Ça fait plus de 6 mois je ne suis plus sorti en mer et je dois avouer que ça me démange de plus en plus. La dernière fois c'était avec Myrddin, nous avons loué un voilier pour notre lune de miel et nous avons sillonner la côte australienne jusqu'à Fraser Island puis jusqu'à Sydney et d'autres petites îles pendant trois semaines. Et même si je lui ais dit que j'avais totalement accepté le fait que je ne sois plus embarqué avec la Navy, j'avoue que ces trois semaines en mer m'ont fait réaliser à quel point ça me manquait. J'ai été occupé depuis notre retour, entre les différents travaux dans l'appartement, la vie de famille, le boulot, la vie quoi, que je n'ai plus penser à tout ce que j'avais ressentis lors de ces trois semaines.
Mais maintenant que tout redevient calme, qu'Ida est parti en vacances avec les enfants -dont Arthur- et que Myrddin est parti pour une semaine à Sydney, je me retrouve seul à l'appartement, à m'ennuyer pendant ma semaine de permission et je me surprend régulièrement à éplucher les annonces de vente de voilier. Je joue de plus en plus avec l'idée d'en acquérir un, mais les prix me refroidissent bien trop rapidement. Je n'ai tout simplement pas les moyens de me payer un truc de ce genre. Au mieux je peux avoir une barque pour un prix correct, ou un petit bateau à moteur, c'est tout ce qui entre dans mon budget. Mais j'avoue avoir une idée de ce que je veux et quand j'ai une idée j'ai souvent du mal à m'en défaire.
Et lorsque je n'épluche pas les annonces, je regarde d'autre sites internet, dont Instagram. Et le profil de Cian qui a posté dernièrement une photo de lui allongé sur un bateau, disant que c'était une journée en mer avec sa nièce. J'avoue avoir été prit d'une sensation bizarre, comme un jalousie (alors qu'en vrai j'étais juste content pour lui d'avoir enfin une journée off avec sa nièce, ils le méritaient tous les deux). Mais ça m'a un peu emmerder qu'il ne m'ait pas prévenu ou demander ou je ne sais quoi. Et c'est alors qu'un flash de souvenir me revient en mémoire.
Levi Mcgrath. Ce jeune homme, ancien soldat de la US Navy que j'ai eu le plaisir de former mais qui ne s'est pas engagé longtemps, est propriétaire d'un bateau. Rien de bien extravaguant, mais un joli bateau, confortable, ni trop grand ni trop petit, parfaitement maniable et un très bon partenaire sur les eaux parfois tumultueuse du pacifique. Ni une ni deux, j'ai attrapé mon téléphone et je l'ai appelé, le suppliant presque de faire une sorti en mer ce week-end. Jusqu'à Fraser Island, une nuit sur place dans un des chalets de bord de plage puis un retour le lendemain. Mon jeune ami a bien comprit que ça avait l'air important pour moi et n'a pas forcément beaucoup hésité avant d'accepter.
Et c'est donc là où je me trouves actuellement. Il est 4h du matin et je marche d'un pas décidé sur le ponton en direction du voilier de mon ami. Un large sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je vois Levi s'affairer sur le pont «Hey Curry ! » lançais-je joyeusement, faisant référence au surnom de l'ancien soldat. Je lui offre un large sourire lorsqu'il réagit et balance mon sac sur le pont avant de rejoindre mon ami et allez l'enlacer «comme ça va ? » demandais-je après l'avoir relâcher et m'être reculer légèrement. « T'as besoin d'aide ? Qu'est-ce que je dois faire ? T'as déjà checker la voile ? Le moteur ? La bouffe ? La bière ? Vas-y dis moi tout, j'ai besoin d'aider à faire un truc !» maintenant que j'ai les deux pieds sur un bateau je ne peux plus retenir mon excitation.
Tu fumais allègrement un joint lorsque ton téléphone portable se mit à vibrer effrontément contre ta cuisse. Tu ne pus te retenir de lever les yeux au Ciel, accompagnant le geste d'un soupir bruyant. Pour une fois que tu avais enfin la paix - Ariane étant partie faire Dieu sait quoi en ville -, voilà que ce moyen de communication que tu abhorrais heurtait ta tranquillité. Tu jetais tout de même un coup d’œil nonchalant à l'appelant qui se voulait tenace et ne reconnus la voix de Thomas que quelques mots échangés plus tard.
Une expédition vers Fraser Island, donc. Celui qui t'avait donné tous les outils nécessaires à ce que tu puisses concrétiser tes rêves maritimes n'avait pas eu besoin de grands arguments pour te persuader. Le rendez-vous était fixé, tu étais excité comme une puce à l'idée de partir en expédition avec Thomas. Le Beauregard n'était pas des plus faciles - bien qu'il soit de la petite bière face au tempérament excentrique et endiablé de Cian - mais tu avais une telle admiration et reconnaissance envers Tom que tu trépignais d'impatience de voguer à nouveau la mer en sa compagnie. Vous n'avez pas sélectionné un périple très ardu, il durerait moins de quarante-huit heures, et si ça avait pu te faire grommeler dans le passé, toi qui était avide d'escapades, depuis quelques semaines, tu reconnaissais que tu pouvais difficilement t'investir davantage. Peut-être en toucherais-tu quelques mots à Thomas. Entre militaires, vous pouviez tout entendre et vous aviez tout vu.
« Hey Curry ! » Il fait encore noir sur la marina, le soleil ne se lèvera pas avant quelques heures. « Hey boss ! » Vous réduisez la distance entre vos deux corps et vous enlacez. Ça faisait une éternité que tu n'avais pas entendu ce surnom et il fallait l'avouer, ça te faisait énormément de bien. « Comment ça va ? » En guise de réponse, tu l'invites à analyser la situation par lui-même. Tu ne vas pas lui mentir mais il n'est pas l'heure d'aborder ce sujet. Puis, vraiment, à part une mine pâle et fatiguée, tu penses que tu t'en sors bien. Tu as eu assez d'énergie pour préparer le bateau, ta volonté de quitter le port indétrônable. Il ne te manque que la voile à réorienter. « Si tu peux me donner un coup de main avec celle-ci. » Tu uses tes muscles à arrimer cette dernière puis t'appliques sur le domaine des nœuds. « On se casse maintenant ? » Tu demandes, empressé, ton pied contre la corde. Tu te lèves en vue de vérifier le moteur. « T'avais l'air d'être en manque de salin ! » Tu confies ton interprétation basée sur votre dernier échange téléphonique. « Comment se passe ta vie sur terre ? » Parce que toi, t'es incapable de te résoudre à vivre en ville. Tu l'as toujours dit, dès le premier jour de ton enrôlement dans la Royal Navy. A tes dix-neuf ans, tu avais flambé tout ton héritage familial pour acquérir Cadence qui compose depuis ton domicile.
Le bonheur, c'est ça : monter sur le pont d'un voilier en sachant parfaitement qu'on ne va revenir au même endroit pour les 48h prochaines heures et qu'on passera tout ce temps en mer à voguer au gré du vent et avec une personne qui nous est chère. Levi -ou Curry, comme on l'a appelé quand il s'était engagé dans la Navy- est un personnage haut en couleur. Aventureux, insatiable, un navigateur aguerri qui n'aime pas rester trop longtemps sur place. Bref, le genre de personne à qui je peux sans problème demander de m'emmener sur son bateau et qui ne pourra jamais me le refuser. Nous n'avons pas été beaucoup en contact ces derniers temps, mais nous avons toujours eu des nouvelles l'un de l'autre.
Ainsi donc, montant sur son voilier, c'est une étreinte joyeuse que je lui offre avant de laisser éclater mon excitation. Avec amusement, Levi m'indique que je peux vérifier la voile ce que je m'empresse de faire. Posant mon sac à dos au sol, je me dirige vers la voile afin d'aider mon compagnon à la réorienter et hoche vivement la tête lorsqu'il me demande si on s'en va maintenant « Ouais, tout de suite !» m'exclamais «J'ai envie de voir le lever de soleil quand on sera en mer, ça fait beaucoup trop longtemps que je ne l'ai plus vu de cette manière » expliquais-je « Et ça me manque, bon dieu. La dernière fois que je suis parti en mer c'était avec Myrddin pour notre lune de miel » je me redresse et observe la voile, tirant un peu dessus et lançant un coup d’œil vers Levi «D'ailleurs merci pour le contact que tu m'as filé. Son voilier était une pure merveille » j'offre un large sourire à l'ancien soldat, avant de rejoindre la barre tandis qu'il vérifie le moteur.
«La vie sur terre elle se passe » répondais-je, haussant les épaules « Je me suis pas mal habitué à cette vie terrestre et j'avoue que ça me convient totalement de ne plus être envoyé en mission pendant des mois et des mois » ajoutais-je, croisant les bras, observant Levi qui s'affaire au niveau du moteur «J'aime bien passer plus de temps avec ma nouvelle famille et puis bon, je fais quand même régulièrement des sorties en mer avec mes nouvelles recrues pour leur apprendre mon métier » indiquais-je «C'est pas la même chose que les missions en Europe que j'ai pu faire, mais c'est déjà pas mal » assurais-je «Et toi ? Tout va bien ? » lui retournais-je la question en me redressant lorsque Levi se relève.
« Je peux …. ?» demandais-je, une lueur malicieuse dans le regard, alors que je désigne la barre d'un coup de tête. Sans que je n'ai besoin de dire quoique ce soit, je suis persuadé que Levi comprendra que j'ai envie de conduire le voilier hors du port. Je ne lui en voudrais aucunement s'il n'accepte pas, mais rien ne m'interdit de tenter une demande.
Thomas te confirme que vous mettez littéralement les voiles dès que possible et ceci te réjouit derechef. Cela faisait une éternité que tu n'étais pas parti en expédition avec celui que tu considérais tel ton mentor. De plus, effectuer cette excursion de 48 heures te prodiguait de véritables ailes. Naviguer composait ta passion et tu étais avide de bonnes raisons de quitter le port. Tu observes ton ami, la mine compatissante, quand il t'indique que le moment où il a pu admirer le lever du soleil en mer remonte à beaucoup trop loin. Ce spectacle est à tes yeux captivant, comme tous les phénomènes météorologiques. Tu te rappelles précisément d'un violent orage qui était survenu lors d'une mission à laquelle tu avais participé avec Thomas et Cian et vraiment, le scénario de la foudre et les éclairs martelant sans merci les vagues déchaînées était gravé en ta mémoire. Il te remercie pour le contact du voilier qu'il a sollicité pour sa lune de miel avec Myrddin, tu tapes son épaule affectueusement en guise de réponse. C'était la moindre des choses. Quand tu avais appris la nouvelle de ce mariage, tu avais été euphorique pour Thomas et avait rapidement pris contact avec Cian pour dénicher de quoi souligner cet événement spécial dans la vie de l'amiral. « J'suis content de l'apprendre, même si j'en doutais pas ! »
Large sourire sincère aux lèvres, vous préparez Cadence pour votre petit périple. Tu ne peux ensuite t'empêcher de questionner le Beauregard sur sa vie terrestre. Tu ne sais pas si tu étais capable de résider sur la terre ferme pour ta part. Tu aimes beaucoup trop demeurer sur ton navire et tu t'y sentais en sécurité tout comme libre : à tout moment, tu pouvais lever les amarres et prendre le large. De plus, tu n'avais pas le souci de voisins récalcitrants ou de colocataires agaçants. Il y avait bien parfois quelques adolescents qui rôdaient sur la marina à la recherche de mauvais coups à produire mais jamais n'avaient-ils osé de défier. Thomas t'explique qu'il forme encore des nouvelles recrues et apprécie le fait de ne pas être déployé durant de longs mois, ce qui lui permet de profiter de sa famille plus longuement. « T'as jamais songé à vivre sur un bateau ? » Tu interroges, curieux. Certes, il est plus difficile d'aménager un navire pour toute une famille plutôt qu'une seule personne, mais la question te taraude tout de même, surtout que tu es persuadé qu'on peut tout réaliser, tant qu'on y met assez d'ouvrage. « Myrddin est du genre à bien aimer naviguer ? » Tu n'en connais pas énormément sur l'homme qui fait battre le cœur de ton interlocuteur. Tu te demandes d'ailleurs si pour ta part, tu pouvais sortir avec quelqu'un qui ne partage pas au moins un peu ton amour pour la mer.
« Et toi ? Tout va bien ? » Tu hoches la tête à l'affirmative, mentant éhontément. L'annonce du retour de ton cancer hurlait avec véhémence que tu te portais mal, mais tu te sentais bien aujourd'hui, malgré tout. Et puisque tu t'adonnais à vivre ton existence au jour le jour, ce motif te suffisait à justifier ton mensonge. « Je projette de traverser à la voile le passage du Nord-Est au dessus de la Russie. » Tu lui confies. Quand tu étais enrôlé dans la Navy, tu ne cessais de tanner les autres sur ton rêve de passer le Cap Horn ainsi que traverser le passage de Drake pour rejoindre l'Antarctique. Tu avais concrétisé ces deux objectifs et désormais, tes souhaits étaient portés sur la Russie. Sans oublier un petit itinéraire que tu avais bien en tête dans les eaux pacifiques, mais celui-ci, tu le réaliserais en duo avec Ariane.
Thomas lorgne sur ta barre, tu lui donnes sans scrupule ni hésitation l'autorisation de diriger ton bien le plus précieux. Sans son savoir, tu ne l'aurais jamais mené jusqu'ici. « Elle est toute à toi ! » Tu vas chercher deux bières que tu décapsules et en déposes une à côté de Thomas qui s'est installé à la barre. Tu t'appuies par la suite sur la cabine de bord. « Comme va ta famille ? Et Cian ? Ça fait un bail que je l'ai pas vu ! »
Je serais éternellement reconnaissant envers Levi pour avoir dégoter ce contact qui nous a loué son voilier, faisant de ma lune de miel une petite merveille. Trois semaines, seul avec Myrddin face à la mer et à ses tumultes mais surtout à son silence et son étendu époustouflante. C’est, en navigant, que je me rends compte que tout cela me manque quand même pas mal, bien que je ne regrette absolument pas ma décision d’avoir cessé les missions longues et que ma vie sur terre me plait quand même pas mal. D’autant plus que j’ai assez de contact qui ont des bateaux eux-mêmes. Entre Caelan, Jasper et Levi, je suis quand même pas mal servi en terme de navigation, chacun d’eux acceptant régulièrement de me prendre avec eux à la barre le temps d’une journée ou, comme aujourd’hui, sur tout un week-end.
« J’y ai déjà pensé, oui» avouais-je lorsque Levi me demande si j’ai déjà imaginé ma vie sur un bateau «si j’étais célibataire et sans enfants je le ferais directement » dis-je, souriant doucement «Mais j’ai trois enfants et un mari, c’est pas évident de tous les caser dans une petite cabine » je rigole doucement «Myrddin adore naviguer ! » précisais-je « Je veux dire, il a vraiment adoré notre lune de miel et s’est débrouillé comme un chef. Je pense qu’il a sincèrement apprécié cette sensation de glisser dans l’eau et être à la merci du vent et des éventuelles intempérie» je souris «On s’est d’ailleurs tapé une jolie petite tempête au large de Fraser Island, c’était bien marrant » pour moi. Myrddin, lui, c’est une autre histoire.
Je fini par retourner la question à Levi, lui demandant si lui va bien, et sa réponse me semble un peu trop évasive. Un simple hochement de tête ne me donne pas l’impression qu’il me dise la vérité. D’autant plus qu’il change très rapidement de sujet en m’informant de son projet de traverser à la voile le passage Nord-Est de la Russie « Ah ouais quand même !» m’exclamais-je, acceptant sans problème son changement de sujet mais me promettant d’essayer d’en apprendre un peu plus sur s’il est sérieux ou non.
Après avoir vérifié que tout est en ordre, je lorgne vers la barre et c’est sans problème que j’ai l’autorisation du capitaine du bateau pour le sortir du port. Sautillant presque, excité à l’idée de conduire le voilier dans les eaux, je me place derrière la barre et fait les quelques derniers réglages avant d’allumer le moteur tandis que Levi me demande comment va ma famille et Cian. « Ils vont tous très bien» assurais-je mettant doucement le bateau en route « Alex s’est un peu calmé de sa crise, Clara est toujours le rayon de soleil qu’elle a toujours été et elle a de projet de mariage avec Arthur, le fils de Myrddin» expliquais-je en rigolant « Et Cian eh bien … il est et restera le connard que t’as connu» dis-je avec sérieux, mon sourire laissant toutefois transparaître l’ironie de mes propos « Toujours aussi sanguin, toujours aussi paumé dans ses sentiments, mais aussi toujours aussi marrant et prêt à tout pour ses amis» assurais-je. Et c’est bel et bien pour cela que je l’aime, mon chaton.
Une fois le bateau sorti de son parking, j’accélère un peu plus, me dirigeant vers la sortie du port et me tais, totalement concentré sur ce que je fais. Ce n’est que quelques minutes plus tard, une fois que nous avons totalement mis le cap sur Fraser Island, que je brise le silence «Tu peux t’occuper de la voile. Je pense qu’on est bon » je lance un coup d’œil vers les différents appareils puis hoche la tête « Yep, vas-y !» l’encourageais-je, maintenant la barre droite.
Curieux, je demande à celui que je considère tel un mentor depuis mes seize ans s'il a déjà envisagé une portion de mon mode de vie : soit vivre sur un bateau. L'amiral m'explique que s'il n'avait pas sa famille proche, il posséderait assurément un navire sur lequel il aurait élu domicile. Cette alternative me fait sourire sincèrement, bien qu'une partie de mon esprit ne peut s'empêcher de s'imaginer une vie de famille en mer. Il doit bien y avoir des gens assez amoureux du salin pour mener ce genre d'existence, néanmoins, j'imaginais que cela se devait d'être complexe à gérer. Pour ma part, du haut de mes trente-trois ans, l'éventualité de ce tableau ne s'esquissait même pas : j'avais toujours refusé avoir quelconque descendance. Depuis mes quinze ans, j'étais très clair sur ce point. La notion de paternité était catégoriquement bannie de mon histoire.
« Myrddin adore naviguer ! » Thomas me relate avec enthousiasme, mon sourire s'accentuant face à cet aveu. J'étais persuadé que le fait de partager au moins un peu une telle passion était bon signe dans un couple. Personnellement, je m'imaginais mal nourrir une histoire durable avec quelqu'un qui ne respecterait pas mon amour pour la navigation. Le presque quadragénaire développe, je me teins les scènes dans mon imaginaire. Un rire file entre mes lèvres lorsqu'il m'évoque une tempête au large de Fraser Island. « L'expérience n'aurait pas été complète sans quelques secousses ! » Je commente avec complicité.
Je demeure évasif quant à mon état de santé, saute promptement sur mon projet de traverser à la voile le passage du Nord-Est au-dessus de la Russie. Je possédais toujours de multiples rêves en boîte, ils composaient en quelque sorte mon carburant à avenir. Puis, j'étais un jeune homme qui ignorait se poser. Il fallait toujours que je me propulse d'un côté et de l'autre du globe, expérimente de nouvelles choses, plonge sans retenue dans toute innovation. « Ah ouais quand même ! » Je hoche la tête avec envie, approuvant. « Ouais, hein ! Ça serait dément ! » Le conditionnel qui gêne un peu ici, qui file entre mes lèvres tel un sauvage que je n'ai su rectifier au vol. Ce sera dément, Levi. Et qui sait, peut-être même qu'Ariane serait de la partie. Tu lui apprenais bien à manier Cadence. « J'aimerais aller à Bali aussi. Puis Miami. » Dans cet ordre précis, pour redéfinir les destinations.
Mon bien le plus précieux sort du port, Tom aux commandes. Mon cœur se gonfle face à l'imminence de notre traversée, j'observe amoureusement le flux et le reflux des vagues et le port s'éloigner progressivement. Le goût de la liberté anime mes lèvres, fait pétiller mes yeux. Attentif, j'écoute les dernières nouvelles de la famille de mon interlocuteur. Je ris par rapport au futur mariage, me moque en souriant de Cian et son caractère de cochon qui constitue sa signature. « Tu peux t’occuper de la voile. Je pense qu’on est bon » Je m'exécute et acquiesce à l'écoute des indications du Owens-Beauregard. « Dis, Tom, j'me suis toujours demandé... Pourquoi tu t'es marié, avec Myrddin ? Vous l'avez fait juste par amour ou pour autre chose aussi ? » Ça existe vraiment, ces unions relevant presque des contes de fée ? Je pose mon regard sur l'étendue bleutée, où devrait plus tard apparaître le rivage de Fraser Island. « J'aime beaucoup Fraser Island quand les Hommes sont pas là et que les dingos investissent le sable blanc. Ces bêtes sont géniales. » Certes dangereuses, mais aussi impressionnantes par leurs multiples caractéristiques. L'Australie était si riche de sa faune.
Me tenir derrière la barre d’un voilier, le regard rivé sur l’horizon et totalement près pour une sortie en mer de deux jours. Voilà tout ce que je demandais. Ce n’est pas grand-chose, non ? Il suffit de laisser jouer nos connaissances et voilà. C’est ainsi, grâce à mon amitié avec Curry avec qui je suis resté en bons termes que je me retrouve enfin à nouveau à conduire un voilier hors du port. Et tandis que je manœuvre, nous enchaînons les discussions. Après avoir évoqué Myrddin et notre lune de miel, Levi m’informe de son projet de passer au dessus de la Russie. Un magnifique voyage, pas évident –je ne connais pas vraiment les mers là-bas, mais je sais qu’elles sont réputées pour être redoutable- mais Levi semble extrêmement motivé par cette idée. Je ne pourrais donc jamais l’en dissuader et je n’en ai, de toute manière, pas envie. «si t’as besoin d’aide pour quoique ce soit concernant ce projet, t’hésiteras pas, ok ? » Je ne sais pas comment je peux bien l’aider, mais au moins il sait qu’il a tout mon soutient ce qui peut déjà être rassurant quelques part.
Alors que nous sortons du port et que j’indique à Levi d’aller s’occuper de la voile, je l’informe des dernières nouvelles familiale concernant mes enfants avant que mon ami ne me pose une question fort intéressante. Le genre qu’on ne m’avait encore jamais posé avant : pourquoi m’être marié avec Myrddin ? « par amour» répondais-je directement sans aucune hésitation «après mon divorce avec Ida je me suis dis que plus jamais je ne passerais par la case ‘mariage’ mais au final, l’année dernière ça m’a semblé comme une évidence. J’avais vraiment, vraiment, envie d’officialiser la chose avec Myrddin et donc …voilà. » je souris doucement puis hausse les épaules « Après y a peut-être une petite part de ‘rebellion’ contre mon père qui est le genre de mec vieux jeu, conservatif pour qui l’homosexualité est un crime contre l’humanité et pire qu’un viol ou je ne sais quoi. » j’hausse les épaules «Pendant 38 ans j’ai voulu être le fils parfait, celui qui ne fait jamais aucun écart et qui a toujours tout fait dans l’ordre. Carrière, couple, mariage, enfants…bref, les choses comme la société nous dicte de le faire, sans avoir jamais aucune reconnaissance de mon père. Donc l’année dernière lorsqu’il a découvert mon projet d’union avec Myrddin il a pété un plomb, m’a renié et m’a sans doute aussi déshérité, mais j’en ai rien à faire. S’il peut pas accepter mon bonheur alors je ne vois pas pourquoi il devrait continuer d’être dans ma vie » je conclus mes paroles dans un haussement d’épaule, me rendant compte que je me suis un peu emporté par rapport à la question relativement banale de Levi.
Changeant de sujet, il me parle de Fraser island et de ses dingos qui investissent les plages de sables blanc «Ouais, ces animaux sont géniaux ! » m’exclamais-je «Toute cette île est un coin de paradis, j’aime tellement y aller, d’autant plus qu’elle n’est accessible qu’en bateau. Je connais d’ailleurs un endroit là-bas, perdu au milieu de la forêt. Je pourrais t’y emmené en débarquant à midi ! » j’offre un large sourire à mon ami avant me concentrer à nouveau sur l’horizon.
Une fois le bateau placé dans la bonne direction, je fixe la barre afin de maintenir le bon cape et m’installe à côté de Levi «ça va toi sinon ? T’as une petite mine » ce n’est que maintenant, alors que la lumière se lève doucement, que je remarque la pâleur sur le visage du jeune homme et viens à me demander si tout va bien.
Les étoiles de l'insouciance laissant pétiller mon regard en dépit d'un cœur alourdi du poids d'une réalité intransigeante, j'évoque à Thomas mon ambition de traverser à la voile le passage du Nord-Est au dessus de la Russie. Je n'en démordais pas, l'idée me trottait dans la tête depuis un petit moment maintenant et je comptais bien, dès que possible, mener à terme ce projet. Ariane pourrait peut-être même m'accompagner, une éventualité bien curieuse pour l'homme que j'étais qui avait toujours navigué en solo après avoir quitté l'armée. « Si t’as besoin d’aide pour quoique ce soit concernant ce projet, t’hésiteras pas, ok ? » Un large sourire reconnaissant apparaît sur mon visage. Je tapote amicalement l'épaule de celui qui représente à mes yeux un mentor depuis mes seize ans. « Oui, c'est sympa ! J'te tiendrai au courant, » je promets, enthousiaste, repoussant autant que possible le désarroi causé par l'annonce de la récidive de mon cancer.
Cadence quitte le port et une fois que je me suis informé des dernières nouvelles familiales, je ne peux m'empêcher de questionner curieusement Thomas sur les motifs l'ayant conduit à épouser Myrddin. « Par amour », l'amiral me réplique avec une spontanéité telle qu'elle me déstabilise et m'intrigue encore plus. J'écoute avec grande attention l'Owens-Beauregard me relater l'évolution de ses états d'âme du refus de s'investir dans un second mariage à l'évidence de s'unir à son actuel mari. Un rictus compatissant creuse mes joues lorsque Thomas aborde la part de rébellion dressée à l'encontre d'un père qui s'oppose avec véhémence à l'homosexualité. Il m'explique comment il a toujours voulu suivre les traditionnelles règles de comment un homme devrait mener sa vie selon la société dans laquelle nous vivions, et le contentement qui l'étreint aujourd'hui à vivre sa vie comme il l'entend et non comme les mœurs le dictent. « Amen, » j'approuve entièrement, échangeant un regard complice avec le trentenaire. « J'suis convaincu que c'est nocif de garder dans sa vie des personnes qui nous rendent malheureux ou ne respectent pas notre définition du bonheur. Même si ce sont des personnes qu'on est sensé aimer ou qu'on aime, si elles nous aimaient vraiment en retour, elles ne seraient pas toxiques avec nous. » J'expose mon point de vue. Mon cercle d'amis n'étaient pas très fourni, toutefois, je savais pertinemment que chaque personne y figurant ne désirait que mon bien.
Le regard rivé sur la mer et ses courbes majestueuses insufflées par le vent, je m'enthousiasme du spectacle prochain que devrait nous fournir la sublime Fraser Island. Thomas partage mon avis et le sourire étirant mes lippes s'élargit davantage lorsqu'il me propose de m'emmener dans un endroit au milieu de la forêt. « Ce serait avec plaisir ! » J'accepte avec entrain et impatience. Découvrir des coins perdus de paradis étaient à mes yeux inestimable. « T'es allé souvent à Fraser Island ? » Je demande par la suite, intéressé.
Le bateau fixé vers le bon cap, Tom finit par me rejoindre proche de la grand-voile. « Ça va toi sinon ? T’as une petite mine » Un rictus faussement amusé s'invite sur mes traits. Mentir à mon interlocuteur n'est pas dans mes cordes : je ne l'ai jamais fait et n'ai jamais souhaité le faire. Même si en l'occurrence, répondre à sa question risque d'imposer un malaise et peut-être modifier le regard que l'Owens-Beauregard porte sur ma personne, ce que je regretterais un peu égoïstement tout en comprenant malgré tout. « Oui et non. J'ai chopé un truc, mais j'suis suivi par des docteurs pour être soigné. » J'informe, mes doigts caressant distraitement les cordages, mon regard songeur. Révéler que je souffrais d'un cancer n'était pas chose aisée pour moi. En confiant mon état de santé, j'avais le sentiment de rendre encore plus réel le monstre qui me rangeait de l'intérieur ainsi que l'inévitable et déplorable combat que je devrai mener contre ce dernier. En divulguant mon infortune, je craignais imposer un fardeau sur les épaules de mes proches et m'en affliger un complémentaire en me promettant tacitement de m'en sortir pour ne pas causer davantage de peine. A chaque individu renseigné de ma maladie, j'avais le sentiment de devenir encore plus faible aux yeux des Autres, pour appartenir au clan des cancéreux. Cependant, il n'en demeurait que Thomas se devait de tout savoir si tel était son souhait. Il faisait partie de ma famille, via le volet militaire de ma histoire. « Un cancer, » je précise donc, après avoir interprété dans son regard une volonté d'obtenir une réponse plus développée.