Il fait tout noir. J'ai froid et je manque d'air. Pourquoi suis-je encore couchée ?Je n'arrive pas à bouger ! Je ne parviens pas à me tourner sur le côté. D'ailleurs, pourquoi suis-je encore alitée ? Il dois déjà être le matin... pourtant il fait tout noir ! Ai-je les yeux ouvert, au moins ? Zut ! Je ne peux même pas bouger mes bras pour me tater le visage ! Mais que se passe-t-il ? Pourquoi ne puis-je rien faire de mon corps ! Non ! Pitié ! Que quelqu'un m'aide !
Je m'agite, je ne bouge pas d'un poil. Je serai ligotée, je pourrais me mouvoir comme un asticot. Mais là, non. Je suis comme figée ! Je veux bouger. Je ne veux pas rester comme ça. JE VEUX SORTIR !
AH ! Je bouge enfin ! J'ai l'impression de m'être arrachée de quelque chose. Mais ça y est. Je vois la lumière, je suis... pourquoi suis-je dans un cimetière ? Que m'est-il arrivée ? J'étais couchée sur une tombe ? Mon dieu, que c'est irrespectueux pour ce pauvre mort. Sur la tombe de qui suis-je restée allongée ? Léonie Tremblay. J'ai un homonyme ! Est-elle un parent éloignée ? Par tous les saints ! Quelle blague me fait-on ? Sous ce nom, il y a ma date de naissance. Et une date de mort qui n'est pas la mienne. Je ne suis pas morte. Non ? Je suis vivante, encore...
Il y a un si grand soleil et pourtant j'ai si froid. Il faut que je parte d'ici et trouve de l'aide. Dans la rue principale... Non ! Pas besoin, je vois du monde à l'autre bout du cimetière. Qui est-ce ? Ma mère et ma cousine. Elles m'ont donc fait cette farce ? Ce n'est pas leur genre. Pourquoi portent-elles leur robe noire ? Pourquoi pleurent-elle ?
Maman... maman ! Elle ne m'entend pas... Elle ne me voit pas... pourquoi mes mains passent à travers son corps... Je ne peux pas... être morte ! Je ne peux pas l'être ! Je ne veux pas l'être ! A l'aide ! Y a-t-il quelqu'un qui me voit ! Là-bas, sur cette tombe. Je vois une personne assise sur la pierre. Elle attend. "Excusez-moi... me voyez-vous ? M'entendez-vous ?"
Et ben voilà, elle y est. Freya contemple la tombe sur laquelle elle revient à chaque fois qu’elle se sent perdue. Parce que c’est ce qu’elle est, actuellement, littéralement une âme perdue. Elle se rend compte que son existence même a été arrêtée, stoppée d’une façon qu’elle n’arrive pas à se souvenir. Comment est-elle arrivée là, engloutie dans la terre et cette impression d’étouffer ? Freya n’a jamais été claustrophobe ni même terrifiée du noir mais sous terre, ces fameux six pieds en dessus de la vie, c’est terrifiant et angoissant. Elle n’entendait même pas son coeur battre, ni son sang couler dans ses veines. Il lui a fallu un moment pour réaliser qu’elle n’avait même plus de corps, même plus de membres, rien d’autre. Elle est cependant bien consciente de son environnement, son regard vitreux se prélassant sans cesse sur le fameux cimetière qu’elle a essayé de faire tenir sur pieds. Les pierres tombales sont gravées maladroitement, pour le peu qu’il n’y a pas juste une croix complètement penchée plantée à même la terre. Les gens n’ont pas les moyens de se payer des funérailles et elle en a vu des familles brisées de ne pas pouvoir faire le deuil de leurs proches.
Freya se retrouve donc à contempler ce qui est supposé être sa dernière demeure sur terre d’un visage interdit. C’est grotesque et totalement irréaliste de voir son nom et sa date de mort à côté de celui de sa date de naissance. Et le pire, c’est qu’elle ne peut pas interagir avec ses frères ni ses proches. Ne pas pouvoir hurler à Wren qu’elle est là, qu’elle est près de lui, qu’elle l’entend et qu’elle le voit s’effrondrer, c’est la chose la plus cruelle qui lui a été permis de vivre – enfin, façon de parler. Son aîné vient d’ailleurs de partir et Freya se trouve sur sa tombe, ou plutôt les jambes croisées assise à même la pierre
« Excusez-moi... me voyez-vous ? M'entendez-vous ? » Freya n’y fait pas vraiment attention mais elle lève machinalement les yeux. Quand elle voit une jeune femme qui semble lui parler, elle regarde derrière elle. Personne. Elle fronce des sourcils tout en reportant son attention sur la jeune femme. « C’est à moi qu’vous parlez ? » Tout de suite, son visage s’éclaire. « Vous m’voyez aussi ? »
Si ma situation n'était pas si préoccupante, je lèverais bien les mains au ciel et crierais merci mon dieu. Mais vu ce qui m'arrive, je me demande s'il y en a bien un. Il y en aurait un, ne m'aurait-il pas déjà envoyé l'Ange Gabriel, Saint Michel ou je ne sais qui ? Pourquoi me laisser dans un tel désespoir ? Qu'ai-je fais de mon vivant pour mériter cela ? Mince... voilà que je commence à parler de mon vivant comme le feraient les morts. Je ne peux pas déjà accepter ma situation. Non, ce n'est pas possible ! Je refuse de croire que je suis morte ! Cela ne peut être qu'une plaisanterie. Une bien lugubre, mais une blague quand même. Sinon, pourquoi cette femme me verrait-elle ?
"Oui, je vous parle bien, à vous" assurai-je en lui attrapant la manche. Je peux la saisir ! Voilà qui est bien une preuve de réalité ! Donc je ne peux être que vivante ! C'est indéniable. Non ? "Pi...pitié. Aidez... Aidez-moi... Je n... Je ne comprends pas." Je tombe à genoux devant l'inconnue et je crois que je fond en larme. Enfin, je crois. Car je n'en suis pas certaine. Je ne sens pas mes larmes couler sur mes joues. Pourtant je tressaille, je sens mon visage grimacer comme lorsque je pleure. Je bégaie, comme chaque fois que je pleure. Alors pourquoi cette sensation de ne rien sentir ? En fait, est-ce que je sens vraiment les choses ? Je n'ai pas eu l'impression de sentir le tissu de sa manche quand je l'ai saisie à l'instant. Je ne sens pas l'herbe au pied de cette tombe. Pourtant j'y plonge mes mains.
Je dois me rendre à l'évidence. Je ne suis plus. Je n'aime pas cette évidence. Aussi irréelle soit-elle. Je relève la tête et fixe l'inconnue. Toujours à genoux devant elle. "Êtes-vous comme moi" ? Êtes-vous aussi... ?" Je n'ose même pas prononcer le mot morte. Le dire serait le rendre réel. Cela reviendrait à reconnaître que je suis morte.
Spoiler:
Bienvenue Freya ! Désolée du retard, j'ai été très prise depuis ta réponse
« Oui, je vous parle bien, à vous. » Purée si elle s’était attendue à ça. Déjà, d’avoir quelqu’un qui lui réponde. Après des jours à errer comme un putain d’ectoplasme que personne ne voit – pour une fois que Doherty veut de l’attention venant de ses pairs. Les êtres humains. Vivants. Ce qu’elle n’est plus. C’est quand même bizarre, elle qui a tellement cherché à finir sous ses six pieds. Mais il y a toujours un monde entre le vouloir et l’être, il faut croire. Et surtout, elle ne comprend pas pourquoi elle erre, pourquoi son esprit continue à vagabonder. Il y a vraiment un sale truc dans l’univers contre elle, ce n’est pas possible. Et comme si le verbal ne suffit pas, l’inconnue se permet de lui prendre la manche. En temps normal, Freya l’aurait dégagé illico parce que personne ne l’attrape, ne la touche, ne la frôle sans son autorisation. Mais là n’est pas un temps normal. Elle est morte, bordel, détachée du commun des mortels, et cette inconnue est la première… Personne ? Avec qui elle peut discuter depuis son nouvel état.
Enfin, discuter semble être un grand mot puisque l’inconnue finit par tomber à genoux en pleurant. Oh non. « Pi...pitié. Aidez... Aidez-moi... Je n... Je ne comprends pas. » Elle bredouille, l’inconnue, elle pleure, elle gémit, elle bégaie. C’est un peu pitoyable mais Freya la regarde d’abord sans rien faire. Parce qu’il faut bien qu’elle réalise ce qui lui arrive, après tout. Chacun sa façon de réagir – ceci dit, si elle avait pu éviter de lui infliger tout ça, elle lui aurait été reconnaissante. Mais bon. « Êtes-vous comme moi ? Êtes-vous aussi... ? »
Elle est à genoux, l’inconnue, et elle a ses grands yeux larmoyants sur une Doherty qui attend visiblement une fin de phrase qui ne viendra jamais. Alors elle soupire et passe la main dans ses cheveux – une des rares choses qu’elle peut encore sentir au toucher. « Ouais, ma belle, on est mortes. Toi et moi, six pieds sous terre, enterrées. Hey, au moins, ils nous ont pas foutu dans la fosse commune, on peut s’estimer chanceuses. » Compter sur Freya pour avoir un humour à couper au couteau – mais elle n’aime pas les situations tendues. Ou remplies de larmes. Les larmes, l’eau, tout ça, elle a assez donné. Elle ne veut pas revivre ça. Alors Freya hausse les épaules. « Y a rien à comprendre. On doit avoir un truc à régler ou une connerie du genre pour pouvoir être en paix. J’sais pas trop comment ça fonctionne, à vrai dire. Ils ont pas laissé de manuel, c’est con, hein ? »
Parce que l’inconnu semblait vraiment au bout de sa vie – sans mauvais jeu de mot – autant essayer de lui donner quelque chose qui peut éventuellement à la faire sourire. Même un rictus. Même cinq secondes. (Mais vraiment, un manuel, ça aurait été le luxe intégral.)
Je n'en crois pas mes oreilles. Je suis bien morte. Et c'est une autre morte qui me le confirme. Je n'en crois pas mes yeux. Devant moi, il y a une personne morte. Je ne devrais même pas être surprise. Je le suis moi-même. Pourquoi n'y aurait-il pas des gens coincés comme moi entre le monde des vivants et celui des morts. Si monde des morts il existe...
"Je viens de mourir", dis-je en m'essuyant le nez avec mon bout de manche. "C'est très récent. D'après ma... arf..." Je serre mes poings, ma mâchoire et je sens (enfin je crois) mon corps entier se raidir à l'idée de prononcer le mot qui tue. "D'après ma tombe".
Je tourne le dos à l'inconnue et lui montre du doigt une pierre tombale toute fraîche. Je profite de ne plus lui faire fasse pour laisser échapper mes dernières larmes et essuyer mon visage. Par la même occasion, je lui offre une vue directe sur une plaie béante et étrangement sanguinolente entre mes omoplates.
"Il y a presque tout dessus. Rien n'a été oublié... sauf comment je suis morte. RIP Léonie Tremblay... Fille et sœur bien aimée" dis-je à demi-mot. Je lâche un violent soupire d'exaspération. Alors je n'ai été que ça, durant ma vie ? Une fille et une sœur bien aimée. J'étais une personne vivante heureuse. Mais maintenant que je suis morte, je trouve mon existence pathétique. Je n'ai été que ça. Une fille et une sœur. Pas même le basique de notre société : une épouse et une mère. Je me fais pitié. De toute façon, quel homme aurait voulu de Léonie la fille qui porte des pantalons sous ses robes, qui crache et jure comme un homme. Hargneuse de son vivant, pleureuse à sa mort.
Je refais face à l'inconnue et sors de mes songes. "Je m'appelle Léonie. Vous êtes morte depuis longtemps ? On n'avait déjà pas de manuel pour les vivants... alors pour les morts, ce n'est pas surprenant !" Je ne respectais déjà pas beaucoup les règles de mon vivant, alors une fois morte, pourquoi me soucier si c'est mal de demander à un autre mort depuis quand il a passé l'arme à gauche. Sa pointe d'humeur me fait plutôt du bien, en fait ! Surprenant, n'est-ce pas ?
« Je viens de mourir. C'est très récent. D'après ma... arf... D'après ma tombe. » C’est toujours à avaler. Le commun des mortels sait qu’on finira tous dans une tombe, six pieds sous terre, ou cramer, éparpiller aux quatre coins du vent. Et pourtant, quand ça arrive, on juge toujours que c’est trop vite, que la jeunesse nous a foudroyé, qu’on ne mérite pas ça. Freya n’a jamais cherché à échapper à la Faucheuse, bien au contraire. Elle a passé son existence entière – et certainement les autres – à jouer avec elle, à se cacher d’elle quand elle devenait trop proche, à la narguer quand elle s’éloignait. Et puis un jour, la Faucheuse l’a prise de court. Une balle perdue – enfin, c’est ce qu’elle pense. En plein entre les deux yeux, à en juger le trou placé au milieu de son front. Que l’inconnue en face d’elle ne réalise pas ne la surprend pas plus que ça. « Ouais, ça s’voit. T’inquiètes, tu t’y feras bien assez vite. T’as sûrement l’éternité toute entière pour t’en remettre. » Parce que Doherty ne sait pas comment ça fonctionne. Elle ignore si leurs astres perdus réussiront à trouver un repos éternel ou s’ils sont censés errer comme ça pour le restant de l’univers. Si c’est ça mourir, Freya aurait préféré rester en vie.
Alors que l’inconnue en face d’elle se tourne, la blonde se retrouve à hausser les sourcils face à la plaie sur son dos qui s’offre à sa vision. « Il y a presque tout dessus. Rien n'a été oublié... sauf comment je suis morte. RIP Léonie Tremblay... Fille et sœur bien aimée. » Freya hausse les épaules. « Au moins, y a des gens qui pensent encore à toi. Tout l’monde ne peut pas en dire autant. » Elle, elle n’est qu’une sœur bien aimée. Depuis qu’elle s’est relevée parmi les morts, elle n’a vu que son frère aîné lui rendre visite. Pas de jumeau, pas de parents, pas d’amis. Juste Wren et c’est suffisant pour qu’elle déteste – non, haïsse – toute cette situation. « Par contre, à en juger le trou béant sur son dos, j’aurai bien une ou deux hypothèses sur la façon dont t’as crevé. » C’est un peu cru dis comme ça mais appelons un chat un chat, n’est-ce pas.
« Je m'appelle Léonie. Vous êtes morte depuis longtemps ? On n'avait déjà pas de manuel pour les vivants... alors pour les morts, ce n'est pas surprenant ! » Qu’elle s’appelle Léonie, ça, Freya l’avait compris quelques secondes auparavant. Cette dernière finit par lâcher les cailloux avec lesquels elle est en train de jouer. « C’est marqué ici, dit-elle en pointant la tombe derrière son dos avant de grimacer légèrement, Enfin, c’était marqué mais je suppose qu’avec le temps, ça s’efface un peu. Freya. » La tarée mais ça, ce n’est pas une évidence. « J’crois que ça fait un moment. Assez longtemps pour savoir qu’on peut pas forcément partir très loin de notre tombe – ce qui fait chier car quitte à être invisible au commun des mortels, j’aurai bien aimé voyager. Mon frère a pas marqué la date exacte de ma mort mais j’suis pas sûre que j’veuille savoir depuis combien de temps j’traine comme une âme littéralement en peine. »
J'essaye de me palper le dos, je regarder par dessus mon épaule. Je veux constater de mes propres yeux l'information que vient de me donner Freya, puisque tel est son nom. Un trou dans le dos ? Alors comme ça, je suis morte à cause de quelqu'un d'autre ? Je fronce les sourcils. Je suis morte tuée par derrière ? Mes poings se crispent. Je sens mon sang de fantôme bouillonner en moi. Ma poitrine bouge frénétiquement à chaque semblant d'inspiration et expiration. Pourtant, respiration il n'y a plus ! Si je n'étais pas aussi translucide... et ça me tue de le reconnaître, je suis translucide... Bref, si je n'étais pas aussi translucide, on pourrait voir mon visage de venir rouge de colère. Même morte, les pulsions ne changent pas. De mon vivant, lorsqu'une colère me prenait, je pouvais tout casser. J'en avais l'envie, je le faisais. Face à cette révélation, j'ai envie de tout péter. J'ai envie de chercher mon meurtrier. J'ai envie de le lui faire payer. Doucement, dans une lente agonie... je veux l'envoyer en enfer.
J'ai les poings toujours fermés, la mâchoire serrée, les sourcils froncés et le regard assassin. Je fixe ma tombe. Cette chose qui, apparemment, je retiens dans ce cimetière. "T'es sûre ? On ne peut pas s'en éloigner ?" demandai-je en m'approchant de ma tombe et en posant un pied dessus, essayant de la faire basculer. "J'ai pourtant très envie d'aller errer en ville et trouver l'ordure qui m'a tiré dans le dos !" ajoutai-je en hurlant comme une hystérique.
Une folle dingue. J'étais comme ça, de mon vivant. En pleine colère, j'étais enragée. Je me tourne brusquement vers Freya et la foudroie du regard. La pauvre, elle n'y est pour rien ! Au fond de moi, je le sais. Elle ne mérite pas que je la regarde ainsi. Je le reconnais, je vais loin. Mais je n'y peux rien. Quand je ne suis pas contente, je suis comme ça. Même morte, apparemment, je continue de faire ma loi et de me comporter comme une grognasse quand cela ne va pas dans mon sens. A être irrespectueuse, aussi. Et là, Freya n'y coupe pas. "T'es sûre d'avoir bien vérifié ? Parce que je ne compte pas rester coincée ici ! " grognai-je en hurlant le mot ici. "J'ai pas envie de voyager, je veux juste sortir de ce foutu cimetière et aller me venger !".
Je quitte Freya des yeux et m'acharne sur ma tombe. J'essaye de la déloger du sol à coup de pieds, mais mes pieds passent à travers la pierre. Je continue en essayant de la croquer. Mais je mords dans le vide. Puis je recommence à essayer de la frapper de mes pieds, tout en grognant comme une enragée. "Tu vas me le payer !" hurlai-je en m'adressant à mon tueur. Dans un dernier coup de colère, je donne un violent coup de pied dans ma tombe. Subitement, une douleur me déchire le pied et remonte le long de ma jambe. Comme si je ne m'étais pas assez donnée en spectacle, voilà que je pousse le ridicule un peu plus loin. Je me tortille et gémis. J'en tombe sur mes fesses, au pied de ma tombe, dont la pierre a légèrement vacillé. La voilà maintenant qui penche en avant. Hébétée, subitement calmée, je pointe ma pierre tombale du doigt et interpelle Freya. "Est-ce normal, ça ? J'ai mal et... ça a bougé, non ? Je rêve pas ?"
« T'es sûre ? On ne peut pas s'en éloigner ? » Freya hausse les épaules. « A vrai dire, j’en sais rien. C’est c’qu’on m’a raconté. Je m’éloigne jamais d’ici. » Parce qu’elle a la frousse de ne plus pouvoir revenir, de disparaître pour de bon, de ne plus pouvoir voir son frère. Elle essaie encore de lui faire passer des messages, de lui faire sentir sa présence mais rien n’y fait. Pour l’instant, elle a juste à le regarder lui rendre visite, à l’écouter et se frustrer encore plus quand elle voit une larme perlée. Ça lui brise le cœur – à supposer qu’elle en ait encore un – et les os – même si ça, elle est affirmative, c’est en train de pourrir dans son cercueil. « J'ai pourtant très envie d'aller errer en ville et trouver l'ordure qui m'a tiré dans le dos ! » Elle hurle, la brebis tremblotante de sanglots il y a quelques minutes encore. Doherty arque un sourcil de surprise, ne s’attendant visiblement pas à un tel changement de situation. Elle pourrait dire quelque chose mais Léonie, puisque tel est son prénom, semble prise d’une crise d’hystérie. Est-ce que c’est le choc cumulé à l’énervement ? Certainement. En plus, elle vient d’apprendre qu’elle a été tuée. Pauvre biche.
« T'es sûre d'avoir bien vérifié ? Parce que je ne compte pas rester coincée ici ! J'ai pas envie de voyager, je veux juste sortir de ce foutu cimetière et aller me venger ! » Freya peut être compatissante mais elle n’aime pas trop quand on lui parle comme un chien. Alors elle fronce les sourcils tout en se levant. « Okay, ma belle, reprends tes esprits, tu- » Mais l’autre finit par s’acharner sur sa propre tombe. Okay, d’accord, vas-y, défoule toi là-dessus, tant que tu ne viens pas me soûler et me crier dessus parce que là, je te jure que tu auras ma main fantomatique dans ta tête toute aussi translucide. Sûrement que ça fera pas mal mais ça fera du bien quand même. Cependant, Léonie a un cri de douleur en tapant contre sa tombe et ça, franchement, c’est surprenant. Genre la pierre vient de lui faire ressentir quelque chose ? Visiblement oui, parce que l’autre lui fait tout un spectacle de gémissements, de grimaces douloureuses et elle en tombe à la renverse. Freya secoue la tête mais s’approche doucement alors qu’elle lui pointe sa pierre tombale du doigt. « Est-ce normal, ça ? J'ai mal et... ça a bougé, non ? Je rêve pas ? » Weird weird weird. « C’est trop bizarre. Genre t’as réussi à avoir mal et à faire bouger le bazar ? Qu’est-ce que- » Décidément, ne pas finir ses phrases devient une spécialité. Freya poke son doigt sur la pierre tombale mais celui-ci passe à travers le matériau. « C’est vraiment étrange. Peut-être qu’y a qu’toi qui peut faire ça. Parce que c’est ta tombe ? Tu l’as pas… Euh, essayer de croquer dedans ? » Peut-être qu’il y a eu un rappel que c’est sa tombe et… Non mais franchement, ça n’a aucun sens tout ça. « Est-ce que ça fonctionnerait si je le fais sur la mienne ? Y a p’t’être un truc à faire pour pouvoir partir d’ici… Ou alors c’est juste l’univers qui s’fout de ta tronche. » En leur faisant croire qu’il y a quelque chose à lire sous une pierre qui bouge. Ouais, ça aussi, ça aurait du sens.
Freya semble aussi étonnée que moi. Serait-ce la première fois qu'elle voit un fantôme avoir mal ? Ou la première fois qu'elle voit un fantôme toucher un objet du monde des vivants ? Elle n'a jamais réussi à le faire elle-même ? Je suis perplexe. J'hoche la tête de haut en bas quand Freya me demande confirmation pour la tombe en mouvement. Et un peu honteuse, je fais aussi oui de la tête quand elle me demande si j'ai bien essayé de croquer ma tombe. Oui, j'ai mordu ma tombe. Elle n'a aucun goût. "J'ai croqué dans le vide. Mais mon pied l'a bien touchée et déplacée vers l'avant. Elle penche maintenant."
Je me relève et fais le tour de ma pierre tombale. Je réessaye prudemment de redonner un coup de pied dedans. Mais ma jambe traverse la matière. Cela ne fonctionnerait qu'une fois ? J'essaye de l'attraper avec mes mains pour la redresser. Comme pour le pied, je passe au travers. "Tu as surement raison. C'est une farce de l’univers." Je me sens déçue. Arnaquée, même. L'univers se fout de moi. C'est la poisse absolue. Ma courte vie a été assez chanceuse. J'ai eu la chance d'être une femme assez indépendante dans un monde d'homme soit-disant tout puissant. J'ai eu la chance de ne pas avoir été malade, ou pauvre. Je constate que ma mort sent la malchance à durée indéterminée. Je commence par être assassinée. Par derrière en plus ! Puis je me retrouve coincée dans un monde qui n'appartient ni aux vivants, ni aux morts. Et maintenant, quelque chose me laisse l'espoir d'un échappatoire en me permettant de toucher des choses du monde des vivants. Je n'apprécie pas du tout cette blague. Donner ainsi de faux espoirs, c'est franchement dégueulasse ! Toute ma rage de tout à l'heure, que je pensais envolée avec la douleur au pied... je la sens remonter en moi. La moutarde me revient au nez. Je m'assoie sur ma tombe, les bras croisés et les sourcils froncés. Le regard noir, je m'exclame : "Enfoiré d'univers !". De colère, je trépigne et mes pieds font alors des traces dans la terre fraîchement retournée et déposée au dessus de mon cercueil. Avec tous les vas et vient que j'ai fait sur mon lieu de repos éternel, mes pas ne se dessinent dans le sol que maintenant. Cela a le don de me calmer net, comme avec ma douleur au pied. "Regarde, ça recommence... encore un truc bizarre." Une seconde blague ? J'ai du mal à y croire. Une coïncidence ? Surement pas ! Reste à trouver le point commun entre ces deux surprises.
« J'ai croqué dans le vide. Mais mon pied l'a bien touchée et déplacée vers l'avant. Elle penche maintenant. » Ouais mais peut-être que le vide n’est pas si vide que ça. Après tout, même dans le vide, il y a quelque chose, non ? Franchement, Freya n’en a aucune idée et ça dépasse sa compréhension. Déjà, elle est un corps fantomatique donc il n’y a pas grand-chose qui peut la surprendre à ce stade-là. A part peut-être un bout de pierre qui se déplace sous un pied vidé de toute existence. C’est quand même louche mais Freya finit par hausser les épaules. « C’est bizarre. Doit y avoir un effet de cause peut-être. Ou alors, comme c’est ta tombe… J’en sais rien et puis, de toute façon, à quoi ça peut servir de pouvoir bouger de la pierre, hein ? » Léonie veut voir là comme une façon de peut-être pouvoir s’échapper d’ici et vouloir se venger. Freya, elle, elle retournerait bien sur sa tombe jouer avec ses cailloux parce que pour l’instant, ça ne lui donne qu’un mal de crâne cuisant. La seule chose qui pourrait lui permettre de se pencher sur le sujet deux secondes ça serait la promesse qu’elle puisse mettre la main sur une bouteille. Ouais, ça, ça serait une bonne carotte, une bonne perche à lui fournir. La jeune femme croise les bras pour observer son interlocutrice faire le tour de sa tombe. « Et t’as mal ? Genre vraiment mal ou pas ? Parce que j’imagine pas qu’on puisse ressentir une quelconque douleur dans cette apparence-là. Bien un de rares points positifs de cette condition. » Parce que si quelque chose peut la blesser, elle préfère le savoir.
« Tu as surement raison. C'est une farce de l’univers. » Freya fait une moue du genre ‘je te l’avais dit’ avant de reculer pour se rapprocher de sa propre tombe. Peut-être qu’elle peut tenter quelque chose ? Non, ça serait stupide. Il n’y a rien à voir ni à faire. Sa main frôle sa pierre tombale et elle passe sans surprise à travers. Freya n’aime pas ce genre d’espoir à la con. Elle n’a jamais été optimiste pour ça. De toute façon, sa famille n’a jamais eu de chance et la bonne étoile n’a jamais été de leur côté. Alors quand Léonie hurle de colère en traitant l’univers, la blonde ne peut qu’approuver. « Regarde, ça recommence... encore un truc bizarre. » Freya arque les sourcils tout en se rapprochant de nouveau vers son interlocutrice. « Wow, des traces de pied. T’es sûre qu’elles y étaient pas avant ? Nan parce que les faux espoirs, c’est pas trop mon dada, hein. Et puis, pourquoi t’arrives à laisser des traces et faire bouger les choses alors que moi non ? T’étais une sorcière de ton vivant ? » Et c’est d’un œil averti que Freya observe Léonie. Parce que la sorcellerie, c’est le mal, on lui avait répété. On ne sait jamais ce que font les sorcières dans leur coin et si Léonie était de celles qui ont sacrifié un bébé pour avoir le repos éternel ? N’importe quoi, franchement. Léonie est la première à être surprise d’être coincée ici, c’est complètement stupide. Mais quand on ne connait pas les gens, mieux vaut se méfier.
« C’est bizarre. Doit y avoir un effet de cause peut-être. Ou alors, comme c’est ta tombe… J’en sais rien et puis, de toute façon, à quoi ça peut servir de pouvoir bouger de la pierre, hein ? » Je ne sais pas si ces bizarreries ont lieu parce qu'il s'agit de ma tombe. Peut-être, peut-être pas. Et j'ai envie de dire, peut-être pas ! Je mets mes mains à couper, si je pouvais encore, que c'est tout autre chose. Je suis concentrée, en pleine réflexion, sur le potentiel pourquoi du comment. Je ne prends même pas la peine de répondre avec des mots à Freya. Je me contente d'hausser les épaules et les sourcils, d'un air dubitatif. Par contre, je réponds franchement à sa seconde question. "Oui j'ai mal. Autant que si je l'avais fait de mon vivant. Et j'ai senti mes orteils s'écraser dans le fond de ma bottine. C'est dingue ! Et pour ce qui est des traces de pas..." Je me mets à quatre pattes par terre pour approcher mon nez des traces au sol. Je ne compte pas les renifler. Même si j'en serai capable. Même de les lécher pour voir si elles sont réelles. J'ai bien mordu ma pierre tombale... Par contre, je les observe. Je les scrute. J'essaye d'y planter mon doigt. Il s'enfonce dans le sol et en ressort propre. Par contre, l'emprunte de mon doigt reste dans une de mes traces de pas.
Un large sourire s'affiche sur mon visage. Un sourire victorieux. Je regarde Freya avec insistance. Mon visage transpire le "qu'est-ce que je disais ?". "J'ai été beaucoup de chose dans ma vie. Une emmerdeuse, une folle furieuse, aussi. Je l'avoue. Mais la sorcellerie, non. Par contre, je suis têtue. Quand j'ai décidé quelque chose, je m'y accroche. Et là, il y a une chose à laquelle je m'accroche. C'est de me venger de la personne qui m'a tué. Peut-être que j'ai tellement envie de le ou la tuer que je suis capable de faire ces choses."
Je me relève et m'avance doucement vers Freya. Le regard sombre. Un sourire machiavélique déforme mon visage. "Et toi ? N'as-tu pas envie de te venger ? N'as-tu pas envie de faire payer la personne qui t'a conduite à cette prison ! Tu ne rêves pas de lui arracher son âme de son corps et de le faire vivre l'enfer que nous vivons actuellement ! " Je l'ignore encore, mais la couleur de mes yeux s'assombrit. Je ne le vois pas. Mais autour de nous, les objets abandonnés ici et là dans le cimetière se mettent à flotter dans les airs et à tournoyer autour de nous.
« Oui j'ai mal. Autant que si je l'avais fait de mon vivant. Et j'ai senti mes orteils s'écraser dans le fond de ma bottine. C'est dingue ! Et pour ce qui est des traces de pas… » Freya fronce ses sourcils invisibles parce qu’évidemment, ce n’est pas anodin comme détail dans ce genre de situation. Jamais elle n’a ressenti la moindre chose, que ce soit physique ou émotionnel. Elle est comme une coquille littéralement vide que personne ne voit, pas même son dévoué et tendre frère. Si elle avait pu trouver un moyen de communiquer avec lui, elle l’aurait fait. Mais la jeune femme aurait trop peur que Wren se prenne encore plus pour un fou si cela vient à arriver. Alors elle attend sagement, elle le regarde pleurer ou en tout cas, se retenir, la rage au ventre, devant des yeux translucides de sa cadette qui n’a d’autres choix que celui de (tenter de) souffrir avec lui. « C’est vraiment bizarre. J’ai jamais rien ressenti. Et j’crois pas avoir connu quelqu’un a qui s’est déjà arrivé. C’est un cimetière vachement plus animé qu’on l’pense. » Malgré les herbes folles, le vent calme, les feuilles qui tombent et les bouts de paille qui roulent ici et là. Pas animé ne veut pas dire bien entretenu, après tout.
« J'ai été beaucoup de chose dans ma vie. Une emmerdeuse, une folle furieuse, aussi. Je l'avoue. Mais la sorcellerie, non. Par contre, je suis têtue. Quand j'ai décidé quelque chose, je m'y accroche. Et là, il y a une chose à laquelle je m'accroche. C'est de me venger de la personne qui m'a tué. Peut-être que j'ai tellement envie de le ou la tuer que je suis capable de faire ces choses. » Doherty hausse les épaules tout en retournant sur sa tombe, décidée qu’elle est lasse de ce petit jeu. De toute façon, il n’y a aucune cohérence dans ce bordel, ni le fait qu’elles se relèvent d’outre-tombe et encore moins que Léonie puisse ressentir quoique ce soit. Et encore moins de bouger quelque chose. Elle n’a pas de cerveau, là, Freya. Déjà qu’elle n’a jamais été éduqué comme on en attendrait d’une bonne jeune fille – mais elle n’est pas une bonne jeune fille et elle ne vient certainement pas d’une bonne famille. Alors elle soupire tout en s’asseyant alors que Léonie s’avance vers elle, presque dangereuse et complètement avide de vengeance. Enfin, elle en a l’air en tout cas. « Et toi ? N'as-tu pas envie de te venger ? N'as-tu pas envie de faire payer la personne qui t'a conduite à cette prison ! Tu ne rêves pas de lui arracher son âme de son corps et de le faire vivre l'enfer que nous vivons actuellement ! » Et là, c’est un truc bizarre qui se passe autour d’elles. « T’es sûre que t’as pas du sang d’sorcière ou quelque chose ? Parce que ça, c’est clairement pas normal. » remarque-t-elle en pointant du doigt les objets qui se mettent à virevolter autour. Freya lève les yeux au-dessus de sa tête alors qu’un nuage passe. « Okay, j’aime pas ça, mais alors pas du tout. » Elle regarde Léonie tout en se mettant sur ses deux jambes, une main devant elle. « J’sais pas qui t’étais dans le monde des vivants mais franchement, là, tu m’fous la flippe. Tu bouges des trucs, tu ressens une douleur, tu fais voler des objets… Et t’es visiblement assoiffée de vengeance. » Elle recule d’un pas, de marbre et inexpressif. « La mort, ça fait des années que j’danse avec et que j’la titille. C’était qu’une question d’temps. J’suis très bien où j’suis – enfin, où est mon corps. Moi, tout c’que j’veux, c’est ne plus à avoir à trainer ici. » Qu’on la laisse reposer en paix, pour l’éternité et plus encore.
Je fronce les sourcils en voyant Freya si peu réceptive à ce qui arrive. Elle s’en fout, mais surtout, elle se complaît dans sa situation. Je mets mes deux mains invisibles à couper qu’elle ne veut pas aller ailleurs. Quelque chose la retient ici. Tout comme moi. J’ignore ce que c’est. Elle aussi, surement. Sauf que, contrairement à elle, moi j’ai envie de savoir ce qui me retient, j’ai envie de savoir qui m’a tué et j’ai envie de réglé tout ça ! Qu’importe le temps et les moyens qu’il me faudra utiliser, j’arriverai à mes fins. Freya me révèle que nous ne sommes pas les seules locataires de ce cimetière. Et elle ne sait pas si ce n’est pas déjà arrivé. Je roule les yeux au ciel. Si c’est déjà arrivé à quelqu’un ici, cette personne est surement déjà bien loin ! Si on peut se barrer, faut en profiter. Et peut-être est-ce arrivé avant sa mort.
Freya me parle encore de ce truc de sorcière. Elle me casse les bonbons sérieusement. Déjà que ma situation m’énerve mais là, elle commence aussi à me chauffer les oreilles. Son pessimisme m’étouffe. Apparemment, faire ces exploits –car pour moi s’en est – ce n’est pas normal. Déjà, à la base, notre situation ne devrait pas être normale ! D’où on nous interdit d’aller festoyer au paradis ou chialer en enfer ? Hein !?
« Y a un truc que je ne t’ai pas dit. » dis-je avec un ton grave. « J’ai été une chose particulière, dans ma vie. Pas une sorcière, mais en y réfléchissant, ça s’en approche de par les intentions. » Je fronce les sourcils et tout d’un coup, un objet pot de fleur qui volait se mis à foncer sur Freya. Le pot percute son bras et se brisa à son contact. « La souffrance des autres était mon gagne-pain. Je créais et maîtrisais la douleur qu’ils me réclamaient. » Je fixe la tombe de Freya. Si je pouvais, je la ferais voler en éclats, cette pierre ! « Tu dis être bien ici, où tu es. Mais après, tu me dis ne plus vouloir trainer ici. Donc en fait, te sens-tu réellement bien coincée ici ? » J’hausse les sourcils et affiche un sourire malin. « Je ne sais pas pour toi, mais pour moi, il est temps de partir d’ici. »
Je tourne les talons et m’avance, en flottant au-dessus du sol, vers la sortir du cimetière. Par-dessus mon épaule, je crie à Freya : « Si vraiment tu te sens bien là, reste. Sinon viens avec moi ! On va aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs ! » Et si, au passage, bien sûr, je peux tuer celui qui m’a tué ! J’arrive à un pas de la sortie. Je m’arrête. Je tends un bras et approche doucement ma main du portillon du cimetière. Elle traverse le bois. Ma main est de l’autre côté de la sortie. Un sourire satisfait et un regard fourbe s’affichent sur mon visage. Je retire ma main et l’examine. Elle n’a pas changé. J’ai toujours mes cinq doigts et ma paume est toujours aussi translucide. Voilà qui est réglé pour moi. Je compte bien traverser ! Je lève mon pied et fais un pas en avant. Me voilà hors du cimetière et en route vers le centre-ville. Au même moment, ma pierre tombale se fissure et une enveloppe vaporeuse et grisâtre entoure mon spectre.
« Y a un truc que je ne t’ai pas dit. » Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir lui révéler ? Freya recommence à jouer avec ses cailloux, l’air désintéressé le plus total. Cette conversation l’ennuie, malgré le tempérament de feu qui sort de Léonie. Elle tempête complètement, elle aurait presque les yeux qui lui sortiraient des orbites si elle pouvait. Mais ce n’est pas le cas et Freya n’est pas plus impressionnée que ça. Mais ses oreilles sont quand même ouvertes quoique transparentes, les mots résonnent dans sa cabosse inexistante. C’est étrange mais c’est la vie… La mort ? « J’ai été une chose particulière, dans ma vie. Pas une sorcière, mais en y réfléchissant, ça s’en approche de par les intentions. » La tête baissée, Freya ne voit pas le pot arrivé en trombe pour lui foncer dessus. Elle eut un mouvement de surprise en relevant la tête. « Nan mais ça va pas, espèce de tarée ? » Elle n’a pas mal, bien sûr, il n’y a rien pour ressentir la douleur. Mais l’intention est là et elle n’aime pas ça du tout, la brune. Que l’autre s’attaque à son meurtrier ou elle ne sait quoi mais qu’elle ne commence pas à venir lui chercher des poux.
« La souffrance des autres était mon gagne-pain. Je créais et maîtrisais la douleur qu’ils me réclamaient. » Freya fronce des sourcils, ne comprenant rien du tout à ce que son interlocutrice raconte. « Tu dis être bien ici, où tu es. Mais après, tu me dis ne plus vouloir trainer ici. Donc en fait, te sens-tu réellement bien coincée ici ? » Et elle aussi, elle n’a pas l’air d’avoir compris ce qu’elle veut dire. Parce que ce n’est pas ce que Freya a voulu dire. « Je ne sais pas pour toi, mais pour moi, il est temps de partir d’ici. » La jeune femme tourne les talons et la brune la regarde s’éloigner sans rien dire. Elle ne bronche pas, elle ne bouge pas, elle ne cille même pas. Plus besoin, elle est morte. « Si vraiment tu te sens bien là, reste. Sinon viens avec moi ! On va aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs ! » Un manège s’opère alors que Léonie ouvre la porte du cimetière.
Freya entend un craquement alors que la forme de Léonie s’éloigne. « Hey ! HEY ! Et ça, c’est aussi en rapport avec la souffrance des autres ? » crie-t-elle à travers la rue déserte en montrant la tombe qui se fissure toujours un peu plus. Tant pis si Léonie n’écoute rien. Après tout, ce n’est qu’une inconnue. Qu’elle aille se venger pour ce qu’elle en a à faire.
Freya retourne sagement sur sa tombe compter ses pierres. Elle attendra la mort comme elle est censée le faire depuis le début de son existence. En espérant que cela arrive plus tôt que tard. (Surtout avant que l’autre folle ne revienne un jour.)
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