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 one day it's here and then it's gone (yasmine)

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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptySam 13 Juil 2019 - 13:57

one day it's here and then it's gone
Yasmine & Soheila





La voix masculine et impérieuse s’échappait de l’ampli du téléphone, posé au centre du bureau, sans marquer manifestement d’atténuation, réitérant des détails que nous venions de passer en revue. Je décidais de patienter quelques instants supplémentaires, me retenant de lui faire remarquer qu’il ne faisait qu’épuiser ces précieuses minutes dont il n’avait cessé de nous rappeler la valeur depuis le début de cette audioconférence. Autour de la table, les esprits s’étaient échauffés, les points de vue avaient fusé avant qu’Alan, à l’autre bout du fil, ne réussisse à accaparer la parole. Il semblait décidé, depuis, à ne plus la lâcher pour aller au bout de sa présentation. Je croisai le regard de mon homologue, Christopher, à l’autre bout de la table et compris, à son expression silencieuse, qu’il s’excusait presque de ce que j’entendais. Le ton cassant et expéditif d’Alan masquait mal un certain manque d’assurance : il s’efforçait de parler comme un responsable. Mais lui et moi savions faire la différence, il sonnait davantage comme un chef. Comment en était-il arrivé à cette position et ces responsabilités en un an d’absence était un mystère selon moi mais je n’avais rien à y redire, pour l’instant. Alan se moquait bien de connaître la réalité de nos interventions au-delà des frontières australiennes. La seule chose qui lui importait était de trouver des bénéficiaires, ces derniers étant les seuls pouvant ensuite permettre à la Fondation de recevoir des financements, de « faire tourner la machine caritative » comme il le disait. L’expression écorcha mes oreilles l’espace d’une seconde. Je fronçai les sourcils et me concentrais sur les mails que je faisais défiler à l’écran de mon ordinateur posé devant moi. Je siégeais à cette table aujourd’hui, en ma qualité de présidente du conseil d’administration, mais n’avais pas à y intervenir. Ce rôle m’avait été dérobé le temps du procès. C’était Christopher, secrétaire général, qui le présidait désormais, Christopher en qui j’avais placé mon entière confiance, qui m’avait remplacée le temps de mon incarcération et qui gardait ce rôle tant que je ne pouvais l’occuper. Et le fait que je ne portais pas Alan dans mon cœur ne dépendait pas de lui. Nous étions forcés, en outre, de constater que, malgré son manque de qualités humaines, ses prouesses professionnelles, elles, étaient bien réelles.

La voix de Christopher s’éleva enfin, couvrant celle d’Alan forcé alors de s’interrompre car son intervention n’était pas la dernière et que le temps touchait à sa fin. Il était tôt et nous étions pourtant là depuis deux heures, déjà. J’étais arrivée à l’aube, pour ma part, à l’heure où les raies de pluie fine commençaient à peine à se précipiter sur les vitres du hall d’entrée, où la ville s’éveillait et où j’avais pu observer pensivement le vendeur du square dérouler son auvent pour couvrir les quotidiens de ce jeudi matin. Deux heures déjà mais je regrettais pourtant les remous bruissant autour de la table et les conversations, jusque-là assourdies, qui s’élevaient enfin sans grande emphase au fur et à mesure que les fluctuations de voix de Christopher ralentissaient pour finalement s’estomper. Le conseil était terminé. Et avec, s’effaçaient déjà ces moments que je m’efforçais de regarder avec tant de confiance lorsque je restais occupée et concentrée, que je m’efforçais de croire capables de réparer le reste de lassitude. Tout ce qu’il en resterait bientôt, dans quelques heures, serait ce souvenir vague et incertain, inatteignable. Ce moment autonome que je m’efforcerais de recréer, de retrouver, au fil de la journée puisqu’une seule minute de solitude, une seule minute d’inaction suffisait à me faire douter de sa véritable existence, de sa possibilité. Je restais immobile en sentant les vibrations diffuses du sol se mouvoir sous les pas empressés de chacun rejoignant la sortie et je dépliai finalement mes jambes avec lenteur, rassemblant mes affaires à mon tour, de ces mouvements fluides et mesurés qui enveloppaient mes gestes. Christopher s’affairait à faire de même tandis que nous débriefions de la réunion.

Je m’emparai de mon café et portai mon gobelet à mes lèvres. La saveur âcre de l’expresso glissa sous ma langue et les caresses froides de mes cils humides sur mes joues me décidèrent à fermer mon ordinateur pour me lever. Mon regard s’échappa vers l’extérieur de la salle vitrée et ce fut cette jeune femme qu’il attrapa en premier. Les ondulations noires encadrant avec vigueur son visage éclairé retinrent mon attention mais ce fut l’éclat au fond de ses pupilles lorsque ces dernières croisèrent les miennes qui me fit suspendre mes gestes. Cela faisait un an et demi que je n’avais plus vu Yasmine mais un sourire se dessina sur mes lèvres, imperceptible et familier. J’inclinai légèrement la tête pour la saluer et lui adressai un signe de main discret, lui indiquant de deux doigts que je n’en avais plus que pour quelques secondes si elle le voulait bien. « Tu aurais une minute dans la journée ? » Je reportai mon attention sur Christopher et acquiesçai, « Il y deux-trois éléments que j’aimerais évoquer avec toi aussi. Début d’après-midi ? » Il confirma d’un sourire, s’échappant à son tour de la salle, son téléphone collé à l’oreille, et je repoussai ma chaise contre mon bureau. Le bruit de mes talons sonnant sur le parquet résonnait dans la pièce désormais vide. Nos regards s’étaient croisés et je l’avais saluée, souriant presque sans y penser car cela était sincère. Je ne pouvais cependant m’empêcher de me demander si je serais allée l’aborder si elle ne m’avait pas vue également et je m’en voulais pour cela. Peut-être me serais-je contentée de l’avoir aperçue, contentée de me dire qu’elle avait l’air d’aller bien pour passer à autre chose. C'était ce que je faisais aujourd'hui, à chaque fois que l'occasion m'était offerte. J’inspirai doucement et passais à mon tour la porte afin de la rejoindre. « Yasmine, je ne pensais pas te croiser ici. » Un sourire délicat vint se dessiner sur mes lèvres et je fus presque soulagée, soulagée de constater qu'il était sincère, vrai et que je n’avais pas à forcer le trait, malgré mes appréhensions. Le salut était familier également car nous l’étions, ou l’avions été, et que les hésitations déplacées me paraissaient plus difficiles à assumer que les souvenirs passés. « Tu étais sur le point de partir ? » Le couloir dans lequel nous nous trouvions me sembla soudainement silencieux, malgré les passages alentours, et seul l’écho de ma voix vint se casser sur les murs vibrants avec profondeur. Peut-être l'aurais-je laissée partir, en effet. Comme si je n’étais plus capable d’un échange normal, d’une approche amicale si celle-ci me rappelait trop d’où je revenais. Comme si tout était un risque à présent, un risque à la nostalgie qui me rebutait et susceptible d’aggraver, chez moi, la sensation du temps enfui et qui ne pouvait se reconquérir. Mais je ne l'avais pas fait.


Dernière édition par Soheila Hodge le Jeu 18 Juil 2019 - 10:45, édité 1 fois
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyMar 16 Juil 2019 - 16:20


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{one day it's here and then it's gone}
crédit/ (tumblr) ✰ w/ @soheila hodge

Yasmine ne dormait plus beaucoup. Certes, elle était parvenue à gérer ses insomnies avec l'aide précieuse de quelques pilules qu'elle continuait à passer sous silence, faisant croire à qui voulait bien l'entendre que le flacon qu'elle amenait toujours avec elle ne contenait rien de plus que des comprimés effervescents de vitamines C, elle n'avait pas retrouvé un rythme de sommeil comme on l'entendait pour autant. Sa période de grande fatigue était peut-être passée, les quelques fois où elle s'était réveillée en sursaut malgré la sécurité promise par son traitement contre l'insomnie lui rappelaient souvent qu'elle n'était pas tout à fait guérie. Ses cernes creusant des ombres subtiles sous ses grands yeux effilés faisaient partie d'elle désormais, ajoutant un petit quelque chose au regard chaleureux qu'on lui connaissait et qu'elle soulignait parfois d'un peu de liner pour appuyer ses origines orientales, déjà bien marquées. Elle s'y était faite finalement, à cette impression de passer plus de temps debout que couchée, et parce qu'elle n'avait pas trop le choix, elle avait fini par se ranger du côté des cyniques, ceux qui prétendaient que le sommeil était une perte de temps – mais en vérité, elle n'aurait pas dit non à 12 heures d'un sommeil réparateur, sans rêves ni cauchemars. Enfin, elle avait bien été obligée d'optimiser ses heures d'angoisses nocturnes – car c'était de ça dont il s'agissait en réalité –, alors quand elle n'était pas de garde à l'hôpital, elle occupait son temps. Yasmine lisait beaucoup depuis un certain temps, même si ce n'était que les manuels de médecine que Sloan lui avait gracieusement offerts lorsqu'ils avaient enfin cessé de prétendre qu'elle avait besoin de réviser, mettant un terme à leurs sessions de perfectionnement pour retourner à leur vie respective, même s'ils continuaient à partager un cornet de glace de temps en temps. Toutefois, elle prenait de plus en plus de plaisir à se laisser happer par les mots écrits par les autres, les préférant aux rayonnement désagréables des écrans avec lesquels elle n'était toujours pas très copine, au grand désespoir de Sohan. Mais curieusement, cette nuit-là, elle avait délaissé son nouveau passe-temps pour harponner son téléphone portable et vaquer à des rechercher sur la toile, que la mélodie qui s'échappait de ses écouteurs rendit un peu moins monotone. Concentrée, mais laissant un petit fredonnement s'échapper de ses lèvres de temps en temps, elle était allée dénicher les quelques articles qu'elle avait placé dans sa liste de lecture, et qui traitaient de l'incarcération de Soheila.
Sitôt qu'il avait été question qu'elle participe à la mission humanitaire organisée par la Hodge Fondation, Yasmine avait éprouvé beaucoup d'admiration pour la jeune femme. Leur proximité d'avant-mission avait été timide, mais lorsqu'elles s'étaient retrouvées toutes les deux sur le camp de Diffa, un lien particulier était né entre elles ; si bien qu'il avait été quasiment impossible pour l'infirmière de passer à côté de l'information concernant l'incarcération, puis le rapatriement, de Soheila. Elle n'avait pas vraiment tenté de la contacter, ayant pris connaissance du calvaire qu'elle avait dû subir dans une prison telle que celle qu'elle avait connue. De ce fait, préférant qu'elle fasse le premier pas plutôt que le contraire, elle était restée en retrait. Peut-être avait-elle eu un peu peur d'être confrontée aux dégâts engendrées par une telle expérience, et dans une certaine mesure, celle de ne plus réussir à se retrouver dans le regard de celle qui avait tant cru en elle à un moment donné… Yasmine ne savait pas vraiment. Faisant défiler les articles du bout de son index, elle consentit cependant à admettre que son raisonnement était stupide, et ne mettant pas bien longtemps à dénicher une excuse pour amortir les questions qu'on serait tenté de lui poser si elle osait se faufiler dans les locaux de La Fondation, elle décréta qu'il était temps qu'elle reprenne contacts avec Soheila.

C'est donc avec moins de trois heures de sommeil, et avant de partir pour une garde aussi longue que sa nuit blanche, qu'elle était prête à dégainer sa prétendue envie d'en savoir davantage sur les prochaines missions humanitaires de La Fondation – et avec un grand sourire en prime, évidemment. Elle se gara sur l'une des nombreux parking du quartier des affaires, puis coupant le moteur, elle se recoiffa succinctement, affrontant son reflet dans le miroir pour vérifier le bon maintien de sa couronne tressée. Elle hésita un instant, se disant qu'elle se montrait sans doute un peu trop intrusive, et fût à deux doigts de redémarrer sa Jeep, lorsqu'un souvenir se soumit à elle au bon moment ; sa première crise de panique, c'était Soheila qui avait su la calmer par ses mots et sa bienveillance, quand bien même Yasmine savait que ce ne serait pas la première qu'elle aurait à supporter tant la charge mentale qu'elle s'imposait était trop sévère, et que l'implication qu'elle mettait à s'occuper des enfants qui fréquentaient l'hôpital de fortune de Diffa dans lequel elle avait pris ses quartiers était sincère. Mais Soheila avait su la rassurer, et plus encore que les quelques interventions sur lesquelles elles avaient toutes les deux travaillées, son soutien à propos de son envie de reprendre ses études était resté gravé dans sa mémoire. Elle ne pourrait jamais se mettre à sa place, mais d'une certaine façon, elle était la plus à même de comprendre ce que Soheila pouvait ressentir depuis son retour – peut-être qu'elle aussi avait besoin qu'on la rassure en ce moment, aussi c'est en gardant cette idée en tête qu'elle se ranima soudain, emporta ses petites affaires, et rejoignit d'un bon pas l'entrée de La Fondation.

Son regard avait rencontré celui de Soheila après quelques longues minutes de déambulation, et quand elle l'accueillit d'un "Soheila, bonjour.", accompagné d'une accolade qu'elle fit durer en la serrant doucement dans ses bras, l'impression de retrouver une amie chère la fit sourire "Je suis pas revenue ici depuis un bout de temps, je me suis dit que c'était le moment." fit-elle, défaisant son étreinte, mais gardant ses mains délicates posées sur les épaules de la jeune femme "Non, je viens tout juste d'arriver. A vrai dire, j'espérais tomber sur toi." avoua-t-elle en toute franchise, se sommant d'enfin la lâcher, ce qu'elle fit avec autant de douceur que possible, et un autre sourire – légèrement nerveux, celui-ci. Sentant ses mains inoccupées, elle se raccrocha à la lanière de son sac qu'elle remonta sur son épaule, avant d'oser lui demander après une très courte hésitation "Comment tu te sens ?" Et progressivement, elle chercha son regard, le sondant avec le sien avec toute l'empathie dont elle était détentrice – mais aussi un peu d'appréhension.


Dernière édition par Yasmine Khadji le Lun 22 Juil 2019 - 9:34, édité 1 fois
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyJeu 18 Juil 2019 - 12:54

one day it's here and then it's gone





Je prenais le risque chaque jour en revenant entre ces murs, le risque d’être dévoilée, confondue, le risque que l’on se rende compte que je n’étais plus la même, plus totalement. Il s’agissait de ma fondation, après tout, certaines des personnes ici étaient présentes depuis le premier jour, plus de dix ans à présent, les autres, je les avais vus arriver, chacun, tous. J’avais craint que cet étrange silence qui s’était emparé de moi et m’avait fait perdre la vivacité de mon sourire se répande et se voit à l’œil nu. Que cette impression qui régnait en moi, celle que tout était désormais inhabité, à leur place, certes, comme à l’ordinaire, mais davantage froides et pesantes n’était pas qu’une impression et que tout le monde s’en rendrait compte. Mais je donnais le change, comme je le pouvais, me rattachant avec fougue, et pour la première fois, à cette idée de représentation que mon père avait su m’inculquer. Cette représentation en société qui exigeait une part de conscience et de bonne tenue. Et cela semblait fonctionner car tout le monde le savait, c’est le plumage qui fait l’oiseau. Les gens semblaient ainsi persuadés, dans le fond, de tout savoir, d’être conscient et alerté de ce qu’il m’était arrivé avec précision au travers des médias. Et je ne cherchais pas à les en dissuader, jamais. Mais Yasmine était face à moi désormais et je devinais déjà que le plumage ne suffirait pas car j’avais été attentive à être vraie avec elle, car la mission que nous avions partagé avait ensuit suffi pour que nous nous connaissions réellement. « Soheila, bonjour. » Ses mains fraiches et délicates vinrent se poser sur mes omoplates tandis que la douceur de sa voix me glissait comme un indice qu’elle ne m’en voulait pas, qu’elle ne me tenait pas rigueur de mon silence comme seule réponse à son attention à mon retour. Elle trouvait cela peut-être normal, sans doute compréhensible mais je ne pouvais qu’apprécier ayant déjà été confrontée à des reproches voilés, sous couvert de plaisanterie, de la part de quelques autres. « Je suis pas revenue ici depuis un bout de temps, je me suis dit que c'était le moment. » Je hochai la tête sans y penser tandis que nous nous éloignions. Je pouvais le comprendre. Les bureaux de la Fondation étaient l’un des premiers endroits dans lesquels j’avais été capable de remettre les pieds après mon retour, si je mettais de côté mon studio de danse et mon domicile, bien entendu. Sans doute avait-ce été une nécessité, pour me persuader que j’en étais encore capable, que l’expérience dont je revenais ne m’avait pas enlevé ma confiance en ce que j’avais créé et réaliser, qu’en mon absence, le travail avait continué car il le devait.

Je plissai les yeux imperceptiblement en sa direction car je me rendais compte que j’ignorais tout des ressentis de Yasmine depuis son retour du Niger. Si tout avait été normal, j’aurais été là pour elle, pour cette équipe que j’avais vu naître, grandir puis devenir indépendante et performante. Mais rien ne s’était passé comme je l’avais prévu. « Non, je viens tout juste d'arriver. A vrai dire, j'espérais tomber sur toi. » Sa confession me surprit, je ne pouvais le nier, mais je tâchai de rester impassible sur l’instant et inclinai la tête légèrement car je voyais qu’elle cherchait ses mots et que je m’y préparais. « Comment tu te sens ? » demanda-t-elle enfin et un sourire doux vint errer sur mes lèvres car j’avais dû faire face à cette question de nombreuses fois déjà mais qu’il y avait dans son regard un tel mélange de tendresse et de douleur, une étincelle propre à ceux qui vivaient la vie avec infiniment plus d’acuité que les autres que je croyais en sa sincérité cette fois. Restait cette question à laquelle je ne savais plus répondre. Cette question me rappelait l’usure, l’impatience, l’épuisement et la rage qui s’étaient emparés de moi, insidieusement au cours des douze mois passés en territoire chinois et s’étaient mis à altérer mes réserves. Je désespérais de constater, que même rentrée, cela semblait être permanent désormais. Je ne les avais jamais crues inépuisables, non, mais elles n’avaient jamais été supposées capables de s’amoindrir avec mes proches, ma fille, incontestablement, mais également les autres. Rien d’autre n’était venu en complément de ces défauts. Il fallait croire que je n’en avais pas déjà suffisamment. Rien d’autre n’avait su en découler, et je me demandais si Yasmine était disposée à l’accepter. Cette jeune femme que j’estimais plus que je n’avais sans doute su lui exprimer en quelques mois. Cette jeune femme que j’avais rencontrée, jeune, mais déjà si savante. De la vie. Elle ne semblait même pas s’en rendre compte mais elle avait insufflé en moi cette vie que j’étais capable de lui prédire dès nos premiers échanges.

Je m’en souvenais soudainement, maintenant qu’elle se tenait face à moi et commençaient donc à surgir ces pointes de culpabilité, frustrantes et inutiles car ne me rendant pas plus disponible, plus à l’écoute, ne me permettant ni de réparer mes erreurs ni d’éviter d’en commettre de nouvelles au fil du temps. « Les retours sont toujours difficiles. » me permettais-je finalement de répondre dans un sourire imperceptible comme s’il s’agissait d’une fatalité douce et universelle que tout le monde ici pouvait comprendre. Que pouvais-je dire d’autre au milieu de ce couloir où les passages persistaient et au bout de quelques secondes de conversation ? « Comment s’est passé le tien ? » continuai-je alors avec une attention et un intérêt non feint. « Je n’ai pas eu l’occasion de revenir vers toi mais j’ai lu les rapports, vous avez fait un boulot exceptionnel. » Je tapotai distraitement ma tasse de café du bout de mes doigts alors que je semblais évaluer les possibilités et cela devait sans doute se voir. Aussi proposai-je pour expliciter ma pensée, « Tu veux qu’on s’installe au calme ? » J’accompagnai ma proposition en désignant d’un geste la pièce désormais vide dont je venais de sortir. Il y avait au fond des fauteuils encadrant une table basse qui semblaient n’attendre que nous. « À moins que tu veuilles qu’on se trouve un endroit à l’extérieur. Je suis désolée de ne pas t’avoir répondu, tu sais, mais je suis contente que tu sois tombée sur moi. » Les excuses avaient glissé profitant de l’occasion car elles ne savaient pas quand une nouvelle leur aurait été offerte pour s’exprimer et je ne les avais pas retenues car Yasmine les méritait. Je l’avais vue placer en moi des espoirs qui n’avaient pu éclore, non car ils étaient démesurés, mais parce que je m’étais plus montrée, contre mon gré. Mais nous étions là à présent et je voulais savoir. Je voulais savoir si elle faisait partie de ceux pour qui la mission humanitaire était devenue cette musique qui obsédait et remplissait au point d’empêcher de vivre pleinement la vie d’antan. Je voulais savoir si elle faisait partie de ceux-là, oui, et comment s’en accommodait-elle, ou si elle allait bien, véritablement bien.


Dernière édition par Soheila Hodge le Mer 24 Juil 2019 - 15:27, édité 2 fois
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyLun 22 Juil 2019 - 9:32


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crédit/ (tumblr) ✰ w/ @soheila hodge

Dans le regard de Yasmine un "je le sais" passa rapidement, Soheila dépeignant par des mots simples, mais suffisamment éloquents pour elle, les difficultés qui entouraient son retour dont on parlait tant dans la presse. Elle baissa très légèrement la tête, laissant filer un sourire aussi mince que celui de son interlocutrice. Un court silence, pudique, s'installa entre elles. Aussitôt, la jeune femme se mit à chercher l'humilité dans les motifs abstraits de la moquette étalée à ses pieds. Déterminée à ne pas se laisser aller à plus de confidences sur l'état d'esprit dans lequel elle-même se trouvait depuis qu'elle était rentrée, entre l'impression croissante d'inutilité qui la rongeait de l'intérieur, et le manque de sommeil qui avait ajouté un peu de relief à sa personnalité, même si ce n'était que sous la forme menaçantes d'ombres situées juste sous ses yeux, Yasmine réfléchit à la réponse qu'elle pourrait lui accorder sans éveiller les soupçons de celle qu'elle avait côtoyé – pas très longtemps, mais dans des circonstances tellement intenses qu'il lui semblait qu'elles resteraient liées indéfiniment. Une chose était certaine, elle ne s'autoriserait jamais à se plaindre en présence de Soheila.
Il était plus facile de comprendre les traumatismes des autres. Yasmine n'estimait pas nécessaire de s'étendre sur les siens, ayant l'intime conviction qu'elle ne faisait que surréagir aux évènements malheureux qui s'étaient déroulés durant sa mission au Niger ; les pertes humaines et les menaces, le sang et les larmes, la saleté et la vétusté, les crises et le reste. On lui avait rabattu les oreilles sur l'effet qu'avait ce genre d'expérience dans la vie des volontaires une fois qu'ils rentraient chez eux, et ce n'était jamais positif dans les premiers temps – si bien qu'elle avait fini par se convaincre qu'elle n'était pas plus affectée que les autres par tout ce qu'elle avait vu, ce qui lui permettait donc de répondre :

"Très bien." Et ce sans éprouver une once de culpabilité à l'idée de mentir avec autant de vergogne, persuadée que tous les sourires qu'elle distribuait à tour de bras suffisaient amplement à donner un peu de conviction à la lueur indéfinissable qui dansait dans ses yeux d'un vert singulier "Ça a fait un an en mai que je suis rentrée. J'ai mis un peu de temps à reprendre le travail, mais j'ai retrouvé mes habitudes maintenant. Tout se passe pour le mieux, vraiment." Devait-elle lui parler de sa reprise d'études, et des efforts inutiles qu'elle abattait pour préparer son examen d'entrée à l'école de médecine ? Yasmine jugea que plus tard serait le mieux.
Sa voix était sûre, même si ses gestes restaient un peu maladroits, d'une fébrilité étonnante pour l'infirmière si douée qu'elle était. Pendant qu'elle triturait le bout de ses ongles avec une nervosité qu'elle tenta de faire passer pour une simple nouvelle et petite manie, elle opina du chef en réponse aux propos de Soheila "J'ai appris par Anita que le camp avait été détruit pas longtemps après mon retour en Australie. Elle est rentrée au Canada dévastée, beaucoup de civils ont été touchés alors…" Elle haussa les épaules, par vraie mauvaise manie cette fois-ci, et non pour exprimer son manque d'intérêt pour cette nouvelle qui lui avait valu une crise de panique plus forte que les autres "J'aurais aimé y être, juste pour apporter mon aide." Mais elle était rentrée juste à temps l'avait rassurée Molly qui, soucieuse de lui faire rentrer dans la tête que si elle avait été sur place, elle aurait pu y rester elle aussi, avait réussi à canaliser les angoisses de sa collègue avec douceur et expertise. Yasmine lâcha un soupir, abandonnant le massacre de l'ongle de son index pour étudier l'offre de la jeune femme sur laquelle elle posa un regard prolongé. Pendant une fraction de secondes, elle faillit refuser d'empiéter sur son temp si précieux, mais l'envie d'un contact plus long avec Soheila fût plus fort que sa bienséance "Ici ce sera très bien, je te suis."

Difficile de mettre le doigt sur l'état d'esprit de Soheila à ce moment-là. Yasmine observa sa démarche lorsqu'elles rejoignirent la pièce qu'elle lui avait désigné ; elle était gracieuse, une qualité que l'infirmière lui enviait rien qu'un peu, incapable de ressentir rien d'autre que de l'admiration pure et sincère pour cette femme qui avait tant réussie. Enfin, elle délaissa son sac, le posant sur la table basse, et se laissa asseoir sur le premier fauteuil qui se présenta à elle, aussi prudemment que possible, ayant toujours été impressionné par l'aura qui régnait dans ce lieux qu'elle avait fréquenté quelques fois avant de partir pour le Niger – pour remplir une pile monstrueuse de paperasse administratives, mais aussi pour rencontrer les participants à la mission qu'elle avait rejoint avec enthousiasme, loin de s'imaginer que cette expérience serait la plus marquante de sa vie d'adulte, de sa vie tout court.
"T'en fais pas pour ça. On a toutes les deux étaient très occupées. Toi plus que moi, d'ailleurs." la rassura-t-elle, balayant ses excuses d'un geste leste de la main et d'un sourire bouche fermée "J'ai préféré ne pas insister, et j'ai bien fait, sinon on ne serait peut-être pas tombées l'une sur l'autre aujourd'hui." assura-t-elle tout de suite après dans un signe de tête un peu trop appuyé pour être honnête. Elle se laissa enfoncer plus profondément dans son fauteuil, puis posant ses deux bras sur les accoudoirs, elle tapota leurs bords du bout de ses doigts agités "J'étais venue me renseigner sur les prochaines missions de La Fondation." se justifia-t-elle soudain, gênée par le nouveau silence qui s'était étiré entre elles. Yasmine se rendit alors compte que l'excuse qu'elle avait enveloppée dans du joli papier doré pour ceux qui s'inquièteraient de la voir débarquer dans les locaux sans s'être annoncée au préalable, elle la servait à celle qu'elle avait tant espérer croiser ; justement pour ne pas lui donner l'impression d'insister, tandis que celle de tourner autour du pot naissait tranquillement. Il n'y avait pourtant aucun mal à s'inquiéter pour quelqu'un qu’on estimait autant.
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyMer 24 Juil 2019 - 15:30

one day it's here and then it's gone





Les retours étaient toujours difficiles, oui, et j’aurais voulu être loin, déjà, en être plus loin, afin de lui apporter une réponse plus convaincante que celle-ci, plus optimiste. J’aurais voulu que le temps soit déjà écoulé, ce temps incompressible dont j’ignorais la teneur exacte par lequel les afflictions devraient passer. Me réveiller un printemps, presque neuve, regarder l'entaille comme une fine cicatrice. En attendant, je préférais me concentrer sur les autres, sur Yasmine. « Très bien. » Sa réponse était assurée, ferme, délivrée presque trop rapidement pour que je ne puisse l’accepter sans la remettre en doute, presque sans y penser. C’était ainsi, je m’en étais rendue compte car cette réponse était la mienne souvent et que je savais désormais que le silence attirait l’attention. Il pouvait en impressionner certains car il nous rendait énigmatique. Dans de rares cas, il nous rendait suspect également, forçant l’autre à s’interroger sur ce que nous avions à cacher. Peut-être Yasmine s’en rendait-elle compte puisqu’elle renchérit sans attendre, ce sourire si particulier sur ses lèvres bien dessinées. « Ça a fait un an en mai que je suis rentrée. J'ai mis un peu de temps à reprendre le travail, mais j'ai retrouvé mes habitudes maintenant. Tout se passe pour le mieux, vraiment. » Un an, un an qu’elle était rentrée déjà. Notre départ, pour ma part, aurait pu tout aussi bien se produire la veille comme appartenir à une autre vie. Certaines missions nous marquaient plus que d’autres, ma première restait ancrée dans ma mémoire. La première survivait toujours. Dans son sourire, comme dans le mien, une faille était perceptible. « J'ai appris par Anita que le camp avait été détruit pas longtemps après mon retour en Australie. Elle est rentrée au Canada dévastée, beaucoup de civils ont été touchés alors… » Et elle évoquait l’origine de cette faille en premier, le menton droit, les inflexions de voix lointaines, calmes et stables mais je connaissais trop bien la jeune femme aujourd’hui pour me laisser convaincre. « J'aurais aimé y être, juste pour apporter mon aide. » Un doux sourire vint se dessiner sur mes lèvres pour accueillir son aveu. Je comprenais ce sentiment. Je comprenais ces interrogations qui naissaient dans un coin de notre esprit, malgré nous, lorsqu’une catastrophe s’abattait sur notre camp, mettait à mal notre mission, notre investissement, nos espoirs. D’autres s’en seraient-ils sortis ? Telle était la première question assaillant mes pensées, à chaque fois, même aujourd’hui. J’aimais à penser que cette dernière n’avait cessé, en vingt ans, de me pousser à m’améliorer, à me développer et me structurer.

Mais de tous les drames vécus sur le terrain ne découlaient pas d’enseignements, malheureusement. Et cette simple question était alors effacée par d’autres, bien plus dévastatrices. Avions-nous manqué de courage ? Pourquoi le désespoir s’était-il abattu sur nous si nous avions été à la hauteur ? La réponse était toujours la même : pour aucune des raisons auxquelles nous pensions, rien n'était jamais aussi simple. Réveiller les plaies était un réflexe humain mais la douleur ne devait pas nous arrêter. « C’est compréhensible. » Cela l’était tellement que cela avait effleuré mon esprit également à la simple lecture des rapports, il y a quelques semaines, sachant pertinemment que mon corps et mon esprit étaient captifs lorsque cela s’était produit des mois plus tôt, aliénés, condamnés. Mais les assuétudes avaient la vie dure. « Il y a des évènements qui ne peuvent pas être évités. Penser que notre présence n’aurait rien apporté de plus est difficile. Mais nécessaire pour penser à l’après, à ce que l’on pourrait faire, réellement, ailleurs parfois. » Nous faisions ce que nous pouvions et nous repartions, laissant derrière nous un pays toujours en guerre. Cela pouvait être dévastateur comme idée, au début, cette impression de ne pas avoir fait la différence, mais cela ne rendait pas notre présence moins importante. Nous venions en aide aux civils, nous sauvions des individus. Cela ne changeait rien à la situation du pays. Mais cela changeait tout pour ceux que nous avions aidés, la seule manière de rester debout était de ne pas se construire vis-à-vis de ceux que nous n’avions pas pu sauver. « Ici ce sera très bien, je te suis. » J’inclinai légèrement la tête avec un sourire en l’entendant accepter ma proposition. Yasmine était prévenante, toujours, distinguée sans le savoir et je m’étais déjà inquiétée de la voir accepter certaines choses simplement pour ne pas heurter. Je craignais qu’elle ne le fasse encore cette fois-ci, comprenant la gêne de certains aujourd’hui à se retrouver avec moi, ignorant ce qu’ils étaient en droit ou non d’évoquer. Mais les yeux avaient des accents que ne possédaient point la langue et je ne pouvais m’empêcher, en regagnant la salle que je venais de quitter, de m’interroger sur ceux que je percevais dans les siens, d’un jade sibyllin. « T'en fais pas pour ça. On a toutes les deux étaient très occupées. Toi plus que moi, d'ailleurs. »

Je la laissais s’installer et m’approchais de la machine à café, l’interrogeant du regard pour savoir si elle en désirait un. Je lançais le programme tout en me retournant de nouveau pour lui faire face, attentive et intéressée. « Vraiment ? Si je me souviens bien de nos derniers échanges, tu étais prête à reprendre les études, ça implique du temps, des sacrifices … c’est un projet remis à plus tard ? » Ou s’agissait-il d’une nouvelle marque de modestie de sa part, une nouvelle tentative de se mettre en retrait, suggérant que mon temps était plus important que le sien lorsque ce n’était pas le cas, ce que j’essayais ainsi de lui faire comprendre. Je m’installais enfin à ses côtés, le fauteuil de trois-quarts, me permettant de tourner le dos à l’extérieur de la salle. « J'ai préféré ne pas insister, et j'ai bien fait, sinon on ne serait peut-être pas tombées l'une sur l'autre aujourd'hui. » Je posais les tasses sur la table basse entre nous. Mon silence était fait pour la remercier mais je ne possédais pas les mots, pas encore. Il était présent également car je sentais sa nervosité pourtant difficilement perceptible et que j’étais prête à la laisser expliciter le cours de ses pensées. « J'étais venue me renseigner sur les prochaines missions de La Fondation. » Je suspendis mes gestes en entendant les mots glisser d’entre ses lèvres et relevai un regard concerné sur la jeune femme. Je n’étais pas certaine de ce que je ressentais sur l’instant, il me semblait évident que je ne possédais pas toutes les réponses pour réagir comme il le fallait. Je croisai les jambes distraitement en me reculant à mon tour dans le fauteuil, mon attention entièrement tournée vers Yasmine. « Tu voudrais repartir. » C’était une interrogation mais les inflexions de ma voix ne la traduisirent pas aussi bien que je ne l’aurais voulu. Peut-être était-ce une constatation que j’avais eu besoin d’énoncer à voix haute pour appréhender son annonce. Un sourire imperceptible vint errer sur mes lèvres, un sourire où l’estime que je lui portais vint sans doute se glisser, cela n’était pas la première fois, mais que je tentais de ne pas laisser percevoir, pas tout de suite. « Pourquoi ? » Car cette question me semblait être la plus importante pour l’instant et je refusais d’influencer sa réponse. Je n’en attendais aucune en particulier, aucune n’aurait suscité en moi un quelconque jugement. Je ne l’avais jamais fait, Yasmine ne faisait qu’éveiller en moi cet instinct sur lequel je n’arrivais pas à poser de mots, protecteur peut-être, désireux de la voir embrasser ses qualités pour les meilleures des raisons.
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyVen 2 Aoû 2019 - 6:11


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crédit/ (tumblr) ✰ w/ @soheila hodge

Soheila se souvenait. Yasmine n'en aurait pas douté s'il n'y avait pas eu son incarcération. Mais même après ça, même après l'enfer, elle avait gardé à l'esprit les rêves d'une autre, les siens en l'occurrence, et s'inquiétait de la façon dont ils avaient évolué. Cet intérêt sincère qu'elle nourrissait pour autrui était une qualité qu'elle lui jalousait affectueusement ; elle était capable de faire passer le bien des autres avant le sien, un niveau de noblesse rare que Yasmine avait aspiré atteindre durant toute sa jeune vie, prête à offrir son temps et son énergie pour venir en aide à ceux qui n'avaient pas sa chance. Pour autant, cela la surprit qu'elle soit capable de toujours faire preuve d'autant d'attention après avoir vécu tellement de choses au cours de ces derniers mois – vraiment, elle ne lui en aurait pas voulu si elle avait démontré un profond désintérêt pour ce qui avait occupé sa vie depuis son retour du Niger. Pourtant, le fait était là : Soheila s'intéressait à elle pour les bonnes raisons, même si elle avait le droit plus que quiconque de ne pas s'en soucier. D'une façon toute particulière, cela la toucha profondément.
Un sourire en demi-teinte naquit sur les lèvres de l'infirmière, tandis qu'elle était partagée entre l'envie de lui en dire plus, et la gêne de ne pas encore être parvenue à son but, retenue par tout un tas de choses qu'elle préféra ne pas exprimer. Un instant, Yasmine s'enfonça dans la réflexion pour lui offrir une réponse à la hauteur des espoirs, qu'elle le savait, elle avait placé en elle lorsqu'elles s'étaient retrouvées ensemble sur le camp de Diffa "Plus ou moins." fit-elle enfin, nouant ses longs doigts bagués les uns aux autres en croisant les jambes en même temps. Opinant du chef pour accepter l'offrande de café offerte par la jeune femme, elle poursuivit avec douceur "Je me sentais pas prête à passer l'examen d'entrée pour l'école de médecine juste après mon retour." Etant donné son état d'esprit à cette époque, un état d'esprit qu'elle pensait avoir mis de côté aujourd'hui, elle n'aurait pas accepté l'échec. Une conclusion qu'elle préféra taire, encore une fois, craignant un excès de vanité qui ne faisait définitivement pas partie de son caractère ; toutefois, cela expliquait bel et bien les raisons pour lesquelles elle avait préféré tant étudier avant de se lancer pour de bon "Alors j'ai travaillé. Beaucoup, pour assurer mes arrières et arrêter de me donner l'impression que je fais ça sur un coup de tête." Un caprice d'enfant, c'était de cette façon qu'elle avait décrit son projet de reprise d'études à Norah, et à cet instant encore, elle avait le sentiment qu'elle avait parfaitement su mettre le doigt sur le définition à apporter à tout ça "Les prochaines sessions de tests approchent. Je vais enfin pouvoir me lancer pour espérer rejoindre les bancs de l'école en février." Était-elle prête pour autant ? Yasmine n'en était pas certaine, se décomposant intérieurement à l'idée d'enfin acquérir le statut d''étudiante en médecine. Elle évitait de penser aux fonds qui lui manquait pour mettre à bien un tel projet, à ses envies de choisir une faculté plus éloignée de chez elle pour maximiser sa concentration – à ce stade, alors qu'elle avait tant travaillé, profitant de ses insomnies et de la gentillesse de Sloan pour élargir ses connaissances et s'assurer de bons résultats, son manque de confiance et ses excuses étaient malvenus, et quelque part, elle le savait : elle était la plus à même de réussir, prétendre le contraire serait faire preuve d'une modestie aussi inutile qu'ostentatoire "Si t'as des conseils à me donner pour ne pas me vautrer, je suis preneuse." lança-t-elle ensuite sur un ton un peu trop léger pour paraître totalement désintéressé, et elle se pencha sur la table basse pour s'emparer d'une tasse de café fumant, y trouvant un réconfort certain, et y plongeant le nez en faisant mine de ne pas voir l'éléphant qui se trouvait dans la pièce.

"Pas tout de suite." lui répondit-elle après une longue gorgée un peu trop chaude, mais qu'elle parvint à avaler par la force de l'habitude. Pas le moins du monde interloquée par le constat brusque de Soheila, elle haussa légèrement les épaules. L'excuse qu'elle avait choisie pour expliquer sa venue ici était en train de se retourner contre elle, mais avec un calme relatif, et s'autorisant à affronter le regard de Soheila sans ciller, elle décida qu'il était inutile de s'angoisser, puisque de toutes les façons, elle ne mentait pas entièrement lorsqu'elle parlait d'un potentiel départ pour une autre mission ; elle y avait pris goût ,et plusieurs fois au cour de ces derniers mois, elle avait émis l'hypothèse de s'y intéresser de nouveau "J'avais promis à Anita de revenir la voir une fois que j'aurais mon diplôme. Mais j'espérais le faire bien avant, ne serait-ce que pour…" Yasmine s'arrêta un très court moment, le temps d'envelopper convenablement sa tasse avec ses mains, et de laisser la chaleur l'envahir en même temps qu'elle laissait filer un petit sourire en biais, le regard perdu dans les motifs de la moquette qui s'étalait à ses pieds. Dans la foulée, elle osa lui avouer "Me sentir un peu plus utile, quoi. C'est pas toujours le cas depuis que je suis rentrée, j'ai l'impression de gâcher mon temps à m'occuper de situations qui ne méritent pas autant d'attention que celles qu'on a connues là-bas." Sur le coup, elle se trouva dure, et son teint caramel prit une teinte plus soutenue, traduisant le rougissement fugace qui lui monta aux joues. Sans doute parce qu'il s'agissait de l'une des premières fois où elle avouait à voix haute ses difficultés à considérer son travail au St-Vincent comme elle le faisait auparavant ; elle en avait vaguement discuté avec Hassan, mais elle redoutait qu'il n'ait pas tout à fait mesuré l'impact que ce séjour avait eu sur elle, et à quel point elle était marquée, au point de ne plus se sentir à sa place, où que ce soit. Après son voyage au Niger, l'image qu'elle se faisait des urgences n'était pas la même que lorsqu'elle avait quittée l'Australie, et foncièrement, elle avait la certitude que cela jouait beaucoup sur sa façon d'exercer et de pratiquer les taches qu'il lui était incombées. Elle soupira par hachures, en profitant pour souffler sur son café, puis après avoir porté sa tasse à ses lèvres, elle lui demanda en retour "Toi, tu voudrais repartir ?" Un échange de question qui parut un peu trop brutal à la jeune femme. Aussitôt, elle secoua la tête pour chasser l'air sérieux qu'elle avait revêtu, et dans un regard plein de regrets d'avoir parlé trop vite, elle lui murmura avec sincérité "Pardon, Soheila. C'est sans doute pas le bon moment pour te poser la question."
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptySam 3 Aoû 2019 - 13:02

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« Plus ou moins. » Je décidais de la laisser poursuivre car je connaissais les propensions de Yasmine à s’interrompre elle-même, pensant bien trop souvent que ce qui la concernait ne méritait pas autant d’attention ou de temps à y consacrer. Nous venions de laisser un an et demi se mettre entre notre dernière conversation et celle-ci, dont presque six mois par mon incapacité à répondre à son approche. Je l’incitais à poursuivre car j’étais désireuse, réellement, intéressée de connaître les avancées qu’elle avait pu entreprendre, les motivations qui la guidaient à présent. L'estime que je portais à la jeune femme en face de moi n'était plus à démontrer mais la profondeur de mon amitié l'était, sans doute, car je n'avais plus su la lui rappeler. « Je me sentais pas prête à passer l'examen d'entrée pour l'école de médecine juste après mon retour. » Je comprenais sans le dire. Les préoccupations n’étaient plus les mêmes lorsque l’on revenait. Je me souvenais de ma première mission, du dépaysement que cela m’avait procuré, de la gifle reçue sous l’urgence et la violence de ce à quoi j’avais pu prendre part. Le sentiment avait été le même à mon retour, comme s’il me fallait tout reconstruire, à l’envers. Sans doute le ressenti était-il partagé aujourd’hui avec Yasmine, il l’avait sûrement été pour nous tous, entre ces murs. « Alors j'ai travaillé. Beaucoup, pour assurer mes arrières et arrêter de me donner l'impression que je fais ça sur un coup de tête. » L’expression s’attarda à mes oreilles et je fronçais les sourcils, imperceptiblement. Les mois étaient passés et je retrouvais les craintes de Yasmine ancrées en elle comme au premier jour. J’avais cru en elle, rapidement, avais ensuite vu naitre en elle de nouveaux talents, de nouvelles capacités au fur et à mesure des jours que nous avions passé ensemble. Je voulais qu’elle gagne en assurance, l’avais toujours encouragée dans son désir de reprendre les études, persuadée depuis le premier jour, dans le fond, qu’il fallait qu’elle en passe par là, qu’elle retourne à ses rêves et à cette rage de les accomplir. « Les prochaines sessions de tests approchent. Je vais enfin pouvoir me lancer pour espérer rejoindre les bancs de l'école en février. » Je prenais place de nouveau face à elle, dégageant mes cheveux derrière mes épaules distraitement car toute mon attention était tournée vers ses propos. « Si t'as des conseils à me donner pour ne pas me vautrer, je suis preneuse. » La phrase était lâchée avec un humour léger mais je percevais le doute pointant derrière chacune de ces syllabes et un sourire entendu vint naitre sur mes lèvres pour lui répondre. « Je t’ai vue accomplir des choses qui demandaient bien plus de sang-froid que les examens qui t’attendent, Yasmine. » Je n’étais pas forcée d’y poser des mots, des exemples concrets, nous savions toutes deux ce que j’évoquais. Il m’aurait été impossible, en outre, de le faire, tant les situations d’extrême urgences auxquelles je l’avais vue faire face furent nombreuses durant ces quelques mois passés ensemble.

« En ce qui concerne le talent et l’expérience, je pense t’avoir déjà dit que tu avais tout ce qu’il est nécessaire d’avoir. Pour les connaissances, je fais confiance en ce que tu viens de me dire et présume même que tu minimises l’investissement que tu y as mis. » Je lui adressais un sourire complice, sans doute amusé également car cela ne me surprenait pas. Si Yasmine disait étudier, beaucoup, alors sans doute le faisait-elle cent fois plus qu’elle ne l’avouait, par modestie. La jeune femme représentait pour moi l’allégorie même de la bonté humble accompagnée, toujours, de cet investissement qu’elle mettait en toute chose. Ses ambitions n’étaient pas à rabaisser et je ne croyais pas en un échec de sa part. « Tu as une idée du programme universitaire que tu souhaiterais ensuite intégrer ? Je serais plus qu’heureuse de me rapprocher de certains pour toi. » Je l’interrogeais du regard et portais ma tasse à mes lèvres. La crainte d’être allée trop vite résonna dans mon esprit, soudainement. Je craignais qu’elle ne refuse ma proposition, après tout ce temps, qu’elle la juge inappropriée ou arrogante. Qu’elle me demande de rester à ma place, de ne pas la brusquer, qu’elle irait à son rythme. « Pas tout de suite. » répondit-elle finalement à mon désir d’en savoir plus sur une potentielle nouvelle mission. J’acquiesçai en silence. Bien sûr, je m’étais empressée de l’interroger, sans doute portée par mes propres envies tues et relayées au silence, considérant que celles-ci étaient les mêmes pour tout le monde. Mais ce n’était pas le cas, on me l’avait suffisamment fait comprendre ces derniers temps. « J'avais promis à Anita de revenir la voir une fois que j'aurais mon diplôme. Mais j'espérais le faire bien avant, ne serait-ce que pour … » Je la laissais marquer une pause. « Me sentir un peu plus utile, quoi. C'est pas toujours le cas depuis que je suis rentrée, j'ai l'impression de gâcher mon temps à m'occuper de situations qui ne méritent pas autant d'attention que celles qu'on a connues là-bas. » Je lui adressai un sourire, vague et compréhensif, plus qu’elle ne l’imaginait. Le monde se dotait de nouvelles couleurs une fois que nous connaissions la réalité qui sévissait ailleurs, des couleurs plus sombres, plus vives aussi. Il se détordait et je ne pouvais dire que j’enviais ceux qui parvenaient à le remettre à sa position initiale dès leur retour mais ils m’intriguaient.

« Toi, tu voudrais repartir ? » Je m’apprêtais à répondre à sa confession voilée mais sa nouvelle question me prit de court et je resserrai mes doigts autour de ma tasse. « Pardon, Soheila. C'est sans doute pas le bon moment pour te poser la question. » Sans doute avait-elle perçu mon étonnement, le prenant par défaut pour de la réticence et je m’en voulus de ne toujours pas réussir à dissimuler mes réflexes. Je secouai la tête pour la rassurer, me penchant pour poser ma tasse sur la table tout en la reprenant. « Tu n’as pas à t’excuser. Personne n’ose poser cette question parce tout le monde pense avoir déjà la réponse. » Mon dos regagna sa place rassurante contre le dossier et un sourire se dessina sur mes lèvres car elle ne faisait que confirmer ce que je pensais déjà d’elle. Qu’elle ne se cachait pas derrière les questions entendues et les marques de politesse par convention, qu’elle se souciait réellement de ceux qui l’entouraient, quitte à s’en excuser aussitôt après. Je posai lentement mes bras sur les accoudoirs, m’accordant une seconde, peut-être deux, pour réfléchir, peser ma réponse, décider entre l’honnêteté et la convenance. « J’ai voulu repartir dès l’instant où on m’a ramenée. » laissai-je finalement échapper, surprise moi-même de choisir la première possibilité lorsque la deuxième avait teinté nombre de mes réponses jusque-là, pour ne pas heurter, ne pas surprendre. La réponse que tout le monde pensait posséder était sans aucun doute un non, franc, catégorique, compréhensible sans doute mais craintif également. Quelle personne saine d’esprit ne souhaiterait pas profiter, ne serait-ce qu’une année, ou deux, de cette sécurité retrouvée ? « Ce qui, je l’entends bien, n’était sûrement pas une bonne idée. » Je permis à un rire silencieux et lointain, sans doute gêné également, de ponctuer mes paroles car je réalisais, en effet, que ce n’était sûrement pas la réponse attendue, la réponse convenable, celle qui assurait aux autres que je n’étais pas totalement aveuglée par mes envies au détriment de capacités émotionnelles et de stabilité que je n’avais certainement plus. « C’est pour ça que cette décision ne dépend pas de moi pour l’instant et que je n’ai plus qu’à m’en remettre à eux pour savoir quand est-ce que j’en serais jugée méritante de nouveau. » Cette phrase sortit d’entre mes lèvres avec un dépit et une ironie que je ne parvins pas totalement à cacher, sans doute. Je n’aimais pas l’entre-deux dans lequel on m’avait confinée. Je comprenais ce qu’ils défendaient ainsi, je m’y pliais pour protéger la fondation, moi aussi. Mais cette fondation faisait partie intégrante de moi, de ce qui me composait, me constituait et je prenais cette interdiction de la représenter sur le terrain comme une atteinte, une piqûre dans ma chair qui ne s’altérait pas, malgré le temps.
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyVen 9 Aoû 2019 - 7:15


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Yasmine n'aimait pas les compliments. Ca expliquait en partie l'impression curieuse qu'elle donnait de se faire réprimander chaque fois qu'on déployait un minimum de complaisance pour pointer du doigt quelques-unes de ses qualités – qu'elle jugeait toutes relatives, passée maîtresse dans l'art de s'autodénigrer, beaucoup trop consciente que se laisser bercer par le doux chant de la flatterie faisait parfois perdre le sens des réalités ; au moins, elle, elle n'était jamais déçue quand elle s'apercevait qu'elle ne valait pas les compliments qu'on lui faisaient. Toutefois, que ce soit Soheila qui la flatte lui fit plaisir, tant d'ailleurs, qu'elle ne saurait l'exprimer véritablement, même si elle baissa la tête pour dissimuler le sourire timide qui naquit sur ses lèvres à l'instant où elle lui rappela combien elle avait été efficace lors de certaine situation. Elle ne releva pas quand elle continua à dérouler son fil de pensées à ce sujet, touchée qu'elle croit autant en elle et ressentant une pointe de nervosité quant à l'idée de la décevoir, elle aussi, si elle échouait. C'était un sentiment tout particulier étant donné qu'il s'agissait sans doute de l'une des premières fois que quelqu'un qui ne faisait pas partie de son entourage proche prenne le temps de mettre en avant ses capacités, se reposant sur le travail qu'elle avait déjà accompli et ne s'appesantissant pas sur ce qu'il connaissait d'elle. La majorité du temps, le manque d'objectivité de ses proches lui faisait rouler des yeux, mais elle était tentée de prendre en compte les encouragements de Soheila et de les chérir pour ce qu'ils étaient : un témoignage sincère consolidé par l'expérience qu'elles avaient partagée toutes les deux, retirées à des milliers de kilomètres, loin de tout ce qui faisait d'elles ce qu'elles pensaient être "J'ai pensé au programme de l'université de Melbourne pendant un temps." finit-elle par répondre en relevant la tête. Elle souffla délicatement sur son café, gardant ses lèvres à distance de son gobelet trop chaud. Après un haussement d'épaules, elle reprit doucement "J'avais la sensation que sortir de ma zone de confort qui se trouve ici, à Brisbane, maximiserait mes chances de réussite. Pas de distractions aux alentours, et donc pas d'autres choix que de potasser sans relâche et s'accrocher à mon objectif. Mais je sais que je tiendrais pas le coup sans mes proches." Elle avait fait la paix avec cette idée, bien qu'elle savait aussi que ses proches représentaient une véritable distraction, voire sa principale distraction en réalité – sa vie de famille s'accompagnait de son lot de complications, surtout ces derniers temps. Mais Brisbane lui avait tellement manqué lors de son séjour en Afrique ; le gros avantage de l'université du Queensland, au-delà de sa renommée, c'était qu'elle se trouvait dans un endroit qu'elle connaissait par cœur et qui l'exempterait de la tache de s'acclimater de nouveau à un environnement inconnu… et puis, Hassan travaillait sur place, ce qui ne gâchait rien malgré le fait qu'il faisait partie des distractions desquelles elle aurait aimé se défaire le temps de ses études "Il ne faut pas te sentir obligée, tu sais. Même si j'apprécie ton offre… ça me touche beaucoup." finit-elle par ajouter avec une déférence contenue, les yeux se baissant d'eux-mêmes sur sa tasse de café fumant ; un moyen comme un autre de réserver son émotion pour elle, de plus en plus consciente que la confiance de Soheila à son encontre revalorisait doucement l'image qu'elle avait d'elle-même depuis qu'elle était rentrée. Une image pas très bonne, écornée par certains des choix qu'elle avait fait pour se préserver et maintenir à l'écart de sa vie quotidienne l'impression constante qu'elle couvait d'avoir laissée une part d'elle-même sur le camp de Diffa.

Elle battit doucement des paupières, confuse de s'être laissé aller à une interrogation aussi brute du ressenti de Soheila. Ses excuses sortirent immédiatement, et elle se mordit le bout de la langue, cherchant à se punir inconsciemment d'avoir fait preuve d'autant d'impolitesse, et s'interdisant derechef de recommencer. Elle se tassa un peu dans son fauteuil, prête à supporter le poids de sa bévue qu'elle regretta sans délai. Yasmine n'osait pas imaginer ce que la jeune femme avait vécu, mais d'un autre côté, elle aurait aimé savoir ce qui s'était vraiment passé. C'est ce petit sentiment de curiosité qui nous poussent tous à s'arrêter lorsque l'on tombe sur un accident de la route en plein trafic ; on sait qu'on ne doit pas regarder, mais une force étrange nous y pousse, même si la scène est insupportable et les victimes nombreuses.
Cependant, la réponse de Soheila la rasséréna à propos du soupçon de voyeurisme dont elle fit preuve et qui, de nouveau, lui avait fait baisser les yeux sur son café. Elle les releva soudain, néanmoins, laissant un léger sourire fendre son visage en prenant sens des paroles de la jeune femme "Pourquoi ça ne m'étonne pas ?" lui demanda-t-elle, parce que de son côté, elle en aurait mis sa main à couper bien avant de lui avoir posé la question. Yasmine ne connaissait pas intimement Soheila, mais quelque chose dans sa façon d'être lui faisait penser qu'elles se ressemblaient, même si ce n'était rien qu'un peu : alors elle savait que, malgré la difficulté, malgré l'enfer, malgré l'incarcération, malgré le traumatisme, une seule et unique pensée devait la hanter ces derniers temps, et ce n'était pas le verdict de son procès : c’était son impossibilité potentielle à repartir donner de sa personne comme elle l'avait toujours fait. Grâce à ça, Yasmine avait l'impression que quoi qu'elle dirait à Soheila, elle la comprendrait "Je trouve pas, bien au contraire. Toutes les missions sont différentes, t'as juste pas eu de chance lors de ta dernière. On nous prévient avant de partir : c'est un risque à prendre, à nous de juger si ça vaut le coup ou pas. A ta place, je l'aurais sans doute pris, moi aussi." C'était un peu minimiser les choses, mais elle était sûre que Soheila comprendrait là où elle venait en venir. Yasmine se pencha pour poser sa tasse sur la table basse, et dans un sourire où l'amertume perça, elle reprit "Comme s'il était légitime qu'ils le fassent. C'est toi la créatrice de cette fondation, que je sache." Et elle secoua la tête, s'asseyant tout au bord de son fauteuil pour chercher les yeux de la jeune femme "Si je peux faire quoi que ce soit. Je ne sais pas, apporter un quelconque témoignage en ta faveur, ou…" Elle haussa les épaules encore une fois, puis affirmant son regard d'un même chef, elle conclut dans un murmure "Quoi que ce soit. Tu n'as qu'à mot à dire, Soheila."
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyDim 11 Aoû 2019 - 6:56

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« J'ai pensé au programme de l'université de Melbourne pendant un temps. » J'acquiesçai d'un hochement de tête, ne manifestant pas sur l'instant la surprise que son premier choix m'inspirait pourtant. Cela m’étonnait de savoir Yasmine envisager une université à l’autre bout du pays. Je me souvenais de l’attachement de la jeune femme pour sa ville, sa famille, le manque qui s’était manifesté au bout de quelques jours à Diffa. Manque qu’elle avait su dépasser avec brio par la suite mais je n’aurais pas imaginé qu’elle souhaite se l’imposer de nouveau au cours de ses études. « J'avais la sensation que sortir de ma zone de confort qui se trouve ici, à Brisbane, maximiserait mes chances de réussite. Pas de distractions aux alentours, et donc pas d'autres choix que de potasser sans relâche et s'accrocher à mon objectif. Mais je sais que je tiendrais pas le coup sans mes proches. » Un léger sourire naquit sur mes lèvres alors qu’elle m’exposait son cheminement de pensée et finissait ainsi par confirmer mes impressions. Yasmine ne semblait rien laisser au hasard. C’était pour cela qu’elle n’avait, à mon sens, aucune inquiétude à avoir quant à la réussite de ce qu’elle entreprenait. Mais cela faisait partie de son schéma, de sa manière de faire, de son esprit scientifique également sans doute. Prendre en compte toutes les composantes et en tirer le meilleur diagnostic, le seul possible de préférence. « Si tu fais partie de ces personnes capables de puiser leur force dans leur entourage, dans leur famille, je ne vois aucune raison de t’en priver … » Et je ne le montrais pas, je le taisais avec une facilité maitrisée, mais je trouvais cela enviable. « J’ai fait mes études aux États-Unis, loin de mon père qui était encore à Brisbane à l’époque. Et le fait d’être éloignée de sa famille peut constituer une toute autre distraction en soi. » Enviable et certainement hypocrite de ma part de me prononcer sur un sujet tel que celui-ci. Qui étais-je pour parler de famille et de sacrifice ? Lorsque ces derniers n’avaient jamais que concerné mes proches, justement, jamais mes ambitions. Mais il ne s’agissait pas de moi. Je tenais à mon objectivité, je tenais à pouvoir répondre à Yasmine le plus justement possible, prenant en compte ses considérations, ses ressentis et non les miens. « Il ne faut pas te sentir obligée, tu sais. Même si j'apprécie ton offre… ça me touche beaucoup. » Les joues presque rosies, le regard abaissé. Si nous venions à douter de l’humilité sincère, la vraie, l’authentique, il nous suffisait d’observer la jeune femme face à moi. Je trouvais cette qualité admirable, j’espérais seulement qu’elle arrêterait de mettre à mal sa confiance en elle, la forçant à se déprécier pour ne pas s’apprécier. Je lui lançai un regard entendu et complice. « Ce n’est pas une obligation et tu le sais. Tu feras le bon choix, tu n’auras certainement pas besoin de moi pour l’obtenir d’ailleurs. Mais tu n’auras qu’à m’informer si besoin. » Le talent et les compétences étaient supposés suffire, dans un monde que nous imaginions idéal. Ils le devraient pour Yasmine, le contraire me paraissait peu probable mais je m’étais élevée dans un univers où j’avais vu les relations et les influences faire et défaire des choses contre le sens commun, en dépit de l’équité et du bien-fondé. Si je pouvais aujourd’hui n’être qu’une pierre parmi l’édifice que Yasmine avait les capacités de forger, il ne suffisait qu’une demande de sa part.

Elle s’en voulait, son regard était cette fenêtre vers l’âme pure et intègre qu’était la sienne. Je tentais de la rassurer, d’apporter une réponse à sa question pour l’assurer de sa légitimité, et si celle-ci se devait d’être la plus honnête possible pour y parvenir, alors je m’y pliais. Elle ne cilla pas, n’afficha pas une mine surprise ou déconfite, se contenta de relever son regard vers moi dans lequel se reflétait une compréhension déroutante, rassurante. « Pourquoi ça ne m'étonne pas ? » Sa question était rhétorique, je ne pouvais pas l’ignorer. Mais je ne pus m’empêcher de me demander. Oui, en effet, pourquoi ça ne t’étonne pas ? Ça étonnait tous les autres, après tout. Cela avait été sujet à de nombreux échanges virulents derrière les portes fermées, à des refus catégoriques venant de toutes parts. Corps médical, équipe juridique, conseil d’administration, tous avaient marqué leur opposition. Sans doute ne les aurais-je pas écoutés, d’ailleurs. Sans doute aurais-je déjà attrapé mon paquetage pour me joindre à la première mission possible s’il n’y avait eu qu’eux. Les opinions ne m’arrêtaient pas, ne l’avaient jamais fait. Ce qui le faisait, c’était le système judiciaire, le procès à mon encontre, la Haute Cour elle-même contre laquelle je ne faisais pas le poids. Celle que je ne pouvais décemment pas ignorer malgré toute ma détermination, cette dernière était réduite au néant. Il aura fallu cela finalement, pour me clouer au sol. « Je trouve pas, bien au contraire. Toutes les missions sont différentes, t'as juste pas eu de chance lors de ta dernière. On nous prévient avant de partir : c'est un risque à prendre, à nous de juger si ça vaut le coup ou pas. A ta place, je l'aurais sans doute pris, moi aussi. » reprit-elle avec une fraicheur qui lui était propre. Il y avait une parité, une compréhension mutuelle qui m’arracha un sourire quant au discernement dont elle faisait preuve. Pas de chance. Pas de chance, en effet. Pas de chance, c’était précisément ce que j’avais parfois eu envie de répliquer au médecin qui avait été chargé de mon évaluation psychologique à mon retour. Avec sarcasme, sans aucun doute, avec provocation, mais tout de même. "Soheila, tout le monde est dans votre camp ici. Pourquoi ne pas accepter d’y rester un temps ? Ça n’a sans doute rien de passionnant, mais au moins ça ne fait pas mal." m’avait-il dit au bout de quelques semaines. Je m’étais emportée à l’époque. Qu’en savait-il, n’est-ce pas, de ce qui faisait mal ou non ? « Tu l’as pris, oui. On est nombreux à l’avoir déjà pris ici. » Elle avait raison. Sans doute lui confierais-je sur l’instant que ce risque, je le reprenais demain, dix fois, cent fois, en sachant ce qu’il adviendrait, qu’elle m’adresserait toujours ce sourire, ce sourire dans lequel semblait se loger toute la compréhension du monde. Mais peut-être pas. Et ce simple peut-être suffisait à me réduire au silence.

« Comme s'il était légitime qu'ils le fassent. C'est toi la créatrice de cette fondation, que je sache. » J’inspirai avec retenue en dégageant mon visage, glissant une mèche derrière mon oreille pour l’observer. « Justement. Je sais que j’ai été retenue par les autorités chinoises aussi longtemps à cause de mon statut particulièrement. » Comment en étions-nous arrivées à évoquer ce sujet sans que je ne me défile plus vite, sans que je ne cherche à y mettre fin, me contentant de prendre mes précautions ? Je l’ignorais, imaginais seulement que la lueur éminemment sincère de son regard devait y être pour quelque chose. « Je sais aussi que c’est la seule raison pour laquelle je suis là aujourd’hui, pour laquelle ils n’ont pas eu d’autres choix que celui de me laisser être jugée ici. » Je fronçai les sourcils avec contenance, sans y penser réellement. Une seconde avant de reporter mon attention sur Yasmine et de conclure lorsque rien dans cette affaire ne me paraissait pourtant pouvoir être conclu, d’une quelconque façon. « Ce que je veux dire, c’est que mon statut ne simplifie en rien l’affaire mais me permet d’être là. » Et que d’autres ne l’étaient pas. Ces mots-là heurtaient mon esprit, chaque jour, plusieurs fois. Il ne s’agissait pas d’une piqure ponctuelle, d’une douleur lancinante, mais d’une réflexion en sourdine qui ne me quittait jamais. « Si je peux faire quoi que ce soit. Je ne sais pas, apporter un quelconque témoignage en ta faveur, ou… » Elle cherchait mon regard, me força à taire mes pensées pour le lui accorder. « Quoi que ce soit. Tu n'as qu'à mot à dire, Soheila. » Et je lui souris doucement car une nouvelle fois, je ne percevais pas trace de mensonge dans ses intonations, pas trace d’un quelconque devoir de moralité qui la forçait à proposer car il s’agissait de la chose à faire. « Merci Yasmine. » Et comme cela ne suffisait pas, je me penchai à mon tour pour poser ma tasse sur la table, pressant avec douceur, une seconde seulement, l’avant-bras de la jeune femme pour lui exprimer ma reconnaissance. « Si je peux mêler le moins de personnes possible à tout ce désordre, je m’en porte mieux. Mais je ne peux pas assurer de pouvoir décliner complètement ton offre, donc merci. »
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyLun 26 Aoû 2019 - 5:12


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{one day it's here and then it's gone}
crédit/ (tumblr) ✰ w/ @soheila hodge

Avant de partir pour le Niger, nombreux furent ceux qui avaient cru bon mettre Yasmine en garde. On ne partait pas pour une destination comme celle-ci sans savoir ce qui s'y tramait, aussi s'était-elle fait un plaisir de rappeler à tous ceux qui avaient tenté de la décourager de partir qu'elle savait ce qui l'attendait. Les seuls qu'elle avait préservé à ce sujet restaient Amjad et Fatima qui n'avaient jamais vraiment su où elle était exactement partie, surtout pour qu'ils évitent de se ronger les sangs en entendant aux nouvelles le nom du patelin dans lequel leur cadette avait posé ses valises le temps de quelques mois. Sohan, Hassan, Clara et Molly avaient de bon grès acceptés de minimiser les faits, juste parce qu'elles leur avaient faire promettre à grands coups d'argumentation béton dont elle seule avait le secret, qu'ils ne devaient pas savoir, qu'il fallait qu'ils restent sereins le temps de son séjour, même s'ils avaient pris ça comme une véritable épreuve d'être séparés d'elle autant de temps – la première fois en trente ans, si on devait se lancer dans des calculs savants. Alors, elle avait conclu un pacte avec elle-même pour, chaque fois qu'elle leur parlait à travers l'écran défoncé de l'ordinateur mis à sa disposition sur place, déplacer son point d'arrivée de quelques kilomètres, histoire qu'ils ne sachent pas tout à fait ce qu'ils devaient redouter en l'ayant laissée s'en aller ; mentir pour préserver, Yasmine savait faire mieux que quiconque. Au-delà de ce mensonge sans gravité, elle s'était sciemment lancée dans le projet en ayant une nette vue de la situation politique du pays qu'elle s'apprêtait à rejoindre et finalement, c'était pour ça qu'elle s'était envolée, laissant de côté sa vie australienne et ses soucis, et se retrouvant plongée dans un documentaire dépaysant, pas moins insupportable pour autant. Oui, elle était partie en sachant ce qui l'attendait, et elle avait été assez sotte pour s'être mentalement préparée au pire, pas à l'horreur. Pourtant, c'est ce qu'elle avait côtoyé pendant huit mois : la vétusté matérielle et humaine, le malheur à l'état pur et la menace qui planait sans cesse… revenue de tout ça, marquée à vie par d'horribles images, regrettait-elle d'être partie ? Absolument pas, même si elle avait toutes les raisons de penser que ce séjour avait fragmenté la personne qu'elle était alors, réduisant le semblant d'innocence qu'elle avait conservée de cette enfance si parfaite à ses yeux, et qui faisait partie de sa personnalité, à peau de chagrin.
C'était ce qui lui permettait de comprendre Soheila. Elle n'avait pas besoin de lui expliquer les raisons qu'une décision comme celle qu'elle la soupçonnerait de prendre si l'occasion lui en était de nouveau donnée, car chez elle aussi, elle était désormais inscrite dans ses gènes, exactement comme la couleur translucide de ses yeux et son grain de peau. Elle avait beau avoir souffert, c'était toujours moins que ceux à qui elle venait constamment en aide et ça, c'était une idée qu'elle ne réussissait pas à supporter. C'était peut-être inconscient de l'envisager maintenant, fraîchement sortie de son incarcération, cependant Yasmine ne parvenait pas à blâmer Soheila pour son souhait de renouer avec ses anciennes manies humanitaires. En fait, elle lui aurait volontiers proposé d'être la première à rejoindre son équipe si elle n'avait pas été aussi incertaine, et en même temps si certaine, quant à ses projets d'avenir ; et puisque Soheila se rajoutait à la liste de ceux qui croyaient tant en elle, aurait-il été honnête de les repousser encore une fois ? Yasmine relégua cette question à la dernière place de ses priorités immédiates, concentrée sur le discours de la jeune femme qu'elle couvait d'un regard aussi doux que scrutateur, la tête penchée sur le côté.

"Ça s'arrangera, j'y crois." fit-elle dans un accès d'optimisme qui lui était propre, même si dans le fond, elle réalisa doucement qu'elle nourrissait des d'infimes doutes quant au happy end que Soheila était en droit d'espérer à propos de tout ça. Quoi qu'il se passerait néanmoins, elle tacherait d'être présente pour la jeune femme, exactement comme elle avait été présente pour elle sur le camp de Diffa. Yasmine ferait ce qu'elle pourrait pour la soutenir si elle en ressentait le besoin, et c'est dans cette optique qu'elle lui proposa son témoignage juste au cas-où elle en aurait besoin. Une nouvelle fois, elle ne fût pas étonnée par la réponse que la jeune femme lui adressa, comme si elles étaient assez similaires pour qu'elle puisse si facilement anticiper les paroles qu'elle lui desservirait avec cette grâce innée qui la fascinait tant "Mon aide n'est pas seulement valable pour ton procès. Si t'as besoin de te changer les idées, je vais te laisser mon numéro de téléphone avant de partir, et je t'interdis d'hésiter à l'utiliser." Une fermeté un peu théâtrale dans le ton, Yasmine chassa le léger froncement de sourcils qu'elle avait emprunté pour signifier à Soheila qu'elle était sérieuse à ce propos, par un sourire doux et sincère. Puis, elle sentit les doigts de la jeune femme s'agripper doucement à son avant-bras, alors elle aussi, elle se pencha par-dessus la table-basse, et tendit la main pour lui toucher l'épaule en ajoutant dans un léger murmure – inutile, puisqu'elles étaient seules "J'oublierai jamais ce que t'as fait pour moi là-bas. Je sais que t'attends rien en retour, mais j'ai envie d'être là pour toi autant que tu l'as été pour moi. J'ai beaucoup pensé à toi ces derniers mois, je suis désolée que ce soit tombé sur toi." Parce que la chance qu'elle avait mentionné tout à l'heure, ou plutôt la malchance dans le cas présent, était impitoyablement aléatoire et qu'elle se fichait bien des bonnes actions accomplies par ceux qu'elle choisissait comme victime ; une injustice que Soheila ne méritait définitivement pas, mais elle ne lui ferait pas l'affront de le lui faire savoir à voix haute, sachant pertinemment que cette dernière se défendrait de ne pas être plus à plaindre que les milliards d'individus sur cette planète qui souffraient d'injustice bien plus souvent qu'à leur tour.
Yasmine marqua une pause dans la caresse distraite qu'elle donna à la jeune femme. Elle se redressa doucement, se souvenant soudain qu'elle n'avait pas quartier-libre. Arriver en retard au travail ne faisait pas partie de ses habitudes, quand bien même Molly se ferait un plaisir non-dissimulé de couvrir ses arrières en lui inventant une excuse toute trouvée pour expliquer qu'elle ne soit pas encore venue pointer. De ce fait, et manifestement à contre-cœur si on s'évertuait à traduire le soupir profond qui s'échappa de ses lèvres légèrement entrouvertes, elle replaça nonchalamment une mèche échappée de sa coiffure tressée tout en laissant poindre un sourire timide et coupable, lui disant en même temps "Je devrais peut-être m'en aller, maintenant. J'ai du travail qui m'attend."

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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyJeu 29 Aoû 2019 - 19:25

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Ça s’arrangera. Peut-être pas ? Et ensuite quoi ? Une cellule de nouveau ? Pire encore que la première car celle-ci aura été réfléchie, soupesée et imposée, quand même. Je chassai cette réponse de mon esprit car je voulais m’imprégner de l’optimisme de Yasmine, car elle laissait cela s’échapper d’entre ses lèvres comme une vérité, un filet d’eau clair qu’elle ne se souciait même pas de rattraper car elle, n’était pas du genre à le laisser charrier le plus pur d’elle-même, le laisser creuser, s’infiltrer et œuvrer impatiemment. Comment parvenait-elle à donner tant de conviction aux autres, tant d’optimisme, et en garder si peu pour elle, si peu pour ses rêves et ses projets. C’était une question à laquelle elle n’avait sans doute pas de réponse, une question que je me gardais bien de lui poser à nouveau car elle n’aurait fait que la gêner. Les compliments se déposaient sur ses joues constamment, habillant ces dernières d’une teinte rosée qui ne faiblissait jamais. « Mon aide n'est pas seulement valable pour ton procès. Si t'as besoin de te changer les idées, je vais te laisser mon numéro de téléphone avant de partir, et je t'interdis d'hésiter à l'utiliser. » Son emphase m’arracha un sourire, peut-être même un rire que je ne cherchais pas à contenir. Elle faisait partie de ceux-là, indéniablement. Ceux-là que j’avais du mal à comprendre, à imiter dans la vie de tous les jours - pourtant si bien, au-delà des frontières - comme cela, sans compromis, que je ne pouvais qu’admirer de loin, un peu. Je finissais presque par réussir à croire qu’il n’existait pas de gens sur qui l’on pouvait compter, réellement, qui ne fuyaient pas, ne disparaissaient pas, ne se défilaient pas, même s’ils tombaient également de leur côté. Mais il suffisait de rien, rien que quelques phrases ou quelques attentions, et j'avais deviné rapidement qu’elle devait pourtant en faire partie, avec sa famille, son entourage, ses proches. Ceux-là même dont elle avait pensé un instant s’éloigner pour mener à bien ses ambitions. Elle ne le devrait pas, incontestablement. Il s’agissait de l’une de ses forces. « Tu risques de le regretter si je te prends au mot, j’ai beaucoup plus de temps libre qu’avant, tu sais. » répondis-je, une lueur presque malicieuse dans le regard pour faire écho à la sienne, bienveillante, comme toujours, prête à m’accueillir au sein de maux qu’elle ne faisait qu’effleurer. Ce n’était pas à elle de les supporter, elle avait les siens, déjà, les siens que j’avais cru entrapercevoir et sur lesquels je n’avais pas osé rebondir, pas tout de suite. Elle les dissimulait bien, elle en avait l’habitude, elle aussi. Mais son allure ne se conformait à aucune noirceur, aucun doute. Ou peut-être avais-je su les deviner car ils avaient été les miens également et qu’ils s’étaient reconnus.

« J'oublierai jamais ce que t'as fait pour moi là-bas. Je sais que t'attends rien en retour, mais j'ai envie d'être là pour toi autant que tu l'as été pour moi. J'ai beaucoup pensé à toi ces derniers mois, je suis désolée que ce soit tombé sur toi. » Sa main vint s’attarder sur mon épaule avec délicatesse et une douceur dont elle était empreinte. Qu’avais-je fait pour elle qu’elle n’avait pas su rendre ensuite ? Je souris légèrement car elle ne se rendait pas compte. Que tout n’était que balance et que nous nous étions - moi également, appuyée sur elle pour s’élever plus haut. Elle ne s’en était pas rendue compte. Je m’appuyais sur chacun des membres de l’équipe que je dirigeais en pays étranger, c’était essentiel pour qu’une mission soit performante, non pas infaillible, les situations ne le permettaient jamais, mais efficiente. Yasmine avait été différente, à sa manière. Son engagement avait été pur, sincère, porté par l’engagement de celle qui le portait, un engagement du premier jour, de la première fois, n'ayant pas encore eu le temps d'être délayé ou terni par ce à quoi nous étions confrontés. Elle ne me devait rien, non, mais je ne le dis pas car j'aimais à penser qu’elle devinait déjà mes paroles. Et pour le reste … Pourquoi la fatalité s’était-elle posée sur nous, ce jour-là, sur les routes désertiques de Guizhou. C’était une question à laquelle je n’avais jamais cherché de réponses. Si ce n’était pas moi, cela aurait été d’autres. Et je me serais retrouvée dans sa position, désolée de ne pas avoir su le prédire, désolée de ne pas avoir pu l’empêcher, désolée de ne pouvoir faire que cela, être désolée. Même si cela signifiait tout de l'entendre, toujours. « C’est gentil à toi de le dire. » Ça l’était, n’est-ce pas ? Profondément. Au sens premier du terme et ce n’était pas chose légère. Cela n’avait plus rien d’une qualité superficielle lorsqu’elle s’exprimait à travers Yasmine. Alors, dis-lui. Dis-lui ce que tu aimerais dire, ce que tu tais, ce que tu caches pour ne pas indisposer, ne pas gêner, ne pas faire peur. Dis-lui puisqu’elle te dit qu’elle veut l’entendre. Mais je souris. Je laissais mon allure répondre, elle le faisait si bien, par habitude. Ce n’était pas le lieu, n’est-ce pas ? Ici, je luttais tous les jours pour que l’on aperçoive Soheila Hodge, la fondatrice, Soheila Hodge, la directrice, Soheila Hodge qui tenait encore la barque, qui était de retour, qui était la même. Ce n’était pas pour donner raison à tous ces regards indiscrets que j’apercevais quelques fois, voyeurs de temps en temps mais le plus souvent emplis d’une simple curiosité ou d'une sollicitude déplacée. « Tu n’as pas à être désolée, vraiment. Ne pense pas à ça. » Et j’étais sincère, tout en moi l’était, du regard que j’accordais au sien, d’un vert limpide et soucieux, au sourire qui habilla le coin de mes lèvres. Je ne voulais pas qu’elle y pense car je savais le poids de la compassion et que cette dernière s’exprimait par tous les pores de son âme. La douleur des autres, leur passé, leurs émotions, s’associaient alors à la nôtre, co-ressenties, avec eux, pour eux, à leur place si on le pouvait, multipliées par l’impuissance que l’on ressentait, prolongées dans des centaines d’échos.

Ne pense pas à ça. Car il s’agissait du passé, n’est-ce pas ? Que cela devrait le devenir. Car je lui avais fait comprendre, dès nos premiers mots échangés il y a deux ans, que j’étais celle qu’elle pouvait croire, qui serait là, qui croyait en elle et qui ne cesserait pas. Et que j’avais failli, la forçant à occuper ce rôle soudainement, aujourd’hui. Elle avait été présente, qu’elle ne s’inquiète pas. Elle l’avait été, simplement en n’oubliant pas, car l’oubli était sans doute ce qui inquiétait lorsque l’on se retrouvait là-bas, entre quatre murs. « Je devrais peut-être m'en aller, maintenant. J'ai du travail qui m'attend. » Elle se redressa lentement, domptant distraiement l’une de ses mèches de cheveux pour accompagner ses mots. « Je ne t’ai jamais vue manquer à l’appel en quatre mois à travailler ensemble. Je m’en voudrais d’être la cause de ton retard, tu as raison. » commentai-je alors, exagérant presque l’air contrit que cette constatation provoquait. Je poussai légèrement nos tasses sur un coin de la table, cherchant du regard distraitement l’une de mes cartes professionnelles sur lesquelles figurait ce que je désirais lui laisser. En vain. Je me levai alors pour attraper mon téléphone que je lui tendis après m’être retournée. « Mon numéro a changé, avec tout ça. Tu peux t’envoyer un message pour l’avoir aussi. » Je glissai une mèche de cheveux derrière mon oreille pour la regarder, une seconde. Je ne lui avais pas demandé. Ce qu’il y avait de différent en elle, ce quelque chose qu’elle n’avait pas avant Diffa et dont j’avais pourtant perçu le reflet dans son regard. Mais le moment ne me paraissait pas opportun. « Tu sais que tu peux m’appeler aussi, peu importe la raison. » Tout de même. Un sourire de nouveau avant de récupérer mon téléphone, jugeant important de lui signifier l’évidence avant qu’elle ne s’en aille.
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Message(#)one day it's here and then it's gone (yasmine) EmptyJeu 5 Sep 2019 - 7:09


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crédit/ (tumblr) ✰ w/ @soheila hodge

Si, en sortant de chez elle, Yasmine avait tant regretté d'oser s'imposer dans l'univers de Soheila, bravant la ligne invisible que l'incarcération de la brunette avait tracée entre elles au cours de ces derniers mois, ce n'était maintenant plus qu'un lointain souvenir. Quelque chose dans l'atmosphère lui donnait l'envie prégnante de rester ici… mais malheureusement, le devoir l'appelait, son de cloches désagréable qui lui fit froncer les sourcils et soupirer doucement. Elle aurait pourtant aimé pousser ses interrogations plus loin à propos de l'épreuve que Soheila avait vécue, sans doute pour la soulager du poids qui pesait si lourd sur ses épaules que sa silhouette de danseuse, si harmonieuse et si gracile, en pâtissait plus qu'elle ne s'en apercevait très certainement. Elle avait souffert, ça se remarquait à la façon dont elle remplissait à peine l'espace qui s'offrait à elle ; avec beaucoup moins de légèreté que dans le passé, elle qui savait pourtant si bien manier le pas de deux, aussi bien d'ailleurs que la marche instinctive qui lui permettait de fouler la terre battue des pays pour lesquels elle s'investissait corps et âme. C'est après avoir fait preuve d'un peu de sentimentalisme qu'elle décida qu'il était temps qu'elle reprenne le cours normal de sa vie d'infirmière. Parce que Molly ne pouvait pas toujours assurer ses arrières à propos de ses retards, de plus en plus nombreux, si elle devait être tout à fait honnête ; quoi qu'en dit Soheila qui pointa du doigt son professionnalisme à toute épreuve, son entrain à se rendre au travail s'était, aussi minime que ce fût pour le moment encore, légèrement effritée au cours des ces dernières semaines – ce n'était pas bon signe, mais comme pour tout le reste, elle préférait l'ignorer.
Cette conversation avec la jeune femme lui tournerait dans la tête durant toute la journée, au point de la distraire des taches dont elle avait l'habitude de s'occuper tous les jours, l'esprit entièrement tourné vers les nombreux souvenirs du Niger qu'elles avaient en commun. Presque prudemment, elle se leva de son siège, rompant le contact de sa main contre l'épaule de la jeune femme. Yasmine accepta son téléphone portable sur lequel elle n'hésita pas à tapoter un rapide message qui fit vibrer le sien, rangé dans la poche arrière de son pantalon. Lui rendant instantanément son bien, elle lui adressa un sourire plein de gratitude, et puis elle pencha la tête sur le côté, et opina très subtilement pour appuyer ce qu'elle laissa échapper "Je le sais." fit-elle tout simplement. Un peu submergée par cet échange de bons sentiments qui la replongeaient dans la douceur des moments qu'elles avaient partagées dans un passé pas si lointain, elle s'inclina en avant pour prendre la jeune femme dans ses bras. Une étreinte courte et banale qui lui permit de faire mine de rien, puisqu'elle ne tenait pas à s'appesantir sur le voile plus sombre qui lui tomba sur le visage lorsqu'elle comprit qu'il était vraiment temps qu'elle parte. Se reculant alors, elle posa soudain son regard sur la jeune femme, et sans démontrer le moindre signe de vacillement, elle lui dit "Prends soin de toi, Soheila." Plus un conseil qu'un ordre prononcé sur le ton de l'affection pure qu'elle lui portait. Un dernier signe de tête, et elle empoigna son sac pour s'en aller.
Sur le chemin qui la menait jusqu'à la sortie de la Hodge Fondation, Yasmine se rappela les raisons qui l'avaient poussées à considérer Soheila comme une sorte de mentor, un modèle précieux à suivre pour faire vivre ce rêve qu'elle gardait en elle depuis longtemps. Elle lui enviait bien des choses, mais c'était avec une profonde bienveillance, comme les petites-filles qui s'accrochaient à l'image d'une idole qu'elle choyait dans l'espoir de prétendre à la même chose ; sa grâce, sa force, son courage… Yasmine savait qu'elle ne pourrait jamais lui arriver à la cheville, mais elle avait su conserver les bribes de conseils qu'elle avait daigné lui accorder, les utilisant à bon escient en espérant qu'ils la mèneraient vers ce chemin qu'elle était tellement effrayée d'emprunter, mais qui représentait tous ses espoirs de vivre la vie qu'elle pensait mériter, même si c'était trop timidement pour qu'elle ose l'exprimer à haute et intelligible voix.

rp terminé.
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