- Soldat Dos Santos ! - Mon colonel. - Merci pour vos services envers la patrie. Reposez-vous au sein de votre famille. - Merci mon colonel. - Rompez.
Un signe de tête, une salutation et me voilà civile pour 4 mois minimum. J’ai attrapé mon baluchon, et j’ai tourné la tête : j’ai vu ma mère en pleurs, sûrement heureuse de me revoir (pratiquement 8 mois me séparait de ma dernière permission… Ça en fait un paquet de temps) et mon père, un sourire aux lèvres (serait-ce de la fierté que j’aperçois dans ses yeux ?). Je me suis approchée d’eux, et là, préparez-vous à la scène comme dans les films : ma mère s’est jetée à mon cou, comme si c’était elle qui avait fait la guerre ; et mon père a lâché une larme.
- Rho, maman..
J’ai ris en la serrant contre moi : on pouvait dire ce que l’on voulait : rentrer chez soi, il n’y avait rien de mieux. J’ai jeté un coup d’œil à mes camarades vivants ; j’ai regardé le ciel en pensant aux morts ; et j’ai fini par attraper mon père par le bras.
- Alors, quoi de nouveau dans ce monde ?
(…)
Je vous épargne le trajet en voiture, les discussions en portugais, ma mère qui râle en voyant l’état de mon linge, et qui se met à pleurer parce qu’elle se rappelle qu’elle aurait pu me perdre ; je vous épargne les discussions du monde avec papa, et les coups de téléphone de toute la famille pour s’assurer que je vais bien. On fait un petit bond dans le temps, et là je suis dans mon lit, large tee-shirt rouge-jogging-grosses chaussettes, les cheveux détachés et trempés grâce à ma douche fraichement prise ; et le téléphone à la main. Je n’avais pas envie de surfer les réseaux ; encore moins de jouer à un quelconque jeu non. J’ai envoyé un SMS à Apolline : « Devine qui est posé chez elle ? » ; je savais qu’elle débarquerait d’ici 20 minutes. Je me suis levée, non sans me plaindre de mes jambes en compote, et j’ai ouvert la porte de ma chambre pour gueules un : « Mae, Apolline esta vindo » avant de refermer la porte. (En gros, je l’ai prévenu que Lili va venir … non mais juste au cas où). J’ai allumé mon enceinte nomade, j’ai mis Spotify sur mon téléphone et j’ai laissé ma laylist jouer. J’ai choppé ma canette de coca zéro (d’accord, je suis déjà extrêmement mince et grande, je n’en ai pas vraiment besoin du 0… et alors ?), et j’ai attrapé les photos de l’armée : elles ont été prises à 3 périodes différentes. Avant, dans l’avion qui nous emmenait. Pendant, lors d’une des rares permissions que notre unité avait. Et après, dans l’avion du retour. Plonger dans les photos, j’ai repensé aux ambiances dans chaque période, comment nous avions évolué, ce qui s’était passé en l’espace de trois ans de mission : ça faisait mal, mais c’était le processus. Enfin je crois.
Mon téléphone a vibré une fois –le temps de me sortir de mes réflexions ; deux fois –le temps de récupérer mon téléphone après avoir laissée les photos sur le bureau. J’ai déverrouillé l’appareil technologique, et j’ai levé les yeux au ciel aux messages de Lili : « ne sois pas en retard … ». Elle et l’ennuie, ça faisait rarement bon ménage : si elle avait décidé de se teindre les cheveux en rose aujourd’hui, elle aurait très bien pu se faire tatouer une fraise, ou se faire un piercing au nombril, ou commander le plus gros drive de nourriture que vous auriez vu. Elle était comme ça, Lili : un peu enfantine, trop excessive mais si adorable ; et si pendant un moment j’avais regretté cette relation qui ne s’est jamais fait, maintenant que nous étions amies tout semblait plus simple. En théorie.
J’ai balancé mon téléphone dans mon lit, et je suis sortie de ma chambre, la canette à la main ; j’ai descendu les escaliers, et je suis partie dans le salon, où maman détendait le linge. Mon linge. « Attends ! » J’ai piqué mon tee-shirt de l’armée et j’ai retiré le mien ; je l’ai entendu râler, en mode « tu ne l’as pas assez mis pendant 3 ans ? » (En mode portugais, avec la gestuelle et tout le tralala, un sketch). Je lui ai tiré la langue en partant vers la cuisine, et j’ai pris une autre canette de coca zéro en jetant l’ancienne. En partant dans le couloir (on aurait dit que je déambulais comme une âme en peine), j’ai croisé mon reflet dans le gros miroir sur pied de la maison : mon gros jogging camouflait mes jambes extra-fines, mon tee-shirt était un poil déformé, et j’ai finalement enlevé mes chaussettes que j’ai envoyé valser dans le panier à linge, dans la salle de bain qui était dos à moi.
J’ai pris le chemin vers le jardin, toujours en train de picoler ma canette, quand j’ai entendu la sonnette de la porte : j’ai ris intérieurement, et j’ai laissé ma mère aller ouvrir la porte (je savais que ça la rendrait mal à l’aise, et qu’elle serait obligée de contenir sa folie devant ma génitrice.) Je me suis assise dans l’herbe, face à l’étendue de verdure, toujours la canette à la main, que j’ai finis par terminer. Je l’ai écrasé, je l’ai posé à côté de moi et j’ai attendu que Lili arrive.
[Autre PDV] La sonnette retentie chez les Dos Santos. La fille sourit alors que la mère laisse tomber son linge dans la panière pour s’avancer vers la porte : elles savent toutes deux qui attend derrière la porte. La mère Dos Santos ouvre la porte et découvre la petite pile électrique qui vient voir sa fille : elle l’a toujours énormément appréciée, et Maria était persuadée qu’elles finiraient ensemble, même si la chance ne les a pas vraiment accompagné jusqu’à ce jour. Elle savait que Dieu finirait par les laisser être ensemble ; elle sourit à cette pensée. « Bonjour Apolline, Teodora m’a prévenu que tu viendrais. Viens, elle est dans le jardin. » Elle la laisse passer et finit par refermer la porte. Elle marche devant elle, et une fois devant la baie vitrée, elle lui chuchote. « Son retour nous fait du bien à tous. » Et elle les laisse.
J’ai senti le regard de ma mère sur moi, dans mon dos, et je sentais qu’elle n’était pas seule : je pouvais sentir la présence de Lili à des kilomètres. (Non, je blague bien sûr : c’était juste hyper logique qu’elle accompagne ma mère vu qu’elle avait sonné à la porte quelques minutes auparavant.) J’ai ris en l’entendant, les yeux se levant au ciel presqu’automatiquement. « La tête que tu as dû faire devant ma mère valait le coup de ne pas venir t’ouvrir je suis sûre. » J’ai lâché un regard vers elle avant de secouer la tête à ses paroles : je lui ai gentiment mis un coup de coude avant de soupirer, et de finir par sourire à son comportement enfantin. « Ça fait du bien de rentrer à la maison ouais. » J’ai ris, sachant que ne pas lui dire qu’elle m’avait manqué, ça la ferait bouder. Mais je ne le ferais pas : je n’ai jamais été doué pour parler de sentiments, là où, elle, était une méga-experte-de-la-mort-qui-tue. C’est peut-être nos différences qui ont fait que ça n’a jamais abouti à autre chose que cette amitié.
Enfin bref, elle était là, à côté de moi et quand je l’ai regardé attentivement, j’ai vu le résultat d’une couleur posée moitié moins de temps que prévu. J’ai pris une mèche rose dans ses cheveux, et j’ai soulevé un sourcil. « Rappelle-moi quel était le but de cette chose ? » J’ai ris et j’ai lâché sa mèche avant de reprendre un air semi-sérieux. « Ah oui, l’ennui : rappelle-moi de ne plus partir aussi longtemps en mission. » J’ai secoué la tête avant de regarder devant moi. « Non, ça te va plutôt bien va… » J’ai souris intérieurement avant de lâcher « … Au moins on s’aperçoit de ta folie de l’extérieur maintenant ! » Avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, je me suis jetée sur elle pour la faire s’allonger dans l’herbe, morte de rire. Je me suis posée à côté d’elle : ma tête était collée à la sienne, et pour la première fois depuis longtemps, je me sentais bien ; entière ; sans peur.
C’est ce moment précis que ma mère a choisis pour venir nous déposer des canettes de soda (choisis, tu as de quoi faire boire un régiment : Fanta, Coca, Sprite) et de quoi grignoter (bonbons, chips, gâteaux) ; bref, la légendaire hospitalité des Portugais n’est pas qu’une légende. « Obrigada Mae ». Et elle a disparu aussi rapidement qu’elle était arrivée : ça me faisait toujours rire, sa légendaire discrétion. J’ai tourné la tête vers Lili et j’ai haussé les épaules. « Fais comme chez toi hein ! » J’ai souris en me redressant, un râle de douleur sortant de ma bouche : c’est fou comment mon corps était endolori. J’ai choppé une canette de coca zéro et je l’ai ouverte : le pschiit de l’ouverture fut suivi d’un : « Quoi de neuf au front ? » Oui, l’autodérision et moi, on est amies !
Elle était tellement mignonne : tout dans sa façon de parler, dans ses manies et dans sa façon de vivre pourrait me faire craquer –m’avait fait craquer pour elle. Mais, étant diamétralement opposées sur ces mêmes choses, la vie nous avait juste rappelé l’impossibilité de se mettre ensemble. Et, here we are, avec cette amitié dont nous étions les seules à y croire : même ma mère savait qu’on était faites pour être ensemble. Et même avec tous les arguments que j’ai pu lui sortir alors bon… J’ai levé les yeux au ciel, sans un rictus sourire, lorsqu’elle a préféré la méthode galipette pour se relever : preuve encore une fois de son tendre degré de maturité, que j’adorais tellement. Je n’ai pas relevé son allusion à mon départ, faite juste avant cette acrobatie : même si elle s’était teinte les cheveux en violet, ou qu’elle s’était rasée à blanc, j’aurais dû partir. Mais je ne voulais pas lui enlever son innocence alors… Je me suis tue. Et j’ai attendu.
Quand elle a toussé à ma phrase, j’ai souris en buvant un gorgée de ma canette de coca zéro : ça faisait toujours son petit effet, et moi ça me faisait toujours autant rire. J’ai accueilli son trinquage (j’ignore si ça se dit mais bon, comme on est dans ma tête, on fait avec mon vocabulaire hein) avec un mouvement de tête, et j’ai continué à boire en écoutant ses misères. Toute personne qui reviendrait de la guerre trouverait ça dérisoire : des histoires de papiers, de macarons, d’applications de rencontre, de cactus mort ; même une personne lambda lèverait les yeux au ciel à cette liste. Mais moi, j’étais fascinée par sa vie atypique : tellement que son histoire de cactus mort, bah ça m’a rendu un peu triste. « Tu les as retiré à temps tes macarons ? Ou bien tu étais encore occupée à faire autre chose en même temps ? Je t’ai répété des centaines de fois : 9 minutes, pas plus, sinon c’est foutu. » J’ai ris, un peu, et j’ai secoué la tête. « Et tu as mis des rappels quotidiens pour ton cactus ? 22h, tous les jours, un pschiit d’eau, et on n’en parle plus. » J’ai souris, et j’ai repris une gorgée alors qu’elle a continué son récit.
« Oui, et ça fait du bien de voir que, finalement, tout est identique. » Ça évite d’être un peu plus perdue. Mais je ne lui ai pas dit. Parce que ça serait me confier sur comment je me sens : et je n’avais pas envie d’être prise en pitié. Et quand elle m’a demandé et toi ? –j’ai soupiré un peu. Elle connaissait si bien mon père, et l’interrogatoire qu’il me faisait à chaque retour : et comme à chaque fois, je n’avais pipé mot. J’ai haussé les épaules, et alors que j’allais lui répondre, elle me posa une autre question : à laquelle j’ai souris. « AAAAH, t’es venue juste pour savoir dans combien de temps tu seras débarrasser de moi en fait ! » Je l’ai gentiment poussé en riant, et j’ai repris une attitude nonchalante, le genou replié, mon bras dessus et ma canette dans la main. J’ai lentement pris une gorgée pour laisser le suspens s’installer, et au moment où je l’ai vu râler, j’ai ris. « Une autre unité a pris notre place en Afghanistan : on a perdu trop d’hommes, et comme on y était depuis pas mal de temps, ils ont envoyé une autre cavalerie. » J’ai déglutis, je me suis stoppée un instant.
Peut-être long, l’instant, mais j’ai finis par reprendre. « On a été renvoyé chez nous, pour se reposer, prendre des forces. Ils ont parlé de 4 mois minimum. 1 an maximum, ça dépendra des plus blessés. » Ou alors, on sera affecter à une autre unité : mais je ne lui ai pas dit. Je voulais pas la rendre triste. « Et puis, pour répondre à ta question … » Je lui ai jeté un regard, souriante. « … Parce que sinon tu vas t’inquiéter pour rien … » J’ai haussé les épaules. « Tu sais comment c’est, la guerre : des morts, des vivants, des combats. Rien de folichon. » Ah, l’autodérision : j’ai repris une gorgée de coca. « Bon et toi, c’est quoi cette histoire d’applications de rencontre ? »
Je n'sais pas ce qui me décidait à vouloir autant être présente dans sa vie : si je poussais la réflexion un peu plus loin que le simple fait de vouloir l'aider au quotidien, je savais que ça révèlerait des trucs encore plus sordides ; des trucs qu'on s'était interdites de penser, de dire, ou même d'imaginer. J'pourrais simplement vous dire que je voulais être présente dans sa vie, dans ses gestes du quotidien, dans ses pensées : comme elle faisait partie de mon quotidien, même quand elle était au abonnées absents. Parce que c'était dur de se rendre véritablement compte de ses sentiments : ça nous avait péter tellement de fois à la gueule qu'au final, la guerre, c'était pas plus mal. Quand ça te pète à la tronche, en général, tu ne te relèves pas : fin de ton monde, fin de ta vie, début de ta mort. Mais Lili, elle était plus qu'une simple grenade dégoupillée dans le champs de mes sentiments : elle avait semé des mines partout dans le champs, déployer toute son armée dans les tranchées ; si bien que je n'arrivais même pas à me reconnaitre parfois. C'est vrai quoi : je ne suis pas vraiment du genre à balancer le nombre de minutes qu'il faut pour cuire parfaitement des macarons (j'aimais pas ça, et en plus j'ai toujours détesté la cuisine) ; encore moins de rappeler à quelqu'un d'arroser ses plantes (j'faisais mourir toutes mes plantes, si bien que j'avais fini par opter par du plastique). Alors pourquoi je faisais ça pour elle ? Pour rendre sa vie quotidienne aussi douce qu'elle ne l'était : pour être sûre d'avoir un petit impact dans son quotidien. Pour qu'elle se dise : ah oui, là, c'est Téo. C'est personne d'autre.
J'ai aimé sa façon d'être désinvolte, et pourtant de me montrer de l'intérêt : on me demandait souvent pourquoi je parlais pas de la guerre, à personne. Je détestais la pitié, la tristesse, les "oh mon dieu, que c'est triste, je suis désolée pour toi, ça a dû être dur" et compagnie ; ça m'donnait la gerbe. J'ai fini ma canette de coca, que j'ai balancé non loin, juste pour pouvoir me rallonger. C'était sûrement sa légèreté, son innocence, sa gentillesse -sa maladresse qui m'avaient plu : en fait, tout en elle aurait pu me rendre heureuse. Mais aujourd'hui, here we are ; F.R.I.E.N.D, juste amies. Ratées. On s'était juste ratées. Tant pis. Changement de chapitre. J'ai balayé mes pensées d'une secousse de main, comme si je chassais une mouche inexistante, et puis j'ai écouté son histoire de site de rencontre : si plus rien ne m'étonnait de sa part (des cheveux roses, en passant par les macarons grillés, sans oublier la tonne de papier sur le bureau, ou le fait de regarder la télé à l'envers), les sites de rencontre me taraudait l'esprit. J'étais aussi curieuse, qu'inquiète : j'étais pratiquement sûre qu'elle n'en avait pas eu l'idée toute seule donc ... " Avec qui tu as fais ça ? " Et elle ne pouvait pas me mentir.
Sans le vouloir, inconsciemment, j'avais été légèrement trop brusque, et froide en le lui demandant. Un sourcil levé, un regard accusateur, j'étais jalouse malgré moi : et j'avais beaucoup de mal à le lui cacher. J'ai quand même essayé en riant un peu jaune. " Faut pas s'étonner de rencontrer que des ordures quand on cherche dans une déchetterie. " Calme Téo, te dirais ta mère. Et pourtant, j'ai continué. " Tu sais très bien que tu n'as pas besoin de ce genre de chose : j'organise une petite soirée, et je te présente qui tu veux. Ca ira plus vite, et au moins je suis sûre de la personne vue que je la connaîtrais ; ou du moins, je connaitrais ses connaissances donc ... " Je me suis redressée et j'ai ouvert ma troisième canette. J'ai bu de longues gorgées, en essayant de cacher ma frustration : des sites de rencontre ??? J'ai levé les yeux au ciel en scret' et j'ai fini par secouer la tête. " Et comment vont tes mille et un compagnons ? " Référence à son travail. Il valait mieux changer de sujet je pense.
Elle était belle. C'était une vérité, je lui avais toujours rappelé, toujours dit. Elle le savait maintenant : et si c'était que moi, je passerais mes journées à lui rappeler : mais on ne pouvait pas, on n'avait pas le droit. Pourquoi tout foutre en l'air ? On avait carrément galéré à avoir cette relation sans ambiguïtés, à avoir cette vie calme et apaisante : on avait eu du mal à apprécier la présence de l'une et de l'autre, sans se faire de mal. J'pouvais pas tout balayer sous prétexte qu'elle était belle ; mais elle l'était. Et je savais qu'en la lançant sur le sujet de ses animaux, elle rayonnerait encore plus : ça se voyait, qu'elle aimait ça. Son métier, c'était sa plus belle fierté : j'avais compris, depuis le temps, que c'était la seule chose dont elle était réellement fière chez elle. Il faut dire qu'elle le pratiquait tellement bien : à bien y réfléchir, tout le monde l'aimait ici. Et encore plus depuis qu'elle avait ouvert son cabinet vétérinaire : il faut dire qu'elle mettait beaucoup de cœur -pour pas dire tout son cœur, à l'ouvrage. Elle faisait des crédits pour des gens qui n'avaient pas les moyens de payer de suite leurs consultations, elle gardait certains animaux recueilli par la SPA, le temps qu'une cage se libère ; elle riait, souriaient, parlaient avec les animaux comme elle le faisait avec les humains : souvent, je me disais qu'elle y arrivait mieux avec les animaux qu'avec les humains. Je me suis toujours demandée si elle n'était pas née avec le don de les comprendre : être capable de savoir ce qu'ils ont, comment ils se sentent. Un peu comme l'empathie chez les humains, mais pour les animaux. Elle faisait de la magie à mes yeux, et ça me semblait tellement important pour elle que j'pouvais passer mes après-midi à écouter les histoires d'abcès, de rhume, de cancer soigné, d'animaux perdus. J'étais satisfaite de ça, de ce que ça avait amené : à chaque perte, on avait un nom de code. Bulle : et je rappliquais automatiquement avec du lait, de la fraise, de la glace et des dessins animés ; je restais des heures, voir des jours, le temps du deuil, et puis on reprenait notre vie comme si de rien était. Et rien que pour avoir ça, j'aurais pu faire toutes les guerres du monde.
Alors je l'ai écouté, ma tête penchée, un sourire amusé sur le visage. Et à sa question, qui a fusé tellement rapidement que je n'avais pas eu le temps de répondre à son long roman sur ses bébés. J'ai haussé les épaules à sa question, et j'ai repris une gorgée de coca zéro. " J'ai en projet de me prendre un animal : chien ou chat, je ne sais pas trop encore. " J'ai souris d'avance, sachant qu'elle allait me sauter dessus d'un instant à l'autre. " Mais je ne sais pas trop à qui m'adresser. Je ne sais pas qui serait disponible pour m'accompagner... Du coup, je pense que je vais y aller seule. " J'ai ris, et j'ai posé la canette non loin, anticipant sa réaction. " Oh bah tiens, tant que j'y pense. " Je me suis tournée vers elle, soudain très sérieuse. J'ai attrapé ses mains dans les miennes, et je l'ai regardé droit dans les yeux. " Me ferais-tu l'honneur de m'accompagner, Princesse Lili ? " Mon cœur battait férocement dans ma poitrine : le jeu que je venais d'installer se refermait sur moi.
Je savais. Je savais qu'elle allait réagir comme ça : ses sourcils froncés, ses mains sur les joues, son essai à la télépathie pour que je le lui demande. Mais en même temps, même si elle n'avait pas été mon premier choix (même si ça semble impensable de penser à quelqu'un d'autre), à qui aurais-je pu demander ? Elle était la personne qui me connaissait le plus, après ma mère. Elle me connaissait mieux que je ne me connaissais. Apolline, c'était le feu. Moi j'étais la glace. On était si différente, et pourtant. J'ai ris, quand elle a crié victoire. Je me suis un peu balancée de droite à gauche tandis qu'elle continuait de parler. J'adorais sa voix, elle avait cet effet immédiat d'apaisement que j'aimais tellement retrouver. Combien de fois j'avais pensé à ça, quand j'étais au front ? Je ne comptais même plus le nombre de fois où j'ai juré de tout lui dire, ou le nombre de fois où j'ai crié que je l'aimais. Mais... C'était sur le coup de la peur, de l'adrénaline. C'est ça, quand on frôle la mort : on perd sa tête ; on perd son cœur. J'ai souris, en secouant la tête, que j'ai fini par tourner vers Lili.
" Bon, je t'expose mes besoins, et après tu m'emmènes pour acheter cet animal. " J'ai avalé la dernière canette en 30 secondes avant de m'étirer et de me rallonger par terre, un bras sous la tête, une jambe relevée. J'ai fixé le ciel, un sourire au coin des lèvres, et j'ai inspiré avant de commencer. " Je m'en fiche de la race. Je m'en fiche de son âge. Je m'en fiche d'où il vient alors tu peux même me proposer un de ceux que tu recueilles. Je veux un compagnon affectueux, qui saura être là en cas de ... Blues. " J'ai tordu ma bouche, pensante, avant de continuer. " Chat ou chien, je veux un compagnon fidèle. Déjà éduqué ou pas, je m'en fiche : je peux le faire en cas de besoin. " J'ai haussé les épaules avant de tourner la tête vers elle. " Par contre, pas un chien dont il faudra faire énormément de dépenses parce que j'ai beau être soldat, je ne suis pas payée des millions du coup ... Evite les animaux avec un traitement à vie, ou avec des tendances à l'handicap. " J'ai souris, et je me suis redressée en couinant de douleur. " Et je veux que le feeling passe bien entre ce petit être et moi. Voilà. " Je me suis levée, alors que ma mère est passée en vitesse pour ramasser nos cadavres de canettes et de paquets de gâteaux. " Obrigada Mae. " J'ai tendu mes mains à Lili et un sourire amusé au coin des lèvres, je lui ai dis. " Allez, on y va ! "