« Putain, Petterson, tu fais chier ! »

Trois ans en arrière, une voix résonne à travers l’appartement des jumeaux Doherty à Fortitude Valley. Leur cousin, Lukà, est venu la veille leur rendre une visite de courtoisie – mais ça, c’est ce qu’il avait dit. Freya eut des soupçons que Wren l’avait envoyé pour jauger la température chez ses cadets, savoir un peu leur état d’esprit et comment ils allaient. Bien sûr, la jeune fille n’hésitait jamais à appeler son aîné, même quand tout allait bien. Mais même si elle adorait son cousin, Doherty ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait anguille sous roche (si vous pensez qu’elle a des théories du complot, vous pourriez avoir raison). Elle était en phase où un rien la frustrait. Et quand elle se réveille, les pieds se cognant contre quelques bouquins qui traînaient par ci, par là (à croire que quelqu’un avait dévalisé le peu de livres qu’ils avaient!), Freya ne put s’empêcher de gueuler. Ce qui ne manque pas de faire gueuler Tobias, son jumeau, à son tour, sa sœur claquant la porte de sa chambre bruyamment pour le faire taire (et ça fonctionne puisqu’il ne sortit pas plus du lit). Leur cousin a fini par dormir sur le canapé, prolongeant ainsi sa petite visite de quelques heures. Et visiblement, il a dû soit se réveiller de bonne heure, soit ne pas dormir du tout. Quand Freya débarque dans le salon, elle se frotte le front tout en fronçant des sourcils. « Sérieusement, mec, t’as passé la nuit à lire ou quoi ? »

Pour prouver son point de vue, la demoiselle émit un bâillement à lui faire décrocher la mâchoire avant de s’étirer les bras. « Dis moi qu’t’as fait du café, au moins. » Freya a besoin de son mug rempli du liquide noir pour bien débuter la journée, tout le monde le sait. Enfin, tout le monde… Disons plutôt son entourage proche. Et ses ex. Elle avait eu une fois un copain qui travaillait dans un café. Le pied, il pouvait faire des petites merveilles même dans sa cuisine personnelle. Mais quand ils ont rompu – son initiative à lui, comme d’habitude – c’était autour d’un café qu’elle avait fini en lui renversant la tasse sur la tronche. Autant dire que le pauvre gars doit avoir une légère cicatrice de brûlure le long du visage. C’est inhumain de rompre autour d’un café, de toute façon.

Et encore plus quand on veut rompre avec Freya Doherty.

Cette dernière se traîne jusqu’à la petite cuisine où son regard chocolat trouve directement la cafetière. Un nouveau grognement sorti de sa bouche avant qu'elle ne trouve une tasse sale avec des gouttes du précieux liquide qui gisait en fond. « Nan mais sérieux, t'es pas chier ! » Freya ignore quelle heure il est mais son horloge biologique lui fit bien comprendre qu’il est bien trop tôt pour être déjà debout. Mais tant pis. Son cerveau est en fonction, elle a un café à faire et surtout, mille et une choses qui se programmaient rapidement dans sa tête.

Elle allait vraiment avoir besoin de caféine.

@Lukà Petterson

« Rassures toi, j'ai dormi mais j'ai besoin de moins d'heures de sommeil que toi apparemment. » Freya lui tire la langue. Il a le toupet de la narguer alors qu’elle vient à peine de se réveiller, quel genre de cousin fait ça, franchement ? Et puis, passer le reste de la nuit – ou du matin, ça dépend du point de vue – à bouquiner, elle ne voit pas l’intérêt. La lecture ne l’a jamais passionné et pour être honnête, elle a toujours du mal à se concentrer pour lire ne serait-ce qu’une page. Ne rien fait à tourner des feuilles de papier écrites, non merci, ce n’est pas pour elle. Elle préfère largement le dessin, où au moins, elle fait quelque chose. Sa main bouge, son cerveau est en ébullition, son imagination en plein régime. Et surtout, elle peut inventer son propre monde. Elle a du mal à rentrer dans celui des autres et surtout, de les comprendre. Si elle n’est pas comprise, comment peut-elle faire de même dans le sens inverse ? Non et puis, les livres n’ont jamais été très présents dans son passé. Après tout, lors de l’incendie, ils avaient tous perdus et les histoires de papier n’ont pas été les premiers achats prioritaire. Un livre coûte tellement cher, en plus… Non, vraiment, Freya n’aime pas lire et elle trouvera toujours une raison de prétendre que son point de vue est le bon et pas le vôtre. « Bordel t'es en forme toi dès le matin. Tu sais qu'il n'est que huit heures ? Gardes en un peu pour le reste de la journée ! » Doherty lui jette un regard noir cinglant. « Toi tu lis, moi je râle, chacun son truc. Et pi, quand on est invité, la moindre des choses est d’en laisser pour l’hôte, quand même ! Et tu sais que je commences mal la journée si j’ai pas mon café. » Non, elle ne va pas laisser passer cette histoire de café. C’est comme ça, avec Freya ; la moindre chose prend des proportions complètement folles avec elle. C’est usant mais au moins, on ne peut pas s’ennuyer. « Il serait temps d'entrer dans la modernité et d'acheter une machine à dosettes. C'plus pratique quand même ! » Freya roule des yeux mais s’écarte du passage de la minuscule cuisine. Son cousin s’est finalement mis à lui préparer son café visiblement et a lui seul, il prend bien 90 % de la pièce. Ses bras font la taille de ses cuisses, après tout, son cousin est sacrément bâti. Elle croise les bras, en attendant patiemment son breuvage (elle n’a que ça à faire). « Plus pratique, p't'être bien. Plus abordable, chui moins sûre. T’as qu’à nous l’offrir pour le prochain Noël. » Son ton est ironique mais le fond est sincère ; les jumeaux n’ont sûrement pas de quoi se payer une cafetière toute moderne et toute belle. Pas avec le simple petit loyer de vendeuse à mi temps qu’elle a – son frère ne participant évidemment pas à cet effort pécuniaire. « Et puis, elle fonctionne très bien, c’te cafetière, donc j’vois pas pourquoi faudrait qu’on change. » Freya se mit à ranger machinalement les magasines qui traînent depuis des lustres sur la table à manger, la seule table de l’appartement. Elle n’a pas prévu que Lukà reste aussi longtemps chez eux mais il est habitué au bordel de ses jumeaux – c’est un miracle qui ne leur demande pas plutôt de venir chez lui. C’est tellement plus propre et beau chez Lukà. « T’as prévu quelque chose pour aujourd’hui, à part squatter notre canapé et dévaliser le peu de livres qu’on a ? »

La conversation lui fera oublier que son café… est…trèèèès long… à venir !


@Lukà Petterson

La famille Doherty n’est pas vraiment une grande famille. Ils sont une fratrie de trois mais à l’heure actuelle, et à l’aube de leur trentenaire, aucun n’est casé, aucun n’a d’enfant et aucun ne songe à en avoir de toute façon. Est-ce que c’est une bonne idée de faire naître un autre être tel qu’eux sur cette Terre ? Aux yeux chocolats de Freya, certainement que non. Parfois, il faut savoir se retenir pour le bien de l’humanité. Si leur famille devait mourir avec eux, alors que telle soit la destinée des Doherty. Personne ne les pleurera, personne ne se rappellera d’eux. Ils n’ont jamais marqué l’histoire, juste quelques personnes croisées en cours de route. Pour le meilleur et pour le pire. (Surtout le pire, avec les Doherty, il faut bien l’admettre.) Mais une branche de leurs gènes se trouve aussi dans Lukà, le cousin qui a définitivement mieux grandi qu’eux. Il est beau, il est intelligent (il lit beaucoup après tout) et il fait même un travail qu’il le passionne. Freya l’envie mais en même temps, elle sait qu’il n’est pas satisfait. Il n’est pas heureux, il a ce trou qu’il n’arrive pas à combler, un énorme vide plein d’interrogations, de doutes, de questionnements. Lukà n’a pas mérité ce qu’il lui est arrivé mais il est le symbole même de celui qui réussit à vous faire oublier qu’il souffre derrière une sourire. Freya l’aime, son cousin. Comme elle aime ses frères. La famille, les bons gènes, ceux qui restent pour se serrer les coudes et affronter les épreuves ensembles, elle les aime. Petterson est une petite bouffée d’oxygène durant ce week end, freinant ainsi son jumeau à organiser encore une de ses fêtes sordides et donner un peu de répit à Freya, qui se trouve complètement submergé par ses excès. « Oh ça oui je sais ! Râler est ta seconde nature ! » Elle lui pince le bras parce que, hey !, c’est par parce que c’est un fait national qu’il est obligé de le répéter. Et elle se met à faire la moue dans son coin. Elle est comme ça, Freya, une grande enfant, avec ses crises, un mental qui ne suit pas toujours et de grandes loopings à vous donner le vertige. Ses réactions sont parfois disproportionnées et souvent imprévisibles.

Mais rien n’est calculé, tout est naturel.
Ce qui peut d’ailleurs foutrement agacé voire outrée.

« Ok deal. Tu ferais mine d'être surprise quand tu déballeras le colis d'accord ?! Hum peut-être pour entrer dans le vingt et unième siècle ? Je te promet que ça change la vie ce genre de machine et ça même si ta vieille cafetière fonctionne encore très bien. » Si Lukà commence à vouloir changer tout ce qui est vieux chez les jumeaux, il va en avoir pour un sacré budget, quand même. Que ce soit le mobilier, l’électronique ou l’électroménager, rien n’a été acheté neuf et brillant comme un sou d’or. C’est un appartement plutôt miteux, de toute façon, et Freya a dû chiner pour trouver les bonnes affaires. Elle a même dû mettre la main au bricolage pour essayer de faire repartir aspirateur ou frigo pour une durée plus longue. Heureusement qu’internet existe, de nos jours. Quand Lukà fit semblant d’être triste que sa présence gène, Freya roule des yeux tout en imitant sa pose – bras croisés, la hanche contre la table. « T’sais que mon cousin préféré est toujours l’bienvenu ici. » Puis il se mit à proposer d’aller faire un tour. Et là, la jeune brune ne put s’empêcher de grincer des dents. « J’ai pas encore eu mon cafééééééé, Lukà ! » Mais déjà ce dernier a déguerpi le plancher pour aller visiblement dans la salle de bains, à en juger par le bruit de la porte (celle de la salle d’eau grince plus que de raison). Elle lève le visage au ciel et regarde la cafetière. Enfer et damnation, elle n’est pas prête d’avoir son liquide noir à ce rythme ! Elle attrape son portable qui avait été oublié dans le salon mais elle eut à peine le temps de déverrouiller l’écran (un nouveau message l’attendait apparemment) que son cousin la presse d’aller se préparer. Décidément, pour quelqu’un qui a moins dormi qu’elle, il a sacrément la pêche. « Ca s’voit que t’as bu tout l’café qui restait, toi, p’tit voleur ! » Et c’est alors de mauvaise grâce qu’elle se dirige vers sa chambre récupérée ses vêtements.

En oubliant son téléphone déverrouillé et ouvert sur ce nouveau message qu’elle n’a pas eu le temps de lire sur la table à manger.

@Lukà Petterson

« Habille toi, prépare toi et je te paie deux ou trois café si tu veux ! » Lukà sait comment lui parler. De toute façon, Freya n’ignore pas que son cousin partage sa passion pour le café. Y a qui ne comprennent pas qu’elle ne peut pas être d’une humeur moins massacrante que d’habitude tant qu’elle n’a pas sa dose de caféine injectée dans les veines dès ses premiers doigts de pied posés sur le sol. Elle est aussi une spécialiste du café/whisky, un mélange étrange mais qui a le don de vous réveiller et de vous fouetter encore plus rapidement. Mais la jeune femme met un point d’honneur à ne toucher à l’alcool avant midi. Il faut bien savoir s’imposer des limites. Alors Freya accélère le mouvement avant qu’il ne change d’avis. Elle choisit ses fringues (jean, chemise pour être originale) puis direction la salle d’eau et sa porte grinçante (il faudrait vraiment songer à faire quelque chose). Une brosse à dent dans une main (oui, même si elle allait sortir pour manger et boire, elle ne tient pas à avoir la gueule qui schlingue), une jambe à moitié mise dans son jean qu’elle entend une voix gueulée du salon qui l’appelait. Tel un chat aux aguets, Freya se redresse, la bouche pleine de dentifrice, son regard s’observant elle même à travers le miroir en face d’elle. « Doherty !! tu te fous de moi ou quoi ? T'as des contacts avec mon ex ??? » Elle put donc observer son visage se décomposer littéralement. Toute vivacité retrouvée s’évapore en une micro seconde et un flot de jurons se déverse dans sa petite cabosse. Imbécile, idiote, stupide, pauvre conne, merde merde, fais chier, putain ! Comment il l’a deviné ? Comment il le sait ? Personne ne sait qu’elle a gardé contact avec Anna. Elle lui a donné sa promesse de ne rien dire au commun des mortels, même à ses frères et surtout encore moins à son cousin.

Bordel de merde, tu t’es fourrée dans une grosse shit, ma vieille !

Apeurée quasiment, Freya n’ose même pas sortir de la salle d’eau. Elle y est bien, elle s’y sent protégé. Après tout, elle n’ignore pas que dès le seuil franchi, elle aura le droit au regard furibond de Lukà qui demandera des explications. Elle n’est pas pressée de sortir car elle n’a pas pensé que cette confrontation arriverait un jour. Elle qui a si bien tenu sa langue pendant trois ans, voilà que son cousin vient de le découvrir d’une façon dont elle ignore encore comment. Rassemblant son courage, Doherty rince sa bouche, finit de mettre son jean et passe le seuil avec cette fichue porte qui grince de nouveau (ta gueule!). Freya arrive tout en se tenant les mains avant de croiser les bras. « J’imagine que pour le p’tit dej dehors, c’est foutu ? »

Chacun ses priorités, okay.

@Lukà Petterson

« T'es sérieuse ? Tu penses vraiment à manger ? » Non, ce n’est qu’une diversion. Freya ne s’était pas attendue à ce genre de confrontation de si bon matin, ni même dans un futur proche. Elle s’est montrée toujours raisonnable, faisant attention à ne rien dire, à personne, car tel fut le souhait d’Anna. Elle est fidèle, Freya. Et quand son amie lui a confié sa promette du silence, elle l’a respecté. Jamais Lukà n’aurait dû le savoir car Anna ne le voulait pas. Elle n’est pas partie pour rien, après tout. Et pourtant, il y a eu des moments de doute, de faiblesse où Freya dût se mordre la langue pour ne rien dire, pour ne pas partager la bouille de son petit cousin avec au moins ses frères. Mais non, même eux ne devaient rien à savoir car on ne sait jamais. On ne peut compter que sur soi même. « Depuis quand tu le sais ? » Les yeux posés sur le téléphone devant elle, Freya se maudit intérieurement. Qu’est-ce qui lui a prit de mettre cette photo dans le dossier de ses fonds d’écran ? Elle aurait même dû supprimer la photo, comme elle le fait à chaque fois. Chaque message, chaque image, rien ne traîne sur son téléphone.

Rien sauf cette première photo en pôle position pour Lukà de la voir.
Quelle imbécile elle est, vraiment !

« Ah au fait, Wren voudrait savoir si tu veux déjeuner avec lui ce midi ! » Les bras toujours croisés, Freya n’intervient pas. La bouche close, pour une fois, elle laisse son cousin finir. Il a le droit d’être fâché, de se sentir trahi, de demander des explications. Mais il va falloir quand même qu’il se calme si il ne veut pas que ça parte trop loin. Avec les Doherty, on a le début mais jamais la fin. « Bordel Freya parle !! Pourquoi tu m'as caché ça ? Pourquoi ? J'aimerais comprendre ? » Freya passe la main sur son visage avant de prendre – non, d’arracher – son portable de la main de son cousin. « Déjà, tu t’prends pour qui pour fouiller mon tel ? C’est pas parce que j’t’aime bien que c’est les portes ouvertes ! On t’a jamais dit qu’la curiosité, c’est un putain de défaut ? » Oui, la jeune femme évite le problème. Encore une fois. Elle ne met pas encore les pieds dans le plat car elle n’ignore pas qu’une fois les vannes enclenchées, il va être dur de les arrêter. « Y a rien à comprendre. Anna voulait pas que j’le dise alors j’ai rien dit. Cherche pas les complications quand y en a pas. » Bonne amie docile qu’elle est, Freya n’a pas hésité à supporter surtout moralement son amie qui s’est retrouvée dans une ville étrangère avec un bébé dans les bras. Elle a été la voir quelques fois, disparaissant sans vraiment dire pourquoi, pour l’aider ou juste pour aller la voir. Freya porte son attention sur son téléphone, activant le verrouillage. Désolé, big bro, elle ne sera sûrement pas en état ce midi.

@Lukà Petterson

« Ne change pas de sujet Freya ! T'avais pas le droit de me cacher ça ! » La cousine aurait pu disparaître sous terre à cet instant précis. Les vannes sont ouvertes, la température est en train de monter, le feu bouillant de l’intérieur les prend en tenaille tous les deux. Un sang similaire coule dans leurs veines, liés par des liens familiaux hors de leur consentement. Freya sait que Lukà ne lâchera pas l’affaire – ni maintenant ni plus tard. Elle vient de le trahir et le visage souriant de son cousin n’est plus maintenant qu’un amas de dégoût, de rage et de tristesse. Evidemment que ça la fout mal de le voir comme ça. La famille, c’est important. Mais la fidélité, la loyauté aussi. Doherty n’avait pas voulu être mêlée aux affaires de Lukà et d’Anna mais elle l’a été, un peu malgré elle. Son amitié avec la jeune femme reste présent et elle n’est pas du genre à trahir ses amis. Même pour son cousin, qu’elle sait qu’il aurait débarqué chez Anna sans préavis. « C'était donc ça tout tes déplacements bizarres ? T’allais la voir ? T'as tenu mon fils dans tes bras ? Putain Freya, je te faisais confiance .. C'est mon fils... » Freya lève les yeux au ciel. Il ne faut pas abuser, non plus, elle n’y est pas allée tant de fois que ça. Et puis, c’était souvent le temps d’une ou deux journées. Pas de quoi en faire un drame « Oh, c’mon ! J’y suis allée que genre trois fois, pas d’quoi en faire une p’tin de polémique. » Mais elle n’ose pas affirmer que oui, elle a tenu son bout de chou dans les bras. Le seul gamin qu’elle arrive à supporter – parce qu’il est à l’image de ses parents, calme, gentil et obéissant. Freya n’aime pas les enfants, en général, et encore moins les bambins. Ces petits êtres prennent trop d’espace, trop d’énergie, trop de temps. Ça passe leur temps à crier, à courir, à geindre, à quémander, à rouspéter. C’est marrant, ça rappellerait presque quelqu’un… Cependant, se venter d’avoir tenu son fiston dans ses bras serait très mal venu, même de sa part. Elle n’est quand même conne à ce point pour donner le bâton pour se faire battre. « Même pas tu t’excuses ?! »

Là, Doherty ne peut s’empêcher d’arquer le sourcil. S’excuser ? Le jour où elle s’excusera, c’est le jour où il pleuvra des billets de banque. Elle adorait Lukà, vraiment. La fierté, elle ne sait pas vraiment ce que c’est. Mais elle a les crocs qui restent plantés dans ses idéaux. Elle est tel un chien qui ne lâche pas son os et qui grogne quand on s’approche. Petite teigne, affirmant qu’elle a raison même quand elle a tord, la faute n’est pas d’elle mais d’eux. Alors ouais, Freya est choquée que Lukà s’attend à des excuses. « M’excuser ? Pourquoi? Pour ne pas avoir voulu trahir mon amie ? Nope, désolé. J’te kiffe, cousin, mais j’sais que trop bien comment t’aurais réagi. » Les relations humaines, c’est vraiment pas son fort, à Freya. Mais Lukà l’aurait sûrement harcelé pour savoir où son fils se trouve et franchement, la jeune femme n’aurait pas supporté cette situation.

« Dis moi au moins qu'il me ressemble .. Parles moi de lui .. Je t'en supplie Freya .. » Elle le savait. Elle le sait à quel point cette réaction aura été prévisible. La main sur une hanche, Freya se pince l’arrête du nez de sa main libre. « Tu vois, c’est ça que j’craignais. » Franchement, limite elle regrette qu’Anna a voulu qu’elle soit sa confidente, pour ce coup ci. Pourquoi elle n’a pas choisi quelqu’un d’autre, quelqu’un de moins proche de Lukà ? Pendant des années, Doherty s’est retrouvée à mentir, cacher, prétendre des choses qu’elle savaient fausses ou réelles. Anna l’a mis dans de sales draps et elle lui en a presque voulu de la mettre dans cette situation. Et là, au regard noir et humide que lui lance son cousin, elle regretterait presque encore plus de ne pas avoir été honnête avec lui dès le début. Freya avait tenu Lukà dans ses bras alors qu’il se désolait, alors qu’il était au plus mal. Elle avait tenté de le réconforter en lui promettant qu’un jour, la roue tournera – même si franchement, elle n’a jamais cru un mot de ce qu’elle a pu dire. Freya ne croit pas vraiment en toutes ces conneries qu’on peut dire pour essayer de réconforter quelqu’un. Mais il paraît que ça faisait du bien à soi même, ne serait-ce que pour se dire que c’est mieux d’essayer que rien (flash news ; elle n’a rien ressenti de tel à part le stress qu’il sente qu’elle lui mentait). On essaie toujours de soulager sa fichue conscience par le biais d’autrui mais la plupart du temps, ce n’est qu’une façade, un égoïsme déguisé en altruisme. Et Freya, elle a horreur de ça.

Non, elle n’a pas été égoïste, au contraire. Elle a pesté contre Anna, elle a essayé de défendre la cause de son cousin mais c’était peine perdue. A l’époque, son amie était butée et elle croyait dur comme fer au témoignage d’une inconnue. Freya n’a jamais vraiment compris pourquoi elle avait choisi d’écouter une personne qu’elle ne connaissait pas plutôt que l’homme qu’elle aimait depuis des années. Mais bizarrement, le mensonge, les défauts, les accusations sont souvent plus rapidement assimilés et acceptés que la bonne foi, la vérité. Elle n’était pas la mieux placée pour la juger ou pour la critiquer alors elle a tenté d’être là pour les deux. Après tout, il était stupide que son cousin est pu trompé Anna de quelque façon qui soit (mais elle ne peut dénier le doute qui a plané pendant plusieurs mois, une période de tension où Lukà était littéralement à ramasser à la petite cuillère). « Dis moi qu'ils vont bien. » Elle suit son cousin qui s’assit sur une des choses avec deux yeux désespérés. Elle reste visiblement un peu trop silencieuse pour ce dernier car il renchérit. « Pas la peine d'éviter les questions. On a le même sang. Je suis aussi têtu que toi ! »

Freya tapote ses doigts sur la table avant de s’asseoir à son tour, après avoir tourné la chaise pour que le dossier se retrouve contre sa poitrine et les jambes de chaque côté de l’objet. Elle croise les bras sur le haut du dossier, son regard chocolat dubitatif. Il faut qu’elle choisisse ses mots avec précaution. « Crois le ou non mais j’te l’aurai dit si quelque chose allait pas. » C’est clair qu’elle aurait refusé qu’Anna soit en galère avec son fiston. Elle en aurait parlé à Lukà et c’est sûrement pour ça qu’Anna a toujours tenté de minimiser les galères qu’elle a pu accumuler dans une ville où elle ne connaissait presque personne. « Anna compte pas revenir, Luke. Pas maintenant en tout cas. Donc cherche pas à essayer d’en savoir plus, tu vas juste te faire du mal, elle se retient de dire ‘pour que dalle’ car il sortirait de ses gongs sinon. » Un fils, ce n'est pas 'que dalle' et même Freya le reconnait volontiers. Son cousin est juste misérable en face d’elle et elle déglutit difficilement. Son pauvre coeur n’aime pas le voir comme ça, à en juger par les palpitations qu’elle ressent. Lukà se laisse souvent border par ses émotions et aujourd’hui plus que jamais, elle en est la spectatrice.

Maudis sois-tu, Anna !

Le rythme redescend aussi rapidement qu’il est monté. Des octaves en plus, puis un air plus doux, plus calme qui apaise. Lukà a beau être plus âgé que sa cousine, il n’a pas le luxe pouvoir maîtriser ses émotions. Il s’emporte vite, surtout quand ils évoquent son fils et son ex. Une chanson qui ne change jamais, un disque qui tourne sans cesse sans jamais prendre une rayure. Peut-être que de là où elle est, Anna peut les entendre. Freya ne s’est jamais étendue sur l’état de Lukà avec elle. Elle sait que ça a été une décision difficile à prendre. Alors la blonde ne voulait pas causer plus de tords à son amie, qui était déjà bien trop occupée à se dépatouiller dans une nouvelle ville et un nouveau né dans les bras.
Que Lukà sache maintenant la vérité est un mal pour un bien, au final. Surtout pour Freya. Même si elle songe déjà à toutes les questions dont il va l’assommer,la supplier, presque la harceler. Pour l’instant, il est sous le choc, sous l’émotion et à juger par son visage, il lui faudrait un moment pour l’accepter. Accepter que sa cousine lui ait menti, accepter qu’Anna ne l’a finalement pas oublié. Accepter d’avoir été consolé par quelqu’un qui savait dès le début ce que lui ignorait. Accepter que sa pauvre petite personne qui n’aime pas les enfants s’est déjà trouvé avec son fils dans les bras. Freya n’a même pas le courage de lui dire qu’il est le mélange parfait de ses parents. Des parents qui auraient dû finir leurs vieux jours ensembles. Anna & Lukà, c’était le couple idéal, le couple parfait, le coup de foudre, les petites attentions. Freya a été aux premières loges quand Lukà les a présenté à la famille et même son coeur de marbre ne pouvait prétendre qu’ils n’étaient pas adorables ensemble.
Elle veut ça, elle aussi, un jour. Les moments de complicité, les secrets que seul l’autre peut comprendre, se soutenir mutuellement en toute circonstance, l’excitation d’entamer une nouvelle vie. Mais pour Freya, ce n’est qu’un doux rêve illusoire pour l’instant. Les projets de famille n’existent pas dans sa tête, seul compte l’instant présent, son cousin la remerciant tout en lui serrant sa main. Celle de Lukà est froide, sûrement à l’image de son état d’esprit.

« Putain d'Anna. Elle compte réellement me priver de mon fils jusqu'à la fin de mes jours. Est-ce qu'au moins elle lui a parlé de moi ? Est-ce qu'il sait qui je suis ? » Freya fit une moue contrariée. « Va pas trop vite pour l’insulter, quand même. » Anna reste son amie quoiqu’il arrive. Lukà a le droit de s’emporter, ceci dit, mais pas devant elle. D’ailleurs, la blonde a déjà prévenu Anna que le jour où elle repose les pieds à Brisbane, un mur de pierre bourré de cailloux sous forme de reproche l’accueillera. Le reste des questions, elle les ignore de nouveau. Elle ne connait pas vraiment la réponse alors le silence est la meilleure chose qu'elle puisse faire.

« Excuse moi de m'être emporté.. Dès que ça touche mon fils, jme contrôle pas. » Freya essaie de se montrer compréhensive et hoche la tête. « Tu peux t’énerver comme tu veux tant que tu pètes rien dans la baraque. » Des crises de colère avec du matériel s’éclatant au sol, elle connaît. Et tant que Lukà peut se maîtriser de ce côté là, ça l’arrangerait bien. Tobias lui a déjà foutu en l’air trois verres avec ses conneries, alors que sa sœur lui reprochait encore une fois que sa chambre mériterait d’être aérée. Fichu caractère de merde. « Jsuis désolé mais ça t'ennuie qu'on reporte le brunch ? Jme sens pas prêt à affronter le monde, j'ai juste envie de me foutre sous ma couette et qu'on me fiche la paix. » Sa cousine arque un sourcil avant de se lever de sa chaise. « Comme si j’allais sortir avec une épave, t’façon. » Elle eut un léger sourire tout en se dirigeant vers la cuisine. A sa grande satisfaction, la cafetière est à moitié pleine. Freya se permit de se servir un bon mug de liquide noir. « Tu peux toujours larver ici, si tu veux. Y a une cafetière presque pleine d’un café pas si dégueu, des dvds ou un compte netflix payé par une amie, t’en dis quoi ? » Elle s’est tournée vers lui, tasse dans une main, l’autre sur la hanche. « A part si tu peux pas supporter d’voir ma gueule pour le reste de ta vie et là, bah… Tu connais la sortie. »

Non, franchement, elle espère quand même que Lukà ne va pas aller aussi loin que de la rayer définitivement de sa vie.