Ils venaient à peine d'entrer dans la taverne bondée que Matt était persuadé de l'erreur monumentale qu'ils faisaient. Mais qu'est-ce qu'ils foutaient là, tous les deux, qu'est-ce qu'ils avaient à gagner, qu'est-ce que ça valait, vraiment, au final? Et son regard est alarmé pourtant. On aurait pu croire qu'il serait las, comme tout son corps en entier, épuisé, défait, démoli. Il espère encore pourtant McGrath, il prie chaque soir n'importe quelle connerie de divinité pouvant l'entendre, il supplie même, diront certains. Pourrait confirmer Levi, lui qui dort dans la tente à côté de la sienne depuis des semaines.

« Elles sont pas là. » qu'il annonce, à voix basse, à l'oreille de son cousin. La sentence pas étonnante le moins du monde, quand on savait que tous les deux, ils avaient parcouru des kilomètres et des villages et encore des tonnes de points sur la carte à faire avant de pouvoir, de devoir abandonner officiellement les recherches. Matthew abandonnerait pas ; il préfèrerait crever plutôt, mais il ne le dit pas à voix haute ça, il le garde pour lui. Parce qu'il espère de tout le pauvre coeur malmené qu'il lui reste ne jamais se rendre là, les trouver bien avant ça.

Et il ravale ses larmes, il se fait violence pour ne montrer aucun trait de faiblesse, quand il ignore les serveuses, qu'il voit même pas les clients, qu'il fait que tourner la tête vers Levi et lui demander, d'emblée. Comme si tout ceci ne lui faisait pas l'effet d'une armée de couteaux plantés en plein coeur. « Il reste quoi sur la liste? » du menton, il désigne la poche de la chemise de son cousin, là où se cache leur map de la région, là où ils ont passé des heures à identifier les dizaines d'endroits où Virginia et Jillian pourraient se trouver. Depuis qu'ils les ont perdues de vue, depuis que leurs parents ont tenté de les prendre en embuscade, et qu'ils ont dû se séparer pour mieux survivre.

T'as toujours su que ton cousin n'était pas le plus vaillant des hommes et qu'il était bien trop sensible pour ne pas faire honte à ses testicules comme son hypothalamus programmé au masculin. Souvent, t'avais envie de le secouer, comme si tu pouvais le ragaillardir à force de violence. Mais bien sûr, tu savais qu'on ne refait pas les gens de cette manière. On peut conditionner les individus à réagir d'une sorte ou d'une autre, mais on ne redéfinit pas les Hommes. Puis malgré son côté fleur bleue, t'aimais Matt. C'est celui qui avait le plus de décence entre vous et de respect pour la vie. En revanche, il n'en demeurait pas moindre que tu refusais de dormir dans la même tente que lui, de peur de finir noyé dans les torrents générés par ses crises de larmes nocturnes.

« Elles sont pas là. » Il annihile l'ambiance à peine t'as eu le temps d'humer l'odeur de bière. Tu râles et soupires en même temps, devant tant de pessimisme pourtant doté de réalisme. Tu tapes dans le dos de Matt qui ravale ses perles salées et tires sur la carte fourrée dans la poche de ta chemise pour lui démontrer les points qu'il vous reste à parcourir, à la recherche de tes deux cousines. « On va les trouver. » T'assures. « Même si c'est la dernière chose qu'on fait. » Tu condamnes. « Man up. » Tu menaces. Tu fais un signe de tête à ton acolyte familial pour qu'il vienne auprès du bar avec toi et y déposes quelques - fausses - pièces d'or pour deux breuvages et des informations. Le serveur gringalet vous observe, son patron vous toise. Tu sais à qui solliciter des renseignements. « On cherche deux jeunes femmes, dont une en robe de mariée. Les sœurs de celui-ci, pas mal ressemblantes. » Le type réfléchit, entrouvre la bouche, est coupé derechef par le bourru propriétaire qui ne manque pas de lui écraser le pied au passage. « Vous prenez vos bières et déguerpissez. » « Vous êtes sectaires ici ? C'est pas poli de couper la parole des gens. » « On ne les connaît pas. » « Qui donc ? J't'ai pas causé. »  Ton regard soupçonneux passe d'un barman à l'autre. Le trapu croque dans ta fausse monnaie pour s'apercevoir que tu l'embobines. Tu ne peux pas t'empêcher de rire devant la tête qu'il tire. « Pas de ça ici. Du vrai or. » Il crachote. Tu prends les deux choppes et te précipites à l'extérieur, Matt sur tes talons. « Attrapez-les ! Voleurs ! » « Kidnappeurs ! » Une fois de nouveau seuls avec ton cousin, tu observes : « Ils savent quelque chose. »

Son regard est livide, son cœur a oublié de battre. Ses mains s’occupent de se blesser l’une l’autre, il a les jointures qui ont du mal à cicatriser vu les nombreuses batailles que son cousin et lui ont au compteur, à se frotter à la racaille qui habituellement est la seule source d’information véridique dans le coin. Il essaie fort Matthew, il prend sur lui la majorité du temps, mais à effacer un autre échec comme il vient de le faire, ce serait mentir de dire qu’il redresse les épaules rapidement, qu’il ravale sans laisser paraître la moindre faiblesse. Il est démoli, il sert plus à rien. Le grand frère inutile, l’âme maudite, celui qui s’est lui-même relégué au rôle de protecteur et qui n’arrive même pas à se protéger soi-même de la culpabilité et de la terreur qui le tressaillent.

« On va les trouver. Même si c'est la dernière chose qu'on fait. » Levi est intraitable ; il ne laisse pas la moindre place à la nostalgie, au vague à l’âme d'un Matt qui est bien vite à bout de ressources pour cacher sa peine, voiler sa déprime. « Man up. » il hoche de la tête, sèchement, heurté par le manque de support qu’il ressent de la seule famille qu’il lui reste. Mais il n’a pas le temps de se morfondre, il n’a plus le temps du tout. Il est à court de temps, ils l’ont tout utilisé. Bien vite leurs parents les retrouveront et ce sera fichu, terminé, échoué. Autant garder la puissance qu’il lui reste pour mettre le focus sur les recherches. Levi ne perd pas le Nord, pose des questions autour, reçoit un accueil agressif en retour. Et leur or bon à jeter qu’on mord, qu’on déprécie, qu’on leur crache dessus. Ils sont poussés vers la sortie, mais déjà, le coup d’œil qu’ils s’échangent rend la scène bien accessoire. « Kidnappeurs ! » que Levi hurle, ils ragent à l’intérieur, les deux McGrath filent dehors. « Ils savent quelque chose. » « Tu crois? »

Et l’espoir remonte, et son torse se bombe, et Matthew revit à nouveau. Il a un adversaire tangible, il a une cause conrète, il a une raison d’être, de vivre. Il a une piste pour retrouver ses sœurs aussi. « On y retourne. » un excès de confiance qui a mauvaise, très mauvaise augure. Mais le voilà qui gobe d’un trait presque la moitié de sa chope, qui sent le houblon couler sur son menton, sur ses fringues, sur ses mains qui brûle de l'alcool noyant ses plaies. Et il ignore le tout, il a le regard fou, il rebrousse chemin et aligne ses pas décidés vers la taverne à nouveau. « On y retourne, Levi, s’ils savent quelque chose sur elles et qu’on laisse ça passer et qu’on part et… » Matthew qui ignore si Levi le suit, mais il lui parle, il fait que ça, il expose son plan, il clame haut et fort ses intentions et bien vite sa voix se noie dans les bruits de pistolets qui semblent être braqués directement sur eux à voir le trajet des balles qui les manquent de peu. « Planque toi! »

Il ne va pas bien, Matt. Tu le sais et ça t'agace. Since we had to part ways to Jillian and Ginny, he's lost his light, for he tosses and turns, he can't sleep at night. Tu lui pries de se ragaillardir, tu tentes de lui insuffler espoir et courage aussi efficacement que possible. Cependant, tu perçois dans son regard qu'il t'en veut, qu'il aimerait que tu sois plus humain, plus sensible. Tu ne peux te permettre ceci, bien que souvent, tu te dis que bien que tu continues de chercher une réponse, tu ne sembles pas trouver ce que tu recherches. [Though I keep searching for an answer. I never seem to find what I'm looking for]. Tu es celui qui veille sur ton cousin, même si de quelques mois, il est l'aîné de votre duo. Tu l'as toujours fait. Depuis ta naissance, tu gardes un oeil sur Matt, tu sais à quel point il peut briser aisément. Reminds me of childhood memories though, where everything was as fresh as the bright blue sky.

Vous entrez dans le bar, en quête d'informations sur tes cousines. Tu décryptes au regard du jeune barman qu'ils font dans la rétention de renseignements, que vous mettez votre nez là où ils le refusent ardemment. Un sujet sensible, générant sans doute une terrible épée de Damoclès au-dessus de la tête du propriétaire de la taverne. Tu essaies de payer avec de l'or falsifié, vous fuyez par la porte précipitamment, évitant de recevoir des balles en plein cœur. A l'abris, tu t'assures derechef que Matt se porte bien. Tes émeraudes ne le quittent pas. Every breath you take and every move you make, every bond you break, every step you take, I'll be watching you. C'est ton rôle, ça le sera toujours.

Tu expliques l'accusation que tu as affublée à l'adresse des employés et du gérant du bar à ton interlocuteur, qui peine à y croire. Tu es convaincu, toutefois, qu'ils composent une clef pour retrouver tes cousines. Matt regagne espoir, tu perçois une lueur salutaire au fond de ses pupilles. « On y retourne. On y retourne, Levi, s’ils savent quelque chose sur elles et qu’on laisse ça passer et qu’on part et… » Il déclare, catégorique. Tu acquiesces, fais l'inventaire de tes armes comme munitions. Puis, soudainement, des coups de feu retentissent. Ils vous sont dédiés. « Planque toi! » Nothing ever lasts forever. Everybody wants to rule the world. We will find you. Tu penses, résumant les péripéties vous ayant menées jusqu'ici et votre ambition première de retrouver Jillian et Ginny.

Dissimulé par un rocher, tu lances un regard vers l'origine des coups de feu et fais crachoter ton pistolet. Matt te suit, puis alors que vous vous plaquez de nouveau contre la roche pour vous épargner des balles assassines, il te semble lire sur son visage le désespoir, la résilience. « No one can take away your right to fight and to never surrender » Tu lui rappelles, le motives, et suggères : « Continue d'attaquer d'ici, je vais changer d'angle. » Tu attends une accalmie pendant laquelle tu songes que vos adversaires rechargent leur fusil. Tu en profites pour te glisser derrière un bâtiment et mitrailler les âmes présentes sans foi ni loi. We've got to fight for ourselves, all through the mystery [of where my cousins are], all through the heartache [of not finding them]. Tu penses.

Quelques dizaines de minutes plus tard, l'hostilité gît au sol. Tu retournes vers Matt et l'interroges : « Rien de cassé ? » Tu le scrutes du regard et l'invites : « Viens. » Tu t'approches des dépouilles, cherches les vivants. Il y en a un qui gémit encore. Tu l'attrapes et le fourres sur ton épaule, puis t'orientes vers un endroit sécuritaire. Tu étales ensuite le blessé au sol, orchestrant des gémissements de sa part. « How does it feel to treat me like you do? » Il te crache. « Tell me how does it feel, when your heart grows cold » « Not bad. » Tu lui rétorques, tes yeux rivés sur la plaie béante au niveau de sa tête qui lui fait sans doute perdre la tête. « Interrogeons-le. » Tu encourages Matt. « Mes cousines sont où ? »

C’est la cohue, c’est l’attaque, c’est la folie et il en perd la tête Matt. Y’a trop de bruit, y’a trop de cris, il a mal, il pensent à elles, il pense qu’à ça. « Continue d'attaquer d'ici, je vais changer d'angle. »  et il pas le temps de dire quoi que ce soit que déjà, Levi part de son côté, laissant Matthew du sien. Son cœur bat dans ses tempes, son stress remonte, il a mal au cœur le gars, il pense à vomir mais il le retient, l’air qui sent la poudre et le charbon, le sol qui est poisseux de sang encore bouillant.

« Rien de cassé ? » si seulement, qu’il pense Matt, quand il a vu l’air, quand il a emmagasiné les expressions de ceux qu’il a tués durant les minutes précédentes. « Viens. » et il obéit Matthew, il a les jambes en compote mais il suit, il veut pas rester seul surtout, la carrure de Levi le guide à travers ceux qui reposent au sol, ceux pour qui son cousin et lui ont décidé de leur sort, fatal. Son regard qu’il garde devant eux, jamais à ses pieds. On l’agrippe aux chevilles, où il sent des mains s’y enrouler quand personne ne bouge, il est terrifié à nouveau, il sert à rien, mais il tente, il tente si fort.

Et finalement, quelqu’un parle. Ou du moins, quelqu’un est forcé à le faire. Levi l’a bougé, l’a allongé de façon à ce qu’il puisse articuler convenablement malgré ses nombreuses blessures. « Mes cousines sont où ? » « J’sais pas du tout où sont tes cousines. » il crache du sang, il crache tout court. « Deux brunes. Une pire que lui et l’autre encore dans sa robe de mariée. » Matthew qui s’étonne d’entendre enfin sa voix, qui reprend en courage quand il est désormais persuadé que le gars au sol les connaît, les a vues, qu’il a de quoi les aider, vraiment. « Nous force pas à te faire plus mal encore. Tu mérites de crever dans ton sang, évite d’ajouter d’autres souffrances au lot. » qu’il rage maintenant. Parce qu’il tremble, parce qu’il en peut plus, parce qu’il lui assènera un coup de pied dans ses côtes déjà cassées s’il juge leur prisonnier approximatif ne parle pas assez vite à son goût. « Elles sont plus ici. »

« Où alors? » Matt renchérit, son regard bouille, sa voix aussi, il est un nouvel homme à chaque réponse qui se rapproche d’une vérité qu’il est prêt à entendre, pour laquelle il prit depuis si longtemps.

« Proche. » « PROCHE COMMENT? » le coup qu’il retient depuis si longtemps martèle violemment le bassin du blessé, il rage et il souffre et il le leur fait savoir, mais Matt est déjà au sol, sa poigne qui entoure la nuque du pauvre type, parfait équilibre entre lui faire mal et arriver à le laisser articuler à travers. « L’autre – l’autre village. Celui avec la rivière.  »

Vous vous en êtes sortis indemnes que physiquement, tu observes, en notant un niveau de traumatisme aggravé éprenant sans merci ton cousin. Il te suit, marionnette désarticulée par la fatalité comme la perte. Tu refuses de jeter l'éponge, d'être battu à plates coutures. Le rescapé de la fusillade est étalé sur le sol par tes soins aucunement délicats, tu l'interroges sans cérémonie. L'objectif premier et ultime est de retrouver tes cousines. « Mes cousines sont où ? » « J’sais pas du tout où sont tes cousines. » « Deux brunes. Une pire que lui et l’autre encore dans sa robe de mariée. » Tu as le sentiment que Matthew se requinque, le but dorénavant plus clair, l'appât de retrouvailles envisageables motivées par une bonne dose d'optimisme.

Tu croises les bras contre ta poitrine, intransigeant ; tu toises, hautain, le malfrat. Le bout de ta langue humecte tes lèvres gercées, tu sens la sueur comme le sang, tes godasses baisent les feu follets. « Nous force pas à te faire plus mal encore. Tu mérites de crever dans ton sang, évite d’ajouter d’autres souffrances au lot. » Un sourire mauvais et fier s'affiche sur ton minois, tu te retiens de taper l'omoplate de ton acolyte en signe d'approbation. Vous n'avez plus cinq ans et vous jouez aux dieux, deux facteurs atténuants pour conserver un minimum de maturité. « Elles sont plus ici. » Tu pouffes à en crachoter. That's not enough, mate, tu tranches intérieurement. Comme s'il allait s'en sortir avec un aveux si maigrichon. Vous ne faites pas dans l'anémique. Vous n'avez pas subi un raid pour une simple observation que vous avez vous-mêmes effectuée plus tôt.

La hargne et la poigne de Matt s'endurcissent. Il devient de plus en plus inquiétant, effarant, imposant, au fil des minutes, à mesure de cette rage qui bouille au fond de son être, fait palpiter son cœur meurtri. « Où alors ? » « Proche. » « PROCHE COMMENT ? » Si ton cousin n'avait pas frappé l'homme, tu l'aurais fait. Tu n'as pas cette patience, et manifestement, Matthew n'en a plus en stock. Il est désormais sur le corps de votre otage et parvient à lui faire articuler les termes tant désirés : « L’autre – l’autre village. Celui avec la rivière. » Tu sors ta carte de ton blouson sale, cherches du doigt ledit village. Ton index finit sa course au niveau d'un point, tes iris transitent du document au duo. « Allons-y. » Tu annonces, relevant les deux corps endoloris. « Tu viens avec nous. Si tu nous as menti, mon souper sera ta cervelle. » Et tu crèves de faim.

Vous retrouvez vos chevaux, tu sors quelques mètres de cordage pour rendre totalement vulnérable votre source d'informations et la hisse derrière Matthew. Tu comptes jouer de la boussole. « Prêt ? » Tu questionnes ton cousin avant d'encourager ta monture à s'orienter vers, tu le pries, tes cousines.

Il te semblait avoir parcouru le bush australien pendant une heure, peut-être même une heure trente. Ton estomac gargouille sans retenue, tu dégages une énième fois ton front de tes cheveux longs. Finalement, un clocher d'église apparaît dans ton sillage et tu t'en approches précautionneusement, Matt sur tes talons. « Ça a l'air mort, ici. » Tu décris, méfiant. Risquez vous une autre embuscade ? Tu descends du cheval et l'entraînes au centre du village. Au moment où vous passez devant les marches boisées de l'église d'un blanc écaillé, un cri strident percute tes oreilles, glace derechef ton sang. Tu te freines, te tournes longuement vers Matt ; puis un nouveau hurlement te tranchant l'âme, tu pénètres rapidement la maison du Seigneur. Ton pistolet est chargé dans ta main gauche, tes pupilles virevoltent hâtivement, frénétiquement, à la recherche de la provenance des déchirantes et épouvantables plaintes féminines.  

« Allons-y. » Levi prend action, et Matt est déjà sur ses talons, lui qui agit bien plus vite qu’il ne réfléchit désormais. Il a laissé de côté les doutes et les craintes, il a laissé bien loin de lui tout ce qui le tenaillait, tout ce qui le maintenait de faire quoi que ce soit d’autre que de ressasser, que de craindre. Et le voilà qui avait presque oublié leur potentiel allié lorsque son cousin le remet en ligne de mire. « Tu viens avec nous. Si tu nous as menti, mon souper sera ta cervelle. »

L’homme frissonne, Matt ignore s’il craint la mort plus les secondes avancent, ou si les menaces de Levi – dont personne ici ne doutent – ne suffisent pas à terminer de le terroriser. « Prêt ? »  « Toujours. » les chevaux sont attelés, ils sont tous montés, le corps poisseux, puant, et lourd de l’otage du soir presse sur le dos en lambeaux d’un Matt qui refuse de s’avouer vaincu malgré les diverses blessures de plus en plus douloureuses qu’il cumule depuis le début de leur battue. Il sait que Jill saura le soigner mieux que quiconque lorsqu’ils la retrouveront ; et Matthew s’y rattache, à cet espoir comme à tous les autres.

Ils se sont enfouis dans la nature, les branches ont finalement bien lacéré leurs visages, le moindre signe de vie mis à part leur présence dans un village abandonné n'apporte absolument rien de rassurant au tableau. « Ça a l'air mort, ici. » Levi ralenti le pas et quitte son cheval, Matt suit son rythme, laissant derrière l’autre qui grogne probablement dans son sommeil. Et tous sursautent, quand au loin une église s’anime d’un hurlement morbide qui leur glacera instantanément le sang.  

« C’est Virginia. » il est intraitable, il sait que c’est elle, il reconnaitrait sa voix – ses peurs – envers et contre tout. « C’est elle. » il confirme quand son assurance, quand la façon dont il en est persuadé devrait avoir convaincu qui que ce soit. S’activant, se pressant, Matt déboule à l’intérieur de l’église, laissant les cris lui briser le cœur autant que lui donner la force nécessaire de se mouvoir le plus vite qu’il pourra dans l’église à la recherche de sa sœur. « Je sais que c’est elle. »

L’écho est horrible, ne pas la voir et seulement l’entendre l’achève. Il tourne sur lui-même Matt, il a le souffle court, il est désespéré et elle crie encore, elle ne fait que ça, elle résonne à travers tout le bâtiment sacré. Les vitraux semblent être tous sur le point d’exploser tant la détresse dans la voix de Virginia est insoutenable. Mais il ne la voit pas. Nulle part. Les paumes sur les tempes, les jambes ballantes, Matthew finit par s’écrouler au sol sur les genoux, fermant ses paupières avec violence, criant à son tour. « Je vais devenir fou Levi, fais-la taire. »

Un abominable, odieux, épouvantable cri transperce sans merci la pesante atmosphère funèbre qui happe le village esseulé. Ton âme semble se glacer, ton corps se crisper, à l'ouïe de cette âme qui excommunie sa peine dans une unicité frisant l'insoutenable. « C’est Virginia. » Tranche Matthew, déclaration que tu approuves d'un hochement de tête nébuleuse par la reconnaissance de la détresse de ta cousine. « C’est elle. » Il répète, à t'extraire de ta torpeur, à t'inciter à durcir de nouveau ce tenace palpitant évoluant ta cage thoracique. Tu jettes un coup d’œil à ton otage, une nouvelle note stridente mouve le cousin vers la maison du Seigneur. Sa silhouette s'y enfonce avec autant de précipitation que d'insouciance et pestant, tu le suis, le cordage relié à l'inconnu serré contre ta paume.

Il dévale l'intérieur de l'église, tu refuses de commettre davantage de bruit malgré le fait que tu rêves de hurler au brun que si Virginia tonitrue ses enfers, c'est qu'il y a des ennemis, et tu n'as pas envie de le voir finir perforé. « Je sais que c’est elle. » « Je sais. » Tu rétorques, glacial, mauvais, ta main pressant l'épaule du McGrath pour qu'il ralentisse sa cadence après que tu aies rangé ton pistolet dans la poche de ton pantalon, ton autre main occupée à traîner votre source d'informations. « Je t'ai dit qu'on les retrouverait. » Tu remémores, catégorique.

Le cousin tourne sur lui-même, désemparé, déboussolé par la torture exposée de sa cadette. Sa poitrine se soulève par puissantes saccades, la voix de Virginia rebondit, vertigineuse, sur tous les murs de la bâtisse miteuse. Ton sang tourne à vive allure dans ton organisme, tu es congestionné par le désarroi que beugle ta cousine. Le sentiment d'avoir pénétré un labyrinthe t'étreint, les beuglements féminins à perpétuelle équidistance. Puis Matthew sombre, genoux craquant sèchement contre le sol dallé. « Je vais devenir fou Levi, fais-la taire. » Tu examines promptement la pièce dans laquelle vous vous trouvez, poses ton regard aussi noir que déterminé sur votre compagnon d'infortune. « Comment on accède à où elle est ? » Parce que cette église est hantée, t'en es désormais assuré. Vous n'y faites que tourner en rond, inlassablement, manège sinistre au rythme des maux de ta cousine. Tu animes l'otage d'un violent coup de cordage, résistes péniblement à la tentation de l'étriper. « Conduis-y moi. Vite. » Avant que je dévore ta cervelle, comme je te l'ai promis si ça se passe pas comme je l'entends. Tu attrapes ton pistolet chargé, geste qu'interprète l'attaché comme une menace qui l'encourage à avancer vers une porte que tu avais juré ne pouvoir mener qu'à un placard délavé. « Un petit effort, » Tu encourages le trentenaire agenouillé à vous suivre, des images de lynchage religieux obscurcissant tes états d'âme. « Il faudra se battre. Elle crie pas sans raison. » Tu signales, augurant le pire.

La porte du prétendu placard s'ouvre à la volée et vous surplombez désormais une nef insoupçonnée tant son caractère grandiose jure avec toutes les autres salles minuscules et l'extérieur du lieu religieux. Tu fronces les sourcils, ton souffle est court, tu te sens comme asphyxié par une ambiance excessivement lourde. Tu te risques à croire aux esprits et constater que ceux-ci ordonnent ardemment que vous quittiez de suite leur repère.

Mais Virginia se trouve devant l'autel, immobilisée, paralysée. Tu ne perçois pas ses adversaires ni assaillants, seulement sa douleur et sa terreur. Tu cherches le chemin le plus rapide pour l'atteindre et interloqué de ne voir aucun corps ennemi, tu décides de faire diversion en lançant un coup de feu sur le luxueux chandelier à ton niveau. Celui-ci s'écroule, poids aux prises de la gravité, et un bruit cristallin rompt la cacophonie de plaintes. Elle s'est tut, tu penses. Aucun homme en vue, de plus en plus à même de croire aux esprits malveillants, tu t'élances vers l'échappée au mariage pour la secourir et la ramener vers Matthew, le prisonnier confié à ce dernier.

La tête comme dans du coton, le coeur qui harcèle ses tempes. Il étouffe Matthew, il se cherche, se trouve pas. Ce sont ses nerfs qui lâchent dont il se persuade, quand le lugubre de l'endroit ne fait que lui confirmer qu'il est tout sauf là où il devrait être s'il tient à la vie. Mais sa vie, il en a plus rien à faire si ses soeurs en font pas partie, s'il les a perdues à jamais. « Je t'ai dit qu'on les retrouverait. » la voix de son cousin rauque, rageuse, excédée. Il aime pas que Matt se soit précipité à l'intérieur, il passe sa colère sur leur prisonnier qui maugrée des indications pas claires, trop voilées pour que Matt les comprenne de toute façon, pour qu'il y porte attention. « Comment on accède à où elle est ? Conduis-y moi. Vite. »

Et ses prunelles s'illuminent à Matthew, quand il voit Levi passer à ses côtés, quand il ne tourne plus, quand son corps écroulé au sol se relève enfin, qu'il respire à nouveau. Ils vont vers elles, ils vont vers elle et ils sont là et plus rien n'est à craindre, désormais. Il ne le dit pas, qu'il sent les vitraux le dévisager, qu'il se sent percé à vif par leur regards pernicieux, leurs fresques démoniaques. Il se tait lorsqu'il entend des voix marteler son crâne, quand il est persuadé qu'ils sont suivis alors que rien ni personne ne se love par-dessus son épaule. Il évite de faire part du mal-être qui le consume, des envies qui l'animent lorsqu'il repère des bris de verre au sol, lorsqu'une envie soudaine d'en prendre un et de le garder au creux de sa peau maintenant lacérée le fait obéir sans qu'il ne le comprenne.

« Il faudra se battre. Elle crie pas sans raison. » « Elle est là Levi, elle est là. C'est elle. » et il a tout oublié le brun, il a oublié les dangers, il a oublié sa chair déchirée et le sang qui coule maintenant entre ses doigts. Il a oublié les potentielles attaques et les raisons pour lesquelles Virginia hurlait lorsque ses prunelles se posent sur elle. Visage de porcelaine qu'elle redresse pour enfin les voir, visage recouvert de larmes et ses yeux rougis, bouffis, vides. Elle tremble, elle est frigorifiée, elle est terrorisée, et elle hurle à nouveau, le chandelier échoué à leurs pieds qui l'a secouée. Elle semble sortir d'une transe dans laquelle elle était à leur arrivée, elle semble avoir un seul et limpide éclat de lucidité.

« Non, non, partez, tout de suite! » qu'elle supplie, qu'elle implore. Matt qui sent d'ignobles frissons contracter son corps, sa peau sillonnée de terminaisons nerveuses paniquées. « Virgini- » qu'il tente tout de même, esquissant un pas puis dix vers elle, lâchant le câble qu'il tenait et leur prisonnier avec, mais déjà, il est trop tard. « NON! » l'immense porte de la nef claque derrière eux, le bois lourd et imposant qui en fait un echo de longues secondes durant. Ce ne sont que lorsque toutes les fenêtres de la nef commencent une par une à éclater bruyamment qu'il réalise Matt.

Virginia qui s'écroule l'instant d'après au sol, son crâne fracassant l'autel dans un craquement tragique tout sauf rassurant. Ils sont pris au piège par une force qu'il ne voit pas, qu'il ne comprend pas, et qui tient sa soeur en otage.
Et ils ne sortiront jamais d'ici.