J’ai probablement creusé 4 tranchées et 40 autres à faire des allers et des retours comme un idiot, depuis que les minutes ont commencé à s’additionner, depuis que j’ai réalisé qu’encore une fois, quand il était question d’Allie, je finissais toujours par être in to deep. Le texto envoyé plus tôt cet après-midi qui était resté sans réponse, probablement même qu’elle l’avait pas reçu, c’était con de croire qu’elle était encore accessible sur cette ligne-là, que j’avais encore accès à une bribe de canal de communication vers elle. C’était con et pourtant j’y avais pensé, j’avais cogité, j’avais réfléchi à toutes les options, dans tous les sens et tous les côtés. Je faisais que ça, penser à elle, depuis la seconde où elle avait filé du café ce matin-là, où mes pas s’étaient précipités pour la suivre dans la cage d’escaliers mais qui avaient abouti en bas une seconde trop tard. Son dos qui s’était faufilé par la porte, ses mèches qui s’étaient enfuies sur le trottoir. She’s gone.
Et je m’étais dit, répété, que c’était juste une comète, quelque chose qui arrive une fois par mille ans, son retour inopiné qui n’arrivait que pour mieux repartir. Fallait pas que je m’accroche, fallait pas que j’espère, fallait pas que je sombre à nouveau dans la nostalgie, dans le nous, dans ce qu’on était avant, ce qu’on n’était apparemment plus maintenant. She’s gone Matt. Une fois, juste une dernière fois, et après on l’oublie. Mais ça devenait plus difficile qu’il n’y paraît, même si j’avais l’habitude développée et accrue qu’elle soit là, puis qu’elle ne le soit plus. Alors j’avais fait ce que je n’aurais jamais pu croire possible, ce que je ne m’étais jamais autorisé avant. J’avais piqué mon vieux portable des poches d’un Levi hilare à cause des cachets que l’autre démone rousse lui avait foutus dans la gorge, j’étais allé creux dans les contacts, avais ressorti comme un addict le moindre détail relié à elle ; et surtout, j’avais retrouvé son vieux numéro de téléphone, celui qui datait de nos derniers appels, d’une vie avant.
J’étais pathétique, là. À l’attendre. À notre spot secret, à l’endroit où on passait la majeure partie de notre temps à l’époque. C’est pas tant glorieux, c’est qu’un parc de banlieue rien de bien phénoménal, mais la vue vers la ville est cool, est belle. On imaginait des vies aux gens qui habitaient dans tous les buildings qu’on voyait au loin, on se moquait des voitures prises dans le trafic, on pointait du doigt les détails, on leur donnait tant en ampleur. J’étais pathétique, donc. Parce que c’était pas parce qu’on faisait ça avant, qu’on venait ici avant, qu’on reviendrait, maintenant. Qu’elle reviendrait, maintenant.
Y’a un bruissement derrière. Je tourne la tête, et y’a une silhouette qui apparaît, je sais pas si c’est elle, mais j’ai legit pas la force de penser autrement. « J’étais pas sûr que t’allais… » être là? Ce soir? Demain? Dans ma vie? À nouveau? Et d’une question que je veux lui poser, de mille autres, je troque à la plus simple, à la plus évidente. « T’as pas changé ton numéro depuis? »
Son téléphone vibre sur la surface humide du comptoir, un soupire ennuyé file entre ses lippes. Son doigt mousseux vient débloquer le smartphone, plane en percevant l'origine de la notification. Son cerveau hésite puisque son cœur se stoppe. Son index finit par révéler le SMS envoyé par ce certain Matt.
D'un geste de la tête, elle rejette ses mèches brunes derrière son dos et poursuit nonchalamment sa vaisselle. Michael s'amuse à répondre aux commentaires des visionneurs de leur dernière vidéo pornographique postée le matin-même sur la plateforme réputée ; il lui lit à voix haute les plus comiques ou singuliers. Le rire du couple se mêle de temps à autres, elle rétorque de manière assassine, il dénigre sans merci. La dernière assiette positionnée dans l’égouttoir, Allie prend place sur les genoux de son époux, glisse son bras derrière son cou. « On devrait en faire une sans scripte. » Elle suggère, l’œil brillant. « Juste nous qui faisons l'amour. » Il l'étudie, elle hausse les sourcils, ajoutant une dose de défi à son offre. Elle ne pensera pas à lui pour ces scènes-là, elle le sait déjà. Elle s'imaginera avec celui qui vient de lui renvoyer un SMS avec une adresse éveillant des souvenirs qui rembobinent douloureusement les années. La Oakheart dépose un baiser sur la joue de son mari et, son alliance glissant à son doigt, se relève non sans être gratifiée par une fessée affectueuse du jeune homme qu'elle laissera seul à leur studio pour l'après-midi entière.
« J’étais pas sûr que t’allais… T’as pas changé ton numéro depuis? » « De toutes les questions que tu peux m'poser, c'est vraiment ton premier choix ? » Elle se moque sans ménagement, se poste devant le McGrath assis si sagement sur le banc. Acide, elle a des images de premier de la classe, de bon fils à papa. Elle croise les bras contre sa poitrine, ses cheveux remontés en une queue de cheval lui épargnant de batailler contre sa tignasse pour quelques heures. « J’te montre comment faire : j'te manque tant que ça ? » Elle interroge, choisissant pour sa part soigneusement les balles qu'elle lui envoie sous forme de points d'interrogation et le conviant à l'imiter. Il doit s'en douter, au regard qu'elle arbore, qu'elle est de nouveau en mode kamikaze, Allie. Elle a besoin de le déstabiliser, de jouer avec le feu, de se faire du mal à déterminer si son absence lui a laissé un vide à l'âme quand il s'est cassé au nom de la réputation sa sœur enceinte, si elle occupe ses pensées autant que lui habite les siennes, s'il a envie de l'embrasser autant qu'elle crève de s'asseoir sur ses cuisses et se lover contre lui. Elle ne bouge pas, toutefois. Elle le toise, prête à recevoir la haine, le mépris, le rejet. La vie lui a appris à se préparer au pire, Matt ne dérogera pas à l'emploi de ce mécanisme tout rodé qui la régit.
« De toutes les questions que tu peux m'poser, c'est vraiment ton premier choix ? » « Non pas du tout. J’ai juste du mal à gérer mes priorités, là. » et au moins, je suis honnête, elle pourra pas me le reprocher. Parce que je le sens dans sa voix qu’elle pique, qu’elle attaque, qu’elle est là pour ça. Elle est venue Matt, elle est devant toi, elle est là, fais pas ton idiot. Mais j’en peux plus de la regarder, de regarder qu’elle encore et toujours, et même si je la connais par cœur, je peux pas faire autrement que de la mémoriser encore plus. « J’te montre comment faire : j'te manque tant que ça ? » mon sourcil se hausse au même moment où elle croise ses bras sur sa poitrine. Et je prends le temps de la cerner, même si, soyons honnêtes, j’y arriverai jamais. Elle parle Allie, elle dit des trucs, ses yeux hurlent autre chose, et moi à travers, je bouge pas de mon banc, je repense à son retour dans ma vie en trombe, à sa fuite la seconde – la nuit, quand même – d’après. J’ai qu’elle en tête et j’inspire, je prends au moins le temps de faire ça. « Depuis quand tu en doutes? »
Mais c’est peine perdue, et elle le sait autant que moi. Combien de fois on avait eu ce genre de joutes-là, les regards qu’on soutient sans baisser la tête. Elle est tellement belle que de détourner le regard est juste pas une possibilité, mais là, d’office, j’en ai pas la force. Pas besoin de me battre, surtout pas le goût qu’on salisse nos retrouvailles volées d’un énième élan explosif dont elle seule a la secret. Alors je tends doucement, au ralenti, à tâtons ma main vers elle, attrape le pan de son t-shirt, tente de la rapprocher un peu, juste d'un pas, j’en demande pas beaucoup, je suis négociable comme gars. « Je sais pas pour toi, mais moi, j’ai pas envie d’un fight Allie. » que je souffle, mes iris qui ont pas quitté les siens et toute sa vie des dernières années que j’ai manquée, que j’essaie de rattraper au creux de ses prunelles. « J’avais juste envie d’être avec toi. » la pure vérité. Elle me manque, elle peut pas l’ignorer. « Juste ça. » elle a pas besoin de rien dire, pas besoin de rien faire. Qu’elle soit là, ça vaut déjà tout.
Matt indique peiner à gérer ses priorités. Aucunement impressionnée, son interlocutrice croise les bras contre sa poitrine, hausse un sourcil peu compréhensif, s'improvise professeur sur un ton aucunement avenant. Elle veut la guerre, elle somme la misère, elle désire souffrir parce que c'est uniquement sous l'acidité qu'elle parviendra à ne plus l'aimer, à le détester, à le maudire. Sauf qu'Allie s'y applique déjà, quand elle est seule dans son lit, noyée dans ses pensées chagrinantes. Elle a appris, au fil des années désertées par l'amour de sa vie, que la haine n'est pas le contraire de l'amour mais bien l'indifférence. Et soyons honnêtes : jamais Matt ne la laissera de marbre. Alors pourquoi s'entête-t-elle à essayer de se duper ?
« Depuis quand tu en doutes? » Un rire bref, assassin, s'extirpe de ses lippes. « Comment c'était, Londres? » Elle se fait du mal elle-même, à le traiter ainsi. Une boule s'intensifie dans son ventre, brûle ses entailles, enflamme son âme. Il y a ce trou béant qu'il a laissé et qu'elle doit combler, qu'elle veut qu'il récupère, qu'elle a préservé juste pour lui. Il ne la quitte pas du regard, elle ne montre aucun signe de faiblesse. Ses baskets sont vissées sur le gazon tondu à la perfection, sa jupe bleu roi virevolte à peine au gré du vent australien duquel Matt l'abrite. Il attrape le pan de son t-shirt, elle ne réagit pas. Il essaie de l'attirer vers elle, elle ne bronche pas. Sa poitrine se soulève, cependant, sous l'impulsion d'un organe qui bat la chamade sans scrupule. « Je sais pas pour toi, mais moi, j’ai pas envie d’un fight Allie. » « Tu vas pas me répondre, alors? »
Son regard la heurte, la fait fondre. Les minutes se dérobent. Elle craque déjà, la belle. Elle s'avance d'un pas. S'en autorise qu'un. « J’avais juste envie d’être avec toi. » Elle s'en veut d'être autant sous sa coupe. « Juste ça. » Alors pourquoi tu m'as quittée ? Les termes hurlent, ses yeux le mitraillent. Elle ne formulera pas cette interrogation, toutefois, rendant honneur à sa situation familiale, au climat difficile frisant l'explosif de l'époque. « Tu m'as manqué. » Elle souffle, frôlant l'inaudible, murmure interdit par son orgueil, ses traits impassibles ne laissant pas place au mièvre. Elle s'excuse intérieurement en ne précisant pas quand, comment, dans quelle mesure, ni où. Elle en prend fierté en l'assurant clairement, et non en se défilant en retournant une question.
« Comment c'était, Londres? » « Tu veux vraiment savoir ou tu piques juste, là? » sa répartie que je connais par cœur et qui malgré tout me fait mal direct là où elle la renvoie. À ma gueule, à mes interrogations stupides, à mes mots qui même nombreux lui suffisent pas. J’aime pas ça. J’aime pas douter, j'aime pas qu’elle mette des filtres, qu’elle ait un masque, qu’elle me cache des trucs quand tous les deux on avait été une équipe tellement longtemps que j’étais encore assez stupide pour croire que la dynamique changerait pas, changerait jamais. Que malgré où on serait dans le monde, avec qui et pourquoi, on arriverait toujours au moins à se dire la vérité l’un à l’autre. Apparemment c'est plus le cas.
J’ai pas envie d’une dispute, je le lui clame, j’ai pas l’impression qu’elle cherche ça elle aussi, même si tout son corps se tend à la moindre de mes tentatives de la rapprocher. Elle est impassible Allie, elle bouge pas, elle est fermée, elle me brise le cœur et elle le sait. « Tu vas pas me répondre, alors? » mes yeux ont pas lâché les siens, même si je reconnais à peine ce que j’arrive même pas à y lire. « J’te réponds que si c’était une vraie question, et que tu veux entendre la vraie réponse. » je lui imposerai pas de la nostalgie mal placée si elle en a rien à faire. Je lui ferai pas ça, même si elle se gêne pas pour piétiner tout ce qu’elle peut dès qu’on se retrouve tous les deux.
Mais y’a un pas qu’elle fait, juste un. J’ai pas besoin de plus, je la forcerai jamais à faire plus si elle veut pas. D’un élan d’un seul je me lève du banc, n’ai absolument aucun intérêt autre que de réduire les centimètres entre nous deux le plus possible, le mieux. « Tu m'as manqué. » « Toi aussi. » je pense même pas là, c’est juste évident, ça brûle mes lèvres, c’est nécessaire à dire. « Tu m’as manquée toi aussi. » et à préciser également. J’ai pas pu lui dire depuis presque 10 ans, je me rattraperai autant de fois que je le pourrai à partir de maintenant. « Je sais pas on part de où, je sais même pas si y’a un "on", si y’a un "nous". » et je vais trop vite, et mes mots se bousculent, et je fais probablement aucun sens, mais je le réalise qu’une fois la phrase terminée, la prochaine qui suit une seconde après. « Mais j’ai pas non plus envie de me presser. J’ai tout mon temps, je bouge pas d’ici. » du parc, de Brisbane, de sa bulle, à elle.
Il la prive de la réponse qu'elle réclame, intoxiquée de pulsions auto-destructrices. C'est comme s'il n'avait pas perdu la main, malgré les années désertées de son parfum, qu'il savait tout aussi bien lire au sein de chaque trait tiré qu'Allie appelle à la souffrance, persuadée que se faire brûler par le feu lui apprendra à mieux se distancer de ce dernier. Sauf qu'elle n'intègre jamais la douleur, sinon, elle n'aurait pas répondu à ce rendez-vous. Ç'aurait été si facile de ne pas se pointer au Kangaroo Point, de feindre avoir changé de numéro de téléphone, de simplement avoir décliné l'invitation parce que les nouvelles veulent qu'elle ait fait sa vie sans Matt. Elle ne l'a pas si attendue que ça. Sa main se plonge dans la poche de sa jupe, ses doigts triturent distraitement l'alliance que Michael lui a offert six ans plus tôt. « Tu vas pas me répondre, alors? » Nouvel appel au coup de bâton, son regard expressif ne quitte pas son irrésistible portrait. Elle mémorise, elle redessine, elle admire, elle convoite. Les défauts qu'elle aime encore plus que les qualités. Son cœur bat de plus en plus fort contre sa poitrine, elle retient son souffle, lui impose d'épouser la norme, de ne pas déraper parce que celui qu'elle considère comme étant l'amour de sa vie se situe devant elle, qu'il rompt des années et des années de manque. « J’te réponds que si c’était une vraie question, et que tu veux entendre la vraie réponse. » Sa main se dérobe de sa poche, elle croise les bras contre sa poitrine. « J'ai jamais été friande des mensonges. » Et pourtant, si les non-dits comptent pour des menteries, Allie trahit Matt à de multiples reprises. Soudainement, le bijou qu'elle traîne semble peser des tonnes, dense de ta culpabilité.
Il tire sur le pan de son t-shirt, elle peine à se laisser apprivoiser. Elle sait que réduire la distance avec Matt provoquera son incapacité prodigieuse à le quitter de suite, à s'opposer une énième fois à ce déchirement quand elle a tant à rattraper, tant qu'elle souhaite puiser en lui. Il a sans doute changé, mais pourtant, elle se convainc que l'essence de son amour repose toujours en lui, impétueux, inébranlable, inexorable. Elle en a besoin, elle le veut de nouveau à ses côtés, toutes les émotions qu'elle lui prodigue, l'orchestre entier de sensations, de rêves, de force, d'avenir, de douceurs, de piment. « Tu m'as manqué. » Ses lèvres soufflent, motivées par ses sentiments, sa raison débattant au sommet pour rattraper le faux pas vers l'indifférence. Ange et démon militent : - Cesse de te leurrer, Allie. - Protège-toi, Allie.
« Toi aussi. » Vraiment ? Ses pupilles hurlent, ses lippes se pincent pour ne pas articuler la question qui enflamme toute l'entité qu'elle représente. Alors pourquoi t'es parti ? Pourquoi t'es jamais revenu si tard ? Pourquoi tu m'as pas cherchée ? Pourquoi t'as pas insisté plus tôt ? Parce qu'Allie lui a donné des milliers de raisons d'annihiler tous ponts entre eux. Parce qu'elle est vite devenue indisponible, spiralant au sein de sa descente aux enfers, rescapée in extremis par un Michael chimériquement amouraché qui, encore aujourd'hui, la tient à flot plus qu'elle ne l'avouerait jamais. Avec toute la volonté du monde, Matt n'aurait jamais pu maintenir le lien à distance. Sauf qu'il n'est jamais revenu à Brisbane plus tôt. A moins que si ? « Tu m’as manquée toi aussi. » Le doute l'étreint, l'étripe. Elle réalise la montagne de secrets dont elle le préserve et s'interroge sur ce qu'il cache, lui aussi. Elle craint, elle abomine, son regard se transforme. « Je sais pas on part de où, je sais même pas si y’a un "on", si y’a un "nous". » Elle inspire profondément, s'efforce d'être impassible alors que chacun de ses termes la fait vriller sans ménagement. T'as brisé le "nous", Matt. Tu crois vraiment que ça se répare ? Qu'on se recolle comme ça, juste en étant armés de bonne volonté et s'alliant au temps ? Le risible espoir te répond par l'affirmatif. « Mais j’ai pas non plus envie de me presser. J’ai tout mon temps, je bouge pas d’ici. » Jusqu'à quand ? Jusqu'à la prochaine urgence familiale ? Le prochain scandale McGrath ? La prochaine lubie ? Combien je vaux, à tes yeux, Matt, pour que tu ne me quittes pas une nouvelle fois ? Le silence vous enveloppe, le tambour de ton cœur vibre contre cette caisse de résonance fondée par le trou béant que t'as laissé le gérant presque dix ans plus tôt. « T'es à Brisbane depuis combien de temps ? » Les accusations sous-jacentes sont acides, acerbes, même si elle n'a pas le droit de l'accuser, de lui en vouloir. Bien qu'il ne lui appartient pas. Mais alors, comment peut-elle être sûre qu'il dise la vérité ? Songe-t-il réellement à un duo ? Lui a-t-elle pas tant manqué que ça ? Pourrait-elle n'être qu'une vulgaire aventure pour lui, un dérisoire amour de jeunesse qu'il a balancé pour sa famille et auquel il aimerait bien goûté à nouveau par nostalgie, le temps de quelques nuits, voire une seule, avant de reprendre sa voie ? « On a changé. » Et toutes les inconnues de l'équation te terrifient, les motifs et les raisons et les arguments qui te répriment de ne pas goûter à ses lèvres, de ne pas se lover dans ses bras, de ne pas l'aimer comme tu le désires tant. On ne change pas comme ça, Allie. « J'suis sûre qu'on a changé... » Et le fait qu'elle se répète la trahit, clame l'affirmation davantage comme une prière. Prouve-moi que t'as pas changé, aussi irrationnel cela soit-il. Prouve-moi que t'as encore une place pour moi. Prouve-moi que tu m'aimes, ne voue ne serait-ce qu'un dixième de mon affection pour toi me serait suffisant, tant t'as toujours été l'unique à mes yeux, à mon âme, à mon épopée.
Dernière édition par Allie Oakheart le Lun 26 Aoû 2019 - 3:05, édité 1 fois
Et je sais qu’elle doute, je sais qu’elle remet tout en question, c’est comme ça qu’elle fonctionne Allie. Elle creuse tout ce qui pourrait être caché, elle extirpe toutes les vérités, surtout celles que personne ne veut entendre, que personne n’ose dire. Elle n’épargne rien ni personne et j’ai pas envie qu’elle m’offre le traitement de faveur non plus, j’ai pas envie d’opposer aucune résistance. Si j’ai statué depuis mon arrivée que j’étais pas ici aujourd’hui pour qu’on se fasse du mal, reste encore l’impression qu’elle a des comptes à rendre, qu’elle a des rancunes à excommunier – et je la laisserais faire. Je la laisserais cogner et frapper et hurler et défoncer tout sur son passage, je la laisserais faire parce que j’ai aucun droit sur elle, parce qu’elle fait bien ce qu’elle veut, et surtout parce que j’aurais l’infime et stupide espoir que si elle se déchaîne sur moi, que si elle laisse exploser sa rage et sa haine et tout ce qui assombrit son regard, tout ce qui pique dans sa voix, y’aura peut-être un espoir, minime mais un tout de même, qu’on puisse avancer. Qu’on puisse reconstruire sur nos ruines, qu’on puisse être autre chose que deux silhouettes chancelantes, que deux paquets de nerfs et de questions et de doutes et d’angoisse.
« T'es à Brisbane depuis combien de temps ? » « Deux ans. » et je les entends, ses questions, ses doutes, ses angoisses. Je la vois la totale qui défile dans son regard, je sais tout ce qu’elle va me reprocher sans savoir, sans me croire aussi. Toutes les tentatives de lui téléphoner que j’avais laissées en suspens une sonnerie à l’autre bout du combiné plus tard. Tous les essais de repasser où elle habitait, où elle était, les endroits où elle venait, où j’allais avec elle. Les coups d’œil par-dessus mon épaule dans ces coins-là, ceux où elle était jamais, ceux où je me retrouvais parfois. « Toi? » parce que j’ai pas la connerie d'esprit de croire qu’elle est restée dans mon sillage après. Parce que j’ai pas l'audace d’imaginer qu’elle m’aurait attendue quand j’étais parti comme un idiot, quand j’avais tout lâché pour construire une vie là-bas alors que ça me semblait bien plus naturel d’en bâtir une ici. Allie avait fait à l'époque ce qu’elle voulait faire comme toujours, elle avait décidé pour elle et seulement elle, elle avait eu dix ans et des poussières pour oublier le gars de la fac, le mec rencontré au détour d'une soirée, celui qui essayait de l’embrasser mieux que les autres, celui qui s’était tiré.
Elle s’est rapprochée mais pas assez, je forcerai rien de plus, j’ai compris la bulle qu’elle laisse couler entre nous, je la préfère sous forme de centimètres à celle qui cumulait plusieurs milliers de kilomètres jusqu’à tout récemment. « On a changé. » elle inspire, j’inspire à sa suite. « J'suis sûre qu'on a changé... » c’est pas une question mais ça sonne tout comme. Elle laisse jamais les phrases en suspens Allie, elle assume toujours chaque mot, chaque syllabe. Elle joue en conséquence, a toujours une idée derrière la tête lorsqu’elle étire ses paroles, mais habituellement, avant, elle doutait jamais, elle doutait surtout pas de ça. « T’as changé et j’ai changé, c’est sûr qu’on a changé. » et j’ai envie de dire que c’est bien mieux. Je suis toujours con, mais j’ose croire que je le suis un peu moins. Et elle, elle a grandi. Elle est encore plus belle si c'est possible, elle a pris en confiance, elle est si solide, elle n’a rien à envier à personne, elle est elle et elle a changé et elle me fascine toujours autant. Justement. « Mais ça, c’est pareil. » ma main qui presse un peu plus, mes doigts qui la serrent quand je n’intime aucun autre rapprochement mais que mon regard n’en finit plus de plonger dans le sien. « Quand je suis avec toi, c’est pareil. » et c’est sûrement pourquoi j’avais l’air d’un lion en cage toute la journée à retomber dans ces plis-là, dans cette histoire-là. Ça n’a pas changé, même avec les années et les histoires à travers, même avec les montagnes russes d’émotions et la distance de merde entre les deux. « Est-ce que c’est encore pareil pour toi aussi? »
Il ne lui répond pas. Il n'aborde pas Londres comme elle le sollicite, comme elle le convie à la heurter davantage sans merci. Il refuse de s'avancer sur ce champ de mines qui menace de leur être fatal ; et pourtant, même s'il est le plus sage d'eux deux, elle demeure en suspens. Les questions fusent dans son esprit, les points d'interrogation forment des ricochets qui instaurent de nouveaux doutes pernicieux. Elle lui imagine une vie, celle qui la ferait le plus souffrir, puis s'en convainc, car se persuader de la véracité du scénario qui lui brisera le plus le cœur lui permettra d'encaisser le choc de la vérité, qu'elle quelle soit.
Elle n'abandonne pas son calvaire. Même si les sentiments de la Oakheart lui vocifèrent de se rapprocher de son amant de toujours qui l'accueillerait manifestement à bras ouverts, elle ne peut se résigner à sombrer dans ces filets. Elle en meure d'envie, de remonter toutes les pendules de sa vie jusqu'à l'année de son départ, de gommer les fautes, d'effacer les peines, d'éradiquer les décisions prises sans son soutien. Elle rêve de fermer les yeux, entamer une seconde vie rien qu'à l'encre du McGrath, celle qu'elle aurait choisie, toujours, encore, à perpétuité. Mais quand il lui annonce que ça fait deux ans qu'ils résident dans la même ville, elle sent son cœur s'émietter davantage. Ce vulgaire organe qu'elle a tenté de recoller tant bien que mal, usé de la glue qu'y a imposé un Michael occupant toujours aussi insuffisamment le rôle d'amour mais refusant de la voir périr. Elle sent des éclats, des monceaux de palpitant écrabouiller son estomac, marteler ses côtes, broyer son ventre. Elle inspire profondément, cet air empoisonné, toxique, brûlant, ses poumons qui défavorisent l'instant, font briller davantage ses yeux par la douleur. Ses sourcils se froncent, impétueuse, fière, frustrée. Deux ans. Et il lui aura fallu qu'un porc la tienne devant le Death before Decaf pour qu'elle le revoit.
« Toi? » Le regard qu'elle lui lance est lourd de rage, de haine, de mépris, de rancœur. Il beugle aussi sa peine, son chagrin, ses regrets. Comment peut-elle l'autoriser à toujours lui faire si mal ? Comment peut-il détenir ce pouvoir sur elle, cette aptitude à lui causer les pires maux, sans que jamais l'amour qu'elle lui voue ne cesse de grandir. Il aurait pu la tuer, Matt, il l'a quasiment fait ; pourtant, comme envoûtée, il demeure l'ultime élu de son histoire, le protagoniste de ses sentiments, le geôlier de son cœur. « J'ai jamais bougé. » Elle informe donc, ton formel, masque arboré, scellé par l'orgueil de toujours être la plus forte, la plus solide, celle qui ne se laisse pas atteindre, l'indépendante qui peut très bien faire sans lui. J'ai jamais bougé et pendant 24 mois, 730 jours, 17520 heures, 1051200 minutes, 63072000 secondes, repose un monde de conditionnel qu'on a jamais eu et que je maudis de ne pas posséder.
« On a changé. » Le Matt d'antan n'aurait pas laissé deux ans s'écouler, n'est-ce pas ? Le Matt d'antan ne l'aurait pas totalement abandonnée, rayée de sa vie. Il n'aurait pas attendue que la Providence les mette sur le même chemin si bon lui semblait. « J'suis sûre qu'on a changé... » Mais elle refuse qu'il ait changé. Elle rejette cette alternative, elle ne veut pas de cette évolution à la noix. Elle veut Matt. Malgré les années, malgré les ratures, malgré les mésaventures. Malgré toutes les embûches qui nous redessinent, nous refaçonnent, nous échaudent. « T’as changé et j’ai changé, c’est sûr qu’on a changé. » Elle se retient de hocher la tête en signe de dénégation, elle préfère rester de marbre, le toiser, le haïr autant qu'elle l'aime. « Mais ça, c’est pareil. » Ses doigts se nouent aux siens, elle demeure crispée. Son organisme n'est que saccades, son oxygène la suffoque. C'est son air, qu'elle désire ; elle aspire à son souffle sur son corps, comme c'était le cas neuf ans plus tôt, comme ce le fut des heures à la dérobée, quelques rayons de soleil plus tôt. « Quand je suis avec toi, c’est pareil. » Elle rompt le contact visuel, lutte contre sa raison. Non, Matt, c'est pas pareil. Ou si, ce l'est. Tu décides d'être loin. Encore. Toujours. « Est-ce que c’est encore pareil pour toi aussi? » Et moi je reste à la même place, sinistre idiote. T'as raison, la mélodie de notre relation a toujours le même refrain.
Elle se détache de son emprise, effectue quelques pas en arrière. Elle s'évade, lui tourne le dos, observe pour une énième fois la vue de Kangaroo Point qui est gravée en sa mémoire. Elle scrute les silhouettes, les formes, les éléments. Elle respire, fait le tri dans le chaos de ses ambitions, ses volontés, ses craintes. Les secondes défilent, les minutes les imitent, et sans se retourner, comme si elle redoutait sur la nature de sa présence ou absence, elle répond : « J'ai jamais su n'aimer que toi. » Personne lui arriverait jamais à la cheville. Même celui qui a su lui glisser une bague au doigt n'a en aucun cas su lui dérober son cœur. Il n'appartient dans son entièreté qu'à Matt, figure au registre de ses possessions pour toujours. « Est-ce qu'elles comptent vraiment, ces années, pour nous ? » Elle questionne, se façonne un clef de voûte pour mener sa double vie, celle au propre, celle de laquelle elle rêve secrètement, prête à relayer sans ménagement son quotidien réel au grade de brouillon dérisoire.
On a changé, et ça fait mal de le réaliser. Parce que je nous aimais, jeunes et cons. Parce que j’aimais ce qu’on était, parce qu’il y avait tout un monde qu’on avait créé que pour nous à un moment, parce que parfois j’avais l’impression que c’était qu’il y a une vie entière qu’on se regardait comme ça, qu’on se parlait encore mieux. Elle s’échappe et je la retiens pas, je pourrais pas le faire de toute façon. Elle avait bien beau avoir la silhouette fine, Allie avait tellement de nerf que je me serais retrouvé KO au sol d’avoir rien que tenté de l’empêcher de se dégager ; vaut mieux éviter une énième occasion de me retrouver à ses pieds, de me retrouver désarmé par tout ce qu’elle dégage, tout ce qu’elle représente.
Et son silence me stresse. Son silence me fait mal, parce qu’avant, on avait toujours un truc à se dire, avant, on en devenait inutiles tellement on bavassait. Parfois de tout, souvent de rien. Surtout les silences, aussi stupide ça puisse paraître, ben ils étaient des conversations pour nous, ils coulaient de source, ils confirmaient ce qu’on savait déjà, ce que je flippais grave qu’elle refuse, qu’elle range, qu’elle ne veuille plus. Comme si j’avais effacé de ma mémoire la presque décennie qui venait de passer, comme si j’avais volontairement ignoré qu’elle avait eu tout ce temps-là pour le faire, que ce serait une option bien plus logique que celle de croire que c’était ce sur quoi elle bossait mentalement actuellement.
« J'ai jamais su n'aimer que toi. »
Elle est dos à moi, elle est loin, mais j’entends tout. Et j’avance, et je garde une distance, je sais pas de quelle force je me remplis pour le faire, mais j’y arrive. Props à moi. « J’ai mis la barre haute, faut dire. » merde Matt, really ? Mon rire est sec, étouffé, il est mal, comme moi. « Mauvais moment pour être con, right? » la vérité, c’est que tout en moi arrête pas d’entendre des temps de verbes. Son imparfait et son conditionnel, son passé plus que son présent. Y’a rien dans ce qu’elle dit qui me suggère qu’on est sur le bon timing, y’a rien de ce qu’elle affirme qui est tangible dans l’instant et ça me terrifie. J’en reviens à me dire que j’arrive pas à la lire aussi bien qu’avant ; alors pourquoi est-ce que je capte chacun de ses frissons? Pourquoi est-ce que je cerne chacune de ses expirations? « Est-ce qu'elles comptent vraiment, ces années, pour nous ? » « Elles comptent si tu veux qu’elles comptent. » j’expire, parlant à son dos, à sa nuque, mais à Allie tout de même, à Allie et juste à elle. « Et on les oublie si tu veux qu’on les oublie. » l’un ou l’autre me va, tant qu’elle est au milieu, tant qu’elle est là, tant qu’elle a ce qu’elle veut.
« Juste... » et mon bras s’étire, je tente de l’en empêcher, mais apparemment pas assez. Mes doigts qui se perdent sur son poignet, qui dérivent sur sa main, qui flirtent avec sa paume sans s’arrêter nulle part et partout à la fois. « … nous oublie pas. » si tu décides d’oublier ces années-là, oublie pas ce qu’on était avant – quand moi, je m’en souviendrai pour deux. « J’ai toujours voulu aimer que toi. »
Allie impose une distance entre eux, elle se force à lui tourner le dos quand son cœur martèle encore plus puissamment sa poitrine de ne pouvoir enregistrer de nouveaux souvenirs visuels de lui. Ses bras se serrent contre sa poitrine, sa cage thoracique lui paraît saturée de sentiments, mais si vide de sens à la fois. Elle s'éloigne, alors qu'elle sait pertinemment que même la distance est dérisoire contre sa volonté de l'oublier. Elle crée des mètres quand des milliers de kilomètres doublés d'une absence totale ne l'empêcheront jamais de l'avoir gravé en elle. Elle se prive de sa vision quand son esprit ne fait que répéter inlassablement les bandes de souvenirs entre eux et lui rappeler, souffrance lancinante, à quel point il lui manque.
Elle s'est tant persuadée qu'elle avait tout brisé, démoli, détruit. Elle a réussi à se trafiquer une paix en se convainquant que Matt n'était pas pour elle. Il était qu'une belle histoire, un élément beaucoup trop bien qui est venue la rescaper d'une vie trop bornée pour qu'elle puisse aspirer au bonheur. Puis il s'en est allé, et poupée désarticulée, elle s'est surestimée. Elle s'est promis de lui survivre quand elle s'est violentée des mois durant et flirtait avec la Faucheuse parce qu'elle ne pouvait imaginer un monde sans lui à ses côtés. Elle est devenue rien, un débris dépendant du toxique, et jamais elle n'aurait toléré ternir le quotidien de Matt du déchet impérial qu'elle composait. Sans lui, elle a vogué sur pilote automatique et elle ne peut se résoudre à croire qu'elle a droit à un futur avec lui, qu'elle pourrait reprendre les commandes de sa vie.
« J'ai jamais su n'aimer que toi. » Les termes sincères traversent éhontément la barrière de ses lèvres. Elle n'a jamais su n'aimer que lui, elle ne saura jamais aimer que lui. C'est la seule certitude de son histoire, le destin lui a prouvé à maintes reprises et elle l'a acceptée. Elle l'aime, elle l'aime tant, elle l'aime trop. « J’ai mis la barre haute, faut dire. » Même quand son faux ego tonne, parce qu'elle sait qu'il est maître dans l'auto-dérision, qu'il s'use sans scrupule pour banaliser les sensations beaucoup trop sérieuses, trop ardentes. Il se sacrifierait pour l'atmosphère. « Mauvais moment pour être con, right? » Non, Matt. C'est jamais le mauvais moment pour être toi. Ses sentiments clament, ses lèvres demeurant néanmoins scellées, son regard perdu sur la vue australienne. « Est-ce qu'elles comptent vraiment, ces années, pour nous ? » Parce que c'est tout ce qui compte pour elle, désormais. Elle toise Brisbane comme elle défie le futur, et elle a besoin de savoir si elle peut espérer combler le manque, le trou béant qu'il fonde en elle, quand l'encre de son essence ne colorie pas le canevas de ses mésaventures. « Elles comptent si tu veux qu’elles comptent. » Sa poitrine se soulève, ses muscles se décontractent péniblement, ses bras retombent contre ses flancs. « Et on les oublie si tu veux qu’on les oublie. » Est-ce vraiment si simple ? Le passé ne nous rattrape-t-il pas toujours, néanmoins ? Les non-dits ne se transformeraient-ils pas en mensonges au fil des heures, des jours, des mois, des années ? « Juste... » Elle se l'imagine marchander alors que ses doigts caressent timidement son poignet, tentent d'apprivoiser sa paume. « … nous oublie pas. » Impossible. Jamais. L'oublier, c'est vivre dans la pénombre, c'est errer sans but. « J’ai toujours voulu aimer que toi. » Un rictus étire nerveusement ses lèvres, elle inspire doucement la brise australienne, comme si elle pouvait lui prodiguer du courage. Elle se retourne, rejette la main du garçon pour planter son regard dans le sien. « Sous toutes les conditions ? » Parce qu'elle n'est pas si différente, malgré tout. Parce qu'il est le seul, mis à part sa sœur, à la connaître foncièrement, à connaître son vrai visage. « Même si mon passé des dernières années est horrible et mon présent bafoué ? Même si j'ai merdé ? » Même si je te mérite pas, je te mérite plus, je te mériterai jamais ? « Vraiment merdé ? » Elle accentue, espérant qu'il comprenne à quel point elle a tout foiré, à quel point elle en traîne, des bagages, des boulets, des erreurs, des remords, des chagrins. A quel point l'avoir dans son présent n'est pas un cadeau.
« Est-ce qu'elles comptent vraiment, ces années, pour nous ? » pourquoi ça sonne comme une question qui en brime des dizaines d'autres? Pourquoi j'aime pas du tout les mots qu'elle suggère, derrière sa silhouette qui se détache, planqués sous son regard qui fuit? Pourquoi je déteste le fait de la connaître par coeur malgré les années séparés, et de pourtant pas du tout être capable de mettre le doigt sur ce qu'elle cache là, ce qu'elle tente de cacher du moins?
Alors je la dédouane. Je me prête à son jeu malsain dont je ne comprends pas du tout les règles, je réponds oui, je réponds non. Je réponds parce que je peux pas faire autrement, je lui laisse le libre arbitre et j'en suis terrorisé et c'est con parce que je lui fais confiance, parce que je sais que si elle doit me dire un truc, elle le fera. Que si elle veut me retirer une information, c'est qu'elle est consciente que de savoir me fera plus de mal que de bien. « Sous toutes les conditions ? » merde, mais arrête Al. Arrête de rajouter des briques entre nous, arrête de te détacher, arrête de faire ça, de jouer à ça, arrête d'amplifier. Elle insiste encore et toujours, je la lâche pas des yeux ou alors ce sont ses yeux à elle qui lâchent pas les miens. « Même si mon passé des dernières années est horrible et mon présent bafoué ? Même si j'ai merdé ? » d'office, je me fais violence pour ne pas snobber ses prunelles deux secondes pour faire l'examen de sa silhouette ; chercher des marques de violence, chercher des indices, chercher quelque chose, quoi que ce soit, qui me donnerait plus d'informations que ce qu'elle me donne au compte-goutte, à bout de souffle. « Vraiment merdé ? » mais elle me donne rien d'autre qu'un silence de plus, qu'une avalanche d'inquiétudes au passage.
« Tu le dis toi-même. » j'inspire, n'esquisse pas le moindre mouvement vers elle pour la simple et unique raison que j'ai compris qu'elle en veut pas de ça, qu'on en est pas là. « C'est ton passé. » mais elle a parlé de son présent aussi Matt, elle a parlé de son présent et ça m'obsède et je me fais violence pour ne pas insister, pour ne pas la bombarder de questions, pour ne pas saigner chaque bribe envolée qui flotte entre nous deux sans que je puisse jamais en attraper aucune. Le focus sur son passé, et sur rien d'autre que ça, parce que « C'est derrière toi, c'est fini, terminé. » mais clairement pas réglé - et ça, ça me gruge. Pourtant, mordre l'intérieur de mes joues, jouer avec n'importe quel coin de mon hoodie à portée me garde de renchérir, d'aborder les sujets qui font mal, de lui faire mal au passage. Si elle avait voulu m'en parler je saurais. Si elle avait voulu se confier, elle l'aurait fait. « J'ai pas besoin de savoir à quel point t'as merdé si c'est du passé. J'ai juste besoin de savoir que ça va aller, que tu vas aller. » que tu vas me laisser aider. « On fait comme ça? » la seconde de trop qui se faufile entre mes mots. « On reprend de là où on s'est laissés? » est-ce qu'on peut, seulement?
Elle marchande. Peu à peu, elle dévoile les nuances de ses déboires, de ses désarrois, de ses démons. Elle en dessinerait presque les contours, grossissant l'essentiel, accentuant à en caricaturer, à enlaidir sans vergogne. Son cœur bat misérablement dans sa poitrine, elle ferme les yeux, elle n'en peut plus de fixer Brisbane comme s'il s'agissait d'un futur qu'elle ne peut plus véritablement définir. Sa gorge se fait sèche, sa poitrine douloureuse du tambour de son amour pour lui.
Elle ne l'oublie jamais. Quand il n'est pas là, le manque la dévore. Quand il est là, l'affection la consume. Pourtant, elle se livre tout entier à ces sentiments qu'elle sait ne pourrait jamais régir. Elle le chérit, le valorise. Il est tout ce qu'elle a de plus précieux sur cette planète : il est son élixir du bonheur, la mélodie de son existence, la seule encre qu'elle veut user sur le livre de sa vie.
« Tu le dis toi-même. » Sa voix résonne. Elle s'en veut de le porter si haut que ses défauts en deviennent des qualités, que les détails de son être comme le timbre de sa voix se métamorphosent en richesses inestimables. Elle pourrait l'écouter faire le con durant des heures sans s'en lasser ; et il est bien là, le problème. Il lui montre toujours à quel point le monde est beau. « C'est ton passé. C'est derrière toi, c'est fini, terminé. » Est-ce vraiment si simple ? Ses sourcils se froncent, elle est perplexe, pessimiste. Le passé nous construit, nous définit parfois même. Peut-on vraiment tracer une ligne si distincte, tout mettre de côté et ne plus jamais regarder derrière ? « J'ai pas besoin de savoir à quel point t'as merdé si c'est du passé. J'ai juste besoin de savoir que ça va aller, que tu vas aller. » Et quand j'ai merdé pour nous, Matt ? Et que ça, je ne sais pas si ça ira un jour. « On fait comme ça? » Elle le sent, l'espoir dans sa voix. La volonté de la seconde chance. L'aspiration au renouveau. Ces intonations vibrent en elle à lui en procurer des frissons indéniables. Ça semble si simple, et pourtant, elle se retient. « On reprend de là où on s'est laissés? » Est-ce qu'on peut, seulement ?
Elle se mord la lèvre inférieure distraitement, puis inspire profondément. Volte-face, elle requiert son regard. Embrasse-moi, Matt. Tout en elle hurle. Embrasse-moi et prouve-moi qu'on peut remonter les horloges du passé, qu'on peut tout gommer, qu'on peut revenir à la veille de ton départ, à ce dernier baiser échangé pour le multiplier, encore et encore, innombrablement, indéfiniment. Embrasse-moi, rappelle-moi ta chaleur, ta douceur, ton épiderme timorée contre la mienne. Embrasse-moi et délivre-moi de cette apnée perpétuelle qui dure depuis si longtemps, trop longtemps. Embrasse-moi pour me promettre que notre histoire est un présent qui appartient au futur et pas seulement au passé. Embrasse-moi, je t'en supplie, parce que moi, j'oserai pas même si j'en crève d'envie : ça signifierait à mon sens te ternir, te trahir, de m'autoriser à partager cet amour. Elle acquiesce, interdite. Oui, on reprend de là où on s'est laissés.
Dernière édition par Allie Oakheart le Sam 30 Nov 2019 - 17:24, édité 1 fois
Elle veut que je l'embrasse. Ça, je le sais parfaitement, je le vois de suite. Elle a ce rictus, elle mord sa lèvre, elle fixe, elle fuit pas, elle bouge à peine. Et je veux aussi, bien sûr que je veux aussi, bien sûr que je pense qu'à ça. Elle était au DBD, elle était dans mes draps, elle était dans mes bras y'a trop longtemps déjà, et mes pas ils veulent avancer un peu plus vers, elle, ils rêvent que de se détacher du sol pour bouger enfin. Parce que c'est Allie, parce que c'est moi, parce que c'est nous, mais parce qu'il reste encore une conne, une stupide, une idiote partie dans ma tête qui s'inquiète. Qui veut pas le faire, qui se déteste d'oser vouloir se rétracter, qui panique. Que la merde dans laquelle elle s'est plongée soit pire que ce que je souhaite admettre. Que ce que son regard me hurle depuis tout à l'heure soit aussi grave que ce qu'elle statuait, ce que j'ai balayé du revers de la main.
Y'a une seconde qui passe, une autre. Y'a un scénario qui joue en boucle dans ma tête, celui où j'avance vers elle, où je la prends contre moi, où elle reste là pour cette vie et pour les prochaines, parce que c'est comme ça que ça doit se passer, parce que c'est comme ça que ça aurait toujours dû être. L'autre alternative, celle qui me ronge trop sournoisement pour que je l'ignore, me susurre à l'oreille que ça sent mauvais, que tout ça sent mauvais. Qu'il y a des informations que je devrais lui demander, qu'il y a des secrets que je devrais lui gratter. C'est faible, c'est qu'une bribe de doute, à peine une fissure, mais c'est là, ça m'énerve, ça m'enrage.
Mais je fais un pas vers elle, et un second. Les contradictions qui me martèlent la tête et les tempes, ma main qui trouve la sienne, qui l'attire un peu plus. Mon bras qui passe autour de ses épaules, et mes lèvres qui dérivent vers elle. Je l'embrasse, évidemment que je l'embrasse. Sur le front, puis sur le nez. Ses lèvres que j'oublie un temps, pour plonger mes iris dans les siens suffisamment. Me dit rien, attends encore un peu. Un jour, faudra que je sache, et un jour, tu voudras vraiment me dire. Mais pour le moment, on oublie, on nie, on efface, on y pense pas. Okay? Et mes bras la rapprochent un peu plus, elle tremble je suis sûr mais je dis rien, je souligne pas, j'ai pas l'envie, ni même la force. Sa joue sur laquelle je finis par déposer un baiser, sa mâchoire au passage.
Ses lèvres, je les garde pour la fin. Parce que leur goût me manque, mais aussi, surtout, parce qu'ainsi je scelle les mots qu'elle ne veut pas dire, que je ne veux pas entendre. Pas tout de suite.
Les secondes ont des airs d'éternité, les centimètres des allures d'infinité. Son cœur lui semble désormais trop épuisé pour battre un tambour excentrique de fatalité. Les yeux de la jeune femme se réfugient spontanément dans celle du garçon, le souffle se veut court mais riche de son parfum qui l'enivre, la propulse sur des chemins et émotions passés qu'elle n'a jamais su ternir, soucieuse de les ranimer chaque jour dans une secrète rengaine douce amère. Instinctivement, ses dents mordent discrètement sa lèvre inférieure, les motifs et les mensonges justifiant qu'elle a tout foiré avec lui la tiraillant. Pourtant, elle veut toujours y croire. Elle se maudit d'être si naïve, mais elle est persuadée qu'elle peut s'autoriser à penser que si elle se voue tant à un homme, celui-ci doit bien en retour lui accorder une petite part d'affection. Dans une règle volage et officieuse, elle décrète qu'une réciprocité doit être vraie quand on aime à en crever.
Il réduit la distance entre eux deux, les pieds d'Allie demeurent cloués au sol. Elle attend, elle prie, elle gage avec l'univers ; elle a besoin qu'il effectue ce pas quand elle est incapable à s'y résoudre. Elle le conjure de la sauver une nouvelle fois, une énième fois. Sa main masculine vient chercher la sienne, les doigts fins de la Oakheart s'enlacent naturellement à ceux de l'australien. Les centimètres sont annihilés progressivement, le bras du brun se loge derrière ses frêles épaules, un frisson court le long de son échine alors que la bouche du McGrath épouse son front, son nez.
Et elle respire enfin. Elle se rend compte à quel point elle était en apnée, ces années durant. Son âme se gonfle, se reconstruit à mesure de cette vision d'un futur envisageable avec lui. Un avenir tel qu'elle y aspire. Le regard de Matt lui fait des promesses interdites, Allie chasse la culpabilité dans la certitude de ses traits virils. Elle expire doucement tandis que l'étreinte est complète, que ses lèvres déposent un nouveau baiser sur sa joue fraîche. Les bras de la Oakheart se glissent autour de son cou, les lippes du gérant glissent sur sa mâchoire. Elle se rattache à lui amoureusement, éhontément, reforme ce cocon indéniable qu'ils composaient régulièrement, religieusement, à chacune de leurs rencontres. Elle se colle à lui à penser entendre son cœur battre contre le sien, à retrouver sa chaleur et sa douceur, à ré-apprivoiser son paradis.
Le temps perd tout ses repères ; elle pourrait rester jusqu'à la fin de ses jours dans ses bras que cet intervalle lui semblerait bien trop court. Revigorée de sa présence, elle se force à se détacher légèrement, assez pour que leurs lèvres se rejoignent dans un baiser initié par Matt. Les doigts de la jeune femme glisse tendrement sur sa mâchoire, sa main libre se dépose sur sa large épaule. « J'aimerais toujours que toi. » Elle souffle, vérité générale qui la régit comme lui sied en dépit de sa lame à double tranchant.