Assit dans les loges, me préparant pour monter sur scène dans un peu moins d'une heure, je sens que le stress commence à monter. Et plus les minutes passent, plus la pression monte. A tel point que j'ai l'impression d'avoir oublié tout mon texte. Fermant les yeux, essayant de me concentrer, je me frotte le font, grimace, crispe le visage sous la concentration avant de soupire lourdement. Me mordant la lèvre inférieure, levant le regard au plafond, je déglutit. On nous a apprit quoi au yoga ? Respiration abdominale. Inspiré par le nez, expiré par le nez en en se bouchant alternativement une narine, c'est ça ? Je suis même incapable de me rappeler ce moudra de base. Quel con, quel idiot.
Prenant une profonde inspiration, j'attrape mes feuilles et me lève pour sortir des loges. Une fois dehors, j’aperçois Charles de qui je m'approche directement « Si tu me cherches, je suis dehors, ok ?» lui dis-je simplement « ça va... ?» son ton inquiet m'enserre les entrailles et je m'empresse d'hocher vivement la tête « Oui, oui t'inquiète pas je … j'ai juste besoin d'un peu de calme» expliquais-je. Compréhensif, le metteur en scène me fait signe que c'est ok et je lui promet d'être de retour dans 19 minutes. C'est tout ce dont j'ai besoin pour me recentrer et me calmer.
Ainsi donc, traversant la l'arrière scène, je me dirige vers la porte 'entrée des artistes' qui donne sur une ruelle perpendiculaire. Calant la porte avec un bout de bois, je fait quelques pas en avant, puis sort les feuilles de la poche arrière de mon pantalon et commence à réciter mon texte. Tantôt murmurant, tantôt plus fort je fini par abaisser les feuilles et reprend mes cents pas « Me trahir de cette manière ! !» m'exclamais-je en retrouvant enfin la bonne intonation « Un coquin qui doit par cent raisons être le premier à cacher les choses que je lui confies, est le premier à les découvrir à mon père !» je m'immobilise, laisse un temps « AH ! Je jure le ciel que cette trahison ne restera pas impunie !» pas peu fier de moi, j'hoche doucement la tête et attend comme si on continuait de me donner la réplique.
Il faut que je me calme, sérieusement. Je ne peux pas me permettre d'avoir une nouvelle crise d'angoisse car je sais que si je craque à nouveau aujourd'hui ça signifiera la fin de ma carrière. Ce n'est sûrement pas le cas, j'aurais sans aucun doute un nombre infini de nouvelles chances et je ne fais que me mettre une pression énorme en pensant comme ça. Toutefois, c'est un moyen -idiot, certes- de me donner une certaine motivation : si je parviens à ne pas faire de crise d'angoisse et que tout se passe bien, alors je saurais que ce choix de carrière est le bon, que je peux continuer dans cette voie sans aucun problème.
Alors, afin de mettre toutes les chances de mon côté, je décide d'aller m'isoler à l'extérieur, respirer un peu d'être frais et réviser mon texte en toute tranquillité. J'informe toutefois Charles afin qu'il sache où me trouver si besoin est, puis sors du bâtiment par l'entrée des artistes. Bloquant la porte avec un bout de bois afin d'être sûr et certain de pouvoir rentrer à nouveau par là, je m'avance dans la ruelle qui est à l'abri du brouhaha de la rue et, après m'être concentré pendant quelques instants, je commence à déclamer mon texte. Pas d'échauffement, pas de demi mesure, j'y vais tout de suite avec l'intonation. Joignant les gestes et les déplacements aux mots, je fais comme si je jouais avec Myrddin qui est mon partenaire dans cette scène.
Mais c'est sans compter sur cet inconnu qui, sorti de nulle part, décide de me donner la réplique. Un truc totalement faux qui n'a rien à voir avec le texte d'origine, mais qui, au final, veulent dire quelque chose. C'est un regard surprit que je pose sur l'homme à la cigarette alors que sa réplique pourrait sans problème convenir à la pièce.
« Diantre !» m'exclamais-je en me reculant d'un pas, une main sur mon cœur et le visage feignant la réelle surprise « Vous ici ?!» je fronce les sourcils « Quel est donc ce diable qui vous amène, vous, pauvre mécréant à m'adresser la parole de la sorte ?» je m'avance à nouveau vers lui «Pourriture hallucinogène ! » crachais-je « N'avez-vous donc aucun respect ? Ne craignez-vous donc pas les courroux des cieux ?!» je lève mes mains au ciel « Ah Morbleu ! Ah Corbleu !» je pose mon regard sur l'inconnu, une expression de rage sur le visage «Je te casserais la tête, si tu ne veux, maraud, pas t'expliquer autrement » un léger sourire sur coin des lèvres prouve que je me prend totalement au jeu de cet échange théâtral et une partie de moi espère que l'inconnu réussira à improviser une suite logique et amusante.
Cette situation, irréelle de base déjà, le devient encore plus lorsque j'enchaîne de manière totalement naturelle sur une improvisation totale et maîtrisé. L'inconnu, ayant eu la présence d'esprit de garder un vocabulaire dans le ton que celui de ma pièce me facilite sincèrement la chose. Ainsi, me plaçant dans le rôle du roi, c'est tout naturellement que l'inconnu prend celui du paysan, qui semble avoir un problème avec la monarchie. Mon personnage se retrouve trahit tandis que le sien se plain qu'il n'ait d'yeux que pour l'or et l'argent.
Me redressant, prenant un air fier et hautain, je me recule d'un pas, une expression de dégoût s'affichant sur mon visage lorsque l'homme se jette au sol en me disant de le punir. «Assez, paysan ! » vociférais-je en le poussant de mon pied « Cesse de te lamenter et retourner crever sur tes champs ! J'ai besoin du blé pour mon pain et ...» je suis finalement interrompu par le regard de l'inconnu qui se pose sur moi tandis qu'un large sourire fend son visage avant qu'il ne se mette à rigoler, s'excusant et disant que je suis sans doute meilleur à l'improvisation que lui.
« Eh bien, c'est mon métier, après tout» dis-je, souriant, le cœur léger « Enfin, pas tout à fait. Je ne suis pas spécialiste dans l'improvisation mais je suis comédien et je ...» je me penche vers lui pour lui tendre la main afin de l'aider à se relever «J'ai une représentation dans une heure » expliquais-je «Je suis juste sorti prendre l'air un petit moment histoire d'oublier un peu mon traque et mon stress » je me recule d'un pas, faisant face à l'homme qui a une tête de plus que moi « Tu te débrouille pas en mal vrai » le complimentais-je « t'es dans la branche théâtrale ou pas du tout ?» demandais-je, curieux.
Je ne connais pas cet homme, mais je sais qu'il a au moins déjà deux talents : l'improvisation qu'il gère bien dans un premier temps mais qu'il n'arrive malheureusement pas à maintenir (cela dit avec un peu de temps et de travail et des techniques diverses et variées ça s'apprend) mais surtout le fait de me changer les idées, me permettant ainsi de ne pas finir en crise de panique à cause du stresse que représente le spectacle que je dois assumer dans moins de 45 minutes.
Lorsque l'inconnu sort de son personnage, me faisant, au passage, bien rigoler, je ne peux m'empêcher de lui poser des questions qu'il a tôt fait de me répondre. Je lui avoue ainsi que l'improvisation -ou les textes en général- c'est mon métier et que je suis comédien dans la pièce de théâtre qui va être présenter ce soir. «Yep, c'est exactement pour ça » dis-je en hochant la tête « Et j'ai un des deux rôles principaux donc ...» je pince les lèvres et hoche la tête «j'ai un petit peu la pression » je rigole légèrement lorsqu'il me dit que le mieux c'est de gerber un bon coup avant de se reprendre qu'en vrai je devrais éviter étant donné que je risquerais de tuer mes partenaires de scène avec ma mauvaise haleine « Ouais je me vois mal venir sur scène avec un chewing gum à la menthe hein» ironisais-je.
C'est alors que le temps se gâte brusquement, les nuages déversant leur rage sur nous. Alors que l'inconnu peste contre le 'seigneur qui se serait cogner le pied contre un meuble' et que je renchéris avec un « C'est plutôt Thor qui est en colère contre Loki» je me dirige déjà vers l'entrée des artistes avant de me tourner vers l'homme lorsqu'il suppose qu'il ne pourra pas entrer «On s'en fout, j'ai pas envie que tu attrape la mort en étant trempé. Vient entre » le pressais-je. Je le laisse pénétrer à l'intérieur avant de referme la porte en un soupire « C'est les coulisses, certes, mais je préfères que tu sois ici au sec que dehors. Et puis c'est peut-être qu'une averse, tu seras à nouveau dehors avant qu'on ne te remarque» je rigole doucement et me passe une main dans mes cheveux « Au fait moi c'est Clément» finissais-je par me présenter, lui tendant la main en souriant.
Ok, je vois bien que mon sous entendu fait un sacré gros flop. Sans doute est-il plus vieux que ce qu’il n’en donne l’air ? Quoique les comic Marvel sont quand même très vieux et devraient déjà être sorti quand il était gamin ou adolescent, non ? Il a quel âge d’ailleurs, cet homme que j’invite à entrer dans les coulisses comme si c’était un super copain ? Tandis que je referme la porte derrière nous, je l’observe un peu plus en détail mais l’obscurité ambiante ne m’aide pas à lui donner un âge correct. Peu importe aussi, au final. Je décide de changer de sujet pour me présenter. Serrant la main de ce fameux Jo, je le regarde dans les yeux, intrigué par son être. Il a quelque chose de particulier, un je-ne-sais-quoi qui me rend curieux.
Je ne peux, pourtant, pas formuler les questions à voix haute que la voix de Marjorie, notre maquilleuse, se fait entendre, m’appelant pour me dire que c’est à mon tour de passer sous son pinceau. Je soupire doucement et lance un coup d’œil désolé à Jo alors que la jeune femme le toise avec une certaine méfiance, me demandant si je fais dans le touristique maintenant. J’allais répondre mais cette fois-ci c’est Jo qui me coupe l’herbe sous les pieds en prenant le blâme, disant qu’il cherchait simplement une salle de bain mais qu’il a frappé à la mauvaise porte. Je retiens un rire amusé alors que Marjorie arque un sourcil «eh bien effectivement, ce n’en est pas une » tranche-t-elle sur un ton intransigeant me faisant grimacer. « je vous demanderais donc de-» « Mais non Marjo’ !» intervenais-je brusquement « C’est Jo, mon cousin qui est venu de Nouvelle zélande exprès pour me voir. Tu ne t’en rappelle pas ? Je t’en avais parlé !» la jeune femme se tourne vers moi et arque un sourcil, interrogateur «Je m’en serais souvenu si c’était le cas » « Tu devais pas m’écouter» haussais-je simplement les épaules « En tout cas je lui ai dis de venir ici pour que je lui refile le ticket que j’ai mis de côté» le regard de la jeune femme passe de Jo à moi et vice versa «Bon allez vient Jo, le show va commencer dans pas trop longtemps et même si ta place est numéroté, faudrait pas qu’il n’y ait plus de coupe de champagne pour toi» pressais-je l’inconnu en l’attrapant par le poignet pour le tirer derrière moi.
J’offre un large sourire à la maquilleuse en passant à côté d’elle puis me dirige, sans lâcher le jeune homme, vers les loges qui, fort heureusement, sont vides. Une fois à l’intérieur, je soupire et referme la porte derrière nous «Bon … » je me redresse puis passe à côté de Jo et me dirige vers ma place, fouillant dans mon sac «heureusement que j’ai un billet » dis-je « quelque part …» je délaisse mon sac, ouvre un tiroir, soulève une pile de papier et mon script puis relève le regard qui se pose sur ce maudit billet accroché au miroir en dessous le la photo d’Ambroise et moi et au dessus de celle de ma chienne. J’attrape le bout de papier et le tend à Joseph «Voilà » dis-je sur un ton assuré «VIP donc avec champagne et repas à la clef » je m’avance vers l’inconnu, me faisant un peu plus insistant « Vraiment, prend le. Si t’aime pas la pièce c’est pas grave, t’aura au moins un bon plat et je …» je soupire doucement «Chaque comédien reçoit un billet gratuit par représentation et y a personne ne mon entourage qui peut ou veut venir donc … » je secoue le billet devant Jo «Si tu le prend pas il va à la poubelle donc autant qu’il serve à quelqu’un » je me dis que comme il a l’air de s’y connaître un minimum en théâtre ça peut lui faire plaisir.