Apologizes

@John Williams

Non vraiment, aller acheter des céréales à 22h30 parce qu’elle voulait absolument en manger devant le dernier épisode de Killing Eve n’est pas l’idée la plus brillante qu’elle ait eu. Faut dire que Charlie n’a pas vraiment d’idées brillantes en ce qui concerne sa vie personnelle, elle a donc enfilé le premier jean venu, un gros pull de Léo pour ne rien avoir à mettre en dessous ainsi que les fameuses Superstar usées par les années qu’elle ne se résout pas à jeter. Un look parfait pour aller chercher des victuailles nocturnes, auquel elle a ajouté une paire de lunettes de soleil. Elle aurait pu ressembler à qu’Audrey Hepburn en face de Tiffany’s mangeant un croissant mais dans l’état actuel des choses elle ressemble juste à une paumée qui voudrait cacher ses yeux rouges. Parfait, au moins personne ne lui posera de questions. Le plan était bancal mais il devait tenir la route. En tout cas, pour la partie « aller au supermarché et en revenir avec un paquet de céréales » il n’y a pas eu d’accrocs. Les vendeurs sont sûrement habitués à ceux demandant de l’alcool à pas d’heure, bien que les jeunes femmes en pleine dépression assouvissant leurs désirs gustatifs ne doivent pas leur être inconnu non plus.
Et puis y’a eu anguille sous roche, que dis-je c’est même baleine sous rocher à ce stade là. Une putain de couille dans le pâté, sans jeu de mots douteux. La voix qui crie son nom lui glace dans le sang parce qu’elle ne la connaît que trop bien. Elle aurait aimé être capable de faire semblant de rien et pousser la porte dont elle avait attrapé la poignée. Elle aurait aimé pousser la porte et se sentir safe dans l’immeuble dont seul le code permet de rentrer. Elle n’a fait rien de tout ceci parce que la simple évocation de son prénom a suffit à la tétaniser. Les jours sont passés depuis leur dernière altercation mais les marques du cœur sont encore bien plus présentes que celles sur son visage. Elle peut raconter des mensonges à n’importe qui mais son corps la remmène sans cesse à la réalité. Elle a peur de John. Les yeux plus écarquillés que la normale, une main tremblante posée sur la poignée elle ose néanmoins se retourner. Le spectacle d’un ex petit ami titubant en sa direction lui donne la chair de poule. Loin de le plaindre elle en est affligée. Il n’a plus rien d’un oisillon blessé, il est un chien enragé qu’on aurait dû euthanasier pour éviter bien des souffrances à tout le monde. Il ne manquerait plus qu’il soit enterré dans le Simetierre et vlà que la Terre aurait un nouveau fléau à supporter. « T’es vraiment en train de me demander comment je vais John ? À ton avis, je vais comment ? » Mal, pire que mal. Elle est plus bas que la Terre ne le permet. Elle se retrouve à dormir sur le canapé de son meilleur ami de peur d’avoir à dormir seule chez elle et de peur d’avoir à dormir avec lui et de laisser les choses déraper. Elle a peur quand les gens dans la rue commencent à hausser le ton, elle a peur quand on commence trop à s’approcher d’elle s’il ne s’agit ni de Tim ni de Léo. Elle a peur des bruits que la porte fait la nuit. Elle a peur de toutes ces choses du quotidien qu’elle ne pensait jamais craindre un jour dans sa vie, et il en est le seul responsable. Elle a perdu beaucoup de sa foi en l’humanité à cause d’une seule personne. « T’es bourré ? » Question rhétorique (euphémisme pour ne pas dire « question bête »). Bien sûr qu’il est bourré, il sent l’alcool à plein nez et peine à avancer bras, ce qui est assez symptomatique.
Le cœur de la rousse s’accélère alors qu’il pointe son coquard du bout du doigt, de peur qu’il avance encore plus son bras en direction de son visage. L’idée même qu’il effleure sa peau lui donne la nausée et la tétanise en même temps. Elle ne répond même pas à son constat, parce que ce n’est pas lui qui doit vivre avec le regard des autres posés sur son œil. Ce n’est pas lui tantôt qu’on fixe tantôt qu’on prend soin d’éviter. Ce n’est pas lui à qui on invente de nombreuses vies à cause d’un seul coup pris sur le visage. Il aurait dû lui planter un coup de couteau dans le ventre, ç’aurait été plus simple pour tout le monde. Un pas en avant pour lui, un en arrière pour elle et la voilà à nouveau coincée entre le barman et le mur. L’histoire se répète, encore. Jamais deux sans trois, hein ? « Recule. S’il te plaît. Juste, recule. » Tente-t-elle d’articuler la voix tremblante et la mâchoire serrée. Elle est trop concentrée à s’assurer que les mains de John ne se rapprochent pas encore plus pour le regarder dans les yeux. Elle n’en a de toute façon pas envie. Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec cet homme et le destin continue de les rapprocher l’un de l’autre. Erreur fatale. « C’est facile de t’excuser maintenant que t’as frappé tous ceux qui se sont retrouvés près de toi. Un coup de poing et le problème est réglé, hein ? je devrais essayer, la vie a l’air bien plus facile comme ça. Tout détruire pour ne pas avoir à se remettre en question. »

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@John Williams

Ses questions n’ont pas de sens, il n’arrive pas à se tenir droit sans se tenir au mur et de ce fait étouffer encore un peu plus Charlie contre le mur. Bien que la peur soit facilement lisible face aux yeux écarquillés de la jeune femme et une main tremblante qu’elle tente de calmer, lui ne lui en tient pas encore rigueur. Sans doute est il trop alcoolisé pour comprendre quoi que ce soit d’ailleurs. « A ton avis ? » Il est définitivement trop alcoolisé. Loin de tenter d’envenimer la situation, il semble ne parler que pour lui même, répéter des mots qu’il ne semble pas avoir compris. A t il au moins un avis sur la situation ? Une once d’humanité cachée derrière tous ces péchés ? Lui, le Fruit Défendu dans lequel Eve a croqué si innocemment. Il n’est pas même le serpent, il est le putain de Fruit Défendu. Personne n’a dit à Eve qu’elle n’était pas la première femme de l’humanité, que ce n’était pas la première à tomber, que Lilith avait péché à cause de ce même et très cher Adam. Tout est relié à Adam, le premier homme et le premier emmerdeur. Tous les hommes ne sont-ils pas des emmerdeurs ? Non Charlie, non, des noms lui viennent en tête. Des hommes qu’elle chérit plus que tout, des hommes pour qui elle ferait tout et dont l’inverse est tout aussi vrai. Lui n’est qu’une erreur de parcours, une très très grosse certes, mais une erreur quand même. Il ne reste seulement à espérer que pour la première fois de sa vie que la rousse apprendra de son passé. Il recule finalement et alors qu’elle allait s’autoriser à respirer à nouveau le bruit de verre brisé la fait sursauter. Il la rend à fleur de peau, elle est certaine qu’il fait ça pour la déstabiliser encore plus. Il lui est impossible de nier l’évidence : elle est effrayée. Elle est comme un homard qui attend d’être choisi dans son minuscule aquarium pour ensuite être plongé dans l’eau bouillante. Une fin atroce ; une vie pas plus réjouissante. « T'as aucune raison de me croire Charlie. Aucune vraiment. Mais sache que je suis sincère. Je n'ai jamais frappé personne avant ... vous ... » Au delà des mots qui tentent d’être rassurants, cette fois ci c’est son regard qui lui glace le sang. Autrefois elle aurait tout fait pour l’intercepter, pour plonger ses yeux bleus dans les siens, pour qu’il la regarde encore une dernière seconde avant de retourner à ses occupations. Autrefois elle aurait tout fait pour lui prouver qu’elle existe et qu’elle mérite d’être aimée autant qu’elle l’aime lui. Désormais ce n’est qu’une lente agonie qu’elle voudrait faire arrêter. « Je peux confesser des meurtres alors, si je n’avais jamais tué personne avant tout va bien. C’est ce que t’essayes de dire ? Arrête d’essayer de te justifier t’empires ton cas à chaque seconde John. Je veux juste vivre ma vie maintenant, loin, très loin de toi. Et t’oublier. » Sa voix se brise, elle perd le peu d’assurance qu’elle avait maladroitement rassemblée au début de leur conversation. Ses mots ne sont plus qu’une lente supplication. Il lui vomit ensuite dessus et elle lève les yeux au ciel, pensant pendant un instant qu’elle pourrait lui mettre un coup de genou dans l’estomac et s’enfuir. Sauf qu’elle ne veut pas le toucher, elle ne veut plus. Il s’est reculé et elle sent moins son odeur, ce qui est déjà un bon début. Il n’a plus qu’à faire quelques dix milliers de kilomètres de plus et tout sera encore mieux. « T’as voulu tuer quelqu’un, t’as envoyé mon meilleur ami à l’hôpital, t’as frappé deux autres personnes. Tu m’as trompé, tu m’as menti. Tu as menti à tout le monde. Tu crois que tout ceci ça peut se rattraper en te pointant bourré chez moi ? J’ai été stupide pendant trop longtemps mais maintenant c’est fini. Tu n’as jamais été sincère avec moi, c’est pas ce soir que tu vas commencer. Tu te souviendras même pas de cette rencontre demain. »

« Comment il va Léo ... ? » Les sourcils de la rousse se froncent immédiatement. Il ose lui demander comment va son meilleur ami. Il ose prononcer son nom. Il prononce son nom si doux avec sa voix qui lui donne envie de commettre les pires atrocités. Il n’a pas le droit de prononcer le nom de son meilleur ami, il ne devrait pas faire ça parce que ça fait atrocement mal à Charlie. « Comme un gars qui s’est fait tabasser. » Les détracteurs pourraient dire qu’il est celui qui a voulu frapper John en premier, sauf qu’il n’est qu’un gosse et que tout le monde sait qu’il n’a pas la carrure adéquate pour frapper qui que ce soit. Léo est celui qui trouve toujours les bons mots pour rassurer la jeune femme dans le moindre de ses malheurs, mais il n’est pas son vengeur masqué. Elle n’a jamais voulu qu’il le soit, justement parce que ce rôle là n’est pas fait pour lui. Il est peut être parfait à ses yeux, mais elle sait qu’il ne peut pas jouer tous les rôles sur scène en même temps. Le rôle du boucher n’était pas pour lui, et John le lui a bien fait comprendre. Cependant il reste encore et toujours le plus gros connard de la Terre entière et si elle avait peur de ses coups, elle n’avait pas prévu qu’il s’avance vers elle pour l’embrasser une dernière fois. Il la dégoûte de toute son âme mais sur le moment elle est incapable de réagir. Les yeux grands ouverts, elle l’observe si proche d’elle avec dégoût. Elle le sent exercer une pression sur ses lèvres et elle a envie de le tuer. Son corps arrive à prendre le dessus sur ses émotions au bout de longues secondes interminables pendant lesquelles la proximité nouvelle de John la rend malade. Ou peut être est l’odeur de vomi non loin de ses pieds ? Ou les effluves d’alcool s’émanant de lui ? Tout à la fois sûrement, si bien qu’elle réussit enfin à poser ses doigts sur son torse pour le repousser. Elle n’y met aucune force, il était déjà en train de reculer de lui même. « T’es malade John, un grand malade. » C’est le genre de phrase que l’on peut lancer avant de faire un saut à l’élastique ou en parachute, ce genre de trucs drôles, mais elle ne pensait pas l’employer un jour dans un contexte comme celui-ci. « Tu te trompes sur un point Cha ... T'as compté pour moi. Ok, j'ai merdé au maximum avec toi. J'aurais jamais dû aller voir cette fille et baiser avec elle en échange d'argent. J'ai toujours été sincère avec toi ... » Sincère comme quand il disait l’aimer et qu’il allait coucher avec une autre. Sincère comme quand il a fait payer les autres pour ses propres fautes. Sincère comme quand il l’embrassait alors qu’il devait être en train de vérifier ses messages derrière son dos. « M’appelle pas comme ça. Arrête de me mentir, ça te sert plus à rien maintenant. Je coucherai plus avec toi. » C’est seulement tout ce qu’il cherchait au final, le plaisir charnel avec une jeune femme dans la fleur de l’âge. Ca devait être existant de la voir à sa merci, de la voir totalement éprise pour l’être abjecte qu’il est. « Je t'ai aimé Charlie. Je t'ai aimé du plus profond de mon être. » Et la rousse qui lève aussitôt les yeux au ciel. Sa naïveté a des limites, sa patience et sa foi en l’humanité aussi. Il n’est venu ici que pour tenter de la reconquérir et ce n’est certainement pas dans cet état qu’il pourrait y arriver. Même s’il devenait un homme bien, le mal est fait. Il l’a brisée et rien ne saurait réparer ça. Une fois que la confiance s’envole elle ne peut pas revenir ; jamais. « Je vais porter plainte. Je l’ai déjà fait, en fait. Ne t’avise plus de me toucher John, la prison ne sera pas aussi clément que moi. » Il voulait la regarder dans les yeux ? Bien. Elle en fait de même alors qu’elle lui balance ces mots, sans expression aucune sur son visage. Une plainte, un dernier adieu et elle sera débarrassée de lui à tout jamais. Elle ne craint même pas qu’il s’énerve à nouveau, ce ne sera qu’une nouvelle charge à ajouter au dossier.

Les souvenirs accablent John maintenant qu’il est à nouveau si proche de son visage. Elle est accablée par cet amas d’image qui traversent son esprit. Elle pensait être heureuse en sa compagnie, réellement, et c’est bien là toute l’ironie de l’histoire. Désormais quand il lui annonce qu’elle sera bientôt débarrassée de lui elle est soulagée. Peu importe pourquoi elle n’aura plus affaire à son visage, l’important c’est la finalité. Le moyen, elle n’en a plus rien à faire. Il pourrait être un cancéreux en stade terminal qu’elle serait incapable de ressentir la moindre once de pitié à son égard. Plus maintenant en tout cas, s’il voulait avoir une attaque cardiaque ou quelque chose dans ce genre, il aurait dû y penser il y a quelques semaines. Il aurait dû y penser avant de faire du mal à tout l’entourage de Charlie. Elle aurait pu lui pardonner de lui avoir fait mal à elle, parce qu’elle a ce don de pardonner beaucoup trop de choses la concernant … mais ses amis, sa famille ; ça non. Jamais. Il est allé trop loin, alors même sa mort n’accablera plus le coeur pourtant si sensible de Charlie. Elle n’en serait que davantage soulagée sûrement.

Contre toutes attentes elle est rassurée que John pense qu’elle avait rompu avec lui dès leur première dispute dans sa maison sur Bayside. Cela la rassure terriblement parce qu’elle n’a pas à se sentir coupable d’avoir commencé à voir Tim à ce moment là, d’avoir commencé à lui faire confiance et à lui partager tous ses secrets. Elle est rassurée de ne pas être celle qui jouait sur deux tableaux à ce moment là (plutôt trois, à vrai dire) parce que lui se considérait déjà comme célibataire. La rousse, elle, avait eu besoin d’un coup de massue pour pleinement se considérer libre. Elle a attendu quelques semaines de plus pour se libérer de ses chaînes, ce qui l’a permis de ne pas trop s’approcher de Tim encore. Ou de Kane. Ou de personne d’autre. Parce qu’elle craint que si elle s’était trop approchée de qui que ce soit il serait lui aussi passé sous les poings de John. Il est encore et toujours la raison qui la fait se terrer dans son silence et dans sa peur. Il est la raison pour laquelle elle est adossée au mur, la raison pour laquelle ses yeux cherchent une quelconque aide au loin. Elle cherche une issue de secours et il n’y en a strictement aucune. Elle est comme un animal en cage, et John aura intérêt à être bien loin d’elle quand elle sera enfin libérée. « Cian est sorti, connard. Tu seras tout seul sur ce coup là. » Bien que les insultes commencent à affluer dans son cerveau, le ton de sa voix reste calme. Immensément froid, mais toujours calme. Elle ne crie pas. Pas encore. Elle réserve ses cris pour le moment où il sera incapable de réprimer ses pulsions animales, parce que ça lui arrive toujours au bout du compte. Elle est un animal en cage, il est un chien enragé incapable de se contrôler. Il est Cujo, elle est Tad. Spoiler alert, ça ne se finit pas bien du tout pour Tad. Pas du tout, du tout. « On verra qui baisera qui en prison. »

La suite de la conversation, ils en ont déjà parlé mille fois. Une nouvelle bête sur son tableau de chasse, c’est tout ce qu’elle est, oui, et alors ? Elle s’y est fait, elle s’en moque. Les mots à son égard n’ont plus aucune sorte d’importance désormais. Charlie reste impassible, elle qui est pourtant la première à s’émouvoir de peu. Elle s’émeut du pire comme du meilleur, mais après avoir vécu tant d’épreuves sa vision du “pire” a largement été faussée. « Si me considérer comme une victoire peut t’aider à dormir, grand bien t’en fasse. Ton avis ne signifie plus rien pour moi. Peu importe ce que tu penses, ce que tu ressens. Je n’en ai plus rien à faire John. Tu es mort pour moi. » Les mots sont forts mais oh combien lourdement pesés dans sa tête. Elle en pense chaque syllabe même si son intonation reste froide et détachée. « Laisse moi partir maintenant. »