La journée avait mal commencé. Sa cafetière commence à rendre sérieusement l'âme, son vélo ne s'est pas encore remis d'un petit accrochage qu'elle a eu il y a quelques jours plus tôt et les gens sont encore plus chiants que d'habitude, si c’est possible. Ce dernier point n'est pas nouveau mais ça ne finissait jamais de l'agacer au plus haut point. L'espèce humaine est en danger et il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Un peu à l'image de sa famille, quoi. Halloween à peine finie et la saison des courses de Noël n'ayant pas encore vraiment commencé que déjà les gens semblaient se préoccuper sur les dépenses inutiles et superficielles qu'ils allaient pouvoir faire à leurs proches. La rue commerçante, le centre commercial, même les boutiques les plus reculés sont alors pris d'assaut et ça, ça étouffe Freya en même temps que ça la rend de mauvais poil. Elle veut juste qu'on lui fiche la paix, qu'ils se taisent, qu'ils se mettent sur mute. Quelle idée d'habiter dans une ville aussi peuplée que Brisbane. Elle devrait se trouver une hutte sur une île déserte, au moins elle aurait la paix. Alors pour avoir la tranquillité recherchée, Doherty finit par atterrir à la bibliothèque. Un lieu plutôt improbable pour elle, qui s'y trouve ironiquement jamais pour lire. Elle n'a jamais aimé lire, ne comprenant pas comment on peut avoir la volonté et la patience de se plonger dans les problèmes de personnages fictifs quand on a sa propre vie à questionner. Si elle n’arrive pas à s’accrocher à de vraies personnes, réelles, de chair, d’os et de sang, elle doute sur sa capacité d’empathie pour des personnages de papier.
L’empathie, ça a jamais été son truc, de toute façon.
La bibliothèque est à la fois un lieu magique et angoissant. Ce lieu a le pouvoir de rendre silencieux le plus petit des mortels et on a le droit de râler si quelqu'un parle trop fort. Franchement, c'est hyper jouissif de pouvoir lancer des regards noirs et de faire pâlir le coupable en lui lâchant un sale petit "tu peux pas t'la fermer ? tu déranges, bordel." La délicatesse ne fait pas parti de son quotidien, prendre des gants non plus. « J’veux pas t’déranger, mais j’vais ramasser l’emballage sous la table. » Du coup, quand son silence fut soudainement brisé, Freya peste à demi mot avant de noter que c'est qu'un gars qui essaie de faire son travail. Soit. Elle n'est pas si ingrate que cela. Elle plaque ses jambes sur le côté et retourne à son croquis sans un mot.
Son inspiration du moment est sous son nez, passant de rayon en rayon, les lunettes sur le bout de son nez, enroulée dans une robe droite et serrée. La bibliothécaire a cet air strict et coincé qu'elle n'aime pas. Elle lui rappelle une ancienne prof de maths qui l’avait passablement traumatisé pendant un an. Alors évidemment, elle a commencé à la dessiner, de façon grossière (parce que ce sont que des croquis) et totalement imaginaire. Mi femme mi créature, telle un centaure provenant tout droit de l'imagination de Doherty. Elle finit d'ailleurs par s'énerver car elle n'arrive pas à obtenir exactement ce qu'elle veut. Elle n'a aucune idée de ce que ça peut être mais tout ce qu'elle représente ne lui convient pas. Ça la frustre et elle pousse même un long soupir avant d'être de nouveau surprise par deux mains qui se posent sur la table. « C’est la tête ! »
C'est le gars du ménage. Il est encore là, lui ? Et comment ça se passe, il a lu dans ses pensées ou quoi ?
« Yep, c’est la tête, le problème. Elle est trop petite. » Maintenant qu'elle lui prêtait de l'attention, Freya penche la tête pour mieux l'observer. Elle jurerait que son visage lui dit quelque chose. Sûrement un type dans un film ou un truc de ce goût là. Mais lui ne pose pas ce genre de question alors qu'il continue son analyse de ses croquis. « Ou, c’est le corps qui est trop grand, ça va dans les deux sens. Mais c’est moins long d’recommencer seulement la tête. » Doherty arque le sourcil droit. Elle pourrait lui refermer le carnet sous le pif car elle n’aime pas qu’on vienne envahir son jardin comme ça, sans préavis. Mais non, son esprit a décrété qu’il peut regarder à sa guise pour une raison qu’elle ignore. « J'savais pas qu'les hommes de ménage sont aussi payés pour donner un avis qu'on leur demande pas. » Elle secoue la main avant de relâcher dans son siège, les bras se croisant. « Fais comme chez toi, mon vieux. Autre chose ? » Sérieusement, ça la vexe presque qu'un inconnu pointe le doigt où ça va pas. Mais une paire d'œil neuf pourrait aussi être bénéfique. La preuve, il ne lui a fallu que deux secondes et un quart pour choper le problème qui lui tracasse la tête depuis une demi heure.
« Ne pas être payé pour ramasser la merde des autres... Shit et moi qui pensais que ma vie est pourrie. » Puis Freya plisse son nez de contrariété. « J'suis une bonne citoyenne, m'sieur, c'était pas mon déchet. » Pour preuve, son sac et chaque poche qu'elle a sont bourrés de papier d'emballage de bonbons, sucettes et autres sucreries. Elle a quand même un minimum d'éducation et un brin de savoir vivre, même si ce n'est plus vraiment ce qu'on attend d'elle.
Quand le squatteur lui demande si la bibliothécaire est son modèle, Doherty roule des yeux avant de se masser le front. « Nan, c’est Ste Marie Joseph, ça s’voit pas ? » Ceci dit, la question du jeune homme prouve bien que ce qu'elle a gravé au crayon est nul, juste bon à aller aux chiottes.
Perte d'estime pour un simple dessin, c'est quand même fort. Un bout de feuille, quelques remarques et c'est fini, point final, passez votre chemin.
Freya déteste se sentir comme ça. Avoir l'envie mais que sa main ne réflète pas ce qu'elle veut. Avoir l'inspiration, l'image dans sa tête mais ne pas réussir à le produire en réel. C'est frustrant et très ennuyant. La frousse de la page blanche, de ne pas savoir quoi y poser, de ne pas réussir à atteindre Le Détail qui fait toute la différence. Elle se fout une pression folle pour de simples dessins mais elle ne peut pas s’en empêcher. Aujourd’hui, le pied à peine posé sur la moquette de sa chambre qu’elle avait déjà dans l’idée de mener un projet. Elle ignorait lequel, sous quelle forme et pourquoi mais l’envie et la volonté y étaient, c’était un début suffisant. D’où cette pression pourrie qu’elle s’auto-inflige parce que why not et qu’elle a une journée entière à occuper devant elle.
Elle tape sa main tendue en sa direction. « J’sais que c'est pas parfait mais pas question que tu détruise c'que j'ai fait. » Il attend quoi, qu'elle approuve qu'il touche son journal intime ? Heureusement que c'est un nouveau carnet et qu'elle ne l'a pas encore beaucoup entamé. Mais Freya doit avouer que son idée n'est pas conne. Même si ça lui fait mal d'admettre qu'un parfait inconnu a réussi à mettre le doigt là où elle n’a pas réussi. « P’tain, mais t’es pas aussi con qu’t’en a l’air. » Doherty pose sa propre main sur le carnet en le faisant glisser vers elle. « Par contre, pas touche, c’est moi qui fais. J’te laisserai pas zigouiller mon dessin. » Il n’est pas parfait, ça reste un croquis. Il y en a partout la double page, chaque recoin où elle a testé d’autres postures, d’autres points de vue. Mais la frustration de ne pas trouver ce qui va pas a fini par lui faire gribouiller de rage quelques petites figures.
Freya reste une Doherty qui s’enflamme vite sous l’effet de l’impatience.
Alors que son attention est portée sur l’inconnue, la jeune femme entend un « sssht » venir au loin. La blonde relève la tête, ne pipe mot mais s’exprime furieusement par un doigt d’honneur bien placé envers la binoclarde qui vient de l’ouvrir. Elle n’est pas d’humeur, Freya, va jouer ailleurs, gamine, si t’es pas contente.
Et pourtant, t’es la première à l’ouvrir quand un mot plus haut que l’autre est prononcé. Le summum du comble de l’hôpital qui se fout de la charité, clairement.
« T'sais quoi ? » Elle se mit à fouiller dans son sac avant de trouver ce qu'elle cherche. Freya lui tend un crayon, un double se trimbalant toujours dans son sac. Il faut bien en avoir un autre planqué quelque part, au cas où le premier te lâche. Question de logique et pratique. Puis elle déchire sans ménagement une page de son carnet. « Tu la connais mieux qu'moi alors vas-y, épates moi, défoule toi. J'te paie un coup si le juge que je suis le trouve réussi. Et deux si c'est mieux que l'mien. » Ce qui ne devrait pas être si compliqué vu qu'elle n'aime définitivement pas ce qu'elle a crayonné.
En clair, fais mieux qu’moi si tu oses. (Il ne semble pas être du genre à galoper loin d’un défi, pas vrai?)
Freya n’est pas du genre à laisser quiconque envahir son territoire. Le même territoire qui, à ce moment actuellement, se trouve être une vaste table où elle a réussi à faire échapper les deux étudiants qui s’y trouvaient quelques minutes plus tôt. Elle aime bien emmerder des jeunes qui passent leur temps dans leurs bouquins pour décrocher un précieux diplôme. Les études, ça ne l’a jamais botté plus que ça. Elle s’est arrêtée après le lycée et elle prend tous ceux qui sont allés plus loin pour des aliens, au mieux, pour des dingues, au pire.
La bibliothèque est pourtant un nid à étudiants. Et elle s’y trouve, parfois, quand le temps extérieur lui interdit d’aller se réfugier dans sa précieuse forêt ou sur le bord de la plage. Elle n’arrive jamais à dessiner à l’appartement, trouvant toujours une bonne raison pour de s’y sauver. Avec son jumeau, ce n’est pas évidemment. Il s’en fout d’elle et elle, elle a juste envie de plaquer son joli minois contre le mur de frustration. Une ambiance tendue qui n’inspire pas, qui la bloque et qui l’énerve encore plus.
Alors la bibliothèque, c’est un bon refuge et en plus, c’est calme. Enfin, sauf quand quelqu'un vient squatter à votre table pour s’improviser critique artistique.
Chose que Freya n’a jamais fait auparavant. Ses dessins restent un mythe pour le commun des mortels, même pour son entourage. Elle ne s’en vante pas, elle ne les affiche pas, ils restent planqué dans le fin fond de sa chambre. Pas qu’elle en ait honte mais c’est juste son jardin secret, comme des journaux intimes qu’elle n’a pas envie qu’on voit.
Et pourtant, elle laisse l’inconnu tripoter son dessin comme si rien n’était. « Vas-y, j’ai pas l’intention de bousiller ton travail professionnel. » Mouais. Pas convaincu quand même. Prends ce que je te donne et sois mignon, s’te plait. « Si tu refais ça, tu vas te retrouver dehors bien rapidement à coup de talons dans l’cul. » Freya tire la moue tout en passant la main dans ses cheveux. « Qu’elle essaie, tiens. J’le lui fais bouffer, son talon. » Elle ne rigole qu’à peine. A vrai dire, elle ne rigole pas du tout. Elle en est largement capable. Peut-être qu’elle n’y arrivera pas, peut-être qu’elle sera bannie à vie des lieux sanctuaires mais elle essaiera quand même. Pour la forme. Et parce que ça peut être drôle.
Et puis, l’autre à qu’à enlever le balai de son propre cul, d’abord, hein.
« Tu sais, j’ai jamais dit que j’pouvais dessiner ! Mais, il paraît que mes p’tits bonhommes allumettes sont géniaux, alors… Pourquoi pas. » Freya fait un ‘tsk tsk’ de sa bouche avant de taper sur la feuille posée sur la table. La blonde finit par poser son menton sur sa main, regardant de nouveau son dessin le temps qu’il s’attelle à sa tâche. C’est vrai que ça manque de… Bizarrement, ça manque d’un truc plus sévère, plus mesquin. Parce que c’est ce qu’elle devait être, cette bonne femme, avec ses lunettes placées à bout de nez et ses petites ballerines silencieuses. Mesquine et pleine de ressources démoniaques.
Si vous pensez que Freya ne juge que les premiers abords, c’est entièrement vrai. Surtout pour ses dessins. Quand elle prend des exemples autour d’elle, elle préfère que ce soit des inconnus. Ça évite d’être influencée.
« Avant qu’tu m’dises si je gagne quelque chose, j’aimerais savoir c’qui t’donne envie d’boire un coup avec moi. J’avais pas l’impression qu’t’avais envie d’me voir plus longtemps ! » Les yeux chocolats se posent de nouveau sur le jeune homme, qui a l’air de poser sa question avec sincérité. Doherty tapote le bout de son crayon sur son menton, une habitude qu’elle a, avant de hausser tout bonnement les épaules. « Chai pas… T’as la gueule de quelqu'un qui aurait b’soin d’un remontant. » Il va croire qu’elle a pitié de lui. Fuck. C’est pas le cas. « Et pi, toutes les occaz sont bonnes à prendre pour boire un coup. Sinon, on va encore geindre que j’picole pour rien. »
Ses doigts jouent du piano sur la table avant de se lever brièvement de sa chaise. A son tour de regarder par dessus l’épaule de l’intrus. Elle se mord la lèvre pour étouffer un léger rire. Non, elle ne se moque pas, bon sang. « On peut pas dénier le style, en tout cas. » Freya prend son dessin et le fait glisser vers elle sur la table. « Avec les fameuses cornes, hein. » Elle lève les yeux. « T’en fais souvent, des bonhommes en cigarette géniaux comme ça ? »
« J’imagine que ça n’te dérangerait pas de ne plus pouvoir v’nir ici, de toute façon. T’as pas l’air d’une meuf qui enchaîne roman après roman. » Freya eut un sourire de coin. La lecture, effectivement, ce n’est pas dans ses talents. Impossible de rester concentrée sur des mots écrits sur des pages – ou sur des tablettes, comme cela semble être la mode en ce moment. « M’enfin, j’ai pas plus l’air d’me promener avec cette étiquette. » La jeune femme l’a entendu et elle étouffe un léger rire. « J’confirme que non. Que t’as pas l’étiquette et que c’est pas mon genre. A vrai dire, j’crois n’avoir jamais ouvert un livre dans une biblio. » Elle se revoit gamine, quand on la forçait à lire des bouquins qui ne l’intéressaient pas. Adolescente, les remarques de Terrence parce qu’elle n’arrivait pas à lire au-delà du premier tome d’Harry Potter. Et enfin adulte, où se plonger dans des problèmes et des histoires d’autrui ne l’intéressaient pas plus que ça. C’était sûrement un peu égoïste mais dans le fond, Freya n’a jamais ni l’envie ni la volonté de se poser pour un ramassis de papier. Et en plus, ce n’est pas très écolo.
L’inconnu semble nerveux tout d’un coup. Ou gêné, elle ne sait pas trop, elle n’est pas franchement très douée pour reconnaître les émotions cachées des gens. Sinon, elle aurait tenté l’université de psychologie (ah, quelle blague). Mais par contre, Freya se demande quand même ce qu’elle a pu dire pour qu’il se mette à gratter la table avec insistance. « La plupart du temps, quand j’me fais proposer ce genre d’activité, l’alcool, et tout ça, c’est pour conclure vers… autre chose. » Les yeux presque ronds devant cette honnêteté brutale, la jeune femme finit par ne pas pouvoir retenir ce rire là qui lui échappe des lèvres. Elle croise les bras sur la table avant de lever un bras pour poser son menton sur sa main, le visage (faussement) contrarié. « Fais chier, alors. Moi qui pensais avoir trouver une bonne tête pour m’amuser ce soir. P’tin, tu t’amuses souvent à crever les espoirs d’autrui dans l’oeuf ? » Freya tapote ses doigts sur la table tout en secouant la tête, sourire coincé de nouveau sur le côté de ses lèvres. Bien sûr qu’il est pas mal, il marque déjà un point dans ses faiblesses avec ces fichus regards bleus. Mais quand même, on est en 2019.
« Ça faisait quelques mois que j’en avais pas fait. J’dessinais ça pour une amie. Elle les adorait. C’était une façon pour elle d’me voir, un peu, si on veut. » Freya essaie de s’imaginer ce qu’il raconte mais franchement, ça n’a beaucoup de sens dans sa petite cabosse. Visiblement, son interlocuteur semble avoir eu la même pensée puisqu’il précise ses propos. « Oh, ouais, j’ai oublié d’préciser que j’sors de prison, et que, là-bas, j’pouvais pas avoir beaucoup d’interactions avec des filles. » Et il finit par la regarder avec un sourire amusé (arroseur arrosé on dit, non?). « Toujours envie d’boire avec moi ? » Voilà que c’est bien sa veine. Un ex-taulard pour lui dessiner des bonhommes en cigarette à la bibliothèque. Freya ne peut s’empêcher de pouffer tout en levant le visage au ciel. « Mon dieu, mais sortez moi de cette situation outrageante ! Je n’oserai faire subir une telle honte à ma famille, à mon sang, à mon nom ! » La jeune femme finit ses deux mains placardées sur la bouche, comme consciente tout d’un coup de l’endroit elle se trouve. Elle rigole légèrement avant de se pencher de nouveau vers le jeune homme. « Et moi, paraît que j’suis complètement folle. » Freya secoue la tête. « Crois moi que c’est pas un ex-taulard qui va m’faire flipper. Au pire, j’prendrai le talon de madame Satan pour m’défendre. »
Mais du coup, sa curiosité est piquée, à la suédoise. « Combien d’temps coupé de la civilisation ? ‘Fin, si c’est pas un secret d’état, hein. » La jeune femme caresse un moment la pensée qu’il avait peut-être croisé son père, du coup, dans ces couloirs gris. Enfin, elle suppose qu’ils sont gris. Elle ne peut pas le savoir, elle n’est jamais allée le voir. « En tout cas, ça explique pourquoi les traits sont si bien faits, t’as eu l’temps de te perfectionner… Surtout si c’était pour une amie, ajoute-t-elle, le regard brillant d’un sous entendu bien visible. » Et ben, il n’y a pas que lui qui peut se croire encore à l’âge de pierre, si ?
« C’est pas un truc pour tout l’monde. J’pensais pas aimer ça mais, quand j’ai commencé, j’me suis rendu compte que la lecture ça aide à oublier certains trucs le temps d’une page. » Ça doit être vrai. Enfin, pour la concentration que peut faire preuve Freya devant un livre, ça lui est assez étranger. Mais elle sait que Terrence adorait dévorer les livres. Il lui rabâchait sans cesse de faire de même, qu’elle verra les choses sous un angle différent, qu’elle pourra rêver à d’autres univers différents que le leur. Parait-il qu’un livre dans les mains, c’est une infinité de possibilités, d’espérance et de rêve. Freya veut bien les croire mais ce n’est pour autant que vous réussirez à la faire tenir des heures durant avec du papier entre les mains pour s’imprégner de la vie d’autrui. Et elle a déjà sa technique à elle pour aborder le monde sous un autre point de vue. « Le dessin aussi, probablement. » Doherty suit le geste du jeune homme du regard pour tomber sur leurs gribouillages abandonnés sur la table avant de secouer la tête. « C’est l’seul moyen que moi et mes psys on a réussi à trouver pour communiquer. » Et puis, il y a toujours plus que ça. C’est devenu presque récurrent, obsessionnel de griffonner quelque chose. Ses cours (enfin, quand elle daignait à faire honneur de sa présence) finissaient souvent en support artistique où ils étaient impossible de lire quoique ce soit. Freya se fiche de savoir si c’est beau ou pas, tant que ça peut l’apaiser, la calmer, la soutenir. Mentalement, moralement, et même physiquement pour avoir une occupation saine, elle en a besoin. Vital en somme.
« Trois ans. Répète jamais ça, tu risquerais d’écourter ton espérance de vie. » Freya lève les mains. « Promis. J’te donne le droit de me couper la langue et de me jeter en pâture aux chiens des enfers si jamais je faillis à ma parole. » Pour être honnête, il paraît tellement calme, réservé et presque gêné que Doherty a presque du mal à croire qu’il a fait de la taule. En même temps, ce n’est pas comme si c’est marqué sur le front des gens en néon coloré. Elle ne cherchera pas à savoir la cause parce que, dans le fond, ce sont pas ses oignons. Et puis, s’il est sorti, c’est qu’il doit bien y avoir une bonne raison. Elle comprend mieux que sa présence ici n’est donc pas rémunérée. Après tout, elle est déjà passée par la case « travaux d’intérêts généraux » une fois dans le passé.
« Et cette amie ne pourra jamais en profiter. Contrairement à la bibliothèque qui se fait astiquer comme jamais. T’as pas idée comment j’suis efficace avec un balai dans les mains. » Freya éclate de rire. Il n’a même pas l’air de se rendre compte de la portée de ses mots. « Oh mais j’demande qu’à voir ça. Même si déjà, j’te trouve brillant dans la chasse aux détritus. » Dohert décrète qu’elle l’a assez mis mal à l’aise pour le reste de cette rencontre assez inattendue. Et puis, ce n’était pas son but, vraiment.
L’inconnu – elle ne connaît toujours pas son prénom, bordel – finit par soupirer tout en regardant l’horloge au loin. « J’vais m’faire engueuler si j’reste là plus longtemps. File-moi ton tel, j’vais t’honorer de mon précieux numéro. Tu pourras m'appeler si tes toilettes sont bouchées. » Freya sourit tout en attrapant son carnet. Elle regarde le dessin qui y figure, toujours insatisfaite, pas fini mais bourré de petits exemples et de différentes positions dans les coins, avant d’arracher la page. « Au faites, j’sais toujours pas comment tu t’appelles. J’vais quand même pas écrire ex-taulard sur mon tel, ça fait mauvais genre. » Elle inscrit son numéro et rajoute son prénom, n’oubliant pas de dessiner les petites cornes sur le e et le a avant de le lui tendre tout en souriant. « J’sais pas si chez moi serait le meilleur endroit pour s’revoir, parce que franchement, non, ça ne l’est vraiment pas, mais j’peux pas passer à côté d’une proposition aussi alléchante. » « Psssht ! » Freya grimace avant de balancer sa tête en arrière, un soupir de désespoir franchissant ses lèvres. « Ugh, elle va pas nous lâcher, hein ? C’est à peine si on peut respirer ! » Doherty finit par se lever à son tour, ignorant superbement la démone au tailleur qui la foudroie du regard dans son dos. « Sérieusement, hésite pas aussi à appeler si tu changes d’avis sur ce verre. » Elle penche la tête sur le côté tout en rangeant tranquillement ses affaires. « En tout bien tout honneur. J'peux être une super pote de beuverie, j'te jures. »