Il sortait, encore, de chez Jessian. Bee rentrait chez elle quand elle avait manqué un battement face à la silhouette d’Alexandre quittant la villa à porte jaune canarie, à deux pas de son nif. Le voir sortir de cette demeure provoque comme toujours son flot d’interrogations dans l’esprit de la demoiselle, comme ce n’est pas la première fois qu’il quitte la maison de son amie Jessian. Avec qui il n’est pas en contrat. Bee la sait être dans une agence. Ces visites régulières, que pouvaient-elles vouloir signifier, alors ? Son cœur se contracte, quand elle se souvient des mots qu’il avait eût dans son mail. Barrières. Il lui avait semblé, alors, qu’il pouvait être amoureux d’une jeune femme sans oser se dévoiler. Si la demoiselle faisait bonne route sur ce point, l’identité de la chanceuse en question lui échappait totalement. Sans imaginer qu’il puisse seulement parler d’elle. Et si cette fille, alors, était Jessian ? Si cette fille qu’il aimait était l’une de ses propres amies ? La douleur est vive, dans la poitrine de la demoiselle, comme elle envisage une fois de plus cette hypothèse. Elle y avait pensé avant le mail, en le voyant sortir d’ici si souvent. Elle y pense bien plus, à présent.

L’homme ne l’avait pas vu, disparaissant rapidement dans son véhicule et elle était restée là sur le trottoir de longues minutes, son cœur battant la chamade, son esprit torturé par ses propres questions. A le regarder disparaître à l’horizon, le cœur affolé, au bord des lèvres, les larmes aux yeux et cette impression devenue familière de chavirer. De perdre pieds. Encore une fois. Son cœur se brisait. Vraiment. D’imaginer qu’il puisse être trop tard. D’imaginer qu’elle avait peut-être laissé passer sa chance. Si encore elle avait eut une chance avec lui, un jour.

Au milieu de cette rue, la demoiselle tourne son visage en direction de la maison de son amie, reprenant sa route pour rentrer chez elle, l’inquiétude déformant encore ses traits. Elle lutte contre les larmes, se promettant qu’elle craquera une fois chez elle. Et puis, elle fait volte-face. Parce qu’elle doit en avoir le cœur net. Même si elle se présente chez Jessian par surprise. Et les mains vides. Ce qui n’arrive jamais. Elle amène toujours un petit quelque chose, quand elle visite ses amis. La moindre des politesses, d’après ses parents, d’après l’éducation qu’elle a reçu. Mais pas cette fois. Cette fois elle ne peut offrir à Jessian que sa mine déconfite.

Face à la porte jaune, la jeune femme tente de se ressaisir. Il le faut. Il le faut, pour garder la face en confrontant Jessian. Elle vient passer un moment entre filles et discuter du nouveau dans leurs vies. Avec l’idée de découvrir ce qu’il se trame entre le mannequin et l’agent de stars. Le tout, sans que Jessian ne suspecte l’inquiétude derrière cette visite. Alors elle essuie ses joues, dessine un sourire sur son visage, tant bien que mal et elle sonne, saluant son amie aussi joyeusement que possible quand cette dernière ouvre. Saluant sa potentielle rivale.

«- Coucou Jess ! Tu va bien ? Je ne te dérange pas ?» s’enquit la demoiselle. «Je passais devant pour rentrer et j’ai réalisé qu’on ne s’était pas vu depuis un moment…»

C’est sur un petit air de piano que tu ranges tranquillement la cuisine et le petit déjeuner qui y avait été partagé. Morgane s’était précipitée sur le piano dès qu’elle avait pu se lever de table mais pas avant d’avoir dit au revoir à Alexandre. Ce dernier était passé à l’improviste la veille pour vous faire une surprise et après avoir promis à Morgane qu’elle pourrait jouer avec lui le lendemain matin, vous aviez passé la soirée tranquillement à discuter de tout et de rien comme vous en aviez pris l’habitude. Tu n’as jamais été une grande croyante des amitiés hommes-femmes sans ambiguïté mais il fallait reconnaître que depuis que vous aviez couché ensemble et qu’Alexandre t’avait mis le râteau de ta vie, votre relation était plus complice et plus saine que jamais. Surtout que ce râteau remontait à plusieurs années maintenant. Alex était devenu un ami fidèle sur lequel tu pouvais te reposer et inversement. Vous vous étiez revus après plusieurs semaines avec quelques nouvelles par texto en début de semaine et tu étais ravie qu’il soit passé. Il connaissait bien le chemin de la chambre d’amis que tu gardais toujours propre avec des draps prêts à accueillir la prochaine personne qui passerait à l’improviste. Le plus souvent ce n’était que ta jeune soeur qui décrétait qu’elle passait quelques jours chez toi sans te demander ton avis. Tu t’étais réveillée aux cris excités de Morgane et au rire d’Alexandre qui jouait avec elle à une jeu que tu n’arrivais pas à reconnaître de ton lit. Te levant, tu avais attaché tes cheveux avant de prendre la direction de la cuisine. Tu ne mis pas de fond sonore profitant des brins de discussion et des éclats de rire de tes deux enfants. Tu profitais de ce moment de répit pour boire une première tasse de café et préparer un bon petit déjeuner. Une vingtaine de minutes plus tard, vous étiez tous les trois attablés et discutiez avec animation. Après avoir pris une douche et s’être changé, Alexandre vous dit au revoir et tu l’accompagnais jusqu’à l’entrée où tu déposais un baiser sur sa joue et le pris dans tes bras en guise d’au revoir. Il était ensuite temps d’aller ranger tout le bazar que tu avais mis dans la cuisine en préparant le petit déjeuner. Tu n’hésitais pas à chanter les quelques paroles de la comptine que Morgane interprétait et qu’avait dû lui apprendre Sky.

La vaisselle avançait et tu rinçais la dernière poêle quand la sonnette retentit. Tu fronçais les sourcils et allait ouvrir te demandant bien qui cela pouvait être. Tu étais consciente d’être en t-shirt et short de pyjama mais tant pis, tu n’avais rien à cacher après tout. Tu ouvris la porte et quelle ne fut pas ta surprise d’y trouver derrière Lullaby. En fait, elle habitait à quelques maisons de la tienne donc ce n’était pas vraiment une surprise mais cela faisait quelques temps que tu ne l’avais pas vue et tu te demandais ce qu’elle voulait. Peut-être emprunter du sucre ? « Coucou Jess ! Tu va bien ? Je ne te dérange pas ? Je passais devant pour rentrer et j’ai réalisé qu’on ne s’était pas vu depuis un moment… » Ah une visite de courtoisie alors ! Un grand sourire se dessina sur ton visage car elle avait raison, vous ne vous étiez pas vues depuis un moment. « Lullaby ! Entre je t’en prie, ça me fait plaisir de te voir ! » Lui dis-tu sincèrement. La jeune femme était une collègue en quelques sortes même si vous n’aviez jamais travaillé ensemble. « Désolé, je n’ai pas eu le temps de m’habiller, on s’est réveillé un peu tard et on vient de finir le petit déjeuner. » Lui dis-tu pour expliquer ta tenue alors que tu la laissais te suivre dans le salon où se trouvait Morgane. Ta fille vint dire bonjour à notre invité en lui disant : « Bonjour madame. Moi c’est Morgane ! Vous êtes très belle ! » Lui dit-elle admiratrice avant d’ajouter : « Mais pas plus que maman et que moi parce que je serai encore plus belle, c’est tata qui l’a dit ! » Tu ne pus t’empêcher reprendre ta fille : « Morgane enfin ! » Cette dernière baissa la tête avant de dire : « Pardon, c’était pas méchant. » Elle fila ensuite dans une pièce à côté où se trouvaient la plupart de ses jouets. « Assieds-toi je t’en prie ! Tu veux boire quelque chose ? » Lui proposas-tu avant de lui demander : « Comment tu vas ? » C’était la meilleure façon de commencer à prendre des nouvelles.

Il lui fallait tout le self-control du monde pour ne pas fondre en larmes, depuis qu’elle avait vu Alexandre sortir de chez Jessian et il lui en faudrait plus encore, face au mannequin, si cette dernière lui indiquait, au cours de la visite, qu’elle partageait la vie de quelqu’un. Peut-être qu’Alexandre avait menti en se prétendant célibataire, peut-être qu’il était avec Jess. Peut-être qu’ils étaient en bonne voix. Ou peut-être qu’ils couchaient ensemble. Trop de possibilités, trop de peut-être, qui brisaient le cœur de la demoiselle à mesure qu’elle avançait vers la porte de Jessian. Et elle devait faire bonne figure face à son amie, pour ne pas se dévoiler. Si seulement elle avait supposé qu’elle le verrait sortir d’ici ce matin, de ces heures, la demoiselle se serait un peu attardée chez ses parents… A croire que la vie préférait se jouer d’elle et mettre une femme sur sa route précisément au moment où elle se décidait enfin à tenter sa chance, si chance il y avait, avec Alexandre.

Le cœur de la jeune femme est comprimé dans sa poitrine comme elle s’arrête devant la porte de Jessian et tout son être menace de perdre pieds. Les larmes aux yeux, la demoiselle essaie de se contrôler, de retrouver une attitude normale, une attitude qui ne hurle pas à Jessian les tourments de son cœur, comme la demoiselle n’a nulle envie qu’Alexandre l’apprenne s’il est déjà prit. Fichue angoisse, qui ne la laissera donc jamais tranquille avec lui, comme elle ne sait jamais comment le séduire, comment se dévoiler, comment faire avec ce dernier, pour qu’il voit qu’elle est là, qu’elle existe, pas seulement comme la fille d’un ami mais comme une jeune femme potentielle dans sa vie.

Jessian ouvre, dans son bas de pyjama et t-shirt, se disant ravie de voir la plus jeune, avant de s’excuser pour sa tenue, expliquant qu’elle n’a pas eut le temps de s’habiller comme ils se sont réveillé tard et viennent de finir le petit déjeuner. Dans l’esprit de la demoiselle, les raccourcis vont vite, les questions s’affolent et s’il avait demeuré un tout petit espoir, en elle, que ce ne soit rien, qu’Alexandre soit seulement venu au matin voir une fille qu’il voudrait recruter, tout s’effondre désormais comme ce on, bien qu’elle sache pour Morgane, signifie forcément dans son esprit qu’Alexandre était ici. Cette nuit.

«- Oh ça… ça ne fait rien ne t’inquiète pas !» annonce la demoiselle, un rien bouleversée, sa voix s’étranglant dans sa gorge en même temps qu’elle parle.

Elle noie le tout dans une quinte de toux factice, tant bien que mal, regrettant déjà d’être venue alors qu’elle n’a peut-être pas tant envie que ça de découvrir qu’ils sont amant, tout les deux. Mais c’est plus fort qu’elle, tellement plus fort. Il faut qu’elle sache, il faut qu’elle sache pour que son esprit cesse de la tourmenter de ses questions sans réponses. Après ça, au moins, elle sera fixée. Et saura à quoi s’en tenir. Elle esquisse un sourire, tant bien que mal et entre, suivant Jessian au salon où la fille de cette dernière, Morgane, l’accueille. Bee sourit vraiment, cette fois. Le pouvoir des enfants. La petite babille vite, si bien que Lullaby doit attendre qu’elle ait terminé et que sa mère la reprenne, pour pouvoir répondre.

«- Enchanté Morgane, moi c’est Lullaby. Merci… C’est une chance alors que je ne veuille être la plus belle qu’aux yeux d’un seul homme !» commente la demoiselle en réponse à l’enfant.

Un homme qui était là il y a encore vingt minutes, elle pourrait presque ressentir sa présence, encore. Mais sait que ce n’est que son esprit qui prend plaisir à la tourmenter encore. Bee s’installe dans un siège comme l’y invite Jessian, cette dernière s’inquiétant de savoir si son hôte désire boire et l’instagrammeuse accepte un verre d’eau. Avoir quelque chose dans les mains lui permettrait peut-être de garder un certain cap, une certaine maîtrise…

Comment elle va ? Oh si mal, si mal. Mais elle ne le fait pas savoir, elle ne peut pas attaquer de but en blanc, même si son esprit ne pense qu’à ça, même si elle a besoin de savoir, exactement, ce qu’il en est entre Alexandre et Jessian. Alors la demoiselle dessine sur ses lèvres un demi-sourire.

«- Je vais bien et toi ? Quoi de nouveau dans ta vie ces derniers temps ?» s’enquit la demoiselle. «De nouveaux contrats ? Des projets ? Un homme ?»

Un homme, ça ne désigne pas directement Alexandre. Ça reste suffisamment vague pour ne pas pointer l’agent de stars du doigt et obtenir tout de même une réponse. Ça lui semble bien. Mais son cœur a entamé une nouvelle course folle et semble suspendu aux lèvres de Jessian, comme s’il était conscient que le moindre mot de cette dernière pouvait le briser. A jamais.

Ce matin, tu ne t’attendais pas à avoir de la visite. En général, c’est plutôt rare que les gens passent chez te voir sans prévenir à l’avance car avec tes photoshoots, tu n’avais pas l’emploi du temps le plus stable de Brisbane et il y avait de fortes chances que cette visite soit un détour et un échec pour la personne en question. Mais Lullaby vivant à quelques maisons de la tienne, elle devait avoir vu que tu étais à l’intérieur. Peu importait que tu ne sois pas prête à l’accueillir, tu le fis avec plaisir car la jeune femme avait raison, cela faisait un moment que vous ne vous étiez pas vues et elle faisait partie des personnes qui comprenait parfaitement ton métier et que tu puisses te plaindre de certains côtés de ce dernier. Tu te souvenais de l’avoir beaucoup jalousée quand vous étiez adolescentes. Alors que tu enchainais les castings dans l’espoir de pouvoir un jour devenir mannequin, Lullaby avait déjà son père dans le milieu et même si elle était très douée et qu’elle méritait sa place, cela avait dû être beaucoup plus simple pour elle. Mais qu’importe aujourd’hui car tu avais réussi à avoir la carrière dont tu rêvais depuis que tu étais adolescente et tu ne la devais qu’à ton travail acharné autant sur ton corps que devant les appareils photo. Ne désirant pas rester plus longtemps dans l’entrée en pyjama, tu fis rentrer Lullaby chez toi ne manquant pas de remarquer que la jeune femme ne semblait pas autant dans son assiette que ce qu’elle voulait le prétendre. Tu ne savais pas pourquoi mais elle semblait bouleversée et comme tu ne voyais rien dans tes paroles qui pouvaient l’amener à être dans un tel état, tu décidais de lui demander si tout allait bien. Cependant, avant que tu n’aies eu le temps de le faire, elle te dit : « Oh ça… ça ne fait rien ne t’inquiète pas ! » Ces paroles ne font rien pour te rassurer alors qu’elle se met à tousser légèrement. En général, quand tu voyais Lullaby, cette dernière avait toujours un sourire sur les lèvres et semblait toujours croquer la vie à pleines dents. Aujourd’hui il y avait clairement quelque chose qui n’allait pas car son sourire semblait forcé. Alors que vous vous enfonciez dans ta maison pour rejoindre le salon, tu ne pus t’empêcher de lui demander : « Tout va bien ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette. » Tu espérais ne pas la blesser mais ton instinct protecteur venait de ressurgir. Si Lullaby avait des problèmes, tu espérais qu’elle se confierait à toi si elle en sentait le besoin pour que tu puisses l’aider à surmonter les épreuves qui se mettraient sur son chemin. Mais tu n’eus pas le temps de la questionner plus que cela car vous arrivâtes dans le salon où vous attendait Morgane qui, comme à son habitude, dit bonjour et se présenta à ton ami avec panache et des remarques qui pouvaient être blessantes. Mais cela fit rire la jolie blonde plus qu’autre chose. « Enchanté Morgane, moi c’est Lullaby. Merci… C’est une chance alors que je ne veuille être la plus belle qu’aux yeux d’un seul homme ! » Sa dernière remarque te fait tiquer. Tu ne peux t’empêcher de te demander si ce n’est pas ça qui tourmente ton amie, un chagrin d’amour. Cela te semble tellement banal que tu oublies que c’est une possibilité la plupart du temps. Depuis ton histoire avec Abel, tu ne vois plus l’amour et les chagrins d’amour de la même manière. Morgane ne tarde pas à quitter la pièce pour aller jouer dans celle d’à côté qui n’est autre qu’une sorte de salle de jeu où se trouve également un bureau sur lequel tu t’installes de temps en temps pour faire les papiers. « Tu es amoureuse ? C’est plutôt une bonne chose en général, tu ne devrais pas avoir cette mine toute triste. » Dis-tu remarquer à Lullaby alors qu’elle prend place dans le canapé. Tu lui proposes de lui servir à boire et elle te demande un verre d’eau. Tu files le chercher à la cuisine et tu en profites pour récupérer un café pour toi. Si vous allez traîner toutes les deux, autant avoir une boisson chaude dans les mains. Une fois le verre posé devant la jolie blonde, tu es à peine assise qu’elle prend de tes nouvelles. « Je vais bien et toi ? Quoi de nouveau dans ta vie ces derniers temps ? De nouveaux contrats ? Des projets ? Un homme ? » Tu étais amusée par toutes ces questions et tu finis par te demander si Lullaby ne cherchait pas à savoir quelque chose. Elle semblait très attentive à la réponse que tu allais lui faire ce qui était surprenant pour ce genre de question qui commençait toute conversation et qui était plutôt banale. « Je vais très bien ! Je continue à décrocher des contrats, dont quelques-uns à l’étranger et j’adore toujours autant cela. Partir quelques jours à l’autre bout du monde pour faire des photos, c’est l’avantage préféré de mon métier. » Lui dis-tu en pensant à ton voyage à Hawaii qui arrivait à grand pas. « Et aux dernières nouvelles je suis toujours célibataire si c’est ça que tu veux savoir. » Lui demandas-tu en faisant une petite tentative de bluff. Allait-elle être payante ? Tu n’en savais rien. « Entre mon boulot et Morgane, cela me laisse peu de temps pour trouver l’amour et dans tous les cas je ne suis pas certaine d’être prête à me relancer corps et âmes dans une relation. Cela viendra certainement mais pas tout de suite. » Contrairement à Lullaby, du haut de tes vingt-sept ans, tu avais aimé à la folie, tu t’étais mariée, tu étais maman. Tu avais déjà vécu tout cela et tu n’avais aucune envie de les revivre dans les prochains mois, peut-être les prochaines années. Mais tomber amoureux cela ne se contrôle pas et tu risquais un jour de te faire de nouveaux avoir. « Et toi ? De nouveaux projets à l’horizon ? » Lui demandas-tu curieuse.

Ça ne lui ressemblait pas. Ça n’était pas elle. La demoiselle était toujours d’un naturel joyeux, à croquer la vie à pleine dents, à rire, à sourire. Elle était toujours de bonne humeur et son rire était communicatif. Ce n’était clairement pas son genre de devoir se forcer à adopter une attitude positive. Mais c’est ce qu’elle faisait aujourd’hui, dans l’espoir de duper Jessian en même temps qu’elle sentait son moral au plus bas, d’avoir vu Alexandre sortir de chez elle ce matin. Son cœur au bord des lèvres, semblant battre à mille à l’heure, la demoiselle est tout sauf bien et pourtant, pourtant, elle tente de prétendre le contraire, affichant un faux sourire sur ses lèvres. Elle se force pour ne rien laisser paraître devant Jessian, parce qu’elle ne sait pas, en fin de compte, de quoi il retourne. Qu’elle n’a pas l’intention de se dévoiler quand à ses sentiments. Parce qu’elle ne sait pas ce qui se trame entre Alexandre et Jessian, que l’avouer pourrait se retourner contre elle, s’il advenait que la jeune mère célibataire soit intéressée par l’homme, elle aussi. Ou pire. Si elle était avec lui. S’il avait menti en disant n’avoir personne, l’autre jour. Elle se force pour ne rien laisser paraître de sa détresse, mais les mots de Jessian lui font rapidement comprendre qu’elle n’est pas des meilleures menteuses, puisque cette dernière s’inquiète de savoir si la cadette va bien, remarquant que cette dernière ne semble pas être dans son assiette. Son cœur tambourine, dans sa poitrine et elle ne peut rien dire. Alors la demoiselle élargit un peu plus son sourire pour essayer de rassurer sa copine, faire croire que tout va bien.

«- Oui oui ça va je suis seulement un peu fatiguée ces derniers temps mais ça va !» affirme la demoiselle. «Ne t’en fait pas»

Bee tente de se reprendre, alors, en même temps qu’elles entrent dans le salon où la petite Morgane se présente après l’avoir salué, ne manquant pas de surprendre un peu la demoiselle par son attitude, tout en arrachant un rire franc à cette dernière, comme la petite fille ne manque pas d’allure, affirmant tout de go que, si l’influenceuse est jolie, elle ne l’est pas autant que sa mère. Bee rit. Pourtant au fond d’elle, elle ne peut pas s’empêcher de se demander si Alexandre pense la même chose lui aussi, que Jessian est plus jolie qu’elle ne l’est. Sans se douter qu’étant la meilleure amie d’Alexandre, le mannequin a probablement été plusieurs fois le témoin des sentiments et pensées d’Alexandre pour Lullaby. L’ironie de la situation aurait de quoi faire rire. Se mordant la lèvre inférieure face à l’épineuse question envahissant son esprit, elle parvient à chasser celle-ci sans quoi elle s’effondrerai et trouve à répondre à la fillette, laquelle disparait rapidement comme sa maman la reprend quelque peu sur ses étranges présentations. Sa maman en profite aussitôt, posant une question à la jeune femme, qui ne s’attendait pas à être aussi rapidement percée à jour.

«- Oh je... euh…» elle passe une main dans ses cheveux, avant de hausser les épaules. «C’est seulement un peu compliqué.»

Elle s’en tient à cela. C’est bien suffisant, et ça ne laisse pas deviner qu’elle parle de l’homme qui vient de sortir de chez Jessian. Il vaut mieux qu’elle évite d’attaquer frontalement le sujet, puisqu’elle ignore la nature de leurs rapports. Son hôte lui offre une échappatoire en proposant à l’influenceuse un verre. Acceptant un peu d’eau, Lullaby la regarde disparaître, promenant rapidement son regard sur la pièce sans avoir bougé, cherchant une photographie, un indice, une réponse aux questions qu’elle se pose. Mais Jessian revient rapidement, demandant encore à la jeune femme si elle va bien, trahissant son inquiétude vis-à-vis de la seconde qui ment de nouveau, prétendant que tout va bien, avant de questionner elle-même Jessian sur sa vie. Peut-être un peu trop car si elle évoque les voyages, Jessian balaye rapidement ces derniers pour dire qu’elle est toujours célibataire, si c’est ce que Lullaby cherche à savoir. Cette dernière se raidit un peu. Est-ce qu’elle a comprit ? La jeune femme chasse cette pensée, songeant que c’est tout bonnement impossible Elle l’espère, tout du moins, en même temps qu’elle s’efforce à conserver une mine aussi normale que possible, portant son verre à ses lèvres. Jessian a aimé, follement, s’est mariée, a eut un enfant. Et elle a divorcé. Bee comprend qu’elle puisse être méfiante avec l’amour aujourd’hui. Bee n’a rien connu de tout ça, sinon l’amour passionnel, fou. La raison de sa présence aujourd’hui. Avec qui Jessian ne semble pas entretenir de relation amoureuse. Mais quoi, alors ? Les mots de la brune perdent Lullaby un peu plus sans qu'elle ne puisse se départir de ses doutes.

«- Oui… forcément.» souligne Bee avant de chercher à noyer le poisson et détourner la conversation du sujet épineux des amours. Mais Jessian la devance et semble être du même avis, comme elle interroge la demoiselle sur ses projets à venir. «Oh j’ai quelques shootings en vu pour le blog et pas mal de sujets de vidéos en réserve donc ça va m’occuper un peu. Puis je pense m’offrir un petit week-end d’ici quelques temps. Je ne sais pas encore où, il faut que je me pose sérieusement et que j’y réfléchisse mais j’ai tellement de travail en ce moment, tellement de mariages en prévision que je n’ai pas quarante-huit heures à booker.» informe-t-elle son amie avant de la questionner de même. «Et donc quels sont tes prochains voyages en vu ?»

Etre devenue maman à vingt-trois ans t’avait fait grandir plus vite que beaucoup de personnes de ton âge; Lullaby et toi vous n’aviez qu’un an d’écart et pourtant, tu ne pouvais t’empêcher de te montrer protectrice envers la jeune femme, laissant ton inquiétude de maman prendre le dessus. C’était ridicule mais c’était plus fort que toi. Tu n’avais pas de suite compris à quel point Morgane t’avait changée, pas avant de constater qu’Abel lui ne changeait pas et que l’écart entre vous ne cessait de se creuser. Cela n’avait pas été simple à accepter mais tu n’avais pas eu le choix. Voilà pourquoi tu ne peux t’empêcher de t’inquiéter quand Lullaby te dit aller très bien mais son visage, ses gestes et ses paroles traduisent autre chose. Toutefois, elle ne semble pas avoir envie d’en parler car elle te dit : « Oui oui ça va je suis seulement un peu fatiguée ces derniers temps mais ça va ! Ne t’en fait pas » Tu décides de ne pas insister. Après tout, Lullaby est une adulte qui sait se gérer, si elle ne veut pas se confier, tu ne vas pas la forcer à le faire. Tu te contentes donc de l’inviter à te suivre dans le salon où vous retrouvez Morgane qui décide de se présenter d’une manière bien singulière. Tu te demandes si tu ne devrais pas inscrire ta fille dans des cours de théâtre car elle semble être douée pour jouer la comédie. Il faudra que tu en parles avec elle pour l’année scolaire prochaine mais vous aviez encore le temps de voir venir. Heureusement, Lullaby ne lui en tint pas rigueur et face à sa réponse, tu ne pus t’empêcher de lui demander si elle était amoureuse. Même avant qu’elle ouvre la bouche, tu savais que tu avais vu juste car elle se figea un instant et bredouilla sa réponse : « Oh je... euh… C’est seulement un peu compliqué. » Tu n’étais pas tombée amoureuse depuis longtemps, depuis Abel et tu avais quelque peu oublié l’état dans lesquels cela vous mettait. Cela t’amusait de voir la jeune femme prise de court et tu ne comprenais pas pourquoi elle hésitait à en parler. Tu n’allais pas la juger d’être amoureuse, loin de là ! Et peu importe de qui, tu avais l’esprit très ouvert à ce sujet. Les chances que tu le connaisses étaient sans doute minime car vous n’aviez pas les mêmes groupes d’amis et connaissances. « C’est assez rare qu’une histoire d’amour ne soit pas compliquée. J’espère que cela se simplifiera un peu pour que tu puisses retrouver ton beau sourire. » Dis-tu à la jeune femme avant d’aller lui chercher le verre d’eau qu’elle t’avait demandé. Quand tu revins prendre place à ses côtés sur le canapé, Lullaby te posa tout un tas de questions qui lui permettaient d’avoir les dernières nouvelles de ta vie pas aussi mouvementée que ça. Quand on a des enfants, on ne peut pas se permettre autant de liberté qu’auparavant. Et des fois, partir à droite à gauche sur un coup de tête, ne pas avoir à tout préméditer à l’avance, ça te manquait terriblement. Tu appuyais bien le fait d’être célibataire et tu regardais la réaction de Lullaby qui semblait … légèrement soulagée ? Tu ne saurais trop dire en réalité. Tu lui retournais la question, cherchant à savoir si elle avait de nouveaux projets en perspective. « Oui… forcément. Oh j’ai quelques shootings en vu pour le blog et pas mal de sujets de vidéos en réserve donc ça va m’occuper un peu. Puis je pense m’offrir un petit week-end d’ici quelques temps. Je ne sais pas encore où, il faut que je me pose sérieusement et que j’y réfléchisse mais j’ai tellement de travail en ce moment, tellement de mariages en prévision que je n’ai pas quarante-huit heures à booker. Et donc quels sont tes prochains voyages en vu ? » Tu avais oublié que contrairement à toi, Lullaby n’était pas mannequin à pleins temps. Son métier c’était organisatrice de mariage en premier lieu, influenceuse ensuite. Sa vie semblait bien remplie en tout cas, assez pour qu’elle oublie quelques temps ses problèmes de coeur si elle en avait. « Tu as l’air bien occupée ! Je suis contente de savoir que ton entreprise de mariage fonctionne bien. » Lui dis-tu avec un sourire sincère. « Mon prochain contrat international est à Hawaii. Je pars bientôt pour une semaine. Et je suis en train d’en négocier un autre pour de la lingerie plus tard dans l’année pour partir en Europe. » Chercher des contrats n’était pas vraiment ton boulot, vous aviez des agents et des managers pour ça mais tu veillais au grain et tu n’hésitais pas à les pousser dans les directions qui t’intéressaient. « C’est important de se prendre un week-end pour souffler ! Tu vas partir toute seule ou tu pars avec quelqu’un ? » Question innocente, après tout, tu étais une spécialiste des week-ends entre filles et entre soeurs ces dernières années mais peut-être que c’était pour ton amie le moment d’inviter l’homme qui occupait ses pensées.

Les histoires d’amour finissent mal en général, chante un célèbre duo français. Mais ils ne finissent pas seulement mal. Loin de là. Parfois ils commencent mal et s’annoncent mal. Comme c’est le cas pour Lullaby quand, tout en aimant Alexandre, tout en le désirant dans sa vie de tout son cœur et de toute son âme, la demoiselle ne parvient pas à trouver le moyen de se dévoiler, de se déclarer. Ni même le moyen de s’attirer les faveurs de l’homme. Perdue, alors qu’elle le pense en aimer peut-être une autre, les mots de Morgane l’ébranlent plus qu’elle ne le montre, tandis qu’elle se demande ce qu’Alexandre peut penser de Jessian. Et d’elle, aussi. Est-elle moins jolie que le mannequin ? Jessian présente l’avantage non négligeable d’être d’avantage dans la tranche d’âge d’Alexandre. D’une année. C’est peu et en même temps, ça peut faire toute la différence. Et puis elle a aussi l’avantage de ne pas être la fille de l’un de ses amis. Tout ce qui handicape Bee, s’ajoutant à son manque d’expérience et sa timidité, rendant compliquée la mission qu’elle s’est fixée. Et si Jessian dit espérer que la situation se simplifiera pour Lullaby, de sorte qu’elle puisse retrouver son beau sourire, l’influenceuse ne peut pas s’empêcher de songer que la brune, si elle est avec Alexandre, ne tiendrait pas le même discours si seulement elle savait de quoi il retourne, exactement.

«- Je n’en suis pas certaine.»

La pensée a quitté ses lèvres plus vite qu’elle ne l’aurait voulu, l’empêchant de retenir ses mots. Et maintenant, si avec ça Jessian ne cherche pas à en savoir plus… Bee se mord la lèvre inférieure, cherchant quelque chose à dire pour compléter ses mots, tout en fermant définitivement le sujet de ses amours, alors qu’elle devine comme la pente est glissante, très glissante.

«- Disons que… je n’ai pas tiré le meilleur numéro de la loterie. Il est… totalement indifférent. Mais ça passera, ce sont des choses qui arrivent.» assure la demoiselle.

Elle ment. Elle ment tellement. Ça ne passera jamais. Elle le sait bien, elle. Mais la jeune femme peut tout de même le faire croire à Jessian. Elle peut laisser croire que ce n’est qu’une petite inclination du cœur sans grande conséquences, quelque chose sans aucune importance, qui partira comme les nuages après la pluie, tout simplement. C’est loin de la réalité mais ça lui semble bien moins risqué. D’autant qu’elle n’est pas là pour parler de ses amours mais pour évoquer ceux de Jessian, chercher à découvrir la relation que cette dernière peut entretenir avec Alexandre. Même si, s’ils sont ensemble, elle n’a aucune envie de l’apprendre. Elle se jette à l’eau pourtant quand Jessian revient. Elle noie la question au milieu d’autres et son cœur se crispe, le temps se suspend, en même temps qu’elle attend. Et si le mannequin avoue avoir quelqu’un dans sa vie ? Si elle évoque Alexandre comme partageant son existence ? Parviendrait-elle à garder une contenance en même temps que son cœur se briserait ? Rien ne semble moins sûr et il faudra bien pourtant.

Mais Jessian ne parle pas d’Alexandre. Ni de personne. Célibataire. Ce mot soulage un peu la jeune femme, en même temps qu’elle se sent toujours aussi perdue, finalement. Parce que célibataire, ça ne veut pas dire qu’ils ne le seront jamais, ça n’exclue pas l’hypothèse qu’ils forment un couple un jour et ça ne lui dit rien de la relation qu’ils peuvent avoir aujourd’hui, ou si peu. Alexandre vient bien ici et assez souvent, elle l’a vu sortir il y a quelques minutes à peine.

«- Très bien oui, je pense embaucher bientôt !» assure l’influenceuse, sourire aux lèvres. «Hawaï c’est sympa, une semaine ça risque de te sembler très court mais en même temps si tu pars sans Morgane tu risques d’avoir hâte de rentrer, aussi.» observe la demoiselle.

Elle-même voudrait partir un peu, deux jours, sans y parvenir, parce qu’avec ses deux boulots et non énergie à dépenser, la jeune femme n’a pas quarante-huit heure d’affilé devant elle pour voyager. Elle pourrait partir avec Sophie, ça leur ferait du bien. A défaut de partir avec Alexandre.

«- Je ne sais pas vraiment encore. Peut-être avec Sophie, sinon avec un de mes frères, ou seule.» avoue la demoiselle.

Bee reste préoccupé malgré la conversation, son attention fixée sur son verre d’eau, comme si elle espérait voir dans celle-ci une réponse aux questions qui fusent dans sa tête. Elle a l’impression de tourner autour du pot dans ce salon, à n’avoir toujours pas les réponses aux questions qu’elle se pose. Elle ne peut pas lui demander directement qu’elle est la relation qu’elle partage avec Alexandre Myers, sans quoi Jessian comprendra de suite ce qui se passe et elle risquerait d’en parler avec le principal intéressé. Bee n’a pas tellement envie qu’il découvre ses sentiments comme ça. Un léger tic nerveux agite ses doigts et elle se maudit, d’être ainsi, de se sentir aussi fragile, aussi bête, aussi. L’amour, ça vous rend cinglé. Elle boit encore, cherchant ses mots.

«- Et… du coup c’est pour tes projets en Europe que tu as changé d’agent ?»

Prêcher le faux pour savoir le vraie, sans mentionner réellement Alex, tout du moins pas directement. Elles ont toujours assez naturellement parlé du boulot et Bee espère que cela lui servira, cette fois.

il était évident que Lullaby était tourmentée. Tu ne savais pas pour quelles raisons et tu ne savais pas si c’était vraiment ton rôle d’aller lui demander plus de détails. Après tout, même si Lullaby et toi étiez amies, vous n’étiez pas vraiment proches et la plupart de vos conversations tournaient autour du boulot. Venant de deux univers différents, c’était ce qui vous avait toujours rapproché. Mais ta remarque sur sa vie amoureuse sembla te mener dans la bonne direction car il ne fallut pas longtemps à la jolie blonde pour réagir et son pessimisme était plutôt triste. « Je n’en suis pas certaine. Disons que… je n’ai pas tiré le meilleur numéro de la loterie. Il est… totalement indifférent. Mais ça passera, ce sont des choses qui arrivent. » Tu la regardes étonnée. Elle n’a que vingt-cinq ans ! Comment est-ce qu’elle peut déjà être aussi résignée et aussi triste en parlant de l’homme qu’elle aime ? Bon, certes, tu ne connais pas les détails et tu te rends aujourd’hui compte qu’avec Abel vous n’aviez pas vraiment pris le temps de vous connaître et de vous séduire, ça avait été une évidence alors tu étais mal placée pour la juger mais si elle tenait vraiment à lui, la persévérance ça finit toujours par payer non ? « S’il ne t’a pas clairement dit qu’il n’était pas intéressé et qu’il voulait te voir disparaître de sa vie, moi je considèrerais à ta place que j’ai toujours toutes mes chances. » Dis-tu avec un clin d’oeil. On ne sait jamais comment fonctionne l’esprit d’un homme. Et puis l’indifférence peut être feinte, elle n’est pas toujours réelle alors il ne fallait pas perdre espoir. « Et je ne dirais pas que tu n’as pas tiré le meilleur lot, tu as peut-être tiré l’un des meilleurs. Avec mon ex-mari, tout a été beaucoup trop vite et il m’arrive de le regretter mais j’étais jeune et terriblement amoureuse à l’époque. » Une partie de toi aimera toujours Abel, tu as fini par l’accepter. Mais maintenant que Morgane va avoir cinq ans, tu dois passer à autre chose, tu dois arrêter de comparer chaque relation à ce que tu as vécu avec Abel, c’est assez malsain. Tu ne sais pas si tu retomberas amoureuse et ce n’est pas un but en soi mais tu aimerais essayer. Tes paroles sur l’état de ta vie amoureuse semblent intéresser Lullaby au plus haut point mais n’ont pas un effet rassurant ou apaisant. Tu ignores ce qu’elle a en tête mais tu trouves cela légèrement étrange. Tu es rassurée quand elle aborde le sujet professionnel et tu ne tardes pas à lui retourner la question. Lullaby est le genre de personnes à ne pas s’endormir sur ses lauriers et à avoir toujours des projets en cours ou en préparation. « Très bien oui, je pense embaucher bientôt ! Hawaï c’est sympa, une semaine ça risque de te sembler très court mais en même temps si tu pars sans Morgane tu risques d’avoir hâte de rentrer, aussi. » Se séparer de Morgane c’était toujours un moment difficile à vivre pour toi mais en même temps, une fois que tu te retrouvais là-bas, tu profitais d’une liberté et d’une irresponsabilité que tu ne connaissais pas à Brisbane et c’était rafraîchissant. « Félicitations ! » Lui dis-tu au sujet de son entreprise avant d’ajouter : « Une semaine c’est suffisant pour me permettre de faire une pause. J’adore ma fille et l’abandonner pendant une semaine me brise le coeur dans l’avion mais ces semaines loin de tout, j’en ai besoin. » Tu sais que certaines personnes te jugent quand tu leur dis ça. Ils te prennent peut-être pour une mère indigne mais tu as eu ta fille à vingt-trois ans, tu as le droit d’avoir besoin d’être jeune et insouciante quelques fois par an. Alors que Lullaby te parla de son projet de week-end, tu lui demandais avec qui elle avait prévu de partir : « Je ne sais pas vraiment encore. Peut-être avec Sophie, sinon avec un de mes frères, ou seule. » Tu n’avais jamais été une grande adepte de la solitude mais tu savais que pour certaines personnes, quelques jours seul c’était comme tes semaines à l’étranger, c’était nécessaire pour recharger les batteries et se retrouver. Tu avais déjà eu ce débat à plusieurs reprises au fil des années avec tes collègues. « L’essentiel c’est que tu en profites à fond ! » Les pauses de ce genre n’étaient pas aussi courantes que l’on pouvait le penser dans vos vies si remplies et Lullaby semblait assez préoccupée donc une petite pause ça ne pouvait pas lui faire du mal. « Et… du coup c’est pour tes projets en Europe que tu as changé d’agent ? » Tu fronces les sourcils pas très sûre de comprendre. Changer d’agent ? Où est-ce qu’elle avait bien pu entendre ça ? Tu n’avais pas d’agent depuis que tu étais entrée à l’agence même si tu savais qu’Alexandre était toujours attentif aux propositions qu’il pouvait voir passer mais par pure amitié et conseil. Cela faisait longtemps qu’il ne t’avait rien proposé d’ailleurs mais tu étais bien assez occupée de toute façon. « Depuis que j’ai rejoins l’agence, c’est eux qui me décrochent les contrats, je n’ai plus d’agent. » Expliquas-tu à la jeune femme. Mais il était clair qu’elle voulait savoir quelque chose mais tu ne savais pas quoi. Tu décidais d’ajouter : « Le seul agent que j’ai eu à Brisbane c’est Alexandre Myers, c’est lui qui m’a permis de reprendre du service dans le métier et de trouver mon agence. Il n’est pas agent que de mannequins, peut-être que tu le connais ? » Lullaby était dans le milieu depuis sa naissance avec son père, elle devait avoir croisé Alexandre au moins quelques fois.

S’il n’a pas dit ne pas être intéressé, s’il n’a pas dit qu’il ne voulait plus la voir, alors elle a encore toutes ses chances. C’est le point de vue de Jessian, en tout cas. Mais cette dernière ne sait pas de qui Lullaby veut parler et si elle le savait, peut-être qu’elle ne voudrait pas ou ne pourrait pas rassurer autant la jeune femme qui lui fait face. A-t-elle vraiment toutes ses chances, Lullaby ? Elle en doute, la situation est si compliquée pour elle. La plupart des gens vivent une histoire d’amour classique avec une personne qu’ils rencontrent un jour comme ça par hasard dans un coin ou un autre de la ville. Pas une personne qu’ils croisent pour la première fois dans le salon parental, installé devant un café auprès du paternel. Alexandre n’est pas n’importe qui pour la famille Watson. Il la connait depuis des années et pourrait la prendre pour une gamine. Il est ami de son père. Autant de paramètres qui font que la demoiselle devrait oublier l’homme. Mais en quatre ans, elle n’y est jamais parvenue et elle aurait quelques anecdotes à raconter à ce sujet, si elle l’osait. Alors tirer l’un des meilleurs lots… L’un des plus compliqués, surtout.

«- Peut-être oui. J’imagine que seul l’avenir nous le dira. C’est seulement un peu compliqué, je ne parviens pas à lui parler et je crois qu’il ne me voit pas comme je le vois moi.»

Et elle doute qu’il puisse un jour la regarder comme elle le regarde, sentir son cœur s’affoler en sa présence comme le sien s’affole chaque fois qu’il est dans les parages. Elle doute qu’il puisse un jour avoir autant envie qu’elle de lier leurs mains ensemble, glisser ses lèvres depuis celles de la demoiselle jusqu’à son cou, ses doigts dans sa chevelure… Elle doute qu’il puisse rêver d’un jour se promener sur la plage à ses côtés en observant le couchés du soleil… Mais peut-être que tout cela, il le fait déjà. Avec la femme assise face à elle. Avec Jessian. Et c’est ce que Lullaby souhaite découvrir, sans elle-même se trahir, quoique la chose semble difficilement réalisable. Comme un funambule en équilibre sur son fil, la jeune femme avance à tâtons pour découvrir la vérité.

«- On est toutes toujours un peu aveugle, dans les histoires d’amour.» remarque la demoiselle.

Et pour ne pas être découverte dans ses intentions, la demoiselle essaie de noyer le poisson en évoquant le boulot, s’inquiétant des nouveaux projets professionnels de son interlocutrice. Pas mal de voyages sont au programme et de chouettes projets dans un même temps. Lullaby suppose que laisser sa fille toute une semaine ne doit pas être évident pour la maman, mais dans un même temps elle comprend que cela puisse lui faire du bien, parfois, de voyager sans avoir sa fille. Parce que Jessian a été maman jeune et que ça ne doit pas toujours être simple, d’être maman solo. Bee aussi voudrait voyager bientôt, profiter d’un peu de temps libre alors qu’elle a énormément de choses à faire avec ses deux boulots. Elle ne sait pas encore avec qui elle partirait. Mais pour ce qui est de profiter…

«- Oh ça, tu sais, j’y compte bien !» remarque la demoiselle. «Il me faut une destination aussi… Peut-être en Grèce ou quelque chose d’un peu plus près, je ne sais pas encore.»

Mais à parler des projets professionnels, Bee pense de nouveau à Alexandre, s’inquiétant de savoir si Jessian a changé d’agent pour ses envies de travail en Europe. Un moyen détourné, elle l’espère, de comprendre ce qu’Alexandre peut bien faire dans la vie de Jessian. Mais la demoiselle n’a plus d’agent, depuis qu’elle a rejoint son agence. Manqué. Ou pas. Elle évoque Alexandre d’elle-même, qui lui aurait permis de remettre le pied à l’étrier dans le mannequinat et trouver son agence. C’est tout ? Et ça justifie qu’il passe la voir aux aurores ? Qu’il ait peut-être passé la nuit ici ? Bee n’est pas sotte, il y a autre chose. Il y a forcément autre chose. Une donnée manquante. Une donnée qui lui échappe.

Elle rougit, inconsciemment, involontairement, comme Jessian a demandé si elle connait Alexandre. Oh. Oui. Pour le connaître, elle le connait. Bien moins qu’elle ne le voudrait d’ailleurs. Elle voudrait tout savoir de lui. Bee passe une main dans ses cheveux, pour remettre une mèche derrière son oreille. Comment présenter la chose à Jessian, telle est la question.

«- Oh oui, oui je le connais c’est… l’agent de mon père. Le père d’Alexandre s’occupait de la carrière de papa, avant de prendre sa retraite.» avoue Lullaby

Mais tout ça ne lui dit pas pourquoi Alexandre était ici ce matin. Pourquoi il y vient souvent. Ce n’est pas la première fois, elle le sait. Elle sait que Jessian le connait. Qu’il a géré sa carrière par le passé, ne serait-ce qu’un peu. Et à présent ? Maintenant, ils sont quoi l’un pour l’autre ? S’ils ne bossent plus ensemble, qu’est-ce qui justifie sa présence ici de ces heures ? Une boule se forme dans sa gorge et ses yeux la piquent, en même temps que ces questions envahissent son esprit, trouvant des réponses qu’elle ne veut ni voir ni entendre. Elle est vraiment célibataire, Jessian ? Et s’ils étaient un petit couple naissant, désireux de garder encore le secret quelques temps ? Le temps de voir si ça marche ? C’est possible, non ? Lullaby brûle d’envie de le demander. Elle doit savoir, de toute façon. Ça va la rendre folle, sinon. Elle a toujours été trop sensible. Elle en a les yeux humides. Elle le savait avant de venir, qu’il lui serait impossible de rester détachée face à une telle conversation.

«- Du coup vous ne travaillez plus ensemble…» répète Bee. Mais alors pourquoi, pourquoi sa présence ici, si souvent ? Elle se mord la lèvre inférieure. «Et donc lui et toi vous… vous n’êtes pas… ensemble ?» sa voix s’étrangle un peu, sur la fin.

La meilleure personne pour donner des conseils amoureux ce n’est pas toi. Tu as assez de recul et est assez honnête pour le reconnaître. Lullaby semble faire face à de la résistance, voire une sorte de refus de la part de l’homme qui a capturé son coeur. Et ça, tu ne sais pas ce que ça fait que de se sentir rejetée. Toutes tes relations passées avaient été d’une simplicité désarmante à ce niveau là car ton intérêt avait à chaque fois été partagé et il n’avait pas été question de souffrir d’un amour non réciproque. En même temps, tu n’étais pas tombée amoureuse bien souvent. Malgré tes encouragements, Lullaby semble toutefois toujours hésitante et peu sûre d’elle. « Peut-être oui. J’imagine que seul l’avenir nous le dira. C’est seulement un peu compliqué, je ne parviens pas à lui parler et je crois qu’il ne me voit pas comme je le vois moi. » Peut-être que la parole n’était pas la bonne manière de lui montrer qu’elle existait ? C’était facile à dire alors que tu ne connaissais rien à la situation mais des fois, les actes sont bien plus forts que les paroles. Et tout le monde peut changer de vision, il suffit de forcer un peu cette dernière à changer. « Comment tu penses qu’il te voit exactement ? » Finis-tu par lui demander. Tu n’étais pas la meilleure personne pour lui donner des conseils avisés mais tu seras peut-être la personne qui lui donnera une idée pour transformer la perception de cet homme et l’aider à lui faire tourner la tête. Lullaby était une très belle femme et tu avais du mal à voir comment un homme ne pouvait pas la remarquer surtout si elle se donnait du mal pour que cela soit le cas. « On est toutes toujours un peu aveugle, dans les histoires d’amour. » Tu acquiesçais sans rien trouver à ajouter. C’était ce qui vous rendait complètement fou, cet aveuglement. Aujourd’hui, tu avais l’impressionne ta relation avec Abel aurait dû te faire peur dès le début. Si tu avais été un tant soit peu prévoyante, jamais tu ne te serais lancée dans cette relation. Il y avait tellement de variables qui déconnaient … Et pourtant, vous aviez essayé. Un vrai ‘crash and burn’ comme disent les Américains. Lullaby évoquait ensuite les projets pour son entreprise mais également ses projets de vacances qui, si tu l’en croyais, commençaient à prendre forme. « Oh ça, tu sais, j’y compte bien ! Il me faut une destination aussi… Peut-être en Grèce ou quelque chose d’un peu plus près, je ne sais pas encore. » Il est toujours plus simple de trouver une destination quand il n’y a pas de question budgétaire derrière. Tes parents ont toujours eu de l’argent mais n’ont jamais cherché à vivre dans l’opulence. De ta fratrie, c’est toi qui as les plus gros revenus et tu sais que si tu veux partir en vacances avec tes soeurs, c’est toi qui financeras le plus gros des dépenses ce qui ne te dérange pas vraiment. « Si tu peux partir te changer les idées à l’autre bout du monde, c’est toujours agréable et c’est une vraie coupure. » Lui dis-tu. Tu penses à tous tes voyages professionnels sur les plages ou dans de grands studios photo en Europe et ailleurs. Changer de pays, de culture, de langue c’était un dépaysement que tu appréciais énormément.

La conversation revint sur ton parcours professionnel notamment la présence d’un agent dans ta vie. C’était un métier que tu respectais au plus haut point mais l’agence pour laquelle tu travaillais avait ses propres agents. Sinon, tu aurais gardé Alexandre auprès de toi professionnellement parlant et pas simplement comme ton meilleur ami. Mais c’était peut-être mieux que vous sépariez ces deux parts distinctes de votre relation. Tu évoquais donc le nom de ton ami en demandant à Lullaby si elle le connaissait parce qu’elle vivait dans ce cercle depuis des années. Tu n’étais cependant pas prête à la voir rougir et devenir soudain gênée. Cela te surprit et tu te mis à te demander si la personne dont vous parliez et qui avait envouté Lullaby n’était autre que ton meilleur ami. « Oh oui, oui je le connais c’est… l’agent de mon père. Le père d’Alexandre s’occupait de la carrière de papa, avant de prendre sa retraite. » Tes soupçons commencent à se confirmer car la jeune femme devant toi connaît bien Alex du coup si elle a grandi avec l’homme dans les pattes. Tu ne pus t’empêcher de sourire, légèrement amusée alors que Lullaby ne savait pas réellement où se mettre de son côté. Tu décidais de la laisser mariner un petit peu avant de reprendre la parole sentant bien qu’elle tournait autour du pot depuis qu’elle était rentrée chez toi et qu’elle allait finir par craquer et te demander ce qu’elle voulait réellement savoir. « Du coup vous ne travaillez plus ensemble… Et donc lui et toi vous… vous n’êtes pas… ensemble ? » Tu peux lire sur ses traits l’anxiété que sa voix n’a pas réussie à cacher. Tu as envie d’exploser de rire mais tu te retiens, cela ne serait vraiment pas très sympathique. Non, Alexandre et toi vous n’étiez pas ensemble. Tu aurais aimé que vous vous laissiez une chance à l’époque. Il avait été le premier avec qui le courant était si bien passé à Brisbane mais il n’était clairement pas intéressé et c’était sans doute mieux ainsi. Aujourd’hui, tu savais que cela avait été le bon choix pour toi aussi, Morgane n’ayant qu’un peu plus d’un an à l’époque. « C’est lui n’est-ce pas ? C’est d’Alex que tu essaies d’attirer l’attention ? » Lui demandas-tu sans répondre de suite à sa question. Toi aussi tu pouvais jouer à ce jeu. Si tu avais une once de malice, tu t’amuserais à la faire mariner et à lui répéter qu’il avait passé la nuit ici mais tu n’avais jamais été vicieuse et faire mal aux gens n’était pas ton passe temps. « Quand je suis rentrée à Brisbane, Morgane avait quelques mois. Il m’a fallu plus d’un an pour me remettre en forme et en ordre de marche pour reprendre ma carrière. C’est Alex qui m’a aidé à faire tout ça. Et sur le chemin, il est devenu mon meilleur ami. » Dis-tu en croisant le regard de Lullaby. Si elle devait se méfier de quelqu’un, ce ne sera pas de toi. « Il n’est pas rare qu’Alex passe à l’improviste quand il a le temps, Morgane l’adore ! Il est resté dormir hier soir, ça faisait quelques temps que je ne l’avais pas vu. Je suppose que tu l’as vu partir ce matin ? » La visite de Lullaby quelques minutes après le départ d’Alex te faisait penser que c’était le cas.

Comment Alexandre la voit. Sans savoir de qui elles parlent, c’est ce que Jessian se demande. Comme Lullaby pense que cet home dont elle parle la voit. La wedding planner songe avec amertume qu’il n’y a qu’une manière possible de la voir, pour Alexandre malheureusement. Pas celle qu’elle voudrait. Sinon tout serait beaucoup plus facile. Mais ce n’est pas le cas. Elle hausse les épaules, comme elle reporte son attention sur Jessian en soupirant et sa propre réponse lui donne l’impression qu’elle va lui écorcher les lèvres, tant elle est désagréable à dire. Désagréable à réaliser, surtout. Encore plus à penser.

«- Comme une gamine, j’imagine.»

Comment pourrait-il la voir autrement ? Elle avait dix-huit ans quand ils se sont connus, il partait déjà sur sa trentaine et pour couronner le tout il était ami avec Mikael, le propre père de Lullaby. Avec un peu de malchance, ce dernier avait raconté tellement d’anecdotes sur ses enfants, dont sa fille et montré tellement de photos d’eux enfants, qu’il avait réduit à néant les minces chances de la demoiselle d’attirer l’attention de l’homme de ses rêves. Elle préférait ne pas supposer qu’Alexandre l’avait déjà vu en couche-culotte sur une photo ou deux, tétines en bouche, sans quoi le peu d’assurance qu’elle pouvait rassembler en sa présence se ferait vraiment, définitivement, la malle.

«- Y’a pas trente-six possibilités.»

Et peut-être que si elle a tant besoin de vacances, Lullaby, c’est aussi pour s’éloigner de lui, pour faire le point et se reprendre. Se reprendre pour mieux revenir et mener à bien sa décision, même si elle a peur d’y laisser et son coeur et des plumes. Elle n’obtiendra rien si elle n’essaie pas, après tout. Comme on dit, cent pourcent des gagnants ont joués. Si tant est que l’amour puisse être comparé à un ticket à gratter, ce dont Lullaby n’est pas certaine. Elle partirait bien en Grèce, c’est un pays qu’elle apprécie. Mais dans un même temps la demoiselle n’est pas certaine d’avoir envie de partir seule. Alors elle espère que Sophie pourra partir avec elle. A défaut de pouvoir s’offrir des vacances au soleil en amoureux. Les vacances de ce style, ça fait déjà un peu plus de quatre ans qu’elle a fait une croix dessus. Depuis qu’Alexandre a capté toute son attention, en fait.

«- Oui, je me dis que ça peut me faire du bien avant d’attaquer de nouveau les gros préparatifs et les plannings chargés à cause des mariages des mois d’été.» souligne Lullaby. «Mais ça risque de dépendre du temps que j’ai pour partir, je pense. Il va falloir que je me penche sérieusement sur la question. »

Sérieusement oui. Il n’y a pas que sur cette question, qu’elle doit sérieusement se pencher. Et c’est ainsi que rapidement, Lullaby abandonne le sujet des vacances pour poser quelques questions à Jessian, essayant de noyer le poisson de ses questions précédentes en posant quelques interrogations sur ses projets actuel, consciente d’avoir déjà trop flirté avec les sujets dangereux. Mais dans un même temps, elle a trop besoin de savoir ce qui se cache derrière les visites régulières d’Alexandre au domicile de Jessian pour ne pas être tentée de réorienter la conversation vers ce dernier, doucement. C’est plus fort qu’elle, la demoiselle doit savoir. Elle doit savoir si ça vaut encore la peine qu’elle se batte ou si l’homme n’a pas été tout à fait honnête la dernière fois, en disant n’avoir personne. S’il a quelqu’un, en fin de compte. Ou s’il est en passe d’être en couple. A moins qu’il ne gère la carrière de Jessian, puisque cette dernière veut faire plus de choses en Europe. Lullaby émet l’hypothèse qu’elle ait changé d’agent pour cela. Mais le mannequin ne confirme rien de cela, assurant qu’elle ne travaille qu’avec son agence, avant de cependant mentionner Alexandre comme étant l’homme qui lui a fait remettre le pied à l’étrier, avant qu’elle n’intègre l’agence. Bien. Et après ? Maintenant ? Quelque chose échappe à Lullaby. Quelque chose lui échappe forcément. Elle n’a pas rêvé les visites d’Alexandre, son esprit en peut pas, à ce point là, lui jouer des tours. Alors elle s’enfonce, Lullaby. Elle creuse. Trop. Et Jessian comprend.

«- Je euh...»

Elle n’ose pas confirmer, Lullaby. Elle se sait être sur une pente glissante, alors que Jessian connaît Alexandre. Et si elle allait le lui répéter ? Si elle disait à Alexandre que Lullaby craque pour lui ? S’il ne voulait plus la voir, à cause de cela ? S’il ne voulait plus l’emmener en balade avec lui ? S’il ne voulait plus l’accompagner à aucune soirée ? Elle avait été si bien dans leur jardin secret, face aux marsupiaux. Si bien dans chacune de leurs promenades. Si bien à son bras, à défaut d’être entre ceux-ci, quelques jours plus tôt pour l’exposition. Et si tout ça ne se reproduisait plus jamais ? La demoiselle a la gorge nouée et se décompose un peu plus encore, quand Jessian prononce les mots «meilleur ami». Meilleur ami, ça veut dire qu’ils se disent tout. Comme Sophie et elle-même. Meilleur ami, ça veut dire qu’il va probablement savoir ce qui s’est passé aujourd’hui. Meilleur ami, ça veut dire qu’elle est foutue. Bee n’arrive même plus à aligner deux mots, le temps de digérer l’information. Et elle se sent prise au piège quand Jessian demande si Bee a vu Alexandre sortir de chez elle, ce matin. Touché. Coulé.

«- Je euh...» murmure encore la demoiselle, le cœur en panique.

Bee se mord la lèvre inférieure, le regard fuyant, avant de simplement hocher la tête. Mentir, ça n’a jamais été son truc, jamais été pour elle et comment pourrait-elle nier, quand tout prouve le contraire ? Bee a la gorge sèche.

«- Je… je revenais de chez mes parents… »

Et elle s’est monté le bourrichon. Avant de se dire qu’évidemment, la meilleure des solutions qui s’offraient à elle était de débarquer chez Jessian pour un interrogatoire. Comme si elle avait les épaules assez solides pour supporter ce que cette conversation pouvait soulever. Ce qu’elle pouvait engendrer. Et maintenant ? Maintenant qu’allait-elle faire ? Rentrer chez elle et oublier ? Ça ne lui semblait pas réalisable. Elle devrait probablement commencer par s’assurer que Jessian ne dira rien à l’agent. Lui demander si elle compte parler de tout ça à Alex. Mais c’est une autre question qui franchit le seuil de ses lèvres, plus intrépide que les autres. Une question dont la réponse pouvait faire mal. Tellement mal.

«- Il… Il t’a déjà parlé de moi ?»

Elle regrette sa question au moment où il la pose. S’il avait eut à parler d’elle à quelqu’un, Jessian semblait être la personne la plus indiquée pour cela. Mais il n’avait aucune raison de le faire et la question à peine posée, elle se morigène, en se trouvant parfaitement stupide.

Le plus gros avantage d’une perception, c’est qu’elle peut rapidement changer. Ce n’est pas une opinion, ce n’est pas un avis tranché, c’est une perception. Une manière de voir les choses. Des fois, il suffisait de changer son regard, de prendre les choses sous un autre angle et tout allait mieux. Cet homme qui ne la voyait pas comme elle le désirait, il fallait qu’elle se débrouille pour lui faire changer de perception. Mais c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. Tu commençais donc par demander à la jeune femme comment elle pensait qu’il la voyait. « Comme une gamine, j’imagine. Y’a pas trente-six possibilités » Cette remarque te fait penser que l’homme qui la met dans tous ses états doit être plus vieux qu’elle. Ce n’est pas un problème pour toi, tu considères que l’âge est un détail dans les relations amoureuses et pas quelque chose de bloquant. C’est déjà assez rare d’aimer quelqu’un de tout son être, se priver de cet amour pour une question d’écart d’âge te semble ridicule. Depuis que tu as eu Morgane, depuis que tu as grandi, tu as bien conscience que l’on ne te voit plus comme une gamine immature qui ne pense qu’à son plaisir. Cela ne te dérangeait pas que l’on te voit ainsi car tu avais été cette gamine à l’époque. Mais tu avais changée et les regards qui se posaient sur toi aussi avaient évolués. « Aucune situation est désespérée. Il faut juste être inventif et trouver un moyen de lui faire changer son angle de vision. Tu as déjà des idées en tête ? » Lui demandas-tu sinon tu trouverais bien quelques petits stratagèmes à lui proposer. Quitte à tomber à côté parce que tu ne connaissais toujours pas les détails de cette relation dans laquelle voulait se lancer Lullaby mais qui semblait dès le départ légèrement compromise. Cependant, il ne fallait pas qu’elle baisse les bras, tant qu’il n’avait pas dit non de manière catégorique, rien n’était perdu. Vous abordiez ensuite les vacances que la jeune blonde disait vouloir bientôt prendre mais elle n’avait pas encore d’idée arrêtée pour ces dernières. Cela se finira sans doute par une envie de dernière minute de s’envoler pour l’Europe mais vous étiez jeunes, il fallait en profiter tant que vous pouviez faire ce genre de choses. « Oui, je me dis que ça peut me faire du bien avant d’attaquer de nouveau les gros préparatifs et les plannings chargés à cause des mariages des mois d’été. Mais ça risque de dépendre du temps que j’ai pour partir, je pense. Il va falloir que je me penche sérieusement sur la question. » Tu n’ajoutes rien, tu finiras par suivre le voyage de la demoiselle si elle prend des vacances en te baladant sur les réseaux sociaux très certainement. Il n’y avait qu’elle qui pouvait décider de partir en vacances et des dates de ces dernières, toi tu ne pouvais que la conseiller sur le choix des destinations.

Lullaby posa ensuite la question qu’elle semblait vouloir te poser depuis le début. A peine les mots avaient-ils passés ses lèvres qu’elle semblait s’en vouloir de l’avoir posée. C’est le parcours qui vous avait amené ici qui te permettait de faire une supposition presque folle. Et si l’homme dont elle était amoureuse et qui la voyait comme une gamine n’était autre qu’Alexandre ? C’était possible après tout, elle venait de te confirmer qu’elle connaissait l’homme grâce à son père. Tu n’hésitais donc pas à lui poser la question et la panique que tu pouvais lire sur son visage, son corps qui venait de se figer et les balbutiements que tu recevais en réponse étaient assez clairs pour toi. « Je euh... » Un grand sourire se dessina sur ton visage, tu avais vu juste ! Cela te semblait complètement fou cependant … Que Lullaby soit amoureuse d’Alexandre, ce n’était peut-être pas surprenant. Ton ami avait un charme incontestable et un physique qui était tout à fait agréable pour les yeux. En plus de ça, tu pouvais attester qu’il avait un certain talent dans un lit mais ce ne serait pas une bonne idée que de mettre sur la table ce vieux souvenir. Non, tu préférais essayer de rassurer la jolie blonde en lui disant qu’Alex et toi n’étiez que de très bons amis ce qui était la pure vérité. « Je euh... Je… je revenais de chez mes parents… » Lullaby semble vraiment figée, comme si tout d’un coup tout s’arrêtait. Elle n’avait pas à se justifier, après tout, elle avait le droit d’être incertaine et jalouse mais s’il y avait quelqu’un dans le coeur d’Alex, ce n’était certainement pas toi, vous aviez déjà eu cette discussion il y a quelques années. D’ailleurs, cela te rappela qu’Alex t’avait dit à l’époque ne pas vouloir se lancer dans une relation et il n’en avait pas eu depuis mais tu n’allais pas donner ce détail à Lullaby, tu étais certaine que si Alex tombait amoureux, il changerait d’avis. « Il… Il t’a déjà parlé de moi ? » Tu essayais de garder un petit sourire sur ton visage mais c’était toi qui venais de te faire piéger. Si tu répondais non, ce qui était la vérité, Lullaby le prendrait certainement mal et la théorie qu’elle avançait sur le fait d’être à ses yeux une gamine ne serait qu’un peu plus vérifiée mais répondre oui n’était pas vraiment une option parce que ce serait mentir et tu ignorais ce qu’Alex pensait de la jeune femme. « Non, pas vraiment. » Dis-tu alors que tu vois le visage de Lullaby s’effondrer. « Mais ne le prend pas personnellement, Alex ne parle que très peu de sa vie sentimentale parce qu’il m’a assuré qu’elle était inexistante jusqu’ici. Et ne l’ayant attrapé avec personne, je l’ai cru. Cela ne veut pas dire que ça ne peut pas changer. » Dis-tu en haussant les épaules. Il y avait toujours un moment quand Alex passait te voir où tu le taquinais au sujet de sa vie sentimentale mais il finissait toujours par changer de sujet ou ne pas s’éterniser dessus en tout cas. « Ne t’en fait pas, je ne dirais rien. » Ce n’était pas à toi de le faire, après tout, c’était leur histoire. Même si tu t’y trouvais mêlée maintenant. « Si tu veux mon avis, il est temps qu’Alex sorte un peu la tête de son boulot. » Tu t’inquiétais pour lui des fois mais tant qu’il passait régulièrement vous voir et que son portable était loin de lui à ces occasions, cela te rassurait.

Elle ne se fait pas beaucoup d’illusions, Lullaby, sur la manière dont Alexandre doit probablement la regarder et elle n’oublie pas qu’ils ont presque une dizaine d’années de différences, pas plus qu’elle n’oublie qu’étant la fille d’un ami, elle peut appartenir à la catégorie des filles intouchables, interdites. La demoiselle pousse un soupir, en faisant la remarque qu’elle est sûrement juste une gamine aux yeux d’Alexandre, sans préciser le nom de l’homme qui la met dans tout ses états depuis trop longtemps déjà. Mais Jessian garde son optimisme et s’inquiète de savoir si la demoiselle a des idées en tête pour faire changer son point de vu à l’homme occupant ses pensées. Bee se mord la lèvre inférieure.

«- Pas beaucoup, je ne sais pas faire ça. J’ai réussis à l’inviter promener y’a pas longtemps. J’essaie de passer du temps avec lui mais c’est pas évident...» soupire la demoiselle. «J’imagine que je suis sensé lui faire oublier l’âge que j’ai mais… je ne sais pas trop comment.»

C’était bien là tout le problème de la demoiselle. Essayer de draguer Alexandre, sans se perdre et sans savoir comment faire. Autant dire que la mission était pour le moins compliquée et la jeune femme ne savait pas trop comment s’y prendre pour atteindre son objectif. Malheureusement pour elle, draguer n’était pas dans ses habitudes et venait lui compliquer la tache chaque fois qu’elle y pensait. Peut-être qu’il fallait déjà qu’elle-même cesse d’être impressionnée chaque fois qu’Alexandre était dans les parages et qu’elle gagne en assurance. Plein de filles trouvaient ça fun de draguer, disaient que c’était un jeu… ça ne semblait pas si difficile que ça, sur le papier. Sur le papier seulement.

«- C’est pas faute d’y avoir réfléchis, pendant quatre ans...»

Mais elle en était toujours au même point et quoiqu’elle se soit enfin décidée à passer à l’action, on ne pouvait pas dire que ce soit très concluant, ni qu’elle ait de l’aisance dans cet exercice. Tout aurait été beaucoup plus facile pour elle, si le trentenaire l’avait aimé aussi. Si elle l’avait sut. Il y avait dans son équation cette donnée inconnue, faîtes de suppositions, qu’était l’opinion que l’homme pouvait bien avoir d’elle et quoiqu’elle ne nourrissait guère d’espoir là-dessus, c’était une donnée essentielle.

Elle change de sujet, Lullaby, pour évoquer les voyages et les projets qu’elles peuvent avoir en ce moment, de peur que Jessian ne la grille, de peur que Jessian n’approche trop près de la réponse, de peur de se dévoiler, alors que le sujet Alexandre reste une pente glissante, dangereuse. Et elle découvre les projets de Jessian en Europe, laquelle quoiqu’elle adora sa fille, ressent en ce moment le besoin de travailler, de voyager un peu. Le voyage, ça fait parti de leurs boulots et Bee sait ce que c’est que d’avoir la bougeotte, que d’avoir envie d’explorer d’autres horizons, alors qu’elle-même adore voyager. Les voyages en Europe, elle comprend bien que cela puisse tenter Jessian, toute maman soit-elle. Seulement, ces voyages soulèvent un point, comme Jessian souhaite y travailler. Et Bee s’inquiète de savoir si c’est pour cela, qu’elle a prit un nouvel agent. Elle prêche le faux pour savoir le vrai, Bee, avant de se décomposer, au pied du mur, comme Jessian comprend ce que cette visite cache, les tourments de ce cœur amoureux qui lui fait face. Bee baisse la tête. C’était une mauvaise idée que de venir ici. Elle aurait dût savoir qu’elle ne teindrait jamais sans être découvertes, tant le sujet provoquait en elle de vives émotions, tant elle pouvait s’effondrer à tout moment au fil de la conversation, selon les réponses de Jessian. Sa meilleure amie. C’était bien sa veine. Lullaby en suppose qu’Alexandre aura rapidement vent de cette visite, de ses sentiments. Parce qu’on dit tout à un ou une meilleure amie, non ? Surtout quand ça le concerne.

Foutu pour foutu, elle en profite pour creuser, Lullaby. Pour obtenir des réponses aux questions qui assaillent bien trop souvent son esprit. Mais ces réponses, elle les connaissait par avance. Elle se décompose pourtant malgré tout devant Jessian, comme Alexandre n’a jamais parlé d’elle. Elle s’en doutait, mais ça fait mal de l’entendre confirmé ainsi. Parce que ça donne de poids à ce que pense la demoiselle, du poids à l’idée selon laquelle elle ne l’intéresse pas et n’est pour lui qu’une gamine. La fille d’un ami. Elle baisse la tête, en même temps que Jessian assure qu’elle ne dira rien et bredouille un merci, reconnaissante, sans trop savoir en fin de compte, si elle ne voudrait pas qu’Alexandre l’apprenne, justement. S’il savait… ça la libérerait d’un poids, non ? Elle ne sait pas, elle ne sait plus à présent.

«- Ah ça…J’suis pas certaine qu’une fille y arrive un jour.» souffle Bee. «Et si une y parvient, j’veux pas savoir comment elle aura fait.» la demoiselle grimace immédiatement avant de soupirer encore, noyant son regard dans son verre d’eau avant de le reporter, humide, sur Jessian. Parce que cette fille, elle songe que ça ne peut pas être elle. Si loin du compte, Lullaby. «J’suis la fille d’un de ses potes… qu’est-ce que j’espère au juste ? C’pas comme s’il pouvait m’voir autrement...»

Lullaby semblait se trouver dans une situation désespérée. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. Il était évident qu’elle était lassée de chercher des stratagèmes pour changer la perception de cet homme qui hantait ses pensées et qui n’était autre que ton meilleur ami. Lullaby ayant ton âge, tu avais conscience que la différence d’âge n’était pas négligeable mais Alexandre ne devrait pas trop s’en formaliser, du moins il n’avait pas hésité une seconde à coucher avec toi à l’époque et tu n’avais qu’un an de plus que la jolie blonde. Le problème venait peut-être plus du fait qu’elle était la fille d’un client et ami que de son âge. « Pas beaucoup, je ne sais pas faire ça. J’ai réussis à l’inviter promener y’a pas longtemps. J’essaie de passer du temps avec lui mais c’est pas évident... J’imagine que je suis sensé lui faire oublier l’âge que j’ai mais… je ne sais pas trop comment. » Quelque chose te sauta aux yeux à ces paroles. Tu avais toujours considéré Lullaby comme une jeune femme sûre d’elle qui n’avait peur de rien. Alors qu’en réalité, elle était peut-être plus timide et réservée que tu ne le pensais initialement … L’inviter pour se promener c’était une bonne manière d’apprendre à mieux le connaître certainement en discutant mais ce n’était pas ça qui le ferait craquer s’il devait craquer. Parce qu’après tout, tu ne savais pas si Alex pouvait être intéressé mais il allait falloir que la jeune femme attaque de manière plus frontale. « C’est pas faute d’y avoir réfléchis, pendant quatre ans.. » Tu hoches ta tête en entendant ces paroles alors que des idées fusent dans ton cerveau. Vu le comportement de Lullaby quand elle parlait d’Alex, tu n’avais aucun mal à imaginer qu’elle devait se décomposer devant lui et avoir du mal à paraître à l’aise. Toi, c’était l’inverse, tu étais très rarement gênée et tu n’avais pas froid aux yeux. Si un homme te plaisait, tu le lui faisais savoir rapidement pour ne pas perdre ton temps si rien n’était possible. « Je ne pense pas qu’Alex ait un problème avec ton âge. Il faut surtout que tu lui fasses oublier que tu es la fille de son ami. Et quelque chose me dit que cela doit pouvoir être possible. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil. « N’oublie pas qu’Alex est un homme comme les autres et je pense qu’une tenue bien choisie assortie d’une certaine assurance suffiraient à faire leur effet. Il est temps de laisser la ‘blushing bride’ au placard pour faire sortir une Lullaby sûr d’elle et déterminée. » Tu n’étais pas en train de dire que cela serait facile, tu étais simplement en train de lui donner un conseil. Quand on veut quelque chose, il faut le faire savoir et il faut se battre pour l’avoir surtout.

La jeune femme sembla décontenancée quand elle se rendit compte que tu l’avais démasquée. Contrairement à ce qu’elle devait penser, tu ne la jugeais pas du tout et cela t’amusait plus qu’autre chose. Il fut une époque où tu aurais pu être jalouse, quand tu avais considéré pendant une journée une relation avec Alex mais aujourd’hui tu voulais qu’il soit heureux et qu’il sorte de cette solitude. Et si cette solution était Lullaby ? Tu n’avais jamais considéré cette possibilité mais c’était surtout parce que tu connaissais peu l’entourage d’Alexandre il fallait l’avouer. Quand tu confiais à la demoiselle qu’il ne t’avait pas parlé d’elle, tu vis la déception se dessiner sur son visage. C’était comme si tous les malheurs du monde venaient de lui tomber dessus. Et pourtant, Alex ne te parlait d’aucune demoiselle alors elle ne devrait pas s’en formaliser, cela ne voulait rien dire. Tu essayais de la rassurer comme tu pouvais mais sans grand succès. « Ah ça…J’suis pas certaine qu’une fille y arrive un jour.» souffle Bee. «Et si une y parvient, j’veux pas savoir comment elle aura fait. » Tu regardes la jeune femme surprise. De quoi est-ce qu’elle est en train de parler ? Pourquoi est-ce que cette jeune femme ne serait pas elle ? Ce n’était pas avec une attitude comme celle-là qu’elle allait arriver à ses fins. « Qui te dit que ce n’est pas toi qui y parviendras ? Si tu baisses déjà les bras, tu n’arriveras pas à tes fins. » Lui dis-tu en haussant les épaules. « La bataille est finie quand il te regarde dans les yeux et te dit ‘Non’ sans ciller. Avant cela, tout est possible. » Tu le pensais sincèrement, tant pis si cela faisait de toi une psychopathe. Mais tu lâchais rarement le morceau avant que l’on ne t’ait donné une réponse claire et nette qui indiquait que c’était bien ça que tu voulais. « J’suis la fille d’un de ses potes… qu’est-ce que j’espère au juste ? C’pas comme s’il pouvait m’voir autrement.. » Tu pouvais comprendre qu’au bout de quatre ans, Lullaby soit un peu lassée de ne pas avoir beaucoup avancé. Mais peut-être qu’elle ne s’y prenait pas de la meilleure des manières. Peut-être qu’elle n’avait pas été assez loin. Tu ne comprenais d’ailleurs pas comment elle avait pu être aussi patiente … « C’est sûr qu’avec une mentalité pareille, ça ne pourra jamais marcher. » Te trouvas-tu à lui dire. « Si même toi tu n’y crois pas, comment veux-tu qu’il te voit autrement ? » Lui demandas-tu avant d’ajouter : « Soit tu abandonnes et tu passes à autre chose, soit tu te reprends et tu mets tout en oeuvre pour le faire changer d’avis. Il est peut-être temps de passer à la vitesse supérieure et de mettre les points sur les i. Tu ne peux pas passer ta jeunesse à l’attendre s’il n’est et ne sera jamais intéressé, tu dois savoir. » Lui dis-tu sincèrement.

Le principal frein au bonheur de Lullaby n’était peut-être pas tant son âge que sa situation vis à vis d’Alexandre, en sa qualité de fille d’un amie. C’était bien le genre d’accord tacite à la con qui devait figurer dans les amitiés masculines, à savoir ne pas toucher la fille de l’autre. Quoiqu’à bien y penser, si une mère découvrait qu’une amie en pince pour son fils ou inversement, les choses ne se passeraient sans doute pas mieux. Malheureusement. Si Lullaby pourrait, à la place de ces mère, éventuellement comprendre, ça ne devait clairement pas être le cas de toute. C’était sommes toute relativement compréhensible, même si ça n’arrangeait pas la demoiselle. Mais Jessian semblait penser pour sa part que la jolie Lullaby avait les moyens de faire oublier à Alexandre la filiation qu’elle avait avec Mikaël. Et même si elle ne pouvait pas le lui faire oublier, elle pouvait devenir à ce point indispensable à sa vie que ce détail passe à l’arrière plan des priorités d’Alexandre. Il était un homme comme les autres après tout. Sensible au charme des demoiselles. Ça n’était pas plus compliqué que ça, d’après Jessian. Tout était question d’une jolie tenue et d’assurance pour faire son effet. La difficulté de l’exercice résidait finalement dans le fait que la jeune femme devait cesser d’être impressionnée chaque fois qu’Alexandre se trouvait dans son champ de vision. Mais c’était quelque chose qui était plus facile à dire qu’à faire, réellement. Pourtant, elle allait devoir s’efforcer de trouver en elle cette assurance, si elle ne voulait pas découvrir un jour qu’il avait quelqu’un dans sa vie. Quelqu’un qui ne serait pas elle. Depuis quatre ans qu’elle le désirait, qu’il soit restait célibataire tout ce temps lui donnait l’impression de tenir du miracle. Il fallait peut-être y voir un signe, alors. Quoiqu’elle supposait qu’il était simplement, comme il l’avait dit, trop occupé par son travail.

«- Tu as sûrement raison...»

Évidemment. Elle ne pouvait pas se contenter d’essayer de l’inviter à des promenades, il fallait qu’elle envoie un message plus clair que cela si elle voulait que l’homme s’intéresse à elle. Si elle voulait qu’il comprenne qu’elle aimerait d’avantage avec lui. Qu’elle lui envoie un signe pour qu’il ose, peut-être. Pour qu’il fasse à son tour un pas vers elle, s’il doit en faire un. Mais s’il n’en fait pas et si elle va trop vite ? C’est cela qui la freine, cela qui l’inquiète et qui la bloque. Cette peur qu’Alexandre soit prit de cours. Ce besoin de le séduire d’abord, avant qu’il ne comprenne ce qu’elle attend, ce qu’elle veut, pour qu’il ne prenne pas le parti de la fuir, de s’éloigner d’elle. Situation compliquée. Mais elle ne doit pas se laisser abattre non plus. Ce n’est pas en partant défaitiste qu’elle arrivera à quelque chose, comme le souligne Jessian. Elle doit se reprendre oui. Elle est toujours plutôt positive Lullaby, en général. Faut croire que c’est un jour sans. Une période sans, pour être honnête, en même temps qu’elle se sent un peu perdue dans les possibilités qui s’offrent à elle pour obtenir ce qu’elle veut. Mais elle n’est pas certaine de pouvoir encaisser un non sans sciller, Lullaby.

«- J’sais pas… C’est compliqué. Une mauvaise passe comme on dit.» elle soupire. «L’ennuie c’est que j’ai envie qu’il comprenne tu vois ? Mais je ne me vois pas aller le lui dire tout de go, comme ça. Et dans un même temps j’ai peur qu’il l’apprenne parce que… j’sais pas, j’ai peur qu’il se braque, qu’il s’éloigne, qu’il me mette un stop énorme juste parce que ça ne se fait sûrement pas d’se laisser draguer par la fille d’un ami.» elle soupire. «Pourquoi il faut que ce soit aussi compliqué ? J’ai l’impression que c’est encore plus compliqué avec lui.» marmonne la demoiselle. «Je veux dire… je ne me suis jamais sentie aussi peu à l’aise.» avoue la demoiselle. Parce qu’il l’impressionne, Alex. Vraiment. «J’imagine que c'est juste un problème de confiance en moi... J'dois peut-être oublier moi-même qui il est pour me sentir moins intimidé.»