tout le temps dessus. Maintenant que tu as le temps, tu te dois de te tenir informé de la vie de tes proches, chose qui te passe totalement au-dessus de la tête d’habitude. Mauvais endroit au mauvais moment, tu regardes ton téléphone sans même te rendre compte que le trottoir n’est plus vide, tu regardes d’habitude mais là non et de pleins fouet tu viens de te foncer sur l’un des deux hommes s’y trouvant. Même après ça, tu continus d’être sur ton téléphone, pourtant rien de bien intéressant. « Merde, pardon excusez-moi, je ne regardais pas où j’allais ! » Mal à l’aise, tu ne lèves même pas les yeux, tu presses le pas après ce minuscule accident sans la moindre conséquence. Message envoyé pour que Rehane l’écoute avec son application faite pour cela, tu presses le pas pour gagner un minimum de seconde sur le retard déjà conséquent. Minutes après minutes tu disparais de la même manière dont tu es apparu. Marchant, la tête baissée sur ce maudit téléphone.
Spoiler:
sorry, petite incruste, je repars comme je suis arrivée, l'air de rien
→ On ne dirait pas comme ça en me croisant dans la rue ; moi et mon sempiternel air sombre, la mélancolie qui me colle à la peau, mes yeux clairs larmoyants qui semblent exprimer toute la peine du monde ou toute la colère suivant le moment, moi et mes larges épaules affaissées qui marche courbé sur moi-même ; non on ne dirait pas que je suis du genre sentimental, à m’émouvoir devant des films à l’eau de rose (je ne l’avouerai jamais) ou devant des bestioles toutes innocentes. Je ne peux pas me détourner devant un spectacle aussi désolant que celui de la misère et de la cruauté humaine. Car il faut avoir une sacrée dose de méchanceté pour oser enfermer trois pauvres chatons dans un sac plastique, les balancer dans une ruelle et reprendre le cours de sa vie comme si de rien était. Assassin de chatons, mais certains diront que c’est un mal nécessaire, car de nos jours on peut argumenter tout et son contraire – même le droit de vivre de bestioles innocentes, oui. Et ça me désole. Ça me désole et ça me fend le cœur, alors j’oublie le whisky, j’oublie les clopes et j’attends avec mes pauvres petits rescapés sur ce carré d’herbe desséché. J’trouverai toujours un troquet ouvert, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, pour me fournir en drogues. Mais eux, ces trois petits chats, ils ne trouveront personne. Personne d’autre que moi pour veiller sur leurs sales tronches cabossées. Je fume ma dernière cigarette lorsqu’apparaît le type de la SPA, et malgré mon air embarrassé, j’explique la situation. On s’en fout de ce à quoi je ressemble, non ? L’important ce sont les petites bêtes endormies sur mon sweat là et le gars fixe en effet toute son attention sur elles. Lorsqu’il me confirme qu’ils sont trop jeunes pour se débrouiller seuls, j’ai un pincement au cœur. Néanmoins, je suis soulagé de savoir qu’ils vont être sauvés et que malgré leurs jeunes âges, ils ont une chance de s’en sortir. – C’est bien la première fois que quelqu’un se propose pour m’accompagner. En règle générale, une fois qu’on est bien arrivés les gens partent sans trop attendre. Comme c’est à nous de faire le boulot, on peut pas trop leur en vouloir tant qu’on retrouve l’animal. Je ne suis pas vraiment étonné par cette information, alors je me contente de hausser simplement les épaules en répondant – J’ai envie de savoir ce qu’ils vont devenir. Et s’ils vont bien, aussi. Pour moi, c’est logique mais je conçois que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Les gens sont trop pressés. Trop pressés par leur vie, trop pressés par le monde, trop pressés qu’ils en oublient de vivre, que d’aider leur prochain leur coûte un effort bien trop important. Car le temps est précieux et la vie est organisée. Si on déroge au rythme fixé par les aiguilles sur l’horloge, il faudra trouver comment combler la perte de temps occasionnée. Constat terrible, les gens oublient de vivre.
Je m’écarte légèrement pour le laisser manipuler les petits chats, délaissant mon sweat au passage pour qu’ils continuent d’en profiter. Le mec de la SPA glisse ce dernier avec les trois petits rescapés à l’intérieur de sa cage pour finir par la porter à bout de bras en m’expliquant qu’un vétérinaire se trouve à cinq minutes de marche d’ici. J’hoche la tête simplement et me met en route, un peu peiné à l’idée de le voir galérer tout seul avec sa cage. – J’peux les porter si vous voulez… Que je propose, maladroitement. Peut-être parce que je ne suis pas encore résigné à abandonner les trois petits gars. Et pourtant c’est ce qui va arriver, parce que honnêtement qu’est-ce que je vais foutre de trois chats moi ? Je ne sais pas m’occuper de moi, je ne vais surement pas prendre d’animal de compagnie. Les pauvres seraient malheureux comme les pierres avec moi, pour sûr. – Vous avez déjà eu des chats ou vous êtes plutôt du type chien ? Je secoue la tête rapidement. – Ni l’un, ni l’autre. J’ai jamais eu d’animal de compagnie, j’saurais pas m’en occuper. J’avoue brutalement, sans langue de bois. Et je m’en fous de ce qu’il peut penser de moi car j’ai un cœur malgré ça. Un cœur bousillé, écorché et défoncé qui bat pour les causes perdues. Je soupire et reprends la conversation en disant – J’comprends pas qu’on puisse faire ça. Aussi lâchement en plus. Quitte à les tuer, autant le faire vite et bien finalement. L’histoire du sac, de l’agonie lente et douloureuse l’un après l’autre… Il faut être inhumain. Et alors que nous marchons tranquillement, un abruti penché sur son téléphone percute de plein fouet le mec de la SPA que je rattrape de justesse avant qu’il ne s'étale la tronche sur le sol. On a frôlé la catastrophe. – Merde, pardon, excusez-moi je ne regardais pas où j’allais ! – Abruti ! Que je rétorque simplement, une main posée sur le bras de mon homologue et l’autre dans son dos. – ça va ? Je lui demande brusquement. Des miaulements apeurés se font entendre et je peste un peu en me penchant pour observer les bébés chats secoués. –Il est loin le véto ?
Malgré ses plus gros efforts, Leonardo n’avait pu s’empêcher de s’étonner que l’inconnu se propose de l’accompagner jusqu’au vétérinaire, non seulement parce que personne ne le faisait mais aussi, et surtout, au vu de ses airs sombres et ténébreux. Mais il ne fallait pas juger un livre à sa couverture, et peut-être que ledit homme était en réalité un homme à chats du même rang que le Grimes, prêt à choisir n’importe quel félin avant les humains. Mais il lui avoue qu’en réalité, il voulait simplement s’assurer que les trois chatons allaient bien s’en sortir, ce qui était bien plus probable et compréhensible. « Maintenant qu’ils sont avec nous, ils ont déjà beaucoup plus de chances de s’en sortir que dans n’importe quel sac. » Marcher à toute allure aurait permis aux deux hommes d’arriver au vétérinaire bien plus vite, mais les chatons auraient sûrement peu apprécié d’être timballés de tous les côtés d’une cage qu’ils ne connaissaient pas. Même s’ils avaient vraiment besoin d’être soignés, ce n’était pas pour autant qu’une pauvre minute d’écart aurait fait la différence, et les deux hommes se mirent en marche à un pas calme mais régulier, ce qui allongerait leur trajet de quelques pauvres minutes à peine. « Merci bien, mais ça va aller, ils sont vraiment pas lourds. » Même si l’offre était vraiment gentille, Leonardo avait suffisamment de force dans ses bras pour tenir la cage malgré son poids à elle. Marchant bien trop silencieusement à son goût, Leonardo essaya de faire un peu de discussion avec l’inconnu – à qui il aurait dû demander son prénom, parce que le désigner par des appellations du genre était bien trop étrange – et essaya donc de le faire parler au sujet des animaux de compagnie, puisque c’était un sujet qu’à peu près tout le monde pouvait aborder sans trop de soucis. Mais contre ses attentes, l’inconnu était visiblement presque choqué par le sort qui aurait pu être réservé aux trois chatons qu’ils promenaient doucement, mais le Grimes ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Maintes et maintes fois Leonardo s’était demandé comment l’humain pouvait être aussi cruel et faire preuve d’aucune pitié pour les plus faibles que lui, mais il avait vite compris que de se poser de telles questions ne l’aiderait pas à mieux comprendre ce genre de comportements. « Malheureusement, l’humain fait rarement preuve de compassion dans ce genre de cas-ci. » Malgré tout, Leonardo essayait de garder un peu d’optimisme et de se rappeler que tout le monde n’agissait pas de la sorte – comme le prouvait l’inconnu à ses côtés – ne serait-ce que pour éviter de sombrer dans le cynisme et le nihilisme.
Malheureusement pour lui, un autre inconnu, bien moins poli, s’écrasa de tout son poids contre un pauvre Leonardo qui n’avait rien demandé. Malgré un tel accident, le premier inconnu ne s’arrêta pas et continua à toute allure, laissant donc au deuxième la tâche de se soucier du Grimes et des pauvres chatons dans leur boîte à transport. « Ma foi, ça va, c’est plus à eux qu’il faut le demander. » Maudire l’inconnu l’ayant bousculé n’aurait pas servi à grand-chose, et le jeune Grimes avait d’autres soucis dans les mains. Miaulement sur miaulement suggérait que les pauvres chats n’avaient pas spécialement apprécié une telle rencontre, et Leonardo était très mal placé pour les juger, puisque sans la main de l’inconnu sur son dos il aurait tout simplement fini par terre. Malgré le petit choc, les deux hommes se remirent en marche aussitôt, n’ayant pas vraiment le temps de s’arrêter bavarder avec trois chatons blessés et affamés dans les mains. « Même si on est plus trop loin c’est quand-même… encore deux ou trois minutes je pense ? » Malgré le fait que l’inconnu ait dit qu’il n’était pas encore prêt à adopter d’animaux, Leonardo se racla doucement la gorge avant de reprendre à nouveau la parole au sujet des trois chats qu’il avait retrouvés. « Même si vous êtes pas encore prêt à les adopter, il faudra un moment avant qu’ils soient sevrés et aient tous les vaccins, et après l’adoption on peut donner des nouvelles de tel ou tel chat en foyer d'accueil si tout le monde est d’accord, donc… » Même si la plupart du temps les gens n’en voulaient pas vraiment, parfois ils voulaient bien recevoir des photos ou des nouvelles de leurs anciens protégés, ou de ceux qu’ils avaient aider à sauver. Même Leonardo l’avait fait plus d’une fois, ne serait-ce que pour savoir que son travail n’avait pas été vain.
→ C’est bien moi qui suis là à m’insurger comme les mauvais traitements que peuvent recevoir les animaux et même si c’est une cause pour laquelle je ne milite pas, je reste choqué de voir la façon dont les humains, se croyant supérieurs, peuvent infliger de tels sévices à des petits êtres sans défense. Clairement, ces trois petits chats n’avaient rien demandé à personne, ils sont juste nés et si cela constitue un crime alors… Tous les êtres foulant cette terre sont des criminels. Peut-être que c’est le cas, peut-être qu’un sombre personnage se cache en chacun de nous, prêt à bondir au moindre endormissement profond de la conscience. L’heure n’est pas à la dissertation de philo pour autant, aussi nous marchons vers le vétérinaire d’une allure régulière, sans vraiment se presser pour autant. Nous ne sommes pas à une minute près ! Et alors que la conversation s’engage, un passant pressé et obnubilé par son téléphone bouscule mon homologue, avant de s’éloigner en s’excusant à peine. Mais quel crétin ! Je râle, évidemment et s’il n’y avait pas eu les chats, je l’aurai très certainement rattrapé pour qu’il s’excuse correctement le bougre ! Ce ne sont pas des façons de faire non mais ! Inquiet pour les chats, ainsi que le mec de la SPA, je m’enquiers rapidement de leur état percevant, non sans mal, les miaulements affolés des trois compères qui doivent être en train de pisser allègrement sur mon sweat. Il est bon pour passer direct à la machine en rentrant celui-là. – Ma foi, ça va, c’est plus à eux qu’il faut le demander. Je me penche, observe les trois chatons un peu secoués, puis me relève. – Ils n’ont pas aimé. Quel abruti aussi, les gens ne regardent même plus devant eux dans la rue maintenant ! Ils sont sur leur téléphone tout le temps, c’est une putain de drôle d’époque ! Est-ce que je jure un peu trop ? Oui, très certainement. Je ne donne sûrement pas une excellente image de moi ainsi, mais je m’en fiche un peu. Je n’ai plus à me tenir vu mon statut social actuel, alors je ne fais guère d’effort en société. Qui plus est, le manque d’alcool commence à se faire sentir et je me sens tendu et agacé. La situation illogique dans laquelle je me trouve, et scandaleuse même, m’irrite au plus haut point. – Même si on est plus trop loin c’est quand même… encore deux ou trois minutes je pense ? – ça va, ne perdons pas de temps alors. Et nous nous remettons en marche, silencieux dans un premier temps. – Même si vous n’êtes pas encore prêt à les adopter, il faudra un moment avant qu’ils soient sevrés et aient tous les vaccins, et après l’adoption on peut donner des nouvelles de tel ou tel chat en foyer d’accueil si tout le monde est d’accord, donc…Brusquement, je secoue la tête, rejetant l’idée de garder un lien quelconque avec mes trois petits protégés de la journée. Cela reviendrait à s’investir, à me préoccuper d’eux et à quoi bon si je ne suis pas capable de les accueillir ? – C’est gentil, mais non. Si je prends des nouvelles, je m’attache et ce n’est pas logique. Si je dois m’attacher à eux, je les adopte c’est tout. Qui plus est, je me vois mal faire chier une famille d’adoptants en leur téléphonant ‘Salut c’est moi le gars pommé qui les a trouvé dans un sac en plastique dans les rues piétonnes de Fortitude, comment vont les petits gars ?’ Ce serait stupide et ça n’aurait aucun sens. Alors, non. Je fais ce que j’ai à faire aujourd’hui, je m’assure qu’ils soient entre de bonnes mains et j’accompagne ce type gentil de la SPA jusqu’au vétérinaire et puis je reprends le cours de ma misérable vie de merde sans demander mon reste. J’achète mon whisky, mes clopes et je vais me torcher tranquillement dans mon coin. C’est le mieux à faire non ? Oui, c’est le mieux. Je me le répète et je m’en convaincs tout en ayant le cœur qui se serre à l’idée d’abandonner les trois petits affreux à quelqu’un d’autre.
Quelques instants plus tard à peine, nous voilà arrivés devant le vétérinaire. La boutique ne paie pas de mine et sitôt entrés à l’intérieur, les effluves d’aseptisant, de poils mouillés, de croquettes exposées sur des étagères aux prix extravagants avec toutes sortes d’indications qui m’échappent totalement, toutes ces odeurs m’assaillent et me donnent le tournis, voire l’envie de fuir. Néanmoins, je tiens bon et suis le bon samaritain du jour en gardant mon air renfrogné qui interroge les assistants vétérinaires malgré tout. Je me mords la lèvre alors qu’on nous demande d’attendre que le vétérinaire soit disponible pour ausculter les chatons et je me cale entre mon homologue et une vieille dame qui sert contre elle un chien en piteux état et qui pleure. Ô joie ! C’est toujours déprimant cet endroit où c’est uniquement parce que je viens d’entrer ? Je me tourne vers le type de la SPA et lui demande – Au fait c’est quoi ton prénom ? Moi c’est Harvey. Y’en a pour longtemps à attendre là ?
L’inconnu des chatons semblait presque prêt à égorger le pauvre garçon qui s’était écrasé contre Leonardo. S’il aurait effectivement pu lever ses yeux de son écran, il y avait eu plus de peur que de mal pour tout le monde – et les chats, malgré des miaulements outrés, ne semblaient pas avoir souffert de l’agitation d’une telle rencontre. De toute façon, il était bien trop tard pour retrouver ledit garçon et l’engueuler jusqu’au lendemain, alors Leonardo reporta son attention sur leurs trois petits protégés. Heureusement pour eux, ils n’étaient pas bien loin du vétérinaire – et si Leonardo avait dû les y conduire, ils auraient été encore plus traumatisés par sa conduite. En bon bénévole, il proposa à l’inconnu qui les avait secourus s’il voulait être tenu au courant de leur futur – mais celui-ci refusa aussi poliment que possible, ce que Leonardo pouvait comprendre. Adopter un animal était un engagement très important, et s’attacher à des animaux que l’on adoptait pas finissait toujours par être une mauvaise idée – et le Grimes s’y connaissait très bien en la matière. Mieux valait faire ce qu’il y avait pour les chats et soi-même. « Dans tous les cas, on vérifie toujours comment les choses se passent quand une famille adopte des animaux – histoire de garder un œil sur eux et être sûrs qu’ils ne les traitent pas mal. Du coup, ils seront forcément bien peu importe où ils finiront. » En règle générale, tout se passait toujours pour le mieux ; rares étaient ceux qui venaient adopter des animaux dans des réfuges, ce qui voulait dire que généralement, tous ceux qui venaient les voir savaient que certains animaux pouvaient avoir besoin de soins spécifiques ou de temps pour s’adopter à la vie de famille. Mais en règle générale, les animaux et leurs familles étaient rapidement bien plus heureuses ensemble, ce qui lui donnait vraiment l’impréssion que leurs efforts servaient bien à quelque chose.
Une fois arrivés au niveau du vétérinaire, les chatons furent rapidement pris en charge – après quelques brèves questions de routine pour savoir dans quel contexte ils avaient été trouvés, auxquelles Leonardo avait volontiers répondu. Suite à cela, ils durent attendre un retour des vétérinaires, ce qui voulait dire patienter dans la salle d’attente jusqu’à ce que qu’on les appelle. Le Grimes s’était préparé à attendre dans le silence, n’ayant que son portable pour passer le temps – mais l’inconnu des chatons ne semblait pas avoir envie de fixer le mur jusqu’à ce que mort s’en suive, et il commença à lui poser quelques questions, sûrement histoire de meubler la conversation. « Moi c’est Leonardo, enchanté. » Au moins, il pouvait arrêter de l’appeler l’inconnu dans sa tête – même s’il ne le disait pas à haute voix, il avait toujours l’impression d’être quelque peu malpoli. « En règle générale… pas trop longtemps, non. Ils vérifient leur état général pour s’assurer qu’ils ne sont pas en état critiques, mais les sois peuvent s’étaler sur plusieurs jours. On va pas les vacciner et les dépucer et les panser et tout le tralala en un jour alors qu’ils sont épuisés et bien mal-en-point. Du coup, la toute première visite n’est pas la plus longue. » Il haussa des épaules, montrant qu’il avait l’habitude de ce genre de procédures. « Je pense pas qu’on pourra les ramener au refuge de sitôt, mais ils seront dans de bonnes mains ici. Pour y avoir vu passer beaucoup d’animaux, en règle générale ils s’en occupent très bien. » Voyant que l’atmosphère chez le vétérinaire n’était pas vraiment des plus gaies, ne serait-ce qu’avec la dame qui était à côté dudit Harvey, le Grimes ne put s’empêcher de sentir une pointe de peine pour celui-ci. Quant à lui, il y était tout simplement habitué. « Vous pouvez rentrer si vous voulez, je vous en voudrais pas d’avoir mieux à faire qu’attendre ici. C’est pas comme si nous on pouvait y faire grand-chose, à l’heure qu’il est. » Tout ce qu’ils pouvaient faire s’il restait, c’était attendre. Et tout le monde n’avait pas son après-midi de libre pour attendre qu’on l’appelle pour des chatons qu’il n’allait même pas adopter.
Dernière édition par Leonardo Grimes le Ven 16 Aoû 2019 - 18:04, édité 1 fois
→ - Dans tous les cas, on vérifie toujours comment les choses se passent quand une famille adopte des animaux – histoire de garder un œil sur eux et d’être surs qu’ils ne traitent pas mal. Du coup, ils seront forcément bien peu importe où ils finiront. Le seront-ils réellement ? Bien ? Est-ce vraiment le mieux pour eux ou est-ce ainsi que ce monde fonctionne ? A trimballer les gosses désœuvrés, les rebuts de la société, de famille en famille, de foyer en foyer, en les contenant pour éviter qu’ils fassent trop de bruits sous couvert de les ‘protéger et de veiller sur eux’ ? Je ne peux pas m’en empêcher, je fais le lien avec ce que j’ai vécu alors que ça n’a strictement rien à voir. Il s’agit de chats ici, pas d’orphelins. J’ai l’esprit embrouillé, je suis fatigué et mes réflexes ne sont pas très bons pour le coup. J’hésite à envoyer un message à Sid, à lui demander s’il est disponible ce soir et puis je me ravise bien vite. Rien n’a de sens et personne ne voudra de moi dans cet état. Je finis par maugréer dans ma barbe – J’espère. Et je me replie sur moi, les mains enfoncées dans les poches de jean j’avance en silence, parcourant rapidement les derniers mètres qui séparent du vétérinaire de centre-ville établi là. Une fois à l’intérieur de l’endroit, les odeurs viennent chatouiller mes narines et me mettent mal à l’aise. J’adopte une attitude assez renfermée, et les petits chats se font rapidement embarqués tandis que nous sommes relégués à la salle d’attente. Mal à l’aise face au silence, je le brise et me présente au mec de la SPA, qui me donne son prénom à son tour. J’hoche la tête avec un bref sourire, la politesse du type m’amuse. ‘Enchanté’, vraiment ? Je ne connais pas grand monde qui est réellement enchanté de me rencontrer, mais soit, c’est de la politesse uniquement, je ne dois pas en faire une affaire d’état. Je deviens irritable, la fatigue a raison de moi tout comme le manque d’alcool dans mes veines. Je commence à me ronger les ongles, à triturer les plis de mon sweat que j’ai récupéré et qui est posé sur mes genoux. Leonardo m’explique la procédure, il a l’air bien connaître les rouages de tout ça – en même temps le contraire aurait été étonnant. Je me mords la lèvre en l’écoutant, me contente d’hocher la tête et d’envoyer des coups d’yeux furtifs vers la vieille en train de chialer avec son chien mal en point. Et alors que je commence à transpirer et à devenir réellement nerveux, Leonardo m’offre une porte de sortie que je saisis directement. L’endroit, l’ambiance et les odeurs me sont difficilement supportables et j’ai réellement besoin de fumer une clope et de boire un coup. – Ok. Bah du coup, merci d’être intervenu si vite. Je me lève rapidement, essuie la moiteur de mes mains sur mon jean et jette un coup d’œil circulaire dans la pièce. – Vous avez une carte peut-être ? Genre, on ne sait jamais, ça peut toujours servir. Nerveux, je finis par foutre les mains dans mes poches en me tenant le plus droit possible, comme un piquet, les yeux bien ouverts. J’ai conscience que mon attitude est gênante alors je n’insiste pas vraiment et quitte rapidement le cabinet vétérinaire par la suite. Une fois dehors, je respire à nouveau mais ne m’attarde pas vraiment et me dirige vers le premier bureau de tabac ouvert que je peux trouver, la nuit m'encerclant à nouveau.
Leonardo n’était pas bien envieux de son accompagnateur. Après tout, quand on entrait chez le vétérinaire de bout en blanc sans jamais y être allé auparavant, ce n’était pas l’endroit le plus joyeux de Brisbane – et encore qu’il ne le voyait pas dans le pire de ses états. Pour y être passé plus souvent qu’il ne l’aurait aimé, le Grimes avait vu toute sorte d’événements dans la pauvre salle d’attente – allant de la joie de retrouver son animal de compagnie au chagrin qui accompagnait le deuil. Et s’il était bien content qu’il y ait des vétérinaires qui prenaient en charge ces animaux dans le besoin, il était bien content de ne pas avoir à affronter cela au quotidien – tout simplement parce qu’ils avaient bien plus de difficultés à affronter que lui. L’inconnu brisa le silence en se présentant – ce qui permettait à Leonardo d’éviter de l’appeler constamment ‘’l’inconnu aux chats’’ - mais le répit de cette conversation fut de bien courte durée, puisqu’aucun des deux hommes n’était bien loquace. D’un autre côté, le seul point en commun qu’ils savaient avoir se trouvait en pleine analyse médicale, ce qui rendait leurs conversations bien moins intéressantes. En fin des comptes, l’un des seuls bruits qui résonnait dans la salle d’attente étaient les sanglots de la dame au chien assise à côté d’Harvey, ce qui ne devait pas être bien plaisant à vivre pour le pauvre blond. Et s’il n’était pas encore parti en courant, c’était probablement plus par politesse que parce qu’il avait vraiment envie d’attendre le temps qu’il faudrait avec Leonardo – qui lui proposa donc de s’en aller. En soi ça ne le dérangeait pas qu’il reste – après tout, ils pouvaient tous les deux se contenter de fixer leurs portables en attendant des nouvelles des chatons rescapés – mais il n’avait pas l’air d’apprécier des masses l’ambiance qui régnait chez le vétérinaire ; et contrairement au Grimes, il n’avait pas non plus besoin d’y rester. Quant à lui, Leonardo aurait certainement eu beaucoup moins de mal à rester sur son portable en étant seul qu’avec Harvey à ses côtés. Celui-ci semblait ravi d’une telle offre, et ne tarda pas à se relever – sans pour autant partir de suite, demandant au Grimes s’il n’avait pas une carte de visite, au cas où. « Oui, bien sûr. Normalement y a toujours quelqu’un prêt à répondre si besoin est. » Et sans un mot de plus, Harvey disparut par la porte d’entrée, laissant Leonardo avec son seul portable contre la tristesse de la salle d’attente.