Justine fut interrompue dans sa série par le ding de son téléphone portable. Au bruit elle devina qu'elle venait de recevoir un email. Elle déverrouilla l'écran en glissant son doigt dessus afin de lire ce qu'elle avait reçu. Elle était l'heureuse gagnante d'un cours de cuisine pour deux. Très honnêtement, elle ne se souvenait même plus d'avoir participé à ce concours, cela devait déjà remonter à il y a quelques semaines. En réfléchissant à qui elle pourrait emmener avec elle, Hassan se manifesta rapidement dans son esprit. Elle avait l'habitude de cuisiner avec Norah, et elle avait envie de changer un peu de compagnon de fouet. Elle se décida à lui passer un coup de fil pour avoir une réponse rapide. A son plus grand bonheur, son ami n'hésita pas à accepter sa proposition et la remercia d'avoir pensé à lui. Elle lui donna l'adresse du restaurant qui organisait le cours et raccrocha. Justine voulait quand même terminer son épisode avant de commencer à se préparer, elle n'appréciait pas de ne pas terminer une chose qu'elle avait démarré. Quelques minutes plus tard, l'infirmière se devait debout devant son dressing, à la recherche de quelque chose à porter. Inutile de mettre quelque chose auquel elle tenait, étant donné que la probabilité de se tacher était assez élevée. La blondinette cuisinait bien, mais elle était tout de même maladroite et la sauce tomate avait ruiné de nombreux vêtements. Elle opta pour un simple débardeur noir - sur lequel la tomate passerait inaperçue - avec un jean bleu. Tandis qu'elle s'habillait, elle réalisa qu'elle n'avait aucune idée de ce qui était prévu lors de ce cours, ni même si ce serait du salé ou du sucré. Elle enfila une paire de baskets pour être à l'aise et sortit de chez elle après s'être parfumée et avoir fait un dernier câlin à son matou. Elle roula jusqu'au restaurant qui était à Spring Hill et sortit de sa voiture. Elle se mit sur la pointe des pieds pour tenter de regarder par la fenêtre et apercevoir son ami. Ne le voyant pas, elle décida d'attendre sur le trottoir qu'il arrive.
Fut un temps où profiter du dimanche après-midi pour paresser n’aurait pas dérangé Hassan outre mesure. L’hiver surtout, il n’était pas rare que Joanne et lui ne décident, du temps de leur mariage, de profiter de cette demi-journée de repos pour se glisser sous un plaid et buller aurait été une activité totalement impensable pour Hassan un dimanche après-midi. Les grasses matinées depuis longtemps sacrifiées au profit du terrain de rugby sur lequel s’agitaient les enfants dont il avait la charge deux heures et demi par semaine, sa première moitié de journée à se dépenser et s’époumoner dans l’herbe l’empêchait d’envisager d’en passer la seconde moitié à ne rien faire, surtout s’il était seul. Bricoler, jardiner, enfourcher son VTT ou même simplement aller se balader au parc avec ses deux chiens, le brun avait besoin de se tenir occupé et considérait avec un mélange de fascination et d’incompréhension ceux qui parvenaient à enchainer les épisodes sur Netflix tout un après-midi sans bouger de leur canapé. Pour cette raison – et pour tout un tas d’autres – l’invitation de Justine à un cours de cuisine dont il n’avait pas bien compris le tenants et les aboutissants, si ce n’était qu’elle semblait l’avoir gagné via un concours quelconque, lui paraissait être une très bonne façon d’occuper un dimanche après-midi dont il n’avait pas encore déterminé le programme. L’entrainement terminé et tous les rugbymen en culottes courtes ayant été récupérés par un de leurs parents, le brun était repassé chez lui pour s’octroyer une douche nécessaire et troquer ses vêtements de sport pour l’indétrônable jean-tee-shirt – les manches courtes apparaissant toujours comme un indispensable lorsqu’il était question de mettre la main à la pâte. Littéralement. Vérifiant comme à chaque fois qu’il s’absentait que les gamelles d’eau de ses deux chiens étaient bien remplies, et que la baie vitrée de la cuisine était bien entrouverte pour leur permettre d’aller et venir dans le jardin, Hassan avait jeté un dernier regard machinal autour de lui et finalement attrapé blouson, casque et clefs de sa moto avant de filer.
Bien qu’il n’en soit pas un client régulier, il n’avait pas eu besoin du GPS pour rejoindre le restaurant de Spring Hill devant lequel Justine lui avait donné rendez-vous. Très prisé d’une partie du personnel d’ABC, tant par son côté fancy que par le fait qu’il se situait à moins de dix minutes de route des studios, l’Esquire était un lieu dans lequel l’enseignant s’était déjà rendu à quelques reprises, bien qu’il soit à titre personnel bien plus branché pubs traditionnels que restaurants feutrés. Leurs cuisines cependant devaient très certainement valoir le coup d’œil, et c’est avec un brin de curiosité qu’Hassan était finalement arrivé à bon port, garant sa moto un peu plus loin dans la rue sur un emplacement prévu à cet effet et parcourant les dernières dizaines de mètres qui le séparaient de sa destination à pieds au milieu des rangées de buildings si propres au quartier d’affaires de la ville. « Hey. » L’ayant vu arriver au loin, Justine lui avait fait signe de la main et avancé de quelques pas dans sa direction jusqu’à ce qu’ils se rejoignent. « Comment va ? Ça fait longtemps que tu m’attends ? » Un coup d’œil machinal à la montre lui avait néanmoins permis de vérifier qu’il était en réalité pile à l’heure, et s’il en croyait les deux femmes – la soixantaine bien engagée – assises sur le banc quelques mètres plus loin et jetant régulièrement des coups d’œil à la porte du restaurant, et le grand blond adossé à la façade dont le regard allait avec la régularité d’un métronome de l’écran de son téléphone au restaurant et à l’arrêt de bus de l’autre côté de la rue, ils ne seraient pas seuls. « Je réalise que je ne t’ai même pas demandé quel cours de cuisine c’était, au téléphone. » La réponse à cette question néanmoins était arrivée plus vite que prévu, puisque la seconde suivante un barbu à la chevelure poivre sel lui donnant une certaine bonhommie était venu ouvrir la porte du restaurant et les inviter à entrer – sur la dite porte, une affichette annonçait directement la couleur en proposant la photo de cinq éclairs aux glaçages multicolores. La pâtisserie française, donc, la plus difficile à maitriser et la seule qui nécessite assurément de se faire aider d’un professionnel.
L’intérieur du restaurant sentait le propre, et l’on devinait que l’établissement terminait à peine son nettoyage post service de midi. Leur indiquant un porte-manteau sur lequel laisser leurs affaires, celui qui serait visiblement leur interlocuteur avait aussitôt commencé « Allons, allons, déposez vos affaires et mettez-vous à l’aise. Nous sommes tous là ? » S’éclaircissant la gorge, le grand blond s’était manifesté en levant à demi la main « Il manque ma copine. Elle devrait pas tarder … Elle est toujours en retard. » Il avait cet air résigné du bonhomme qui n’espérait même plus changer ce trait de caractère chez sa dulcinée et se contentait juste de faire avec, et sans doute pour cette raison le maitre des lieux avait tenté de se montrer conciliant « Bon, en espérant qu’elle ne tarde pas trop. Que diriez-vous de visiter les cuisines pour commencer ? » Ne prenant pas le « non » pour une réponse envisageable, le bonhomme n’avait pas attendu après une quelconque réponse pour ouvrir la marche et les mener jusqu’à cette partie du restaurant dans laquelle ils n’auraient pas été admis en temps normal. « Vous aussi, vous avez gagné ce concours sur l’internet ? » D’humeur visiblement bavarde, l’une des deux grands-mères s’était adressée à Justine et Hassan avec un brin de curiosité. « Ma fille a gagné alors qu’elle n’aime même pas cuisiner. Alors elle m’a offert ses places, et je suis venue avec Linda. » Linda qui, pour se présenter, leur avait adressé un signe de la main et un sourire tandis que le petit groupe pénétrait dans les cuisines. « Je m’appelle Cheryl. Et vous ? » Y voyant une bonne idée, le chef avait emboité le pas et affirmé « Un petit tour des prénoms ne ferait pas de mal. Robert, en ce qui le concerne, mais je réponds plus facilement quand on m’appelle Chef. » avant de laisser échapper un rire, signe qu’il prenait sa dernière phrase pour une plaisanterie. Humour de cuisinier, à coup sûr. « Hassan. » avait de son côté indiqué sobrement le brun, avant de poser par réflexe sur le regard sur Justine.
Justine avait déjà acquis quelques compétences en cuisine. En vivant seule elle avait dû apprendre à cuisiner des repas variés pour éviter de tomber dans la monotonie des pâtes au beurre toutes les semaines. Malgré sa gourmandise, elle trouvait important d’avoir une alimentation équilibrée et elle ne négligeait pas les fibres dans ses habitudes. Son pêché mignon restait tout de même la pâtisserie, et dans ce domaine, il y avait toujours à apprendre. C’est donc comme ça qu’elle avait eu l’idée de chercher des cours de cuisine pour occuper son temps libre et qu’elle était tombée sur un concours. La pâtisserie française, les macarons, les mille-feuilles : en voilà des choses que la blonde ne maîtrisait pas, et elle adorait l’idée d’augmenter ses compétences et de pouvoir essayer de nouvelles choses. Elle espérait qu’Hassan serait aussi enthousiaste qu’elle à l’idée de cuisiner, ou du moins qu’elle arrivait à le rendre aussi emballé qu’elle en la matière. Elle qui détestait glander lors de ses jours de repos, elle avait maintenant une activité planifiée et même un compagnon pour la journée, que demander de plus ? L’idée de rester affalée dans son canapé toute la journée à enchaîner les épisodes de série ne l’enchantait franchement pas, et elle avait déjà été à la salle de musculation la veille alors elle ne voulait pas forcer avec son corps. La cuisine était un bon compromis pour s’occuper sans trop se fatiguer. Elle voulait quand même être en forme pour le réveil à 5h qui l’attendait le lendemain pour faire sa journée à l’hôpital, et avec ce programme elle savait qu’elle pourrait se coucher tôt le soir-même. Etant une grande gourmande par nature, Justine connaissait bien ce restaurant de Spring Hill qu’elle avait déjà fréquenté à plusieurs reprises. Elle aimait découvrir des nouveaux lieux pour manger, alterner les saveurs et les types de cuisine. Elle était particulièrement friande de nourriture italienne, mais la cuisine indienne était également bien classée. Le lieu où se déroulait le cours était plus un lieu de cuisine gastronomique. Ce n’était pas ce que la blonde préférait, notamment à cause de la trop petite quantité d’aliments qui étaient dressée dans une assiette souvent imposante. Elle mangeait rarement à sa faim ici, mais elle ne pouvait pas nier que leurs desserts étaient somptueux et délicieux. Avoir l’occasion d’apprendre quelques-uns de leurs secrets était gratifiant et elle voulait la saisir pour s’améliorer et en faire profiter, non seulement son propre estomac, mais également ses amis les plus proches. Justine attendait Hassan devant le lieu du cours, observant les gens qui s’approchaient, intrigués par l’affiche qui était sur la porte d’entrée et qui indiquait qu’un cours de cuisine avait lieu, et que le restaurant serait fermé pour l’après-midi. Il arriva au loin et elle leva la main pour être certaine qu’il la voit et s’approcha de lui « Hey. ». Elle sourit et lui fit la bise, posant la main sur son épaule « Coucou toi ! ». Ils se rapprochèrent de nouveau du restaurant, où quelques personnes avaient commencé à arriver. La blonde ne savait pas qu’il y avait plusieurs participants, mais il est vrai que cela semblait plus logique et plus rentable pour le restaurant de faire ça « Comment va ? Ça fait longtemps que tu m’attends ? ». Elle secoua légèrement la tête, le rassurant sur la question « Oh non ne t’inquiète pas, je suis arrivée il y a moins de dix minutes… Mais tu me connais, je suis toujours en avance ! ». Un sourire sincère à son ami « Je vais bien, et toi ? ». Elle analysa les autres gagnants du concours, essayant de rester discrètes. Deux femmes qui devaient probablement être venues entre amies, et un jeune homme qui visiblement n’avait pas encore été rejoint par son +1 qui était offert dans le lot du concours « Je réalise que je ne t’ai même pas demandé quel cours de cuisine c’était, au téléphone. ». Elle n’eut pas le temps de lui répondre qu’un homme arriva pour ouvrir la porte et invita toutes les personnes qui attendaient à rentrer. Ils s’engagèrent dans l’entrée du restaurant et Justine se tourna vers Hassan une fois que la porte fut fermée derrière le groupe « C’est un cours de pâtisserie, mais le genre de pâtisserie un peu compliqué… Mille feuilles, éclairs, macarons… ». L’homme qui les avait fait rentrer indiqua un porte manteau pour que chaque personne puisse se délester de ses affaires et l’infirmière déposa sa veste ainsi que son sac à main « Allons, allons, déposez vos affaires et mettez-vous à l’aise. Nous sommes tous là ? ». Justine regarda autour d’elle, constatant qu’ils n’étaient que 5. Peut-être qu’une des personnes n’avaient pas eu le droit de ramener un accompagnant. Le jeune homme qui était non accompagné se racla la gorge « Il manque ma copine. Elle devrait pas tarder … Elle est toujours en retard. ». Justine ne put s’empêcher de sourire, il avait l’air à moitié blasé de ce trait de caractère qu’il devait endurer chez la personne qui partageait sa vie « Bon, en espérant qu’elle ne tarde pas trop. Que diriez-vous de visiter les cuisines pour commencer ? ». La blonde se retourna vers le guide de l’après-midi et se mit à marcher derrière lui, le suivant à travers des lieux encore inconnus « Vous aussi, vous avez gagné ce concours sur l’internet ? ». Justine se tourna vers la femme qui avait posé la question et lui sourit gentiment « Oui, c’est moi qui ai participé, je ne pensais pas du tout gagner… Et j'ai embarqué Hassan dans cette histoire ! Et vous ? ». Elle ralentit sa cadence de marche pour être aux côtés des deux femmes et d’Hassan et poursuivre la conversation « Ma fille a gagné alors qu’elle n’aime même pas cuisiner. Alors elle m’a offert ses places, et je suis venue avec Linda. ». Elle porta son attention sur la deuxième femme, lui souriant pour lui montrer qu’elle était ravie de la rencontrer « Vous deviez être contente que votre fille n’aime pas cuisiner… C’est super qu’elle n’ait pas juste laissé le mail abandonné dans sa corbeille ! ». Justine savait que certaines personnes ignoraient ce genre de choses, participaient à des concours juste pour le plaisir de gagner mais ne réclamaient pas forcément les lots « Je m’appelle Cheryl. Et vous ? ». La blondinette ouvrit sa bouche pour répondre à Cheryl mais fut interrompue par le chef qui décida de saisir cette occasion « Un petit tour des prénoms ne ferait pas de mal. Robert, en ce qui le concerne, mais je réponds plus facilement quand on m’appelle Chef. ». Justine sourit, amusée par l’humour de cet homme « Hassan. ». Le tour des prénoms avait donc visiblement commencé « Justine ». Elle sourit aux personnes qui l’entourait, en terminant par son ami. « Cheryl » « Linda ». Le chef hocha la tête à chaque prénom et tourna la tête vers le jeune homme qui était le dernier « Julian, et ma copine qui arrive s’appelle Mélinda ». Un joli prénom, assez original, espérons que cette Mélinda finisse par se montrer. Le chef sourit à tout le monde avant de frotter ses mains ensemble « Très bien tout le monde, nous voici ici dans la cuisine principale, comme vous pouvez le constater tout est propre, je vous demanderai donc de visiter sans toucher, ce n’est pas ici que nous allons cuisiner. ». Une sonnette retentit et le chef leva son doigt « Sans doute notre Mélinda qui arrive, je vais lui ouvrir, attendez-moi ici. ». Il disparut de la cuisine d’un pas assuré. Justine se tourna vers Hassan « Ok, cet homme a l’air très sympa ! ».
Dans la mesure où il existait des thérapies basées sur tout un tas de choses, Hassan n’aurait pas été étonné d’apprendre un jour que la thérapie par la cuisine était une solution réellement utilisée pour soigner certains troubles – en vérité, lui-même y avait déjà trouvé des vertus insoupçonnées. Lorsque la solitude pesait trop lourd ou que la journée avait été particulièrement mauvaise ou diablement contrariante, le brun était capable de passer toute sa soirée en cuisine et de préparer de quoi nourrir un régiment quand bien même il n’engloutirait jamais tout cela seul ensuite, pour le plus grand bonheur des autres enseignants de l’université souvent invités à se servir lorsque le surplus terminait en salle des professeurs. Bien plus adepte du salé que du sucré, la pâtisserie était probablement le domaine dans lequel il possédait le plus de lacunes, la discipline ne permettant pas entièrement l'à peu près et les idées de dernière minute, au risque que la recette ne s’en trouve totalement gâchée par une erreur de dosage. Pour cette raison, et parce que son âme d’enseignant appréciait particulièrement l’idée d’apprendre, son enthousiasme avait été titillé de plus belle lorsque Justine lui avait indiqué « C’est un cours de pâtisserie, mais le genre de pâtisserie un peu compliqué … Mille feuilles, éclairs, macarons … » à l’instant où le maître des lieux les invitait à pénétrer dans le restaurant. Tous les convives se débarrassant de leurs blousons, manteaux, sacs à main et autres casques de deux-roues – du moins ce fut le cas d'Hassan – l’une des participantes avait entrepris de faire connaissance avec la blonde et le brun, engageant la conversation d’un air jovial et présentant l’amie avec laquelle elle était venue. « Oui, c’est moi qui ai participé, je ne pensais pas du tout gagner … Et j'ai embarqué Hassan dans cette histoire ! Et vous ? » avait en tout cas répondu Justine avec le même enthousiasme, se fendant d’un « Vous deviez être contente que votre fille n’aime pas cuisiner … C’est super qu’elle n’ait pas juste laissé le mail abandonné dans sa corbeille ! » lorsque la dénommée Cheryl avait déroulé de fil de ce qui les avait amenées jusqu’ici Linda et elle. Les présentations faites, le Chef préférant sans surprise être désigné ainsi et la retardataire du groupe néanmoins désignée par le biais de sa moitié, Robert s’était frotté les mains avec un brin d’impatience « Très bien tout le monde, nous voici ici dans la cuisine principale, comme vous pouvez le constater tout est propre, je vous demanderai donc de visiter sans toucher, ce n’est pas ici que nous allons cuisiner. » Alors qu’il s’apprêtait à ajouter autre chose néanmoins, un coup de sonnette l’avait interrompu. « Sans doute notre Mélinda qui arrive, je vais lui ouvrir, attendez-moi ici. » Inutile de dire qu’ils n’avaient de toute façon pas masse d’autres endroits où aller, mais puisque du bonhomme se dégageait déjà une autorité naturelle qui rendait encore moins surprenant le fait qu’il soit capitaine d’un navire – culinaire – l’assemblée avait hoché la tête avec docilité. « Ok, cet homme a l’air très sympa ! » s’était alors exclamée Justine une fois le concerné hors de la pièce, Hassan acquiesçant d’un signe de tête quand Linda s’était autorisé un bref gloussement et un murmure volontairement audible « Et bel homme, pour ne rien gâcher. » provoquant un « Oh ! » faussement choqué de Cheryl et un léger rire chez l’infirmière et l’enseignant. Ce dernier s’intéressant ensuite de nouveau à leur environnement, il avait fait quelques pas à travers la cuisine dont l’impeccable propreté était presque aussi intéressante à étudier que la foule d’ustensiles rangés par ordre de grandeur sur les étagères. « Ça c’est du piano de cuisine. » Imposant, mais diablement équipé – le genre qu’Hassan aurait rêvé d’avoir dans sa propre cuisine s’il avait eu l’espace suffisant. Mais sa cuisine lui plaisait telle qu’elle était, et les vieux souvenirs avec. « Je suis là ! Désolée du retard, d’habitude je suis toujours à l’heure … » Attachant à la va-vite ses cheveux avec l’élastique qu’elle gardait autour du poignet, la nouvelle venue n’avait rien vu du regard entendu que son cher et tendre avait échangé avec le reste de l’assemblée, et pour ne pas perdre plus de temps le chef avait enchainé directement. « Bien, où en étais-je … Ah oui, la propreté, donc. Vous me direz, pourquoi briquer aussi fort une cuisine qui sera de nouveau salie au prochain service ? Parce que ça aide à avoir l’esprit clair. Arriver dans une cuisine qui brille aide à mettre de l’ordre dans ses idées et dans son menu, alors qu’une cuisine sale aura l’air fouillis et votre esprit le sera aussi. » Se notant mentalement de repenser à cela la prochaine fois qu’il traînerait les pieds à l’idée de faire la vaisselle et hésitait à la reporter au lendemain, Hassan avait croisé les bras avec attention « L’équipe du service du soir arrivant dans deux heures il faut leur laisser le champ libre ici, raison pour laquelle nous ne cuisinerons pas là. Mais nous referons un saut par ici plus tard pour voir comment ça se passe, en attendant, c’est par là ! » Désignant une porte menant à une autre salle le chef les avait menés à la salle que le restaurant réservait généralement aux événements et aux groupes – ABC y avait déjà organisé un ou deux soirées. Trois longues tables avaient été recouvertes de nappes et de toute une panoplie d’ustensiles à pâtisserie, ainsi que des produits bruts essentiels à la confection de tout dessert qui se respectait « Est-ce que tout le monde a déjà manié une maryse et un rouleau à pâtisserie, ou bien est-ce qu’on a des novices ? » Sans surprise les deux retraitées semblaient être les plus calées du groupe en la matière, Julian se targuant lui d’être un très bon commis de cuisine quand Mélinda décidait d’enfiler sa toque de chef imaginaire. « Ça tombe bien, puisqu’aujourd’hui aussi vous allez fonctionner par binômes. Nous allons réaliser des éclairs, mais pas de banals éclairs au chocolat ou au café … Non, il faut être un peu plus inventif que cela. » Les moins doués du groupe diraient – à raison – que réaliser une pâte à choux correcte était déjà un challenge suffisamment inventif, mais il fallait savoir sortir des sentiers battus … Quant à Hassan, il s’était penché vers Justine pour murmurer sur le ton de la confidence « Je compte sur toi pour compenser mes lacunes, la pâtisserie française c’est pas du tout mon domaine d’expertise. » Il était capable de citer toutes les pâtisseries françaises de la ville pour avoir partagé dix ans la vie d’une femme qui en raffolait, mais cela s’arrêtait là et ses propres talents culinaires se situaient ailleurs. « Oh, c’est tellement un truc qui plairait aux petits à l’hôpital, un atelier cuisine … Après tout ils mangent déjà la pâte à sel. » Mais quel enfant n’avait jamais mangé de pâte à sel ? Aucun à la connaissance d’Hassan, même pas lui-même. « Vous êtes médecins ? » avait alors questionné Cheryl, dont les oreilles ne trainaient décidément jamais très loin. « Moi ? Oula, non, j’ai arrêté les cours de sciences nat’ au lycée. » qu’avait alors répondu Hassan en laissant échapper un léger rire. « Je suis juste bénévole dans le service où travail Justine, c’est elle la blouse blanche. » Bien qu’elle ne soit pas médecin non plus, soit, mais il la laissait développer elle-même si l’envie lui en disait.
La cuisine avait de nombreuses vertus aux yeux de Justine. C’était un moyen de s’évader, de se concentrer sur une tâche bien précise pendant parfois plusieurs heures d’affilée, et en oublier les soucis quotidiens ou les tracas un peu plus importants. C’était également un moyen de s’amuser, car il y avait tellement de choses qui pouvaient devenir amusantes en cuisine, que ce soit les ratés ou les moments de rires face à une consigne comprise différemment de la recette d’origine. Elle adorait aussi le côté découverte, car il y avait autant de spécialités que de pays différents, et les saveurs n’arrêtaient pas de surprendre son palais. Quand elle avait eu la chance de gagner ce concours, elle n’avait pas hésité à proposer à quelqu’un avec qui elle n’avait pas l’habitude de cuisiner, car c’était encore une fois, un autre aspect de la découverte. La visite de la cuisine avait été interrompue par l’arrivée de la retardataire et la blonde s’était empressé de commenter l’homme qui leur servirait de guide aujourd’hui « Et bel homme, pour ne rien gâcher. ». L’infirmière rit légèrement à la remarque de la femme, amusée par sa spontanéité et son franc parler « Oh ! ». La blonde reporta son attention sur Hassan qui marchait lentement dans la cuisine, le regard attentif à son environnement « Ça c’est du piano de cuisine. ». Elle le suivit, hochant la tête à sa remarque « Cette cuisine est vraiment impressionnante. ». Elle aurait aimé cuisiner ici tous les jours, avec autant de ressources, autant de place. Son appartement n'était pas minuscule, et sa cuisine n’avait rien à envier aux kitchenettes des studios, mais elle appréciait les cuisines des restaurants, qui laissaient entrevoir de plus grandes possibilités. Leur exploration fut interrompue par l’arrivée de la retardataire suivie de près par le chef « Je suis là ! Désolée du retard, d’habitude je suis toujours à l’heure … ». Le regard de son petit ami était lourd de sens et la blonde ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Elle reporta son attention sur le chef qui reprit ses explications là où il les avait laissé « Bien, où en étais-je … Ah oui, la propreté, donc. Vous me direz, pourquoi briquer aussi fort une cuisine qui sera de nouveau salie au prochain service ? Parce que ça aide à avoir l’esprit clair. Arriver dans une cuisine qui brille aide à mettre de l’ordre dans ses idées et dans son menu, alors qu’une cuisine sale aura l’air fouillis et votre esprit le sera aussi. ». Justine écoutait attentivement l’homme face à eux, approuvant le message qu’il faisait passer « L’équipe du service du soir arrivant dans deux heures il faut leur laisser le champ libre ici, raison pour laquelle nous ne cuisinerons pas là. Mais nous referons un saut par ici plus tard pour voir comment ça se passe, en attendant, c’est par là ! ». Le groupe s’avança vers la salle où allait avoir lieu les festivités et la blonde se sentit toute excitée par le cours qui allait commencer. Elle se sentait un peu comme une enfant le jour de Noël et elle avait hâte de manier les ustensiles de cuisine et apprendre de nouvelles choses pour cuisiner des délices sucrés « Est-ce que tout le monde a déjà manié une maryse et un rouleau à pâtisserie, ou bien est-ce qu’on a des novices ? » La blonde observa les réactions du groupe, qui semblait tous plus ou moins calés en la matière et hocha la tête pour montrer sa maîtrise en la matière « Ça tombe bien, puisqu’aujourd’hui aussi vous allez fonctionner par binômes. Nous allons réaliser des éclairs, mais pas de banals éclairs au chocolat ou au café … Non, il faut être un peu plus inventif que cela. ». La blonde s’approcha de la table, posant ses mains sur le bord, et écoutant les consignes. Le brun s’approcha d’elle et se pencha à son oreille « Je compte sur toi pour compenser mes lacunes, la pâtisserie française c’est pas du tout mon domaine d’expertise. ». Elle releva son visage souriant vers son ami « T’inquiète, on va faire une bonne équipe ! ». Elle pouvait être douée pour expliquer les choses et ce n’était pas un problème pour elle de reformuler les consignes si son ami ne les saisissait pas ou s’il avait besoin de précisions « Oh, c’est tellement un truc qui plairait aux petits à l’hôpital, un atelier cuisine … Après tout ils mangent déjà la pâte à sel. ». La blonde hocha la tête. C’était même sûr et certain qu’ils adoreraient. Il faudrait trouver des recettes qui ne provoqueraient aucune allergie ou intolérance, mais c’était envisageable « Ça peut être sympa, il nous faudrait pas mal de bénévoles pour tout ce qui est nettoyage et tout, mais ça peut-être une bonne idée ! ». Elle fut surprise par l’intervention de Cheryl qui avait écouté discrètement leur discussion et avait laissé sa curiosité prendre le dessus « Vous êtes médecins ? ». Hassan répondit plus rapidement que Justine et la blonde le laissa terminer sans lui couper la parole « Moi ? Oula, non, j’ai arrêté les cours de sciences nat’ au lycée. Je suis juste bénévole dans le service où travail Justine, c’est elle la blouse blanche. ». Elle sourit en hochant la tête et posa son regard sur Cheryl pour poursuivre la discussion « Je suis infirmière en pédiatrie, on fait souvent des activités avec des bénévoles pour distraire les enfants. ». Les femmes furent interrompues par le passage du chef qui distribuait à chacun les premiers ingrédients. Du sucre glace, du sucre blanc, des œufs, de la poudre d’amande, des gousses de vanille, du lait, de la farine et du beurre, le tout joliment disposé dans un panier en osier « On va commencer par des macarons à la vanille, ce n’est pas le plus compliqué mais c’est quand même important à maîtriser ! ». Il s’éloigna pour aller se placer derrière la table principale, faisant face à tous les cuisiniers en herbe. Justine se retourna vers Cheryl, curieuse de savoir qui était cette femme « Et vous ? Vous travaillez dans quoi ? ». Elle était peut-être retraitée, mais Justine préférait que cette information vienne d’elle plutôt que ce soit elle qui le dise peut-être à tort.
De par le cadre dans lequel il avait grandi, on aurait pu craindre d'Hassan qu’il n’appartienne à cette tranche de la population masculine persuadée que la cuisine était une affaire de femmes et qu'eux, hommes viriles, n’avaient pas à se mêler de ces choses-là. Le brun n’avait d’ailleurs pas souvenir d’avoir un jour vu son père derrière les fourneaux – et pour cause, ce n’était jamais arrivé – et si enfant Hassan s’était comme tous les bambins fait un plaisir d’aider sa mère à touiller une soupe qui n’en avait pas besoin où à décorer des pâtisseries pour leur apporter une touche finale qui, à défaut d’être belle était enfantine, l’arrivée dans l’adolescence l’avait éloigné de cette tradition … et aussi triste que cela puisse paraître, il ne serait donc probablement jamais devenu le cordon bleu qu’il était si ses parents étaient restés en vie. Mais du haut de ses quinze ans et son frère à peine majeur ils avaient dû apprendre à se débrouiller seuls, à tenir un foyer, et au jeu des préférences personnelles Hassan s’était découvert un intérêt pour la cuisine bien supérieur à celui de Qasim. La pâtisserie néanmoins restait le domaine dans lequel il avait le moins de maîtrise, bien plus à l’aise avec le salé, et s’il savait réaliser les basiques l’art de la pâtisserie française lui paraissait à première vue bien au-delà de sa zone de confort. « T’inquiète, on va faire une bonne équipe ! » lui avait néanmoins assuré Justine d’un ton confiant, tandis que la seconde suivante l’attention du brun dérivait déjà vers le lieu où ils avaient le plus l’occasion de se fréquenter, et vers les patients hauts comme trois pommes qui tâchaient de ne pas y perdre pieds. « Ça peut être sympa, il nous faudrait pas mal de bénévoles pour tout ce qui est nettoyage et tout, mais ça peut-être une bonne idée ! » Y allant d’un signe de la main qui sous-entendait que le problème n’en était pas véritablement un, Hassan avait assuré avec une confiance peut-être un peu excessive « T’inquiètes, c’est large faisable ça. » mais on ne se refaisait pas : il avait bien plus confiance en la bonté de gens que la moyenne. Et puis Juliana serait sûrement partante, de même que Yasmine, et Rhett et Tad ne sauraient pas lui dire non s’il insistait un peu – l’argument « Justine sera là » suffirait même probablement à faire plier le second. Ne pouvant réprimer sa curiosité, Cheryl avait mis son grain de sel dans la conversation et hasardé sur leurs métiers à tous les deux avec les quelques éléments grappillés en les écoutant. Et si Hassan avait démenti, sa foi en l’être humain ne l’ayant paradoxalement jamais fait envisager un seul instant une quelconque carrière dans le médical, Justine avait de son côté confirmé « Je suis infirmière en pédiatrie, on fait souvent des activités avec des bénévoles pour distraire les enfants. » avec un sourire. Avant que le duo de femmes n’aient pu rebondir, le chef était passé entre les tables pour distribuer le nécessaire à leur première recette, annonçant du même coup « On va commencer par des macarons à la vanille, ce n’est pas le plus compliqué mais c’est quand même important à maîtriser ! » et regagnant sa place une fois tous les binômes dotés de leur panier garni. Pas le plus compliqué. Ah. Très peu convaincu que pondre des macarons qui soient à la fois bons et visuellement jolis soit une si mince affaire, le brun avait néanmoins gardé pour lui son penchant défaitiste tandis que Justine renvoyait la balle à la table voisine « Et vous ? Vous travaillez dans quoi ? » Alors que son amie inspectait consciencieusement le contenu du panier, Cheryl avait laissé échapper un bref rire « Oh vous êtes mignonne. Mais je ne suis plus toute jeune vous savez … Avant j’étais photographe animalier, toujours ici et là, mais maintenant je profite un peu de ma retraite et de mes petits-enfants. » Souriant d’un air attendri, Hassan avait accueilli avec plus de surprise la suite de sa tirade « Linda en revanche travaille toujours, n’est-ce pas Lin' ? » Relevant la tête vers eux, la concernée avait remonté ses lunettes sur son nez et acquiescé dans un sourire. « Effectivement. J’ai un peu de mal à décrocher paraît-il. » Reposant le paquet de sucre, elle avait secoué la tête. « Je suis directrice d’école primaire, ce sont mes petits-enfants à moi. » S’apprêtant à faire remarquer le point commun qui les liait, travaillant l’un et l’autre dans l’enseignement, le brun n’en avait cependant pas eu le temps car le chef les avait rappelés à l’ordre. « On lambine un peu par ici, dites donc. » Chacun avait dès lors tenté de se reconcentrer, de retrousser ses manches et de se mettre à l'ouvrage.
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« Non mais en vrai, ils sont bons. » La partie dégustation était sans conteste celle dans laquelle ils étaient tous le plus à l’aise. « Moches, mais bons. » Et il savait de quoi il parlait, à défaut de savoir les réaliser à la perfection Hassan, du temps de son mariage, avait suffisamment sondé les pâtisseries de Brisbane proposant des macarons pour en avoir goût les meilleurs ; Et ceux que Justine et lui venaient de produire ne se défendaient pas trop mal gustativement parlant, malgré leur circonférence irrégulière et leurs quelques craquelures. « Le visuel est une question d'entraînement. » avait d’ailleurs assuré le chef à ce sujet. Mordant à nouveau dans le sien, le brun était au demeurant plutôt satisfait de leurs efforts. « Je te propose qu’on se garde ça pour le dessert ... » Par ça il faisait référence aux éclairs pistache-miel-amandes préparés par la suite, et à l’allure beaucoup plus engageante – et quand on connaissait la difficulté de confection d’une bonne pâte à choux, ce n’était pas peu dire. « J’ai peut-être malencontreusement cuisiné pour un régiment hier soir, tu aimes le risotto aux crevettes ? » Il s’agissait d’une invitation, si elle en doutait. « Enfin, si tu n’as rien de prévu bien sûr. » Un dimanche soir, elle ferait assurément partie des exceptions, mais elle faisait peut-être partie des chanceux.