Libre. Libre, ce simple mot qui donne tout son sens, qui offre ce goût de renouveau, ce parfum qu'on a trop peu connu. Libre, cinq lettres qui comptent désormais aux yeux de la blonde. Libre, un mot qu'elle a toujours espéré se l'approprier. Ces longues heures à passer derrière la barre, à parler, expliquer ses démons à des inconnus bien trop curieux, à d'autres victimes, aux côtés de ce qui défende les pires ordures, à celui dont elle n'a jamais voulu qu'il apprenne. Le regarder dans les yeux tout le long de ses explications, où le regard se perdait trop loin dans ses magnifiques yeux à s'évader pour quelques minutes seulement, mais quelques minutes qui lui sauvèrent la vie plus d'une fois. La gorge serrée, les larmes qui lui brûlent les yeux criant de vouloir glisser sur ses joues en porcelaine, la voix tremblotante comme si à tout moment elle aurait pu s'évanouir ou crier ce qu'elle ressentait au plus bas. La vision d'horreur de le revoir, ce souhait qui, finalement, ne s'est jamais réalisé de ne plus être en face de lui. Entendre sa voix, celle qu'elle avait réussi avec brio à oublier, repenser ainsi à tout ce qu'il lui a susurré à l'oreille tandis qu'une main caressait dangereusement son avant-bras. Puis l'heure de la délivrance. Les derniers coups du juge, les dernières décisions du juré pour le sort de l'agresseur, pour le futur de Zelda. Et c'est entendant le dernier verdict que ses jambes ont lâché. À croire qu'elle n'a jamais vu ce verdict comme une évidence, à croire qu'elle pensait au plus profond qu'une fin heureuse ne serait jamais envisageable pour elle. C'est dans les bras de son agent qu'elle pouvait enfin vider ses yeux de toutes ses grosses larmes chaudes contre son épaule, à l'enlacer si fort au point de l'étrangler, mais jamais il s'en est plein. Lui qui essayait de la réconforter, répétant sans cesse que son cauchemar est fini qu'elle pouvait enfin se réveiller, commencer une nouvelle vie sans lui avec l'esprit libre. Elle qui lui a promis de ne plus pleurer en face de lui, s'accrochant le plus possible à ce qu'elle a éternellement rêvé. Entre ses pleurs, Zelda sentit plusieurs longs baisers déposés contre son crâne, au départ elle était convaincue que son imagination lui jouait des tours, mais la sensation des lèvres de Gabriel lui paraissait de plus en plus présente.
La blonde voulait rester comme ça, dans cette longue et interminable étreindre sous le regard de plusieurs personnes qui se doutaient sûrement de quelque chose, mais au diable les suppositions, les rumeurs, les bras et les baisers de Gabriel étaient ce dont elle avait besoin. Elle lui chuchote incessamment des remerciements brèves sans lui dire que Zelda était persuadé qu'en écoutant son témoignage, qu'en racontant les atrocités qu'elle a vécu, son agent la verrait d'un autre œil, mais voilà encore une preuve qu'elle devrait arrêter de croire ses peurs les plus folles. Gabriel est le premier à mettre fin à leur étreindre, la paume de ses deux mains sur chacune des joues toutes rouges de sa protégée et de ses doigts gracieux, il chassa ses dernières larmes. Et c'est en se regardant ainsi que la blonde comprit qu'elle n'a pas été la seule à pleurer. Le paysage de la ville australienne lui défilait devant ses yeux à une allure, ne voyant ainsi que la couleur des lumières se dessinait contre la vitre de la voiture. L'horloge de sa montre indique qu'il se fait déjà tard, mais ce n'était pas une grande surprise pour Zelda en songeant aux repas qu'elle venait de partager avec Gabriel et Jameson, celle qui lui a offert une porte grande ouverte pour s'échapper de son passé. Une idée venue tout droit de son agent, celui-ci qui a tout organisé pour fêter la victoire du procès de sa protégée accompagnée par celle qui lui a donné toutes les possibilités réalisables. Durant ce dîner Zelda essaya d'oublier la lourde tâche qu'a été pour elle le procès, tentant tant bien que mal d'effacer de sa mémoire ce qu'il avait bien pu sortir comme mensonges pour ne pas être vu comme pour le méchant de toute cette histoire. Cela n'a jamais été facile, mais avec la compagnie de deux personnes dont elle savait que la confiance régnait, rien ne pouvait plus lui faire peur désormais. Si ce ne sont les bras de Morphée. Effrayée à l'idée d'en faire encore des cauchemars entraînant ainsi des crises d'angoisse, son agent allait devenir le gardien de ses nuits. C'est avant le rendez-vous au restaurant que Zelda lui expliqua sa crainte de faire une crise qu'elle lui demanda à ce qu'il reste dormir à ses côtés cette nuit. Sa personnalité défaitiste lui sonne à l'oreille que ce serait impossible qu'il accepte, mais elle ne fut guère surprise d'entendre le contraire.
Dans la voiture pesait une atmosphère quelque peu tendue, distante entre les deux amis proches, à croire qu'aucun d'entre eux ne savaient quoi dire. Seul le bruit de la radio résonnait en fond et les musiques faisaient écho dans le crâne de la blonde lui rappelant soudainement leur séjour au Japon. Depuis ce qu'il s'est passé devant la porte de sa chambre hôtel, aucun n'a osé en parler ni même y glisser des indices dans leur discutions. Ce baiser ne restera qu'un vieux souvenir enfoui avec les autres où l'on croise les doigts pour ne jamais y repenser. Trop tard, la sensation de gêne envahie le corps de Zelda, essayant de se concentrer sur les immenses immeubles qui se dressaient devant elle. Encore aujourd'hui, la trentenaire regretta grandement ce qu'elle avait fait, ce qu'elle avait commis. Un baiser n'est jamais un acte prudent et elle le savait trop bien. Un baiser veut toujours dire quelque chose, en cacher un autre, seulement elle ne trouvait rien pour comprendre ce qu'elle avait fait. S'arrêtant simplement sur le fait que l'atmosphère y était. Le chemin de son appartement apparaît petit à petit devant ses yeux sans indiquer un seul instant la direction à Gabriel, après tout, il la connaît par cœur. La clé de sa demeure entra dans la serrure, tournant deux fois pour la déverrouiller et une fois dedans c'est la délivrance. Sans prendre la peine de se baisser vers ses pieds que Zelda se débarrassa aussitôt de ses talons hauts. Elle referma à double tour son appartement une fois que Gabriel y entra et une certaine créature toute poilue vient lui souhaiter la bienvenue. Son berger australien se fait vieux alors un simple bisou entre ses oreilles et une courte caresse lui suffit avant qu'il ne retourne sur son coussin préféré. La vision de son salon lui raviva d'un sentiment heureux, d'un sentiment de bien-être, comme si elle a toujours rêvé d'y poser les pieds dès le début du tribunal. Son bercail signifie tout pour elle ; un lieu de détente et un lieu dont elle ne pourrait jamais s'en séparer et dont elle hait la quitter le matin pour partir travailler.
« Je vais me servir un verre d'eau, tu en veux ? » Qu'elle annonça en direction de Gabriel. C'est après sa réponse que ses jambes la dirigent vers sa grande cuisine ouverte sur le salon afin de s'hydrater après une longue journée. Zelda tend le verre vers Gabriel et n'attendit pas plus longtemps avant de finir en une traite son eau glacée et de s'en servir à nouveau. « God, feels so good » Si elle le pouvait, elle baignerait son corps entier dans un bain gelée même en plein hiver d’Australie tellement elle avait chaud. « L'idée du restaurant était très bonne, à croire que tu es rempli de bonnes idées. Et puis revoir Winters après tout ce temps, m'a fait un bien fou. » De longs mois se sont écoulés après son rendez-vous dans son cabinet, après avoir rencontré une femme aussi extraordinaire qu'elle et qui a su l'écouter et l'aider sans poser de questions. Puis elle pense aux autres femmes extraordinaires, celles qui ont aussi été le jouet préférée à torturer de ce salaud, celles qui ont été là pour le jour du procès à encourager Zelda, celles qui, les larmes aux yeux, l'ont remercié pour les avoir sauvé. Ce sentiment-là, Zelda ne l'aimait pas. Oui, elle a décidé seule de porter ce lourd fardeau afin de se libérer, mais surtout de les libérer toutes de son emprise, mais jamais elle ne se verra comme un de ses héros qui sauvent des vies. Elle ne l'est pas et ne le sera jamais. Son ventre se tord dans tous les sens à se demander que seront les gros titres des journaux demain, à se questionner sur combien de coups de fil elle recevra pour des interviews. Zelda n'est pas héros, elle aura seulement fait ce qu'elle a toujours dû faire : agir. La trentenaire attacha ses cheveux d'or d'une simple queue de cheval avant de tremper une nouvelle fois ses lèvres dans son eau. « Cela a été une longue journée, hein ? » Elle se mord les lèvres, se frotte les yeux. « Désolée, c'est juste que... » Elle cherche les mots justes ; « C'est juste que... que je ne pensais que ça arriverait. Moi qui décide de porter plainte, l'avocate qui accepte de m'aider, le procès, les journées entières à le préparer ce foutu procès, à recueillir les témoignages et à gagner. Bordel de merde Gabriel, j'ai gagné le procès ! Cet enfoiré va se retrouver derrière des barreaux et moi, je vais pouvoir vivre ma petite vie tranquille. Alors, pourquoi ?! Pourquoi je n'arrive pas à m'y faire ? » Rien ne pouvait l'arrêter à présent, comme si elle pouvait enfin extirper tout ce qu'elle a sur le cœur. « Excuse-moi, je me suis un peu emportée.. »
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
L’atmosphère dans la voiture est tendue et beaucoup plus lourde qu’elle ne devrait l’être dans les circonstances. Même notre chauffeur a abandonné l’idée de nous faire la conversation. Il s’est contenté de mettre la radio et nous lance de temps à autre des regards intrigués par le biais du rétroviseur. Le fantôme de notre voyage au Japon et de ce baiser volé à la porte de la chambre d’hôtel de Zelda flotte entre nous sur la banquette moelleuse de la berline. Depuis cette soirée, j’ai essayé autant que possible d’éviter de me retrouver seul avec Zelda, sauf au boulot. Je n’ai pas eu à travailler très fort pour y arriver. Je crois qu’elle m’évitait un peu, elle aussi. Cependant, toutes mes bonnes résolutions se sont écroulées tout à l’heure quand, les yeux encore pleins de larmes, elle m’a demandé de rester avec elle ce soir. Je n’ai évidemment pas été capable de refuser, même si mon instinct me criait que ce n’était probablement pas l’idée du siècle. Dans le silence relatif de l’habitacle, j’ai du mal à chasser le tourbillon de pensées. Le souvenir de ses lèvres sur les miennes et de son corps pressé contre le mien se mélange à l’inquiétude et à la confusion que j’ai ressenti une fois la porte de sa chambre refermée. Je n’ai tiré qu’une seule certitude de cette histoire : je ne sais pas ce que je veux. Et ça me terrifie. J’ai toujours été du genre à prendre des décisions rapidement. Je ne réfléchis pas longtemps avant de me faire une idée et, une fois qu’elle est bien incrustée dans mon cerveau, elle est habituellement indélogeable. Ce n’est pas le cas ici. Un jour, je me dis que je pourrais tenter le sort, lui révéler mes sentiments et voir où tout cela pourrait nous mener. Et puis le lendemain, je me rappelle que ça serait une horrible idée, que je mettrais en jeu notre bonne entente professionnelle et amicale pour un échec annoncé. À part me donner de désagréables migraines lorsque je m’y attarde trop longtemps, tout ce beau mélange d’émotions ne fait que me confirmer que je ne suis vraiment pas doué pour ce genre de choses.
Heureusement pour mon cerveau qui commence à surchauffer, la voiture finit par s’arrêter en douceur devant l’immeuble de Zelda. Je remercie notre chauffeur et m’empresse de sortir. Je masse mes tempes douloureuses en emboîtant le pas à la jeune femme. Elle ouvre la porte et s’engouffre dans son appartement. Le comité d’accueil à quatre pattes débarque presque aussitôt. Même si avec le temps, j’ai appris à faire confiance à Loki (depuis le jour où il a compris que j’ai besoin d’espace), je ne suis toujours pas fan des gros chiens. Je m’abstiens donc de le caresser, ce qui n’a pas l’air de le vexer outre-mesure. Satisfait de l’attention qu’il a reçu de sa maîtresse, il retourne se coucher dans le salon en m’ignorant complètement. Je suis Zelda dans la cuisine. Elle m’offre un verre d’eau que j’accepte d’un hochement de tête. Pendant qu’elle les remplit, je retire mon veston et le dépose sur le dossier d’une chaise. Comme je me suis débarrassé de ma cravate dès que je suis sorti de la salle d’audience – je déteste ces instruments de torture – je n’ai plus qu’à rouler les manches de ma chemise pour me mettre tout à fait à l’aise. « L'idée du restaurant était très bonne, à croire que tu es rempli de bonnes idées. Et puis revoir Winters après tout ce temps, m'a fait un bien fou. » Je prends une gorgée d’eau en souriant. « C’est ce que je me tue à te dire, j’ai juste de bonnes idées! » Sauf quand j’en ai des mauvaises, évidemment, mais ça, je ne le reconnaîtrai jamais. C’est au-dessus de mes forces… et puis ça arrive tellement rarement. « Je suis content de l’avoir rencontrée. Je comprends que tu lui aies fait confiance. » La personnalité franche de Jameson m’a tout de suite plu et j’ai sincèrement apprécié qu’elle se joigne à nous même si ça n’avait pas vraiment été prévu à la base. « Cela a été une longue journée, hein? » Je fais signe que oui. Interminable, même. J’ose à peine imaginer à quel point elle doit être crevée.
Elle cherche un peu ses mots, mais quand ils commencent à sortir, c’est un véritable déluge de paroles qui jaillit de sa bouche. J’attends d’être certain qu’elle a terminé pour m’avancer vers elle et poser les mains sur ses épaules, que je presse doucement en un geste que j’espère réconfortant. « Je crois que tu as bien mérité le droit de t’emporter. C’est normal, c’est encore tout nouveau. Ça fait à peine quelques heures que tu es complètement libre. C’est rien après des années complètes de stress et d’inquiétude. Donne-toi le temps. » Je retire mes mains de ses épaules et me tourne vers le sac en tissu que j’ai laissé sur le comptoir ce matin en passant la chercher pour l’amener au palais de justice. « Je pense que tu as besoin de te changer les idées. Et j’ai justement ce qu’il te faut. » Je dénoue les poignées du sac et en tire une boîte de gants jetables, un bol, un pinceau et, enfin, trois bouteilles de teinture que je pose sur le comptoir devant Zelda. Je ne savais pas trop quelle teinte de rose lui plairait le plus, aussi j’ai acheté toutes celles sur laquelle j’ai pu mettre la main dans le magasin de produits de coiffure où je suis allé. « Si t’as envie d’une nouvelle tête, c’est le moment. Ton génie est prêt à exaucer ton voeu. » J’agite les doigts comme si je me préparais à faire un tour de magie. J’entends d’ici les patrons gueuler à l’idée que moi, un mec qui n’a absolument aucune expérience en coiffure, risque la tête et, donc, le gagne-pain, de l’une des top-modèles les plus lucratives de l’agence, mais je m’en fous. L’occasion est trop belle de s’amuser. De toute façon, la femme qui m’a vendu les produits m’a dit qu’il n’y a essentiellement pas de risque à utiliser seulement la teinture. S’il avait fallu décolorer sa chevelure avant, ça aurait été une autre paire de manche, mais puisqu’elle est déjà blonde, ça devrait être assez simple. N’empêche, j’espère qu’elle aura envie de se prêter au jeu... et que je ne me ridiculiserai pas en voulant jouer les apprentis génies.
Zelda n'a jamais été une personne expressive. Préférant garder toutes ces choses en elle, il y a un moment où elle n'y arrive plus à les contenir alors quand ça sort, ça explose. Ce n'est pas de sa faute, après tout, elle a été élevée comme cela. Dans sa culture, il est toujours préférable de ne pas montrer ces émotions ni même durant un enterrement. Alors, au fil du temps elle s'y est fait, elle s'est construite une barrière qui pouvait empêcher ses sentiments de traverser. C'est peut-être pour ça que ses relations n'ont jamais marché. En y repensant, ils et elles ont toujours remis la faute sur l'Asiatique durant leurs nombreuses disputes. C'est en y songeant qu'elle se dit qu'elle a sûrement un problème, que les longues relations ce n'est pas et ne sera sûrement jamais sa tasse de thé. Il faut dire qu'elle n'a jamais trouvé sa perle rare que des visages qui deviennent des inconnus du jour au lendemain. Alors, elle essaie de prendre un peu plus l'habitude d'exprimer ce qu'elle ressent. Elle tente de devenir quelqu'un de bien pour ne plus être jeté comme un vieux papier déchiré. Zelda repense aux mots qu'elle vient déballer à vive allure sans réellement y avoir réfléchi et tout ça devant son ami. Son excuse est encore amère dans la bouche. Pourquoi s'excuser ? Cela n'a jamais été de sa faute. La trentenaire en a marre de cette culpabilité mal cachée, de ce côté un peu trop gentil à se pardonner pour tout, mais aussi pour rien. Elle fronce des sourcils comme pour imiter une soudaine migraine. Elle sent Gabriel s'approcher de plus en plus vers elle et la sensation de chacune de ses mains contre ses épaules la rassure déjà. Il la réconforte sur sa soudaine crise, lui dit que tout ça n'est guère de sa faute et pourtant elle a toujours l'impression que ça l'est.
Elle regarde son ami fouillait dans son sac après qu'il lui ait annoncé un moyen qui pourrait lui remonter le moral. Un peu trop curieuse, elle se pense en avant afin de voir de quoi il s'agissait avant qu'il ne le montre. Malheureusement, elle ne voyait rien, même pas un centimètre de sa surprise. « Si t’as envie d’une nouvelle tête, c’est le moment. Ton génie est prêt à exaucer ton vœu. » C'est en entendant ces mots que Zelda comprit son petit jeu. Les yeux grands ouverts par l'effet de surprise, à croire qu'elle ne s'attendait pas à ça. Gabriel sort alors trois teintures différentes pour les cheveux de couleur rose, la couleur dont ils avaient discuté au Japon en parlant de la possible victoire au tribunal. Le grand sourire sur ses lèvres, la trentenaire regarde son ami avec tendresse. Zelda s'approche de lui, mais surtout des teintures afin de les voir de plus près la plausible cause d'un massacre capillaire, mais surtout pour choisir qu'elle teinte elle préférait. « Je choisis celui-ci. » Une couleur rose pastel fut son choix décisif. Le fait qu'il n'a pas oublié sa promesse de génie pouvait passer outre la perte de ses cheveux. Bien évidemment, ce n'est qu'une teinture semi-permanente, celle qui s'enlève au fur et à mesure avec des shampoings. Cela ne fait pas longtemps que sa tignasse blonde est apparue, Zelda ne voudrait pas lui dire adieu aussi tôt.
« Tu t'en es souvenu. Merci beaucoup, ça me touche énormément ! » La blonde remercie son ami de tout son cœur, mais sans attendre une seule seconde pour lire la notice. « Bon ! » S'exclama-t-elle soudainement, le dos droit et les yeux rivés vers Gabriel, le regard malicieux. « Mon rendez-vous chez le coiffeur peut commencer. » Elle lui indique de l'attendre dans sa salle de bain le temps qu'elle change de haut pour un dont il pourrait tâcher sans regrets. Zelda décida pour un t-shirt noir simple, elle changea aussi de pantalon par prévision et pouvait désormais rejoindre son coiffeur personnel du soir. Sa salle de bain était assez immense pour improviser une séance de coiffure devant son miroir mural. C'est après un brossage de cheveux assez intense, afin de ne pas oublier une seule mèche que la blonde pouvait enfin prendre place sur une chaise que Gabriel a pris du salon et se voir poser une serviette sur ses épaules. « Manager, chanteur, maintenant coiffeur. Que ne sais-tu pas faire López ?» Elle ricane sur ses talents de coiffeur, talent dont personne ne s'en douterait, mais surtout dont personne n'a vu aucun à ce jour. C'est une première de voir Gabriel derrière un mannequin pour la coiffer, lui qui a surtout l'habitude d'être spectateur et donner son avis. La blonde (plus pour très longtemps) regarda avec attention son ami mélangeait avec énergie la teinture et le mélange qui l'accompagnait. Dans le petit contenant la couleur, était magnifique, encore fallait-il qu'elle fasse de même sur sa chevelure. Le moment fatidique arriva et Zelda eue l'idée d'immortaliser le premier coup de pinceau sur ses racines par une photo. « Plus aucun retour en arrière maintenant. Je suis vouée à avoir les cheveux rose pastel. » Elle scrute avec concentration le reflet de son ami qui est en train d'enlever sa tignasse blonde. Zelda a toujours aimé jouer avec ses cheveux quand bien même son coiffeur de l'agence n'aimait pas ça. Toujours indécise, elle peut être blonde le lundi puis redevenir brune le mercredi et pourquoi pas devenir rousse le week-end qui arrive. Il faut dire qu'elle a de la chance, ses cheveux se portent bien grâce aux professionnels qui en prennent soin, alors elle peut jouer. Beaucoup l'aiment en brune, d'autres la préfèrent en blonde, elle, elle en sait rien. Depuis son enfance, ses cheveux sont d'un noir intense, comme beaucoup d'Asiatiques, alors l'idée d'en faire ce qu'elle veut la ravie. « Tu me préfères brune ou blonde ? Enfin, d'une manière générale, tu préfères les brunes ou les blondes ? » Gabriel, lui, de son côté à fini par s'y habituer de ses changements soudain capillaire au point de ne plus faire gaffe. Et à chaque fois, c'est le même compliment ; "ça te va bien", mais sans jamais réellement savoir s'il le pense vraiment. Alors, c'était le moment idéal de savoir.
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Zelda n’a pas compris où je voulais en venir avant de voir les bouteilles de teinture. Fier de ma surprise et de mon effet, je souris tout grand en la voyant s’animer, une étincelle de joie dans les yeux. Peut-être qu’elle pensait que j’avais oublié, ou alors que je ne dirais rien vu que de ramener le sujet sur la table nous ramènerait forcément à ce voyage au Japon dont nous n’avons jamais reparlé parce qu’on essaie d’oublier ce qui s’est passé. Cependant, je me fais un point d’honneur de tenir mes promesses autant que possible et je n’allais certainement pas en briser une qui concerne une chose aussi importante que la victoire écrasante de ma protégée contre son agresseur. Zelda observe les bouteilles un instant avant de porter son choix sur la teinte pastel. Je hoche la tête en attrapant ladite bouteille et en remettant les deux autres dans le sac en tissu. « Tu t'en es souvenu. Merci beaucoup, ça me touche énormément! » J’ai envie de lui dire que oui, je m’en suis souvenu, et d’ajouter en blaguant que je ferais n’importe quoi pour elle, sauf que c’est un peu trop près de la vérité à mon goût alors je me contente d’hocher la tête. Mon silence ne semble pas la gêner pour autant, car elle m’entraîne vers la salle de bain, où, après avoir déclaré la séance de coiffure ouverte, elle m’abandonne momentanément pour aller se changer. Je n’ai pas pensé à apporter de vêtements de rechange. Je baisse le nez vers ma chemise blanche, songe un instant à l’enlever pour éviter de la tacher puis me ravise. Mieux vaut ne pas se mettre à jouer à ce petit jeu dangereux. Avec mes manches roulées et beaucoup de précaution, je devrais m’en sortir sans trop de mal. J’organise mon matériel sur le comptoir, le petit bol, les gants, le pinceau et, enfin, la bouteille de teinture. Je me rends compte qu’il n’y a nulle part où Zelda pourrait s’installer sauf, peut-être le rebord de la baignoire – ce qui ne serait pas très confortable, ni pour elle ni pour moi – alors je ressors vite fait de la salle de bain et vais en piquer une dans le salon. Je la place devant le miroir. Je me plonge ensuite le nez dans le feuillet d’information pour parcourir les directives. C’est assez simple, tout compte fait. Le produit est déjà mélangé, je n’ai qu’à l’appliquer uniformément sur la chevelure de Zelda. Cette étape terminée, il nous faudra attendre une vingtaine de minutes avant de rincer le tout, et puis voilà le tour est joué.
La jeune femme revient sur ces entrefaites, vêtue beaucoup plus simplement qu’avant. Elle s’installe à sa place et entreprend de démêler sa tignasse blonde. Sa couleur actuelle lui va vraiment très bien et j’ai presque un pincement au cœur à l’idée de la recouvrir de rose pastel. Une promesse est une promesse, toutefois, alors je m’applique à verser une bonne quantité de teinture dans le petit bol. Je suis loin d’être un professionnel, mais vu la longueur de sa chevelure, j’estime qu’il me faudra probablement utiliser au moins la moitié de la bouteille. « Manager, chanteur, maintenant coiffeur. Que ne sais-tu pas faire López? » J’esquisse un sourire amusé en lui jetant un coup d’œil par le biais du miroir. « Pour toi, je saurais tout faire, tu le sais bien. » J’enfile les gants jetables et plonge le pinceau dans la teinture, puis, placé derrière Zelda, j’observe sa chevelure en me demandant par où commencer. Un peu nerveux, je décide pourtant de me lancer. Choisissant une section de cheveux un peu au hasard, j’étends lentement la couleur. Enthousiaste, elle décide d’immortaliser le moment avec un selfie et je fais un pas en arrière pour m’assurer de ne pas être dans la photo, car je me doute qu’elle postera le cliché sur Instagram. Une fois le premier coup de pinceau donné, c’est moins stressant et je finis par trouver mon rythme. Au bout de quelques mèches, je me sens à peu près à l’aise… jusqu’à ce que Zelda relève les yeux pour croiser les miens dans le miroir et me demande si je préfère les blondes ou les brunes. Une blague se dresse sur le bout de ma langue et normalement j’aurais désamorcé la situation sans hésiter une seconde, mais quelque chose dans l’intensité du regard de la jeune femme m’en empêche cette fois-ci. Elle a vraiment envie de connaître la réponse, je le vois bien. Je baisse les yeux vers mon œuvre, me mord l’intérieur de la joue. « Grace était blonde. » Un joli blond tout doux, avec un visage quasi angélique, qui camouflait bien son caractère instable et allait parfois jusqu’à me faire douter moi-même quand je la tenais au cœur de la nuit. J’arrivais presque à me faire croire que les bleus sur ma poitrine ne venaient pas d’elle. Distrait par mes mauvais souvenirs, je renverse un peu de teinture sur le sol. Tout en sifflant un merde entre mes dents, je me penche pour essuyer la tache rose qui s’est étalée sur le carrelage blanc. Quand je me redresse, j’évite soigneusement le regard de Zelda. « En général, j’aime bien les rousses… même si au fond, ça m’importe peu. » Si je devais parcourir le catalogue de mes amants, je ne serais pas certain d’y trouver un pattern quelconque. J’ai des goûts somme toute assez variés. Comme je me vois mal expliquer tout ça à Zelda, en revanche, je change de sujet. « Mais toi… toi, tu peux vraiment porter n’importe quoi. » Je sais que c’est ce que je lui dis tout le temps, mais je suis totalement sincère. Elle est belle peu importe la façon dont elle décide de transformer son apparence. « Et toi? Tu préfères quoi chez un homme? » Nous nous avançons sur un terrain glissant et je sens mon cœur se débattre dans ma poitrine en essayant d’imaginer ce qu’elle pourra bien répondre… si elle répond.
La blonde pouvait définitivement dire adieu à ses boucles d'or, du moins, pour un mois. Un léger frisson traverse tout son corps lorsqu'elle sent le froid du produit sur ses racines qui avaient déjà commencé à virer au brun. Peu de personnes feraient confiance à un manager pour un changement capillaire, à croire que Zelda est peut-être suicidaire. Mais après tout, il s'agissait d'un simple jeu d'enfant, se rassurait-elle au fond. Ce n'est pas qu'elle ne faisait plus confiance à Gabriel, mais c'est sur la première pose de la teinture sur ses cheveux qu'elle se questionna sur tous ses choix. Ce n'est qu'une pensée passagère, ne songeant plus aux prochains rendez-vous pour des séances photos à venir plutôt qu'à l'avenir de ses cheveux. De temps en temps, Zelda fredonne un air de musique et où on pouvait entendre quelques notes sortir d'entre ses lèvres sans trop y faire attention. La Vietnamienne pourrait facilement s'endormir, faire sa petite sieste et laisser son manager galérait tout seul tant la sensation de doigts sur sa chevelure lui fait du bien. D'habitude la blonde se gène jamais de reposer ses yeux pendant qu'on la coiffe ou la maquille, ayant appris l'art de s'endormir assis ou debout, il n'y avait rien de plus facile. Si au début elle craignait des remarques sur son comportement, petit à petit elle prit un peu plus ses aises. Alors, elle regarde le reflet de son manager sur son grand miroir, ses jambes en tailleur pour être plus à l'aise et laisse faire le temps. Après tout, ils ne pouvaient pas réellement faire grand chose, mis à part parler, mais discuter de quoi ? Tous les jours, c'est des messages, des appels, des facetime le soir chez eux à se raconter des ragots. Ainsi, durant ce laps de temps à patienter, elle rumine. « Pour toi, je saurais tout faire, tu le sais bien. » Ces mots résonnent encore dans sa boîte crânienne. Dorénavant, chaque phrase que lui sort Gabriel a le don de lui faire imaginer les pires scénarios possibles. À vrai dire, elle se déteste. Depuis leur baiser au Japon, depuis que ses lèvres se sont déposées contre les siennes, toutes ses phrases lui paraissent à double sens. Lui font rêvasser à un autre sens caché. Tout se passait bien depuis leur baiser, à n'être que des amis proche, à ne s'aimer qu'amicalement sans ambiguïtés et il a fallu qu'elle gâche tout en une fraction de seconde. De l'attirance, il y en a toujours eu entre eux, mais sans jamais envisager un pas en avant. Pourtant Zelda n'a guère relever ses dires, c'est vrai, elle aurait pu rétorquer d'une réponse salace, à sa manière, mais à quoi bon ? Le doute plane encore dans sa tête et la blonde aimerait s'en détacher au plus vite, l'arracher comme un vulgaire pansement pour être enfin libre de ses pensées néfastes.
Mais comment si aucun des deux ne parle de leur soudain rapprochement au pays du soleil levant ? Oui, c'était de la faute de Zelda, mais les choses seraient plus faciles en enlevant le poignard de la plaie. Mais rien. Aucune discussion, aucune remarque, aucune question, rien. Seulement des situations gênantes, des coups d’œil en coin, des regards rejetées en feintant une sortie de secours pour ne pas que leurs yeux se croisent. Cependant, ce moment tant attendu Zelda le craint pire que la peste. Que dirait-elle comme réponse ? Comme argument de l'avoir embrassé sans crier gare ? Elle s'est déjà imaginé rouler sa langue cent fois dans sa bouche avant de sortir une défense, une explication aux attentes de son très cher ami, mais lui vient toujours de la même répartie ; parce que l'atmosphère y était. C'est triste, plat, vide comme réponse, peut-être même pas celle qu'attend Gabriel ni même la pure vérité. Probablement, car la blonde fuit sans détour la véritable raison afin de ne rien briser entre eux. Tout secret se sait à point nommé et Zelda le savait trop bien. Alors, dans son cerveau, c'est un film d’incalculable réactions que pourraient avoir son interlocuteur et c'est un film avec beaucoup de bad endings. De ce fait, Zelda essaie d'effacer tant bien que mal ce baiser dans sa mémoire et de laisser le temps lui réserver des surprises. Elle fait mine de ne penser à rien pour ne pas que Gabriel s'inquiète ou ne commence à poser une centaine de questions et continue la lancée de leur discussion. La blonde demande à son agent sa préférence au niveau cheveux pour les femmes, sans pour autant y montrer un certain intérêt, du moins, en tentant de le cacher. La curiosité est un vilain défaut, mais révèle parfois un autre aspect de la personne et ce serait mentir de dire que Zelda n'est pas curieuse. « Grace était blonde. » La réponse lui donne la même effet qu'une gifle en pleine face. Il fallait dire que ce n'était pas à quoi, elle s'attendait et entendre ce prénom lui procure de légers frissons. Grace un prénom qui n'est plus parvenu à ses oreilles depuis des lustres maintenant. Zelda ne l'a jamais rencontré avant son suicide, mais pouvait facilement se l'imaginer d'après les dires de son agent quand bien même il n'a jamais réellement aimé en parler. Quoi répondre à cela mis à part un simple hochement de tête ? Est-ce de la jalousie qu'elle ressent ? La blonde n'en sait trop, mais ça fait mal. Sa réponse lui a tellement prise au dépourvu qu'elle ne remarqua pas la teinture écrasait sur son sol. « Ce n'est pas grave... » Réussit-elle à sortir timidement.
« En général, j’aime bien les rousses… Même si au fond, ça m’importe peu. Mais toi… Toi, tu peux vraiment porter n’importe quoi. » Zelda sourit faiblement. Encore une phrase dont elle ne savait comme le prendre ni dans quel sens. Au fond, Zelda était bien au courant que ce n'était qu'une façon d'oublier la gêne en lui ayant rappelé son ex-femme. « Vraiment tout ? Tu es bien sûr que ce rose va m'aller ? » Elle le taquine encore et toujours. Son seul moyen de parer toute cette confusion. « Mais merci, c'est gentil d'avoir dit ça. Tu me trouves belle sous chaque aspect ? » Zelda persiste pour cacher ce malaise en plaçant sa main entre chacune de ses paumes de mains suivit d'un clin d’œil taquin. « Et toi ? Tu préfères quoi chez un homme ? » C'est la deuxième fois que Gabriel la prend à court. Toi. Simple et efficace comme réponse, mais aucun son sortie de sa bouche. Gabriel lui tend une perche pour se délivrer de tous ses sentiments cachés, de tout lui dévoiler, alors pourquoi ne pas la prendre ? Non, ce serait trop simple. « Je n'ai pas vraiment de préférence. » Non, trop court. « Enfin, je ne dis pas que tous les hommes me plaisent, ce serait mentir. On va dire que j'aime les hommes qui savent prendre des initiatives » Sois un peu plus subtil. « Un homme qui n'a pas peur de montrer ses émotions et honnête. Je trouve que l'honnêteté très important dans n'importe quelle relation. Un homme qui réussit à me faire, sinon ça devient trop ennuyant. » Ne commence pas à donner une liste, arrête-toi. « À croire que j'ai bien quelques préférences. » N'est-ce pas hypocrite de dire qu'elle veut d'une relation dans l'honnêteté si elle-même ne dit pas tout ? Sûrement. « Mon premier véritable amour a préféré me laisser tomber du jour au lendemain alors que je venais de lui dire pour ma maladie... Désolée, je ne sais pas ce qui 'ma pris de te raconter ça. » Oui, sérieusement, pourquoi ? . À croire que sa prise de parole mit du temps puisque quand son regard se relève sur le reflet de son miroir qu'elle remarque toute la teinture sur sa chevelure. Zelda regarde une deuxième fois le temps d'attente indiqué sur la boîte avant de se lever de sa chaise. « Je meurs de soif, ça te dit une bière ou un jus de fruit ? Laisse, on rangera plus tard. » La blonde, enfin plus pour très longtemps, sert de ce que lui a demandé Gabriel avant de tremper ses lèvres dans une bière bien fraîche. Ses cheveux sont attachés par un simple élastique en attendant que la teinture fasse effet et elle vient se poser plus confortablement sur son grand canapé. « Sinon, ça va faire bientôt un an que j'ai arrêté la cigarette, mais je ne te cache pas que j'en ai fumé une ou deux à la veille du procès. Mais c'est bien, non ? »
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Je crois que ma réponse à sa question a un peu secoué Zelda. Elle essaie bien de le cacher sous des traits d’humour et les questions qu’elle pose, l’air coquin, mais je la connais assez pour savoir que ce n’est qu’une feinte. Je ne me laisse pas distraire et lui retourne plutôt la question. Dans le miroir, ses yeux s’agrandissent légèrement de surprise. Elle devait bien s’attendre à ce que je me montre curieux moi aussi, non? Ça me paraît juste et équitable : si elle a le droit de fouiner, moi aussi. Je continue mon travail en silence le temps qu’elle réfléchisse à ce qu’elle veut dire. Je la comprends de peser ses mots. Après ce qui s’est passé au Japon, on ne peut nier l’attirance étrange qu’il y a entre nous et ce petit jeu que nous avons entamé depuis tout à l’heure est dangereux et à mille lieux de l’amitié professionnelle et simple que nous devrions entretenir. « Je n’ai pas vraiment de préférence, » finit-elle par répondre. Je me permets d’hausser un sourcil dubitatif. Aucune préférence, vraiment? Tout le monde en a, qu’on en soit conscient ou pas. Comme si elle avait senti mon scepticisme, elle se reprend et précise que ce ne sont pas tous les hommes qui l’attirent, mais qu’elle aime bien ceux qui savent prendre des initiatives. Comme de t’organiser une sortie au resto pour te faire une surprise? La pensée m’a traversé l’esprit aussi rapidement qu’une flèche qu’on aurait décoché dans mon cerveau. Elle fait mouche aussi, à en juger par mon cœur qui se met à palpiter d’énervement. Calme-toi, mec. Tu t’imagines sûrement des choses… Oui mais le Japon?! Je me demande tout à coup si on fait la bonne chose en décidant d’ignorer systématiquement ce qui s’est passé pendant ce foutu voyage d’affaires. J’ai l’impression qu’on danse tous les deux autour de ce qui s’est passé en s’imaginant des choses alors qu’il n’y a peut-être rien là-dessous. Ce ne serait pas la première fois que deux amis se laissent emporter et s’imaginent que leurs sentiments sont plus profonds qu’ils ne le sont vraiment. Si ce n’est que ça, on devrait simplement pouvoir se l’avouer et passer à autre chose. Et si c’est pas ça, hein? Parce que tu te connais, tu sais qu’il y a plus que ça. Au moins pour toi. J’ignore sciemment cette pensée pour me concentrer plutôt sur la suite de l’énumération de Zelda. Incapable de m’en empêcher, je me compare à tout ce qu’elle dit. Elle veut un homme qui la fasse rire? Tous les moments où mes pitreries sur FaceTime l’ont fait rigoler malgré son air découragé, et toutes ces observations un peu bêtes que je lui glisse à l’oreille pendant les photoshoots pour la torturer un peu quand je sais qu’elle ne peut pas rigoler me reviennent à l’esprit. Un homme capable de parler de ses émotions? Ce n’est pas ma spécialité, clairement. Je suis plus du genre à feinter jusqu’à ce que je n’aie plus le choix de me confier. Mais comme ça semble être son genre aussi, je me dis qu’on est peut-être compatible quand même. Et puis elle veut quelqu’un d’honnête… Ça, c’est bien moi. Je déteste les mensonges et les faux-semblants. Je préfère l’honnêteté brutale aux flatteries. « À croire que j’ai bien quelques préférences, » conclut-elle en blaguant. « Quelques-unes, quand même, » que j’acquiesce avec un sourire amusé, qui disparaît bien vite quand elle me confie que son premier amour s’est enfui quand il a appris pour sa maladie. « Désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris de te raconter ça. » Comme j’ai les mains pleines de teinture, je ne peux pas vraiment lui presser l’épaule pour la réconforter même si j’en ai envie, mais je lui lance tout de même un regard tendre par le biais du miroir. « J’suis désolé. » Même si c’est pas ma faute, je sais à quel point ça fait mal d’être abandonné par ceux sur lesquels on comptait. « Et ne t’excuse pas. Tu peux tout me dire, tu le sais. » Je lui ai souvent promis d’être une oreille attentive et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer.
J’ai enfin terminé d’appliquer la teinture. Du moins, je crois. Toutes ses mèches me semblent bien enrobées du produit. Je dépose donc mon pinceau et mon petit bol sur le comptoir. « J’ai fini, » que je lui dis en retirant mes gants. J’allais rincer mon matériel sous le robinet quand elle m’arrête et m’invite plutôt à boire quelque chose. La proposition me plaît, alors j’abandonne mes affaires. « Oui, je prendrais bien un jus. » Je ne bois déjà pas beaucoup et je n’ai pas envie d’alcool ce soir. J’ai l’impression qu’il vaut mieux que je garde la tête froide et les idées bien claires. La première bière est toujours inoffensive, mais celles qui suivent le sont moins. Mon verre en main, je rejoins Zelda sur le canapé. « Sinon, ça va faire bientôt un an que j'ai arrêté la cigarette, mais je ne te cache pas que j'en ai fumé une ou deux à la veille du procès. Mais c'est bien, non? » Je n’ai jamais fumé de ma vie et, somme toute, j’ai cédé à bien peu de vices, donc je sais difficilement comment on peut se sentir quand on coupe une addiction comme ça, mais je suis terriblement fier d’elle quand même. « Très bien, » que je confirme avec un sourire en coin. « Je pense que personne ne peut te blâmer d’avoir craqué un peu avant le procès avec tout le stress que tu vivais. Mais c’est fini maintenant. » Je ne perds pas une occasion de lui rappeler que son cauchemar est terminé, espérant qu’à force de l’entendre, elle finira par le croire aussi. Maintenant que je suis installé en face d’elle, je remarque que, malgré tous mes efforts, je lui ai foutu de la teinture dans le front. Oups. J’étire le bras pour attraper derrière moi un mouchoir en papier sur la petite table et pose mon verre avant de me pencher vers elle. « Bouge pas. » Une main sur son menton, pour l’empêcher de tourner la tête, j’essuie à petits coups le produit pour ne pas irriter sa peau délicate. Il reste un léger film rosâtre, mais je crois que ça partira au lavage. Conscient tout à coup d’être assez près d’elle pour sentir les effluves de son parfum, je m’écarte brusquement comme si le contact de sa peau m’avait brûlé. Me trouvant idiot après coup, je m’éclaircis légèrement la gorge et prend une gorgée de jus pour chasser le malaise. Cherchant un sujet, n’importe lequel, pour chasser l’ambiance étrange, je m’enfonce un peu plus dans les coussins moelleux. « Il est confortable ton canapé, je vais bien dormir, c’est cool. » Parce que je ne fais pas d’illusions, elle m’a demandé de passer la nuit chez elle pour l’aider à chasser les cauchemars, mais elle ne voulait certainement pas dire qu’elle voulait que je dorme avec elle dans son lit. Pas vrai?! que je pense, pris d’un doute soudain et légèrement paniqué. J’arrive à faire comme si de rien n’était quand on est tous les deux habillés et qu’une bonne dizaine de centimètres nous séparent, mais je ne donne pas cher de ma peau si elle se blottit contre moi en petite tenue. Je suis un homme, pas un saint après tout.
Deux adolescents souriant à la vie, le bruit des vagues s'écrasant contre la roche et le soleil qui, de là-haut, brûlait à n'en plus pouvoir. Zelda repense à ces moments de naïveté, lorsqu'elle était encore jeune et follement amoureuse. Elle le revoit encore, toujours aussi beau et rayonnant, mais cacher drôlement bien son hypocrisie. Ce fut son premier et dernier véritable amour. La trahison a eu l'effet d'un poignard en plein cœur et cette expérience lui a stérilisé de cette confiance trop hâtive. Zelda s'était fait le serment de ne plus être aussi candide en face d'autres hommes et cela lui avait plutôt bien réussi jusqu'à se questionner si elle pouvait encore retomber amoureuse. Elle n'en parle à personne de cette partie de son adolescence dont elle aimerait oublier. Zelda se sent honteuse de cette humiliation et entendre son plus tendre ami s'excuser à la place de l'autre, la met dans une sale posture. Que répondre à cette excuse mis à part un sourire en coin pour cacher la gêne ? Gabriel lui répète qu'elle peut tout lui dire sans en avoir honte et elle le sait bien. Il y a bien des petits secrets dont elle aurait aimé garder pour elle encore un peu. Ou encore était-ce un moyen de fuir la triste réalité qu'elle s'est faite humilier a à peine 17 ans ? Les années défilent à toute vitesse et si pour beaucoup revenir en arrière l'en mord les doigts, pour Zelda revivre son adolescence serait surtout une torture qu'autre chose. En y réfléchissant bien, elle n'en savait pas grand chose sur l'adolescence de Gabriel. Alors, elle s'imagine dans un coin de sa tête ce qui l'aurait pu être, passant par un fils exemplaire à un sale gosse rebelle. Auraient-ils pu devenir amis ? Assis en face d'elle, Zelda lui explique son exploit de ne pas avoir allumé une seule clope depuis un an, ou du moins, si on oublie l'exception de la veille du procès. « Je pense que personne ne peut te blâmer d’avoir craqué un peu avant le procès avec tout le stress que tu vivais. Mais c’est fini maintenant. » Gabriel la rassure encore que tout ça maintenant, c'est du passé, qu'elle peut enfin vivre sans avoir l'angoisse permanente de se sentir observée ou suivie, ni la peur que tout recommence à n'en jamais finir. La trentenaire se sent désormais libre, mais surtout chanceuse d'avoir Gabriel auprès d'elle. Hormis l’ambiguïté embarrassante qui pèse entre eux depuis le Japon, son agent est un formidable meilleur ami. Celui-ci la dévisage et commence presque à la faire regretter d'avoir pu penser qu'il est un "formidable meilleur ami". À presque se demander si elle tirait une sale tronche, Zelda s'apprêtait à lui poser directement la question, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il vienne se pencher soudainement vers elle. « Bouge pas. » Et elle s'exécuta en comprenant petit à petit qu'il s'agissait simplement d'une trace de teinture sur son front.
Zelda le laisse tenter de retirer la trace sur son front, tout en essayant de ne pas bouger d'un seul centimètre. Elle pouvait facilement sentir son parfum étalait sur son cou et c'est ainsi qu'elle découvre à quel point ils étaient proche tout d'un coup. La vision du visage de Gabriel à quelques centimètres du sien la renvoie automatiquement à ce baiser devant la porte de sa chambre d'hôtel et si la première fois, c'était de sa faute, là, c'est lui qui est venu vers elle. La position actuelle la met mal à l'aise et il en fallait plus longtemps pour que son ami comprenne à son tour, mais elle ne s'attendait clairement pas à ce bond en arrière, comme s'il avait pris peur. Zelda s'en voulait affreusement. Toute cette ambiance déplaisante, elle ne pouvait que s'en féliciter. Si une partie d'elle voulait savoir ce que Gabriel en pensait, ressentait, l'autre l'en empêchait par peur d'être déçue. Il essaie de changer de sujet en lui parlant de son canapé et comme l'effet d'une balle, elle lui répond du tac au tac. « Oh et je suis sûre que mon gros chien se donnera à cœur joie de te rejoindre. » Zelda le sait pour sa peur des gros chiens et savait aussi que son chien ne ferait jamais ça puisqu'il n'a pas le droit de monter sur le canapé et qu'il préfère rejoindre sa maîtresse. La trentenaire pouvait encore sentir la douce odeur de son agent et pense à cette deuxième ouverture, celle où ils auraient encore pu s'embrasser. Que devrait faire-t-elle de toutes ces émotions ? L'envie de coller encore ses lèvres sur les siennes l'emporte encore, mais elle ne peut oublier tout le tracas et le désordre qu'elle a commis. S'il n'y avait pas eu ce foutu baiser encore aujourd'hui le simple fait d'avoir leurs visages aussi proches n'aurait pas effrayé Gabriel. Elle prend une grande gorgée de sa bière jusqu'à bientôt en finir. « Je suis désolée... » Pour la première fois depuis le Japon, elle s'excuse, sans réellement donner la raison, mais elle sait que Gabriel comprendrait facilement où elle voulait en venir. « Tout ça, c'est de ma faute et je m'en veux. » Elle renvoie à cette atmosphère pesante et voulait encore continuer sur sa lancée en lui expliquant le baiser, mais le minuteur retentit à ce moment-là, sa teinture venait de finir de faire effet sur ses cheveux blonds. Sauvée par le gong. « Je vais en profiter pour me laver... » Et comme ça, elle fuit, encore. La sensation de l'eau chaude sur sa peau lui fait du bien et elle prit cette occasion pour plonger encore dans ses pensées tout en regardant la teinture rose coulait sur ses jambes. Zelda ne prit pas tout son temps pour se doucher et eut un grand sourire en voyant que ça avait parfaitement marché : la voilà aux boucles roses désormais pour quelque temps. Elle sort de sa salle de bain, les cheveux légèrement secs pour montrer le résultat à Gabriel. « J'adore ! Et toi, tu en penses quoi ? » Toujours faire comme si de rien était, c'est sa spécialité. « Je t'ai laissé une serviette propre si tu veux te doucher, je vais aussi te donner des draps pour dormir et un coussin, je reviens. » Encore un moyen de s'enfuir pour mieux respirer. Elle s'en mord les doigts d'avoir ouvert sa sale bouche, mais elle se sentait tellement mal pour lui, pour elle, pour eux.
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Zelda me confirme que ma place ce soir est sur ce canapé gigantesque. Une vague de soulagement teintée d’une touche de déception déferle dans ma poitrine. Tous ces sentiments contraires commencent sérieusement à m’épuiser, je ne sais plus où donner de la tête. C’est mieux comme ça, tu le sais très bien. Je viens de tremper les lèvres dans mon verre quand elle ajoute : « Oh et je suis sûre que mon gros chien se donnera à coeur joie de te rejoindre. » L’idée de partager mon lit avec son gros sac à puces m’arrache une grimace, comme si je venais de boire une gorgée de jus amère. Avec les années, j’ai fini par faire à peu près confiance au chien de Zelda, mais pas encore au point de vouloir le câliner. Heureusement, je sais qu’elle a toujours formellement interdit à Loki de grimper sur les meubles. Comme il est plutôt obéissant, je n’aurai pas à cohabiter avec lui. Entre nous, un court moment de flottement, et puis ma protégée souffle, le nez dans son verre de bière : « Je suis désolée... Tout ça, c’est de ma faute et je m’en veux. » Elle ne dit pas vraiment de quoi elle parle, mais je sais très bien ce qu’elle veut dire. Elle parle encore de ce fichu baiser. C’est pour ça qu’elle s’en veut, et moi en retour, je m’en veux de l’avoir mise mal à l’aise avec ma réaction stupide. Ce n’était pas la première fois qu’on se retrouvait si près l’un de l’autre. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je n’ai juste pas réfléchi. Je soupire, les lèvres pincées. J’en ai officiellement marre. On a assez tourné autour du pot comme ça, il est plus que temps qu’on se parle sérieusement. On n’est plus au lycée après tout, on devrait être plus matures que ça, d’autant plus que ça commence à être plus difficile d’ignorer le sujet que d’en parler. On a été bêtes de croire qu’on pourrait faire l’autruche éternellement et oublier que ça s’est passé. J’ouvre la bouche pour lui répondre, mais la sonnerie du minuteur me coupe la parole. Zelda se lève d’un bond et retourne vers la salle de bain en m’informant qu’elle va rincer la teinture et en profiter pour se laver. J’acquiesce distraitement en la regardant disparaître derrière la porte en bois de la salle de bain. Vaguement découragé, je renverse la tête sur le dossier du canapé pour observer le plafond lisse de l’appartement en buvant tranquillement mon jus. La mannequin ressort de la salle de bain un quart d’heure plus tard en agitant sa tignasse nouvellement rosée. D’ici, je suis déjà assez impressionné du résultat, moi qui craignais de massacrer sa chevelure. Soulagé, je me lève et m’approche pour mieux voir tandis qu’elle s’exclame : « J’adore! Et toi, tu en penses quoi? » Refusant de laisser le moindre doute me gagner cette fois, j’avance une main assurée vers ses mèches pour en attraper une et l’observer dans la lumière qui émane de la salle de bain. « C’est très joli. Ça te va bien, » que je réponds sincèrement. Un sourire amusé s’étire sur mes lèvres. « Faut croire que je suis plus doué que je le pensais. » Si ma carrière d’agent tombe à l’eau, je suppose que je pourrai toujours ouvrir mon propre salon de coiffure. En désignant d’un geste vague la pièce d’où elle sort, Zelda m’explique qu’elle m’a laissé une serviette pour que je puisse me doucher à mon tour avant de s’éclipser presque aussitôt pour aller me chercher des couvertures. Je ne bouge pas d’où je me suis placé, à demi appuyé dans l’embrasure de la porte. Quand elle revient peu de temps après, une couette et un coussin sous le bras, je l’attrape par le poignet. Elle a l’air légèrement étonnée de voir que je ne me suis pas déjà glissé sous la douche. Sans me laisser le temps de réfléchir, je me lance. « C’est pas de ta faute. L’atmosphère s’y prêtait... J’y avais pensé aussi. » Malgré la population dense de Tokyo, j’avais un peu l’impression d’être seul au monde avec elle, perdu dans cette mer de gens où nous n’étions que deux touristes anonymes. Et c’est facile, quand on se croit seul au monde, quand aucun regard ne se tourne vers soi, de céder à ses pulsions. « Et le problème, c’est pas qu’on se soit embrassé. » Au contraire, c’était très agréable... un peu trop même. « Le problème, c’est que j’ai teriblement envie de recommencer. » T’es sûr de ce que tu fais là? Non, j’en ai aucune idée. Je ne sais pas exactement ce que je cherche à faire, mais je m’avance tout de même d’un pas en avant pour me rapprocher d’elle. Et j’attends en silence, mes yeux plongés dans les siens, de voir ce qu’elle va faire.
« C’est très joli. Ça te va bien.» Elle lui sourit face à ce compliment avant de lui rappeler très vite qu'il est derrière cet exploit. Bien évidemment, Gabriel continue par flatter son ego et Zelda pouvait enfin s'enfuir de toute cette atmosphère qui était sur le point de la rendre chèvre. Une fois seule dans son immense dressing Zelda pouvait enfin respirer sans l'angoisse que celle-ci se saccade contre sa poitrine. Elle en avait plus qu'assez de ce petit jeu entre eux, à prétendre que tout allait bien sans jamais parler du moment où ils ont brisé leur amitié. Parce que oui, désormais, leur amitié ne sera plus la même. Ils savent tous les deux l'attirance qui les a poussés à s'embrasser, cette même attirance quelle soit simplement sexuelle, physique ou autre qui ruine à jamais l'image de deux simples meilleurs amis. Elle déteste être dans cet état-là. Cet état d'être toute déboussolée, ne sachant pas quoi faire, ni quoi penser à vrai dire. Zelda a passé l'âge d'être toute gênée et timide face à un homme qui lui plaît, songeant bêtement que tout ça lui était passé une fois arrivée en Australie. Elle reprend une grande bouffée d'air, se disant qu'au final tout se réglera très vite en espérant seulement ne pas avoir totalement détruit leur complicité. L'un des miroirs de ses nombreux placards reflète son portrait. Elle se voit pour une deuxième fois avec sa nouvelle chevelure, se trouve belle pour l'espace de quelques minutes avant de chercher ce pourquoi elle est là. À son retour, elle est prise d’étonnamment lorsqu'elle remarque encore la silhouette de son agent pas encore entré dans la salle de bain, le dos contre le mur comme s'il patientait de son retour. Avant que Zelda ne puisse poser le drap et le coussin sur son canapé, Gabriel l'attrape par son poignet et rétréci de plus en plus l'écart entre eux. La néo-zélandaise, un peu abasourdie, voulait vite comprendre ce qu'il lui passait par la tête tandis que son cœur commençait à battre dans tous les sens. « C'est pas de ta faute. L’atmosphère s’y prêtait... J’y avais pensé aussi. » Le voilà à parler à son tour de ce baiser. Zelda s'y attendait parfaitement suite à son pardon. « Ah bon ?» C'est vrai qu'il n'a pas refusé ni même tourné la tête lorsque ses lèvres se sont posées contre les siennes, mais voilà un poids de moins sur ses épaules. Elle qui pensait encore qu'elle l'avait presque forcé la main, la voilà rassurée et aussi flattée. Un léger sourire attendri se dessine sur sa bouche et le regard rempli de bonté avant que l'Américain ne continue en lui avouant qu'il voulait recommencer. L'effet de surprise se lit aussitôt sur son visage. Les yeux qui se sont écarquillés et la bouche légèrement entrouverte, comme bouche bée face à cette confession. Gabriel ne détourne pas son regard du sien, la faisant stresser encore plus et elle sut qu'il ne se moquait pas d'elle, qu'il était bien sérieux. Elle se mordit la lèvre inférieure ne sachant pas quoi faire dans une telle situation avant de se résoudre à laisser son cœur prendre le dessus. « Je ne vois pas le problème... » Et dans cet élan, elle laisse tomber le drap et le coussin contre le sol pour laisser ses deux mains agrippaient le col de la chemise de son ami pour écraser une deuxième fois ses lèvres pulpeuses sur les siennes. Elle en avait presque oublié la sensation et le goût de ses lèvres charnues pour en apprécier davantage à ce moment-même. Décidée à en plus profiter que la dernière fois, elle transforme ce baiser en plus fougueux que le précédent, prenant plaisir à goûter ce qu'elle pensait ne jamais faire auparavant. Zelda laisse aussi la liberté à l'une de ses mains se baladaient dans les cheveux, l'autre venue prendre refuge sur sa nuque pour intensifier cette étreindre. Mais elle coupa court dès lors qu'elle remarque le manque d'air. Elle tenta de reprendre sa respiration pendant que l'on pouvait facilement entendre son cœur battre contre sa cage thoracique. Ses mains quittèrent le corps de Gabriel, mais ils étaient toujours aussi proches. La néo-zélandaise plonge son regard dans le sien, se demandant ce qu'il en pensait désormais de tout ça. « Et maintenant, tu as toujours envie de recommencer ? » Elle savait que s'il venait à l'embrasser de nouveau, ils empêtreraient un nouveau chemin parsemés d'embouches.
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Le petit sourire de Zelda disparaît, remplacé par un air de surprise qui serait parfaitement adorable s’il ne me tordait pas violemment l’estomac. Malgré l’effort que ça me demande, je ne détourne pas les yeux pour autant. Je n’essaie pas non plus de dissimuler les émotions qui me traversent à mille à l’heure et qui doivent sûrement se lire sur mon visage. Il y a de l’anticipation, mais aussi de la nervosité, du stress, de la curiosité... Je ne sais pas à quoi m’attendre. Il y a comme un moment de flottement durant lequel elle semble hésiter. Muet, je ne bouge pas, le cœur battant plus vite qu’il le devrait. Brusquement, elle lâche tout. Les coussins et la couette se retrouvent au sol et je ne me suis jamais autant fiché d’un bout de tissu de ma vie parce que les mains fines de Zelda viennent de s’agripper au col de ma chemise et m’entraînent sans délicatesse vers elle. Nos visages se rapprochent et puis c’est la collision. Tandis que ses lèvres s’écrasent sur les miennes, un feu d’artifice explose derrière mes paupières closes et je me rends compte que j’avais terriblement envie de l’embrasser. Ses doigts se glissent dans mes cheveux, me décoiffent légèrement et, et pour une fois, je m’en fiche complètement tellement la caresse est délicieuse. Pas en reste, je laisse mes mains se balader dans son dos, d’abord par-dessus son t-shirt et puis par en dessous sans que j’ose totalement le soulever. Elle s’écarte la première et je ne consens à la relâcher que parce que je manque d’air. Elle fait un pas en arrière, m’échappe sans vraiment s’éloigner. Elle a reculé juste assez pour que nos poitrines, soulevées par le rythme inégal de nos respirations haletantes, ne se frôlent pas à chaque inspiration. « Et maintenant, tu as toujours envie de recommencer? » Tu devrais dire non. La voix de la raison me souffle que c’est une idée horrible de recommencer et que c’est une question piège qu’elle m’a lancé. Il n’y a pas de bonne réponse. Si je dis non, je la blesse à coup sûr, lui donne l’impression d’être à peu près aussi stable qu’un yoyo qui pend au bout de sa corde. Ce n’est évidemment pas l’option du siècle, mais c’est probablement mieux que ce qui nous attend si je réponds que oui. Car on va recommencer, une fois, puis deux, jusqu’à ce qu’on perde le contrôle. Le problème, c’est que la raison a déjà perdu. Je n’ai jamais été doué pour me sacrifier et j’ai une fâcheuse tendance à l’hédonisme qui m’a déjà mis dans le pétrin à quelques reprises. Je sens bien qu’aujourd’hui s’ajoutera à la liste de ces occasions d’ailleurs. Même en sachant tout ça, je m’entends répondre d’une voix rauque : « T’as même pas idée… » C’est à mon tour de traverser la distance pour venir l’embrasser. Tandis que nos bouches se cherchent et se trouvent, je profite de mes mains posées sur ses hanches pour la faire pivoter de façon à ce qu’elle se retrouve le dos appuyé contre le mur. Comme ça, j’arrive mieux à la tenir et j’ai l’impression de l’envelopper de mon corps, de créer une bulle ou il n’y a qu’elle et moi. Emporté par la fièvre de notre baiser, je laisse ma main descendre sur sa chute de rein, puis ses fesses que j’empoigne pour la rapprocher de moi. Juste comme j’abandonne sa bouche pour m’intéresser à son cou et à son décolleté, les images évoquées par son témoignage en cours me reviennent brusquement en tête et me font l’effet d’une douche froide. Je me sens maladroit tout à coup. J’ai beau savoir que ce n’est pas la même chose – elle répondait avec enthousiasme à mon baiser – je flippe à l’idée de la forcer à faire quoi que ce soit ou d’aller trop vite. Troublé, je me redresse et m’écarte légèrement tandis que ma main délaisse son derrière et tombe mollement à mes côtés. Je n’ose pas trop croiser son regard par peur qu’elle se méprenne sur ce qui me fait hésiter. Je me trouve un peu con de bloquer comme ça, mais c’est la première fois que je me retrouve dans une situation pareille et je ne sais pas comment réagir ni comment verbaliser mon malaise. « On fait quoi là? » Je passe une langue nerveuse sur mes lèvres. « Je sais pas si… c’est une bonne idée, » que je dis d’une voix moins assurée que je l’aurais voulu.
Et si lui ne voulait pas ? C'était sûrement trop tard pour penser ainsi, maintenant que les lèvres se sont encore rencontrées dans un baiser, mais plus Gabriel plonge son regard dans le sien et plus les pensées noires surgissent à flots. À tout moment elle pourrait demander pardon et tourner les talons pour aller se coucher, mais à quoi bon, elle ne pouvait pas faire l'autruche encore longtemps surtout quand elle sait pertinemment que l'envie est réciproque. Zelda mentirait en disant que ça ne fait pas presque dix ans qu'elle attend cette occasion. Leurs petits jeux de regard, de phrases bien plus déplacées qu'une autre tandis que tous ceux autour s'amusaient à jouer de leur amitié pour y parsemer de rumeurs autant connes les unes que les autres. Sa poitrine battait en rythme avec sa respiration, toujours collée à l'Américain, elle espère qu'il lui vole un baiser, car la sensation de ses lèvres lui manque dès lors. « T'as même pas idée… » Son rictus satisfait est aussitôt caché par les lèvres de son agent. Elle prend plus le temps de savourer ses lèvres pendant que ses mains se baladent sur la musculation de son dos. Gabriel renferme encore plus leur distance et de ses mains sur ses hanches, il la fait balancer pour qu'elle soit adossée contre le mur derrière eux. Zelda profite pour remonter ses mains vers sa nuque, mettant une légère pression contre celle-ci tandis qu'une autre commence doucement à déboutonner sa chemise. Cette sensation, cette nouvelle intimité entre eux lui fait perdre la tête tellement elle lui procure du plaisir à chaque fois que l'un décide d’approfondir un peu plus le baiser. Cela lui fait drôle, oui, mais dans un bon sens. Zelda s'est déjà imaginé ce scénario dans sa tête et aucun ne tenait tête à celui-ci. Dans son ventre, les papillons s'affolent, son cœur tente à tout pris de s'évader et le sentiment de bien-être s'accroît. Il empoigne ses fesses afin de l'attirer encore plus vers lui et un son en sortit d'entre leurs lèvres. Elle abandonne la chemise, ne laissant qu'en entrevue de son torse à ses yeux, ferme les yeux pour profiter de la douce caresse de sa bouche contre sa peau. Tout allait certainement vite, mais plus rien ne pouvait les arrêter, du moins c'est ce qu'elle croyait naïvement. Elle ne saisit pas tout de suite le décalage qu'à créer son agent entre eux, pensant directement que quelque chose n'allait pas lorsqu'elle remarque que Gabriel veut à tout prix fuir son regard.
« On fait quoi là ? » Comment ça ?. L'angoisse lui parcourt le corps, la peur d'être encore fautive la terrorise. Elle pensait qu'il n'avait pas envie lui aussi. « Je sais pas si… c’est une bonne idée. » Ah. Et là, la peur s'en est allé pour laisser place à l'ébullition. Ce sentiment de s'être fait prendre pour une conne. Ce sentiment d'avoir été trop conne pour penser qu'il ne jouait pas avec elle. Il aurait pu lui dire ça avant... Avant qu'elle ne commence à s'imaginer des choses. « Je vois... » Son regard se jette sur le sol, Zelda aussi préfère l'éviter, honteuse de la situation. « Je veux dire... » Cette fois-ci, elle retrouve les yeux noisette qu'elle a toujours aimé comme pour le rassurer accompagné d'un sourire pour cacher son embarras. « Tu as raison ! Manager. » Zelda lui désigne du doigt avant de le faire dans sa direction. « Mannequin. Il n'en sortirait rien de bon si on continuait de toute façon, tu as raison. On devrait rester ce qu'on a dit à Jameson après tout, sinon, ce serait lui mentir hein ? » Nous mentir. « Je... Hum, je devrais aller me coucher et toi aussi. On a... On a eu une longue journée. » Un dernier sourire avant de se diriger vers sa chambre qu'elle prend soin de fermer la porte derrière sans se retourner. Contre celle-ci, ses yeux commencent à mouiller petit à petit et Zelda tente de faire partir les larmes aussitôt qu'elles s'échappent. Elle n'est pas triste, seulement en colère et surtout déçue. Le sentiment d'avoir fait la bêtise la première, de l'avoir encore entraîné dans son petit jeu de force et l'affirmation d'avoir tout gâcher une fois pour toute. Zelda veut rire, éclater en larmes, cette situation la faisait tellement rire tellement elle était horrible à supporter. Le mannequin préfère positiver en disant qu'elle pourra mieux y réfléchir demain si un marchand de sables arrive jusqu'à son lit.
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Zelda détourne le regard. L’atmosphère a tourné au vinaigre d’un seul coup. C’est de ma faute et je m’en veux sur-le-champ, et encore plus quand un sourire forcé se peint sur les lèvres de mon amie. Je vois bien qu’elle essaie de ne pas perdre la face et je ne suis pas fier de moi. Elle me dit qu’elle comprend, que c’est normal puisque je suis manager et qu’elle est ma mannequin, mais même si sa bouche dit une chose, je vois bien que ses yeux et son langage corporel disent complètement le contraire. Impuissant, je la regarde tourner les talons et rebrousser chemin jusqu’à sa chambre. La porte qui se referme, même si elle ne claque pas, me laisse un désagréable arrière-goût de finalité dans la bouche. Penaud, je reste immobile un moment avant de finalement me pencher pour ramasser les couvertures qui se sont échouées sur le plancher il y a quelques minutes. Je les transporte jusqu’au canapé où je les lance pêle-mêle avant de m’asseoir sur le rebord du coussin. La tête penchée, j’essaie de mettre de l’ordre dans mes idées. Je ne comprends pas trop ce qui vient de se passer. Je ne sais pas pourquoi j’ai bloqué comme ça. Enfin si, un peu : j’ai la trouille de me lancer là-dedans avec Zelda. Je le sais depuis cette nuit à Tokyo où j’ai été incapable de m’endormir après notre baiser, pourchassé par mes angoisses. Mes sentiments pour elle ont beau être troubles, je sais quand même que ce n’est pas vraiment juste de l’amitié. Il y a une attirance indéniable entre nous, mais est-ce suffisant pour qu’on risque notre relation?
Je reste assis de longues minutes à réfléchir, hésitant entre aller me coucher et aller voir Zelda pour lui parler. Au final, c’est le souvenir de notre voyage au Japon et du malaise qui a suivi qui me décide. Il est hors de question qu’on recommence à faire semblant que rien ne s’est passé. C’est comme ça qu’une relation finit par pourrir de l’intérieur. Je me lève donc et traverse le couloir d’un pas décidé. Devant sa chambre, je cogne trois fois. Aucune réponse. Je cogne à nouveau et tends l’oreille. Aucun bruit ne traverse le bois, à part ce qui ressemble à un reniflement. « Zelda? » Toujours rien. Je ne me laisse pas démonter par son silence. Je ne vais quand même pas reculer, pas quand je sais pertinemment qu’elle est là et qu’elle m’entend. Je pose donc la main sur la poignée et prévient la mannequin avant de la faire tourner : « J’entre. » Elle est assise sur le coin du lit et malgré la pénombre qui règne dans la pièce, je vois bien qu’elle a pleuré. Je m’arrête sur le seuil de la porte. « Je suis désolé. » Comme elle ne réagit pas vraiment, je m’avance vers elle. Je m’assois à ses côtés. Légèrement penché vers l’avant, les coudes appuyés sur mes cuisses, je fixe le tapis moelleux au pied du lit comme si je pouvais trouver les mots que j’ai du mal à organiser dans les fibres du textile. « Ça n’a rien à voir avec le fait qu’on travaille ensemble. Bon, c’est sûr que ce n’est pas idéal, mais tu sais, moi et les règles… » J’ai tellement connu de règles strictes dans mon enfance que je prends aujourd’hui un malin plaisir à les défier dès que possible aujourd’hui. Et je ne laisserais pas le code de conduite bidon de l’agence me mettre des bâtons dans les roues. « Je ne veux pas te blesser. On a une belle amitié, je ne veux pas perdre ça… J’ai peur qu’on se méprenne, que ça ne veuille pas dire la même chose pour toi que pour moi. » Je ne veux pas que tu penses que je peux t’offrir plus qu’un bonheur éphémère et de l’incertitude. Je me mords la lèvre en me demandant si j’ai envie ou non de révéler exactement ce qui m’a fait hésiter tout à l’heure. Je choisis finalement l’honnêteté et soupire avant de me lancer. « Et… c’est idiot, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce que tu as raconté au procès. Ce n’est pas pareil, je sais, mais… j’ai eu l’impression de profiter de toi ou… enfin, je sais pas trop. J’ai mal réagi, j’ai été con et je suis désolé. »
C'est d'abord un premier bruit provenant de sa porte qui la réveille de ses songes. Au départ, elle n'y fait pas vraiment attention, pensant que ce n'était que le fruit de son imagination. Puis un deuxième qui lui fait bien prendre conscience que Gabriel toquait sur celle-ci et entendre son prénom à travers ne fait que confirmer les choses. Elle ne répondit guère, trop honteuse qu'il la voit comme ça, ne voulant guère lui fait croire qu'elle pleurait pour lui et ses mots presque blessants. Alors, elle ne bouge pas, inerte sur le bord de son lit à patienter qu'il s'en aille, qu'il fasse demi-tour pour aller se coucher et partir dès l'aube demain. Malheureusement, rien ne passe comme on l'aurait voulu et le bruit le poignet de sa porte lui fait cacher son visage entre ses nouveaux cheveux, évitant au possible tout contact visuel avec son ami. Lorsqu'il s'excuse, Zelda ne pouvait plus se camoufler, après tout, c'était bien trop tard, Gabriel a bien remarqué les yeux encore un peu rouge de sa protégée. Mais elle ne dit rien, ne bouge toujours pas, beaucoup trop embarrassée par ce qu'il venait de passer. La Vietnamienne s'en veut terriblement de s'être laissé aller comme si de rien n'était, comme s'il n'y aurait eu aucune répercussion de leurs actes. Cependant, elle ne pouvait pas nier le plaisir que les lèvres de Gabriel lui ont procuré, la sensation d'euphorie lorsque ses mains ont touchées sa peau nue en dessous de son t-shirt. C'était certainement un peu trop beau pour être vrai, un rêve encore inatteignable. Pourtant, Zelda aimerait lui dire que ce n'est guère de sa faute, crier qu'il n'a pas à s'excuser puisqu'ils savent terriblement qui est le fautif dans toute cette histoire. La jeune adulte se revoit devant lui, dos à la porte de sa chambre d'hôtel, prenant pour cible ses lèvres charnues tout en oubliant que Gabriel n'est pas comme les autres avec qui elle partagé son lit.
L'agent vient s’asseoir aux côtés de sa protégée, légèrement penché vers l'avant pour que ses coudes s'appuient contre ses cuisses et il ne cherche pas à la regarder dans les yeux ni même à la forcer à l'enlever de sa chevelure. L'atmosphère commence à peser dans sa chambre et Zelda commence à se remémorer la première fois qu'il l'a vu les larmes aux yeux. Le jour où tout a basculé dans leur relation, celui où elle lui a promis de ne plus pleurer devant lui pour ne pas qu'il en devient inquiet et la voilà mentir. Gabriel brise le silence, la réconforte que tout cela n'avait rien à voir avec leur boulot respectif tout en terminant sur une note d'humour et elle ne peut s'empêcher de sourire à cette remarque. Même dans les moments les plus difficiles, il arrivait encore à la faire sourire quand bien même ce n'est pas voulu. Puis le revoilà à demander pardon, une deuxième fois et les mots commencent à s'alourdir sur les épaules de sa protégée. L'Américain lui fait part de sa crainte de non-réciprocité et il avait raison. De son côté, c'est pareil. Si le moment était plaisant, les envies pouvaient ne pas coïncider. Laissant automatiquement l'un dans son utopie. De ses doigts, elle rabat une mèche de ses cheveux derrière son oreille, libérant ainsi sa face de sa cachette, les yeux encore secs. « Tu n'as pas à t'excuser, ce n'est pas de ta faute et je ne t'en veux pas. Tu as raison et puis je ne veux pas non plus perdre ce qu'on a déjà, ça nous mènerait à rien de briser une si belle amitié si ce n'est nous faire du mal. » Une si belle amitié avec ses affinités en plus. Oui, car l'attirance est toujours présente quoiqu'ils en fassent, mais peut-être qu'avec le temps ça s'apaisera. « Sache que je n'ai pas pleuré à cause de toi, j'ai juste été trop honteuse et bête d'avoir pu penser que c'était bien ce qu'on faisait. » Zelda essaye de le rassurer comme elle le peut afin qu'il ne s'inquiète plus de ses pleurs et pour ne pas qu'il pense qu'il lui a fait du mal. Enfin, ses yeux quittèrent la vue de son parquet pour se diriger vers le visage encore torturé de son ami. Elle se mordit sa lèvre inférieure devant un tel cauchemar. Tout à coup, Gabriel commence à révéler le réel problème, celui qui l'a fait reculer de leur étreinte. Il lui raconte qu'il a pensé à tout ce que Zelda a dû témoigné durant son procès, l'effroi de la forcer à son tour. C'est d'abord une certaine colère qui émane. C'est donc à ça qu'il pensait pendant qu'ils s’embrassaient, se répétant en boucle tout ce que Zelda a dit au juge tout en imaginant la scène plutôt que de se concentrer sur le moment ? Puis vint une compassion. Une main vient se poser délicatement contre son front et de ses doigts elle commence un léger massage comme pour calmer ses émotions. Zelda laisse de côté la colère, ne préférant pas commencer une nouvelle dispute et puis la fatigue progresse. « Si tu avais profité de moi, je me serais défendue, j'ai appris à le faire depuis le temps. C'était bien, quand tu m'as embrassé et à aucun moment, je me suis sentie mal. Mais je comprends. » Du moins, elle essaie d'entrer dans sa tête. En y repensant, c'était une mauvaise idée d'accélérer les choses après un procès lourd. « On ne peut plus nier le fait qu'on s'attire mutuellement, mais je ne sais pas si je pourrais continuer ainsi tout en doutant de mes envies et des tiens. Et je ne veux réellement pas gâcher notre amitié. Alors, je préfère qu'on mette tout ça de côté. » Et c'est ainsi qu'elle renonce à toutes espérances, se promettant intérieurement d'essayer d'avancer. Elle pose sa main contre l'épaule de son ami. « Et j'aimerais dormir et tu ferais mieux aussi, on a eu une longue journée. »
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles, petits trous dans la toile étanche, tristes strates sur le voile. Et moi, envoutée de ténèbres, je passe des heures infinies à compter les moutons funèbres qui tapissent mes insomnies. Minuit est là, je ne dors pas. Et moins je dors et plus je pense, et plus je pense et moins j'oublie. Et puis passé minuit je danse au rythme des tachycardies et tout s'emballe, et tout balance, et tout m'étale, et tout me fui. La lune est un fruit un peu rance, la vie est une maladie. Ceux qui rêvent ont bien de la chance, les autres ont des insomnies. • Ceux qui rêvent, Pomme
Zelda a beau m’assurer que je n’ai pas besoin de m’excuser pour ce qui s’est passé, j’ai quand même l’impression d’avoir commis une gaffe monumentale. Alors peut-être pour me saboter un peu plus, je lui explique ce qui m’est réellement passé par la tête pendant qu’on s’embrassait. Elle a l’habitude de dissimuler ses émotions, mais moi j’ai appris à la connaître et je perçois un flash de colère dans ses iris noisette. Il disparaît rapidement et son regard s’adoucit en même temps qu’elle vient poser sa main délicate sur mon front. Presque distraitement, ses doigts tracent des cercles sur ma peau et je me détends malgré moi. Je n’ai pas tout gâché après tout, même si j’ai été terriblement maladroit. « Si tu avais profité de moi, je me serais défendue, j'ai appris à le faire depuis le temps. C'était bien, quand tu m'as embrassé et à aucun moment, je me suis sentie mal. Mais je comprends. » Je baisse les yeux vers le tapis à poils rose dans lequel nos orteils s’enfouissent mais je ne le vois pas vraiment. Je pense à ce qu’elle vient de me dire. C’est une leçon importante, une que je n’oublierai pas de sitôt parce qu’elle me brûle le cœur comme un fer chauffé à blanc. Même si ce n’est pas du tout ce que je voulais, même si j’avais les meilleures intentions du monde, l’espace d’un instant, je ne l’ai plus vue que comme une victime. Pendant quelques secondes, j’ai sincèrement pensé qu’elle ne pouvait peut-être pas se défendre, qu’elle ne savait peut-être pas exactement ce qu’elle voulait. Et je m’en veux de l’avoir réduit à si peu alors qu’elle est tellement plus que ça. Heureusement, Zelda n’est pas trop blessée ou alors elle est prête à passer l’éponge. Elle me dit qu’elle préfère qu’on s’en tienne là, qu’elle ne veut pas continuellement douter de mes envies et des siennes, qu’il vaut mieux qu’on se contente de notre amitié sans chercher à aller plus loin. Je sais qu’elle a raison. C’est ce qu’il y a de mieux et je hoche même la tête une fois puis deux. Ça n’empêche pas un désagréable pincement au cœur de me traverser la poitrine. J’ai l’impression de renoncer à quelque chose qui aurait pu être merveilleux. Surtout, je n’ai pas l’habitude de résister à l’attirance comme ça. Je suis plutôt du genre à foncer en tout temps et à goûter à tout ce qui me tente sans me poser trop de questions. Je relève les yeux vers Zelda. Tu crois vraiment qu’on va réussir à l’ignorer, cette attirance? Plutôt que de répondre à ma question silencieuse, met sa main sur mon épaule. « Et j'aimerais dormir et tu ferais mieux aussi, on a eu une longue journée, » conclut-elle. Elle n’a pas tort. Je sens la fatigue s’accumuler jusque dans mes os. Je peux juste imaginer à quel point elle doit être claquée après les heures qu’elle a passées à témoigner. « Tu as raison, c’est pour le mieux, mais… J’aurais aimé que les choses se passent autrement, je crois. » J’esquisse un sourire désolé avant de me pencher pour déposer un baiser sur son front de porcelaine, juste à la limite de sa chevelure nouvellement rosée. « Bonne nuit. » Je me lève et me diriger vers la porte de la chambre, mais elle m’arrête en me prenant par la main. Curieux, je l’observe et comprends où elle veut en venir quand elle vient poser ses lèvres délicatement sur les miennes. Je lui rends son baiser, un baiser chaste et doux après la passion de tout à l’heure. Quand elle s’écarte, je sors de la chambre, refermant derrière moi la porte avec l’impression de mettre un point final à ce qui aurait pu être une magnifique histoire. En étendant mes couvertures sur le divan, je me dis que ça aurait pu être pire. Après tout, nous sommes de véritables amis, et nous avons la chance de nous côtoyer à tous les jours ou presque vu que nous travaillons ensemble. Oui, vraiment, ça aurait pu être pire. Alors pourquoi je ne peux pas faire taire la petite voix qui me dit qu’on a tort de renoncer si tôt?