Il avait eu toute la soirée pour le faire et il n’y était pas parvenu, se cachant derrière des excuses aussi mauvaises que les prédictions météorologiques ayant promis que la journée serait pluvieuse – elle ne l’avait pas été, et c’était sans doute ce qui avait sauvé l’humeur peu glorieuse du policier quand tout le reste de son existence lui semblait se désagréger sous ses yeux. Les mauvaises langues l’accuseraient de dramatiser un peu, mais en réalité le combo de la situation inextricable dans laquelle il s’était fourré en pactisant avec Strange et de cette seconde future paternité absolument pas prévue au programme, Anwar avait la désagréable sensation de perdre tout contrôle sur son quotidien. Et malgré le dîner qu’il avait partagé avec son fils la veille, le brun n’avait pas su trouver les mots pour lui annoncer ce que Tarek considèrerait très probablement comme une erreur de débutant – une erreur, certes pas malheureuse, dont son père s’était déjà rendu coupable vingt ans auparavant et qu’il reproduisait à nouveau aujourd’hui comme si au fond de lui l’adolescent désinvolte de dix-sept ans n’avait jamais totalement disparu. Anwar avait peur. Peur que son fils ne le juge avec déception et sévérité, peur que leur relation ne s’en retrouve entachée ou changée, et même peur de s’entendre dire que le boulot qu’il avait fait en tant que père la première fois n’était pas aussi bon qu’il ne le croyait, et qu’infliger ses piètres capacités paternelles à un seconde être vivant était d’un égoïsme sans équivalent. Là, il dramatisait. Bien que se parler à cœur ouvert ne soit pas une spécialité chez les Zehri, Anwar et son fils avaient déjà eu l’occasion d’échanger à ce sujet avec pudeur, à une période où la situation avait été difficile pour l’un comme pour l’autre – le père parce qu’il venait de perdre son meilleur ami, le fils parce qu’il luttait contre le harcèlement scolaire dont il était l’objet – et où se dire les choses était devenu primordial. Et bien que la situation n'ait pas toujours été aisée, et que les absences répétées de la mère de Tarek ait été une difficulté de tous les instants, ils se sentaient comme une famille solide et au sein de laquelle on pouvait compter les uns sur les autres. Mais les choses allaient changer, un nouvel enfant s’y rajouterait, et malgré tous ses efforts pour se raisonner Anwar continuait d’avoir peur et ne parvenait pas à cracher sa vérité.

Son samedi matin avait été morose, et son après-midi occupée à démêler l’autre cacophonie qui l’animait, posant des questions et distillant ses billets de dix dollars contre des réponses dans les recoins crasseux de Redcliffe en tentant de se persuader qu’il ne perdait pas son temps, et que souffler sur des braises éteintes depuis presque trois ans n’était pas vain. Alors que s’amorçait la soirée, il sirotait une bière tiède en échangeant quelques mots avec la barmaid déjà en poste en octobre 2016 – presque un exploit – lorsque le premier message de Caelan était arrivé. SOS enfants en hyperglycémie, un tonton à la dérive. Repas de lentilles steak haché offert, je te le remplace la viande par des œufs si t’es le seul à ne pas me faire une crise de larmes. Je peux même te dessiner un sourire avec du ketchup pour pas que ça ressemble à un repas de prison. « Vous devez avoir sacrément énervé votre dulcinée. » L’œil s’étant baladé juste assez pour jauger la longueur du message que venait de recevoir le brun, la jeune femme avait eu la décence de ne pas creuser lorsqu’Anwar avait répondu « Y’a longtemps qu’elle ne s’énerve plus. » d’un air las. La mère de Tarek avait remplacé l’énervement par l’indifférence voilà longtemps, et c’était bien la meilleure des preuves qu’elle ne s’en souciait plus. T'as une bière offerte si t'arrives avant que j'en prenne un pour taper sur l'autre. La situation semblait réellement désespérée du côté de Caelan, et terminant d’une traite ce qu’il restait de sa bière il avait saisi au vol la possibilité d’une autre – et pas que – en pianotant : Deux bières, et Norah ne saura jamais que tu as eu besoin de m’appeler à l’aide. Deux bières et un yaourt à la fraise, en fait. Serait-il encore en état de conduire après trois bières et dans l’éventualité qu’il ne trouve pas une excuse pour en siffler une quatrième ? À cet instant la question ne lui avait même pas traversé l’esprit, et la seconde suivante il quittait le bar pour sauter dans sa voiture, bien trop soulagé à l’idée d’avoir Caelan et les deux terreurs pour lui tenir l’esprit occupé durant les prochaines heures.

Sa Ford garée en un éclair derrière la voiture de Caelan – toujours un peu trop près, dirait le concerné – Anwar n’avait pas pris la peine de sonner ou de frapper à la porte et avait simplement pénétré dans la maison sans s’annoncer. Depuis la cuisine lui parvenaient des cris et des protestations d’enfants, une vague histoire de steak haché de la mauvaise couleur et un soupir las du fameux tonton à la dérive, que le brun avait balayé d’un « J’ai entendu dire que deux fripouilles faisaient tourner leur oncle en bourrique, par ici. » Se laissant glisser de sa chaise pour en descendre, Aidan avait été le premier à réagir et s’était élancé dans sa direction en s’exclamant « Oncle Anwar ! » avant de lui sauter dans les bras. Se désintéressant elle aussi du steak haché dans son assiette, Julie avait fini par quitter la table à son tour pour aller embrasser Anwar avant de demander, l’air de rien « C’est Maman qui t’a dit de venir sauver la cuisine ? » Jetant à l’intention de Caelan un regard presque désolé pour lui et ses efforts réduits à néant, le brun avait reposé son filleul sur le sol et piqué un baiser sur le crâne de la fillette avec amusement « Elle a l’air d’aller très bien cette cuisine ! En plus je meurs de faim, t’as prévu une assiette supplémentaire pour moi j’espère ? » Échangeant avec l’autre adulte de la pièce d’un air entendu, le brun avait soulevé Aidan pour venir le reposer sur sa chaise et face à son assiette, Julie se retrouvant dès lors bien obligée d’en faire de même mais non sans lancer un regard morne à son assiette comme pour faire comprendre sa désapprobation. « Et puis, il me semble avoir entendu dire que c’était double-dose de dessert pour celui qui terminerait son assiette le premier, alors j’espère bien vous battre tous les deux à plate couture … » Est-ce que Norah approuverait l’utilisation d’une double ration de dessert comme carotte ? Sans doute pas. Es-ce qu’Anwar estimait qu’aux grands mots les grands remèdes ? Assurément, et après avoir passé ses mains sous l’eau du robinet de la cuisine le policier s’était emparé du torchon et avait murmuré à l’intention de Caelan « Qu’est-ce que tu ferais sans moi ? » en lui offrant ce sourire angélique qui promettait que Leckie n’avait pas fini d’en entendre parler. Mais les deux garnements, eux, semblaient bien décidé à poursuivre leur grève de la faim quitte à se passer de crème dessert.

La surenchère et les chamailleries entre frère et sœur, Anwar n’avait jamais eu l’occasion de s’y confronter autrement que via les enfants de Frank et Norah. De son point de vue d’adulte tout du moins, car la cohabitation avec Lili avait parfois donné quelques étincelles elle aussi, elle comme lui projetés du jour au lendemain dans un schéma où ils n’étaient plus le seul enfant de la maisonnée, avec pour Anwar la difficulté supplémentaire d’apprivoiser un nouveau mode de vie et une maitrise de l’anglais toute approximative. Mais ce n’était pas quelque chose auquel il avait été confronté en tant que père, et s’il aimait les enfants Lindley de tout son cœur il n’était parfois pas mécontent de pouvoir les rendre à leur mère après une journée ou un week-end remuant. Il peinait encore à réaliser que bientôt, lui qui pensait les années les plus prenantes de la paternité derrière lui devrait à nouveau plonger tête la première dedans. Et finalement le sourire que lui avait arraché le « Je t’attendais pour te faire le sourire en ketchup en direct live. » de Caelan et le concert de « Moi aussi je veux du ketchup !  » et de « Eh, moi aussi j’en veux ! » qui avait suivi avait été un peu moins léger et un peu plus songeur qu’il ne l’aurait été à l’accoutumée. Pour autant, Anwar avait appris à laisser – ou du moins à essayer de laisser – ses problèmes sur le pas de la porte lorsqu’il arrivait chez Norah au même titre qu’il les laissait au vestiaire lorsqu’il allait travailler, et secouant la tête comme pour en chasser les tracas il avait utilisé la carte joker « instinct de compétition » pour tenter d’obtenir des deux bambins qu’ils terminent leur assiette vitesse lumière, non pas tant pour la double dose de dessert que pour les envoyer au lit plus vite. L’opération ketchup effectuée avec brio d’un côté, le brun en avait profité pour se laver les mains et se débarrasser de la sensation poisseuse qui accompagnait souvent les après-midi passées à courir les tuyaux dans les coins de Brisbane à la propreté la plus relative. Puis l’accalmie côté bambins et l’incapacité à ne pas tendre au Leckie la perche d’une nouvelle joute verbale, saisie à la volée par le concerné « Je n’aurais pas fait installer ces bandes réfléchissantes à l’arrière de ma voiture pour que tu arrêtes de la coller de trop près quand tu te gares, déjà. » Pointant son index dans sa propre direction en feignant la surprise la plus totale, un sourire entendu lui avait échappé en songeant à la distance tout sauf raisonnable laissée à nouveau entre sa voiture et celle du rouquin. « On appelle ça maîtriser son véhicule, mon cher. Ce sont les grand-mères qui ont besoin d’une sécurité. » De là à dire que la conduite de Caelan se rapprochait plus de celle de la gentille retraitée que du pilote de rallye … Hm. Peut-être en réponse à cette comparaison avec le troisième âge, l’oncle avait lâchement jeté le policier en pâture aux gnomes en lançant « Si vous êtes au lit dans moins d’une demie heure, oncle Anwar vous lira une histoire. » l’air de rien. Lâche. Mais un lâche qui avait tenté d’endormir sa méfiance la seconde d’après avec une bière toute droite sortie du frigo – et pour sûr, cela fonctionnait. « Moins d’une demi-heure, lavage de dents compris. » qu’il avait alors renchéri après avoir décapsulé sa bière, laissant le frère et la sœur peser le pour et le contre tout en réfléchissant à une manière sournoise d’impliquer Caelan dans cette affaire, malgré tout. « De toute façon si on en tue un, Norah n’y verra que du feu. Un ou deux ça ne change pas grand-chose. On m’a toujours dit qu’on a le droit à 20% de perte, et qu’on doit toujours finir ce qu’on a commencé … Puis ça prendra pas beaucoup de place dans le jardin. » Faisant mine de considérer la proposition – surtout si elle permettait d’abréger l’opération l’histoire à lire et les cent douze tentatives pour retarder l’heure de dormir qui suivraient – il avait rétorqué « Et ça ose se prétendre meilleur parrain. » d’un ton narquois avant de reprendre, pince sans rire « Creuse un trou plus grand et tu pourras y mettre les deux. On m’a toujours dit qu’il ne fallait pas faire de favoritisme entre les enfants. » Et s’il creusait encore plus grand, sa propre demeure serait déjà prête pour le moment où Norah découvrirait le pot aux roses, tandis qu'Anwar assisterait nouvelle bière à la main au dernier acte de cette tragédie shakespearienne. Trêve de plaisanterie néanmoins, Caelan avait repris d’un ton plus sérieux « Je t’ai vraiment fait deux œufs, au fait. Et tu peux pas échapper au sourire en ketchup maintenant qu’ils ont voulu la même chose que toi. » Offrant un pouce en l’air en guise de réponse, le brun avait ajouté « Une chance qu’ils aient retenu le ketchup et pas la bière. » et finalement pris place à table docilement. La vérité, c’est qu’il n’avait rien avalé de solide de la journée si ce n’était quelques mentos et un paquet de crackers en milieu d’après-midi, et qu’il mourrait de faim. « J’en connais un qui a très envie d’arriver au dessert. » Gobant littéralement ses lentilles, Aidan avait été pris d’une quinte de toux et avait descendu la totalité de son verre d’eau pour la faire passer « Pense quand même à respirer entre deux bouchées, moussaillon. » Malheureusement pour lui, et alors que Caelan s’apprêtait à s’installer lui aussi a table une fois la dernière assiette servie, Julie s’était exclamée « Fini ! » en levant sa fourchette d’un air victorieux. Comme quoi, les petits pois trop cuits n’étaient pas si insurmontables. Le visage empourpré par la contrariété, Aidan avait rageusement reposé son couteau sur la table en couinant « C’est pas juste ! Mon assiette elle était plus rempli-i-e, moi aussi je veux du desse-e-e-rt … » les larmes lui montant aux yeux comme si la terre venait de s’arrêter de tourner. Échangeant avec Caelan un regard un brin désespéré, se résignant probablement comme le rouquin à ne pouvoir manger que froid et une fois les deux garnements au lit, il avait tenté de temporiser « Du calme, du calme, tout le monde aura du dessert. Aidan va terminer son assiette pour faire comme sa sœur, et pendant ce temps-là Julie va sortir le dessert pour tout le monde, d’accord ? » Forte de cette nouvelle mission lui donnant faussement l’impression de pouvoir jouer les maitresses de maison, Julie en avait presque oublié sa volonté d’étaler sa victoire. Quittant la table pour se diriger vers le frigo, elle en avait scruté le contenu durant ce qui avait semblé être une éternité avant de lancer vers l’assemblée un regard suspicieux « Je trouve pas le crumble de Maman … » Instinctivement, tous les regards s’étaient dirigés vers Caelan, alors que la fillette ajoutait « Elle l’a fait hier soir, Aidan et moi on l’a aidée à laver les pommes. » Qu’on se le dise, les pâtisseries de Norah valaient tous les yaourts à la fraise du monde pour Anwar, presque aussi intéressé que les enfants désormais quant à savoir ce qu’ils était advenu du dessert. Et le rouquin avait assurément une tête de coupable, le policier plissant ses yeux d’un air mauvais en pointant sa fourchette dans sa direction « Monsieur Leckie, nous avons les moyens de vous faire parler. »

Cela avait quelque chose de sain la compétition. C’était ce qu’Anwar avait toujours entendu dire, et dans un sens on pouvait donc en conclure que la joute permanente qui les animait Caelan et lui était un moyen infaillible de conserver la santé – CQFD. Mais plus prompt que lui à choisir la voie de la facilité, chose pour laquelle le rouquin aurait mérité le bûcher métaphorique en guise de punition, ce dernier avait préféré se satisfaire d’un autre titre pour lequel Anwar se retrouvait d’office mis hors compétition : « Heureusement qu'il me reste la médaille du meilleur oncle. » Mais soit, après tout à vaincre sans péril on triomphait sans gloire, et au petit sourire que s’était permis le brun en guise de réponse on pouvait d’ores et déjà parier qu’il ne manquerait pas de ressortir cette répartie à son envoyeur la prochaine fois qu’il tenterait de s’attribuer prématurément les lauriers du parrainage. Pour l’heure, tous les deux empreints de la grande sagesse qui les caractérisait – ou si peu, dirait Norah – ils étaient parvenus à garder les enfants devant leur assiette sans que le trou dans le jardin ne devienne une réalité et sans que l’un ou l’autre des gremlins n’ait eu, Dieu merci, l’idée saugrenue de réclamer une bière avec leur ketchup. Une victoire en somme, et qui aurait presque pu être totale si la course à l’assiette terminée la première n’avait pas entrainé un nouveau drame évité de justesse lorsque le petit frère avait préféré tenter de s’étouffer plutôt que d’accorder une victoire implacable de sa grande sœur ; Il fallait bien reconnaitre une chose aux enfants, leur dévouement pour le dramatique était toujours total, et Anwar était pratiquement certain que le talent pour la comédie des acteurs oscarisés se développait à cet âge. Quant au don pour la chapardise, il se développait peut-être un peu plus tard, à moins que ce ne soit une affaire de roux, auquel cas Anwar entendait bien empêcher son filleul d’emprunter la même pente savonneuse que son oncle afin d’en faire une exception à la règle … Car pour Caelan il était trop tard, le crumble en était la pièce à conviction, et dos au mur le coupable n’avait pu que glapir « Ça alors ! Regardez donc ce que tonton Anwar avait caché au fond du frigo ! » pour tenter de sauver la face, avant que Julie ne mette sans pitié aucune fin au règne de son mensonge. « Mais tonton Anwar vient d’arriver ... » Regard triomphant et sourire narquois en prime, le brun n’avait pas caché sa satisfaction face à l’air outré qu’affichait son ami d’avoir été ainsi trahi par son propre sang, et les yeux revenant ensuite à Julie et Aidan Anwar n’avait pu s’empêcher de faire remarquer « J’en connais un dont le nez risque de s’allonger pendant la nuit. » tirant aussitôt un rire chez les deux enfants. Et si dans d’autres circonstances il aurait même poussé la plaisanterie jusqu’à ajouter que malheureusement pour lui son nez serait la seule chose susceptible de prendre de la longueur, les deux paires d’oreilles chastes encore à table l’en avaient dissuadé de justesse, laissant à Caelan la possibilité d’user du « Breef. » des perdants avant d’indiquer aux bambins « Le problème est résolu, rangez vos assiettes dans le lave-vaisselle pendant que je vous sers. » sans doute dans l’espoir que l’appel de la gourmandise leur fasse oublier tout le reste. Ce qui fut bien évidemment le cas, tant pour les enfants que pour tonton Anwar, qui avait maintenant tellement faim que la bière lui semblait tomber directement dans le vide de son estomac, et que les œufs aux lentilles arrosées de ketchup avaient à cet instant des allures de repas divin.

Le reste du repas s’était déroulé sans encombre, le frère et la sœur bien plus efficaces pour récurer leur assiette jusqu’à la dernière miette lorsqu’il s’agissait du crumble de maman – un fait que Caelan n’aurait même pas à se rendre responsable car au fond c’était dans l’ordre des choses : la cuisine de maman était toujours la meilleure. Anwar avait quant à lui englouti son assiette, le rouquin également, et au bout de la demi-heure réclamée un peu plus tôt tout ce petit monde se trouvait bien à l’étage, les quenottes propres comme les fesses d’un nouveau-né et le pyjama revêtu – presque – sans encombres malgré un premier essai à l’envers pour le haut de pyjama Iron Man d’Aidan. Le crumble n’était plus très loin pour les deux hommes, les yeux rouges du benjamin laissaient présager qu’il ne faudrait pas plus d’une page ou deux d’histoire pour l’envoyer au pays des rêves, quant à Julie elle se ferait un plaisir de faire sa lecture toute seule tant elle semblait se passionner depuis quelques temps pour il ne savait quelle série de romans pour pré-adolescentes … Une vague histoire de princesse et de malédiction, pour ce qu’Anwar en avait compris. Mais la véritable malédiction était venue directement du regard de la fillette, lorsque les larmes aux yeux elle leur avait annoncé « Je trouve pas mon doudou ... » comme s’il s’agissait là du plus énorme des drames. Mais c’en était sans doute un, à ses yeux à elle, et échangeant un regard un brin catastrophé face à ce contretemps fâcheux, les deux hommes s’étaient néanmoins lancés dans la recherche du doudou perdu après que Caelan ait indiqué « Tonton Anwar va chercher sous ton lit et moi dans l'armoire. On va retrouver ton doudou t'en fais pas, rien ne peut nous échapper ! » avec l’air de maitriser parfaitement la situation. Mais on ne la faisait pas à Anwar, certain que le marin balisait autant que lui à l’idée de devoir gérer la crise qui s’en suivraient s’ils ne retrouvaient pas la peluche disparue. « Tu ne l’as pas oublié à l’école … ? » avait de son côté hasardé le brun, à quatre pattes sur le sol de la chambre pour fouiller sous le lit, non sans se demander au passage ce que penserait Norah du fouillis qui régnait là-dessous, sa fille ayant visiblement comme tous les enfants compris l’importance de la technique du « pas vu pas pris » consistant à ranger sa chambre en fourrant un maximum de choses sous son sommier. « J’emmène pas mon doudou à l’école. » n’avait pas manqué de répondre la chipie d’un ton outré – pour quoi la prenait-il, au juste ? « Évidemment, où avais-je la tête ? » Nouveau regard échangé avec Caelan, et doudou toujours introuvable. « Bon, continue à chercher dans ta chambre, avec tonton Caelan on va descendre voir s’il n’est pas resté en bas. » De sa propre expérience, les enfants avaient tendance à semer leurs affaires dans des endroits improbables – big up à la balle rebondissante que Tarek avait un jour oublié dans le frigo à l’heure du goûter et que son père et lui avaient ensuite passé une soirée entière à chercher, car la perte de cette balle était bien entendue à l’époque toute aussi dramatique pour son fils que ne l’était celle du doudou de Julie actuellement. « Quand l’alerte enlèvement sera levée, il me faudra une nouvelle bière. » Disant cela, Anwar avait méthodiquement soulevé chaque coussin du canapé pendant que son comparse s’occupait des fauteuils, et dans la cuisine même le lave-vaisselle et la boîte à pain étaient passées à l’inspection. Finalement, le rouquin avait retrouvé la trace du doudou dans la buanderie où sa propriétaire avait abandonné ses affaires de sport en rentrant de l’école, et Anwar avait bien voulu admettre que la médaille du meilleur oncle n’était peut-être pas volée … Mais pas à voix haute, il ne fallait tout de même pas trop lui en demander.

Un quart d’heure plus tard, après avoir bordé les deux terreurs, lu quelques pages au plus petit, fait une dernière tourné de bisous et enclenché l’extinction des feux, les deux hommes avaient regagné le rez-de-chaussée non sans la certitude que l’un ou l’autre des enfants redescendrait bien à un moment ou un autre en justifiant d’avoir soif – une technique vieille comme le monde mais avec toujours autant de succès chez les 5-12 ans. Mais pour l’heure, ils s’étaient laissés tomber sur le canapé dans un même élan, partageant un soupir de lassitude qu’ils estimaient bien mérité, Anwar se permettant d’ajouter « Parfois je me dis que la baby-sitter de Tarek n’était vraiment pas cher payée pour la tâche. » d’un ton pensif. Mais elle ne s’en était jamais plainte, et les remords du policier s’étaient à peu près arrêtés à ce fait, au bout du compte. « Bière ? » Réussissant péniblement à s’extirper à nouveau du canapé, il n’avait pas pris la peine de questionner sur le crumble – il connaissait déjà la réponse – et après un aller-retour à la cuisine il avait tendu l’une des deux assiettes à dessert ainsi qu’une cuillère. Et promis : il avait bien partagé le crumble en deux parts égales … Caelan n’aurait pas besoin de savoir qu’il avait grandement hésité, puis finalement eu mauvaise conscience et laissé la plus grosse au frigo pour Norah. Elle l’aurait bien mérité, elle. « Tu fais faux-bond à Silk pour la nuit ? » Retrouvant sa place dans le canapé, il avait pris un peu mieux ses aises avant de reposer les yeux sur le marin. Pas qu’il n’imagine la blonde du genre à faire une scène à son homme pour avoir découché au profit de sa nièce et de son neveu, cela dit … C’était plutôt une manière détournée de demander à Caelan s’il restait dormir là où si Norah était supposée rentrer plus tard dans la soirée.

Il y avait eu ce court instant lorsqu’Aidan avait réclamé une page d’histoire supplémentaire, un énième bisou et employé tous les stratagèmes pour repousser d’encore quelques secondes le moment où Anwar et Caelan quitteraient la pièce et éteindraient la lumière, où le brun s’était senti un peu las. Le petit garçon n’en était en rien responsable, et la seconde suivante le sentiment s’était évaporé aussi vite qu’il était arrivé, mais fatalement Anwar s’était remis à penser à Lene, à ce bébé qu’elle portait, et à se demander s’il serait à nouveau capable de faire preuve de la même patience au quotidien qu’il ne l’avait fait avec Tarek des années plus tôt. Vingt ans séparaient son premier enfant du futur second ; Vingt ans c’était une éternité, et si pléiade de choses avaient changé en deux décennies, c’était dans ce qu’il était lui-même devenu que l’inspecteur sentait le plus de différences. La plupart du temps il essayait de ne pas y penser, trop noyé dans les méandres de son boulot pour avoir le temps de s’appesantir sur ses états d’âme, mais des soirs comme aujourd’hui tous ses doutes lui revenaient en pleine figure, et faute d’avoir suffisamment bu pour engourdir ses neurones il avait continué à cogiter à ce sujet un moment alors qu’il regagnait la cuisine pour y chercher deux bières. Confortablement affalé dans le canapé du salon, Caelan avait sagement attendu son retour en arrêtant son choix sur un quelconque documentaire à la télévision, et n’avait pas relevé les yeux vers Anwar pour lui répondre « Oh c’est elle qui me fausse compagnie. Tu la connais, toujours à droite à gauche. Elle est à Bahreïn pour une semaine, elle voulait examiner le nouveau site qu’ils ont découvert. » lorsque ce dernier avait indirectement pris des nouvelles de sa chère et tendre. Lui tendant sa boisson, le policier s’était laissé tomber de l’autre côté du canapé en poussant un soupir d’aise sensiblement identique à celui du rouquin lorsqu’il y avait pris place le premier. « Une semaine entière de retour au célibat ? C’est le moment de faire des folies mon vieux. » s’était-il gentiment moqué, sans croire un seul instant que Leckie puisse ne pas être de ceux qui attendaient sagement – et avec un brin d’impatience – le retour de leur moitié lorsqu’elle s’absentait quelques jours. Étirant ses jambes devant lui, le brun avait pris le temps d’une gorgée de bière presque salvatrice mais pas considéré un instant la possibilité d’accepter lorsque le parrain version bêta avait proposé « Si t’as pas peur de faire faux bond à Ibis tu peux dormir dans la chambre d’amis. J’ai prévu de bosser sur des dossiers du boulot pour la nuit, de toute façon. » Cette bière était la troisième et la raison aurait peut-être voulu qu’il y songe plus sérieusement, mais au lieu de ça il avait affirmé « C’est gentil, mais je dois être au bureau à l’aube pour une perquisition demain. J’aurai pas le temps de repasser par chez moi pour nourrir la bête si je reste ici. » Vérité qui avait le mérite de lui permettre d’omettre le fait qu’il dormait tellement mal en ce moment qu’il valait sans doute mieux qu’il tente de le faire dans son lit s’il espérait grappiller au moins une heure ou deux de sommeil. Et parce que le brun n’avait pas son pareil pour donner des conseils qu’il ne suivait pas, il n’avait pas manqué de faire remarquer à Caelan « Tu sais qu’en théorie la nuit, c’est fait pour dormir ? C’est pas vraiment ce que j’avais en tête quand je parlais de faire des folies. » À moins bien sûr qu’il ne prévoie de rattraper sa nuit de sommeil une fois au bureau … Mais enfin, l’un dans l’autre cela n’avait pas vraiment de sens. Ou alors était-ce sa bonne amie l’insomnie qui avait décidé de lui faire des infidélités pour s’occuper aussi du cas du rouquin ? Avant qu’Anwar n’ait le temps de poser la question l’océanologue avait de toute manière embrayé sur autre chose. « Et bien sûr dans la version officielle tu as vu de la lumière en passant devant la maison et t’as voulu venir dire bonjour. » Sourire narquois à l’appui, l’inspecteur avait ménagé son suspens en s’autorisant une nouvelle gorgée de bière puis fait remarquer « Logan City, c’est tellement sur mon chemin en plus. » d’un ton entendu. La vérité ? Il pourrait bien jurer sur une bible ou un Bescherelle être arrivé là hasard, Norah n’en goberait pas un mot, pas plus de sa bouche que de celle de son jumeau. Mais en fin de compte cela n’avait pas empêché d’assurer « Mais allez, pour tes beaux yeux, j’ai vu de la lumière … Et puis ça peut toujours m’être utile de savoir que t’as une dette envers moi. » et de ponctuer sa phrase d’un battement de cils satisfait. « Est ce qu'Aidan a encore essayé de t'entraîner dans ses plans extravagants pour demain ? Ou il a oublié ? Et, au fait, Tarek ; il devient quoi maintenant ? » Soudainement attentif, Anwar s’était tourné de moitié et avait replié l’une de ses jambes en tailleur pour tenter de trouver une position confortable. « Quels plans ? Il envisage encore de capturer des cafards pour participer à la prochaine Cockroach Race ? Tu sais plus j’y pense plus j’me dis que ce petit a de la suite dans les idées … » Et en même temps Anwar plaidait totalement coupable, s’il n’avait pas amené Aidan à la dernière répétition des Street Cats son filleul n’aurait jamais entendu parler de cette compétition de cafards, à laquelle sans surprise aucune Tad et Alfie avaient décidé de participer avec autant de motivation et d’aplomb que s’ils envisageaient de parier sur une course hippique. « Et Tarek, Tarek … C’est un garçon très occupé, vois-tu. Plus le temps pour son vieux père, pas beaucoup plus pour sa mère, ma place à l’hospice est peut-être déjà réservée, qui sait. » Toujours dans la demi-mesure, Anwar. Mais consentant enfin à reprendre un brin de sérieux il avait dodeliné la tête « Non pour de vrai, il va bien. Il bosse beaucoup en ce moment, le ballet prépare Casse-Noisette pour les fêtes de fin d’année … Mais il a l’air de trouver ses marques. Son appartement lui plait. Il a pris un chien y’a quelques semaines, je sais pas si je t’avais dit ? J’ai officiellement un petit-fils. » Et qu’on se le dise, c’était le seul genre de petit-fils qu’Anwar l’autorisait à lui donner dans l’immédiat … Il y avait assez d’un Zehri qui semait ses petits soldats aux quatre vents actuellement.

Anwar rejette rapidement la proposition d’un lit pour la nuit et même si le roux ne répond pas, il ne peut pas s’empêcher d’avoir ce regard à son encontre, celui qui se préoccupe et qui se fait fureur pour ne pas lever les yeux au ciel. Il a donné une bonne excuse, pourtant, et pour quelqu’un qui a la majorité depuis bien longtemps déjà ; il sait ce qu’il fait. Le fait que ses paroles soient entrecoupées de gorgées de bière n’a rien de rassurant pourtant le Leckie ne dit rien, il avisera sûrement de l’état de son ami à la dernière seconde pour savoir quoi lui dire et quoi faire. Sûrement qu’il ne dira rien et qu’il le laissera faire comme bon lui semble. Le policier ne serait pas lui même s’il ne donnait pas des conseils qu’il ne suivrait lui même pas pour tout l’or du monde, ce qui a toujours le don d’arracher un sourire et un rire à Caelan. ”Tu dors la nuit, toi ? Come on c’est dépassé, plus personne ne fait ça de nos jours ! Faut se mettre à la page, Zehri.” Il était à ça d’utiliser du vocabulaire de jeunes, ce même genre qu’il n’a jamais utilisé même à l’époque où il en avait l’âge. Dans tous les cas, sa seule passion nocturne est pour le moment de se moquer gentiment d’Anwar et d’être une véritable plaie - un rôle qu’il met un poing d’honneur à exercer avec sérieux. A aucun moment il ne se doute des insomnies qui rongent son ami, seule sa maladresse parle pour lui.

Comme deux enfants, ils ne perdent pas une seule occasion de se taquiner l’un l’autre et ce soir là Anwar est d’autant plus en forme que jamais. ”C’est fou le nombre de courses qu’on doit tous venir faire à Logan City, tu sais.” Le roux enchaîne déjà pour venir appuyer le mensonge qu’ils ne seront jamais capables d’assumer une simple seconde face à Norah. Ils se font déjà des plans sur la comète mais si jamais une simple question sort de la bouche de sa jumelle, seule la vérité ne sortira à son tour des leurs. Avoir une dette envers Anwar, quelle folle idée que voilà, elle fait aussitôt naître un large sourire sur les minces lèvres de l’océanologue. Heureusement pour son ego, le sujet des plus jeunes arrive rapidement sur la table, laissant derrière eux le piètre mensonge qu’ils étaient en train d’élaborer.

”Si son plan n’est pas d’attraper des cafards, je crois l’avoir entendu parler de partir à la recherche d’un M. Mime parce que sinon son ami va l’avoir avant lui et ça sera la super honte.” Il souffle, l’oncle, il lève les yeux au ciel avec exagération, il pose son bras sur le dossier du canapé pour ne pas avoir à se tordre le cou pour observer son ami. Au fond toute cette histoire l’amuse bien plus que tout ce qu’il ne voudra jamais l’avouer, il s’imagine déjà tenir Aidan par le col de son tee shirt pour lui éviter de se prendre tous les poteaux de la ville en pleine figure, lui qui aura les yeux rivés sur son écran de téléphone. Certes Caelan ne comprend rien de cette frénésie pour des animaux imaginaires, ces histoires de pokeball, ces combats auxquels il ne comprend absolument rien … mais il serait prêt à se sacrifier pour son neveu. (Quoi que si Anwar se sacrifie en premier, ce n’en serait pas plus mal) ”Avec un peu de chance il t’a réservé ton coin de jardin pour que tu puisses occuper tes vieux jour.” Il continue de se moquer gentiment sans jamais oublier de voir le verre à moitié plein - imaginant déjà Anwar s’occuper de ses tomates et ses salades dans le mètre carré de verdure que lui aura offert son si généreux fils.

Néanmoins le roux ne peut pas cacher un certain soulagement de savoir son ami toujours au courant des faits et gestes de son fils malgré tout ce qui pourrait les séparer. Il n’a jamais eu le temps de réellement connaître le fils Zehri mais Tarek fait lui aussi parti de la famille par extension et de ce fait il est normal de continuer à prendre de ses nouvelles et se réjouir qu’elles soient bonnes. Il rigole à nouveau à l’évocation du petit-fils. ”Merde alors. Félicitations, hein ? Deux yeux et deux oreilles, c’est bien suffisant pour le confondre avec un petit humain, tu pourrais berner n’importe qui.” Ils marchent de la même manière en plus, pour les quelques premiers mois de vie au moins. N’importe qui pourrait s’y perdre et confondre l’un avec l’autre, même le meilleur papi du monde. Oh, papi. ”Tu te rends compte que tu viens de gagner un nouveau surnom ? C’est gratuit, cadeau de la maison pour papi Zehri.” C’est si facile mais bon sang que Caelan est fière de cette blague qui n’a rien de drôle.

"Tu repars que si tu veux marcher en passant ton bras sous ta jambe et en touchant ton front avec ton pouce. Tu tombes, tu dors ici. Et je te lis la pire histoire de princesse de toutes les histoires de princesses. T'es prévenu, Zehri." A ses yeux, c'est ce qui se rapproche le plus de menaces. Il est à son maximum, là, le tonton poule dont le rôle s'étend même aux personnes plus âgées que lui. Les sourcils haussées, il défie presque Anwar de le contredire.

Il y avait une certaine ironie dans les remarques d’Anwar, l’hôpital qui se foutait de la charité à coup sûr, et sans même que l’infirmière de la maison ne soit là pour donner un sens plus littéral à cette expression que le brun maniait avec un peu plus de facilité chaque fois qu’une nouvelle année passait. Il fallait au moins ça pour railler Caelan sur la manière dont il comptait passer sa nuit, quand lui-même n’avait pas connu de nuit paisible depuis … Il ne savait plus très bien, en réalité. Il peinait à se figurer quand les choses avaient réellement commencé à dérailler à nouveau, et préférait s’en tenir à la certitude que des périodes d’insomnie tout le monde en avait à un moment ou un autre de son existence : preuve en était que Caelan aussi, Caelan la force tranquille, Caelan qui voyait toujours le verre à moitié plein et qui naviguait dans le sens du vent. « Tu dors la nuit, toi ? Come on c’est dépassé, plus personne ne fait ça de nos jours ! Faut se mettre à la page, Zehri. » Et comme pour ne pas briser cet état de fait, sans se douter un instant d’à quel point il n’y voyait pas plus loin que le bout de son nez, Anwar s’était contenté d’envoyer sur le rouquin l’un des coussins du canapé, sourire narquois sur le visage et volonté typique de cacher ses indécisions derrière une dose d’immaturité. Et il en fallait bien pour fomenter à quatre mains l’idée d’un plan qui viserait à persuader Norah que la présence du parrain 2.0 n’était que le fruit d’un heureux hasard, tant les « C’est fou le nombre de courses qu’on doit tous venir faire à Logan City, tu sais. » sonnaient aussi faux qu’ils amusaient – et Anwar, lui, s’amusait surtout de la dette envers lui que venait de contracter Caelan. À garder précieusement dans sa manche, car qui sait si l’inspecteur n’aurait pas lui aussi besoin d’un baby-sitter de dernière minute lorsque les couches sales et les biberons seraient de nouveau son quotidien. Faudrait déjà lui en toucher un mot pour ça, chico. Mais chaque chose en son temps, hm. D’ailleurs ce n’était pas ses enfants à lui mais bien ceux dont ils avaient conjointement hérité le parrainage dont il était question ce soir-là, et l’imagination aussi fertile qu’imprudente d’Aidan tournait toujours à plein régime lorsqu’il s’agissait de faire des projets et de tenter d’y embarquer les deux faux adultes qu’étaient Caelan et Anwar. « Si son plan n’est pas d’attraper des cafards, je crois l’avoir entendu parler de partir à la recherche d’un M. Mime parce que sinon son ami va l’avoir avant lui et ça sera la super honte. » Sourcils froncés, l’impression d’avoir loupé un épisode important, Zehri s’était appuyé contre l’accoudoir du canapé « Wait, what ? Depuis quand au juste les pokémons sont de nouveau un truc cool ? » Comment diable ces petites bestioles étaient-elles parvenues jusqu’à la nouvelle décennie qui s’amorçait, quand ils envahissaient déjà les cours de récréation du temps où Tarek prenait ses scones avec des pâtes de fruits à l’intérieur pour le goûter ? Un wagon de retard, Zehri. « Ces mômes pourraient au moins faire un effort et s’intéresser à la VRAIE référence en la matière, tiens d’ailleurs file-moi la télécommande, je suis sûre qu’il doit y avoir une vieille rediff’ de DBZ quelque part sur le câble. » Dans les tréfonds du câble il y aurait toujours DBZ pour réchauffer son petit cœur d’adolescent attardé. Ou Nicky Larson. Qui sait, au rythme où allaient les choses il allait peut-être même finir par prendre le câble chez lui aussi, ainsi son futur bambin aurait à disposition un catalogue illimité d’aventures de Tchoupi et autres Pat’Patrouille à écumer pendant que papa tenterait de ne pas perdre la boule. Mais de quoi aussi se sentir encore un peu jeune, qui sait, là où Tarek avait désormais atteint cet âge et ce niveau d’indépendance où en plus de se sentir de moins en moins utile Anwar se voyait déjà un pied dans le jardin de la maison de retraite. Et d’ailleurs : « Avec un peu de chance il t’a réservé ton coin de jardin pour que tu puisses occuper tes vieux jours. » … Devant tant de compassion, autant dire que tout cela méritait une – non, deux – gorgées de bière supplémentaires. « Merci de ton soutien, t’es un vrai ami tu le sais ça ? » L’ironie trahissant néanmoins son amusement, il avait ajouté l’air de rien « Je compte sur toi pour m’amener des fleurs tous les jours si le jardin n’est pas compris dans mon package vieillesse. J’ai un faible pour le jasmin, si jamais. » Du jasmin, pour un buveur de thé, parce qu’il fallait bien entretenir le cliché … Mais pas non plus au point d’opter pour la rose, rapport à la quantité indécente de blagues un peu vaches qu’il collectionnait déjà sur le parallèle entre ses origines et la vente de cette fleur en terrasse les soirs d’été. Enfin, reste qu’à donner des nouvelles de Tarek son père avait tenté de le faire un peu plus sérieusement, non sans mentionner le petit-fils à poils ras que comptait désormais la famille. « Merde alors. Félicitations, hein ? Deux yeux et deux oreilles, c’est bien suffisant pour le confondre avec un petit humain, tu pourrais berner n’importe qui. » Faisant mine d’évaluer la question, le brun s’était fendu d’une grimace qui validait, laissant alors tout le champ libre à Caelan pour ricaner en ajoutant « Tu te rends compte que tu viens de gagner un nouveau surnom ? C’est gratuit, cadeau de la maison pour papi Zehri. » Evidemment. Et croisant les bras parce que bien trop heureux d’obtenir une nouvelle raison de faire le pitre en étalant son talent – relatif – pour la comédie, l’inspecteur avait plissé son nez et froncé les sourcils d’un air boudeur « On t’a jamais appris à respecter tes aînés, Leckie ? » Non mais, zut. D’autant plus que le traiter de Papi pour la seconde suivante se prendre pour son père, avouez que l’ironie de la chose était parfaite. Car le voyant terminer cul sec ce qu’il restait de sa bière, Caelan l’avait fixé un court instant avant d’annoncer « Tu repars que si tu peux marcher en passant ton bras sous ta jambe et en touchant ton front avec ton pouce. Tu tombes, tu dors ici. Et je te lis la pire histoire de princesse de toutes les histoires de princesses. T'es prévenu, Zehri. » sur un ton mi-maître du jeu, mi-chef de famille. « Passer mon bras sous ma jambe en touch- … hein ? » Une chose était certaine, cela lui demandait bien trop d’effort de visualisation pour l’heure qu’il était, et bien que l’idée soit tentante pour le simple fait d’obliger le rouquin à tenir sa promesse en lui lisant une histoire de princesse – dont Anwar exigerait qu’il fasse les voix avec application, bien entendu – l’idée de le voir pris à son propre jeu l’amusait tout autant : « Tu sais quoi, je suis prêt à relever le défi si tu me fais d’abord une démonstration. Pour que je fasse ça correctement, tu vois. » Il allait moins faire le malin, le marin, avec une jambe derrière la nuque et les orteils pour lui gratter les oreilles (c’était bien ce qu’il avait demandé, non ? Non ?). Aucun rapport avec une volonté de noyer le poisson quant à son taux d'alcoolémie supposément trop élevé, bien sûr.