just keep swimming. De tous les habitants de Brisbane, Primrose semble être celle avec qui Charlie a la relation la plus ambiguë qui soit. Elle ne sait pas si elle doit la considérer comme une sauveuse ou une ennemie, une inconnue ou une proche. Un peu de tout à la fois sûrement, même si être considérée à la fois comme une inconnue et une proche semble incongru. Elle l’a sauvé de l’emprise de John, lui qui ne lui voulait que du mal. Sans elle, elle serait encore empêtrée dans cette relation qui n’en vaut pas du tout la peine, cette relation qui la menait seulement droit vers un mur avec une collision frontale assurée. Leur lien reste cependant ambiguë car elle n’est pas seulement la jeune femme qui lui a dit “hey girl, fais attention, je le sens pas ce gars” elle est celle qui a sauté les pieds dans le plat et lui a avoué toute sa seconde vie, celle qui lui a aussi avoué avoir couché avec le même homme. Elle la respecte énormément d’avoir eu autant de courage pour aider une simple inconnue, alors que Charlie aurait pu la prendre pour une menteuse et se contenter de révéler son secret au grand jour. Heureusement qu’elle n’a pas été assez stupide pour ça, elle aurait foutu leurs deux vies en l’air. Dans un premier temps la rousse a préféré ignorer le problème et lui trouver des excuses sans queue ni tête mais elle a enfin fini par se réveiller au bout de quelques heures. La collision frontale a été celle des arguments de Charlie contre la désinvolture de John. Il n’avait aucun argument et c’était bien là le problème. Il s’est défendu comme il l’a pu, attaquant chaque parcelle du coeur de la rousse sans qu’elle en soit réellement touchée. Elle avait trop de rage enfouie au fond d’elle pour prendre ses mots à coeur. Dans un autre contexte elle aurait ployé le genou, en larmes, mais ce fameux soir elle s’est tenue droite et a tiré à balles réelles contre cet homme qu’elle aimait tant. Si elle avait réellement eu une arme chargée à côté d’elle, nulle doute que cette métaphore n’en aurait pas été une. Il lui a fait du mal à elle, certes, mais à Primrose aussi. Il a fait du mal à bien trop de femmes pour rester impuni, il les prend toutes pour des sujets qu’il peut manipuler à sa guise mais il est bien loin de la vérité. Un jour il sera la poupée de quelqu’un à son tour et ce jour là il se rendra compte du sombre abruti qu’il est. Le sombre abruti qui a frappé Cian, celui qui a aussi frappé Léo, et celui encore qui a frappé Charlie. Toutes les excuses du monde ne suffiraient pas à gommer toute la haine que la simple évocation de son nom lui procure. Elle s’en veut d’avoir été une stupide fille encore une fois, de ne rien avoir compris à ce qui se passait sous ses yeux attendris. Primrose était là pourtant, elle lui hurlait de se réveiller, et Charlie s’est bouchée les oreilles. Aujoud’hui si elle rôde dans les couloirs de leur université, c’est dans l’espoir d’apercevoir la jeune femme à la chevelure brune et aux si jolis yeux. Elle n’a sans doute pas envie de la revoir après la scène qu’elle lui a faite au café, mais c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles elle tient à lui parler et à s’excuser. Ou à la remercier. Tout est confus, elle voudrait lui raconter tant de choses. Finalement elle la reconnaît de dos, elle ou une silhouette qui tend fortement à lui ressembler comme par un heureux hasard. Charlie presse le pas, oubliant alors qu’elle s’est contentée de cacher son cocard récent par un fond de teint totalement inutile. Le maquillage n’a jamais été son domaine tout comme choisir la bonne combinaison de couleur. Anyway, elle s’en moque, cela ne lui importe plus vraiment de savoir comment les gens vont la regarder. L’excuse commune à toute l’Australie est simplement “je me suis pris une porte” ; simple, rapide, et totalement inefficace. Son sac à dos vissé sur les épaules, l’étudiante s’approche de plus en plus doucement à mesure qu’elle arrive sur Primrose. Elle tira nerveusement sur ses angles, comme si elle allait faire face au grand méchant loup en personne. Son casier ouvert, une porte métallique sépare les jeunes femmes, de ce fait Charlie se contente d’un faible « Primrose … ? » avant de se racler la gorge et de continuer sur sa lancée, tout sauf sereine. « Tu te souviens de moi ? Est ce qu’on pourrait parler en seule à seule, si tu as le temps ? » Et l’envie, aurait-elle envie d’ajouter, mais elle se retient. Non, elle n’a sûrement pas envie de voir Charlie. Le casier se referme soudainement, laissant apparaitre le visage meurtri de l’étudiante de droit, une belle cicatrice dans le coin. « Prim, je … tu t’es fait ça comment ? » Pitié, pitié que le réponse ne comporte pas le mot “John”.
Je n’ai plus besoin de venir à l’université maintenant que les cours sont derrière moi, ou en tout cas, je n’en aurais pas eu besoin si je n’avais pas eu la flemme de récupérer mes affaires après les examens et si j’avais réussi à faire signer ma convention de stage dans les temps. C’est donc bien pour faire un peu de ménage et me rendre à l’administration que j’ai fait l’effort d’y mettre les pieds, aujourd’hui, après une grasse-matinée jugée plus que méritée. Le début de mon stage qui devrait avoir lieu début juillet, si tous les papiers sont signés dans les temps, aura une incidence négative sur mon sommeil, j’en ai parfaitement conscience, alors j’essaie de compenser en dormant un peu trop – oui, je sais ça ne marche pas comme ça mais cette excuse me va très bien –. Ma vie est devenue un joyeux bordel ces derniers temps, bordel que j’essaie d’ignorer parce qu’il est bien plus simple de vivre dans le déni que de l’assumer pleinement. Je ne veux pas réaliser que mon quotidien a été réalisé parce que j’ai décidé de me fier à la jugeote d’une inconnue qui a décidé de faire exploser ma vie pour sauver la sienne. Je ne devrais même pas en vouloir à Charlie, ce n’est pas de sa faute si elle est tombée sur un connard, mais j’admets que j’ai du mal à comprendre pourquoi elle me l’a envoyé, elle savait certainement qu’il risquait de me faire du mal, ça tombait sous le sens, non ? Enfin, j’imagine que si elle a agi avec lui en lui trouvant des excuses, comme elle l’a fait avec moi quand j’essayais de la convaincre qu’il n’était rien d’autre qu’un gros connard, elle ne s’est sans doute pas rendu compte qu’elle allait lancer son pitbull de mec droit sur moi. Malgré tout, parce que j’ai failli laisser ma vie dans cette histoire et que mes projets d’avenir – déjà pas très stables, il faut le reconnaitre – sont complètement chamboulés, je ne peux pas m’empêcher de lui en vouloir et je m’en veux également à moi de m’être montrée aussi naïve. J’ai toujours eu l’habitude de ne penser qu’à moi-même avant de songer aux autres, force est de constater que j’aurais dû conserver cette ligne de conduite qui m’aurait évité de prendre un billet pour un aller simple vers la morgue évité de justesse par l’intervention d’un saint homme que je n’ai même pas eu l’occasion de remercier, d’ailleurs. Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? Qu’est-ce que je suis censée faire de ma vie ? A dire vrai, je n’en ai absolument aucune idée et c’est bien ça qui me terrifie. L’idée que John puisse débarquer et finir ce qu’il a commencé me fait peur, mais pire encore, c’est la possibilité de me retrouver sans travail et sans revenu qui m’inquiète, parce que pour le moment, j’ai cette horrible impression d’être dans un entre-deux détestable auquel je ne m’étais pas préparé. Je ne voulais pas choisir, pas maintenant, et alors que j’avais émis l’idée que quelqu’un d’autre choisisse pour moi, je ne suis plus du tout à l’aise avec cette idée, finalement.
Arrivée devant mon casier, je vide machinalement son contenu dans mon sac, désireuse d’en finir au plus vite avec tout ça pour éviter de croiser des têtes connues auxquelles je devrais sans doute expliquer que j’ai voulu mettre une pile d’assiette dans un placard trop haut et que cette dernière m’est tombée sur la tête durant cette périlleuse opération. J’ignore à quel point mon excuse peut paraitre crédible, mais je compte bien insister sur le ridicule de ma situation pour que les gens ne remettent pas ma parole en doute, trop occupés à rire de ma propre bêtise à laquelle j’ai prévu de rajouter des anecdotes amusantes pour éviter que d’éventuels curieux aient le temps de poser des questions. Toutefois, j’espère surtout passer au travers des rencontres que je pourrais faire ici et c’est donc une immense déception qui m’envahit alors que j’entends mon prénom, prononcé par une voix non identifiée provenant de l’autre côté de la porte de mon casier suivi d’une proposition de discussion seule à seule. Mes sourcils se froncent, non seulement je n’identifie pas la voix en question, mais en plus ce genre de convocation ne me dit rien qui vaille. Je referme la porte de mon casier et tombe nez-à-nez avec Charlie, la jolie rousse qui a ruiné ma vie, peut-être sans même s’en rendre compte. Mon sourire s’efface puis apparait de nouveau lorsqu’elle s’étonne de mon état. Un éclat de rire nerveux s’échappe de mes lèvres. « J’ai glissé. » Je lance, deux mots bourrés d’ironie qui répondent parfaitement à sa question même si je ne prononce pas clairement ce qu’il m’est arrivé. « Toi aussi, apparemment. » Je constate, sans la moindre compassion, parce qu’après tout, il ne serait pas vraiment juste que je sois la seule à trinquer. A dire vrai, j’ignore si c’est bien John qui s’en est pris à elle, mais vu la colère dont il a fait preuve me concernant, je n’ai pas trop de mal à y croire. Ce mec est dangereux, il devrait être enfermé. « T’as de la chance, ça devrait disparaitre vite, tu ne souffriras pas d’héméralopie trop longtemps. » J’ignore à quel point ce cocard influe sur sa vue, et à dire vrai, je m’en moque bien, ma propre cicatrice me cause déjà assez de souci pour que je n’ai pas besoin en plus de me soucier des dommages corporels des autres. « Qu’est-ce que tu veux ? » Mon ton est nettement plus sec que je ne l’aurais voulu, ma rancœur prend le dessus sur la solidarité féminine que j’aurais pu prôner alors que nous partageons désormais plus que le fait d’avoir couché avec le même homme. « Je crois que tu en as déjà assez fait. » Beaucoup trop, même, et maintenant, ce qui serait génial, c’est qu’elle ne la ramène pas et sorte de ma vie.
La réponse de Primrose est à peu près tout sauf ce qu’elle attendait. La haine se lit dans ses yeux, il n’y a aucun doute là dessus, même le dernier des imbéciles l’aurait décelé. Elle avait été si douce jusque là avec Charlie, la rousse n’était pas préparée à un revirement de situation si brutal. Toutes les personnes qu’elle rencontre depuis l’agression de Léo la prennent en pitié à cause de son cocard, au moins maintenant les deux jeunes femmes sont à égalité. Villanelle ne peut s’empêcher de ressentir de l’empathie pour sa camarade, elle ne changera jamais. Le fait que ce sentiment ne semble pas partagé lui fait garder les pieds sur Terre, elle n’est pas le petit ange que tout le monde doit plaindre à longueur de journée à chaque fois qu’elle perd une plume. Primrose n’en a rien à faire qu’elle perde une plume ou ses deux ailes, elle n’en a rien à faire du tout car elle la prévient de sa chute depuis des semaines et qu’elle est restée sourde. Désormais Charlie en paye les conséquences et elle ne peut s’en prendre qu’à elle même. Heureusement que son entourage est varié et ne se constitue pas seulement d’ex psychotiques et d’amis sur qui elle pourrait compter contre vents et marées ; il y a aussi ceux qui sortent du lot et qui restent inclassables, comme Primrose. Au fond elle est heureuse, mais en face, elle ne fait pas la maligne pour autant. Charlie fronce les sourcils après qu’elle lui ait dit qu’elle ait glissé aussi parce qu’elle comprend bien le sous entendu. Elles ont glissé à cause du même homme, se sont pris une porte de la même maison. Comment ? Non, mauvaise question. On sait tous comment ça se passe, un coup bien placé et le corps en reste meurtri ; voilà comment ça se passe. La vraie question c’est pourquoi, pourquoi est ce qu’il aurait voulu s’en prendre à Primrose ? Et petit à petit Charlie connecte tous les indices les uns aux autres et la lumière fût. Elle est le seul point commun, celle qui a déclenché le compte à rebours. Si seulement elle avait su. Mettre la vie de son amie (?) en danger n’a jamais fait parti de ses plans, elle aurait préféré prendre ses coups à sa place plutôt qu’elle ne paye pour ses bonnes actions. Le monde tourne à l’envers. Lui qui disait qu’il ne frapperait jamais une femme de sa vie, en effet, il n’avait pas tort. Il en a frappé deux, dont une deux fois. Il n’est pas un menteur (par sur ce point là du moins), seulement un gros connard. « J'appellerais pas trop ça de la chance. » Non vraiment, se faire frapper au beau milieu d’un bar après avoir voulu défendre son meilleur ami déjà inconscient n’est pas vraiment la définition à laquelle elle aurait relié le mot “chance”. Ce n’est pas non plus à ce terme ci qu’elle aurait relié la description d’une plaie au beau milieu du visage lui pourrissant la vie depuis une semaine. Elle se reprend rapidement pour ces paroles qu’elle s’étonne elle même d’avoir prononcé, bien qu’il n’y ait pas eu une once d’agressivité dans ses mots. Charlie n’a aucun mal à recevoir les paroles acerbes et y répondre, elle l’a plutôt bien prouvé avec John, mais ce cas de figure est différent. Elle n’a rien à reprocher à Primrose et c’est bien tout l’inverse qui l’a amené jusqu’ici. Elle ne peut pas déjà monter sur ses grands cheveux, ce n’est pas le but de sa visite. Elle ne sait pas exactement ce qu’elle veut lui dire, mais ça ne ressemble pas à des reproches. « Primrose je veux juste qu’on parle … Seules à seules. » Un énième passant dévisageant les deux blessées de guerre et vient appuyer ses propos. Aucune d’elle ne veut que toute l’université soit au courant de leur histoire. « Écoute moi s’il te plait, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je ne pensais pas que … que tu tomberais toi aussi. T’avais pas à tomber, c’est pas normal, et je suis désolée. Il ne m’avait rien dit de ses intentions, je l’en aurait empêché sinon … Tu n’avais pas à payer pour moi Primrose. » Elle ne sait pas quoi lui dire, elle aimerait s’excuser pour tous les maux du monde.
La blessure de Charlie et son apparente détresse auraient sûrement dû me toucher, parce qu’il est évident qu’elle a souffert elle aussi, et sûrement plus que moi, même. A la limite, que John ait choisi de me taper dessus pour extérioriser sa colère et parce que, à ses yeux, j’étais la seule coupable de la situation dans laquelle il s’était mis et il avait besoin de se venger. Pour Charlie, c’est différent, s’il est bien responsable de sa blessure, le traumatisme psychologique doit être bien plus important que celui que j’ai pu subir. J’ai vu ma vie défiler, je me suis vue morte, j’ai mis de longues heures à m’en remettre et je crois que je ne suis pas encore totalement guérie aujourd’hui, alors je n’imagine pas ce que ça doit être pour elle. Voir l’homme que l’on aime devenir violent et agressif, ça doit être terrible, recevoir les coups de celui pour qui on a de l’estime… Charlie avait l’air d’aimer assez cet homme pour lui pardonner ses travers et alors qu’elle semblait capable de passer au-dessus, il lui a tout simplement montré qu’il était bien l’être abject que je lui avais décrit. Malgré tout, je ne suis pas capable de compatir à sa douleur parce que j’estime qu’elle aurait pu me protéger de tout ça. Je lui ai fourni une information capitale destinée à la sauver de cet homme qui aurait fini tôt ou tard par lui faire vivre un enfer et elle n’a jamais jugé bon de me préserver des éventuelles représailles. Elle a été égoïste et n’a pensé qu’à son bonheur et à sa propre vie sans se douter que la mienne pouvait être vraiment compromise à cause de sa langue trop bien pendue. Certes, je me suis jetée dans la gueule du loup, c’est moi qui ai décidé de lui révéler tout ça, parce que je pensais sincèrement lui venir en aide et je savais quels risques je courais parce que rien ne me disait que Charlie était digne de confiance. Toutefois, elle m’avait semblé sincère lorsqu’elle m’avait dit qu’elle ne m’en voulait pas et qu’elle se sentait même redevable vis-à-vis de moi. Certes, je lui ai dit qu’elle ne l’était pas, mais quand bien même, elle a une façon très étrange de montrer sa gratitude envers quelqu’un. Peut-être qu’elle n’avait pas vraiment réfléchi aux éventuelles idées que pourrait avoir John à la suite de ses révélations, après tout, il ne faut pas être très futé pour accorder sa confiance à un type comme lui, mais Charlie m’avait pourtant l’air d’être intelligente et elle me prouve le contraire. Est-ce qu’il a essayé de la tuer, elle aussi ? Ou est-ce qu’il lui a simplement mis son poing dans la figure sous le coup de l’énervement ? Dans un cas comme dans l’autre, son attitude n’est pas excusable et j’espère qu’il ne l’a pas excusé. Je ne vois sincèrement pas de quoi elle veut que l’on parle seules à seules, je ne pense pas avoir grand-chose à lui dire et je ne pense pas non plus avoir envie d’écouter ce qu’elle a à me dire, surtout si c’est pour m’avouer qu’elle n’a pas eu le courage de quitter cet énorme connard. Malgré tout, alors qu’elle continue à me supplier d’entendre ce qu’elle a à me dire, je me sens flancher, par curiosité peut-être ou parce que contrairement à ce que je veux bien essayer de me faire croire, peut-être que son innocence et son apparente naïveté arrivent encore un peu à me toucher. « D’accord. » Je capitule, refermant mon casier que je n’ai pas fini de vider pour partir avec elle. « On peut aller à l’extérieur, il n’y a plus grand monde à cette période de l’année. » Il commence à faire frais, certes, mais c’est surtout que les cursus universitaire de la plupart des étudiants touchent à leur fin et que beaucoup ont donc déserté les locaux. Arrivée dehors, je m’assoie sur le banc glacé d’une des tables destinées à accueillir les étudiants durant leurs pauses déjeuner, laissant Charlie prendre place à son tour. « Même s’il ne t’a rien dit, tu aurais pu te douter qu’il m’en voudrait, non ? » Je demande, rompant le silence qui s’est de nouveau installé entre nous. « Et il a eu raison de m’en vouloir, ce n’était pas mon rôle et je savais à quoi je m’exposais en venant te trouver, j’imaginais juste que tu aurais au moins la délicatesse de me prévenir si jamais je risquais quelque chose. » Il a débarqué de nulle part à un moment où je ne m’y attendais pas et je ne suis pas sûre que ça aurait été très différent si je l’avais anticipé. Je ne sais pas ce que j’aurais fait, en réalité, je ne crois pas que j’aurais pu le fuir toute ma vie, mais au moins, je n’aurais pas eu à affronter ça sans aucune arme. « Qu’est-ce qu’il s’est passé entre vous ? » Je finis par demander, pour une raison que j’ignore. Ça ne devrait pas m’intéresser. Elle ne devrait pas m’intéresser et malgré tout, j’ai envie de savoir ce que j’ai provoqué par ces paroles que j’aurais sans doute dû m’abstenir de prononcer.
Elle est aussi aimable qu’une porte de prison mais cette froideur apparente permet à Charlie de se rendre compte que tout ne lui est pas forcément donné sur un plateau d’argent. Il faut mériter certaines amitiés et certains sourires. Dans leur cas, il faut même mériter le fait de pouvoir repartir sur de bonnes bases. C’est la seule chose que la jeune femme rousse désire à l’instant, rien n’est moins sûr que ce sentiment soit partagé. Pour Primrose, elle est seulement celle qui lui a fait du mal ; elle pense peut être même que c’était voulu. L’étudiante de droit n’est pas aussi patiente (stupide) que celle de sciences politiques, elle ne lui pardonnera pas tout dès les premiers mots. Cependant la rousse croit en sa chance, elle ne compte pas abandonner si tôt. Peut être qu’elle ne lui pardonnera jamais mais elle pourra s’en vouloir en ayant eu le coeur allégé de toute cette histoire. Soulagée qu’elle accepte qu’elles se rencontrent dans un endroit un peu plus calme Charlie hoche rapidement de la tête et la suit docilement à l’extérieur. Elle aurai sous doute préféré la chaleur et l’anonymat d’un café mais pourquoi pas l’extérieur, oui. De toute façon ce n’est pas comme si elle pouvait faire la difficile à l’instant. Avec Primrose c’est un peu marche ou crève. « Même s’il ne t’a rien dit, tu aurais pu te douter qu’il m’en voudrait, non ? » Non. Non parce que Charlie est une stupide fille qui croit stupidement que le reste du monde est aussi gentil qu’elle, que rien de mal ne peut arriver aux gens qu’elle aime sous simple raison qu’elle les aime. Elle vit dans un monde parfait qui ressemble à tout sauf à la réalité, mais pour sa défense c’est la réaction de John qui reste la moins réaliste. Charlie accepte les critiques mais ne compte pas rester muette face à une Primrose s’énervant peu à peu. Elle a déjà assez reçu de coups ce mois-ci. « Primrose si j’avais su ce qu’il allait te faire je l’en aurais empêché. Je te le promets. » Réplique-t-elle avec sa voix douce, à peine ses fesses posées sur le banc froid et sans vie. Elle cherche à calmer la situation et lui expliquer son point de vue le plus clairement possible, lui prouver qu’elle n’aurait jamais voulu lui faire du mal. Primrose ne concevait pas que Charlie puisse lui être redevable, elle ne concevra sans doute pas non plus que maintenant que l’annonce est passée elle ne lui en veut pas non plus. Peu importe qu’elle ait couché avec John ou non, la liste est si longue désormais qu’elle n’en a plus rien à faire. Elle a été la seule à oser faire entendre sa voix, et malheureusement pas la seule à en payer le prix. Voilà à quoi ressemble le XXIe siècle en étant une femme. « Et il a eu raison de m’en vouloir, ce n’était pas mon rôle et je savais à quoi je m’exposais en venant te trouver, j’imaginais juste que tu aurais au moins la délicatesse de me prévenir si jamais je risquais quelque chose. » Charlie panique un peu et balance son regard d’un oeil de Primrose vers l’autre. Il n’y a pas de réponse à ça, les lanceurs d’alerte sont toujours les premiers à se faire prendre peu importe à quel point ils sont gardés. Primrose n’était même pas gardée, elle était en première ligne tel de la chair à canon. John a du se faire un plaisir de cogner sa peau si délicate avec ses mains rugueuses. Ces mains qu’elle a enlacé tant de fois et qui maintenant lui donnent envie de vomir. « Comment tu peux dire ça Primrose ? Tu me reprochais de l’excuser pour ce qu’il faisait dans mon dos et maintenant que c’est toi qu’il a blessé, littéralement blessée, tu fais la même chose. Il n’a aucune excuse possible, et moi non plus certainement. Je ne pensais pas qu’il allait t’en vouloir à toi, je me disais qu’il aurait eu sa dose en me faisant du mal. Apparemment il n’est jamais rassasié et toute occasion semble bonne à prendre, même toi qui n’aurait jamais dû être mêlée à toute cette histoire. » Je marque une pause et baisse les yeux vers les tags sur la table. Essentiellement des tag d’amour ; imbéciles. « Si j’avais eu la moindre idée qu’il allait faire du mal à mes proches tu aurais été prévenue. J’ai été bête de croire en lui une dernière fois, et ça a merdé. » Elle s’excuse alors que c’est John qui l’a frappé, le monde semble tourner à l’envers. Elles sont dans un face à face qui ne devrait jamais avoir lieu, elles devraient en vouloir à leur ennemi commun, à leur agresseur commun. Elles se perdent dans trop de futilités dont seule la gente féminine a le secret. Si elle veut savoir ce qu’il s’est passé alors Charlie lui racontera l’histoire comme elle a l’impression de l’avoir raconté à tant de monde. Or cette fois ci il n’y aura aucun non-dit, car Primrose est bien trop impliquée pour être protégée. Il est trop tard pour qu’elle soit protégée. « Je lui ai dit que je savais pour vous deux, il y a plusieurs semaines. On s’est violemment disputés et il m’avait déjà fait mal à l’époque, on s’est dit d’horribles choses et on ne s’est plus jamais revus. Sauf que mon meilleur ami a voulu jouer les chevaliers servants, les vengeurs de ces dames et il a décidé d’aller casser la gueule de John. C’est l’inverse qui s’est passé, je me suis retrouvée au milieu alors qu’il continuait à frapper mon ami inconscient. J’ai … parlé à John, pour la dernière fois je l’espère, et j’ai gagné un cocard. Voilà ce qu’il s’est passé. Je sais pas quand est ce qu’il t’a frappé et je suis désolée que tu te sois retrouvée au milieu de tout ça. Ca ne te regardait pas et tu as quand même décidé de m’aider. Je te suis toujours redevable Primrose, et un jour je te promets que je payerai ma part. » Elle a tout balancé d'un coup, d'un seul souffle, de peur de ne plus en avoir le courage ensuite. Elle s'en veut tellement d'avoir aimé un monstre pareil.
Elle prétend ne pas savoir ce que John pouvait vouloir me faire et j’admets que je suis sceptique. A partir du moment où elle s’est emportée contre lui en invoquant mon passé avec lui comme preuve de son attitude déplorable, elle devait se douter qu’il aurait une certaine rancœur envers moi, non ? Ou alors cette fille est certainement la plus stupide que j’ai jamais rencontré et j’ai vraiment eu tort de lui faire de pareilles révélations pour l’aider à s’en sortir car si elle n’est pas capable d’agir avec davantage de discernement, elle va tout simplement aller droit dans le second mur qui va se présenter devant elle et elle n’aura pas une Primrose pour la tirer de ce mauvais pas à chaque fois. « Si tu le dis. » Je balaye sa promesse par ces simples mots parce que je n’y crois pas une seconde et que de toute façon, on s’en fiche parce que le mal est fait et que c’est en partie de sa faute, j’en reste totalement persuadée. Qu’elle ait voulu qu’il vienne me voir ou non ne change rien au fait qu’il l’ait fait et si je pense sincèrement que je méritais d’avoir des ennuis après de telles révélations, j’estime qu’une tentative de meurtre était sans doute un peu excessive compte tenu du peu de souffrances que j’avais causé. Le couple n’avait pas l’air spécialement solide de toute façon, j’ai juste légèrement anticipé sur une fin qui allait de toute façon finir par arriver car Charlie aurait forcément fini par se rendre compte qu’elle sortait avec un connard. Ou pas. « Je ne fais pas la même chose, je n’excuse pas du tout son attitude. » Et puis ne me compare pas à toi, merci, j’estime avoir un peu plus que deux neurones qui se battent en duel, pour ma part. Je ne sais pas ce qu’elle a compris dans ce que j’ai dit mais à mon avis, ce n’était pas la bonne interprétation. « C’est un sale connard sans cœur qui pense à lui avant de penser aux autres et n’a pas de respect pour les femmes. J’espère qu’il paiera très cher pour ses actes et le plus tôt sera le mieux. » Autant rétablir la vérité tout de suite, parce que je n’ai effectivement aucune affection pour cet homme et j’espère bien que je n’aurais pas l’occasion de le recroiser dans ma vie parce que le dégoût qu’il m’inspire me donnera forcément la gerbe rien qu’à voir sa tête. « Je dis juste qu’il était normal que ça finisse par me retomber dessus tôt ou tard, parce que je n’étais pas censée venir te parler d’un client, ce n’est pas quelque chose qu’on fait en temps normal et ce quel que soit le milieu professionnel dans lequel on travaille. » Il n’y a pas de rapport de confiance dans le milieu de la prostitution, je suis un objet sexuel et rien de plus et aucune règle ne m’impose de ne pas divulguer les informations obtenues lors de mes parties de jambes en l’air, mais parce que les hommes qui viennent nous voir tiennent à préserver leur réputation dans leur vie de tous les jours, il existe une sorte d’accord implicite nous gardant bien de faire part des informations que nous recevons sous peine d’être grillées dans notre profession. « Il a fait bien plus que me faire du mal, Charlie, s’il s’était contenté de me taper dessus, je pense que j’aurais pu l’encaisser, mais il ne voulait pas seulement me blesser, il voulait me tuer. » Je suis encore vivante aujourd’hui, certes, mais les conséquences de son acte sont dramatiques parce que notre altercation n’est évidemment pas passée inaperçue, bien au contraire. « Et il y a tout le reste… » Ma phrase reste en suspens alors que je pense à tous les bouleversements de ma vie suite à cette dispute qui n’aurait jamais dû avoir lieu ou en tout cas, pas ici. Je me sens coupable parce que je n’ai pas mesuré l’impact que mes actes pouvaient avoir sur ma propre vie. Je pensais simplement faire une apparition de courte durée dans un couple qui ne méritait pas d’avoir ce titre. J’aurais mieux fait de m’abstenir. Je suis étonnée qu’elle m’inclue parmi ses proches et l’expression de mon visage le montre. Cette fille est définitivement bizarre et je crois que je n’arriverais pas à la décerner. « T’es pas obligée de me considérer comme une de tes proches parce que tu te sens redevable, on s’est juste tapé le même mec, ça ne fait pas de nous une famille. » Je suis un peu trop sèche, j’en ai bien conscience et c’est sûrement parce que ma rancœur n’est pas dirigée entièrement vers la bonne personne et que je ne peux pas m’empêcher de lui en vouloir de ne pas avoir fait preuve de plus de jugeote. « T’as été bête de croire en lui tout court. » Et l’enfoncer aussi, ne devrait pas faire partie de mes priorités absolue, mais parce que j’ai cru en elle et en sa fiabilité et que je me suis trompée, je me sens obligée de la remettre à sa place et de lui faire comprendre qu’elle n’est pas dans le monde des Bisounours. Lorsqu’on fait une erreur, on la paye et avec moi, elle a sacrément merdé. Proche ou pas proche, s’assurer que sa bêtise de s’engager avec un homme qu’elle ne connaissait absolument pas ne me retombe pas dessus aurait dû être une priorité et elle n’a pensé qu’à sa gueule. Il faut croire que ça ne lui a pas vraiment réussi, d’ailleurs, parce qu’elle a été amochée elle aussi. Je ne sais pas ce qui me pousse à lui demander davantage de précisions sur le déroulé de son histoire. J’aurais sûrement dû achever cette conversation ici au lieu de me laisser attendrir. J’admets que son histoire me touche parce qu’elle a l’air d’en avoir sacrément bavé. « En fait, ta vie c’est un navet hollywoodien. » Je commente, dans un premier temps, consciente que mon air détaché n’est qu’une façade. « Comment il va ton meilleur ami ? » Jeune homme qui a l’air d’ailleurs d’être aussi futé qu’elle pour aller confronter un psychopathe violent dans un bar, c’est cool, ça prouve qu’elle sait vraiment bien s’entourer, j’ai peur pour son avenir. « Tu as porté plainte ? » Non parce que plutôt que d’espérer ne plus jamais avoir à lui parler, autant s’assurer que ça ne soit pas le cas. Moi, je ne peux clairement pas dire à la police ce qu’il s’est passé, mais elle, elle peut, alors j’espère qu’à défaut d’être futée, elle a au moins réussi à faire le seul truc bien de cette histoire.
Oui, c’est un sale connard sans cœur qui pense à lui avant de penser aux autres et n’a pas de respect pour les femmes. J’espère qu’il paiera très cher pour ses actes et le plus tôt sera le mieux. Ce sont les parfaits mots pour désigner John Williams, cet ex petit ami à la répartie de courgette. Les deux femmes ne semble s’accorder sur rien, mise à part le fait qu’il ne mérite que la mort et la souffrance éternelle. Au moins. Tant pis si son interlocutrice pense qu’elle est le diable ou la bêtise incarnée (ou les deux), Charlie ne se mettra pas non plus à genoux devant elle pour s’excuser. Elle s’en voudra pendant longtemps encore de ce qui lui est arrivé mais la culpabilité ne la tuera pas, puisqu’au fond toutes les fautes reposent sur John lui et lui seul. A nouveau lorsque Primrose lui apprendre qu’il voulait la tuer, elle manque un cri étouffé. Cet homme est réellement fou et devrait être interné, il a emmagasiné toute sa rage pour la jeune prostituée alors qu’elle n’a fait que son métier. Il est un monstre, monstre odieux sans aucune base morale. Ce n’est un secret pour personne, seule Charlie semble l’apprendre à l’instant. Elle comprend la véritable nature des gens seulement lorsqu’il est déjà trop tard, et l’exemple de John est parfait. Tout le monde l’a dissuadé de continuer sa relation avec lui pourtant elle n’en a fait qu’à sa tête, comme toujours, et a foncé tête baissée dans le mur. Ce mur immense et infranchissable, ce mur qui fait si mal au corps et à l’esprit. A nouveau trop choquée, elle ne sait pas quoi répondre. De nouvelles excuses énerveraient sans doute sa comparse, lui dire qu’elle ne se doutait de rien en ferait autant. Quoi qu’elle puisse dire cela ne ferait qu’envenimer leur conversation déjà assez piquante à son goût. « Si je devais considérer comme ma famille tous ceux avec qui il a couché y’aurait jamais de salle assez grande pour tous nous accueillir, hein. » Charlie commence à perdre patience d’être prise pour une débile. Elle fait beaucoup d’erreurs lorsqu’il s’agit de cerner les gens mais elle n’est pas non plus la dernière des connes, vu que de toute façon Williams a déjà pris sa place. Elle ne peut pas être aussi stupide que lui, ce serait impossible. « “Proche” c’était seulement un terme générique, toujours mieux que “la prostituée qui m’a prévenue que mon ex petit ami couchait avec elle”. Plus discret, aussi. » Après tout ce n’est pas le problème de Charlie, la seule chose qu’elle pourrait perdre dans cette histoire c’est sa dignité. Primrose a bien plus à perdre, beaucoup moins à gagner aussi. Tout comme le premier jour de leur rencontre. « T’as été bête de croire en lui tout court. » Cette fois ci la rousse n’a rien à rétorquer, elle admet elle même que ce n’est que la pure vérité. Elle a été bête et elle le sera bien des fois encore, assurément. Peut être que c’est ce qui constitue son charme, mais sans doute que j’essaye de lui trouver des excuses là où il n’y en n’a pas. Elle est une stupide fille, trop naïve. La jeune femme se contente de souffler légèrement, se forçant pour ne pas lever les yeux au ciel. Enchaîne Primrose, enchaîne ; son ego en pâtit déjà assez comme ça. Son pied tremble frénétiquement sous la table en poids ; pas de stress cette fois ci mais bien d’impatience et d’énervement. Cette fille commence à l’énerve alors qu’elle était réellement venue emplie de bonnes intentions, à croire que dans ce monde cela ne vaille vraiment plus grand chose. Un acte de bonté sera éclipsé parce que vous aurez osé faire voler une bestiole non identifiée rampant sur votre bras. Il en faut si peu. « Pire qu’un navet hollywoodien c’est un film de seconde zone, ou un soap opéra ; au choix. » Elle aurait sûrement rigolé si au fond d’elle elle n’était pas en colère. Peut être que ce n’est pas de la colère, mais une âme blessée. Encore. Elle pensait pouvoir compter Primrose comme une amie ou quelque chose qui s’y rapproche, et une nouvelle fois elle lui prouve qu’elle s’était imaginé l’impossible. « T’es pas obligée de prendre de ses nouvelles, je pense pas que ça t’intéresse. Mais sur un malentendu ; il va bien. Salement amoché mais en vie. » Elle s’en fout de Léo, elle veut seulement faire un small talk ou quoi que ce soit d’autre. Charlie n’aurait jamais dû venir, elle commence enfin à se rendre compte que ce n’était pas tant une idée de génie qu’il n’y paraît. « Je pense pas porter plainte, j’en sais rien à vrai dire … Peut être que je me déciderai sur un coup de tête, oui. » Elle devrait, elle sait qu’elle devrait … mais une plainte pour agression ruinerait sa vie. La seule chose qu’elle aimerait serait une restriction d’éloignement. Désormais c’est la seule chose qu’elle souhaite : ne plus jamais le revoir. La vérité c'est surtout qu'elle a trop peur de rentrer seule dans un poste de police et de passer pour une fille sans cervelle, encore.
Non seulement cette conversation est inutile, mais en plus elle m’apprend que je me suis trompée sur toute la ligne avec Charlie. Je la prenais pour cette gentille jeune fille avec le cœur que la main qui était aimée par tous ses camarades universitaires pour sa générosité et son altruisme. C’est limite si je ne la voyais pas se balader avec un grand sourire en disant un mot gentil à chaque âme qui croiserait sa route sans oublier de prier chaque soir pour que la journée de demain soit encore meilleur que celle qui vient de s’écouler. En un mot, je la prenais pour une véritable sainte. Je suis donc à la fois surprise et étonnée qu’elle parle aussi facilement du passé sexuel de son petit-ami ou ex petit-ami, je ne sais pas trop bien où ils en sont parce qu’elle s’est montrée très vague sur le sujet, déjà, et parce qu’elle n’avait pas semblé être très au clair avec elle-même sur la manière dont elle voulait gérer la situation après la révélation qu’elle venait de lui faire. Je me demande à quel moment elle a réellement appris pour toutes ces femmes qui avaient partagé son lit. Était-ce avant mes révélations ou a-t-il profité de cette altercation pour tout lui balancer ? Je suis sûre que c’est le genre de mec hyper fier qui se balade avec la liste de toutes les conquêtes qu’il a pu faire dans sa vie. Pathétique, je suis sûre que si on rayait les noms des insatisfaites de cette fameuse liste, il n’en resterait plus tant que ça, finalement, et je serais sûrement la première à ne plus en faire partie. « Parce qu’il a avoué avoir eu des tonnes de conquêtes, en plus ? » Ou alors, elle l’a découvert en fouillant, ce qui la rend un peu moins stupide que je ne l’avais envisagé jusque-là. Un point d’estime pour Charlie et elle en a encore beaucoup à regagner. « Il se sera comporté comme un mec bien jusqu’au bout, c’est génial. » Au moins, personne ne peut dire qu’il n’est pas fidèle à sa ligne de conduite, dommage que cette dernière soit totalement merdique. « Si ça peut te rassurer, dis-toi qu’à force de faire trainer ses fesses partout, il finira forcément par chopper une MST, ça ne va pas le tuer, mais ça peut être douloureux. » On se rassure comme un peu, hein, je n’ai pas d’autre parole réconfortante à donner à Charlie, je crois même que je n’ai pas envie de la réconforter. Son cocard me fait peut-être de la peine, parce que je me doute qu’elle a dû vivre un moment difficile voire même pire que le mien compte tenu de son attachement pour cet homme, mais ça s’arrête-là. « J’espère que tu lui as dit que c’était dommage qu’il n’ait pas profité de ces très nombreuses expériences pour progresser un peu, parce qu’il y a du boulot. » Un sourire un peu plus franc apparait sur mon visage, alors que je sais pertinemment que mes tentatives pour rabaisser ce connard et ainsi espérer lui remonter le moral sont complètement débiles et dénuées d’intérêt. Je ne sais pas gérer les relations humaines, j’ai toujours été nulle pour ça. Je suis partagée entre la déception, la colère et cette compassion que je refusais de ressentir et qui commence tout de même par arriver contre mon gré. Je fais sincèrement de mon mieux pour que cette conversation ne parte pas à la dérive mais je ne peux que constater que je ne maitrise absolument rien. « Je pense que, niveau discrétion, on a vu mieux, t’as vu nos têtes ? Quoi que je suis presque sûre qu’on réussirait à faire croire qu’on s’est battues. » Comme si lever la main sur qui que ce soit était dans mes habitudes, mais l’idée aurait pu être franchement amusante. « Deux femmes qui se battent, c’est un fantasme masculin, en plus, tu n’aurais pas eu de mal à trouver un remplaçant à John. » Encore une fois, je suis à côté de la plaque, très certainement, et je crois qu’il valait mieux que je reste sur ma ligne de conduite précédente. Passer de la fille méfiante et en colère à la pseudo copine qui fait des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère est une très mauvaise idée. J’ai senti Charlie se tendre face à mes propos sans doute un peu durs et c’est la raison pour laquelle j’essaie désormais – maladroitement – de rattraper les choses. Je n’ai rien à faire de son amitié ou de son affection, mais elle a fait un pas vers moi, je peux au moins lui reconnaitre ça et essayer de faire de cette conversation quelque chose d’un peu moins pénible que prévu. Je dois bien reconnaitre que la vie de Charlie est carrément partie à la dérive, elle aussi, il n’y a pas que moi qui ai souffert de tout ça, j’en ai bien conscience et cette fille ne l’avait pas non plus vraiment mérité. « Tu vois, ça nous fait un deuxième point commun. » Je ne suis pas sûre que le film de seconde zone que constitue ma vie serait diffusé sur grand écran compte tenu de sa piètre qualité, ce serait plutôt le genre de long-métrage jamais diffusé mais disponible en streaming moyennant un temps de téléchargement un peu long et l’acceptation d’un niveau de qualité médiocre. Le meilleur ami qui a réussi à ne pas mourir sous les coups de John va même pouvoir nous rejoindre dans nos vies de merde puisque j’imagine que le « salement amoché » doit également lui donner un visage aussi engageant que les nôtres, je crois même que c’est moi qui m’en sors le mieux, au final, puisque la blessure est relativement discrète. Charlie prétend que le sort de ce garçon ne m’intéresse pas et je ne prends même pas la peine de la contredire. L’avantage, c’est que, s’il était mort, John aurait nécessairement fini en prison alors que là, je n’ai aucune certitude puisque la jeune fille n’a pas du tout l’air décidée à faire quoi que ce soit pour qu’il se retrouve derrière les barreaux. « Qu’est-ce qui t’en empêche ? » Je demande, par curiosité mais aussi parce que je ne comprends pas qu’elle puisse laisser un tel monstre s’en tirer aussi facilement. « Et ton meilleur ami, il ne va rien faire non plus ? Il a été hospitalisé ? J’imagine qu’on a dû lui poser des questions. » Couvrir ce type serait une grave erreur. Charlie a encore la chance de pouvoir faire reconnaitre ses blessures ce qui l’aiderait si elle décidait de se battre contre lui, si elle attend trop, elle n’aura plus de cocard pour témoigner de l’altercation houleuse dont elle a été victime. « Je comprends que ce ne soit pas une décision facile à prendre mais si tu ne le fais pas, rien ne dit qu’il ne recommencera jamais. » Je ne suis pas sûre que la prendre par les sentiments soit ma meilleure option mais c’est la seule dont je dispose alors je fais avec.
Chouette, maintenant elles crachent sur le même homme comme de vieilles amies. Mais les amies ça couche pas avec le copain de l’autre en théorie ; sauf que là la faute est clairement sur le copain en question. Il a agit en libre conscience et surtout avec un manque flagrant de conscience, comme d’habitude vu qu’on parle de John. Il n’a jamais su vraiment connecter toutes les neurones de son cerveau et c’est Charlie qui pensait déjà ça alors qu’elle même n’était pas franchement mieux placée. Une noob des relations humaines avec un noob tout court, quel couple parfait. Est ce que ça a merdé au moment où ils ont commencé à parler de soi ? Au moment où Charlie l’a emmené chez lui ? Au moment où ils sont partis à l’autre bout du monde sans rien savoir de l’autre ? Au moment où il lui a reproché sa consommation d’alcool (si seulement il avait su pour la drogue) ? Au moment où il s’est rendu compte qu’après trois mois de relation il ne savait pas ce qu’elle étudiait ? Ah non, bien sûr que non. Ca a merdé dès le moment où son plan cul régulier est devenu son petit ami. C’est là que ça a commencé à merder, et après ça n’a fait qu’aller en s'aggravant ; de façon exponentielle. « Je l’ai lui ai fait avouer, il était plus à ça près de toute façon. J’en ai découvert d’autres par moi même aussi. De super surprises. » Elle parle surtout de Paola qui a résisté à peu près trois minutes trente avant de tout lui raconter. Charlie n’a même pas feint la surprise. Il a baisé tout Brisbane, il n’était pas à un ou deux trous près. A force il devra se mettre aux queues s’il veut toujours plus de chair fraîche car la diversité vient à manquer. Charlie rigole à la remarque de Primrose ; John aura véritablement été un gentleman jusqu’au bout en effet. Rien ne pourrait mieux le décrire. « Je suis pas certaine qu’une MST ou deux l’aideraient à revenir à la raison mais l’idée est tentante. » Tout ce qui pourra emmerder la vie de John est une idée tentante désormais, tant que cela n’implique pas qu’elle ait à le revoir un jour. Primrose semble avoir de bonnes idées à ce sujet, elles pourraient au moins s’entendre sur Comment faire de la vie de John un enfer, à défaut de s’entendre sur tout le reste. Oui définitivement quand elle parle des aptitudes de son ex petit ami au lit cette fois ci Charlie ne peut s’empêcher de rigoler. Paradoxalement il est le seul sujet sur lequel elles veulent bien s’entendre, ce qui n’a strictement aucune logique. Elles semblent le détester autant l’une que l’autre et leurs marques sur le visage n’y sont sûrement pas pour rien. Ceci dit cela reste une supposition parmi tant d’autres ; bien sûr. Désormais Villanelle rigole doucement à chacun des tentatives de son interlocutrice de renouer le contact. La rousse fait le yoyo avec ses propres sentiments, une seule phrase lui suffit à ne plus détester quelqu’un et l’inverse est tout aussi vrai. Décidément elle ne sait jamais à quoi s’en tenir et son coeur est une véritable éponge à émotions. Soyez gentils avec elle et elle tombera en amour aussitôt, voilà la personnification même de l’expression “avoir un coeur d’artichaut”. Cette expression ci et une autre très fameuse “je suis très bête et beaucoup trop naïve”. « Ceci dit on aurait peut être pu se battre, ça serait pas si étonnant que ça. Par contre le remplacement de John ça sera pas pour tout de suite. » Son coeur est déjà épris mais dans les faits elle reste célibataire. Longue histoire à baise de maison hantée, d’échange de caddies, de confessions dans les toilettes et de triton sauvant les plantes vertes d’une sirène. Très longue histoire sur base de coeurs meurtris et âmes déchirées. « Pour notre troisième point commun on essayera de trouver un truc un peu plus réjouissant ? » Cela ne semble pas difficile dit comme ça, mais entre Primrose et Charlie rien n’est jamais facile ni même inné ou tout autre synonyme. La rousse ne sait pas à quoi s’en tenir avec son interlocutrice et elle a le sentiment que cela ne changera jamais ; malheureusement. Heureusement qu’elles n’ont rien d’autre en commun si ce n’est John et qu’avec un peu de chance elles ne seront jamais amenées à se revoir en dehors des bancs de l’université. Cela semble être un beau programme pour ignorer tous ses problèmes. Sauf que Primrose saute à pied joint dans ce que la rousse aurait aimé oublier. « La seule chose que je voudrais c’est une injonction d’éloignement ou quelque chose dans le genre, sauf que entre nous deux c’est toi qui étudie le droit. J’ai pas envie de raconter à quel point j’ai été conne en face d’inconnus, ni même leur dire que c’est mon meilleur ami qui a cherché la bagarre en premier. Ca ferait qu’empirer les choses si jamais John reçoit un papier le convoquant au commissariat ou j’sais pas quoi d’autre. » Et hop, fini les rires et les sourires. La jeune femme prend sa tête dans ses mains et passe ses mains dans ses cheveux ; stress. « Je sais pas comment ça marche. Pour Léo … enfin mon meilleur ami, on évite le sujet. Je sais pas ce qu’il en pense, peut être que l'hôpital a été obligé de signaler qu’il a été admis suite à une agression. Sûrement même. » Dans les films c’est ce qu’il se passe en tout cas, les médecins disent qu’ils sont obligés d’appeler la police. Certes les films sont américains mais ce pays a une longue histoire commune avec l’Australie quand même, non ? Enfin, par “longue histoire” j’entends que les prisonniers qu auraient dû finir leur vie en Amérique se sont retrouvés en Australie au XVIIIe siècle ; quelle chance. « Et toi, qu’est ce qui t’en empêche ? T’es celle qu’il voulait tuer dans l’histoire. »
Je suis déstabilisée par l’attitude de Charlie, elle a l’air à la fois fragile et stupide, inconsciente et perdue, triste et à côté de la plaque. Difficile à en vouloir à cette fille qui réussit donc à être aussi touchante qu’irritante malgré le fait qu’elle ait rendu mon quotidien difficile, ces derniers temps. Quand je pense que Raelyn voulait que je m’endurcisse, je me demande ce qu’elle dirait en rencontrant un petit oisillon tel que la jolie rousse. La haine que nous éprouvons envers cet homme qui nous a fait du mal doit bien être la seule chose qui nous rapproche actuellement et je profite de cette brèche entrouverte vers une conversation plus posée que celle où transparaissait clairement ma rancœur pour tenter d’apaiser les choses. Et ça marche, Charlie est un peu moins sur la défensive, rit même à mes piètres tentatives pour apaiser les tensions dont j’ai chargé l’atmosphère et se montre davantage réceptive ce dont je lui en suis évidemment reconnaissante. « Je me doute. » Je ne sais quelles ont été ces fameuses surprises, mais sachant que cet homme venait voir une prostituée alors qu’il était en couple avec Charlie, je pense qu’il doit être capable du pire. En réalité, je n’ai jamais su à quel moment la relation entre la jeune fille et John avait été officialisée et s’il a donc couché avec moi pendant que cette fabuleuse idylle avait lieu, mais dans tous les cas, il reste un odieux connard et rien que pour ça, il méritait ce qui lui arrive. « Au moins, tu t’en es rendu compte à temps. » A temps pouvoir s’extirper de cette relation malsaine avant qu’un mariage, une maison ou pire, des enfants, vienne s’ajouter à l’équation et complique évidemment énormément la situation. Les MST qu’il pourrait obtenir ne redonneront sûrement pas le sourire à Charlie, mais c’est déjà une petite vengeance qu’elle peut prendre plaisir à imaginer. « Je ne pense pas que quoi que ce soit puisse le ramener à la raison, il n’a pas l’air de se sentir particulièrement coupable. » Il m’a blâmée pour l’échec de sa relation alors qu’il aurait dû s’en vouloir d’avoir agi de la sorte alors qu’il aurait dû culpabiliser à ce moment-là. Je pense qu’il est irrattrapable et il est vraiment dommage que Charlie n’envisage pas de rebondir parce qu’il lui a fait trop de mal pour qu’elle se projette dans une nouvelle relation. Toutefois, je sais bien que c’est normal, qu’elle a besoin de temps pour se reconstruire et que ce genre d’évènement n’est pas anodin. Malgré tout, j’espère qu’elle ne se bloquera pas à vie et que la marque psychologique ne s’imprimera pas trop profondément en elle car s’il est évident que le cocard finira par partir, je ne suis pas sûre qu’elle se libère facilement de ces souvenirs douloureux. « Tu as le temps, de toute façon, la précipitation nous fait souvent connaitre de erreurs. » Je parle comme un vieux sage alors que je suis loin l’être, je n’ai pas le droit de lui donner des conseils et je ne sais pas ce qui me pousse à le faire de nouveau. J’espère pour elle que si elle se plante encore, elle aura encore une Primrose pour voler à son secours et ruiner sa vie pour éviter qu’elle ne gâche la sienne.
J’aimerais sincèrement qu’elle s’assure que mon sacrifice n’ait pas lieu pour rien et c’est pour cette raison que j’aimerais qu’elle porte plainte. Peu importe ce troisième point commun que nous avons peut-être ou peut-être pas, je ne crois pas que nous soyons destinées à devenir de grandes amies. Toutefois, si elle a besoin que je sois à ses côtés pour qu’elle se batte pour que son statut de victime soit reconnu, alors je veux bien être là pour elle, je n’y vois pas le moindre inconvénient. Je me doute qu’elle a peur, mais la peur n’évite pas le danger et il vaut mieux la combattre que de laisser un connard s’en tirer aussi facilement. « Tu l’obtiendras cette injonction si tu portes plainte, c’est évident. » Je n’en sais rien, en réalité, ce n’est pas parce que ça me parait logique que c’est forcément le cas. La justice est étonnante, parfois, mais je ne veux pas lui faire peur, c’est un combat qu’il est nécessaire de livrer et il n’y a qu’elle qui peut le faire. « Si tu as besoin de conseils juridiques neutres, je crois que tu devrais voir un avocat, je ne suis pas certaine d’être assez objective… Mais si tu as des questions, évidemment, je peux y répondre. » Je ne veux pas passer pour la fille qui essaie de rester tapie dans l’ombre pendant que les autres font tout le travail. « Les violences domestique sont évidemment reconnues en Australie et bien sûr qu’elles donnent lieu à des ordonnances de protection, encore faut-il être capable de les prouver. » C’est bien ça le problème dans la majorité des cas, c’est la parole de l’accusé contre celle du plaignant et il est difficile de démêler le vrai du faux. Charlie a encore la marque physique attestant de sa bonne foi et son meilleur ami qui a fini inanimé sur le sol doit certainement aussi porter les marques du préjudice subi. « Personne ne te demande de dire que tu as été conne, tu dois simplement prouver que tu as été la victime de cette violence corporelle et c’est le cas. » Je n’arrive pas à croire qu’elle préfère vivre dans le déni, de cette manière, même son propre meilleur ami n’a pas jugé bon de lui en parler, préférant éluder le sujet. Ce n’est pas la bonne solution. « Si tu décides de te taire maintenant, revenir en arrière sera difficile parce que tu n’auras plus ces preuves physiques, il continuera à agir comme bon lui semble sans être inquiété par qui que ce soit et pourra même faire de ta vie un enfer sans que ta parole suffise à contrer ses attaques. Il faut absolument que tu y réfléchisses, Charlie, c’est très important, ce cocard ne sera pas éternel et tu passes peut-être à côté de ta chance d’être entendue et comprise. » Les études de cas réalisées lors de mes études m’ont appris tellement de choses sur des procédures non menées à terme faute de preuves tangibles, j’aimerais qu’elle évite de se retrouver dans le même cas. Quant à moi, il est évident que ma situation ne me permet pas de faire quoi que ce soit contre lui et j’en suis bien désolée. « Mes activités ne sont pas vraiment légales, porter plainte contre lui permettrait à la police de fouiller dans ma vie et je pourrais avoir des ennuis, moi aussi. » Mais elle non, elle n’est qu’une étudiante innocente qui a accordé sa confiance à la mauvaise personne.
La discussion entre Primrose et Charlie pourrait se résumer à un pas en avant et deux en arrière or cette fois ci, miraculeusement, un pas en avant a été suivi d’un autre. Cela donnererait presque envie à la jeune femme rousse de croire en une quelconque religion, ce qui signifie beaucoup. Les premières minutes auront été réellement tendues mais la fierté a su être mise de côté et la rancoeur avec (en apparence du moins) ce qui constitue un bon point de départ. En réalité l’élément déclencheur repose surtout sur la préparation de la tactique d’attaque de leur ennemi commun. Ex petit ami de l’une, ex client de l’autre et agresseur commun ; on dirait le début d’un conte de fées. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants (mais qui ?). Primrose serait une princesse rebelle n’ayant que faire des uses et coutumes alors que Charlie aurait fait une petite crise d’adolescence avant de rapidement rentrer dans le rang et épouser un bon parti. Non vraiment, elles n’ont rien en commun et sûrement arrêteront elles leurs entrevues gênantes à la fin de la journée. Peut être que cela vaudrait mieux pour tout le monde à vrai dire. Charlie hoche la tête au sujet de la précipitation amenant les Hommes à commettre des erreurs. Son couple avec John en est la preuve vivante, un magnifique fiasco sanglant. Ils sont l’archétype idéal qu’on montre du doigt aux jeunes enfants en disant « ne fais surtout pas ça » ou encore « regarde comment tu vas finir sinon » en montrant au choix Charlie au coquard ou Charlie au poignet tuméfié. L’un ou l’autre reste un joli spectacle ... pour quiconque aime ce genre de spectacle. Tim ne semblait pas apprécier lui, et c’est une des innombrables raisons pour lesquelles il ne sera jamais John et que les deux rescapés du cinéma prennent leur temps. Seulement revient ensuite le sujet du dépôt de plainte et les étoiles qu’elle avait dans les yeux en pensant à Tim disparaissent aussitôt. L’étudiante en droit continue à argumenter autour du sujet, et elle a de bons arguments. Bien sûr qu’elle en a de bons parce qu’elle a totalement raison. Charlie aurait dû foncer au poste de police le plus proche le lendemain dès que Léo a eu le droit de sortir de l’hôpital. Elle aurait dû faire ça, mais est ce qu’est ce qu’il s’est passé ? Absolument pas. Dans le genre « je recommence les mêmes erreurs encore et encore » Charlie est devenue une maîtresse. Elle se rassure seulement en se disant que si elle ne l’a pas fait c’est que son esprit était seulement occupé par l’état de santé de Léo et qu’il n’y avait de place pour rien d’autre. Bien sûr, c’était le cas, mais passé le choc elle aurait dû agir. Les témoins sont nombreux. Même si elle a provoqué John aucune excuse ne sera jamais recevable pour avoir à frapper quelqu’un. Ni son conjoint ni un inconnu, jamais. Peu importe qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. « J’attendais sans doute que quelqu’un me donne cette impulsion pour pouvoir me lancer dans la procédure. On ira porter plainte. Avec mon meilleur ami. » La rousse sait qu’elle n’a pas besoin de lui en parler avant, qu’il la suivra dans cette démarche et la devancera même sur le chemin au poste de police. Il a été bien plus physiquement blessé qu’elle et pourtant il franchira cette porte pour Villanelle ; elle sait tout ça. Peut être voulait il la protéger mentalement en ne voulant pas aborder le sujet, parce que du côté de l’étudiante c’est exactement la même raison qui la poussait à rester dans l’ombre. Ça, et la peur de ne pas être entendue, d’y aller seule et de passer pour une idiote. Au moins dans ce scénario là chacun pourra monter ses blessures aux policiers, Léo n’aura qu’à montrer son visage et lever son tee shirt. Leur récit sera corroboré par tous les clients du bar ce soir là, le patron et les vigiles. Rien ne pourrait mal tourner, pas vrai ? « L’ordonnance de restriction s’appliquera seulement à ceux qui ont porté plainte ? Ce n’est pas pour moi que j’ai peur, mais surtout pour mes proches. Même pour toi, si la loi n’agit pas en ta faveur il pourrait à nouveau tenter de s’approcher de toi, tu serais une cible facile, et ce n’est pas ce que je te souhaite. » Elle est un peu bizarre mais elle mérite bien mieux qu’un John dans sa vie (comme tout le monde). Tout ce qu’elle fait depuis le début c’est tenter d’aider Charlie quand bien même elle ne la connaît pas ce qui trahit une véritable bonté d’âme. Tapi au fond de ce caractère de hyène et ses remarques acerbes, Primrose est réellement quelqu’un de bien. « Je suis désolée que tout tourne toujours autour de mes problèmes. Je te dirais bien de parler des tiens si tu le souhaites mais le contexte ne semble pas vraiment idéal pour ça. Je doute que ce soit ce que tu souhaites de toute façon. » Le contraire d’idéal à vrai dire, même si Charlie aurait joué le rôle de l’oreille attentive avec plaisir. « Je ne sais pas vers quel métier tu souhaites te tourner mais tu ferais sûrement une très bonne juge pour enfants. » Conseillère d’orientation Villanelle au rapport, elle ose même un sourire.
J’ignore pourquoi inciter Charlier à porter plainte me tient autant à cœur mais c’est le cas pourtant. Je ne peux pas la laisser gâcher une sens pareille de voir la justice être rendue. John doit payer pour ses actes de violence, il a peut-être été aveuglé par la colère mais ça n’excuse pas le fait qu’il ait levé la main sur trois personnes différentes. Je sais que j’ai mal agi en me mêlant d’une histoire qui ne me regardait pas et il avait toutes les raisons du monde de m’en vouloir, mais les problèmes ne se règlent pas avec la main autour du cou de sa victime. Heureusement pour moi, Charlie n’a pas l’air difficile à convaincre et il suffit de quelques arguments pour que l’idée fasse son chemin dans sa tête et qu’elle envisage enfin de se battre pour que son crime ne reste pas impuni. J’admets que je suis impressionnée par la force dont elle fait preuve, beaucoup se seraient montés hésitants bien plus longtemps et elle vient de me prouver qu’elle arrive à prendre des décisions de manière nette et précise sans avoir besoin de se poser des milliers de questions. Tant mieux, ça va lui faciliter la tâche, elle s’embarque dans quelque chose de pas facile, elle va devoir raconter ce qu’elle a vécu encore et encore et revivre une scène qu’elle préférerait certainement oublier, le tout pour ne pas vraiment obtenir réparation. Malgré tout, son intervention aidera toutes les femmes qui risquent d’avoir les mêmes problèmes que ceux qu’elle a rencontrés et ça, c’est le plus important. Il faut que son histoire ait un impact, qu’elle compte, qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. « C’est une bonne décision. » Elle se fiche sûrement de savoir quelle est mon opinion à ce sujet, mais peu importe, il faut que je le lui dise. « Tu es très courageuse. » Je le pense sincèrement, et j’espère qu’elle ira jusqu’au bout, même si les questions des flics ne sont pas idéales, même si les gens ne la prennent pas au sérieux, même si c’est plus difficile que ce qu’elle pensait. Charlie vient de vivre un traumatisme dont elle aura sûrement du mal à se remettre et pour lequel je ne peux absolument rien faire parce que personne ne peut vraiment l’aider. Je me rends compte qu’elle ne réalise pas vraiment ce à quoi elle s’expose et si la loi peut réussir à la protéger de ce malade, il est évident qu’elle ne peut pas mettre John en quarantaine afin de préserver ses proches de son influence. « L’ordonnance s’appliquera à ceux qui courent un danger direct, elle ne peut pas être étendue à toutes les personnes qui ont un lien avec toi, aussi important soit-il. Le seul moyen pour qu’il reste loin de ceux que tu aimes est probablement qu’il aille en prison, ce dont tu ne peux pas être certaine. » Autant lui dire que tout ceci ne sera pas un long fleuve tranquille, qu’elle va se heurter aux limites de la justice australienne et aux lourdeurs administratives engendrées par de telles procédures. Mais ça en vaut la peine. « Mais une fois que tu auras porté plainte, il ne serait pas très intelligent de sa part de s’en prendre à ta famille ou à tes amis, ça ne servirait qu’à prouver sa culpabilité et à aggraver son cas. » En même temps, cet homme a bien montré par le passé qu’il n’était pas quelqu’un d’extrêmement intelligent mais de là à tendre le bâton pour se faire battre, j’imagine qu’il doit y avoir une limite de connerie qu’il n’est pas prêt à dépasser. « Et ne t’inquiètes pas pour moi, je dois rester en-dehors de tout ça mais je ne le laisserais plus s’approcher de moi. Plus jamais. » Il m’a prise par surprise la dernière fois, si jamais je dois me retrouver de nouveau en face de lui, je saurais à quoi m’attendre et je ne le laisserais certainement pas m’atteindre de la même façon. Charlie n’a finalement pas l’air d’être cette fille un peu stupide qui ne pense qu’à elle et ne réfléchit pas aux conséquences de ses actes et je réalise que ma colère s’est atténuée au fur et à mesure que nous continuons à parler. « Tu n’es pas obligée de t’excuser, je n’ai pas de problème à partager, moi, alors c’est normal qu’on évoque les tiens. » Outre le fait que je sois en train de perdre mon boulot ? Que j’ai des dettes à rembourser que je n’arriverais sûrement pas à endiguer ? Que j’ignore comment je vais payer mon loyer ? Ce sont des problèmes que je devrais sûrement chercher à résoudre. Mais pas maintenant, parce que j’ignore à quel point Charlie est fiable et que la dernière fois que je me suis ouverte à elle, j’ai fini avec une main autour le coup et une perspective de mort imminente en vue. Alors non, je n’ai pas vraiment envie d’évoquer mes soucis en sa compagnie, quand bien même elle se montre désormais vraiment adorable avec moi et semble regretter de m’avoir entrainée dans tout ça. « Je ne sais pas vraiment ce que je veux faire encore, je pensais devenir avocate mais j’aimerais aller plus loin dans mes études. Enfin, c’était ce que je croyais avant tout ça, maintenant je ne sais plus trop. » Continuer la fac sans travail est un peu compromis et maintenant que j’ai accepté la proposition de Raelyn, je ne suis pas sûre que mes études soient vraiment compatibles avec ce dans quoi je me suis lancée. Pour le moment, mon avenir est vraiment très flou mais j’imagine que je finirais par éclaircir un peu tout ça, il faut que je me laisse du temps, le seul problème, c’est que je ne n’en ai pas beaucoup. « Et toi, c’est quoi ton domaine de prédilection ? » De mémoire, lors de mon investigation concernant la jeune fille, je crois que la politique avait été évoquée et j’admets que maintenant que je l’ai rencontrée, j’ai un peu du mal à l’imaginer dans ce domaine. Tout le monde sait que c’est un univers de requins et qu’il faut être sacrément fort mentalement pour affronter tout ça. Charlie est une petite fée au milieu d’une armée de pirates et elle risque fort de se faire manger.
L’arrivée de Primrose est toujours annonciatrice de discordes et jamais des moindres. D’accord, cette fois ci c’est bien Charlie est venue à sa rencontre … est ce que ça annule le théorème pour autant ? Sûrement pas. Les deux réunies elles passent par tous les sentiments allant de la haine à l’acceptation mutuelle (parler d’amitié serait jouer avec la corde sensible) autour de sujets plus que difficiles à aborder. Cela relève sûrement de l’exploit qu’elles arrivent toujours à se relever, mais pour la rousse qui pensait réellement essayer de se racheter et faire de Primrose son amie ou quelque chose qui y ressemble, elle commence réellement à douter que ce soit une bonne idée. Elles sont si différentes, vivent des vies bien opposées, ne fréquentent pas les mêmes personnes … Si elles cessent de se chercher l’une l’autre elles ne devraient plus jamais avoir à se retrouver. Qui dit ne jamais revoir Primrose dit ne jamais avoir à parler de sujets sensibles ; c’est en tout cas ce dont le petit coeur naïf de Villanelle semble certain. Peut être que la rousse est la seule à blâmer dans l’histoire, la seule mentalement instable changeant d’avis à chaque nouvelle seconde qui passe. Désormais elle ne veut que s’en aller de cet enfer et porter plainte. Le plus dur sera sûrement d’en parler à Léo. Ils ne parlent pas de ça, ils ne parlent pas de ses blessures à lui et rarement de la sienne. Ils évitent soigneusement le sujet en disant que ce soir ils ne sortent pas non pas à cause de douleurs thoraciques et de coquards ultra voyants mais parce qu’ils “ont la flemme”. Charlie a entraîné son meilleur ami dans son monde de mensonges et de non-dits, celui dans laquelle une vérité sous-jacente est prête à jaillir à tout moment, celui dans lequel on maintient fermement la tête de la vérité dans l’eau pour la noyer. Parce que la vérité ça fait mal, et ils ne veulent plus souffrir. Les yeux de la rousse se posent sur le visage de son interlocutrice au fur et à mesure qu’elle lui explique les tenants et aboutissants de la procédure et qu’elle répond à ses questions. Cela ne fait finalement que l’effrayer davantage mais maintenant qu’elle a promis de porter plainte il est trop tard pour reculer. Elle est bien des choses Charlie, mais pas une menteuse. Elle sait que Primrose le saura un jour si jamais elle est finalement restée cloîtrée chez elle dans la peur et qu’elle a laissé cet individu dangereux en liberté. Elle le saura, et elle serait clairement capable de lui faire la peau à la Catwoman. Ses mots à propos de l’ordonnance de restriction attisent la peur de la rousse car sa pire crainte s’avère n’être que réalité : ses proches ne seront pas protégés. La loi ne les protégera pas et elle, grand perche rousse, elle en sera bien incapable aussi. Le nom de Tim lui martèle la tête et il lui est bien difficile d’essayer de l’en déloger. Si toutes leurs promesses deviennent réalité un jour, qui lui dit que John ne cherchera pas à se venger ? Qu’il boira le verre de trop et se perdra malencontreusement non loin de leur domicile ? Qu’il les verra sur les photos d’amis d’amis et souhaitera lancer sa vendetta ? Personne ne peut lui promettre que tout ceci n’arrivera pas, qu’il ne s’en prendra pas à Tim alors qu’il sera seul au cimetière. « Ca ne serait pas intelligent tout comme cela ne l’a pas été de frapper aucun de nous, il n’est sûrement pas à une frasque près. » Il n’a jamais brillé d’intelligence de toute façon, soyons francs. Il aura vite fait de recevoir l’injonction d’éloignement et de la déchirer en comprenant le sens de la lettre. Ou de la déchirer en pendant qu’il s’agit d’une énième pub pour un parasol multi-fonctions. Bien heureuse que le sujet dévie sur quelque chose de plus réjouissant, Villanelle écoute sa colocataire de table parler un peu d’elle pour une fois. Après tout ce qu’elles ont déjà traversé, c’est sûrement la première fois que l’inconnue se délie la langue à propos d’elle. La rousse devrait prendre exemple, apprendre à se méfier des inconnus, apprendre à se préserver. La seule chose qu’elle semble véritablement apprendre c’est qu’elles sont deux gamines aussi paumées l’une que l’autre. Elles veulent jouer dans la cour des grands et elles se noieront. Enfin, surtout Charlie. Primrose a quelques chances de parvenir à survivre si elle oublie ses principes moraux qui font qui elle est. Si elle se sacrifie elle survivra, oui, mais est ce que ça en vaudra vraiment la peine ? « Sciences politiques. » Ce qui semble illogique après le peu de discernement dont elle a fait preuve ces derniers mois, mais elle est étrangement bien plus douée pour identifier les intentions des gens quand celles ci ne sont pas liées à sa petite personne. De toute façon, au vu de sa réponse claire et tranchée elle n’a déjà plus envie de jouer au jeu des petites questions pour mieux apprendre à connaître son amie. « Écoute, maintenant qu’on a parlé de tout ça je vais y aller. T’as pas à faire semblant de t’intéresser à ce que je fais et je vais arrêter de t’importuner. Je suis désolée et j’espère que tout ira mieux pour toi maintenant que je ne serai plus dans les parages. Prends soin de toi Primrose, et merci pour tout. » Ces paroles sont lancées avec la douceur caractéristique de la jeune femme et une expression faciale dégoulinant d’empathie. Si elles ne sont pas amies alors autant essayer qu’elle n’ait pas envie de l’étrangler à chaque fois qu’elle la voit.
Notre situation est ironique, difficile de croire que c’est l’homme qui nous a fait du mal qui nous réunit une fois de plus et pourtant, s’il n’était pas entré dans la vie de Charlie et dans la mienne, nous ne serions pas ici en train de discuter comme deux vieilles copines. Nous avons réussi à ne pas nous étriper, sans doute parce que j’ai mis de l’eau dans mon vin malgré la rancœur que je ressens toujours à son égard. Je crois que je réalise que je m’en suis prise à la mauvaise personne. Je sais pertinemment que je ne peux pas me venger de John parce que je ne suis pas en position de pouvoir régler mes comptes, alors il était sans doute plus simple de me montrer odieuse envers la naïve petite étudiante qui m’avait envoyé son connard de mec pour me casser la figure. Je commence pourtant à réaliser à quel point c’était stupide, cette fille n’est qu’une paumée qui a du mal à savoir comment faire pour reprendre le cours normal de sa vie, elle se noie, agite les bras, tente de reprendre son souffle et moi je lui appuie sur la tête. C’est sans doute pour ça que je finis par me radoucir et par échanger plus calmement. Heureusement que je l’ai fait, si ça n’avait pas été le cas, peut-être que Charlie serait passée à côté de l’idée de demander une sanction juridique pour l’acte commis par son papy d’ex-copain et ça aurait été franchement nase. La violence ne doit pas rester impunie, jamais, parce que ceux qui commettent de pareils actes ne peuvent jamais changer réellement. Ils se repentissent, souvent, mais il y a toujours un événement qui les fait replonger. Si ce n’est pas Charlie, ce sera une autre femme et aucune ne mérite une telle chose. Je me doute que ça va être dur pour elle de revivre ça en face d’un juge et avec seulement un avocat payé une fortune pour allié, mais elle le fait pour elle et elle le fait aussi pour toutes les futures victimes potentielles qui ne devraient pas à avoir à subir une chose pareille. Peut-être qu’il y a eu d’autres victimes avant elle et que ces dernières ont été moins courageuses qu’elle, et peut-être que si ces femmes avaient parlé, elle n’aurait jamais eu à croiser le chemin de John, mais pourtant, ça lui est arrivé à elle et Charlie a le pouvoir de mettre un terme à ses agissements. « Peut-être. » J’admets, parce qu’elle a raison, il serait stupide de sa part de faire preuve de violence alors qu’il est sur la banc des accusés, mais le désespoir peut pousser des personnes à faire des choses complètement insensées parfois et je ne vois pas pourquoi il échapperait à la règle. On ne peut pas prévoir ce qu’il va faire quand il saura ce que Charlie tente de mettre en place contre lui, mais personne ne peut anticiper les actions des gens et si elle ne porte pas plainte, elle le trouvera peut-être devant sa porte dans quelques jours, prêt à finir ce qu’il a commencé en mettant ses mains autour de mon cou. Cet homme est instable et il mérite d’être sanctionné. « Raison de plus pour l’arrêter rapidement. Plus vite tu parleras, plus vite il sera mis hors d’état de nuire. » Je le pense sincèrement. Je sais que la justice n’est pas parfaite et que les criminels n’obtiennent pas souvent la peine qu’ils méritent, mais malgré tout, le fait qu’elle ait alerté les forces de l’ordre sur les dangers potentiels encourus pour toutes celles qui pourraient croiser la route de ce monstre sera un point de départ essentiel à la procédure qui aura lieu contre lui. Charlie me fait de la peine malgré tout, elle a l’air apeuré et c’est très compréhensible et je me rends compte que sa naïveté doit certainement lui jouer des tours dans la vie de tous les jours. Je me demande si elle est réellement capable de s’endurcir, je l’espère pour elle en tout cas car son caractère ne me semble pas franchement compatible avec la voie professionnelle qu’elle a choisie. « Oh. Je ne m’en serais pas doutée. » Est-ce un commentaire déplacé ? Très certainement. Si elle m’avait dit qu’elle voulait être institutrice, nourrice ou n’importe quel métier la destinant à être au contact de candides jeunes enfants, j’aurais trouvé ça parfait, mais les sciences politiques, sérieusement ? Autant ajouter un Bisounours dans un film d’action, ce serait à peu près aussi pertinent. Cependant, j’imagine que je ne suis pas censée porter un jugement sur ses choix de vie, je la connais à peine et l’impression qu’elle me donne est peut-être erronée. D’ailleurs, elle doit être sacrément blasée par mon attitude vis-à-vis d’elle puisqu’après être venue vers moi, elle trouve un prétexte vaseux pour partir, mettant fin à une conversation un peu bizarre. Je me lève du banc sur lequel j’ai pris place, prête à prendre congé avant qu’elle s’en aille réellement, mais une fois debout, je me rends compte que je ne suis pas vraiment capable de partir. Je ne lui ai pas tout dit, pas encore, alors je me ravise et reprends ma position initiale avant de reprendre la parole. « Tu sais, si je suis venue te parler la première fois alors que rien ne m’y obligeait, c’est parce que tu m’inspirais confiance. A chaque fois que je te voyais avec lui, j’avais vraiment la sensation que je devais intervenir pour te protéger. » C’est probablement le truc le plus stupide que j’ai pu faire de toute ma vie, d’ailleurs. « Je sais que ce qu’il s’est passé entre John et moi rend les choses un peu compliquées entre nous deux. » Avoir comme seul point commun d’avoir vu le même mec à poil n’est pas forcément ce qui rapproche le plus deux personnes, loin de là. « Tout ça pour dire que je ne me suis jamais forcée à m’intéresser à toi et j’aimerais beaucoup que tu me tiennes au courant de tout ce que tu vas entreprendre par la suite. » Porter plainte est un grand pas en avant mais c’est surtout la première étape d’une longue série d’emmerdes. « Je comprendrais que tu n’aies plus envie d’entendre parler de moi, mais je peux te laisser mon numéro, si ça ne te dérange pas, bien sûr. » Lorsqu’elle est arrivée vers moi, j’étais affreusement en colère et pourtant c’est moi qui lui propose de rester en contact. Etonnant.
Cette fois ci Charlie était réellement prête à s’enfuir. A s’enfuir et ne plus jamais remettre les pieds dans cette université qui n’est même pas la sienne, à s’enfuir et ne plus jamais avoir à faire du mal à Primrose alors qu’elle ne souhaite que son bien. Elle aura tout raté avec la jolie brune, du début à la fin. Elle ne voudra certainement plus jamais revoir Villanelle et cela semble être la meilleure décision à prendre, une sorte de loin des yeux loin du coeur revisité en loin des yeux loin des problèmes. Cela sonne bien. Pour elles en tout cas, ce n’est que la pure vérité. Depuis qu’elles parlent ils ne leur est arrivé que des problèmes. La rousse ne blâme pas sa collègue, parce qu’elle croit sincèrement qu’elle aussi ne lui souhaitait que du bien. Elles ne sont simplement pas faites pour s’entendre, le destin cherche à les séparer et elles devraient réellement apprendre à écouter les signes. Un jour il leur arrivera réellement malheur. Un jour le destin ne s’arrêtera pas à de simples coups, à des égratignures, à plus de peur que de mal. Il fera mal. Simplement et seulement mal. Ses gestes s’arrêtent lorsque Primrose prend à nouveau la parole avec un ton totalement différent. Un ton d’excuses qu’elle ne lui connaissait pas, qu’elle n’avait jamais cherché à connaître non plus. « Tu sais, si je suis venue te parler la première fois alors que rien ne m’y obligeait, c’est parce que tu m’inspirais confiance. A chaque fois que je te voyais avec lui, j’avais vraiment la sensation que je devais intervenir pour te protéger. » La jeune femme s’attendait encore à recevoir des piques sous couvert d’un brin de gentillesse mais cette fois ci ce n’est pas le cas. Primrose a apparemment pensé à partir mais elle s’est sagement rassise. Charlie n’ose pas se rasseoir, elle sait qu’elle devrait partir, et pourtant la curiosité est trop forte et les mots de sa collègue trop puissants. Elle est une nouvelle tête parmi bien d’autres qui ne cherchaient qu’à la protéger et qui ont fini par se retrouver blessé à leur tour. Si ce n’est pas la rousse qui les blesse sans le vouloir, le destin s’en charge à sa place. Il s’agit d’un cycle éternel dont elle a malheureusement bien trop l’habitude maintenant. Elle est une rose avec bien trop de piquants. « Je sais que ce qu’il s’est passé entre John et moi rend les choses un peu compliquées entre nous deux. » A vrai dire la jeune femme ne lui en a jamais tenu rigueur, même du temps où elle pensait que John ne l’avait trompé qu’avec elle. Il est compréhensible que Primrose ressente une gêne mais pour la rousse les mots étaient bien réelles, il ne s’agissait pas de fausses excuses pour tenter de détendre l’atmosphère. Elle n’en a réellement rien à voir de savoir avec qui John a pu coucher, et cela ne change rien à leur relation. Leur caractère opposé a déjà assez envenimé les choses pour qu’il n’y ait besoin de rajouter quoi que ce soit. Si seulement tout ceci était vrai, si seulement elle arrivait à réellement mettre son égo de côté. « Mais moi j'étais prête à tourner la page, mais c'est la page qui ne veut pas se tourner. » Murmure-t-elle pour elle même, mâchant ses mots sans doute par peur d’être entendue. Pas très aventureuse, la Villanelle, lorsqu’il s’agit de faire comprendre à Primrose qu’il est temps d’arrêter de remuer le couteau dans la plaie béante sur son coeur. « Tout ça pour dire que je ne me suis jamais forcée à m’intéresser à toi et j’aimerais beaucoup que tu me tiennes au courant de tout ce que tu vas entreprendre par la suite. » Les mains de la jeune femme cessent de gratter nerveusement la table en bois (elle va finir par se planter une écharde, l’imbécile) et elle les relève une dernière fois vers Primrose. Le destin souhaite les séparer, mais si elles se contentent de s’envoyer des messages il ne devrait pas s’en formaliser, si ? Des messages, rien que des messages, cela n’a tué personne. Elle a une haut estime de l’étudiante même si elle ne le lui avouera jamais, elle aimerait savoir si de son côté elle arrive à joindre les deux bouts et si elle arrive surtout à garder une vie à peu près cohérente. La tâche s'annonce tellement compliquée avec tout ce qu’elle doit gérer au quotidien ; et ça l’est encore plus quand des inconnus tels que Charlie viennent y rajouter leurs propres problèmes. « Ca me touche, tout ce que tu dis. Vraiment. Merci. Et je te donne mon numéro, peut être que la prochaine fois qu’on se parlera personne n’aura à annoncer de mauvaises nouvelles à personne. » Elle esquisse un sourire, tentant de se rassurer elle même. « Je te tiens au courant de mon côté. Tu me donneras des nouvelles aussi, hein ? » Mais cette fois ci elle n’attend pas la réponse, elle lui tend le bout de papier sur lequel elle a rapidement écrit les quelques chiffres permettant de la joindre et elle tourne les talons. La vérité c’est qu’elle a peur que Primrose mette une nouvelle barrière entre elles alors que Charlie commence à laisser tomber ses défenses (bien qu’elle ne les aient jamais fermement tenues en place). De cette manière, elle est certaine qu'elle la contactera. Elle l'espère, en tout cas.