Trois jours. Trois jours s'étaient écoulés depuis que Leah avait enfin avoué à Stephen ce qu'elle lui cachait depuis des semaines. Tout d'abord, sa reconversion professionnelle chez les pompiers. Et ensuite, cette grossesse absolument imprévue dont elle ne savait pas quoi faire. Et elle n'était pas beaucoup plus avancée à l'heure d'aujourd'hui. Cette annonce s'était extrêmement mal passée - doux euphémisme - puisque le kiné n'avait fait que de rebondir sur ses mensonges par omission, sur son manque de confiance et surtout, sur le fait qu'elle l'avait volontairement écarté de toutes ces décisions qui impactaient pourtant leur couple de manière directe. Si d'habitude Leah avait de la répartie et une réserve infinie d'arguments prêts pour n'importe quelle confrontation, cette fois ci elle avait surtout évité d'en rajouter une couche. C'était grave, très grave. Elle ne l'avait jamais vu dans un état pareil, et surtout, jamais il ne l'avait regardé de la sorte. La brune n'avait pas aimé ce qu'elle avait pu lire dans son regard, réalisant que ses actions avaient des conséquences bien plus importants qu'elle ne l'aurait cru. Son intention n'avait jamais été de le blesser volontairement, bien au contraire. Elle avait voulu éviter une dispute pour les pompiers, et elle n'avait jamais trouvé un bon moment pour lui parler de ce bébé, laissant ses appréhensions prendre le dessus sur ce que sa conscience aurait du lui dicter de faire. Et depuis lors, c'était le silence radio. Littéralement. Stephen avait mit un point d'honneur à l'éviter consciencieusement, et si elle avait tenté de lui envoyer un message ou l'autre pour prendre la température, ceux-ci étaient restés sans réponse. Un comportement qui n'était pas pour la rassurer puisqu'ils avaient toujours trouvé le moyen de communiquer, peu importe la situation. La brunette savait qu'elle avait laissé les choses aller trop loin, il lui avait suffisamment ouvert les yeux sur ce qu'elle avait fait. Et si aucun retour en arrière n'était possible, Leah espérait qu'avec le temps il parviendrait à la pardonner, ou du moins à comprendre partiellement pourquoi elle avait agit ainsi. Mais ça allait être difficile si le brun continuait à vivre sur un autre fuseau horaire qu'elle. Il devait beaucoup bosser, mais vu les heures tardives auxquelles il rentrait, il était probablement sorti à plusieurs reprises aussi. Non pas qu'elle le juge, mais elle aurait aimé qu'ils trouvent le courage de se poser et de discuter, c'était plus que nécessaire. Parce que ce bébé était toujours là, qu'ils le veuillent ou non, et il était hors de question pour elle d'être la seule à prendre une décision concernant son avenir. Même si Stephen était persuadé que celle-ci était déjà prise de son côté, ce qui était absolument faux. Mais les récents évènements ne faisaient pas forcément pencher la balance en faveur de ce bébé, d'autant qu'il n'arrivait même pas à la regarder dans les yeux. Depuis ce fameux vendredi, la jeune femme était pour ainsi dire restée chez elle, chez eux, à broyer du noir. Elle n'avait plus envie de rien et parvenait à peine à manger, tant sa gorge était nouée. Elle attendait, le coeur lourd, que son téléphone sonne ou que le kiné passe enfin le pas de la porte pour discuter. Elle regrettait tellement ses actes, mais elle ne voulait pas l'étouffer en débarquant au cabinet ou bien en l'harcelant de messages. Il avait besoin de prendre de la distance, de s'éloigner d'elle... Elle pouvait tout à fait le concevoir. Mais trois jours, c'était long après un rebondissement pareil. Trois jours, c'était exactement le temps qu'elle avait passé sans lui au Cambodge. Cette pensée la fit sourire tristement, tandis qu'elle observait l'horizon de par la baie vitrée, le regard vide. Pas sûr que les retrouvailles se passent de la même manière cela dit. Leah avait bien tenté de se changer les idées, mais on aurait dit qu'elle était incapable de faire quoique ce soit. Elle se sentait paralysée, se ressassant sans cesse les paroles que le brun avait eu en apprenant la nouvelle. Au delà de la colère, il y avait eu la déception... Et de la tristesse. La jeune femme n'osait pas quitter l'appartement, de peur de rater une occasion de le voir s'il se décidait enfin à faire un apparition. Il lui manquait, et elle passait chaque seconde à espérer qu'il finisse par la prendre dans ses bras. C'est elle qui avait merdé, mais pourtant elle n'avait jamais autant eu besoin de réconfort. Un bruit de clé la fit sursauter, et un flot d'émotions la foudroya d'un coup. Les larmes menaçaient encore, alors même qu'il ne s'était encore rien passé. Leah mit ça sur le compte des hormones plutôt que sur une intuition de la suite des évènements, et elle se leva d'un bond afin de faire face à Stephen. Lorsqu'il apparu dans son champ de vision, son coeur se mit à battre un peu plus fort. Elle voulu sourire, mais les muscles de son visage ne semblaient pas être très coopératifs et sa mâchoire se contracta. "Salut." Lança-t-elle simplement. Elle restait plantée là, incapable de savoir si elle devait aller vers lui ou si il valait mieux qu'elle reste à sa place. L'atmosphère était pesante et la brunette avait bien du mal à ne pas vaciller. "Tu m'as manqué..." Murmura-t-elle simplement, choisissant d'être honnête et de lui livrer son ressenti sur ces dernières heures passées sans lui. Parce que oui, il lui avait manqué. Chaque parcelle de son être souffrait de cette situation, de l'avoir blessé. Elle voulait retrouver son sourire, son regard amoureux, sa façon de la prendre contre lui qui signifiait qu'il serait toujours là pour elle. Mais l'homme qui lui faisait face était à l'exact opposé de tout ça, l'observant dans un silence froid et qui la fit frissonner. Comment en étaient-ils arrivé là? C'était une question rhétorique, la brune savait exactement comment. Par sa faute.
Si d'ordinaire, Stephen était plus casanier qu'oiseau de nuit, depuis trois jours le temps qu'il passait chez lui ne se limitait qu'à quelques heures quotidiennes ; enfin plus ou moins. Il vivait presque au cabinet, ne quittant ce dernier que pour se ravitailler au starbucks qui en était situé à deux pas -il alternait d'ailleurs avec un costa pour ne pas donner l'impression d'être complètement à la rue- et pour sortir lorsque plancher sur ses revues de kinésithérapie et ses prothèses passé une certaine heure n'était plus acceptable. Que ce soit avec Caleb le lendemain de la visite catastrophique de la maison, ou avec Jules pour enfoncer le clou sur son couple au bord du précipice, le brun tentait d'occuper son esprit et d'ordonner la montagne de sentiments qui contredisaient son cœur brisé.. en vain. Leah attendait un bébé. Un bébé. Stephen peinait encore à se dire qu'ils étaient tous les deux -la mention en était importante- à l'origine d'un petit être à l'avenir incertain. Déjà parce que ce dernier n'était absolument pas prévu au programme, et ensuite parce que la parentalité n'avait jamais été évoquée dans leur couple. Pourtant aujourd'hui il fallait se rendre à l'évidence : ils y étaient confrontés, et Stephen n'avait rien vu venir. La réflexion qu'il avait poussée depuis ces trois jours de break ne lui avait pas permis d'y voir plus clair. Au contraire. Si à chaud Stephen était resté sur l'idée (et le ressenti) que la petite dernière des Baumann ne lui avait rien dit pour ne pas avoir à lui faire subir un avortement décidé de façon arbitraire, au moins histoire de se lancer sans la moindre contrainte dans son nouveau projet professionnel, il avait aussi eu le temps de prendre la mesure de la situation ... et de se demander que serait sa vie, leur vie, s'ils décidaient de garder cet enfant. Se surprenant à consulter des revues sur la maternité, le brun se faisait rapidement reprendre par cette petite voix qui lui disait que Leah ne voulait pas de ce bébé, et qu'il n'avait pas la possibilité d'influer sur son choix ; ce qui ne l'aidait pas à savoir quelle attitude adopter. La jeune femme avait pleuré à torrents le jour où elle lui avait annoncé être enceinte. Elle avait à peine osé lui confier son état, comme si elle avait peur de sa réaction, et lui qui ne s'était jamais considéré comme le pire des tyrans n'y voyait la que sa volonté de lui cacher, non pas ce bébé, mais plutôt le fait qu'elle comptait s'en défaire sans le prévenir. Depuis trois jours il n'avait fait que se murer dans une profonde rancœur ... mais toute rancœur qu'il éprouvait ne saurait se soustraire aux sentiments qu'il ressentait pour elle, ce qui lui faisait un mal de chien à avouer. Il l'aimait. Et c'est justement parce qu'il l'aimait qu'il trouvait assez de courage pour oser lui confier le fruit de sa réflexion ce soir.
Il était aux alentours de vingt et une heure lorsque Stephen se décidait enfin à rentrer. Tâchant de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller une Leah qui dormait peut être -l'espérait il- le brun dut cependant se rendre à l'évidence, ce "Salut." émanant de la silhouette s'étant glissée face à lui ne provenait pas d'un fantôme. C'était l'une des rares fois où la jeune femme s'était autorisée à lui parler. Jusqu'à présent elle avait respecté son silence, et sur ce point l'un et l'autre s'accordaient. Il était grand temps qu'ils parlent. "Tu m'as manqué..." lui soufflait elle, plantée devant lui, visiblement sans savoir si un pas vers l'avant le ferait fuir ou rester. ".. tu m'as manqué aussi" murmurait il en retour, à peine audible, sans pour autant réussir à s'approcher. Stephen savait que s'il le faisait il perdrait tout le courage dont il avait tenté de se doter avant de franchir le seuil de cette porte, alors l'évitant soigneusement il s'avança vers la cuisine -seul itinéraire en ligne droite- et sortit directement d'un placard deux verres (par réflexe), et une bouteille de vin du réfrigérateur ; il en aurait besoin. "Leah il faut qu'on parle. J'ai ... réfléchi." Disons ça comme ça. Mon cœur s'est brisé environ sept mille cinq cent fois et je suis arrivé à une idée stupide qui devrait te convenir, aurait été plus juste. Après quelques secondes qui lui parurent être interminables (mais nécessaires), le brun s'était versé un verre qu'il portait presque immédiatement à ses lèvres pour se donner un peu de contenance."Je ... écoute j'ai compris à quel point c'était important pour toi de changer de boulot. De t'assumer." Non il ne comprenait pas, ou du moins pas vraiment. Ils étaient bien ensemble, dans leur bulle. Lui se foutait de travailler pour deux.. et au final il se foutait aussi qu'elle choisisse de s'engager chez les pompiers si ça lui chantait. Mais elle n'aurait jamais du lui cacher l'existence de ce bébé si longtemps. Elle n'aurait jamais du prendre cette décision seule. "Je te promets d'être là pour ... " l'avortement. "... pour quand on te le retirera." Et chacune de ses paroles étaient ponctuées de gorgées de vin qu'il prenait pour se donner du courage ; il n'agissait pas vraiment comme un abruti ainsi. Ces pauses avaient le mérite de ne pas le faire tomber dans les vapes tant l'air lui manquait. Tout cela était si dur à dire, et finalement : "Je veux qu'on se sépare." avaient été les mots les plus compliqués de son discours, bien que les plus vrais qu'il n'ait été en mesure de dire jusque là. Si Stephen aurait aimé la convaincre de renoncer à rejoindre la caserne, à garder ce bébé et à leur laisser une chance ... il savait aussi que ce n'était pas ce qu'elle voulait, que ce n'était pas ce qu'elle avait prévu de faire, mais il ne supporterait pas de vivre à ses côtés tout en faisant table rase de ce qu'ils avaient vécus. "C'est la meilleure chose à faire. Je ... j'ai déjà donné mon accord pour l'achat de la maison de Logan City." concluait il en se passant une main fatiguée sur le visage. De tout son discours il n'avait pas trouvé la force de lui accorder un seul coup d'oeil, et ni le vin ni sa pseudo conscience ne sauraient palier à l'avalanche de sentiments qui lui tomberaient dessus s'il croisait son regard.
Le cœur lourd, Leah observait Stephen, les yeux plein de doutes. Son silence était anormal, tout comme le soin qu’il avait mis à l’éviter ces derniers temps. La brune avait mis ça sur un besoin viscéral de mettre une distance entre eux, au moins le temps de réfléchir à ce qu’il s’était passé. Certaines paroles assez dures avaient été échangées, mais cette fois la jeune femme ne lui en tenait pas rigueur. Elle-même aurait eu une réaction bien plus violente si elle avait été dans une situation similaire, si elle avait découvert qu’il lui avait caché des choses aussi importantes. Alors elle avait fait profil bas, attendant avec impatience qu’il se décide enfin à lui reparler. Elle savait que gérer cette situation allait requérir des efforts, mais elle avait confiance en eux. Ils allaient traverser cette tempête, il le fallait. Sans trop savoir ce qu’il fallait dire ou faire dans des circonstances comme celles-ci, Leah se cantonna à un simple salut, agrémenté de quelques mots pour lui signifier qu’il lui avait manqué. Un entrée en matière qui se jouait dans une atmosphère oppressante, mais quelqu’un devait bien mettre fin à ce silence à un moment donné. ".. tu m'as manqué aussi" Ces paroles la rassurèrent un peu, mais le fait qu’il se dirige directement vers la cuisine et non vers elle la laissa interdite. La brunette se contracta légèrement, croisant les bras sur sa poitrine tout en se dirigeant lentement vers lui. "Leah il faut qu'on parle. J'ai ... réfléchi." Prenant place sur l’un des tabourets hauts qui donnait sur le plan de travail, elle l’observa se servir à boire tout en sortant deux verres, probablement par habitude. Cette petite maladresse aurait pu être le sujet d’une plaisanterie entre eux, mais le cœur n’y était pas. Elle se contenta de le regarder faire, se disant mentalement qu’elle aurait bien eu besoin d’un remontant elle aussi. Stephen semblait avoir du mal à rassembler ses idées, à trouver ses mots, et elle comprit que le vin n’était pas là pour le détendre mais bien pour lui donner du courage. Cela n’annonçait rien de bon. Elle restait là, sans rien dire, dans la passivité la plus absolue, attendant que le ciel lui tombe sur la tête mais tout en conservant un espoir naïf que les réflexions du kiné seraient positives. " Je ... écoute j'ai compris à quel point c'était important pour toi de changer de boulot. De t'assumer." D’accord.C’était bien ça, non ? Et pourtant, vu la tête qu’il tirait et son obstination à ignorer son regard, Leah comprenait que cette phrase contenait un mais. La brune passa une main dans ses cheveux, attendant la suite. "Je te promets d'être là pour… pour quand on te le retirera." Quoi ? La jeune femme fronça les sourcils, posant une main sur son ventre presque par réflexe. « Alors c’est ça que tu veux ? »Murmura-t-elle, attristée de voir que sa réflexion de trois jours l’avait amené à cette conclusion. Il ne voulait pas de ce bébé. Leah ne savait pas quoi penser de tout ça, maintenant qu’elle avait enfin son avis sur la question. Comment était-elle supposée se sentir ? Rien dans cette grossesse ne l’avait fait se sentir épanouie, à aucun moment. Et pourtant, l’idée de l’interrompre l’effrayait presque autant que de le garder. Avalant une autre gorgée de vin, le brun termina par un : "Je veux qu'on se sépare." Leah resta quelques secondes sous le choc, tentant de se persuader qu’elle avait mal entendu. Mal compris. C’était la seule possibilité acceptable. « Tu veux qu’on se sépare. »Répéta-t-elle comme par automatisme, comme si le fait de dire cette phrase à voix haute allait lui permettre de mieux ingérer l’information. Elle laissa ses épaules s’affaisser, ses mains tomber du plan de travail tandis que sa bouche se mettait à trembler. Cela faisait déjà quelques minutes qu’elle luttait pour ne pas céder au torrent de larmes qui menaçait de s’abattre à tout moment, mais là ça en était trop. « Non… Stephen, je…. Non… » Se laissant tomber de son tabouret, elle commença à s’avancer vers lui mais s’abstint de passer le plan de travail qu’il y avait entre eux, celui-ci représentant une espèce de frontière invisible à ne pas traverser. « S’il-te-plaît… Je suis désolée, je… Je te promets que je ferai tout pour me rattraper. Pour que tu me pardonnes. Mais je t’en prie, ne fais pas ça… » Son monde s’écroulait. Leah aurait aimé réagir comme ces femmes qui parvenaient à donner le change, à agir comme si ça n’était pas grave. Comme si ça ne les touchait pas. Elle ne voulait pas jouer à la fille complètement perdue sans son petit-ami. Mais Stephen était plus que ça. Il faisait partie d’elle, ils étaient plus qu’une simple histoire de quelques mois. Ca ne pouvait pas se terminer comme ça. Pas à cause d’elle, non. "C'est la meilleure chose à faire. Je ... j'ai déjà donné mon accord pour l'achat de la maison de Logan City." Ses mots résonnaient comme si elle était dans un aquarium, et l’impression qu’elle allait tomber là à tout moment était de plus en plus présente. Elle avait la nausée, la tête lui tournait et les larmes brouillaient sa vue. Il allait acheter la maison, leur maison de rêve… Mais sans elle. « Quand ? » Souffla-t-elle, dans une vaine tentative de reprendre ses esprits et de ne pas s’écrouler face à lui. Quand allait-il partir, quitter cet appartement qu’ils partageaient depuis des mois maintenant ? Cet appartement qu’il détestait mais qui avait été le théâtre de nombreux moments qui n’appartenaient qu’à eux. Des moments qui n’avaient plus d’importance. Une histoire qui partait en fumée, tout ça parce qu’elle avait laissé ses peurs prendre le contrôle sur elle. Elle l’observait, cet homme qu’elle aimait et qui pourtant décidait de lui tourner le dos. Et soudain, ses poings se serrèrent et les nerfs de la brune lâchèrent. « Mais regarde-moi bon sang ! » S’emporta-t-elle d’un seul coup. S’il était capable de lui annoncer de but en blanc qu’il la quittait, il pouvait au moins avoir la décence d’assumer et de la regarder droit dans les yeux pour le lui dire. « Ne fais pas ça… »Reprit-elle plus doucement, d’un ton presque implorant qu’elle n’appréciait pas, mais qu’elle ne contrôlait pas. Il était devenu son monde, son soutien, la seule personne sur qui elle pouvait se reposer sans se poser la moindre question. Et il partait, il ne voulait plus d’elle. Un douleur sourde dans la poitrine la tenaillait, mais elle tenait bon, le fixant avec force, attendant qu’il se décide enfin à poser les yeux sur elle.
La réflexion que Stephen avait menée pendant ces quelques jours avait épuisé ses maigres ressources de self control, et lui qui n’en avait déjà pas beaucoup se retrouvait les nerfs à vifs, écorchés. L’épuisement se lisait sur son visage, se traduisait dans ses yeux qui se teintaient de gris. Lorsque Leah lui avait annoncé être enceinte, il lui avait fallu toute une soirée (et une bonne partie de la nuit) pour assimiler des faits qui ne trouvaient –à ce jour- encore aucun sens à ses yeux. Il n’y avait eu aucun signe annonciateur de cette grossesse, rien qui n’aurait su attirer son attention … ou presque. Une pâleur qu’il avait assimilée à leur retour du Cambodge (un voyage d’un mois ce n’était pas rien) et peut être quelques nausées, mais globalement … cet enfant lui était resté invisible. A lui mais pas à elle. Comment la brune avait-elle pu lui cacher son existence ? Le trentenaire aurait su gérer un silence de quelques heures, voire même de quelques jours, mais cet aveu livré trois semaines après avoir fait ce test lui restait en travers de la gorge, d’autant plus qu’il lui semblait qu’elle le lui avait dit car elle s’était sentie dos au mur au beau milieu de la maison de leurs rêves avec des secrets qui prenaient désormais trop de place. Les trois jours qui venaient de passer s’étaient écoulés à une vitesse folle, bien que douloureuse. Une descente aux enfers durant laquelle le kiné n’avait pas jugé bon de questionner davantage sa compagne sur son état, et sans doute était-ce une erreur … mais lui parler était au-dessus de ses forces. Il campait sur ses conclusions, sur ses premières impressions ; à ses yeux le fait qu’elle l’ait tenu à l’écart ne traduisait qu’une volonté de ne pas garder ce bébé, et si maintenant elle venait à lui dire qu’elle pourrait y réfléchir s’ils se posaient pour en parler (une discussion qu’elle avait tenté d’amener tout le weekend, il n’était pas aveugle) Stephen s’était fait -ou plutôt, s’était conditionné à ne pas se faire- à l’idée de mener cette grossesse à terme.
Après avoir passé l’intégralité de sa journée à peser le pour et le contre de la décision lourde de conséquence qu’il s’apprêtait à finaliser, le brun avait osé franchir le seuil de leur appartement en toute fin de soirée, avec la ferme intention de faire part à Leah de son ressenti … et de sa volonté de quitter le navire. Comme si elle avait senti que les réponses qu’elle attendait arriveraient à ce moment précis, après un silence qui avait bien trop duré maintenant, la jeune femme s’était plantée devant lui en l’accueillant avec des mots auxquels il ne restait pas insensible. Il lui manquait, et elle lui manquait aussi. Son absence lui pesait… mais toute douleur qu’il ressentait ne changeait rien aux faits. Il fallait qu’ils se débarrassent de ce petit pois. Pour que Leah puisse passer à autre chose, et pour qu’elle puisse tourner la page d’une vie faite de galères pour y trouver un équilibre professionnel et financier ; un bébé n’arrangerait rien, et quand bien même lui aurait voulu le garder, jamais il n’aurait imposé quoique ce soit à la brune, alors il préférait prendre la fuite plutôt que de rester et d’assister à un massacre prévisible qui lui briserait le cœur de façon définitive. « Alors c’est ça que tu veux ? » Non. Ou peut-être que si, au fond. Prenant une nouvelle gorgée de vin de ce verre qui se vidait bien trop vite, le brun le reposait avec vigueur sur le plan de travail, toujours incapable de lui faire face même s’il avait perçu un mouvement en sa direction. « Oui. Je veux pas de ce bébé. » qu’il énonçait d’une voix claire, comme pour se persuader lui-même de ses paroles. Il n’aurait pas supporté de s’expliquer, de lui dire que cette grossesse aurait été accueillie d’une bien meilleure façon s’il avait compris qu’elle souhaitait le garder, alors Stephen préférait abréger leurs souffrances à tous les deux en raccourcissant au maximum ce qu’il avait à lui dire, en allant à l’essentiel. Et d’ailleurs … comme dans un enchaînement de mauvaises nouvelles, il lui semblait évident de lui faire part de sa décision de rompre. Il ne supporterait pas de rester avec elle, de la voir se lancer dans cette carrière et bouleverser son quotidien en n’étant que spectateur. « Tu veux qu’on se sépare. » Elle était restée muette quelques secondes, répétant ensuite ces quelques mots comme si elle ne les croyait pas. Pourtant lui, c’était bien la seule phrase qu’il avait dite avec certitude. Par un mécanisme d’autodéfense il protégeait son cœur brisé... en le brisant lui-même d’une façon qu’il contrôlait. « Non… Stephen, je…. Non… » S’il continuait à fixer un point invisible devant lui, son regard ne pouvait s’empêcher d’attraper les mouvements de la brune dont il percevait qu’elle s’était laissée tomber du tabouret sur lequel elle avait trouvé refuge pour faire un pas vers lui, sans toutefois l’atteindre. « S’il-te-plaît… Je suis désolée, je… Je te promets que je ferai tout pour me rattraper. Pour que tu me pardonnes. Mais je t’en prie, ne fais pas ça… » Et peut être ne se rendait elle pas compte à quel point ces mots lui faisaient de la peine, à quel point elle rendait les choses encore plus compliquées ainsi (si toutefois c'était possible). Stephen était dévasté, presque autant qu’elle, à ceci près que lui s’obstinait à ne rien montrer. Il se passait parfois une main sur ses traits fatigués, glissait ses doigts dans ses cheveux, mais son visage demeurait inexpressif. Hors mis un « T’as rien fait de mal. Mais je ne veux plus. Nous deux ça ne fonctionnera plus.» qu’il soufflait pour tenter de lui faire comprendre qu’elle ne pouvait plus rien faire à ce sujet, Stephen ne s’exprimait pas davantage sur cet épisode douloureux si ce n’est pour clore définitivement cette séparation en la concrétisant par l’annonce de l’achat de la maison qu'ils avaient visitée quelques jours plus tôt ... seul. Il avait conscience que ces trois choses que ces trois bombes qu’il venait de lui lâcher la bouleverseraient ; elles le bouleversaient aussi, mais le brun se persuadait que les choses étaient mieux ainsi, qu’elles étaient mieux pour elle même si pour le moment cela n’était pas évident. « Quand ? » Une pointe de colère lui naissait dans la poitrine en retour. Stephen était à pas grand-chose de rétorquer quelque chose comme « t’as du culot pour me demander des comptes sur les dates » mais se retint. A la place, un rictus sans joie lui étirait le coin des lèvres, et alors qu’il s’apprêtait à répondre quelque chose de totalement plat, un éclat de voix le fit presque sursauter. « Mais regarde-moi bon sang ! » Ce n'était pas très fairplay de quitter quelqu'un sans lui jeter un coup d'oeil, mais il en était incapable. Plutôt que de s’exécuter, ses yeux balayaient la pièce de vie désormais si inhospitalière ; ce canapé sur lequel la semaine dernière encore ils y avaient passé une bonne partie de la nuit à regarder des films, ce tapis, théâtre d’échanges mouvementés, la porte de ces deux chambres dont ils n’avaient encore jamais réussi à décider laquelle était la leur …. Est-ce qu’il voulait vraiment mettre fin à tout ça pour ne pas souffrir d’une histoire qui fonçait dans le mur ? « Ne fais pas ça… » A nouveau la voix de la brune retentit dans sa tête, plus doucement. Elle semblait l’implorer, et si cette fois la colère lui montait aux tempes, elle était dirigée contre lui et non contre elle, même si ce n’était absolument pas perceptible maintenant qu’il osait se tourner vers elle en la pointant d’un index accusateur. Il aurait aimé l’écouter, lui donner raison. Elle le faisait douter. Elle portait son enfant et il la plaquait ; pourtant depuis trois jours Stephen ne pouvait s'empêcher de se dire que c’était la meilleure des décisions, pour eux, pour lui. « T’es sérieuse ? Ne fais pas ça ? » Un rire nerveux le secouait. « C’était ce que tu voulais non ? Alors pourquoi tu réagis comme ça hein ? Tu peux pas mener ta vie comme tu l'entends et ensuite venir faire machine arrière quand les conséquences arrivent, tu peux pas » ... pour le calme olympien dont il désirait faire preuve, on repassera. Stephen avait réussi à tenir bon jusque là, à ne pas laisser sa colère le faire agir comme un animal blessé qui mordait et qui attaquait le premier, pourtant c'était exactement l'attitude qu'il adoptait. La brune lui avait brisé le coeur, et peut être que quelque part il voulait briser le sien en retour ... mais il voulait aussi s'échapper, arrêter de souffrir ... car depuis trois ans il avait bien trop donné. Il aspirait au bonheur, et avait presque eu l'impression de l'avoir touché du doigt en visitant cette maison avec Leah quelques jours plus tôt. Ils parlaient d'avenir, et ... « Nous deux ça s'est terminé au moment même où tu as décidé de m'écarter de ta vie. T'avais pas droit de prendre cette décision sans moi Leah, t'avais pas droit. » Il était à bout de souffle, planté au beau milieu de cette cuisine en faisant étalage du toute cette rage qu'il avait tenté de contenir pendant trois jours. Les vannes étaient ouvertes, et lui qui s'était promis d'aller droit au but n'avait pas réussir à tenir face aux larmes qu'elle versait devant lui. A ses yeux c'était elle qui était responsable de sa peine, et s'attarder sur sa silhouette réveillait chez lui des sentiments encore inédits ; entre colère et appréhension.
Maintenant que la conversation était lancée, Leah en venait presque à regretter le silence qu'il lui avait imposé ces derniers jours. Au moins ça lui avait laissé quelques heures de répit à imaginer une quelconque issue positive à toute cette situation dans laquelle elle s'était enfoncée. Et si elle s'était doutée que le sujet du bébé, de leur avenir, ne serait pas facile à aborder, la brune ne s'était pas douté un seul instant que Stephen allait débarquer avec une idée toute arrêtée sur la question. Il allait être là pour l'avortement, cela signifiait qu'il voulait donc qu'elle mette fin à cette grossesse? La jeune femme lui reposa la question, afin d'établir de façon claire que c'était bel et bien ce qu'il avait voulu dire par là, que c'était ce qu'il voulait. Une question laissée en suspens, comme une deuxième chance de faire machine arrière. Mais sa décision était prise: « Oui. Je veux pas de ce bébé. » Ces mots lui faisaient mal, à un point qu'elle n'aurait même pas pensé imaginable. Etait-ce parce qu'il ne désirait plus d'enfant, ou simplement qu'il n'en voulait pas avec elle... Cette pensée lui brûlait les lèvres, mais elle se retint de la poser. Parce que la douleur était déjà bien trop intense. "D'accord."Répondit-elle d'une voix mal assurée. Elle essaya de garder la face, de ne pas s'effondrer comme une loque devant lui. Il gardait une attitude tellement stoïque, tellement calme... Ces paroles, il les avait prononcées presque avec détachement, comme si ça n'avait aucune importance. Leah se doutait que ce n'était qu'une façade, elle espérait que c'était sa façon à lui de gérer ses émotions. Cela n'aurait pas été la première fois. Elle l'enviait un peu, elle aussi aurait aimé donner l'impression qu'elle s'en fichait bien de tout ça. Mais malheureusement, elle en était incapable. Ses barrières étaient tombées depuis bien longtemps en ce qui concernait Stephen, et elle se retrouvait à sa merci, recevant chaque parole comme autant de coups visant à lui briser directement le coeur. Je veux qu'on se sépare. Non content de lui avouer ne pas vouloir de cet enfant qui avait décidé d'élire domicile dans son ventre au pire moment de son existence, le kiné l'achevait désormais en lui expliquant qu'il désirait plus continuer avec elle. Ces mots tournaient en boucle dans son esprit, et Leah ne parvenait pas à y trouver le moindre sens. Tout allait beaucoup trop vite. Quelques jours plus tôt, ils visitaient la maison qui allait concrétiser tous leurs rêves. Et maintenant, ils se séparaient. La brune avait un goût amer, consciente qu'elle avait précipité la fin de leur couple en choisissant de ne pas le mettre dans la confidence. Des actes qu'elle avait alors jugé sans conséquences, ou en tout cas, pas comme celles-ci. La jeune femme tenta le tout pour le tout, s'excusant, implorant pratiquement le brun de ne pas agir de la sorte. Un comportement qu'elle n'avait alors jamais adopté, préférant toujours se contenir, de la même manière que lui le faisait actuellement. Mais les choses étaient différentes, elle était persuadée que leur histoire était enfin celle qu'elle avait attendu toutes ces années. Sa naïveté l'avait poussée à croire que rien ne viendrait ébranler leur bonheur, pas même son obstination à batailler seule face à ses tourments intérieurs. « T’as rien fait de mal. Mais je ne veux plus. Nous deux ça ne fonctionnera plus.» Peut-être était-ce le moment où elle aurait mieux fait de laisser tomber, de comprendre qu'il était sérieux et qu'elle n'arriverait pas à le faire changer d'avis. Mais Leah s'était toujours battue pour ce en quoi elle croyait, et elle croyait en eux. De toute ses forces. Peut-être que le kiné ne le voyait pas encore, peut-être était-il aveuglé par la rancoeur et la tristesse. Mais la brune ne pouvait pas se résoudre à laisser tomber la seule chose qui l'avait aidée à remonter la pente l'année dernière et à retrouver goût à la vie. Le fait qu'il n'arrive même pas à la regarder pour lui dire tout ça la rendait folle, et sa peine se transformait peu à peu en colère. Ce qu'elle ressentait en cet instant était beaucoup trop intense pour pouvoir contenir ce flux d'émotions contradictoires. Alors sa voix rauque se mua dans un cri pratiquement désespéré, tandis qu'elle lui demandait de la regarder dans les yeux pendant qu'il lui brisait le coeur. Il poursuivait leur projet, sans elle. Une décision radicale, qui laissait clairement entendre qu'il n'avait pas besoin d'elle pour continuer sa route. Son éclat de voix sembla le secouer un petit peu, mais ce n'est pas pour autant qu'il se décida à se tourner vers elle, préférant fixer un point invisible vers le séjour. Elle avait l'impression de parler à un mur, ou à un espèce de robot dépourvu de sentiments. Tentant de se radoucir, Leah le supplia de ne pas le faire. Cette demande eut au moins le mérite de le faire réagir, et enfin il se mit face à elle, pointant un index accusateur dans sa direction. « T’es sérieuse ? Ne fais pas ça ? C’était ce que tu voulais non ? Alors pourquoi tu réagis comme ça hein ? Tu peux pas mener ta vie comme tu l'entends et ensuite venir faire machine arrière quand les conséquences arrivent, tu peux pas » Le kiné sortait de ses gonds, et si n'importe qui aurait pris peur en voyant son air enragé, Leah y voyait enfin une opportunité de communiquer. Elle préférait de loin argumenter avec ce Stephen là qu'avec le mur de glace qu'il était quelques secondes auparavant. Cependant, ses paroles ne lui plaisaient pas, et elle commençait sérieusement à en avoir marre de le voir buté de la sorte. Combien de fois allait-elle devoir s'expliquer, lui démontrer qu'elle n'avait rien voulu de tout ça. La situation lui avait échappé, et elle regrettait amèrement tout ce qu'il s'était passé depuis le jour où elle avait passé ce foutu test. Mais quand elle voyait avec quelle facilité il abandonnait, ça la mettait hors d'elle. « Nous deux ça s'est terminé au moment même où tu as décidé de m'écarter de ta vie. T'avais pas droit de prendre cette décision sans moi Leah, t'avais pas droit. » Les poings de la brune se serraient à mesure que la colère de Stephen se déversait sur elle. Les vannes étaient ouvertes, et si elle avait prit sur elle de ne pas aggraver la situation lorsqu'ils étaient dans cette maison, aujourd'hui c'était différent. Est-ce qu'il avait vraiment espéré s'en sortir comme ça? Lui annoncer en trois mots qu'il ne voulait plus d'elle, ni de ce bébé, et qu'il comptait faire ses valises pour la maison du bonheur sans la prendre avec lui? Il en était absolument hors de question. S'il estimait qu'elle n'avait plus la moindre importance à ses yeux, il allait devoir faire mieux que ça. "Les conséquences? Je ne minimise pas ce que j'ai fais Stephen, mais je trouve que tu vas un peu vite. A croire que tu n'attendais finalement qu'une opportunité pour mettre fin à tout ça." Elle laissa un sourire sans joie apparaître sur ses lèvres, tandis que son regard flamboyait, masquant le chagrin dont elle était la proie. "Trois jours. C'est le temps qu'il t'a fallu pour faire une croix sur moi, sur..." Sa voix se brisa, alors incapable de prononcer le mot bébé alors que son avenir funeste était scellé. "J'ai jamais voulu ça. J'espérais qu'on puisse au moins en discuter, mais finalement t'es pas mal non plus pour prendre des décisions pour nous deux sans avoir besoin de parler." Aucune tentative pour discuter n'avait été faite. Il n'avait même pas essayé de comprendre, de tirer les choses au clair. A la place, le brun avait préféré tirer les conclusions qui l'arrangeaient et se ramener après plusieurs jours de retraite silencieuse afin de lui dévoiler le fruit de ses réflexions. Les sourcils froncés, elle le fixait, cherchant dans son regard quelque chose qui lui montrerait qu'il souffrait autant qu'elle, que derrière cette colère se cachait quelque chose de plus. Mais le kiné était bien décidé à lui prouver qu'il ne serait pas celui qui flancherait le premier. "Mais t'as raison, c'est peut-être mieux comme ça après tout." Leah n'en pensait pas un mot, mais cette conversation commençait à avoir raison d'elle. Elle souffrait, plus que jamais. Toutes les douleurs physiques dont elle avait été victime n'étaient rien face au désarroi dans lequel elle se trouvait, alors qu'elle réalisait qu'elle allait se retrouver seule. Seule avec ses erreurs, ses choix, et seule à en assumer les conséquences. Un beau gâchis.
Cette discussion figurait à n'en pas douter dans le top 5 des pires qu'il n'ait jamais eu à tenir de toute sa vie ; et bien qu'il touche à peine la trentaine du doigt, Stephen avait déjà une expérience assez pointue des événements traumatiques. Dire à Leah qu'il ne voulait pas de ce bébé, de leur bébé, qu'il voulait qu'ils se séparent était un presque mensonge sur toute la ligne. Depuis trois jours qu'il avait fuit la discussion, sa seule et unique réflexion ne s'était fondée que sur ses déductions ... et pour ce névrosé de nature débordant de confiance en lui, c'était suffisant. Stephen avait mal. Son cœur souffrait, son ego souffrait, sa tête souffrait ... son corps entier retrouvait un état de paralysie dans lequel il se laissait glisser à contre cœur ; bien que cette fois ce soit un excès de vie qui le mettait au plus bas. "D'accord." Voilà. Comme un sparadrap qu'on aurait retiré trop vite, le sort de ce bébé était scellé en deux petites phrases, et contre toute attente, ce n'était pas un sentiment de soulagement qui teintait l’atmosphère entre eux, mais plutôt un vide, un creux glacial qui les éloignait encore un peu plus l'un et l'autre. "Prends rendez vous. Je viendrais." et c'était la dernière fois que Stephen s'exprimait avec calme ce soir, certainement par respect pour ce petit être qui n'avait 1) pas demandé à être là et 2) aucun rôle à tenir dans le gigantesque fiasco que devenait leur couple. Ce bébé n'était pas responsable de cette rupture. Le mensonge, l'égoïsme et la fierté en revanche ... c'était une autre histoire. Le brun avait passé ces trois jours à tenté de comprendre Leah, et quelque part il avait presque réussi à le faire. Elle avait besoin de trouver sa voie, de trouver son équilibre ... mais pourquoi ? pourquoi l'avait elle placé hors de ses projets alors même que lui l'incorporait dans chacun des siens ? Stephen ne l'expliquait pas, ou plutôt, l'explication qu'il trouvait ne lui convenait pas, lui brisait le coeur. S'attardant une dernière fois sur le séjour, il relevait à peine son éclat de voix, ne se tournant vers elle que lorsque la pression lui était devenue intenable. Comme à son habitude, ses nerfs avaient fini par céder sans le moindre préavis, passant du détachement le plus complet à la colère explosive en quelques secondes à peine, ou plutôt en quelques mots. Il ne supportait pas de voir la brune dans cet état, pas alors qu'il la jugeait responsable de toute cette peine qu'ils éprouvaient l'un et l'autre. C'avait été plus fort que lui ; Stephen lui avait livré son ressenti sans tour de chauffe, et visiblement Leah n'était pas en reste non plus. Face à lui, elle peinait à soutenir son regard, mais si elle semblait dévastée, une pointe de colère animait ses prunelles. "Les conséquences? Je ne minimise pas ce que j'ai fais Stephen, mais je trouve que tu vas un peu vite. A croire que tu n'attendais finalement qu'une opportunité pour mettre fin à tout ça." Quoi ? Son corps entier se raidissait face à cette gigantesque connerie. Comme si. Perdant tout ce qu'il lui restait de considération envers la jeune femme, Stephen s'apprêtait à rétorquer, mais elle avait été plus rapide que lui. "Trois jours. C'est le temps qu'il t'a fallu pour faire une croix sur moi, sur..." Sa voix s'était brisée sur la fin, et s'il ne fallait pas être devin pour comprendre les derniers mots qu'elle aurait voulu prononcé, le brun ne se privait pas d'enfoncer le clou. "Sur notre bébé Leah. Notre enfant. Tu sais ? Celui que t'as décidé de condamner en t'inscrivant à la caserne alors que tu savais que t'étais enceinte ! Tu disais que j'attendais qu'une opportunité pour te quitter ? C'est vrai qu'en te proposant de prendre un vrai chez nous et de bosser avec ma famille j'étais clairement sur le point de me tirer !." Et dit comme ça, c'était encore pire. Rien n'avait de sens, et si la colère fusait, transparaissait dans chacun de ses mots, Stephen espérait encore avoir suffisamment de force à la fin de cette discussion pour récupérer ce qu'il restait de son cœur et garder un semblant de foi en l'avenir. "J'ai jamais voulu ça. J'espérais qu'on puisse au moins en discuter, mais finalement t'es pas mal non plus pour prendre des décisions pour nous deux sans avoir besoin de parler." C'en était trop. Un rire nerveux le secouait, presque glacial. Stephen était arrivé au bout de quelque chose en entendant Leah lui livrer des paroles qui avaient sûrement pour but de réveiller un semblant de réaction chez lui.. mais ce n'était pas la bonne méthode, et sûrement qu'il n'en existait pas. Se pinçant à nouveau l'arrête du nez, davantage tenté à noyer son incompréhension dans le vin que dans la recherche d'un hypothétique self control, le kiné tachait d'ordonner ses idées, mais le : "Mais t'as raison, c'est peut-être mieux comme ça après tout." suffisait à le fermer complètement. Bien. Si Leah voulait lui faire mal, elle y arrivait haut la main. "T'espérais en discuter, hein. Mais discuter de quoi ? Je suis quoi moi après tout dans toute ton histoire ? Tu veux devenir pompier ? Tu m'en parles après t'être inscrite. Tu découvres que t'es enceinte ? Tu m'en parles un mois après l'avoir découvert en me faisant comprendre que ça tombait mal. Mais merde Leah ! On était un couple. On aurait pu en parler. Alors tu vois ton opportunité pour mettre fin à notre histoire tu te l'es trouvée toute seule. Viens pas me tenir coupable d'une réaction que TOI, tu as provoquée." aoutch. Jamais il ne s'était montré si dur dans ses mots, si brusque dans sa voix. Il s'était presque mis à hurler, fulminant de rage littéralement. Un état qui ne lui ressemblait pas, mais qui trahissait sans l'ombre d'un doute cette détresse émotionnelle dans laquelle il était plongé depuis qu'elle avait décidé de lui briser le cœur pour la seconde fois de son existence.
Une dispute, quelques éclats de voix... C'est le peu qu'il avait fallu pour mettre fin à toute chance de voir les choses s'arranger un jour. Il ne lui avait même pas demandé si elle avait songé à le garder, même pas si il y a avait une infime possibilité de concilier leurs différents. Leah ne se voilait pas la face, elle savait pertinemment que toute cette situation, c'est elle qui l'avait créée. Et évidemment que de s'attendre à certaines réactions de la part de Stephen était de l'ordre de la mauvaise foi, puisqu'elle ne les avait jamais attendues jusqu'ici. Mais il fallait bien l'avouer, maintenant qu'il était au courant, elle espérait enfin qu'un dialogue s'installe entre eux. Mais ces trois jours ne l'avait amené qu'à des conclusions hâtives, et des décisions radicales. Sa froideur la laissait perplexe, lui faisant presque se demander s'il ressentait réellement quelque chose pour elle depuis le début. Tout était remis en question, et la facilité déconcertante avec laquelle il tournait la page sur eux la laissait sans voix. "Prends rendez vous. Je viendrais." A l'entendre, il s'agissait d'un vulgaire rendez-vous médical lambda, et non pas de la fin de cette grossesse inattendue, non-désirée peut-être, mais tout de même il s'agissait de leur bébé. Jamais Leah n'aurait imaginé que les choses se passeraient ainsi, et ce constat la brisait totalement. Il désirait être présent, bien. Rien d'étonnant là -dedans au final, Stephen avait toujours fais preuve d'énormément de principes, et cela était sans doute nécessaire à ses yeux. A ce stade, elle s'en fichait bien. La brune se sentait vidée, à mesure que cette dispute prenait de l'ampleur tandis qu'elle même commençait à perdre son calme face à l'attitude réfrigérante du kiné et son air impassible alors que le monde s'écroulait. Leur monde, leurs rêves. Et si elle était en grande partie responsable, c'est lui qui décidait d'achever le travail en ruinant ses derniers espoirs de sauver les meubles. Et tout ça, sans même lui accorder un seul regard. Les larmes laissaient place à la colère, et son corps frêle se tendait à mesure que ses nerfs lâchaient. A son tour de formuler à voix haute son ressenti, les pensées qui lui torturaient l'esprit depuis que le brun l'avait laissée dans l'ignorance la plus complète. Cette attitude n'était probablement pas la plus intelligente à adopter, mais Leah avait toujours laissé ses émotions prendre le dessus. Elle était incapable de laisser la raison guider son comportement, elle était bien trop passionnée pour ça. La brunette pouvait voir le corps de Stephen se tendre, à mesure que ses paroles franchissaient ses lèvres, comme autant d'armes lancées dans sa direction. Il la faisait souffrir, elle répliquait. Le couple était particulièrement doué à ce petit jeu là, et semblerait-il qu'ils n'aient pas encore compris qu'ils se blessaient davantage eux-mêmes en agissant de la sorte. "Sur notre bébé Leah. Notre enfant. Tu sais ? Celui que t'as décidé de condamner en t'inscrivant à la caserne alors que tu savais que t'étais enceinte ! Tu disais que j'attendais qu'une opportunité pour te quitter ? C'est vrai qu'en te proposant de prendre un vrai chez nous et de bosser avec ma famille j'étais clairement sur le point de me tirer !." Leah l'observa sans comprendre pourquoi il s'obstinait à parler à sa place. N'avait-il rien écouté, ou plutôt rien voulu comprendre du peu d'explications qu'elle avait réussi à lui donner lors de cette révélation? Son intention n'avait jamais été de condamner cet enfant, mais lui semblait bien décidé à le faire. Si la brune avait conservé un mince espoir que les choses puissent s'arranger, celui-ci s'évaporait totalement. Ils n'arrivaient plus à se comprendre, il en était fini de cette belle complicité qui avait fait leur force jusqu'ici. A ce stade, ils pourraient parler tant qu'ils voudraient, le résultat serait le même. Stephen restait sur ses positions, persuadé qu'elle avait agit uniquement pour elle. Ce qui était en partie vrai, elle pouvait difficilement le nier. Mais il ne pouvait pas mettre tout le poids de cet échec sur ses épaules, elle ne le supporterait pas. "J'ai rien décidé du tout..." Reprit-elle en fulminant, faisant fi de la fin de sa réponse. A quoi bon rétorquer, tout ceci était un dialogue de sourds. Elle contemplait le désastre qu'était leur relation, et elle commençait à perdre pied. Tout s'effondrait autour d'elle, et lui avait déjà laissé tomber. Alors à quoi bon continuer de se battre? "T'espérais en discuter, hein. Mais discuter de quoi ? Je suis quoi moi après tout dans toute ton histoire ? Tu veux devenir pompier ? Tu m'en parles après t'être inscrite. Tu découvres que t'es enceinte ? Tu m'en parles un mois après l'avoir découvert en me faisant comprendre que ça tombait mal. Mais merde Leah ! On était un couple. On aurait pu en parler. Alors tu vois ton opportunité pour mettre fin à notre histoire tu te l'es trouvée toute seule. Viens pas me tenir coupable d'une réaction que TOI, tu as provoquée." Stephen lui hurlait pratiquement dessus, ayant perdu toute once de self-control. La brune ferma les yeux un instant, soufflée par la violence de ses paroles. Si vraiment c'était tout ce qu'il pensait d'elle et de toute cette situation, alors il n'y avait peut-être plus rien à dire. Les forces l'abandonnaient et toute colère avait déserté son corps, ne lui laissant plus que sa tristesse et son désarroi pour faire face à l'avenir incertain qui se dressait devant elle. "Si c'est vraiment ce que tu penses, après tout ce que je t'ai dis... Je pense qu'on n'a plus rien à se dire." Lança-t-elle finalement, à mi-voix, avant de faire demi-tour et de se diriger vers sa chambre. Elle s'arrêta au seuil de celle-ci, se retourna vers lui pour lui notifier un: "Je t'enverrai un message avec la date et l'heure du rendez-vous. Mais ne te sens vraiment pas obligé de venir." Elle essuya rapidement les larmes qui parcouraient son visage avant de claquer la porte derrière elle et de se laisser tomber derrière celle-ci, plongeant sa tête dans ses mains pour enfin se laisser aller au torrent de larmes qu'elle avait prit soin de contenir jusqu'à maintenant. Si elle avait gardé l'espoir que les choses s'arrangent entre eux, tout était terminé maintenant. Ce bébé méritait d'être élevé par des parents aimant, dans un foyer stable. Exactement ce qu'elle et Stephen ne pourraient jamais lui offrir, pas après aujourd'hui. Ce constat lui déchirait le coeur, mais au moins elle savait où elle allait. Les prochains jours allaient s'avérer difficiles, mais une fois qu'il aurait quitté cet appartement, il disparaitrait de sa vie pour de bon. Cette pensée la faisait souffrir au plus haut point et Leah peinait à réaliser que tout ça était vraiment fini. En état de choc, elle se dirigea finalement vers son lit où elle se laissa tomber, vide de toute énergie. Fermant les yeux, elle ne mit que quelques minutes à s'endormir, le visage mouillé de larmes et la main posée sur son ventre, comme dans un geste protecteur envers ce petit-être qui n'avait pas demandé à être là.
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Si d'ordinaire, Stephen était plus casanier qu'oiseau de nuit, depuis trois jours le temps qu'il passait chez lui ne se limitait qu'à quelques heures quotidiennes ; enfin plus ou moins. Il vivait presque au cabinet, ne quittant ce dernier que pour se ravitailler au starbucks qui en était situé à deux pas -il alternait d'ailleurs avec un costa pour ne pas donner l'impression d'être complètement à la rue- et pour sortir lorsque plancher sur ses revues de kinésithérapie et ses prothèses passé une certaine heure n'était plus acceptable. Que ce soit avec Caleb le lendemain de la visite catastrophique de la maison, ou avec Jules pour enfoncer le clou sur son couple au bord du précipice, le brun tentait d'occuper son esprit et d'ordonner la montagne de sentiments qui contredisaient son cœur brisé.. en vain. Leah attendait un bébé. Un bébé. Stephen peinait encore à se dire qu'ils étaient tous les deux -la mention en était importante- à l'origine d'un petit être à l'avenir incertain. Déjà parce que ce dernier n'était absolument pas prévu au programme, et ensuite parce que la parentalité n'avait jamais été évoquée dans leur couple. Pourtant aujourd'hui il fallait se rendre à l'évidence : ils y étaient confrontés, et Stephen n'avait rien vu venir. La réflexion qu'il avait poussée depuis ces trois jours de break ne lui avait pas permis d'y voir plus clair. Au contraire. Si à chaud Stephen était resté sur l'idée (et le ressenti) que la petite dernière des Baumann ne lui avait rien dit pour ne pas avoir à lui faire subir un avortement décidé de façon arbitraire, au moins histoire de se lancer sans la moindre contrainte dans son nouveau projet professionnel, il avait aussi eu le temps de prendre la mesure de la situation ... et de se demander que serait sa vie, leur vie, s'ils décidaient de garder cet enfant. Se surprenant à consulter des revues sur la maternité, le brun se faisait rapidement reprendre par cette petite voix qui lui disait que Leah ne voulait pas de ce bébé, et qu'il n'avait pas la possibilité d'influer sur son choix ; ce qui ne l'aidait pas à savoir quelle attitude adopter. La jeune femme avait pleuré à torrents le jour où elle lui avait annoncé être enceinte. Elle avait à peine osé lui confier son état, comme si elle avait peur de sa réaction, et lui qui ne s'était jamais considéré comme le pire des tyrans n'y voyait la que sa volonté de lui cacher, non pas ce bébé, mais plutôt le fait qu'elle comptait s'en défaire sans le prévenir. Depuis trois jours il n'avait fait que se murer dans une profonde rancœur ... mais toute rancœur qu'il éprouvait ne saurait se soustraire aux sentiments qu'il ressentait pour elle, ce qui lui faisait un mal de chien à avouer. Il l'aimait. Et c'est justement parce qu'il l'aimait qu'il trouvait assez de courage pour oser lui confier le fruit de sa réflexion ce soir. 
