→ Tout devient si naturel, j’agis sans même faire attention à mon attitude, sans me mettre de barrière ou me poser de questions. C’est étrange, non ? Ou tout simplement agréable… Cette façon de se sentir si bien lorsqu’on est avec la bonne personne. Pas besoin de s’embêter et de se cacher derrière des faux-semblants, pas besoin de minauder et de serrer les dents, chaque geste s’effectue avec aisance et je me révèle plus authentique que jamais, soulagé du poids des conventions sociales qui nous obligent à la bienséance et à adopter des lignes de conduites qui ne nous conviennent pas réellement. Il faut bien un cadre pour que le monde tourne, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est en-dehors de ce dernier que je me sens vivre. Je m’autorise rarement à laisser tomber le masque infligé par des années de renfermement sur soi et d’auto-persécution, mais ce soir, en sa présence, je me montre plus réel que jamais. Je souffle de fatigue, j’étire mon corps meurtri par l’effort et envoie une bouteille d’eau en plastique empruntée au minibar vers Terrence. Je l’observe tenter de la rattraper et je pouffe devant sa maladresse tout en portant la mienne aux lèvres. Harassé, la fatigue s’abat sur moi comme une chape de plomb et sans un minimum de sommeil, il me sera désormais difficile de sortir de cet état apathique. Néanmoins, vu mon état, une douche s’impose et je la propose à Terrence. Les fesses appuyées contre le bureau miteux et poussiéreux posé là entre deux fenêtres pour occuper l’espace manquant tandis que sa fonction initiale est reléguée au second plan, j’observe Terrence allongé sur le lit qui peine à se redresser. Non seulement il est amaigri, mais il est dans un état qui m’inquiète énormément, et si jusqu’à présent je n’y avais pas attaché une grande importance, l’incident sur le pont m’a fait prendre conscience de son état. Depuis, je ne suis pas serein. Il n’a jamais été très gros et en dépit de son teint mâte, il a toujours eu ce sempiternel air fatigué, un peu las, comme s’il affrontait chaque jour que Dieu fait à reculons, en redoutant son issue. Et même si j’avais perçu une grande détresse au fond de ses douces prunelles d’opaline, je ne crois pas que j’en mesurais toute l’étendue. Comment l’aurais-je pu après tout ? Nous ne nous sommes jamais vraiment parlé tous les deux, nous contentant de nous observer de loin l’un et l’autre, s’apprenant à distance, s’effleurant sans jamais se toucher… - T’es beau, t’es grave beau Harvey, tu sais ? C’est dit si naturellement, sans ambages, que s’en est surprenant et je ne peux pas m’empêcher de rire légèrement. – Tu délires. C’est la fatigue. Parce qu’il est plus facile de rejeter le compliment que de l’accepter, parce qu’il est trop compliqué d’y croire et parce que je ne sais pas réellement ce qu’est la beauté. Ou je suis en train de me mentir à moi-même, car la beauté selon moi aurait quelque chose à voir avec des cheveux bouclés, des sourcils épais et des yeux verts aux couleurs de l’océan. Il hésite, Terrence, dit qu’il ne viendra pas pour finalement décider du contraire. Un petit sourire flottant sur les lèvres, je retire mon t-shirt collant de transpiration et l’envoie valser sur la moquette usée. Je le suis et mon regard se pose sur son dos nu courbé vers l’avant alors qu’il se déshabille. Mes prunelles glissent le long de sa colonne vertébrale, d’entre ses épaules, à ses omoplates, puis ses côtes, sa taille fine et ses hanches. Et mon bas-ventre brûle et se tord dans tous les sens lorsque j’aperçois ses fesses toutes en rondeurs et en muscles, recouvertes d’une peau de pêche toute douce. –Viens ? Il me sort de mes pensées brutalement et je rougis automatiquement en réalisant que j’étais en train de le mater impunément. Tu passes pour un gros lourd Harvey. – J’arrive. Dis-je en baissant la tête vers la braguette de mon jean pour masquer mon embarras passager, mais à peine ai-je le temps de retirer mes fringues qu’un cri se fait entendre et je me relève juste à temps pour réceptionner un Terrence tremblant et nu comme un vers contre mon torse. Durant les premières secondes, je ne comprends pas de quoi il s’agit, mais lorsque mes larges paumes glissent sur sa peau encore rafraîchie par le jet d’eau froide, je souris soulagé en pensant ‘ce n’est que ça’… - Motel de merde… road trip de merde… J’en peux plus. Il ne m’est pas difficile de comprendre que c’est la fatigue (l’épuisement même dans son cas) qui parle et je resserre un peu mes bras autour de son corps frêle alors qu’il relève son visage vers le mien. – Road trip de merde ? Je me penche, mon nez se frotte légèrement contre le sien et je rétorque – Non, pas de merde, puisque c’est avec toi. Et je lui offre l’un de mes petits sourires charmeurs avant de lui voler un doux baiser. Je m’humecte les lèvres en me redressant et passe ma main sous le jet d’eau en grimaçant. –J’vais régler ce truc, attends. Je ne crains pas réellement l’eau froide car au contraire je déteste les douches brûlantes et ne comprends pas pourquoi certains ont besoin de se cramer ainsi la peau. Après une bonne minute pour saisir le fonctionnement du mitigeur de douche et le régler convenablement, je tends la main vers lui et le ramène contre moi dans la douche, le collant forcément à moi car la cabine a une capacité assez restreinte. Son dos collé à mon torse, je pose mes larges paumes sur son ventre et dépose toute une ligne de baiser de la base de son épaule jusqu’à son cou. Effleurant son oreille, je lui demande tout doucement – Est-ce que ça va mieux ? T’es détendu là ? J’ai envie qu’il se sente bien avec moi. J’ai envie qu’il oublie tout le reste. J’ai envie d’occulter tout de sa vie pour qu’il ne voie plus que moi, qu’il ne sente plus que moi, qu’il ne pense plus qu’à moi. Et je ne me connaissais pas cette possessivité si vive, mais je la ressens à travers la moindre parcelle de mon être et je m’en nourris avec délectation tout en frottant son corps armé du savon peu onéreux du motel. Nous aurons la même odeur… Pourquoi cette idée me fait-elle autant d’effet ? L’envie de me fondre en lui est omniprésente, dans chaque geste, chaque regard, chaque pensée. Je coupe l’eau après que nous nous soyons rincés et enroule une serviette blanche autour de ma taille, avant de lui en tendre une. – Allez, au lit maintenant. Est-ce que tu veux manger un truc ? Y’a genre des trucs au chocolat dans le minibar… Ah, mais, t’aime pas le chocolat non ? Vague souvenir de Gold Coast, et je souris en me rappelant de sa déclaration à cœur ouvert sur la jetée. – Bon bah du coup, tu vas devoir te satisfaire de moi bébé. Clin d’œil appuyé alors que je m’allonge sur l’un des deux lits, la main tendue vers lui avec une petite moue. Rejoins-moi, viens contre moi et ne me quitte plus jamais, car si tes bras sont un refuge pour moi, laisse-moi en faire tout autant avec les miens.
Il peste Terry, les nerfs qui lâchent et le corps qui tremble. Il déteste ça, quand il est dans cet état parce qu'il le sait, il ne contrôle plus rien. Plus rien. Et ce n'est pas comme s'enfiler un shoot d'héro sous la peau, se coller un timbre imbibé d'LSD sur la langue ou s'enfiler une ligne de poudre, ce n'est pas comme se laisser envelopper dans une utopique félicité par le biais de laquelle on décroche de la réalité, parce qu'ici, là, il a conscience de tout. De tout. Il ne flotte pas mais se traine, comprend qu'il est un peu un poids pour ses collègues et pour son petit ami, réalise qu'il a très probablement gâché ce qui devait être une super sortie, qu'il a fait débuter ce road trip dans une ambiance pensante et qu'il a été peut être un peu égoïste. Egoïste de n'avoir pensé qu'à lui, égoïste de ne voir que par Harvey, que pas son coeur qui bat, qui reprend enfin vie et il n'avait pas eu la force de le décourager, Terrence, poussé par cette espèce d'envie de le retrouver qui aurait pu déplacer des montagnes. Il a eu tord de se laisser emporter comme ça? Il a eu tord de tirer sur la corde? Il a eu tord de venir? Il soupire, grogne sa lassitude et puis soudain, alors que le nez d'Harvey vient se frotter calmement contre le sien il réalise: non. Non il n'a pas eu tord de se mettre pour la toute première fois de sa vie au premier plan. Il n'a pas eu tord ne faire de son bonheur personnelle une priorité, pour la simple et bonne raison que son nombrilisme aussi oblatif que fugace l'avait mené jusqu'à lui alors qu'il crevait de le retrouver. Bien sûr, les réflexes sont tenaces et s'il parvient à repousser la culpabilité il ne la chasse pas totalement pour autant, lui qui avait pris pour sale habitude depuis toujours de porter toutes les responsabilités du monde sur ses frêles épaules. Pourtant, en cet instant, même la culpabilité ne l'empêche pas de le regarder, de le détailler, parce qu'il le trouve vraiment beau et que ça occulte tout le reste, il le trouve beau et peut être qu'il a raison, Harvey, que c'est la fatigue qui tire de partout qui lui fait dire et penser des choses pareilles mais ça fait six mois qu'il le voit et qu'il l'attend. Il en est dingue, de son Harvey, il ne sait juste pas le montrer. Là, contre lui après avoir trébuché comme un con, les doigts enfoncés dans la chair de ses bras il s'autorise à le dévisager amoureusement, pouffe de rire en réponse à son rire grave et le regarde aller mettre de l'eau chaude non sans laisser allègrement glisser ses prunelles sur chaque parcelle de sa peau nue. S'il n'était pas si farouchement éreinté, il l'aurait plaqué dans la douche pour l'embrasser. Si son corps n'était pas si abimé il l'aurait supplié de lui faire l'amour ici, là bas sur le lit, sur la moquette, sur le bureau, contre le mur, partout. Il aurait eu envie de s'unir à lui à nouveau, de le retrouver, de retrouver son odeur, sa chaleur et de se fondre tout contre son coeur mais il bat des paupières, Terrence, parce qu'elles brûlent et sont lourdes de ces deux semaines de lutte. Il n'aura pas la force, il le sait. Alors il se retient, la main qui s'avance pour caresser le dos d'Harvey, timide, avant de se raviser. J'ai peur de quoi, là? La fatigue me fait perdre les pédales je crois. Tu vas pas me rejeter, hein Harvey? Par après tout ce qu'on s'est promis. J'ai le droit de te toucher, dis? J'ai le droit de te dire que tu m'as effroyablement manqué? Que sans toi je savais plus respirer? Eh, Harvey? T'existes vraiment? T'es réellement là, devant moi, à tenter de bidouiller la douche pour qu'elle crache autre chose que des larmes de glace? J'voudrais te toucher pour vérifier, mais j'ose pas. Putain mais j'ai peur de quoi?
Il ne comprend pas cette angoisse totalement irraisonnée qui s'empare de lui à cet instant et qui lui dévore les entrailles. Peut être la crainte de tout gacher? D'être nul, comme toujours, d'être trop intrusif, lui qui avait pourtant été celui qu'on malmenait souvent sans lui demander l'autorisation. Il ne veut pas être celui qui fera du mal, il ne veut rien de plus que glisser la pulpe de ses doigts contre sa peau mais il a l'impression qu'il n'en a pas le droit. Il a peur aussi que s'il le touche, Harvey voudra lui faire l'amour alors qu'il s'efforce lui-même de ne pas lui demander et il sait que tristement, il ne saura pas lui dire non parce qu'il aurait trop peur de le perdre. C'est étrange non? C'est lui qui m'a laissé et c'est moi qui me condamne. Il avait passé les deux dernières semaines à tenter d'effacer leur nuit d'amour et surtout d'arrêter de penser qu'il était la raison de son départ, et maintenant qu'il pouvait souffler enfin et être rassuré, c'est tout un amas de doutes et d'obscurités qui viennent lui bouffer le coeur. Il souffle, baisse la tête, meurtri. Je réalise qu'on a toujours couché ensemble. Alors... si on ne le fait pas, est-ce que tu vas partir? Si je ne m'offre pas à toi, est-ce que tu vas me laisser? Y a autre chose qui pourrait t'intéresser chez moi? Je sais même pas ce que tu pourrais trouver d'intéressant en vérité... Et puis, je sais pas comment tout ça ça fonctionne, moi, je sais pas. J'ai terriblement peur que tu t'évapores encore une fois, que tu me quittes sans donner de raison en me laissant croire que j'en suis la cause. Si on couche pas ensemble ce soir, tu seras quand même là demain quand j'ouvrirai les yeux?
Mais il n'a pas besoin de le toucher finalement, Terry, parce qu'une main se tend à lui, celle de son petit ami, comme s'il avait compris, entendu sa peine et ses hésitations. T'es réel, Harvey. Je te vois. Et j'crois que toi aussi, tu me vois. Harvey le tire contre lui et il se laisse totalement faire, Terrence, le corps si cotonneux qu'il se demande comment il fait pour tenir encore debout, le coeur si bouleversé qu'il ne sait pas comment il reste accroché. Le douche est étroite et il sent les mains d'Harvey contre son ventre, sa moustache et sa barbe qui chatouillent son épaule et sa nuque au rythme des baisers délicats qu'il y dépose. Ca lui arrache un frisson et efface ses interrogations. Je suis à toi, je te crois. Tu partiras pas.– Est-ce que ça va mieux ? T’es détendu là ? Il lâche un profond soupire de bien être et comme seule réponse murmure un je crois, la tête qu'il laisse aller en arrière et les yeux qui se ferment. Il pourrait s'endormir là, il pense, le jet d'eau tiède qui défroisse ses muscles et le corps de son amant contre le sien mais il cligne des paupières, se redresse et se bat pour rester éveillé. Encore un peu au moins. Il se retourne, Terrence, savonne Harvey doucement et se laisse savonner en retour, affection intime partagée, à prendre soin l'un de l'autre. Le moment pourrait être erotique et le regard alangui de Terry sur le corps d'Harvey ne manque pas de chaleur, peut être parce qu'il a peur, peut être qu'il tente de voir s'il n'y a que ça qui l'intéresse. Pourtant il ne se passe rien de plus et ils finissent par sortir de la douche. Y a une boule un peu étrange au fond de son ventre, à Terry, comme une tension qui ne veut pas partir. Il attrape distraitement la serviette que son petit ami lui donne, se sèche entièrement puis va dans la chambre, farfouille dans son sac à dos et en sort un jogging, un boxer et un pull parce qu'il a un peu froid. Alors qu'il enfile ses vêtements sans aucune pudeur, il entend Harvey lui parler, lui dire qu'il y a du chocolat dans le mini bar mais il se reprend aussitôt, parce qu'il se souvient qu'il n'aime pas ça. Il sourit, Terry, parce qu'il ne peut s'empêcher d'être satisfait et heureux de constater qu'il l'avait écouté, qu'il avait pris en considération ses mots prononcés deux semaines plus tôt. Tu te souviens que j'aime pas le chocolat... Mais ce n'est pas véritablement une question parce que l'intonation de sa voix est surtout admirative, touchée aussi. Il hoche la tête comme pour dire "t'es pas croyable toi" et retourne farfouiller dans son sac pour en sortir un barre de céréales aux fruits secs. – Bon bah du coup, tu vas devoir te satisfaire de moi bébé. Hm. Il s'assoit sur le lit en tailleur face à Harvey. Harvey? Barre de céréales? Harvey? Barre de céréales?... j'peux avoir les deux? Sans réfléchir il ouvre la barre de céréale avec ses dents, croque dedans une fois en riant avant de la poser sur la table de chevet, totalement exténué. J'peux dormir contre toi? et sans attendre de répondre il s'allonge contre son petit ami et tire les couverture sur eux. Il mâchouille, avale sa bouchée et sourit car ça y est, la boule derrière son nombril s'est envolée, il pense, et il se sent bien, en sécurité tout petit là, contre le corps d'Harvey. Il sera là demain, il le sait. Parce qu'il ne veut pas le toucher, il veut juste dormir. Juste dormir, en tout simplicité. Il se sent si à l'aise d'ailleurs qu'il s'autorise à placer sa jambe en équerre sur celles de son petit ami pour tendrement le faire sien, le nez qu'il frotte contre son torse et un bras qui s'enroule contre ses hanches. Bonne nuit Harvey.. Mon Harvey... Et il claque un petit bisou dans l'air avant de sombrer dans un sommeil profond.
Le matin, il ne sait plus exactement où il est, comment il s'appelle ou dans quel sens tourne le monde mais vite il se remémore tout, les boucles emmêlées et le bide en vrac: le voyage, la moto, le pont de sydney, son malaise, la douche, la barre de céréale, son odeur, son corps, sa respiration. Il se souvient qu'il s'est réveillé cette nuit, le corps d'Harvey pris de spasmes légers et de râles (surement un cauchemar) alors il l'avait un peu veillé, la main sur son front moite à lui susurrer des mots rassurants. Ca n'avait pas duré longtemps, juste quelques minutes et il n'avait eu aucun mal à retrouver le sommeil, Terry. Pourtant, il ne se souvenait que trop bien des cauchemars d'Harvey la seule et unique fois où il avait dormi chez lui et ça lui avait fait un peu peur sur le coup parce qu'il détestait le voir souffrir. Est-ce que toi aussi ta vie te hante et te poursuit? Est-ce qu'à toi aussi on a fait du mal et que tout revient la nuit, quand tu contrôles plus rien et que les chaines se brisent? Est-ce qu'à l'intérieur de toi il y a aussi ce petit garçon brisé qui n'a besoin que d'amour pour se recoller, pour se reconstruire et s'apaiser? Est-ce que t'es comme moi, harvey? Moi je crois que oui.
Et il voudrait lui donner cet amour, Terrence, être celui qui recollerait tout et qui apaiserait les morsures mais son bras se pose sur le vide et le vertige qui s'empare de lui le fouette en pleine face. Il se redresse, les cheveux en bataille et les yeux fatigués par cette courte nuit. Il fixe la place à côté de lui, les draps froissés et le corps d'Harvey absent. D'un coup, son coeur s'emballe. Non non non non.. Harvey? Il sort du lit et panique, la respiration sifflante et les gestes tremblants. Il est où? Il est où? Il est parti, tu t'attendais à quoi? Tu vois Terry, à te faire trop d'espoir tu te casses la gueule. T'es comme un vase qu'on remplit avec trois fois rien et qu'on pousse jusqu'au bord de la table en attendant qu'il tombe et qu'il se fracasse. Tu l'entends, le bruit de ton coeur qui s'est fait défoncer par ton optimisme à la con? Tu croyais que t'avais déjà eu mal avant mais la déception et la peur que tu ressens, là, tu ne connais pas, pas vrai? Tu croyais quoi de toute façon, qu'il pouvait t'aimer pour autre chose que ton petit cul? Arrête de rêver, Terry, t'es rien. T'es qu'une merde, c'est ton père qui avait raison. Tu vaux rien. Harvey est peut être pas différent tu sais, il veut peut être que tu sois à lui pour te baiser quand il veut. Tu vaux rien de mieux qu'un peu de sexe et tu ne lui as rien donné alors il s'est barré. Tu vaux que dalle. T'es rien. Rien.Harvey?? Il s'agite, décide d'ignorer cette voix qui lui rabote le coeur et se précipite dans la salle de bain, la porte qui percute le mur mais il ne l'y trouve pas. Les larmes montent, il se sent abandonné et il pourrait se recroqueviller par terre et pleurer mais il y a un petit rien qui le fait s'accrocher. Il ouvre la porte de la chambre à la volée, se fait aveugler par la lumière même si le temps est à la pluie et malgré les gouttes d'eau et les flaques il sort, pieds nus, les yeux fixés partout, le souffle court, le regard désormais bien réveillé. Harvey...? Il s'avance et c'est là qu'il le voit sortir de la chambre de John et Lexie, cette dernière, simplement vêtue d'un petit t-shirt et d'un short court, qui le remercie. Il reste là, debout sur le béton humide les poings serrés, le torse qui se soulève au rythme de ses respirations et y a une foule de pensées qui lui traverse l'esprit mais il ne bouge pas, ne dit rien, le regard dur. Il a peur. Il tremble. Il panique. Ne remarque pas le sachet kraft que tient Harvey entre ses mains. Il n'a jamais été dans cet état, ne comprend pas et ça le submerge totalement, ça l'aveugle alors sans attendre il fait volte-face et retourne dans la chambre avant de s'installer sur le lit en se rongeant les ongles de stress, les larmes aux yeux qu'il chasse rageusement d'un revers de poignet. Il sais qu'il va avoir des réponses très bientôt et il est terrifié. Il n'a plus peur qu'il soit parti, il a peur d'avoir été trompé. Et si Harvey l'avait déjà remplacé? Et s'il ne voulait plus de lui. Il voit sa silhouette au dehors à travers les stores et il entend la poignée qu'on tourne. Il n'a jamais eu aussi peur de ce qu'il allait lui dire qu'à cet instant. Le souffle bloqué, les yeux affolés, il le regarde entrer.
Dernière édition par Terrence Oliver le Mar 26 Nov 2019 - 3:59, édité 5 fois
→ L’eau ruisselle sur nos deux corps fatigués, suspendus l’un à l’autre, dépendants et désireux, épuisés et soutenants. Une synergie se crée, chaque geste devient partage, chaque caresse témoigne d’un respect profond et d’une envie tenace de prendre soin l’un de l’autre. C’est si bon, Terrence, tu sais, ce moment délicat et suave, plein de sensualité et de douceur. J’en ai manqué de douceur dans ma vie, tu sais. On m’a malmené, on m’a forcé à regarder toute la violence et la noirceur des cœurs dès mon plus jeune âge, et ça n’a jamais réellement cessé. J’ai connu toutes sortes de personnes dans les différents endroits où j’ai atterri, gamin perturbé, trimballé d’un endroit à un autre, sans attaches, sans personne qui ne s’inquiète de son sort. J’en ai connu des destins funestes, j’en ai croisé des mecs flingués et des meufs désespérées. J’ai vu l’horreur et la peur dans les yeux de gosses innocents, j’ai partagé des histoires sordides de foyers explosés, j’ai affronté des vérités qui feraient frémir le plus courageux des hommes. J’ai contemplé la terreur et l’incompréhension sur le visage de mon jeune frère alors que toutes ses illusions éclataient au rythme de la ceinture qui claque dans l’air avant d’imposer sa marque brûlante sur la chair et d’y graver à jamais son empreinte. J’ai observé l’impuissance et le désespoir creuser les joues et les rides de ma mère avant qu’elle ne commette l’irréparable. J’ai vu la folie détruire des vies. J’ai vu le mal et je l’ai contemplé les yeux dans les yeux, en éprouvant une sorte de fascination tordue pour son œuvre. Il m’attire tu sais ? J’ai l’impression de l’entendre murmurer à mon oreille certains soirs, il me susurre des mots doux, il veut que je rejoigne ses forces funèbres et parfois, je lui cède. Et j’ignore ce qui fait le plus mal en réalité : se savoir capable de commettre des horreurs irréparables ou s’infliger cette putain de torture sinueuse en ressemblant de plus en plus à tout ce qu’on déteste. Je crois que je me haïs, Terrence. Je haïs la partie de moi qui choisis la violence pour s’exprimer. Cette même violence que je condamne si souvent, elle fait malheureusement partie de moi, elle est inscrite dans ma chair et marquée sur ma peau. J’aimerai ne pas en porter toute la responsabilité, j’aimerai me dire que c’est à cause du passé, à cause de mes fichus géniteurs et de la merde qu’ils ont foutus dans ma vie, mais je ne peux pas m’empêcher de me trouver lâche. Un putain de lâche, comme mon père. La violence, c’est la parole des faibles. Je suis si faible, Terrence. Et mes mains qui tremblent contre la peau douce de ton ventre en sont témoins. Mais lorsque je ferme les yeux, lorsque j’inspire ton odeur et que ta peau satinée se retrouve collée à la mienne, tout ce que tu m’inspires, Terrence, c’est de la douceur. Et ça fait du bien à mon cœur meurtri, cet instant de béatitude rare où je m’oublie totalement pour n’être plus qu’un homme transi d’amour pour son petit-ami.
Je m’allonge sur le lit en ayant l’impression de peser trois fois mon propre poids, et c’est toute la fatigue de la journée qui me cloue littéralement sur le matelas. J’ai à peine la force d’enfiler un caleçon, mais je le fais tout de même en me tortillant, proposant un petit encas à Terrence qui s’habille bien chaudement pour la nuit. – Tu te souviens que j’aime pas le chocolat. – C’est assez rare pour être retenu, tu ne crois pas ? Et à nouveau, j’esquive. Comme si je ne pouvais pas être le genre de petit-ami qui retient les informations sur son copain, comme si je rejetais tout ce que je fais de bien. C’est bien que je m’en souvienne ? Ça te fait plaisir, n’est-ce pas ? Je me souviens d’encore plus que ça, tu sais. Je sais que tu n’aimes pas qu’on te surnomme, que tu préfères qu’on prononce ton prénom en entier et ça veut dire que tu n’aimes pas qu’on te survole, que tu as envie d’être regardé en profondeur. C’est ce que je fais, tu sais ? Je te regarde, intensément, Terrence. Je t’observe et j’apprends, en silence bien souvent. Car je ne suis pas très doué pour faire la discussion, je suis gauche et maladroit et je dis souvent n’importe quoi, un peu embarrassé, un peu à côté de mes pompes, je ne maîtrise pas vraiment les codes tu sais. Je suis le gars de l’ombre, celui qu’on ne voit pas vraiment et qui survient quand on ne s’y attend pas. Enfin, ça, c’est ce que j’ai envie de croire car en réalité j’ignore tout de ce que je renvoie aux gens. Pas une bonne image, non. Assurément, pas une bonne image. Le matelas grince légèrement lorsqu’il s’assoit en tailleur face à moi et je souris en le voyant faire, attendri. – Harvey ? Barre de céréales ? Harvey ? Barre de céréales ? j’peux avoir les deux ? Un brin enfantin, il y a une candeur qui émane de lui et qui me touche particulièrement. J’arque les sourcils simplement en rétorquant – Gourmand, va. Je l’observe croquer à peine dedans, pour ne pas la terminer et la déposer sur la table de chevet. Puis après une demande à laquelle la réponse est on ne peut plus évidente, le voilà qui s’installe au creux de mes bras. Je souris, glisse ma main dans ses boucles brunes et le laisse se positionner confortablement tandis que je repose sur le dos simplement, allongé de tout mon long, l’oreiller plié en deux derrière ma nuque et mon crâne. – J’suis une vraie chaudière par contre, tu risques d’avoir chaud avec ton pull tu sais. Je l’avertis, car il n’est pas rare que je transpire abondamment la nuit – ce qui parfois me réveille même, entre autre. Je tends la main pour appuyer sur l’interrupteur et plonger la pièce dans la pénombre l’instant d’après. Il murmure d’une voix endormie un petit Bonne nuit, Harvey, auquel je réponds avec douceur Bonne nuit, Terrence. Et ma main se perd dans ses boucles brunes que je caresse un instant, les yeux rivés vers le plafond. Il y a sa respiration qui s’élève lentement, des petits bruits semblables à des ronronnements qu’il laisse sortir, preuve qu’il est suffisamment bien dans mes bras pour se laisser aller. Et ça me rends heureux, je le sens dans tout mon être, je suis si léger. T’as aucune idée de l’effet que tu me fais, Terrence, pas vrai ? Tu ne sais pas que j’aime tout de toi, y compris ce que je ne connais pas. J’aime tout de toi, et te découvrir est, à chaque instant, un réel plaisir. Oh je les vois les ombres, bébé. Ne crois pas que je suis aveugle. Je les vois planer au-dessus de nos têtes et assombrir notre ciel étoilé et lumineux. Je le vois tournoyer, elles menacent de tout écraser mais pour une fois, je n’ai pas peur. Elles ne m’effraient pas ces ombres, et j’ignore pourquoi. J’ignore d’où me vient cette soudaine combattivité, mais je sais qu’elle est liée à toi et que pour toi, je me battrais avec férocité. Et c’est apaisant de réaliser que je choisis enfin de me battre au lieu de renoncer et de fuir. C’est grâce à toi, tu sais ? Grâce à ta persévérance, grâce à ton pardon, grâce à tes grands yeux verts dans lesquels j’adore me perdre… Pour mieux me trouver, oui, pour mieux me trouver bébé. Et c’est le cœur gonflé d’un amour intrépide que je m’endors sereinement, bercé par ta respiration calme et la chaleur de ton corps pressé contre le mien.
Lorsqu’au matin je me réveille, j’ai l’impression que tout mon corps hurle de douleur à cause des courbatures. Physiquement, la veille a été tellement éreintante. Je mets quelques instants à me replacer le motel, Sydney, et les évènements de la soirée me parviennent en vrac. La douche, le pont, Terrence et son malaise, Lexie et ses bières, le hamburger… Je grimace, porte une main à mon front que je masse doucement sans trop bouger pour ne pas réveiller Terrence qui dort encore profondément. Et je réalise alors qu’il est là, Terrence, justement. Tous mes gestes s’arrêtent alors brusquement pour l’observer, et je souris, ému et attendri devant la vision de ce petit ange endormi contre mon torse. Ses lèvres entrouvertes laissent passer une respiration sifflotante et légère et les traits apaisés de son visage le rendent affreusement mignon… et désirable. Si la veille, la fatigue a eu raison de mes envies, ce matin ma virilité m’indique qu’elle est suffisamment reposée et prête à l’action ! Mais je ne suis pas égoïste au point de le réveiller pour ça, non, surtout pas ! Il a besoin de dormir et de reprendre des forces mon Terrence… Je vais prendre soin de toi, Terrence, tu vas voir. Lentement, je me penche vers lui et appose mes lèvres sur son crâne au milieu de sa chevelure emmêlée. Un simple effleurement, une caresse douce, une promesse tendre de revenir vite auprès du bel endormi… Je me lève, m’étire et enfile rapidement un jean et un t-shirt avant de sortir. Sitôt dehors, je plisse les yeux devant les rayons agressifs du soleil et m’allume une cigarette. Repérant un coffee-shop dans la rue du motel, je décide de m’y rendre pour acheter le petit-déjeuner. Les bras chargés de victuailles, je frappe à la porte de la chambre de John et Lexie juste ensuite et attends patiemment qu’ils ouvrent. C’est une Lexie toute pimpante, mais un brin inquiète qui m’ouvre, et je m’enquiers alors de la nuit qu’elle vient de passer. – Salut, ça va ? J’sais qu’il est un peu tôt mais j’rapporte le café. Et des muffins à la myrtille, si t’as pas peur de prendre quelques kilos en trop. Parce qu’il me semble bien que les meufs, elles ont un drôle de rapport à la bouffe à cause des stigmates de la société. – ça a été la nuit ? John, il dort encore ? Apparemment, c’est le cas. Lexie me remercie et je lui souris, évoque un peu la météo qui semble des plus clémentes. Et ce petit rien m’enchante, comme si je découvrais la vie à nouveau et qu’elle me touchait dans toute sa simplicité. On évoque brièvement le programme, à savoir flâné dans les rues de Sydney et prendre du bon temps comme n’importe quel touriste le ferait, et cette conversation légère me donne le sourire. Je finis par la laisser à son réveil et son compagnon de chambre, après lui avoir donné deux grands cafés et des muffins. Et c’est en sifflotant, le cœur léger que je pousse la porte de ma chambre avec les fesses pour rejoindre mon petit-ami merveilleux. Dis, est-ce que tu vas être surpris que j’apporte le petit-déj, Terrence ? Ça va te plaire tu crois ? Je ne sais pas si je ferais toujours ça, mais ce matin j’ai envie de te faire plaisir tu sais. J’ai envie que tu saches à quel point je souhaite me faire pardonner et à quel point tu comptes pour moi. Ce n’est qu’un petit-déj, presque rien du tout, mais à travers ce geste j’ai envie de te témoigner ma volonté à prendre soin de toi bébé. Et je ne m’attends pas du tout à le trouver assis sur le lit, Terrence, à fixer la porte avec un air affolé, les doigts portés à sa bouche et les dents qui détruisent ses ongles nerveusement. Je ne m’attends pas à le sentir aussi angoissé, aussi mal au petit matin alors c’est un réel choc lorsque je tombe nez à nez avec lui. Je me fige d’un coup, perturbé par la vision de lui qui s’offre à moi et les cafés glissent de mes paumes de main pour s’éclater sur la moquette vieillotte. Cette distraction malvenue m’arrache à la vision d’un Terrence terrorisé durant quelques secondes où je peste contre moi-même et ramasse les gobelets vidés de moitié – Putain de merde ! Qu’est-ce que j’ai fait de mal bordel ? Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’avoir mal agi ? Je m’empresse de déposer les gobelets sur le bureau, avec les muffins, pour éponger le sol avec des mouchoirs que j’amoncelle sur le sol tapissé de la chambre. Ce faisant, accroupi au-dessus du dégât, je relève mon visage vers Terrence et cherche des réponses à tous les signaux d’alarme qui retentissent dans mon crâne et qui gueulent, gueulent, gueulent tous en même temps. Qu’est-ce que t’as encore fait boy ? Pourquoi ton petit-ami est en train de te fixer avec un air terrifié ? Ou est-ce que t’as merdé encore, abruti ? Tu merdes toujours, joue pas à l’étonné. Tu ne fais que ça : tout foutre en l’air, constamment. Tu ne le fais même pas exprès, c’est juste inné chez toi. Tu fous tout en l’air, c’est tout ce que tu sais faire. Crétin. Abruti. Pauvre merde.– Qu’est-ce qui ne va pas bébé ? J’ai fait un truc de mal ? - Y’a un truc qui s’est passé ? T’as reçu une mauvaise nouvelle ? Tu m’en veux ? Mais j’ai fait quoi ? Je suis juste sorti chercher le petit-déj, j’ai mis une vingtaine de minutes à peine. Est-ce qu’en vingt minutes tout peut réellement s’effondrer ? Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ? Pourquoi est-ce qu’il y a cette peur horrible qui s’installe dans mon ventre et s’intensifie à chaque seconde qui passe ? Pourquoi j’ai peur putain ? Il s’passe quoi ? – J’suis allé chercher le petit-déj, il s’est passé quoi en mon absence ? Et je le regarde, inquiet, suspendu à ses lèvres et à tout ce qu’il pourra dire, qu’il prononce la sentence, qu’il me condamne et que tous mes espoirs déchus me terrassent, m’abattent sur la moquette pourrie de ce motel minable. Sauf que je ne peux pas me laisser abattre, non. Pas sans me battre un minimum, car je ne fuis plus, c’est décidé. Alors, je me redresse, balance les mouchoirs à la poubelle et m’approche du lit. Je m’assois dessus et cherche son regard pour le capturer du mien. – Parle-moi bébé, dis-moi ce qu’il y a… Ma voix est plus douce, moins affolée. Pourtant mon cœur tambourine si fortement dans ma poitrine, ma cage thoracique va exploser, mais je prends sur moi et ma main se tend, paume vers le ciel pour qu’il la saisisse. Je ne vais pas t’abandonner bébé, c’est décidé, je ne fuis plus. Peu importe ce qu’il faut affronter, à tes côtés je le ferais. Si je dois être fort pour toi, alors je le serais.
Je tendais l’oreille à chaque bruit qui osait briser le silence, mais non. John ne rentrait pas. Peut-être était-il en train de discuter dehors, entre mecs… Mais le malaise de Terrence mêlé à l’inquiétude croissante d’Harvey m’en firent largement douter. Ce-dernier aurait même été capable de traîner son copain dans leur chambre si l’idée de tirer un peu plus sur la corde lui aurait, ne serait-ce, qu’effleuré l’esprit. Je m’asseyais sur le bord du lit le plus éloigné de la porte et entreprenais de défaire ma tresse. John repensait peut-être à ses gestes envers moi et n’osait plus rentrer ? Il serait aller squatter dans la chambre voisine ? Aucune de ces possibilités ne me semblait plus probable que l’autre. Peut-être avait-il tout simplement envie d’être seul… Je lâchais un léger soupir avant de passer une main sur mon visage, le sourire au bord des lèvres. J’étais vraiment ridicule à ressasser tout ça. Il n’était pas un monstre et ne viendrait certainement pas m’agresser dans mon sommeil ! Son attitude inhabituelle me paraissait juste plus flagrante à cause du nombre d’événements qui s’étaient déroulés dans la journée ainsi que de mon manque de sommeil. Je démêlais ma coiffure avec mes doigts puis je posais mon élastique sur la table de nuit. J’ouvrais ensuite les couvertures pour me glisser dans le lit. Ce n’était sans doute pas le matelas le plus confortable sur lequel j’allais passer la nuit mais mes membres avaient tellement été sollicités durant la journée que c’était tout comme. Ce fut au moment où je tendais le bras pour éteindre la lumière que je remarquais le point lumineux de mon téléphone qui m’indiquait un message. C’était probablement Caïn qui répondait à ma petite pique… J’attrapais mon bien, le déverrouillais… et j’écarquillais les yeux de surprise au point de presque lâcher l’appareil. Étais-je trop fatiguée ou avais-je réellement bien lu l’émetteur ?? J’approchais l’écran de mes yeux pour m’en assurer. Non, je ne rêvais pas, il s’agissait bien d’Artémis ! Mon cœur se mit à battre plus vite. En soit, le message était simple, il venait aux nouvelles. Mais aux nouvelles de quoi ? Il m’avait embauchée pour jouer sa fausse épouse en Angleterre et, certes, nous avions couché ensemble – ce qui n’était pas prévu – mais il n’avait aucune raison de me recontacter. Il n’y avait pas de sentiments entre nous, il s’agissait d’un contrat pendant lequel nous avions profité des plaisirs de la chair. Drew était-il venu lui rendre visite à l’improviste en Australie ? Auquel cas il n’aurait pas manqué de le questionner sur sa soi-disant épouse. Je n’imaginais qu’un scénario de ce type pour recevoir un texto de la part du brun, presque un mois après notre retour au pays. Alors pourquoi étais-je aussi heureuse d’avoir de ses nouvelles ? Me serais-je trop encrée auprès de ses amis au point de moi-même croire à notre mensonge ? Je grognais dans ma barbe en reposant mon portable un peu trop violemment sur la table de chevet. Pour la peine, je ne lui répondrais que demain. Je n’étais pas à sa disposition à n’importe quel moment ni à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ! Je me tournais dans le lit en marmonnant telle une enfant.
Je tâchais de me tenir à ma promesse mentale de ne pas répondre tout de suite tout en ressassant ce grand week-end passé en sa compagnie. Cette situation me rendait tellement nerveuse que je ne réussissais qu’à somnoler ici et là. Le sommeil me fuyait tant et si bien que l’entrée fracassante de mon collègue de chambrée termina de garder mes yeux ouverts. J’allumais la lampe de chevet au moment où il se laissait tomber de tout son poids sur le sol avant d’éclater de rire.
« Euh John… Ça va ?? »
Il était bourré ou quoi ? Un regard un peu plus réveillé m’affirmait que oui. Ceci expliquait pourquoi un grand gaillard comme lui avait réussit l’exploit de rater le lit. La surprise passée, la moquerie me fit pouffer avant de laisser la place à l’inquiétude en entendant ses sanglots. Visiblement, les bières n’avaient pas été perdues pour tout le monde ! En tout cas, j’avais eu raison en le soupçonnant d’aller mal en-dehors de ses vertiges sur le pont. Je quittais le lit pour m’accroupir devant lui, une main sur son épaule. Il n’allait quand même pas dormir là ? Si ?!
« Hey, reste pas là, viens au moins te coucher ! »
Il était bouillant mais surtout il ne bougeait pas d’un pouce.
« HEY OH !! »
Et je le secouais comme un prunier. Il grommelait, probablement pas très heureux de se faire ainsi malmener alors qu’il tombait de sommeil, mais je n’en avais rien à faire. Je me sentirais super mal de le laisser dans un coin de la pièce sans mot dire quand bien même il l’avait mérité en buvant autant pendant notre road-trip. Après tout, il s’agissait d’un de nos conducteurs ! Dans cette situation précise, j’aurais volontiers demandé un coup de main à Harvey mais il devait soit dormir, soit profiter de sa nuit avec Terrence et dans un cas comme dans l’autre, je n’avais aucune envie de les déranger. Je poussais un long soupir et attrapais le bras de John avant de tirer dessus d’un coup sec.
« Allez, tu seras mieux et promis je te laisserais tranquille après ! »
Mon acharnement eut raison de lui et il daigna se traîner jusqu’au lit. Une fois la mission accomplie, je retournais me coucher de mon côté et je le regardais à nouveau. Cette fois, les larmes qui avaient striées son visage étaient bien visibles sous la faible lumière de la pièce et mon cœur se serrait. Je me sentais impuissante, encore une fois, autant pour lui que pour Terrence alors qu’ils étaient tous deux des collègues qui m’étaient chers. J’éteignais la lumière tandis que John se tournait et j’attendis quelques secondes avant de poser mon front contre sa nuque. Ce n’était pas grand-chose et peut-être qu’il n’en avait lui-même pas conscience, mais pour moi cela signifiait « Je suis là, tu n’es pas seul. »
Les rayons du soleil levant vinrent chatouiller mes yeux qui prirent le temps de s’ouvrir doucement. Il était vrai que nous n’avions pas pensé à tirer les rideaux la veille mais c’était un mal pour un bien, aucun de nous n’avait programmé de réveil non plus ! John dormait toujours à poings fermés. Je décidais de le laisser se reposer avant de rouler sur le dos pour m’étirer tel un chat dans le lit. C’était étrange comme la nuit m’avait parue courte et longue à la fois. Je me levais sans plus tarder et je rassemblais mes affaires pour aller à la salle de bain lorsque quelques petits coups secs se firent entendre. En ouvrant la porte, je découvrais un Harvey chargé de nos petits-déjeuners.
« Salut, ça va ? J’sais qu’il est un peu tôt mais j’rapporte le café. Et des muffins à la myrtille, si t’as pas peur de prendre quelques kilos en trop. - Salut, ça va et toi ? T’en fais pas, j’étais déjà réveillée. On s’en fou de ça, t’as vraiment pris des muffins à la myrtille ? T’es vraiment au top Harvey, merci beaucoup ! »
Et c’était rien de le dire, mes yeux brillaient déjà à l’évocation de la pâtisserie qui m’attendait ! Je le déchargeais un peu en récupérant nos biens à John et à moi tandis que le sujet dérivait justement sur le principal intéressé :
« Ça a été la nuit ? John, il dort encore ? - Oui, ça a été… Enfin je pense que quelque chose le tracasse parce qu’il est rentré bourré vers trois heures du matin… Tu crois que ça ira pour repartir ? »
Je me mordais la lèvre, peu convaincue. Après quelques instants d’échanges sur la marche à suivre et sur le déroulement de la journée, le videur finit par rejoindre sa chambre. Je refermais la porte et déposais le tout sur la table du motel avant de me tourner vers la marmotte. J’attrapais alors son café pour lui mettre sous le nez :
« C’est l’heure de se réveiller la belle au bois dormant ! » Le taquinais-je gentiment. « Harvey nous a gâtés. Je te préviens que si j’ai le temps de manger, de me doucher et que tu n’es toujours pas sorti du lit, ton muffin sera pour moi ! » Sur ces bonnes paroles, je croquais goulûment dans le mien.
Les repas avalés, les douches prises et les sacs bouclés, nous voilà repartis vers de nouvelles aventures. La journée à Sydney se déroula merveilleusement bien. Tout le monde fut de bonne humeur – moi la première – et j’avais pu trouver des souvenirs pour ma famille ainsi qu’une petite décoration pour mon appartement. Je mis un point d’honneur à acheter un cadre identique pour chacun d’entre nous afin de garder précieusement ce road trip en souvenir immortalisé par notre photo sur le pont. Afin de bien profiter de l’intégralité de cette journée, nous avions même décidé de nous faire plaisir en dînant au restaurant. Ceci dit, c’était sans doute un peu présomptueux de ma part que de penser que tout irait à merveille. Non, Terrence n’allait pas beaucoup mieux depuis la veille et même si le voir se nourrir à peu près correctement me donnait un peu d’espoir pour la suite des événements, il n’en fut rien. Ce fut Terry lui-même qui me demanda de l’accompagner à la pharmacie tandis que les conducteurs s’occupaient de faire le plein des motos. J’acquiesçais à sa demande en levant la main vers Harvey dont les traits étaient déformés par l’inquiétude :
« Pas de panique ! Je l’accompagne chercher des médicaments et on revient. C’est l’histoire d’un quart d’heure. »
J’appuyais mon regard bienveillant sur le videur avant d’attraper Terry par le bras pour le faire bouger lui aussi.
« J’ai vu une pharmacie pas très loin du restau’. »
J’attrapais mon téléphone et le déverrouillais. Mon cœur eut un raté en ayant le sms de la veille en premier visu et je jurais avant de lancer Google map.
"C'est terminé John. Je serais partie de Brisbane à ton retour." Ces mots s'affichent sur l'écran de ton cellulaire. Ton coeur se serre dans ta poitrine, t'as mal. Une vive douleur te transperce la cage thoracique. T'as envie de hurler, de frapper dans n'importe quoi, n'importe qui. Tu ne comprends pas. Lorsque tu es partis de Brisbane en compagnie de tes trois acolytes, tout se passait si bien avec Maddie. Tu ne comprends pas ce qu'il s'est passé en ton absence pour qu'elle se ravise et décide de retrouver ses parents ainsi que son frère ainé aux Etats-Unis. Tu ne réfléchis pas et finis presque l'entièreté des bières que Lexie a achetée un peu plus tôt dans la soirée. Harvey et Terrence ont rejoints leur chambre, tandis que Lexie regagne la vôtre. Toi, tu restes là. Seul, dans le froid et dans la nuit. La tristesse ainsi que la détresse te transperce le coeur. T'as voulu attraper sa main, lorsque tu as reçu ce message ce soir. T'as voulu lui dire de ne pas faire ça, de ne pas faire ça. Durant dix minutes, tu es resté les yeux fixés sur cette page vide de ton cellulaire. Les mots ne sortaient pas, tu ne parvenais pas à lui dire que tu l'aimais, que tu tenais à elle. Tu lui a demandé de t'attendre, elle t'as promis de le faire mais c'est à croire que cela était au-dessus de ses forces. Elle t'as abandonnée, elle a baissée les bras. Depuis toujours, tu n'as appris à aimer que les gens qui te fuient. T'as appris à souffrir, à laisser les autres s'en aller pendant que toi tu restais planté ici, au milieu du chemin comme un idiot. T'as appris l'amour de travers, celui qui ne se ressemble pas. Il est trois heures du matin lorsque tu pénètres dans la chambre que tu partages avec Lexie. Alcoolisé, tu tiens à peine debout. Après avoir retiré péniblement tes fringues portées toute la journée, tu décides de rejoindre les bras de Morphée en t'installant sous la couette. Lexie dort déjà, tout est paisible et calme dans la chambre. C'était sans compter sur le fait que tu viennes de casser la figure au moment où tu as voulu te glisser sous la couette. Te voici dans un coin de la chambre, ton caleçon pour seul vêtement sur toi. La fatigue, l'alcool et la tristesse se sont emparés de toi. T'as envie de hurler, envie de mourir. Tu te mets à rire comme un idiot. Lexie se réveille, la lumière de la lampe de chevet te fait mal aux yeux mais t'es bien trop abimé ce soir pour rétorquer quoi que ce soit. "Lex' ..." C'est tout ce que tu parviens à prononcer. La jeune femme te secoue comme si t'étais un prunier. T'as envie de vomir, tu arrives cependant à contrôler ton corps afin de ne pas vomir sur la jeune femme, elle risque de t'en vouloir à mort. Très péniblement, tu parviens à te relever avec l'aide de Lexie, tu te tiens à elle comme si elle était une bouée de sauvetage en plein océan et que le courant tentait de t'emporter au loin. "Lexie .." Tu n'arrive pas à lui expliquer la raison qui t'as poussé à te mettre dans un tel état ce soir. La dernière fois que tu as regardé l'heure sur l'écran de veille de ton téléphone, il était trois heures quarante-cinq. Après plus rien, c'est le trou noir. Morphée a certainement dû venir te cueillir et t'emmener avec lui jusqu'au lendemain. Tu ne sais pas quelle heure il est, c'est la voix de ton amie et collègue qui te tire de ton sommeil. Tu te mets à grogner. Ta tête te fait mal, comme si on t'avais rouler dessus. Ça t'apprendra à boire autant, tu n'as jamais fait partie de ces gens qui se mettent dans un état pas possible. "Bordel Lexie !! Il est pas si.." Pas le temps de terminer ta phrase, tu jettes un coup d'oeil sur ton téléphone portable. Et merde, la matinée est déjà pas mal avancée. Lexie partie vers la salle de bain afin de se préparer. C'est une fille, t'as largement le temps d'émergé avant qu'elle ne sorte de sa séance de remise en beauté. Assis sur le bord du lit, tu tentes de te souvenir de la nuit précédente. Petit tour dans tes messages récemment reçus, celui de Maddie est toujours là. C'était donc vrai, tu t'es fait largué comme une merde hier soir et à distance en plus. Tu devrais la détester, la hair mais tu n'y parviens pas. Certainement parce que c'est trop frais. Tu te lèves, avale le petit déjeuner qu'Harvey vous a emmené, c'est une crème ce mec, et te voici enfin dans la salle de bain. Princesse Lexie t'as laissé la place et un peu d'eau chaude également. Douche prise, tu te rhabille chaudement avant de rejoindre tes complices pour la suite de vos aventures. Vous voici en route pour Sydney. Toi, un peu plus en retrait dû à ta courte nuit fortement agitée et aussi parce que ton coeur te fait mal. Il te fait souffrir. Le moindre effort te coûte énormément. Lexie est partie faire un peu de shopping, tu restes non loin des bécanes, assis sur un banc afin de reprendre tes esprits ainsi que ton souffle. Harvey et toi êtes en train de bichonner vos bécanes lorsque la voix de Lexie se fait entendre derrière vous. Un coup d'oeil à Terrence, il ne va pas toujours pas mieux qu'hier soir au pont. "ça va aller mec ? Tu veux t'assoir ?" A la place, Lexie et Terrence partent en quête d'une pharmacie. Tu ne veux affoler personne mais ton coeur bat faiblement, ton souffle est de plus en plus court. Harvey doit suffisamment s’inquiéter comme ça pour son mec, pas la peine de lui faire part de tes inquiétudes sur les battements inquiétants de ton coeur de plus en plus faible. En essayant de te relever, tu tentes de t'accrocher au guidon de ta moto mais tu te rates et finit par terre. Impossible de te relever, une quinte de toux s'empare de toi pendant une bonne dizaine. Tu tiens le côté droit où se trouve ton coeur. "Harvey .." Tu tentes de parler mais c'est difficile. "Harvey .." Tant bien que mal t'appelles ton collègue videur, t'essaie de crier de toute tes forces mais tes forces te manquent clairement à cet instant. "Mon coeur .. Il m'fait mal .." Réussis-tu à prononcer avant de t'effondrer sur le sol. Allongé tu n'as pas mal ou moins cela dit. Quelle idée d'oublier ces médicaments pour le coeur quand on est malade. "Appelle une ambulance.." Tu vois un point lumineux devant toi comme s'il s'agissait de la lumière au bout du tunnel.
Harvey qu'est ce que t'as fait? T'as fait quelque chose, en vrai? Tu t'es déjà lassé? J'suis si nul que ça? Ouais.. nan mais c'est normal, je comprends tu sais. Je suis pas un bon petit ami. D'ailleurs, est-ce que les petits amis ça couche tous les soirs? Et si j'ai pas envie, et si je suis trop fatigué, tu voudras quand même de moi au petit matin? Je suis sûr que t'es pas comme ça, Harvey, je sais que tu es différent, que t'as rien à voir avec les autres. J'en suis persuadé, je le sens, là, dans mon coeur, c'est encore chaud de ton amour, mais j'ai si peur si tu savais. Y a surement en moi des traumatismes qui m'affectent plus que je ne veux bien le comprendre, des choses que j'ai vécu qui distordent ma réalité. Peut être qu'en vérité t'as rien fait avec Lexie et que j'me fais des films comme un con. Putain j'aimerais que ce soit ça et que la boule au fond de ma gorge disparaisse. Dis Harvey, je sais même pas, mais t'aimes que les garçons? Ou t'es comme moi et t'aimes tout le monde sans faire de distinction? Bordel, tu sais ce que je voudrais là? Que tu déboules dans la pièce et que tu me serres. Que t'effaces mes doutes et mes craintes avec la force de ton étreinte. Que tu me dise qu'il n'y a que moi. Que j'suis à toi. Qu'il n'y a personne d'autre. J'ai envie que tu me serres et que tu me dises que le sexe on s'en fout, que tu me hurles qu'on s'en fout parce que tu sais Harvey moi le sexe je l'ai en horreur. Sauf avec toi. Sauf avec toi... Mais ca sera pas toujours comme ça tu sais... Des fois j'aurais pas envie, des fois j'aurais peur. Des fois je te repousserais en pleurant, surement, ou des fois j'te supplierais de me faire mal. J'suis tellement pété, Harvey, si tu savais. Je sais même plus me respecter. Comment on fait pour s'aimer un peu? Et toi, tu m'aimes? J'voudrais bien moi, j'voudrais apprendre à m'aimer. Tu m'aideras? Ou tout est déja terminé?
ll est terrifié. Terrifié de ce que pourrait lui révéler Harvey, qu'il lui avoue que finalement eux deux c'était une mauvaise idée, qu'une ébauche à jeter, qu'il regrettait, qu'il avait réfléchi ce matin et qu'il préférait tout arrêter. Peut être que le fait de ne pas avoir couché avec lui la veille avait joué un rôle, peut être qu'il ne valait rien de plus finalement, Terry, mais il refuse d'y croire parce qu'il conteste avec force l'idée qu'Harvey puisse être comme ca, alors il s'autorise à chasser son fatalisme naturel pour se suspendre désespérément à ce brin d'espoir venu de nul part: peut être qu'il se trompe et qu'il y a une raison à tout ça. Il sent son ventre se tordre de peur quand il le voit arriver et passer derrière les stores, l'entend siffler et se souvient soudain de tous ces hommes dégueulasses qui l'avaient baisé et qui au petit matin prenaient leurs aises chez lui en sifflotant comme s'ils étaient heureux alors que lui gisait presque mort entre les draps. Il avait été voir Lexie cette nuit, Harvey? Avait assouvit ce qu'il n'avait pas pu assouvir ici ? Il semblait heureux quand il l'avait aperçu devant sa porte de chambre et là... il sifflote? Il secoue la tête pour balayer cette espèce d'angoisse qu'il ne contrôle pas, serre les dents et quand son petit ami ouvre la porte, il inspire d'un coup sec en relevant des yeux affolés vers lui. Ca va très vite. Les cafés tombent, Terry sursaute, Harvey peste, éponge rapidement le sol et il le regarde enfin. Pas un mot, pas de réponse. Il est en apnée, Terrence, incapable de bouger. Tétanisé. – Qu’est-ce qui ne va pas bébé ? Y’a un truc qui s’est passé ? T’as reçu une mauvaise nouvelle ? Tu m’en veux ? J’suis allé chercher le petit-déj, il s’est passé quoi en mon absence ? Y a un gros moment de rien. Un long moment de silence. Puis soudain, il le voit, le regarde, le vertige qui s'estompe et le coeur qui comprend que ses peurs n'avaient pour seul socle que ses propres insécurités et qu'Harvey n'avait rien fait. Il se sent terriblement con, Terrence, les épaules qui tremblent et ses prunelles vertes qui passent d'un oeil bleu à un autre, la bouche sèche et l'âme qui se ressoude. Parle-moi bébé, dis-moi ce qu’il y a… Il baisse la tête, relève les yeux, hésite, les ferme, pince les lèvres et détourne le regard. Il a honte. Honte. Honte. Et ignorant la main qu'Harvey lui tend il hésite un instant puis lui saute à son cou, les bras qui s'agrippent à ses épaules de toutes les forces qu'il lui reste et le corps secoué de spasmes. Il le serre et il pleure, sans comprendre pourquoi il est si fragile là tout de suite, pourquoi il se sent si con, si petit et si rassuré à la fois. Il le serre et il renifle avant de se reculer et d'essuyer ses larmes, la tête baissée, rire gêné. C'est nul. C'est tellement nul. Je.. j'ai cru.. j'ai cru que t'étais parti, que tu m'avais laissé. Que parce qu'on avait pas couché ensemble, que parce que je t'avais pas satisfait de ce côté là tu étais allé.. je sais pas. J'suis bête, pardon je.. j'ai eu peur je crois. J'ai tout le temps peur tu sais. Etre en couple avec toi, c'est si.. parfait que j'ai la trouille de tout péter. J'veux pas que tu me laisses. Je.. il a conscience qu'il balance des infos en rafale mais il ne s'arrête pas pour autant, le souffle erratique et les sanglots dans la voix. Il le regarde, les yeux tristes. J'ai paniqué quand j'ai trouvé les draps tous froids à côté de moi j'ai paniqué. J'ai couru partout, j't'ai appelé, j'ai cru que tu m'avais encore abandonné, j'ai été dehors et j't'ai vu sortir de la chambre de Lexie et je.. j'sais pas. J'sais pas. J'crois que j'ai pas confiance en moi. Qu'on a trop.. qu'on m'a trop.. je sais pas. j'suis con, pardon.. Et puis il avait fini par sourire au travers des larmes, avait attrapé un muffin et avait croqué dedans, des miettes partout sur les genoux. Il se sent soulagé, Terry, soulagé parce qu'il n'était parti que pour acheter le petit déjeuner. Il avait pensé à ça, Harvey, avait voulu lui faire plaisir, à lui redonner des forces et ça paraissait évidement désormais qu'il était passé par la chambre de leurs collègues pour leur distribuer leur part. Il le regarde, le regarde avec profondeur et intensité comme s'il tenter de percer les secrets de son coeur et il sourit encore, honteux toujours, mais apaisé. ...il est bon ce muffin. Surement le meilleur de sa vie, pour le coup.
Le reste de la journée, il suit un peu machinalement ce qui se passe, feignant la bonne humeur comme il le faisait toujours au travail, la main accrochée à celle d'Harvey pour ne pas se perdre, le corps encore très faible et le manque de drogue qui commence à se faire sentir; la dose de méthadone était adaptée à son gabarit, mais il lui fallait en prendre tous les jours et c'est pourquoi en fin de journée, après un passage au restaurant où il avait finalement mangé un peu plus que ce qu'il n'aurait imaginé, il était sorti fumer une cigarette et avait discrètement demandé à Lexie si elle était d'accord pour l'accompagner à la pharmacie. Il avait son ordonnance pliée avec soin dans sa poche et il refusait qu'Harvey soit au courant. Et puis il avait toute confiance en sa collègue alors c'est très naturellement qu'il lui avait posé la question. (il préférait aussi la savoir avec lui que seule avec Harvey, même s'il savait que c'était sa petite jalousie qui parlait plus que sa raison). Lex, j'me sens pas bien, tu crois que tu pourrais venir avec moi à la pharmacie pour acheter un tube de vitamine et des médocs ? Elle avait accepté et rassuré Harvey. Pas de panique ! Je l’accompagne chercher des médicaments et on revient. C’est l’histoire d’un quart d’heure. » Le bras sous celui de Terrence elle prend les choses en mains et l'amène à la pharmacie. Lexie, toujours là pour lui prêter main forte, que ce soit au conf' ou ici, toujours à poser un regard bienveillant sur lui, à lui sourire quand elle sentait qu'il avait envie de pleurer, à lui offrir des clins d'oeil quand les clients étaient relous avec lui, comme pour lui dire "eh terry, j'men charge!". Ils avaient souvent fini les soirées à discuter, assis au bar avec John qui essuyait les verres et c'est tout naturellement qu'elle était devenue importante pour lui, avait fait sa petite place dans sa vie. C'est donc sans aucune retenue qu'il avance avec elle vers la pharmacie et qu'il lui confie la vérité en arrivant devant le guichet. Je.. j'suis pas venu pour des vitamines en vérité.C'est... Il lui tend l'ordonnance. ...de la méthadone. De la drogue de synthèse, je..j'essaye de me sevrer... tu vois.Quand elle lui redonne le papier il ne sait pas comment interpréter son expression mais il n'a pas le temps de s'en inquiéter vraiment puisque ce qui arrive, il n'y était pas du tout préparé. Je suis désolée monsieur, on ne peut pas vous délivrer de la méthadone comme ça, vous ne pouvez le faire que dans la pharmacie qui vous la délivre quotidiennement.Le visage de Terrence se décompose d'un coup, les sourcils qui se froncent et il panique vraiment, sent son coeur qui s'emballe, submergé par l'angoisse et il regarde son interlocutrice sans comprendre. Les pupilles affolées il pivote vers Lexie un court instant comme si elle avait la solution au problème puis fini par s'avancer coudes sur le comptoir pour éviter que les autres clients n'entendent. Je.. je dois avoir ce sirop, j'en ai besoin c'est.. vous ne pouvez pas.. il passe une main dans ses cheveux, le front moite. J'en ai besoin vous comprenez? Ma pharmacie est à dix heures de route et mon médecin m'avait bien précisé que ça irait, il a dit que ça irait que.. que je pourrais utiliser cette ordonnance ici. Elle semble peinée, vraiment. Vraiment. Mais quand elle hoche la tête à la négative il comprend que c'est foutu, Terry. Et il sent qu'il approche de la zone rouge, que si dans la demi-heure il n'a pas pris sa méthadone il allait tomber dans la spirale de la crise de manque et forcément son réflexe sera d'aller prendre de la drogue, d'en trouver coûte que coûte pour soulager les douleurs qui commencent déjà à dévorer son corps. Il sent déja qu'il transpire trop, qu'il a froid, qu'il est asthénique depuis le matin, les muscles qui tremblent doucement. Alors il s'affole et la supplie, parce qu'il n'a que ça, qu'il ne sait plus quoi faire. Il utilise ses dernières cartouches. Appelez mon médecin ! Le Dr Charles Fairfax. Ou.. ou ou appelez ma pharmacie? 67 Oxlade Drive.. à Brisbane. S'il vous plait ? S'il vous plait... elle soupire, compatissante et leur demande d'attendre, qu'elle va voir ce qu'elle peut faire. Il fait les cent pas, Terry, part même fumer une cigarette ou deux avec une Lexie qui tente de rationaliser mais il n'entend rien, ne comprends rien, voudrait juste qu'on lui donne son putain de sirop. Et quand il voit la pharmacienne revenir derrière le comptoir à l'intérieur il balance son mégot et revient vers elle. Personne ne répond, il est un peu tard, peut être qu'ils sont fermés. Je suis désolé monsieur. Vous devriez essayer une autre pharmacie mais je doute qu'ils acceptent.. Vous voulez qu'on appelle un hopital? Ils seront en mesure de faire ce qu'il faut. Nerveux, il lui arrache l'ordonnance des mains, Terry, la respiration sifflante, avant de se barrer comme un dingue à la recherche d'une autre pharmacie. Il arpente les rues, comme un fauve, le regard sombre et les pupilles dilatées. Il lui faut sa méthadone et il n'avait pas imaginé une seule seconde qu'on lui refuserait ça. Lexie sur ses talons il donne ses dernières forces pour trouver une autre pharmacie mais il se heurte à un nouveau refus. Bah oui, parce que je suis un junkie qui sait pas se sevrer hein? Vous pensez que je respecte pas la prescription, que je gruge, que j'viens juste quémander une dose de plus ? Que je fais expres de dire que je viens de Brisbane pour avoir un p'tit sirop supplémentaire et me shooter comme il faut? BORDEL. Il marmonne, les épaules et les mains qui tremblent de plus en plus, les bouffées de chaleur qui le rongent de partout, le froid aussi et le visage sur lequel perlent désormais sa sueur. Il est mal. Il a mal. Ca commence à devenir compliqué à gérer. Il trouve une dernière pharmacie. Refus. Et c'est un cri qui sort de sa bouche tandis qu'il shoote dans une poubelle et se laisse brutalement tomber au sol, les fesses sur le trottoir, les mains tremblantes qui cherchent une nouvelle cigarette et son téléphone. Harvey. Il faut qu'il l'appelle. Mais c'est difficile, parce que s'il a fait le fort jusqu'à maintenant, le vertige qui lui brouille la vue et lui compresse les poumons, il ne peut plus le repousser. Lexie. Ca va pas super là. Je.. tu peux m'aider à me relever s'il te plait je... j'crois.. Mais elle n'a pas le temps de l'aider qu'il est pris de spasmes. Alors sans réfléchir il lui donne son téléphone et lui dit, dents serrés et bras recroquevillés contre son buste Appelle les pompiers ou un truc. Faut que j'aille à l'hôpital. Faut que j'aille à l'hôpital...
Ce qui arrive ensuite, il n'en a pas trop conscience. Il ne voit pas l'ambulance qui l'embarque rapidement. Ou si en fait mais il est trop concentré à ne pas sombrer pour véritablement comprendre ce qui lui arrive. Et puis il arrive à l'hôpital, les lumières sont trop vives et ses yeux ont mal. Il tremble tellement que ses dents claquent et il marmonne des trucs incompréhensibles. Il ne sait pas ce qui se passe mais il comprend qu'on lui fait une prise de sang, qu'on passe des coups de fil un peu affolés et finalement on lui file un truc en intraveineuse et il se sent mieux. Fatigué, mais mieux. Et il croit qu'il s'endort par intermittence, qu'il divague un peu aussi surement. Mais il ne peut pas empêcher sa main de chercher sur le matelas celle d'Harvey.. et peut être qu'il fini par la trouver puisqu'il sent une surface chaude sous la pulpe de ses doigts. Il est toujours à l'hopital, là? Harvey?
Dernière édition par Terrence Oliver le Mar 26 Nov 2019 - 4:00, édité 2 fois
→ Il existe des moments déterminants dans la vie qui surviennent lorsque vous ne vous y attendez pas. Des moments qui vous échappent, où toutes vos certitudes volent en éclat. Des moments durant lesquels vous n’avez plus aucun contrôle sur les éléments ou les gens, où vous n’êtes que le spectateur, mis de côté et obligé d’assister à la scène qui se déroule sous vos yeux sans pouvoir y changer quoi que ce soit. C’est exactement l’un de ces moments que je suis en train de vivre en pénétrant dans la chambre du motel ce matin, les bras chargés de victuailles et de cafés. Je suis confronté à une situation inédite que je ne pouvais pas prévoir, ni anticiper et le choc me fait lâcher les gobelets dont le contenu se répand rapidement sur la moquette dégarnie du vieux motel. Perte de contrôle, impuissance, vulnérabilité. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Lorsque je suis parti ce matin, tout allait si bien. Tu dormais si paisiblement que je n’ai pas voulu te réveiller. Est-ce là mon tort ? De ne pas t’avoir réveillé ? Aurais-je dû ? Je n’en ai aucune idée. Comment font les autres au petit matin ? Est-ce qu’ils se réveillent systématiquement ? Comment aurai-je dû agir ? Je ne sais pas, je n’en sais rien. Et c’est en train de me rendre fou alors que j’éponge maladroitement la moquette imbibée de café, profitant de la diversion pour tenter désespérément de reprendre le contrôle sur cette situation improbable. Mais merde ! Je n’ai jamais été en couple moi alors je ne sais pas faire ! Et la boule d’angoisse qui se forme au creux de mon ventre et au fond de ma gorge enfle à chaque seconde. Car je ne suis pas assez bien. Je ne serais jamais assez bien. C’est une réalité que je connais bien trop et contre laquelle je ne peux pas grand-chose. J’aimerai, j’essaie, je suis plein de bonne volonté. Mais j’échoue. J’échoue toujours, misérablement. Peut-être que je ne suis bon qu’à fracasser des gueules inconnues, le cœur en vrac et les veines chargées de ce fameux liquide ambré que j'affectionne tant. Pourquoi est-ce que je pense à boire dès le matin, putain ? Pourquoi est-ce que ma main tremble si furieusement tandis que la peur s’insinue partout ? J’suis tellement foutu, putain, tellement foutu.
Pourtant, alors que mon premier réflexe me pousse à partir et à tout abandonner, il y a cette rage qui gronde et qui vient se confronter à la lâcheté qui me caractérise bien trop. Je n’ai pas rêvé, non ? Tu l’as bien ressenti toi aussi, cette vie qui s’est insufflée partout, à travers chaque caresse, à travers chaque regard, à travers chaque parole ? Cette bouffée d’oxygène, cet espoir lumineux qui nous a brillamment éclairé et fait vibrer jusqu’aux tréfonds de nos âmes ? Tu l’as senti n’est-ce pas ? Je l’ai vu dans tes yeux, je l’ai perçu à ta voix, je l’ai senti sous ton toucher. Ton odeur sur ma peau, nos jambes emmêlées dans les draps défaits et cette sensation de légèreté transcendante, enivrante. Je ne veux pas m’en passer, je veux ressentir à nouveau ce bonheur intense, la béatitude et l’extase… Alors, si je te terrifie ce matin, Terrence, il faut au moins que je sache pourquoi. Pourquoi est-ce que tu me regardes avec autant de peur ? Pourquoi suis-je en train de t’effrayer alors que tu n’as rien vu de mon côté le plus sombre… T’as rien vu et t’es déjà dans tous tes états. Il va se passer quoi quand tu sauras ? Est-ce que je verrais du dégoût en plus de la terreur au fond de tes yeux si expressifs ? Est-ce que ce sont tes yeux la solution ? Tes yeux, la fin de tout ? Est-ce que ce sont eux qui m’indiqueront que je peux partir et arrêter cette lutte acharnée qui ne mène à rien ? J’ai peur, Terrence. J’ai peur que nous soyons en train de faire une connerie gigantesque, parce que si je suis le plus heureux des hommes en ta présence, je me rends compte que si tu pars ou tu t’éloignes, ça me détruira. Tu peux me détruire pour de bon, et je n’avais pas encore réalisé cela. C’est brutal, ça serre le ventre et ça donne des sueurs froides. Je commence à comprendre ce que signifie l’appartenance, ce que deux personnes amoureuses ne se disent pas à voix haute mais se promettent tout bas. Je m’en remets à toi, gardien de mon cœur, geôlier de mon âme, détenteur de ma vie. Dois-je te faire confiance, Terrence ? Tu doutes de moi, déjà. Je le vois dans ton regard embué de larmes. Je le vois dans ta posture fuyante. Et ça me défonce le cœur tu sais, de ne pas réussir à t’inspirer autre chose que de la peur ce matin. Je m’assois sur le lit, attentif et ma paume de main ouverte est tendue vers toi. Donne-nous une chance, putain. Ne me jette pas déjà, je ferais en sorte de t’enlever tous ces doutes du crâne, je te le jure. Je vais me battre, même si je suis épuisé, même si je n’ai plus de souffle, même si je dois en crever, je vais me battre car je te l’ai promis. Parce que tu en vaux la peine et que tu m’en donnes l’envie. Alors prends ma main, putain. Faisons ce chemin-là ensembles, luttons main dans la main, nos regards tournés vers l’avenir et nos cœurs battant à l’unisson. Mais il ne prend pas ma main, Terrence. Il l’ignore et au lieu de s’en saisir, le voilà qui se jette dans mes bras. Surpris, je l’accueille néanmoins avec soulagement et le serre contre mon torse. Je ne sais pas ce qu’il se passe, pourquoi tout est si noir brusquement, pourquoi tout semble si dur et si fragile, mais lorsque tu es contre moi et que je te serre si fort, la peur s’évanouit au profit de la douceur et de la tendresse que tu m’inspires. Et après quelques instants, après avoir déversé sa peine, Terrence se redresse et s’écarte légèrement pour s’expliquer. – C’est nul. C’est tellement nul. Je… J’ai cru… J’ai cru que t’étais parti, que tu m’avais laissé. Que parce qu’on avait pas couché ensemble, que parce que je t’avais pas satisfait de ce côté-là tu étais allé… je sais pas. J’suis bête, pardon, je… j’ai eu peur je crois. J’ai tout le temps peur tu sais. Être en couple avec toi, c’est si.. parfait que j’ai la trouille de tout péter. J’veux pas que tu me laisses. Je… J’ai paniqué quand j’ai trouvé les draps tous froids à côté de moi, j’ai paniqué. J’ai couru partout, j’t’ai appelé, j’ai cru que tu m’avais encore abandonné, j’ai été dehors et j’t’ai vu sortir de la chambre de Lexie et je… j’sais pas. J’sais pas. J’crois que j’ai pas confiance en moi. Qu’on a trop.. qu’on m’a trop… je sais pas. J’suis con. Pardon.
J’écoute. Attentif et bouleversé par les confidences qu’il me fait. C’est brutal et je ferme les yeux quelques secondes pour ne pas laisser ma colère exploser. Car elle est montée d’une façon fulgurante en moi, et est dirigée contre des ombres, des fantômes et des personnes immatérielles. La colère ne me sera d’aucune utilité ce matin, et pourtant elle m’aide à ne pas sombrer dans la tristesse et la désolation. Que t’a-t-on fait Terrence pour que tu aies si peu confiance en l’être humain ? Des abus d’ordre sexuels, c’est évident. Le pire de l’homme, le summum de sa cruauté : disposer des êtres et les traiter avec un mépris inégalable. J’assiste à ça tous les soirs au Confidential Club et ça me dégoûte. Ça me révolte. Ça m’enrage. Je souffle doucement, et essaie de faire le tri entre toutes mes émotions emmêlées. Mais ce n’est pas simple, ce n’est pas facile et entre temps, Terrence s’est emparé d’un muffin et le grignote en m’observant. – Il est bon ce muffin… Mon regard se pose sur lui, un peu hagard et désorienté. – Bordel, je… me tais et passe mes mains sur mon visage. Je me le frotte rapidement pour adapter mon attitude et ne pas laisser mon imagination déborder et influer sur ce qu’il se passe ici, dans cette chambre. C’est là que tu dois être, boy, pas ailleurs dans ta tête. Il a besoin de toi Terrence, fais pas le con. – Je… n’ai plus faim ? Ne sais pas par où commencer ? J’en perds mes mots ? Je soupire et me lance malgré tout. -Tu sais, t’as pas à me ‘satisfaire’ de quoi que ce soit en fait, c’est… Jamais je n’exigerai quoi que ce soit à ce niveau-là, c’est tellement dégueulasse. J’suis pas comme ça, je… Le sexe, c’est un partage avant tout, c’est quelque chose qui doit être désiré et voulu sinon ça n’a aucun intérêt. Tu peux pas exiger de ton partenaire qu’il s’offre, c’est insensé. Si on fait l’amour, il faut que tu le veuilles sinon ça n’a pas de sens. Je secoue la tête, m’ébranle légèrement pour chasser l’idée qu’un scénario contraire puisse arriver. – Je te forcerai jamais à rien, j’suis pas comme ça. Et j’suis désolé d’être sorti sans prévenir, j’aurai dû te le dire ou te faire un mot, j’ai juste pas réfléchi… ça m’a pris sur un coup de tête, j’ai pensé que tout le monde apprécierait de bien manger avant de démarrer la journée de touristes… J’ai cru que tu m’avais encore abandonné… - Pardon, je t’abandonne pas, plus jamais maintenant. J’voulais juste… faire les choses bien ? C’est ce que tu voulais n’est-ce pas, boy ? C’est ce que tu dis tout le temps : je voulais faire les choses bien… Alors pourquoi est-ce que tu les fais tout le temps mal ? Pourquoi est-ce que tes bonnes intentions ne sont jamais suffisantes ? Et il y a ce petit garçon qui se recroqueville sur lui-même, les bras enlacés autour des jambes collées à son torse, le menton posé sur ses genoux. Des larmes coulent de ses yeux et il se balance légèrement d’avant en arrière, geste mécanique visant à l’apaiser légèrement, parce qu’il ne se sent pas à sa place et qu’il a peur de ne jamais être assez bien pour personne. Car tous les jours, on le lui répète : tu n’es qu’un bon à rien, Harvey, un bon à rien. – Excuse-moi, vraiment. Il faudrait qu’on s’échange nos numéros de téléphone pour pouvoir se joindre si jamais… Je ne l’allume quasiment jamais, mais si c’est pour te rassurer, j’ferais en sorte de l’avoir à proximité. Parce que chaque problème a sa solution et que je réfléchis toujours avec pragmatisme, en dépit du foutu bordel qui règne dans ma tête. Et c’est sur cette très bonne résolution que nous terminons le petit-déjeuner avant d’aller retrouver nos collègues pour une journée tourisme à Sidney.
L’ambiance entre nous quatre est plutôt mitigée. John et Terrence sont mutiques, et malgré les tentatives de Lexie pour faire la conversation, je ne suis pas connu pour être un grand bavard, aussi nous arpentons les rues de Sidney en silence et réglons nos achats divers : j’achète des mugs en souvenir de Sidney, et puis nous nous décidons tous pour un porte-clésque nous arborerons fièrement à notre trousseau du Confidential Club une fois rentrés. La nervosité est palpable, et plus la journée avance, plus les visages se ferment. Même celui de Lexie qui est d’ordinaire si jovial, laisse entrevoir que la jeune femme est en proie à des questionnements intérieurs. Comme nous tous. Du coin de l’œil, j’observe furtivement mon petit-ami et son attitude me laisse perplexe. Il est fuyant, nerveux et sursaute bien trop souvent pour un simple touriste. Je n’avais pas encore mesuré à quel point il pouvait souffrir, Terrence. Oh bien sûr, je l’avais vu son regard triste, je les avais perçu ses blessures si visibles à la surface, mais j’ignorais tout de leur profondeur. Je sens qu’il y a plus encore que ce que j’ai entrevu ce matin, et j’ai peur. J’ai peur des révélations à venir, j’ai peur du mal que je pourrais lui faire avec les miennes. Car je ne veux pas le faire souffrir, Terrence, il a déjà bien trop souffert. Et je suis loin d’être un innocent, mes travers ne font pas de moi un homme bien. Ce terrible constat met en échec tous mes espoirs de guérison et l’euphorie s’en trouve ternie peu à peu. Alors c’est la tristesse qui m’accable en cette drôle de journée, car là où nous devrions sourire, nous esquissons de légères grimaces forcées ; là où notre enthousiasme devrait s’exprimer bruyamment, nos conversations restent appauvries et indifférentes ; là où nos yeux devraient briller, ils masquent difficilement les larmes qui s’accumulent derrière nos paupières. La journée devient monotone, sans saveur et nous la subissons à chaque instant. Jusqu’à ce moment au restaurant le soir, où Terrence décide d’aller fumer en compagnie de Lexie, me laissant seul avec John. Mon collègue est blafard, alors je lui demande abruptement – Y’a un truc qui passe pas, John ? T’as avalé quelque chose de travers ? Nous réglons la note et sortons rejoindre Lexie et Terrence. Ce dernier fuit mon regard et semble nerveux. – Pas de panique ! Je l’accompagne chercher des médicaments et on revient. C’est l’histoire d’un quart d’heure. Bordel, ce que je déteste me sentir impuissant ! – Ok, on va aller faire le plein en attendant. Que je réponds, las et fatigué par la journée. Tu ne me fais pas confiance, Terrence, hein ? C’est ça, tu ne me fais pas confiance… Comment je pourrais t’en vouloir alors que je t’ai abandonné une première fois ? Et l’envie de pleurer me serre le thorax mais je tiens bon, allume une clope et garde un visage impassible en dépit de toutes les émotions qui m’assaillent et me violentent à l’intérieur. Et alors qu’on s’approche des bécanes, c’est John qui retient brusquement toute mon attention. Il vacille, tente de se raccrocher à sa bécane mais a du mal à tenir. – Harvey… Ma main se pose sur son biceps que je serre fortement pour le retenir et l’empêcher de se ramasser la gueule par terre. – Wow, John, il t’arrive quoi là ? Oh respire mec ! – Harvey… Mon cœur… Il m’fait mal… Appelle une ambulance… Et soudain, tout va très vite : John s’écroule dans mes bras et je peine à le retenir. Les bras autour de son torse, je le soulève et l’allonge sur le banc en vérifiant son pouls tandis que je compose le numéro des urgences. Si je pensais que la journée ne pouvait pas être encore pire, je crois que c’est définitivement le cas. Tout s’enchaîne, après une brève description de l’état de John ainsi que de l’endroit où nous nous trouvons, il ne reste qu’à attendre les secours. Et ces derniers ne tardent pas. Entre temps, j’ai sécurisé les bécanes pour que personne ne soit tenté de nous les voler pendant la nuit et je suis mon collègue dans l’ambulance en direction de l’hôpital de Sidney. J’apprends sur le trajet que mon collègue souffre d’insuffisance cardiaque et qu’il n’a pas pris correctement ses cachets pour aider le cœur à pomper le sang et le rediriger dans son organisme. Putain John, tu voulais quoi là ? Clamser ? T’es sérieux ? Qu’est-ce qui t’a pris de ne pas te soigner ? Est-ce que toi aussi, t’es au bout ? Toi aussi, t’en as marre ? Peut-être bien qu’on aurait dû tous se jeter du pont hier finalement… Pauvre Lexie, elle doit en avoir marre de nous.
Pensant à elle, je décide d’envoyer un rapide sms pour la tenir au courant de notre situation. Terrence n’ayant pas son téléphone sur lui, je décide de contacter la jeune femme. Je n’ai pas de réponse, mais le message a bien été transmis. J’espère qu’elle n’a pas perdu son téléphone et qu’ils ne sont pas tous les deux en train de nous chercher sans comprendre ce qu’il se passe. Oh ce bordel ! Je frotte mes mains sur mon visage, coudes sur les genoux, l’air abattu et fixe John, étendu sur la civière en soupirant. Putain mais est-ce que c’était trop demandé de se faire un petit séjour à la cool ? Une fois arrivé à l’hôpital, je n’ai absolument plus rien à faire d’autre que de m’inquiéter énormément et d’errer, penaud, dans ces longs couloirs austères où se traînent toutes sortes de gens. L’unique chose qu’ils ont tous en commun : la peur. Elle grouille ici, elle est palpable et je pourrais même la voir se matérialiser autour de chaque personne comme une aura malfaisante. Je touille le café brûlant que j’ai récupéré dans un distributeur et fait les cent pas dans le hall d’accueil, désœuvré et fatigué. Je m’attends à tout moment à voir débarquer Lexie et Terrence et à devoir leur expliquer le malaise de John et sa prise en charge par les équipes soignantes. Sauf que l’heure passe et que personne n’arrive. J’enchaîne les cigarettes, continue de marcher pour fuir mes pensées sordides, fuir mes interrogations, fuir la peur qui tente de se coller à ma peau. Aussi lorsque la silhouette de Lexie se détache du lot, un poids s’extirpe de mes épaules et j’accours vers elle. – Lexie ! Lexie ! T’as eu mon texto ? Et elle l’a bel et bien eu, en effet. Mais elle m’explique qu’elle a dû gérer autre chose de son côté. Terrence… J’apprends son addiction de la bouche de ma jolie collègue, et j’accuse le coup. Comme le couperai qui tombe, il n’y a pas d’échappatoire. Cela explique tant de choses néanmoins, tant de choses… Sa nervosité, sa fragilité, sa maigreur et son manque d’appétit, son peu de confiance et son repli sur soi. Oh Terrence, pourquoi faut-il que tu subisses tout ça ? Je connais les affres de la drogue, et l’emprise qu’elle a sur ceux qui en consomme. Le combat sera long, mais je serais à tes côtés dans la bataille. – Il est où ? Lexie m’indique le couloir où a été installé son brancard, faute de place dans une chambre et je m’avance rapidement jusqu’à apercevoir sa silhouette longiligne allongée. J’approche prudemment et glisse ma main chaude dans la sienne, frigorifiée. – Harvey ? Je souris, tendrement et mon autre main vient essuyer la transpiration sur son front avant de glisser dans sa chevelure. – C’est moi, bébé, j’suis là. Je me penche et pose mes lèvres sur son front un long moment. Je suis là, Terrence, je suis là et je ne pars pas tu vois. Parce que je ne briserai pas la promesse que je t’ai faite, et qu’il me sera plus simple de me battre maintenant que je sais tout.– Prends ton temps, t'agite pas, je crois que les docs ont dit que d’ici quelques heures tu pourrais sortir. C’est ça Lexie ? La jolie blonde nous a rejoints et elle confirme mes dires. Je raconte la mésaventure de John, en occultant le fait qu’il soit lui-même responsable de son état. Je ne sais pas pourquoi je garde sous silence cette information, peut-être parce que j’estime que c’est à lui de décider de la révéler ou non. Je vais m’enquérir de son état à l’accueil, et j’apprends qu’il a frôlé la crise cardiaque. Ils le gardent en observation toute la nuit et s’occupent de son transfert à Brisbane dans la foulée. Lorsque je reviens auprès de Lexie et Terrence, c’est avec un air préoccupé que je leur donne les dernières informations. – Du coup, demain matin j’irai voir pour louer un camion pour les bécanes, et dès que c’est bon, on trace à Brisbane ? Ma main vient se caler dans celle de Terrence, et alors que je sens que ce dernier souhaite se confondre en excuse, je secoue la tête. Ma paume se pose sur sa nuque et mes lèvres se lient aux siennes, doucement mais fermement. Ne t’excuse pas Terrence, ce n’est pas de ta faute. Personne ne t’en veux, personne ne te rends responsable. Les choses arrivent, les drames, et on tente d’y survivre comme on peut. Parfois, on sombre dans quelque chose de plus nocif encore. Mais c’est la vie, ça, personne n’en sort indemne tu sais. Même ceux qui veulent te faire croire le contraire. Ils souffrent. On souffre tous et on sourit parce que c’est ça la vie.
Le retour au motel se fait en silence, une fois n’est pas coutume et vu l’heure tardive, nous nous empressons tous de nous glisser sous les draps pour dormir. Mes bras enlacent le corps fin de Terrence posé contre moi et mes doigts glissent sur sa peau de velours, traçant des arabesques dans son dos. – J’te lâcherai pas, tu sais. J’vais rester. Demain, et tous les jours qui suivent. J’vais rester jusqu’à ce que tu ne veuilles plus de moi, ok ? C’est juste en guise d’information, pour que tu le saches. Maintenant dors, t’as besoin de repos. Moi aussi d’ailleurs, la route va être longue demain. J’éteins la lumière, embrasse la tempe de mon petit-ami que je garde tout contre moi et m’endors dans la foulée, la fatigue ayant raison de moi. Au petit matin, je réveille Terrence doucement, ne souhaitant pas l’effrayer comme la veille et le préviens de mon départ. Aussitôt je me mets en quête d’une location de camion et je m’arrange pour ne pas avoir à rapporter le camion à Sydney grâce à des négociations rondement menées. Je garde la bête devant le motel et tandis que Lexie et Terrence prennent le petit-déjeuner et font les sacs, j’installe les bécanes à l’arrière et m’assure qu’elles ne bougeront pas durant le trajet. Une rayure sur Daisy et je disjoncte, c’est sûr. Lorsque nous sommes fin prêts à partir, j’invite mes acolytes à s’installer. Lexie choisit la banquette arrière, Terrence monte à l’avant avec moi et je m’installe derrière le volant. – On a eu des nouvelles de John ? Que je demande, puisqu’ils étaient censés appeler l’hôpital pour s’enquérir de son état. Je démarre et l’engin s’ébranle sous le vrombissement du moteur. – C’est parti pour dix heures de route. J’ai le sourire, mais je suis las et fatigué d’avance. Ce road-trip m’aura demandé une énergie que je n’ai pas d’ordinaire et j’ai l’impression d’avoir vieilli en l’espace de 48h. Je ne compte plus le nombre de bleus dont j’ignore la provenance (peut-être durant la nuit car Terrence ne cesse de bouger), ni les courbatures qui me rappellent constamment que je devrais pratiquer plus régulièrement un sport, ni la fatigue pesante qui alourdit tout mon corps. Je risque de dormir un jour entier en revenant, mais pour l’instant je suis en mode ‘pilote automatique’. Il parait que la conduite parfois ressemble à de l’hypnose, notre esprit s’échappe alors que nos réflexes eux tiennent la route. Et je laisse vagabonder mes pensées le long du trajet, sans avoir de prise sur elles. J’imagine des lendemains doux, et des soirées difficiles… Et je les imagine tous avec toi… Ma main glisse sur la nuque de Terrence qui s’est appuyé légèrement sur mon épaule, et je la serre doucement, comme une promesse silencieuse. Non, je ne t’abandonnerai plus. J’ai fait l’erreur une fois, tout comme je l’ai faite avec mon frère, et aussi avec ma mère… ça me rend malheureux de fuir les gens que j’aime. Je ne veux plus agir ainsi. Alors, je reste. Et je me bats.
Il ne sait pas s'il rêve ou si on lui a donné trop de drogue, Terrence, mais il croit qu'il le voit, son petit ami, juste là au dessus de lui, la main au creux de la sienne, les yeux compatissants sous ses mèches blondes un peu folles et y a toute l'énergie du monde qui s'infiltre soudain dans ses veines, petit corps défait sous des draps aseptisés, un bracelet à son nom enroulé autour de son poignet trop osseux et des fils branchés de partout. Les gestes d'Harvey sont rassurants, il l'écoute parler, donner des nouvelles de John mais il est dans le gaz, Terry, incapable de suivre la conversation. Il croit sentir les lèvres de son petit ami venir se poser contre les siennes ou sur son front il sait pas, et quand il se recule son sourire est tendre et Terry se laisse glisser sans résistance dans un sommeil calme et chaud, parce qu'il n'y a plus rien à craindre désormais, il pense, plus de démon à chasser ou de rue à arpenter le souffle lourd et le corps fiévreux à la recherche d'une pharmacie qui accepterait de le prendre au sérieux. Il ne réalise même pas qu'Harvey sait, qu'il vient surement de découvrir son secret et ça le ferait effroyablement flipper s'il en prenait conscience, mais ce n'est pas le cas. Parce qu'en effet, maintenant Harvey sait, malgré les efforts que Terry avait mis en place pour éviter ça. Et quand il se réveil il a du mal à émerger, s'étire doucement, se frotte les yeux avec les poings, observe les lieux, se rappelle vaguement de la soirée mais se revisualise douloureusement la scène du matin, la peur qui s'était insinuée en lui aussi surement que le vent dans les branches des arbres sous la tempête, il se revoit courir et le chercher partout dans la chambre du motel, paniqué, se faire des films en le voyant dehors devant la porte de la chambre à coucher de lexie, puis se confier, assis sur le lit, un muffin à la main. Il l'entend comme s'il y était à nouveau, la voix d'Harvey qui lui dit qu'il n'a rien à craindre de lui, que le sexe c'était un partage et qu'il accepterait de faire l'amour avec lui uniquement s'il en a envie. Et comme le matin-même, il la ressent, la brûlure de soulagement qui s'agite dans son ventre alors que tout autour de lui l'angoisse, que les machines bipent régulièrement dans un silence assourdissant et que ça lui rappelle qu'il a lamentablement échoué en faisant une crise de manque. Malgré tout, rien ne peut entacher son moral parce qu'il réalise qu'il est heureux, Terry, qu'il a peut être trouvé celui qui le respecterait enfin, celui qui ne le forcerait jamais, celui qui n'irait pas voir ailleurs sous prétexte qu'il se refusait. Il sait qu'au matin il a fait peur à Harvey et pour dire la vérité, en se confiant à lui comme ça il avait redouté de le voir déguerpir. Mais il était resté. Putain il était resté. Et il est là à son réveil aussi, ici, le visage fatigué qu'il a glissé au creux de sa paume de main et les yeux fermés, cheveux attachés dans un bun négligé. Il l'observe, Terrence, se demande s'il mérite autant d'attention mais il n'a pas la force de lutter alors il laisse doucement retomber ses boucles contre l'oreiller, fixe le plafond blanc immaculé en souriant et même s'il n'a dormi qu'une petite heure, il se sent un peu reposé. T'es resté Harvey. T'aurais pu partir, en profiter pour revenir sur tes paroles et t'en aller, mais t'es resté. Tu sais, j'ai eu peur, mais c'est à moi de soigner ça, toi, t'as rien fait. Rien de mal. Harvey t'es resté, j'ai envie de te demander pourquoi, mais je ne le ferai pas, par peur de te faire réaliser ton erreur. Ou peut être que je devrais, que tu ne m'aimes pas trop fort avant de te rendre compte que j'suis qu'une anomalie dans ta vie, un truc qui finira par sonner faux, par faire tache. Pourtant je veux que tu restes. Egoistement, je veux que tu restes... Tu resteras longtemps? Tu supporteras ca combien de temps, dis? Combien de temps? Ce n'est qu'au moment de renfiler ses vêtements, de payer et de signer les papiers qu'il réalise qu'Harvey sait, qu'il a dû tout apprendre pendant qu'il dormait et le soulagement qu'il ressentait est soudain remplacé par de l'angoisse. Une angoisse violente, indescriptible qui lui vrille le coeur avec ce refrain lancinant: Harvey sait. Harvey sait. Il sait maintenant pour la drogue, il sait dans quel état ça l'a foutu, il sait qu'il est addict et que cette fois, il n'a pas pu gérer. Il n'a pas pu à cause de ces connasses de pharmaciennes et il peste intérieurement, Terry, sur le chemin du retour, il peste mais reste mutique, la tête posée contre l'épaule d'Harvey dans le taxi comme si se taire arrangerait les choses. Surement qu'il était trop fatigué aussi pour parler, le corps décharné et l'énergie au raz des pâquerettes. Il aurait presque pu s'endormir, bercé par le ronronnement de la voiture mais il tient bon, les yeux ouvert dans la nuit et le coeur suspendu, en attente du jugement. Arrivés au motel, tout le monde va se coucher, on ne prend pas de gants et on personne n'a besoin de faire des manières et de salutations. Ils savent tous les trois qu'ils sont courbatu et éreintés et que seul le sommeil pourra un peu les réparer. – J’te lâcherai pas, tu sais. J’vais rester. Demain, et tous les jours qui suivent. J’vais rester jusqu’à ce que tu ne veuilles plus de moi, ok ? C’est juste en guise d’information, pour que tu le saches. Maintenant dors, t’as besoin de repos. Moi aussi d’ailleurs, la route va être longue demain. Contre son torse sous les draps, il aurait eu envie de répondre qu'il était heureux d'entendre ces mots, Terrence, qu'il n'avait probablement jamais espéré tant, jamais envisagé que quelqu'un puisse vouloir s'accrocher à lui malgré les épines plantées et les blessures clairement affichées. Au lieu de ça il se contente de se blottir contre de lui un peu plus, d'hocher la tête de haut en bas en laissant le silence répondre à sa place, les larmes couler et il peine bien plus que son petit ami à trouver Morphée, les yeux qu'il garde grands ouverts quelques heures encore avant de sombrer dans un sommeil agité.
Au matin, les teints sont gris et les traits tirés. Personne n'a vraiment bien dormi. Il est réveillé doucement par Harvey, l'écoute, se laisse guider. Il est épuisé, ne tient presque plus debout. Pourtant, ce n'est pas son état qui le préoccupe le plus; il s'inquiète pour John. Alors pendant qu'Harvey part chercher un camion de location, il prend des nouvelles, appelle l'hopital, prévient Caïn en laissant un message sur son répondeur. Il parle aussi avec Lexie tout en prenant un petit déjeuner dans la chambre qu'elle avait partagé avec John, s'excuse de ce qu'elle a pu voir, lui explique plus en détails ce qu'il en est puis ils partent tous deux préparer les sacs. Ils rentrent à Brisbane. Ils rentrent et il a peur, Terry, parce qu'il sait que le retour à la réalité peut faire plus mal encore que l'enfer qu'il venait de traverser. Parce qu'Harvey savait, et ils n'en avaient pas encore parlé. – On a eu des nouvelles de John ? Terrence l'observe rentrer les motos dans le camion, assis sur les escaliers, clope à la main, le corps caché dans un pull bien trop large pour lui, les boucles attachées avant de jeter le mégot, de l'aider à mettre le sacs à l'intérieur et grimper avec Lexie à l'avant. Ouais. J'ai appelé l'hopital, il sera transféré en hélico dans quelques heures, mais il va bien. Ils ont dit qu'il avait évité le pire grace à toi. Il ne le regarde pas, boucle sa ceinture, évite de dire que c'est lui qui a payé tous les frais lié aux soins de John, évite de dire que Caïn a explosé de panique au téléphone, évite de dire que lui aussi ne se sent pas super à l'aise là, tout de suite. Le moteur fait trembler l'habitacle et Harvey démarre, solidement installé derrière le volant. Il le trouve beau, là, concentré sur la route, et il les voit ses oeillades qu'il souhaiterait discrètes. Ca le rassure énormément. Au fil des heures, le silence se fait de plus en plus ressentir et si Lexie alimentait la conversation, désormais elle dort, épuisée elle aussi par ces deux jours trop intenses. Il a replié ses jambes contre son buste, Terry, observe le paysage sans réellement le regarder, des pensées qui tournent en rond dans sa petite caboche surmenée. Et quand tout devient trop lourd il ose détacher sa ceinture, s'autorise à se mettre sur celui au plus proche d'Harvey et venir poser sa tête contre son épaule. Y a sa main large qui vient prendre sa nuque avec douceur mais fermeté, comme pour lui signifier qu'il ne partirait pas, puis son bras s'enroule autour de ses épaules et c'est naturellement qu'ils parlent de ça, que les langues se délient enfin. C'est avec tendresse qu'ils évoquent le sujet, les séances chez le docteur qu'il faudra assumer, la méthadone, la drogue qu'il s'est enfilé pendant des années et de cette envie de s'en sortir et d'arrêter. Et Harvey répond qu'il sera là, qu'il l'aidera, qu'il ne s'en ira pas et il a terriblement envie de le croire, Terrence, mais il doute encore. Pourtant cette fois, il n'a pas la force d'hésiter plus longtemps alors il se laisser simplement aller contre son petit-ami, à profiter de sa chaleur, à respirer son odeur, et il tombe dans un sommeil qui durera la quasi totalité du trajet, un sommeil sans rêve mais sans cauchemar non plus, parce qu'il avait l'âme un petit peu réparée, Terry. Il avait retrouvé son Harvey alors qu'il avait presque cessé de l'espérer. Et l'hopital et la fatigue, il s'en foutait désormais. Il s'en foutait. Foutez-moi en encore de la fatigue, que je tiendrai toujours debout. Tant qu'il reste là, tant qu'Harvey ne se barre pas, tant que je ne lui fais pas peur, je tiendrai. Je t'avais dit Harvey que j'étais remplis de noir. T'aime le noir? T'as pas peur? Tu sais, sans toi j'ai plus le courage de rien mais il suffit que tu sois à mes côtés et tout me parait plus simple à affronter. T'es la force qui me manquait. Harvey, je suis si heureux de t'avoir retrouvé. Me laisse plus jamais ok? Plus jamais...