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 apologies are a good way to have the last word. (freya)

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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMar 9 Juil 2019 - 11:38

apologies are a good way
to have the last word
Freya & Soheila





J’aurais pu rentrer chez moi ou me rendre au studio. J’aurais pu monter dans ma voiture, prendre la route, baisser la vitre malgré la pollution, sentir le soleil chauffer mon bras. J’aurais pu, oui. À la place, je gardais le visage légèrement relevé, depuis que je m’étais assise à la terrasse de ce café. Le ciel était dégagé. Je pouvais rester ici, juste quelques minutes, pour le contempler. Il me paraissait immense. J’étais saisie à chaque fois, depuis mon retour, de son immensité comme si je l’avais oublié. J’étais certaine que je pourrais m’y perdre. L’air était tendre, la saison froide peinait à s’imposer. Et ce n’était qu’une raison de plus, pour moi, de m’attarder. J’étais venue sans réfléchir réellement, avais plissé les yeux devant la devanture de l’établissement, son nom faisant écho dans mon esprit. « Freya Doherty, c’est son nom. On la trouve souvent au Death Before Decaf, apparemment, quand elle n’est pas chez elle. ». J’avais froncé les sourcils face à ce détail que je n’avais pas demandé. Ils en faisaient toujours trop. Mais j’étais là, pourtant, me contentant de cette idée d’apparition somme tout logique mais imprévue, assurée de surprendre pour ne pas convenir. Elle pouvait tout aussi bien décider de ne pas venir aujourd'hui, cela ne m'aurait pas surprise, ne m'aurait pas dérangée non plus. Je rehaussai mes lunettes de soleil dans mes cheveux, à l’arrivée du serveur à ma table, dégageant ainsi quelques mèches folles brunes de mon visage avant de me décider à porter mon regard sur la jeune femme blonde, quelques tables plus loin. Je plissai les yeux, l’observant réellement pour la première fois. La regardant, tout simplement, mieux que la première fois où je n’avais guère eu le temps, la tête à cela, guère eu l’envie de regarder qui qui ce soit compte tenu de l’endroit où nous nous trouvions.

Je m’étais rendue à ce casino, quelques jours plus tôt, sans y penser réellement. Cela tendait à devenir un schéma récurrent dans tout ce que j’entreprenais ces derniers temps. Je m’y étais rendue, dans une tentative voilée d’approcher la vie d’une autre manière, puisque celle que je tentais de retrouver demeurait à distance. Je ressentais encore en moi, criant, le désir de me laisser happer par quelque chose d’autre, une passion, une urgence des enjeux contrastant avec la concentration qui régnait aux tables de jeu. Force était de constater que l’expérience n’avait pas été concluante. J’avais perdu mes gains, rapidement, ne m’en étais pas émue plus que de mesure, avais fini par les regagner, comme en récompense de mon détachement. Et ce dernier était omniprésent. Tellement que je n’avais rien dit en m’apercevant de l’absence de plusieurs billets jusque-là négligemment glissés dans l’échancrure de ma pochette, presque laissés en évidence. Peut-être même qu’un sourire avait glissé sur mes lèvres car il se passait quelque chose, enfin. L’énigme n’avait pas été longue à résoudre, les billets étaient encore en ma possession à la table précédente, ne l’étaient plus lorsque je l’avais quittée. Et la seule personne dans les parages entre les deux était, aujourd'hui, attablée non loin de moi, penchée sur un carnet de feuillets, en train de dessiner vraisemblablement, le visage expressif, constamment en mouvement, ses grands yeux bruns semblant rechercher les nuances de vérité les plus éphémères avec concentration et subtilité. Je ne l’avais pas confrontée cette soirée-là, m’en étais même désintéressée rapidement sitôt la surprise passée. Pourquoi m’étais-je donc décidée à me renseigner sur son identité le surlendemain ? Pourquoi m’étais-je rendue à ce café aujourd’hui, dans un désir incertain de la voir arriver à son tour, comme il m’avait été indiqué. Je ne le savais que trop bien, je n’étais ni intraitable, ni foncièrement vertueuse sur ce sujet, l’argent qu’elle était parvenue à me dérober ne me manquait pas outre mesure non plus. Entre les murs de ce casino illégal, je m’étais même surprise à accepter cet évènement comme un postulat acceptable, fondé sur la base que ce délit minime était né de son environnement même.

Une part de moi cherchait sûrement à rompre l’humeur morose qui m’avait enveloppée toute la journée. Une autre part était également amusée, sûrement, de cet humour noir qui m’accompagnait partout, intriguée d’aborder Freya et qu’elle me dise sans doute ce que je ne voyais pas. Qu’elle me pointe du doigt ce qui s’était produit lors de cette soirée, ce qui était advenu dans la vie et qui m’avait posée en ennemie qu’elle pouvait dérober avant même que je ne sois dans la bataille, avant même que je n’en connaisse l’existence. Peut-être avais-je repris le dessus à la minute où je m’étais fait une raison. Je n’acceptais aucun rôle, surtout lorsque j’y étais forcée. Je n’étais pas prête à jouer celui qu’elle m’avait accordée par facilité, celle de la cliente avide de gain, déconnectée du monde et de ses réalités, inconsciente de ce que l’on pouvait lui voler parce qu’elle ne comptait pas. Depuis mon retour à Brisbane, je me visualisais parfois mes journées comme cette mauvaise pièce réaliste que j’étais forcée de faire perdurer, entourée de partenaires désolants, désolés, s’obstinant à la jouer, gravement dans le pire des cas, platement le reste des jours. Et Freya était parvenue à lui donner une couleur différente, l’espace de quelques minutes. Peut-être cherchais-je à savoir si elle était capable de renouveler l'expérience. Je me saisis de mon sac, y laissant glisser mes lunettes de soleil, libérant définitivement mes cheveux, tandis que les siens, blonds moussants, continuaient de danser autour de son visage alors que je m’avançais finalement dans sa direction pour atteindre sa table. Je restai silencieuse une seconde. « Croupière d’une maison de jeu et dessinatrice à temps partiel, donc. » énonçai-je d’une voix grave, un sourire imperceptible aux lèvres. « C’est un emploi du temps chargé ». Nos regards s’accrochèrent, le mien presque amusé, après avoir filé sur son visage en quelques secondes à peine. Je l’imaginais tenter de rattacher mon visage à de vagues souvenirs mais je n’étais pas là pour lui faciliter la tâche, après tout. « Surtout si l’on rajoute voleuse à la liste. » finis-je après avoir marqué une pause. La réprimande résonna sur un ton sérieux, contrastant pourtant avec les accents chauds de ma voix et l’étincelle de mon regard. Je lançais les hostilités sans que celles-ci ne se vêtissent de ces habits usuels, curieuse de savoir à qui j’avais affaire.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMar 9 Juil 2019 - 18:08


Freya s’est retrouvée vidée de sa semaine. Épuisée, sans aucune volonté, le gouffre lui tendait les bras. Elle s’y plongerait avec délice si elle n’avait pas une petite voix dans sa tête pour la ramener à la raison. Elle essaie d’aller mieux, elle essaie de s’en sortir mais chaque jour, chaque minute n’est qu’une bataille de plus. La guerre n’est jamais acquise – aussi le sera-t-elle sûrement jamais.  Freya n’a pas oublié ses petites pilules du matin, but sans enthousiasme avec son café. Elle n’est qu’une loque qui a passé vingt minutes le regard plongé dans le liquide noir. Ses pensées défilent, les bons comme les mauvais. Elle se fait un récapitulatif de ces derniers jours, de ces derniers mois même. Peu de haut, beaucoup de bas, tel est son constat. Elle soupire tout en s’enfonçant un peu plus dans le canapé. Elle gigote, quelque chose la gênant ; en passant la main derrière elle, la jeune femme retire une bouteille vide de bière coincée entre les deux coussins. Elle râle, un de ses talents naturels. Elle ne peut vraiment pas compter sur son jumeau. Au moins, quand elle boit, elle nettoie. Lui laisse tout traîner et c’est toujours elle qui récure. Un jour, cette situation changera et il l’aura dans le cul. Mais pour l’instant, Freya devait faire avec. Elle repense à l’argent qu’elle a emprunté pour une durée indéterminée et qui dort sagement dans sa chambre. C’est son petit pécule à elle, de l’argent gagné gratuitement et presque sans problème. Freya retourne dans sa piaule et constate que sa cache est plutôt bien remplie.

Dans un élan de courage et d’enthousiasme soudain face à cette découverte, Doherty se prépare et sortit, non sans prendre son carnet à croquis. Le soleil caresse les habitants de la vie de sa douce chaleur et, une fois de plus, cela agaçait Freya. Décidément, il faut donner son âme au diable pour avoir un semblant de pluie dans le coin, ne serait-ce que trois gouttes. C’est sur son fidèle vélo qui n’engage personne à part elle qu’elle s’élance dans les rues d’une ville qu’elle connaît les yeux fermés. Freya a une envie de sucrer, de pâtisseries et de bonbons. Elle a aussi envie de se rouler en boule dans son lit et d’y comater pendant des heures. Mais ça, ça attendra un peu. Pour l’instant, elle a un peu d’énergie, un brin de volonté et il faut qu’elle s’y raccroche si elle veut passer une journée assez normale. La dernière fois, elle est restée quasiment trois jours sans sortir, et le retour au travail a été une catastrophe.

(A l’image de ta vie, quoi.)

Sans aucune surprise que ses pieds l’amenèrent vers le death before decaf, DBD pour les intimes. Source d’une combinaison parfaite entre les délicieuses pâtisseries et un café à vous faire tomber les bras, Freya n’a jamais été aussi ravi d’y mettre les pieds. Il y a la queue mais pour une fois, la jeune femme s’en soucie guère. Elle coince son vélo quelque part – de toute façon, qui peut vouloir lui voler un truc aussi pourri ? - avant de se diriger vers une table reculée mais avec une bonne luminosité. Elle y sort crayon et carnet avant qu’un serveur passe prendre sa commande. Muffin aux myrtilles et un grand café bien fort et bien noir. Elle peut se permettre ce petit écart, pense-t-elle alors qu’elle observe l’employé s’éloigner d’elle. Le brouhaha lointain la berçant, elle se mit à griffonner sans retenu sur les pages blanches devant elle, levant de temps en temps le nez pour trouver l’inspiration dans ce qu’elle observe.

« Croupière d’une maison de jeu et dessinatrice à temps partiel, donc. C’est un emploi du temps chargé. » Freya lève les yeux de surprise. On vient de lui parler ? Visiblement oui, à en juger par la jeune femme qui se trouve plantée devant elle, ses iris droit plantés sur sa petite personne. Par réflexe, Doherty referme son carnet. C’est son jardin secret, pas touche, et surtout pas avec les yeux. Mais Freya a la sensation que cette dame n’est pas là pour ses dessins. « Surtout si l’on rajoute voleuse à la liste. » Okay, là, ça devient alarmant. Elle fronce des sourcils tout en essayant de ranimer ses souvenirs. Elle connaît cette dame ? Elle lui a déjà parlé ? Elle a sûrement dû la croiser au casino car seuls les clients du casino savent que ce casino existe. Alors, Freya n’aime pas trop qu’on fanfaronne à haute voix son métier de la sorte. Elle a une sorte de clause du silence, après tout. Doherty finit par s’adosser complètement contre sa chaise, une main sur son carnet et l’autre bras enroulé autour du dossier. « Hey, tout doux avec vos accusations. Comment vous pouvez m'accuser de que'que chose alors que j'vous connais même pas? » Freya n’est pas bonne pour retenir les visages, n’en ayant rien à foutre des autres de toute façon.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptySam 13 Juil 2019 - 14:23

Elle ne m’avait pas entendue arriver, plongée dans sa création, trop occupée certainement à trouver la justesse de son tracé mais je ne m’en étais pas formalisée plus que cela. Je connaissais mon impulsivité, ma propension à me laisser porter par mes envies et si je tentais de les contenir au quotidien, je n’étais pas entièrement disposée à en faire de même aujourd’hui. Cette jeune femme m’amusait certes, son audace m’avait impressionnée, mais l’irrespect dont elle avait fait preuve ne quittait pas mon esprit pour autant, pas pour le moment, pas avant de voir comment allait-elle réussir à le justifier. Ce n’est qu’au son de ma voix qu’elle releva ses yeux dans les miens, directement, sans hésiter. Je perçus son réflexe de refermer son carnet aussitôt, le protégeant de regards qu’elle aurait jugés indiscrets mais le mien n’aurait, de toute façon, pas fait partie de ceux-là. J’observai à la place celui de Freya se transformer, accroché au fil de mes mots, d’abord inexpressif, puis surpris, et je laissai le mien se voiler car elle ne me trompait pas. Ma dernière phrase, laissée en suspens, eut l’effet escompté malgré son désir de donner le change. Je vis, tout de même, ses sourcils se froncer, ses mains crispées et son visage se fermer et prêt à surgir des antipodes pour me tenir à distance, me forcer au silence pour ne pas attirer l’attention. Mon amusement ressurgit mais je scrutai son visage avec solennité, le menton ferme, tandis qu’elle se détendait enfin pour s’adosser à sa chaise et me faire face, d’égal à égal, sans doute. Je pouvais deviner que son regard dans le mien tentait d’y déceler des indices, d’y rassembler des souvenirs. Le froncement impatient de ses sourcils me démontrait d’ailleurs que ce n’était pas tâche facile. Je remarquai également qu’elle ne semblait pas ressentir de curiosité, d’émotion particulière si ce n’était un agacement non dissimulé. « Hey, tout doux avec vos accusations. Comment vous pouvez m'accuser de que'que chose alors que j'vous connais même pas ? » J’haussai un sourcil avec malice et fit signe au serveur qui passait à mes côtés de m’apporter un nouveau verre avant de reporter mon attention sur la jeune femme.

Je reconnaissais en elle un détachement et un air moqueur qui me rappelaient étrangement les miens. Comme si rien de tout cela n’était réellement grave. Les traits d’esprit comme les siens nous avaient sans doute sauvées toutes les deux de quelques situations compromises. Il était normal de s’y rattacher. Même s’ils ne leurraient qu’un instant le reste. « C’est dans l’autre sens que ça marche. L’essentiel est que, moi, je vous connaisse. Et, ça, c’est moi y allant tout doux. Mais soit. » finis-je par répondre non sans hausser les épaules pour simuler un consentement. Un consentement à aller dans son sens, comme si le réel problème de notre échange était que nous ne nous connaissions pas, ou plutôt qu’elle ne me connaissait pas. Au moins, elle ne s’était pas confondue en excuses, immédiatement, confuse d’avoir été démasquée, paniquée à l’idée de répercussions. Au moins, elle continuait de surprendre. La vie mondaine au sein de certains milieux bien connus de ma part faisait naître en moi des sentiments contradictoires. Parmi un système de pactes héréditaires, de cérémonies banales, de mots et échanges connus et convenus à l’avance, je m’étais toujours amusée de deviner lesquels étaient employés, dans le fond, pour ne pas s’entre-tuer, pour dire autre chose, pour dissimuler. Mais ce n’était pas le cas de Freya, rien n’était calculé, tout semblait réel. Passé mon hésitation première, j’avais décidé de ne plus réfléchir, de ne plus calculer et, même comme cela, chacune de nous semblait décidée à camper sur des positions dont j’ignorais encore la nature exacte. Cela se ressentait dans sa posture en arrière, comme si elle voulait me toiser, assise. Cela s’entendait également dans le tintement des bracelets autour de mon poignet alors que je tirai la chaise en face d’elle en arrière avec légèreté. « Je peux m’asseoir ? » Je demandai, certes, mais d’un ton et avec un sourire qui n’aurait pas supporté la contestation. Je m’étais déjà assise, après tout.

Un silence passa alors que mon verre arrivait à notre table, puisqu’il s’agissait de la nôtre désormais, et je remerciai le serveur avant de m’en emparer distraitement, comme si, l’espace d’une seconde, j’en avais oublié la présence de Freya. J’avais appris depuis longtemps, après tout, que certains silences voulaient simplement dire qu’il ne fallait pas déserter lorsque certaines choses étaient sur le point d'être réglées. « Soheila Hodge. Et vous êtes Freya Doherty, j’étais à votre table la semaine dernière. Le fait que vous ne vous souveniez pas de moi est vexant. » repris-je finalement en relevant mon regard vers elle. J’inclinai la tête avec un sourire discret, soulignant ainsi le fait que je faisais un pas dans son sens. Voilà, nous nous connaissions à présent. Je venais de souligner le fait, néanmoins, que si elle, ne connaissait pas mon identité, je connaissais la sienne. Le fait de savoir si, oui non, m’avait-elle volée était passé et dépassé. L’affaire était entendue de ce côté-là, résolue. Le fait était à présent qu’elle le reconnaisse afin de savoir où cela allait-il nous mener. Le sourire glissa sur mes lèvres avant de disparaître de lui-même laissant apparaître un léger froncement de sourcils à la place. « Mais pas plus que celui de me prendre pour une imbécile. La première fois, passe encore. Mais il ne faudrait pas abuser. » appuyai-je finalement, d’une voix grave mais douce, car cela sonnait plus comme un conseil dans le fond. Je pouvais accepter le vol mais pas le mensonge, comme si l’un avait des vertus que l’autre ne possédait point, une règle que je décidais sur l'instant. Comme si la meilleure manière de nous respecter dans cet instant précis était de se révéler, non de se camoufler.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyVen 19 Juil 2019 - 12:58


Les visages, Freya a beau en dessiner sur son papier, elle ne les retient plus une fois le modèle ancré. Les gens ne sont que de passage dans sa vie, rares sont ceux qui la marquent d’une pointe indélébile. Elle a tendance à se rappeler plus facilement de ceux qui lui ont fait du mal, qui l’ont blessé et qui l’ont, par conséquence, faite avancer par procuration. Elle n’a une mémoire visuelle que sélective, elle ne retient que ce qu’elle voit d’intéressant. Et la femme qui se tient debout devant elle n’a pas dû l’intéresser plus que ça puisqu’impossible de savoir d’où elles se connaissent.

Et Freya n’apprécie pas ce petit air qu’elle a placardé sur le visage. Cet air que l’inconnue a une information qu’elle-même ne possède pas. Doherty entend comme une alarme intérieure se déclencher « Abort abort abort ! ». Le vent vient de tourner, le calme avant la tempête est l’expression adéquate ? Ça doit être correct. Oui, voilà, tous les signaux sont en rouge et Freya n’a à peine ouvert la bouche.

Mais son instinct ne se trompe que rarement quand il s’agit de mauvaises sensations.

« C’est dans l’autre sens que ça marche. L’essentiel est que, moi, je vous connaisse. Et, ça, c’est moi y allant tout doux. Mais soit. Je peux m’asseoir ? » Freya n’eut pas le temps de répliquer que la jeune femme a déjà ses fesses assises en face d’elle. Elle soupire. « Faites comme chez vous. » Ce n’est pas la matinée qu’elle s’est programmée. Pour une fois qu’elle est toute seule dans son coin, ne dérangeant personne, il faut que personne vienne la déranger. Une personne parmi tant d’autres n’a pas pu la laisser tranquille. Pourquoi est-ce que le mauvais karma s’acharne sur elle ?

(Et encore, tu n’as pas tout vu, ma jolie.)

« Soheila Hodge. Et vous êtes Freya Doherty, j’étais à votre table la semaine dernière. Le fait que vous ne vous souveniez pas de moi est vexant. » Tout de suite, un éclair passe par la tête de Freya, qui se renfrogne un peu plus sur elle-même. Déjà, c’est flippant que cette inconnue – Soheila ? – sache comment elle s’appelle. Sérieusement, ses poils s’hérissent face à cette constation. Doherty pourrait presque avoir envie de partir en courant si la fameuse Soheila et son regard ne la maintenaient pas en haleine sur sa chaise. C’est flippant mais elle reste curieuse sur le pourquoi du comment. « Okay… Faut pas l’prendre personnellement, j’ai du mal avec les visages dont j’m’en fous. » Après tout, la dame Hodge est venue la piquer sans qu’elle est rien demandée, pourquoi ne ferrait-elle pas de même ?

Et pourquoi une inconnue prendrait la peine de faire, comment dire, des recherches ? une investigation, sur sa petite personne sans but derrière ? Non, Freya sent qu’il y a anguille sous roche. Cette dame d’apparence élégante cherche quelque chose d’elle et elle possède cette curiosité – parfois malsaine – de savoir ce que c’est.

L’espèce humaine est comme ça.
On ne peut jamais s’empêcher d’être attiré par la carotte s’agitant sous son nez.

« Mais pas plus que celui de me prendre pour une imbécile. La première fois, passe encore. Mais il ne faudrait pas abuser. » Freya glisse son carnet sur le coin de la table, à l’opposé de la femme qui a définitivement quelque chose à lui reprocher.

Alors Doherty soupire et croise les bras, cet air insolent placardé sur le visage. « Vous pouvez pas en v’nir aux faits tout de suite au lieu d’tourner autour du pot ? C’est déjà assez flippant que vous sachez comment j’m’appelle, alors aboulez la cause, qu’on en finisse. » A vrai dire, elle est mal à l’aise et veut juste en finir avec cette conversation qui vient à peine de débuter. Le cadre charmant du café rajouterait presque un côté encore plus étrange à ce qui se déroule devant ses yeux, témoin impuissante d’une scène au scénario qui lui échappe totalement. Freya ne comprend toujours pas ce qu’elle lui veut et elle n’est pas sûre qu’elle le veuille vraiment, au final.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMar 23 Juil 2019 - 9:58

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Les circonstances étaient bien peu de choses, finalement. C’était le caractère qui faisait le tout, le caractère qui retenait, qui faisait les choses ou les défaisait. Cette jeune femme m’avait volée mais je m’asseyais à sa table, le sourire aux lèvres et les remarques cinglantes. Je l’accusais et elle avait l’air agacée de son côté, pourtant elle restait également, désireuse d’en savoir plus. Et je l’observais pour savoir si je voulais lui en donner plus, si tout cela valait la peine. Je donnais peut-être l’impression d’avoir les cartes en main mais certaines me manquaient et Freya ne m’éclairait pas. Je m’attardais sur sa manière de se tenir, lasse mais en alerte, sur les traits de son visage, défiants mais délicats, et pourtant il lui manquait quelque chose. Comme si elle choisissait de ne plus briller lorsqu’elle semblait pourtant tout posséder pour faire de l’ombre au soleil lui-même. « Okay… Faut pas l’prendre personnellement, j’ai du mal avec les visages dont j’m’en fous. » Je fronçais les sourcils, par perplexité plus que par agacement. Elle semblait réellement le penser, il ne s’agissait pas simplement d’un passe-droit supposé la dédouaner, l’excuser. Je m’interrogeais sur son âge, elle ne semblait pas dépasser la vingtaine mais paraissait déjà empreinte de l’énergie de ceux qui n’attendaient plus rien ou n’avaient rien reçu en héritage. De la vie, elle adoptait l’attitude de ceux qui savaient déjà tout de ses drames. Rien ne la retenait, les visages, les noms, les codes moraux, haussait-elle réellement les épaules face à chacun d’eux car elle s’en foutait dans le fond ? Libre, tragiquement libre et je n’en étais pas irritée, juste curieuse, douloureusement curieuse. Cela semblait si facile pour certains de renoncer à être adulte, si facile d’oublier ses fautes ou de mettre ces dernières sur le compte d’une paresse qui masquerait la fatalité. Et j’étais fatiguée de cette fatalité, terriblement éreintée. « Les sept cents dollars qui se trouvaient dans mon sac, vous ne vous en foutiez pas par contre. » Je la contrais d’un ton mesuré qui me parvint de loin, comme si je ne faisais que nous remémorer un détail, et non pas là le but de mon approche.

Son carnet glissa au rebord de notre table et son attention semblait m’être dédiée pour la première fois depuis le début de notre échange. Son regard rivé dans le mien et le menton relevé avec inconvenance, comme si elle n’avait à se cacher de rien, comme si elle n’avait à dissimuler aucune de ses intentions, de ses volontés, de ses actions. Je la fixais pourtant depuis plusieurs minutes et je décelais le mensonge qui se cachait derrière ses répliques clinquantes. Son visage était voilé. Son visage n’avait pas de sens. Je n’y voyais que des secrets, des pensées illisibles, même lorsqu’elle faisait semblant de le mettre nu, même lorsqu’elle faisait semblant de l’offrir, provocante. Son visage était ce livre en langue étrangère, qu’elle acceptait d’ouvrir simplement car nous ne saurions pas le déchiffrer. « Vous pouvez pas en v’nir aux faits tout de suite au lieu d’tourner autour du pot ? C’est déjà assez flippant que vous sachez comment j’m’appelle, alors aboulez la cause, qu’on en finisse. » Il devait être évident, pour les autres, que je n’avais pas agi ainsi par simple désir de percer le mystère, simplement pour me changer les idées, pour m’occuper et ne pas avoir à vivre cette journée comme les autres, dans l’attente de retrouver exactement la place et la mission auxquelles un plus grand dessein m’avait assignée. La cause ? Je ne savais pas pourquoi je la confrontais si je ne pouvais pas lui dire cela. Si je ne pouvais pas simplement dire que je cherchais à retarder ces moments où je finissais par réaliser que je n’avais pas réussi à éviter le pire et où je finirai par m’éteindre, comme une bougie privée d’oxygène.

C’était ainsi que je me voyais, si je lâchais prise, si je ne confrontais pas la jeune femme qui s’octroyait le droit de se servir dans mon sac, perdue au milieu d’une foule d’autres personnes en vie, effacée au profit d’une vie sereine mais sans flamme. Personne ne le comprendrait car je ne savais sans doute pas comment l’expliquer. « Je suis la première cliente du casino que vous volez ou juste la première à vous retrouver ? » demandai-je en arquant un sourcil. Je me saisis de mon verre sans réellement y penser, n’attendant pas réellement une réponse de sa part non plus après tout malgré l’intérêt qu’il y avait dans mes intonations. Je n’avais pas les comportements attendus, les réactions prédéfinies mais cela ne me semblait pas grave, Freya ne semblait pas les avoir non plus. « Les excuses, c’est pas votre truc, n’est-ce pas ? J’imagine que me rendre mon argent non plus. » Un sourire vint de nouveau se dessiner sur mes lèvres, il n’était pas amusé celui-ci, indéchiffrable plutôt et je lui laissais le soin de deviner ou non ce qu’il signifiait. « Peut-être que je voulais aussi saluer l’audace. Voler sur son lieu de travail, c’est pas commun. » Pas très malin non plus, me semblait-il, le risque de perdre une source de revenus fixe au profit d’une aléatoire me paraissait équivoque mais mon ton s’était adouci et ne laissait pas leur place à mes considérations substantielles. Elle ne trouvait pas de raisons de s’excuser et je n’en trouvais aucune non plus de m’élever au rôle que j’occupais chaque jour depuis quelques mois. Je n’avais pas la souffrance commune, non. Cette dernière sévissait et je continuais de m’astreindre, de me tenir à des obligations, des gestes, des réconforts, des comportements sociaux bien établis. Il fallait sans cesse jouer la comédie pour ne pas détoner. Mais il me restait bien souvent, une fois la porte refermée, un goût de cendre et de poussière au fond de l’esprit. Les excuses qui n’arrivaient pas et mon incapacité à m’en offusquer me paraissaient, pour le moment, étrangement libérateurs.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptySam 27 Juil 2019 - 10:52


Un jeu délicat semble s’opérer à la table numéro quatre du DBD. Un jeu où les deux participantes ne veulent pas dévoiler leurs cartes, ni même baisser les armes. Freya n’a rien demandé, elle n’a pas affirmé sa participation à tout ça. Soheila s’est invitée, s’est installée d’elle-même de l’autre côté de la table. Les jambes nouées, elle dégage une grâce et une élégance des femmes qui ont déjà acquis des points qui échappent encore à Freya. Le genre de dame qu’on doit sûrement respecter et admirer, ou jalouser selon le point de vue. Parce qu’elle a de la présence, parce qu’elle a une peau différente, parce qu’elle a l’air de maîtriser sa personne, ses gestes, ses paroles.

Dans une autre vie, Freya aurait sûrement fait parti de cette population admirative.

Mais aujourd'hui, alors qu’elle se permet d’envahir son espace vital, son lieu de recueillement, sa bulle de confort, la blonde n’en a que faire de cette dame aux ongles parfaits et à l’apparence irréprochable. Oui, on dit souvent qu’il ne faut pas se fier à la couverture mais Freya n’a jamais aimé lire, de toute façon. Gratter à la surface pour connaître le fond des choses, non merci. Ce n’est pas pour elle. Aucune patience et aucun temps pour ça. Surtout quand il s’agit d’êtres humains.

« Les sept cents dollars qui se trouvaient dans mon sac, vous ne vous en foutiez pas par contre. » La tragédie. Est-ce que cette dame vient vraiment jusqu'à elle pour venir se plaindre d’avoir perdu une somme aussi importante d’argent ? Freya hausse les épaules, insolente au plus haut point, le visage et les paroles crachant tout le déni et le refoulement dont elle peut faire preuve. « C’est pas d’ma faute si vous faites pas attention à votre oseille. » Se dédouaner, c’est devenue une habitude. Elle n’y réfléchit même plus, elle dément toujours tout. Elle assume des parties d’elle-même, mais en dément la majeur partie. Elle prétend à son frère que tout va mieux, alors qu’en faites, elle glisse et elle tombe, doucement mais sûrement. On ne peut pas tout mettre sur le compte de sa maladie parce que ce n’est pas juste.

Non, Freya pense sincèrement qu’un mauvais karma plane au dessus de sa tête.
Constamment. Sans possibilité d’amélioration en vue, visiblement.

Alors le sous entendu de Soheila, elle fait comme si elle ne comprend pas. Alors qu’elle sait très bien où mène cette conversation. Mais la brune ne s’attend pas à ce qu’elle lui clame haut et fort que oui, elle a été dépouillée par la pauvre gamine des rues qu’elle est, si ?
Soheila Hodge risque d’être déçue si c’est le cas.

« Je suis la première cliente du casino que vous volez ou juste la première à vous retrouver ? » Freya reste silencieuse tout en notant le sourcil de son interlocutrice, parfaitement dessiné, s’arquer en même temps. Comme si elle n’est qu’une débutante. Mais non, Doherty n’est pas une débutante. Elle n’est pas non plus kleptomane, elle n’a pas de besoin irrépressible de voler.

Mais les clients du casino s’affichent avec tout leur luxe, tout leur argent, toute leur fichue richesse alors qu’elle, elle rame pour joindre les deux bouts. Où est la justice dans ce monde ? Pas étonnant que tout se barre en sucette si les riches passent leur temps à gaspiller leur fortune dans des jeux stupides au lieu d’aider leur prochain.
Et pour Freya, Soheila Hodge fait parti de ces personnes.

Alors oui, elle les vole. Et il n’y a pas une once de regret dans les fibres que comportent son être. Parce qu’elle a l’impression de se rendre justice à elle même, de prendre ce qui devrait être à elle. C’est con, complètement stupide peut-être et totalement illogique. Mais Freya s’en fout d’être logique ou rationnelle. Elle ne l’a jamais été, de toute façon.

« Les excuses, c’est pas votre truc, n’est-ce pas ? J’imagine que me rendre mon argent non plus. » La blonde ne put s’empêcher d’étouffer un léger ricanement. « Peut-être que je voulais aussi saluer l’audace. Voler sur son lieu de travail, c’est pas commun. » C’est au tour de Freya d’arquer un sourcil de surprise. Elle observe les traits distingués de Soheila Hodge avant de soupirer et d’attraper son café pour y boire deux bonnes gorgées. Le regard au dessus de son épaule parce qu’elle réfléchit. Il est presque froid, elle s’est perdue dans les mouvements de son poignet jusqu'à en oublier son café. Mais là, c’est son excuse pour retarder sa réponse, chercher quoi dire.

Parce que ouais, c’est la première fois qu’une de ses victimes la retrouve.
Et que Freya ne sait pas quoi dire. Parce qu’elle ne regrette pas.

Freya repose sa tasse tout en reposant ses yeux sur Soheila Hodge. « Vous devez avoir sacrément rien à foutre de vos journées pour avoir réussi à m’trouver, quand même. » Elle croise les jambes et les bras tout en reposant son dos contre le dossier de sa chaise. « Ça correspond bien aux trucs typiques des riches qui gagnent du fric sans éponger une goutte de sueur. Si vous vous attendez à des excuses, va falloir attendre un bon moment, ma p’tite dame. » Est-ce que ça vient assumer qu’elle l’a volé ? Tout est une question de point de vue. « L’audace, c’est de s’trimbaler avec autant d’blé sur soi et d’pas faire gaffe. Faut vraiment être stupide pour ne pas veiller à la chose. Surtout quand ça peut partir aussi vite. » Après, le reste n’est qu’un jeu d’enfant. Situation de jeu, de fête, de détente, distraction sur distraction, personne ne fait attention à une croupière comme il y en a d’autres. Une bousculade, un mot d’excuse, une main glissée et le tour est joué.

Elle sait se faire oublier quand elle le veut, après tout.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyLun 29 Juil 2019 - 9:14

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Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander si cela m’aurait autant amusée, il y a quelques années, quelques mois, ou dans quelques semaines même, lorsque le temps aurait fait son œuvre. La jeune femme semblait jouer sans vergogne avec la réalité, se souciant peu de qu’elle pouvait provoquer en dehors de la sienne, de ce qu’elle pouvait engendrer sûrement parce qu’elle ne se sentait pas de responsabilité particulière, sûrement parce qu’elle oubliait, de toute évidence, immédiatement le méfait commis. Et si cela m’avait empêché de m’ennuyer, il me paraissait de plus en plus évident qu’elle était bien tombée en effet, que mon état d’esprit d’aujourd’hui n’était pas celui d’antan, que mon sourire se présentait à elle aujourd’hui malgré l’affront et qu’elle ne se rendait même pas compte de l’opportunité à saisir. « C’est pas d’ma faute si vous faites pas attention à votre oseille. » Je dus réprimer un rire, amusé mais fatigué. Elle avait le mérite de se tenir à son rôle en tout cas. Je devais l’avouer, sa capacité à me décontenancer grâce à ses réponses imprévisibles était plaisante. Mais la réciproque ne semblait pas être vraie, rien dans mon apparition impromptue face à elle en cette fin d’après-midi ne semblait l’amuser. Elle continuait de rester sur ses gardes, un animal sauvage acculé de bien trop nombreuses fois pour se laisser approcher aussi facilement. « Vous devez avoir sacrément rien à foutre de vos journées pour avoir réussi à m’trouver, quand même. » Je plissai les yeux, un instant, comme si Freya venait de parvenir à mettre le doigt sur quelque chose, quelque chose de vrai. Quelque chose de bien relatif si je venais à prendre le temps de le considérer, sérieusement, sans obstination de ma part. Mes journées étaient occupées, d’un point de vue extérieur, remplies à dire vrai. Seulement plus de la manière dont je le désirais. Coincée en Australie. Dans l’impossibilité de m’envoler du continent. Et cela me faisait tourner en rond, oui, tel un lion en cage. À tel point que la retrouver m’était apparue comme une idée acceptable, en effet. « J’ai du temps qui s’est libéré, c’est vrai. Indépendamment de ma volonté. Pas de chance, c’est avec vous que j’ai décidé de l’occuper. » La vérité était là, tapie, dissimulée entre deux phrases soigneusement tournées, qui ne voulaient rien dire si elle décidait de ne pas s’y attarder, qui intriguaient si son oreille se tendait.

J’observais, entre temps, son agacement grandissant, peut-être même sa colère et je fronçais les sourcils imperceptiblement, curieuse d’en connaître l’origine. Rares étaient les personnes capables de retourner la situation comme elle le faisait, les limites ne faisaient décidément pas partie de son vocabulaire et le constat finissait de me retenir. « Ça correspond bien aux trucs typiques des riches qui gagnent du fric sans éponger une goutte de sueur. Si vous vous attendez à des excuses, va falloir attendre un bon moment, ma p’tite dame. » Son dédain était tangible par-delà la table qui nous séparait. Je notais la confession voilée mais ne m’y attardais pas, je n’en avais jamais eu besoin. Le paradoxe entre ses paroles et ses émotions attiraient mon attention, me donnaient envie de m’y pencher. Elle avait cet air las accroché à ses traits délicats qui tranchait avec l’aversion qu’elle avait envers moi. J’ignorais s’il s’agissait d’un réflexe chez elle ou d’un constat désastreux sur mon propre état et ce que je lui inspirais. Elle voulait renvoyer l’impression de ne pas connaître les valeurs et les sentiments qui devaient la guider, la pousser aux excuses. Elle préférait voir le monde à sa convenance et forçait le détachement, le mépris comme si rien n’avait plus aucune incidence, plus aucune conséquence, plus aucune importance. Pourquoi donc ses paroles ne collaient-elles pas avec son image ? Au sein de ses mots se cachaient une colère dont j’ignorais la source et un idéalisme naïf et ardent, celui d’abolir les contradictions, les injustices et le déterminisme social. Sans doute pouvais-je me concentrer sur cela, sans doute le préférais-je également. « Ma p’tite dame ? Quel âge tu crois que j’ai ? » En attendant, je l’interrompis avec malice, une moue faussement agacée s’emparant de mes traits, passant au tutoiement volontairement pour ne pas dénoter. Je plaisantais pour ne pas avoir à répondre tout de suite, pour ne pas avoir à me demander ce que j’étais décidée à lui révéler pour contrer. Une personne à Brisbane qui n’avait pas la moindre idée de mon identité, même de loin, même de vue, c’était rafraichissant si ce n’était pas aussi ironique. « L’audace, c’est de s’trimbaler avec autant d’blé sur soi et d’pas faire gaffe. Faut vraiment être stupide pour ne pas veiller à la chose. Surtout quand ça peut partir aussi vite. » Et son air insolent qui ne s’atténuait jamais. Cela devait être épuisant, dans le fond, de se maintenant sans arrêt ainsi, sur la défensive.

Je soutenais son regard, concentrée un instant car sa colère révélait des principes qu’elle aurait sans doute voulu taire mais que je n’étais pas encore certaine de croire en leur sincérité. Je laissais finalement échapper un soupir et décollai mon dos du dossier de la chaise pour me reposer sur mes bras, mains jointes sur la table. « D’accord, tu m’intéresses. Les riches qui le restent sans accomplir quoique ce soit, ça me plonge dans une rage folle aussi, plus folle que la tienne, crois-moi. » Et ce d’accord sonnait presque comme une capitulation. D’accord, montre-moi ce que tu as derrière ton attitude. Je reprenais ces termes également sans chercher à les atténuer car les notions de riches et d’accomplissement étaient vagues selon moi, beaucoup plus complexes, mais que le fond était le même. Je pouvais bien lui pardonner, elle n’était pas la première à s’y risquer, à s’y complaire. « Quel genre de métier penses-tu que je fais exactement ? Et lequel pourrait te pousser à reconsidérer l’opinion bien arrêtée que tu t’aies faite de moi ? » Lequel pourrait te pousser à penser que me voler était acceptable aurait sûrement été la question la plus logique mais cela faisait un moment que j’avais délaissé cette dernière. Il s’agissait de la même, dans le fond. La question pouvait paraître innocente, accessoire mais sa réponse ne l’était pas et j’étais désireuse de savoir si elle allait me l’accorder. Car l’absence de réponses à une interrogation représentait, selon moi, une barrière au-delà de laquelle il n’y avait plus de chemin, une frontière que je cherchais encore à définir en l’occurrence chez ma partenaire du moment.  
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyJeu 1 Aoû 2019 - 14:20


«  J’ai du temps qui s’est libéré, c’est vrai. Indépendamment de ma volonté. Pas de chance, c’est avec vous que j’ai décidé de l’occuper. » Surprise, étonnamment, flatterie. On pourrait presque voir du rouge s’étaler sur les joues de Doherty si elle n’en avait pas rien à foutre des journées d’une parfaite étrangère. Journées lasses et ennuyeuses si elle les passe à traquer les pauvres filles comme sa tronche parce qu’elles ont été trop avides, trop impétueuses. Un appel à être vidée, à être dépouillée, voilà ce que Soheila Hodge a été. Elle a voulu jouer aux jeux et elle s’est faite prendre dans un divertissement qui n’était pas prévu au programme. Une main qui glisse et s’en est fini. Freya dicte les règles de cette duperie qui ne lui avait valu aucun problème jusqu’à maintenant. « J’aurai jamais pensé qu’on j'serai assez intéressante pour qu'on m'accorde carrément des journées entières. »

Même si Soheila Hodge n’a pas l’apparence de quelqu’un qui cherche les problèmes.
Non, elle lui donne l’effet d’être une personne aux émotions contrôlées, à la vie réglée comme du papier à musique.

Elle ignore encore ce que Soheila Hodge cherche vraiment d'elle. Si elle voulait récupérer son argent volé, elle aurait usé d'autres moyens. Ou alors elle l'aurait déjà menacé. Soheila Hodge peut avoir un homme de main planqué quelque part, prêt à l'attraper à son signal. Ou alors la femme attend que la plus jeune fasse preuve de distraction pour lui foutre un somnifère dans son verre et la kidnapper.

(Complètement ridicule, ma pauvre fille. T’as dû voir trop de films pour avoir ce genre de réflexion. Est-ce que tu l’as bien regardé ? Contrairement à toi, elle est distinguée et elle sait faire quelque chose de ses dix doigts. Tu parais encore plus misérable en sa présence, comme une tâche qu’on n’arrive pas à enlever d’un vêtement tellement qu’il est incrusté. Ouais, c’est toi la tâche et elle, c’est ton contraire. Même toi tu ne peux pas t’empêcher de l’envier, ou de la respecter. Parce que t’as beau joué les nonchalantes, tu restes pas moins une gamine fragile fascinée par son monde que tu ne connais pas.)

« Ma p’tite dame ? Quel âge tu crois que j’ai ? » Des yeux perçants qui cachent quelque chose de plus profond. Couleur sombre qui s'aligne à merveille avec le chocolat de sa peau. C'est une belle femme, qui sait s'apprêter et intimider d'un battement de cil. Soheila Hodge est la différence même de Freya. Haute sur ses talons, le menton droit, les vêtements repassés. Classe et élégance, tout ce que Doherty n'est pas. Mais elle a de faibles traits qui ne trompent pas. De petites pliures discrets mais pas assez pour que l’œil affûté de Freya ne les remarque pas. « Assez âgée pour avoir sept cent boules à dépenser dans un casino. » 

« D’accord, tu m’intéresses. Les riches qui le restent sans accomplir quoique ce soit, ça me plonge dans une rage folle aussi, plus folle que la tienne, crois-moi. Quel genre de métier penses-tu que je fais exactement ? Et lequel pourrait te pousser à reconsidérer l’opinion bien arrêtée que tu t’aies faite de moi ? » Mais pourquoi est-ce qu’elle ne lui lâche pas la grappe ? Freya commence à s’agacer face à autant de questions. Sa journée n’aurait pas dû se passer comme ça, elle aurait dû finir ce dessin tranquillement en abusant d’un autre café long et noir avant de traîner ses guêtres en ville. Doherty ne prévoit pas ses journées, elle se laisse porter par la vague de son esprit qui n’est jamais tranquille, jamais calme. Une tempête intérieure qui la fait dévier à chaque fois.

Mais là, c’est un véritable tournant qu’elle est en train de subir.
Soheila Hodge est en train de tout chambouler avec ses questions agaçantes et son air intrigué.

La jeune femme finit donc par soupirer tout en se grattant le front. « P’tain mais sérieux, c’est quoi, ces questions à la con ? Pourquoi est-ce que mon opinion vous intéresse ?, elle n’a pas l’habitude après tout. C'est quoi, votre but, là? Vous pourriez être une prostituée ou dans la finance, j’m’en contrefous royal. C’est pas tant la façon de gagner son fric qui m’pose problème, c’est plus la façon d’le dépenser. Claquer autant de tune dans des jeux de hasard, c’est du putain de gâchis. » Oui, Freya a l’image de grands manitous du pétrole qui boivent du vin hors gamme à dix heures du matin tout en empochant mille dollars à la minute. Si elle le pense, c’est qu’elle a dû le voir quelque part. Donc c’est que ça doit exister.

Mais ça ne concerne pas Soheila Hodge. Cette dernière a juste été là pour entendre le dédain d’une gosse des bas quartiers de Brisbane envers la population bourgeoise tout simplement car c’est ce qu’elle doit être. Il y a de l’injustice partout et Freya ne prétend pas qu’elle fait avancer les choses. Bien au contraire, même, elle s’enfonce toujours un peu plus dans son gouffre, parce que c’est plus simple. Et parce que dans le monde dans lequel elle vit, les gens ne lui tiennent pas forcément la main ou ne lui montre pas le droit chemin.

Et aussi parce que Freya est trop butée et têtue pour suivre la bonne route.
Toujours choisir la facilité au dessus de ce qui est juste.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptySam 3 Aoû 2019 - 10:45

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Les mots se frayaient un passage entre ses lèvres, presque malgré elle, semblait-il. Elle aurait bien aimé ne pas avoir à me répondre, elle aurait bien aimé me voir disparaître, l’agacement dans son regard s’était rapidement transformé en véritable antipathie. Si je l’avais pris personnellement au début, et que cette impression persistait néanmoins à me coller quelque peu à la peau, je semblais percevoir dans ses derniers propos quelque chose de plus profond, qui ne se limitait pas à moi mais à bien d’autres. Tous les autres auxquels elle m’avait associée car je correspondais à l’image qu’elle s’en faisait. Sa colère paraissait immense, en effet, assez pour qu’elle puisse se permettre de la diriger envers de nombreuses, trop nombreuses, personnes. « Assez âgée pour avoir sept cent boules à dépenser dans un casino. » Je plissai les yeux une nouvelle fois face à son jugement, mais ne cherchais pas à répondre car la répartie se hâtant à mes lèvres pour effacer sa perspicacité somme toute relative n’aurait fait qu’aggraver notre cas, attiser les tisons. Encore un peu et il n’y aurait plus que de la provocation de ma part, plus seulement de la curiosité car cette dernière ne semblait mener à rien, se contentant de se heurter à son expression renfrognée, à son désir impérissable de m’exprimer l’immuable désaccord envers tout ce que je représentais. Peut-être n’y pouvais-je rien, après tout. Il s’agissait d’une loi à laquelle j’avais été confrontée d’innombrables fois déjà. Ce désir de partir à la chasse aux coupables lorsque leur vie n’était pas celle qu’ils désiraient, celle qu’ils s’imaginaient, celle dont ils s’imaginaient méritants – et peut-être l’était-ce, qui étais-je pour le savoir, qui étais-je pour pouvoir y faire quelque chose – lorsque leur vie se révélait naufrage. C’est ça que tu essaies de faire savoir aux autres, Freya ? Que ta vie n’était que naufrage ? Car contrairement à ce qu’elle semblait penser, cela ne se voyait pas aux premiers abords non, mais son amertume attirait l’attention. Aux premiers abords, elle était cette jeune femme, simplement, au regard défiant mais sagace et la sagacité était admirable. Juste avant qu’elle ne décide de tout envoyer aux oubliettes pour se défendre d’une agression qui n’existait pas.

« P’tain mais sérieux, c’est quoi, ces questions à la con ? Pourquoi est-ce que mon opinion vous intéresse ? C'est quoi, votre but, là ? Vous pourriez être une prostituée ou dans la finance, j’m’en contrefous royal. C’est pas tant la façon de gagner son fric qui m’pose problème, c’est plus la façon d’le dépenser. Claquer autant de tune dans des jeux de hasard, c’est du putain de gâchis. » Je laissais échapper un soupir, décroisai mes bras, indécise, puis me saisis de mon verre finalement pour goûter une gorgée de vin. Elle ne voulait rien entendre, rien savoir, ne cherchait pas à le cacher et je devais saluer son honnêteté, envers elle et moi. Elle n’attendait qu’une chose sans doute, que je quitte sa table et qu’elle soit restée suffisamment en dehors de tout cela pour ne pas avoir à se souvenir d'une bribe de notre échange. Je la trouvais bien volontaire car elle s’y employait parfaitement, ceci dit. « Excuse-moi, j’ignorais que j’étais en présence d'un Robin des bois au féminin, volant aux riches pour donner aux pauvres. J’espère que c’est le cas, vraiment, et que mon argent n’est pas gardé bien au chaud sur ton compte en banque ou ailleurs. Parce que si c’est le cas, j’aurais beaucoup de mal à te prendre au sérieux. » Je ne réagissais jamais bien aux attaques même lorsqu’elles n’étaient pas gratuites. Je les parais instinctivement d’un détachement ou d’un tempérament appuyé – selon mon humeur - qui ne faisaient que nourrir les ressentiments de mes interlocuteurs. Je devais reconnaître en outre que ma présence ici, mes démarches pour la retrouver flouaient quelque peu les frontières de ce que nous étions en mesure de nous reprocher mutuellement à présent. « J’ai dû passer par ton responsable pour retrouver ta trace. J’avoue que j’ai regretté, après coup, des répercussions que ça pouvait avoir pour toi. » J’avais reposé mon verre sur ma table, dans lequel ne résidait qu’un fond de vin blanc, presque transparent, suffisamment en tout cas pour que le serveur ne se manifeste presque aussitôt à nos côtés pour s’enquérir de nos prochaines commandes.

Sa présence impromptue, que je n’avais pas sentie arriver, me fit manquer un battement de cœur, un malaise que je réprimais pour dissimuler. L’une des choses que je ne contrôlais plus, bien que j’eusse aimer, depuis la prison. L’un des symptômes qui ne passerait pas si je ne le confrontais pas à en croire l’unique médecin que j’avais accepté de voir. Mais ce corps qui m’échappait, rompu par le pouls que j’entendais résonner en sourdine au fond de mon esprit, comme une mélodie biaisée par la surprise, ne m’inspirait que du ressentiment et je resserrai ma prise autour de mon verre pour maintenir mon attention sur la jeune femme plutôt que sur mes doigts crispés, plutôt que sur la voie d’une nouvelle confrontation avec moi-même. « Mais tu ne rends pas la tâche facile, difficile de s’en faire si tu ne laisses pas tomber tout ça. » D’un geste de main fluide, j’englobais l’entièreté de sa personne car elle était la plus en mesure, après tout, de comprendre ce que cela signifiait. Son inconvenance, son impudence, toutes ces forces qu’elle dosait avec une assurance contrôlée. « Et pourtant, tu es toujours là, assise face à moi. » Je paraissais plus agacée qu’au début de notre échange, j’en étais consciente. Je n’arrivais pas à décider si cela était dirigé contre moi, entièrement, et cette faiblesse dont j’avais été prise et n’avais peut-être pas réussi à dissimuler, je l’ignorais. Ou si une partie était, enfin, et à juste titre, attitrée à Freya. J’avais tenté d’être calme et avenante, de choisir la voie du détachement pour rester en retrait car j’étais ici, de mon gré, la confrontant pour une explication qu’elle était bien incapable de me donner car elle fuyait elle-même tout ce qui imposait de se justifier. Mais Freya avait elle-même aboli toutes les limites de la bienséance requise dans ce genre de situation et je savais qu’elle avait raison, rien d’ordinaire ne se jouait entre nous, rien d’extraordinaire non plus, à dire vrai. Car si son monde ne semblait pas connaître les marques de politesse pour dire l’inverse, les confrontations qui n’en étaient pas car cela ne se faisait pas mais qui se révélaient être tout autant tranchantes, peut-être même plus, ce n’était pas le cas du mien. Freya s’était défaite de toute précaution, oui, mais elle restait pourtant. Je pouvais me lever et m’éloigner également, mais je ne le faisais toujours pas. Peu importe ce qu’il advenait après tout, elle l’avait dit, mon temps était déjà perdu, de toute manière.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMar 6 Aoû 2019 - 14:41


« Excuse-moi, j’ignorais que j’étais en présence d'un Robin des bois au féminin, volant aux riches pour donner aux pauvres. J’espère que c’est le cas, vraiment, et que mon argent n’est pas gardé bien au chaud sur ton compte en banque ou ailleurs. Parce que si c’est le cas, j’aurais beaucoup de mal à te prendre au sérieux. » Freya se mord la lèvre tout en déviant le regard. Une pointe de honte ? Non, impossible. Elle ne fait dans ce genre là. Elle est plutôt sur la corde de celle qui souhaite créer un véritable fossé entre elle et son interlocutrice. Elle a l’impression d’être dévisagée, d’être jugée. Comme si elle a en face d’elle, un de ces psychologues qu’elle a pu voir dans le passé. La ligne lui échappe, le fil conducteur de cette conversation. Complètement paumée, comme d’habitude, parce que rien ne change de ce côté-là. A vrai dire, Freya ignore le comportement à avoir, elle qui a réussi à passer à travers les mailles du filet tellement de fois. Première fois à tout, quelqu’un a été assez persistant pour retrouver sa trace, remonter jusqu’à elle et suivre sa piste jusqu’à son seuil de palier. Si cette dame en face d’elle n’inspirait pas l’élégance même, Freya aurait demandé le déménagement aussitôt cette conversation finie.
C’est flippant des gens qui en savent plus que vous sur vous. Ils ont des informations qui vous échappent et ils en jouent. Certes, elle avait réussi à mettre la main sur un paquet de billets verts. Certes aussi, elle ne sait pas ce que fait Soheila Hodge pour gagner aussi d’argent, ni même ce qui lui a valu d’amener ses talons vernis dans un casino reclus, connu de la haute mais secret. Soheila Hodge n’a pas l’air comme les autres gourgandines qui passent leur temps à se prélasser au bar. C’est peut-être pour ça que Doherty la choisit en guise de proie. Mais quand tu ne t’en rappelles pas, impossible de le savoir.
Bizarrement, quand Soheila Hodge lui affirme qu’elle aurait dû mal à la prendre au sérieux, Freya aurait presque envie de se terrer sous la table. Si la dame a pu retrouver sa trace, qu’est-ce qui lui empêche au final de finir trifouiller chez elle pour savoir où l’argent se trouve ? Oui, la table, c’est bien comme cachette. On ne voit que les pieds, que de longues jambes mais pas de regard qui vous scrute comme pour savoir le vrai du faux. Pas de bouche pour vous balancer des reproches qui vous atteindront malgré vous.

« J’ai dû passer par ton responsable pour retrouver ta trace. J’avoue que j’ai regretté, après coup, des répercussions que ça pouvait avoir pour toi. » Freya plonge ses lèvres dans le fond de son café, buvant le reste cul sec. Elle ne peut pas s’empêcher de zieuter le vers de vin vide (vous voyez, du vin dès le matin, typique). « Mais tu ne rends pas la tâche facile, difficile de s’en faire si tu ne laisses pas tomber tout ça. » Freya fronce les sourcils à son tour. Si elle s’est adressée à sa responsable pour la retrouver, sûrement ce que ça ne va pas faire une ligne d’honneur dans son dossier pour être l’employée du mois. Son job, même si elle y met de la mauvaise grâce à l’accomplir, elle fait quand même parce qu’elle en a besoin. Le loyer, les achats du quotidien et surtout, ses fichus médicaments. Freya ne la comprend pas. Comment cette inconnue peut la juger, avoir une opinion sur sa personne, alors qu’elle l’incite un peu plus à se braquer, à se rebeller ? « Et pourtant, tu es toujours là, assise face à moi. »

Quand le serveur revient avec le verre de vin blanc qu’il a jugé bon de rapporter à Soheila, Freya l’attrape et le boit cul sec avant que son interlocutrice eut le temps de poser les doigts dessus. Elle a envie de chialer, ou de crier, au choix. De balancer le verre, les tasses, les assiettes, la table. Si une inconnue lui fait comprendre qu’elle est juste une mauvaise personne, au mauvais fond et aux mauvais choix, comment est-ce qu’elle peut aller mieux ? Elle le sent, ce gouffre qui s’ouvre de plus en plus. Soheila n’arrange rien, elle enfonce le clou dans sa peau et elle le tord. Et Freya n’aime pas qu’une putain d’inconnue fasse déferler une horde de sentiments de ce genre sur sa personne. Tu t’es mets en émois pour les paroles d’une étrangère ? T’es vraiment qu’une bonne à rien, impossible de résister à la tentation de vouloir te montrer en spectacle, de geindre dans les jambes de simples passants. Les doigts se crispent autour du verre et Freya finit par le lâcher par dessus bord, volontairement.
Soheila vient d’alourdir ses pensées les plus obscures, rajouter des émotions qu’elle a tenté de mettre de côté depuis des jours pour ne pas sombrer. Pourquoi elle ne peut pas juste retourner à sa vie, loin d’elle, loin de son monde ? La mâchoire se crispe, les membres ne bougeant pas d’un millimètre alors que le serveur se précipite pour nettoyer. Le regard ancré dans celui de Soheila, Freya essaie de faire preuve d’une chose qu’elle n’a pas faite depuis le début : la retenue. Parce qu’elle n’a pas envie de s’effondrer, elle n’a envie de se montrer en spectacle. Ni à son interlocutrice ni au monde entier.

« Ouais, j’ai compris, j’ai pas à vous juger. Mais ça va dans les deux sens. Votre fric, j’peux vous l’rendre, j’le trouverai ailleurs. » Elle déglutit avant de croiser les bras sur la table, tentant de garder bonne figure, malgré les traits qui veulent juste la laisser tomber et échapper à son contrôle. « J’suis qu’une pauvre gamine des rues. J’ai pas besoin qu’une inconnue me dise quoi changer. J’suis pas Robin des Bois, j’essaie juste faire du mieux avec c’que j’peux. J’ai pas besoin de vos regrets à la con. Ce job, j’en ai rien à foutre. Demain, j’serai ailleurs. Ou morte, dans le meilleur des cas. J’sais pas, et j’m’en contrefous. » Les plans sur la comète, Freya n’a jamais su faire. Vivre au jour le jour lui a toujours semblé plus judicieux. « J’suis assise encore là parce que j’ai voulu savoir le but de cette conversation. Mais visiblement, on arrive face à un mur parce que j’comprends toujours rien. » La jeune femme finit par rassembler ses affaires dans son sac, espérant pouvoir masquer le tremblement de ses doigts. Si cela s’apparente à une fuite, la vérité n’est donc pas loin. Fuir cette femme qui semble bien trop lire en elle tout en lisant le mauvais texte. Doherty lui a donné une chance d’explication, d’un sens à ses propos mais rien n’y fait.
Son interlocutrice lui paraît plus agacée, moins patiente. Chose que Freya a noté par les propos qu’elle a pu tenir. Manque d’empathie, manque de compassion, mais de qui ? Dans une autre vie, ou dans d’autres circonstances, Freya lui aurait demandé la permission de la dessiner. Une aura splendide tout étant mélancolique résonne autour de Soheila. Mais elle vient d’être pourrie par des paroles acerbes et un regard, un fichu et magnifique regard qui n’en finit pas de la scruter.

« Si vous avez plus rien à dire, j’propose qu’on arrête les frais maintenant. »
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyJeu 8 Aoû 2019 - 20:47

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Briser un schéma n’avait jamais rien de facile. Il était plus aisé de le suivre machinalement, de le reproduire, de l’accepter et d’éviter ainsi toute surprise, toute conséquence inattendue. Le schéma avait été simple à repérer, ici, simple à assimiler. La jeune femme avait vu une occasion de gagner sa soirée, l’avait saisie. Je m’en étais rendue compte, j’aurais pu l’ignorer ou me plaindre auprès de ses responsables. Tout ceci était très simple, n’est-ce pas ? Mais je l’avais brisé, ce schéma, et venais de m’engouffrer dans un autre, un que je n’avais pas prévu, un sur lequel je semblais perdre contrôle et rien ne m’agaçait plus que cela. Je n’étais pas supposée perdre patience, encore moins la laisser s’en apercevoir puisqu’elle n’était pas fautive mais je savais déjà qu’il était trop tard et que j’avais failli. Ma main vint emmêler mes cheveux sans y penser. J’étais fatiguée. Constamment. Depuis presque deux ans à présent. Plus de répit. Je me surprenais à dire que c’était sans doute ce qui me faisait perdre contrôle, de plus en plus, mon impassibilité. Cela me paraissait une bonne raison et j’en cherchais une. Je me surprenais à faire des efforts surhumains pour suivre une conversation quelques fois. Lorsque souvent, je ne souhaitais plus que pouvoir me taire. L’ironie, douce et cruelle, ne m’échappait pas. Ne m’étais-je pas tue suffisamment longtemps ? Mais ce que je n’arrivais plus à me cacher à moi-même, je le cachais également de moins en moins bien aux autres. Et je craignais que Freya Doherty n’en fasse les frais. Le serveur apparut de nouveau au-dessus de nos ombres, discret, posant tout aussi furtivement un verre rempli devant moi, assuré de faire son travail convenablement. Je n’eus pas le temps de le remercier. Je n’eus pas le temps d’esquisser un geste à vrai dire. Je laissai mon regard s’échapper sur la main fébrile avec laquelle elle s’en empara, vassale et contrainte, comme si elle répondait à une exigence plus grande qu’elle-même. Et cette dernière lui dictait de l’avaler, de le faire disparaître plus rapidement qu’il m’eut été donner de temps pour ciller lentement. Sa poigne autour du verre semblait fragile et brutale à la fois, menaçant de le briser, et elle finit par s’en charger elle-même, en effet, lâchant le verre au sol pour enterrer notre cas.

Je ne manifestais aucune marque de surprise, cette fois-ci. Ne cillais qu’une fois l’homme se hâtant à nos pieds pour faire disparaître les dégâts, m’excusant d’un geste de main modéré, prête à venir l’aider car il s’agissait des miens après tout, de dégâts. Mais j’en fus dissuadée, par lui, puis par Freya qui reprit la parole. « Ouais, j’ai compris, j’ai pas à vous juger. Mais ça va dans les deux sens. Votre fric, j’peux vous l’rendre, j’le trouverai ailleurs. » Je fronçais les sourcils dans un réflexe non retenu, une nouvelle fois. Peut-être était-il temps de faire les choses autrement, pourtant. Que je retienne mon instinct de répondre aux attaques toujours, si cela ne servait pas ce que j’avais voulu lui faire comprendre. Et cela ne nous servait pas, en effet, si elle pensait que je la jugeais. « J’suis qu’une pauvre gamine des rues. J’ai pas besoin qu’une inconnue me dise quoi changer. J’suis pas Robin des Bois, j’essaie juste faire du mieux avec c’que j’peux. J’ai pas besoin de vos regrets à la con. Ce job, j’en ai rien à foutre. Demain, j’serai ailleurs. Ou morte, dans le meilleur des cas. J’sais pas, et j’m’en contrefous. » Il y avait de la sincérité, enfin, une douloureuse sincérité laissant place à de trop nombreuses faiblesses, de trop nombreuses tentatives de les cacher, de les éteindre. Elle ne devrait pas. Je devrais le lui dire, si seulement je n'avais pas cette fâcheuse manie de faire de même. J'avais tout de même fini par saisir que l'effet recherché était ainsi gâché, que nos tentatives de dissimulations donnaient de l’amplitude, au contraire, comme une vague qui n’en finissait pas de se nourrir en approchant de la rive. « J’suis assise encore là parce que j’ai voulu savoir le but de cette conversation. Mais visiblement, on arrive face à un mur parce que j’comprends toujours rien. » Bien entendu qu’elle ne comprenait pas. Parce que je n’avais jamais été expansive mais que j’aimais à penser que mon goût de l’autre, mon inclination vers l’autre s’exprimait d’elle-même. Mais j’étais forcée de constater que les derniers évènements avaient fait naitre en moi une nouvelle capacité, celle de filtrer, de ne rien laisser glisser entre moi et mon enveloppe, ni la peine, ni les plaies, peut-être trop bien apparemment. Sans doute trop bien si je n’étais plus capable de me défaire de l’emprise de cette invisible armure pour approcher les autres, les amener à me faire confiance. C’était les relents de la culpabilité qui émergeaient à présent.

« Si vous avez plus rien à dire, j’propose qu’on arrête les frais maintenant. » il aurait été plus simple, en effet, d’arrêter là. Tellement plus simple de me contenter de ce qui nous avait défini jusqu’à présent, au lieu de vouloir faire le clair. Mais à la place, je reposais mes pieds à plat et laissai passer une seconde avant de reprendre. « Le but de cette conversation était de déceler en toi ce que j’avais cru voir, une jeune femme déterminée, qui s’empare de ce qu’elle veut et qui le fait la tête haute, sans s’en excuser. Une jeune femme qui cache peut-être autre chose mais qui avait déjà mon respect. » Je laissais mon regard s’évader sur son visage, et je me doutais qu’elle n’avait pas aimé cela jusqu’à présent, me laisser voir ses traits marqués par la rancœur et l’amertume mais ce n’était pas ce que j’observais, ce n’était pas ce que mon regard, le mien, disait. Je voyais une jeune femme qui, sans doute ne me croirait-elle pas si je venais à le lui dire, était la seule entité vivante à cette table, cruellement vivante. Une jeune femme qui relevait le menton pour chercher la dignité qu’elle pensait avoir égaré, inconsciente que ce n’était pas le cas. « Je voulais savoir si j’avais eu raison de penser comme ça. S’il y avait quelque chose que je pouvais faire pour toi, autre que de te laisser t’en sortir sans rien dire. » Car j’étais une femme de science qui se laissait porter par son instinct autant que par les faits lorsqu’il s’agissait des individus. Les faits, les symptômes, se limitaient à son vol, son détachement suivi de son agressivité. Mais les symptômes étaient des données, des signes que l’on pouvait retrouver, identiques partout, et qui ne prenaient sens et formaient un tout qu’une fois rattachés au patient, à l’individu. Je ne m’attardais que rarement sur le récit du patient lui-même, il y avait trop d’incertitudes, de subjectivité, de mensonges parfois pour m’y fier sans le remettre en cause. J’inventais de nouvelles manières de le lire, de l’écrire, de le reformer, de le combiner avec le quotidien, les non-dits. Ma méthode fonctionnait, toujours, lorsque cela concernait mes diagnostics médicaux. Souvent, en-dehors de ma vie professionnelle, avec les individus passant dans ma vie, s’y attardant ou non. Ce n’était pas commun, ce n’était peut-être pas sain non plus. Mais je ne pensais plus être capable de changer, ma déformation professionnelle avait fait son œuvre depuis bien trop d’années. Il était peut-être trop tard.

Je remettais en doute les opinions du corps médical et les théories scientifiques, comme j’avais remis en doute son seul statut de croupière à la main leste pour quelques billets volés. Je remettais en doute mes propres positions et mes propres diagnostics, comme j’avais remis en doute mon agacement passager envers la jeune femme, l’impatience qui s’était manifestée malgré moi, si cela me permettait, à la fin, de me retrouver en face d’un système irréfutable. Et rien ne me paraissait irréfutable chez Freya. Il y avait trop de dissimulation. Et si elle venait de me laisser apercevoir une nouvelle facette, je pressentais qu’elle en cachait une infinité d’autres. L’instinct. Pas les faits. « Alors j’attendais que tu me dises. N’importe quoi d’autre que des jugements ou des mots bien pensés. Et tu l’as fait. » Elle allait partir, avait déjà ramassé ses affaires. Je glissai ma main dans mon sac et en ressortis une carte à mon nom, une carte sur laquelle mes coordonnées s’épanchaient aux côtés du sigle de ma fondation. « Je ne suis pas celle que tu penses et crois-moi, je sais que tout ça ne m’aide pas à te le faire comprendre non plus. » Le même geste que plus tôt pour le désigner, ce tout ça, mais à mon encontre cette fois-ci. Balle au centre. « Mais si j’y suis parvenue, même un peu, et que tu penses à quelque chose dont tu ne te contrefous pas … » Je reprenais son expression, un sourire naissant aux lèvres, un sourire dénué d’ironie cette fois, un sourire, que je fus soulagée de retrouver, même léger car sincère. « J'espère que tu n'hésiteras pas à l’utiliser. » conclus-je en glissant la carte sur la table d'un doigt, vers elle.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptySam 10 Aoû 2019 - 5:08


« Le but de cette conversation était de déceler en toi ce que j’avais cru voir, une jeune femme déterminée, qui s’empare de ce qu’elle veut et qui le fait la tête haute, sans s’en excuser. Une jeune femme qui cache peut-être autre chose mais qui avait déjà mon respect. » Freya sent ses membres s’engourdir. Peut-être même qu’elle doit se sentir dépassée par ces mots que Soheila prononce d’une façon honnête et droite. Il n’y a pas une trace de malice, pas un soupçon d’excuse dans ce qu’elle dit. Elle doit alors penser ses propos et Freya ne sait pas quoi faire de cette information. Elle n’a pas l’habitude qu’on vienne la tempérer comme ça, qu’on veuille gratter à la surface de la sorte, qu’on essaie de la lire alors qu’elle n’est qu’un ramassis de mots incohérents et désordonnés. Soheila est totalement différente d’elle, est-ce que c’est ça qui l’a attiré vers elle ?
De voir quelqu’un à son opposé de son reflet, de sentir qu’il y a d’autres personnes avec d’autres personnalités ? Peut-être qu’il y a un goût d’un exotisme douteux derrière cette apparence calme et disciplinée. Telle une grande duchesse qui s’en va se mêler au peuple pour apprendre, observer, prendre note. Freya ne veut pas être un objet de synthèse. Elle ne veut pas qu’on la prenne elle et sa maladie comme un objet de foire. Après tout, si Soheila a su où la trouver, qu’est-ce qu’il lui dit qu’elle n’est pas au courant de son dysfonctionnement mental ? Trop d’incohérence, trop de questions, trop de choses inexplicables.

Et pourtant, Freya reste plantée là, à la regarder de ses yeux bruns sans équivoque, parce que Soheila est magnétique et qu’elle ne peut pas s’empêcher de vouloir l’entendre aller au bout de sa pensée. « Je voulais savoir si j’avais eu raison de penser comme ça. S’il y avait quelque chose que je pouvais faire pour toi, autre que de te laisser t’en sortir sans rien dire. Alors j’attendais que tu me dises. N’importe quoi d’autre que des jugements ou des mots bien pensés. Et tu l’as fait. Je ne suis pas celle que tu penses et crois-moi, je sais que tout ça ne m’aide pas à te le faire comprendre non plus. » Freya se redresse le menton. C’est ça, garde ta contenance, essaie de rester droite, ne pas faillir ni montrer que ça t’atteint. Même si tu viens déjà de lui faire une scène, même si déjà tu as déjà brisé ton mur de glace devant elle. Tu ne veux pas en rajouter, tu ne veux pas qu’elle voit que t’es troublée et que ça t’agace, non, ça te touche. Une inconnue que t’as volé, pillé sans aucun scrupule, qui prend le temps de te retrouver et qui vient visiblement de te proposer – de quoi, d’ailleurs ? De l’aide ? Une main tendue, un moment de répit, la promesse qu’on veille sur elle malgré tout ? C’est étrange, tu n’y crois pas, elle n’est pas réelle. Fruit de ton imagination et pourtant, Soheila qui cherche quelque chose dans son sac, qui sort ce qui ressemble à une carte et qui te la glisse sur la table, c’est bien réel.

« Mais si j’y suis parvenue, même un peu, et que tu penses à quelque chose dont tu ne te contrefous pas … J'espère que tu n'hésiteras pas à l’utiliser. » Doherty essaie de rester stoïque mais c’est difficile. Elle se retient pour ne pas prendre ses jambes à son cou, pour ne pas prendre la poudre d’escampette et espérer ne jamais la revoir. Elle ne veut pas montrer son intérêt soudain pour cette carte et pourtant, son regard s’y pose malgré elle. Trahie par son propre corps, qui ne répond toujours que spontanément, sans réflexion ni à priori. Et la frustrer encore plus, sa main la prend, cette fichue carte pour la lever vers des yeux curieux, toujours hors de portée de son jugement.

« La Hodge Fondation, hein ? » Peut-être qu’une recherche sur internet suffira pour étouffer ses doutes et noyer ses préjugés. Une bienfaitrice, une médecin, un ange gardien ? Ou Soheila souhaite juste se donner bonne conscience via sa petite personne ? Freya ne peut pas s’empêcher d’y penser, d’avoir cette petite voix pleine d’amertume et de soupçon dans le fond de sa tête. « Je… Je comprends toujours pas c’que vous cherchez. J’ai rien d’spécial. Bordel, j’vous ai volé du fric ! » C’est ça, gamine, crie le encore plus fort, les tables voisines ne t’ont pas bien entendu. Elle passe la main dans ses cheveux, complètement paumée. « Vous devriez courir chez les flics pas… Pas m’proposer votre aide. Ou est-ce que c’est d’la pitié ? Parce que si c’est ça, si vous m'voyez comme un pauvre chaton des rues qu'a besoin d'aide, j’en veux pas. » Freya secoue catégoriquement la tête. Elle réagit très mal à la pitié, à la compassion et tous ces gestes de charité qui la font sentir encore plus misérable qu’elle ne l’est déjà.

Même si dans le fond, elle finit toujours par s'agripper aux mains tendues, quitte à s'en briser la nuque un moment ou un autre.

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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMar 13 Aoû 2019 - 7:35

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Quelque chose la retenait. Cela prenait du temps et je voyais qu’elle tentait de s’en défaire. Elle semblait vouloir se reclure, trop effarouchée par le souvenir de blessures que je ne lui avais pas infligées, que ne pouvais sans doute pas effleurer et je n’en avais pas envie. Elles lui appartenaient. Je ne désirais rien lui prendre, rien lui voler. Mais elle était là, toujours. Je la laissais se saisir de ma carte avec méfiance, son regard toujours aussi fermé, son air un peu plus vulnérable à force de vouloir le cacher, mais elle était là. « La Hodge Fondation, hein ? » Je laissais échapper un sourire, un peu flegmatique sans doute mais qui ne lui était en rien dédié. Il apparaissait à présent lorsque l’on me rappelait que la fondation portait mon nom, que c’était mon nom qui la représentait et que je n’avais pas pu partir depuis de trop longs mois pourtant. Je me concentrais sur Freya et haussai finalement les épaules. « Apparemment. » acquiesçai-je sobrement car c’était tout ce qui me venait, car elle n’avait pas besoin de mon approbation, ce dernier s’illustrait en lettre italiques sur le papier rigide qu’elle reposait devant elle. L’agacement s’estompait prudemment à mesure que le déroulé de notre échange semblait se rejouer dans son esprit épuisé mais il ne semblait pas faire sens, prenait son temps et continuait de figer ses traits défiants. « Je… Je comprends toujours pas c’que vous cherchez. J’ai rien d’spécial. Bordel, j’vous ai volé du fric ! » Je passai une main distraite dans mes cheveux pour les emmêler, ne commentant pas, consciente cependant qu’il s’agissait de la première fois qu’elle l’avouait aussi concrètement. Nous avions dépassé ce stade. Le simple fait qu’elle le reconnaisse ainsi, de vive voix, nous le prouvait mais elle semblait vouloir s’y rattacher. Sans doute parce que tout lui paraissait plus simple ainsi, plus compréhensible. Mais je ne lui accordais plus mon amusement déplacé ou mes remarques cinglantes dissimulées derrière les faux-semblants du début. Quant à elle, elle en avait également fini de m’attaquer comme de se défendre. Elle se forçait à retrouver une contenance, à s’exprimer lentement pour choisir ses mots, même si je pouvais imaginer ceux-ci se bousculer pourtant à la barrière de ses lèvres pour exiger une explication.

« Vous devriez courir chez les flics pas… Pas m’proposer votre aide. Ou est-ce que c’est d’la pitié ? Parce que si c’est ça, si vous m'voyez comme un pauvre chaton des rues qu'a besoin d'aide, j’en veux pas. »  Je fronçais légèrement les sourcils et inclinai la tête simplement pour l’interroger spontanément. « Tu préfèrerais que les appelle ? Les flics. » Cette solution répondait à sa logique. Peut-être même avait-elle déjà dû y faire face, cela ne m’étonnerait pas, elle m’avait déjà prouvé son efficacité à pousser les gens dans leurs retranchements. Mais cette logique n’avait pas été la mienne, pas une seule fois depuis le vol en question. « Pourquoi est-ce que tu as l’air de trouver cette option à ce point préférable ? » Je comprenais que cela la déstabilise. Les vols étaient à dénoncer. Les gamines des rues, puisque c’était ainsi qu’elle s’était décrite, le niaient avec impudence et provocation. Et les autres tels que moi bardés de cet argent qu’elle méprisait autant étaient trop inconscients pour s’en rendre compte, n’hésitant tout de même pas à protester à cor et à cri pour se donner bonne figure s’ils venaient, par accident, à le réaliser. Une seule et même représentation du monde dans lequel nous vivions, c’est ce à quoi nous nous rattachions tous pour ramener de l’ordre au chaos. Et que se passait-il lorsque cet ordre était bousculé ? De l’authenticité, sans doute, qui parvenait à s’infiltrer. Je croisai finalement mes bras sur la table qui nous séparait malgré la distance que j’essayais d’amenuiser. Le scepticisme soufflait dans son esprit et ébranlait ses réflexions. Je savais que j’étais maintenant supposée dire quelque chose, mais qu’étais-je censée trouver pour faire taire ses doutes lorsque ma seule tactique avait toujours été de provoquer les miens pour les annihiler ? Je n’avais jamais eu pitié de personne, et si elle se décrivait avec sarcasme comme un chaton des rues abandonné à son sort, ce n’était pas comme cela que je la percevais.

Des existences détruites, des avenirs anéantis, des êtres ayant véritablement besoin d’une aide extérieure, je n’avais pas fait qu’en être témoin, je les avais côtoyés toute ma vie, m’étais mêlée à leur quotidien sans ne jamais rien ressentir d’autre qu’une profonde admiration et une humilité sans pareil face à la dignité dont ils se revêtaient. Mais elle ne faisait pas partie de ceux-là, malgré toute l’amertume qu’elle semblait s’inspirer. Et de la pitié, je m’en détournais, en avais horreur. Cela ne servait en revanche à rien de le lui signifier à l’aide d’exemples. Il s’agissait de quelque chose qu’elle ne pourrait que deviner si elle venait à s’en laisser l’occasion. « De l’aide, de la compagnie, une personne à qui parler. Ou ne pas parler. Si tu veux ramener tout ça à de la pitié, c’est ton choix. » me contentai-je de lui signifier simplement. « Ce serait dommage parce que je n’en ressens pas la moindre et que je pensais avoir été claire sur ce point. Mais ce serait ton choix. Le mien, je l’ai déjà fait. » Et ce sourire allant vers elle, toujours, dont je ne m’étais pas défaite. Je l’avais abordée frontalement, l’avais mise face à ses actions et ses incohérences lorsqu’elle avait tenté de s’en acquitter, je l’avais poussée à un tel point que je m’en étais voulue, ensuite, mais que cela avait été nécessaire. Car elle n’avait pas à s’en agacer, à en avoir honte. Sa carapace s’était fissurée, certes, mais elle ne perdait pas la face, elle en révélait une nouvelle, une que j’avais imaginée, que j’avais souhaité confirmer. Les craquelures laissaient passer bien plus que de supposées faiblesses auxquelles elle se raccrochait, grâce auxquelles elle tenait à se définir auprès de moi. Elles laissaient également entre la lumière, la sienne qui lui était propre. Et elle ne s’en rendait même pas compte. Rien de ce qui s’était passé ici n’avait suggéré une quelconque pitié à son égard, un quelconque désir de la déconsidérer, de ne pas la croire à la hauteur pour me répondre, me renvoyer ailleurs, chose qu’elle avait faite. Mais les apparences continuaient de faire leur œuvre et il n’était pas aisé de s’en départir. À mon tour à présent de glisser la main dans mon sac à la recherche de mon portefeuille dont je tirai un billet pour la consommation, celle qui gisait à nos pieds quelques instants plus tôt.  Elle pouvait s’éloigner à présent, si elle le désirait tant que cela, elle pouvait entendre les élans de son corps qu’elle n’arrivait plus à contenir. Je ne cherchais pas à la piéger, à la diminuer, espérant, simplement, que les prémisses de confessions qui avaient eu lieu serviraient à autre chose que d’alimenter des rancœurs qui n’avaient pas d'armatures.
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyDim 18 Aoû 2019 - 11:02


« Apparemment. » Evidemment, Freya, comment peux-tu être aussi conne ? Elle se sent ridicule, la gamine, face à Soheila Hodge. Leurs mondes fonctionnent en parallèle, ils tournent sur eux mêmes sans avoir intérêt à se frôler, à se toucher, parce que sinon, ils exploseraient en mille morceaux. A vrai dire, Freya a déjà créé la brèche quelques jours plus tôt, en glissant une main indécente dans le sac de Soheila. Sans aucune retenue, sans aucune seconde pensée. Non parce que c’est naturel, parce que ça vient comme ça et parce que pourquoi pas ? Si Soheila a de quoi perdre son argent pour des jeux idiots, elle ne verra rien de mal à ce que ses billets colorés profitent à quelqu’un d’autre qu’un patron véreux qui les paie ses employés une misère.
Mais Soheila a sauté dans la brèche et fait toucher leurs univers de façon un peu trop proche. Celui de Freya s’en retrouve chamboulé. Ce n’était pas prévu. Ce n’était pas ce qui arrive, en général. Les gens ne disent généralement rien, ils laissent couler parce qu’il ne faut pas que leur réputation en prenne un coup. Mais comment Doherty aurait pu se douter que quelqu’un aurait remué ciel et terre pour prendre la peine de la retrouver ? Et en plus pour juste une banale conversation autour d’un café et d’un verre de vin. Elle ne comprend pas pourquoi Soheila s’est donnée autant de mal pour si peu. Ce n’est pas cohérent, ça n’a pas de sens.

Ses yeux bruns suivent la main de la métissé qui se perd dans ses cheveux. Un tic, un signe qu’elle n’en pense pas moins. Ses lèvres restent scellées alors que la blonde s’attendait à un sourire de victoire face à une reconnaissance des faits en bonne et due forme, spontanée et sans réfléchir. Mais Soheila n’en fit rien. Elle reste stoïque, sa main dans les cheveux, ses oreilles accrochées à ses paroles et les sourcils qui se froncent alors que la blonde continue à cracher ses mots. « Tu préfèrerais que les appelle ? Les flics. » Les épaules à cran, sa tête rentrée, Freya finit par les détendre. Surprise par cette question. Pourquoi ? Elle ne devrait pas. Ce n’est pas ce que tu veux ? C’est ridicule. Evidemment que non elle ne veut pas. Même si c’est illogique. Même si ça n’a pas de sens.
« Pourquoi est-ce que tu as l’air de trouver cette option à ce point préférable ? » Freya finit par regarder d’un œil perdu autour d’elle. Tu penses vraiment que le monde extérieur va réussir à t’aider ? Tu le sais bien, tu es seule et tu le resteras. Arrête d’essayer de prendre la fuite à chaque fois. La figure de la vérité, des conséquences de tes actions est devant toi. Tu n’as pas à avoir honte. Lève le menton et sois presque fière. Même si la fierté, ça fait longtemps que tu l’as bouffé et que tu as laissé les limbes de ta caverne l’emmener loin de toi. « C’est c’que je mériterai. » Freya passe une main sur ses yeux fatigués, les mots sortant presque comme un soupir, un murmure las. Elle est sûrement aussi mauvaise graine que son géniteur. Après tout, ne dit-on pas que la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre ?
Elle a toujours cette part d’ombre en elle, ce truc typiquement Doherty, qui manque de la faire flancher du mauvais côté. Elle a toujours eu cette peur de tanguer de l’autre côté de ce bord, une frousse panique de devenir son père.

« De l’aide, de la compagnie, une personne à qui parler. Ou ne pas parler. Si tu veux ramener tout ça à de la pitié, c’est ton choix. Ce serait dommage parce que je n’en ressens pas la moindre et que je pensais avoir été claire sur ce point. Mais ce serait ton choix. Le mien, je l’ai déjà fait. »
Freya semble halluciner. Qu’elle a vu les lèvres de Soheila bouger mais que les mots qui en sont sortis ne ressemblent en rien à ceux qu’elle a entendu. Elle ravale sa bille avec difficulté tout en se massant le menton, comme si elle venait de se prendre un coup dans la figure. Cette pitié – non, Soheila lui affirme que ce n’est pas ça. Une nouvelle fois, t’as faux, t’as tord. Tu ne captes pas ce qu’on te dit, tu essaies mais tu n’y arrives pas. Elle soupire. Elle s’impatiente intérieurement parce qu’elle a l’impression d’être sotte, d’être débile, d’être plus bas que terre. Elle s’énerve contre elle même de ne pas avoir la diction ni l’esprit d’une Soheila Hodge. Elle n’a pas sa présence, ni son aura et encore moins sa maîtrise des mots ou, mieux, de ses émotions. Même si elle se montre moins patiente, plus contrariée.

Elles n’auraient jamais dû se rencontrer. Elles n’auraient jamais dû se retrouver face à face. Le destin, le karma, l’univers, appelle ça comme tu veux, possède une bien drôle de façon de retourner certaines situations sans qu’on s’y attend. « Je- Vous voulez que j’vous parle ? Après la conversation désastreuse qu’on vient d’avoir, vous voulez… » Soupir, nouvelle main dans les cheveux, l’envie d’être happée par le plancher. « Vous êtes bizarre, Soheila Hodge. J’sais pas ce qui vous pousse à être comme… ça, elle fait à son tour le geste de la main entourant la personne assise. Les gens sont pas aussi…. J’sais pas comment on dit, et c’est frustrant, de ne pas posséder les mots justes, sympa ? Bon ? Désintéressé ? ‘Fin, vous comprenez l’idée. » Elle espère, il n’y a plus que ça à faire. Vous ne prenez pas le téléphone, vous ne contactez pas les personnes compétentes pour récupérer ce qui est vôtre.

« Je- J’dois y aller. Du coup… » Elle regarde autour d’elle en se dandinant sur ses deux pieds. « Euh, à la prochaine ? Peut-être ? » Les contacts humains, les conversations avec autrui relèvent parfois de l’exploit. Freya se masse le front. Est-ce qu’elle vient d’avouer à demi mots qu’elle allait la recontacter ? Non, ce n’est pas une promesse, pas de signature sur un papier. Freya fait tourner la carte entre ses mains.

« Bye. » Voilà comment clôturer une scène d’un chapitre étrange. Bien joué, Freya. Elle finit par tourner les talons et s’évaporer dans la foule. La carte toujours entre les mains, tournée de façon manuelle et absente entre des doigts presque tremblants.

Est-ce qu’elle allait la garder ou la jeter dans la première poubelle qu’elle trouvera ?
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Message(#)apologies are a good way to have the last word. (freya) EmptyMer 21 Aoû 2019 - 21:43

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« C’est c’que je mériterai. » Elle le pensait, cela se voyait. Cela m’arracha presque un froncement de sourcils contrarié. Que faire du mérite auquel on ne croyait pas ? Il y avait bien longtemps que je ne croyais plus en lui, en cette soi-disant justice qui n’avait de juste que le nom. Que méritait-elle ? Que je me sois laissée porter par mes humeurs passagères, par cette impression d’affront qui s'était pourtant dissipée presque aussitôt contrairement aux conséquences, beaucoup plus durables, que cela était capable d'avoir pour la jeune femme ? Je restais persuadée que les erreurs ne se morfondaient dans leur état que lorsque nous décidions qu’elles ne pouvaient plus être rectifiées. Et c’est ce que nous faisions, à présent. Nous étions en train de la retoucher, de la remanier et elle ne s’en rendait pas compte. Nous ne nous laissions pas définir par une morale installée et qui n’aurait fait que nous piéger, chacune dans des rôles dans lesquels nous n’étions vraisemblablement pas à l’aise. Le mérite. Même si cela était quelque chose que j’avais voulu décider par moi-même, je ne pensais, de toute façon, pas avoir les compétences pour juger du sien ou de celui de qui que ce soit. « Je- Vous voulez que j’vous parle ? Après la conversation désastreuse qu’on vient d’avoir, vous voulez… » Son soupir exprima sans doute tout ce que j’avais pu ressentir également, avant de me décider à concrétiser mes recherches d’une rencontre en personne. « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit facile. » Je répondais comme si j'y accordais une importance non négligeable. Et peut-être que cela devait être le cas. Peut-être que nous aurions pu simplement décider d'en rester là, de rejoindre nos existences qu’elle semblait penser opposées en tous points, et peut-être l’étaient-elles mais cela ne nous indiquait en rien les personnes que nous étions. Cela aurait fait une drôle d’histoire à raconter, une rencontre surprenante, nous ayant emmenées hors des sentiers battus le temps d’une petite heure. Cela aurait sûrement été rassurant, oui, et prudent, mais cela ne m’aurait pas suffi. La prudence m’effrayait. La prudence m’étouffait. « Mais je trouve que c’était un bon début, pour ma part. Et avec une fin ouverte en plus de cela. » commentai-je avec un léger sourire, et un ton plus amusé qu'autre chose car il n'y avait plus que cela pour désamorcer la grenade qu'elle persistait à penser avoir entre ses mains. Il y avait eu des heurts, il y avait eu des mésententes, des idées préconçues, des œillères que nous étions finalement en train d’écarter, même un peu, pour nous entendre, pour nous écouter. C’était un effort que je n’étais pas prête à qualifier de désastreux.

« Vous êtes bizarre, Soheila Hodge. J’sais pas ce qui vous pousse à être comme… ça. » Ses paroles pouvaient être plus dures à entendre qu’elle ne semblait le croire. Car je ne savais plus réellement ce que ce ça englobait aujourd’hui. Elles s’échappèrent pourtant d’entre ses lèvres avec une résignation presque paisible, d’un visage comme transfiguré car elle lâchait du lest et que ce n’était pas commun de sa part, je le devinais. Je venais d’être témoin, après tout, de l’un de ses emportements qu’elle n’était plus parvenue à refouler, le laissant éclater comme un ancien volcan réveillé de son sommeil vieux de plusieurs années. Ça. « Les gens sont pas aussi…. J’sais pas comment on dit … sympa ? Bon ? Désintéressé ? ‘Fin, vous comprenez l’idée. » Ah, ça. Les qualificatifs vinrent résonner entre nous deux avec une légèreté presque factice car ses mots ne témoignaient en rien de ce que je ressentais depuis de trop nombreux mois, années me forçais-je même à me rappeler. Mais je ne pouvais que laisser passer. Rien n’était aisé lorsqu’il s’agissait de comprendre ce que je ne voulais reconnaître, encore moins exprimer. Je laissais les illusions prendre le pas sur le réel car celui-ci était amer, à présent, et que son obscurité ne devait pas entacher celui de mon entourage, puisse-t-il même n’être que de passage. Je craignais de ne plus me retrouver, plus entièrement, plus à l’identique, forgée par une trop longue solitude qui remettait en question les mots même qu’elle venait d’employer. Je ne pus même pas hocher la tête, pour acquiescer. Oui, je comprends l’idée. Cela n’aurait eu aucun sens si je n’y croyais pas moi-même.

Mais elle s’agitait déjà, sautait sur l’occasion qui s’était profilée, se redressait sur ses deux pieds, chancelante et hésitante. « Je- J’dois y aller. Du coup… » Je laissais mon dos se reposer sur le dossier à nouveau pour lui faire face, réellement. « Bien sûr, je comprends. » Et ce n’était pas un mensonge, ce n’était pas par facilité. Je l’aurais compris dès la première seconde, toutes les autres n’avaient été que petites victoires. « Euh, à la prochaine ? Peut-être ? » Je souris sans y penser. Cela dépendait d’elle à présent. Je ne m’immiscerai pas de nouveau dans sa vie, dans son espace personnel, au-delà de toutes ces barrières qu’elle érigeait en défense et que je n’avais fait qu’entre-apercevoir entre deux morceaux de verre brisés à nos pieds. « Peut-être. » Deux mots pour ne plus la retenir. Deux mots pour lui permettre de s’exfiltrer. Deux mots qui ne demandaient pas de réponse. La gêne avait pris la place de la colère et je voulais qu’elle s’en aille, moi aussi, qu’elle y repense, qu’elle réalise qu’elle n’avait eu aucune raison de l’être, dans le fond, gênée. Qu’elle n’avait fait que succomber à un réflexe, un instinct que je pouvais comprendre car il était mien également, celui de sauver d’abord les apparences, ensuite le reste. Et que ce reste me semblait pourtant bien plus entier, bien plus profond. « Bye. » Elle emportait déjà cette allure qu’elle ne soupçonnait pas et la sagacité de ses expressions au sein de cette vie citadine dans laquelle elle s’empressait de se perdre de nouveau pour échapper à une nouvelle réponse de ma part. Cela m’allait. Elle avait pris ma carte. Je ne pouvais rien faire de plus que d’espérer qu’elle en fasse usage, si elle en ressentait le besoin. Je ne pouvais rien faire d’autre que laisser libre court, soudainement, à la tétanie qui ne demandait qu’à s’emparer de mes muscles anémiés, depuis plusieurs minutes déjà, les durcissant sous ma peau trop fine. Je la laissais s’exprimer car il n’y avait plus de témoin et elle crispa ma main droite sur le rebord de la table avec violence. Mes doigts tremblèrent un instant et je les emprisonnai dans ma paume sans plus de précaution, avec une sévérité que je ne me réservais qu’à moi-même. Je réprimai un soupir profond mais refusais d’y accorder l’once d’une pensée. Elle avait pris ma carte. Taire le reste, surmonter ce que je ne comprenais pas encore, pas totalement, avait porté ses fruits. Si elle décidait de dépasser l’appréhension. Si elle décidait d’accepter de ne pas toujours se laisser faire par notre envie de tirer des lignes droites, lorsque la vie s’acharnait pourtant à s’inscrire en courbes.
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