Vieux, j’ai ton rapport. Je suis déjà parti, je peux te le filer au bar de d’habitude, je t’offre la pinte pour me faire pardonner. Tad ne cesse d’observer le message qu’il avait envoyé à Lonnie tout en sortant du travail. Ce n’était pas quelque chose d’autorisé que de se passer les rapports en dehors de leur lieu d’exercice mais dès qu’il avait eu fini de le taper, c’était devenu vital pour lui que de quitter les lieux et de prendre l’air. Ses pieds l’avaient naturellement emmené au bar du coin où il avait l’habitude de prendre un verre après le travail. Autant dire que la bière que Tad a face à lui à ce moment a un côté thérapeutique. Son supérieur l’avait enfin gratifié de son premier dossier à gérer seul, comme un grand. Si Tad avait apprécié l’opportunité et s’était empressé de découvrir les détails de l’enquête, son visage s’était décomposé dès qu’il s’était retrouvé face aux deux corps presque entièrement brûlés de deux gamins qui n’avaient rien à faire là. S’il était capable de gérer ses émotions dès qu’il était question d’enfant d’ordre général, c’était beaucoup plus difficile pour lui maintenant qu’il sait que ceux-ci peuvent être ici en raison d’homicide et que les cadavres posés sur table aient pu connaitre une morte violente. On l’avait préparé à cette réalité du métier. Tad savait que des choses moches se passaient dans la ville et que c’est chez lui qu’elles allaient atterrir mais ce cas-là, pour une première affaire a tout pour le faire remettre en cause ses choix de carrière. Son regard alterne entre la pinte et le dossier, posé là en attendant que Lonnie fasse son apparition. C’était au départ qu’un bête accident, un incendie dont l’origine restait indéfinie mais qui ne présentait pas de cas sortant de l’ordinaire. C’est du moins ce que l’avait laissé penser le rapport des pompiers de cette nuit là. Puis, il avait fait son travail et avait conclu à un homicide. Il ne lui restait qu’à expliquer ça au petit bleu qui devait sûrement s’attendre à pouvoir clôturer son affaire. Une demi-heure après l’envoi du texto, ce dernier apparait dans le bar et Tad lui fait un signe pour qu’il s’approche de lui. Il espère avoir meilleure mine qu’en entrant, au moins pour pas inquiéter Lonnie. « Je t’en prie, installe toi, prend commande. » l’invite à faire Tad avant de lui glisser son rapport sous le nez. « Tu veilleras à ce que celui-ci ne finisse pas par décorer le sol de la salle d’archive hein ! » Clin d’œil à leur rencontre. Si à l’époque, ça avait été drôle de lire les faits divers. Tad planchait assez ses dossiers pour les voir rester entier. « Je sais que j’aurais pas du te dire de venir là mais j’avais besoin d’une bière. »
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Tisser des liens avec le corps médical de l’hôpital (par tisser des liens il entendait amener des cafés aux infirmières qui l’accueillaient toujours avec le sourire) avait été une chose plutôt facile pour un Lonnie dont le tempérament chaleureux et le sourire avait été de bons atouts pour se faire apprécier. Mais garder entier un lien avec l’équipe légiste du commissariat n’était pas une mince affaire tant ces derniers avaient parfois en horreur les flics et leur façon désinvolte de foutre le bordel ou de taper du poing sur la table dès qu’ils voulaient un récupérer un rapport. Sur ce côté Lonnie avait eu de la chance de ‘tomber’ sur Tad dont le message s’effaçait maintenant sous les yeux du bleu, ravi de savoir que le légiste avait son rapport mais aussi à l’idée de partager une bière avec lui loin du brouhaha constamment présent dans le commissariat. « Laisse-moi deux minutes et je suis à toi. » Que le flic avait tapé rapidement avant de récupérer sa veste sur le dossier de la chaise et de fermer l’ordinateur devenu, au fil des jours, son meilleur ami. Ça n’était pas vraiment règlementé de faire passer des dossiers sous le bureau de cette façon, et le flic risquait gros si on découvrait qu’il trempait de nouveau dans ce genre d’histoire, mais la situation de ces deux gamins aux corps brûlés valaient la peine de se mouiller un peu. Veste sur les épaules Lonnie avait pris la direction du bar en faisant bien attention ne pas croiser Bates ou Anwar sur le chemin, deux hommes qui arrivaient à lui en lui comme dans un livre ouvert et qui auraient forcément posés des questions sur son attitude étrange. Il avait échangé la voiture pour le vélo malgré le temps qui se dégradait dans la ville, parce que c’était toujours un plaisir de se prendre de grosses bourrasques de vent dans la gueule, et au bout de quelques minutes avait atteint leur bar de prédilection au cœur de Spring Hill, pas bien loin du commissariat. La main et le regard de Tad l’accueille à peine a-t-il franchi le pas de la porte, et c’est non sans appréhension que Lonnie se dirige vers le légiste qui l’invite déjà à passer commande. « Une pression, s’il vous plait. » Qu’il quémande presque au barman en prenant place à côté de Tad qui fait déjà glisser le dossier cartonné sur le comptoir en précisant que celui-ci n’aura pas sa place sur le sol de la salle d’archive, pun intended. « Pas de raison pour que celui-ci se retrouve au sous-sol tout de suite. » Il avait cette tentation morbide de soulever les premières pages pour découvrir les résultats mais se retenait pour ne pas se rendre malade, pas tout de suite. « Trop important. » Que Lonnie murmure presque alors qu’une bière ambrée trouve sa juste place dans sa main ouverte. « Tu m’étonnes, ton message est tombé pile poil. » Le flic trempe ses lèvres dans le verre et s’enfile la moitié du liquide avant de reporter son regard sur Tad qui semble, lui aussi, avoir des choses à dire et des histoires à racontées, bonnes ou non. « Quelque chose qui ne va pas au boulot ? » Savoir Tad dans une mauvaise passe ne l'enchantait pas, et cet amitié sincère qu'il construisait avec le légiste demandait de l'entretien et du temps, deux choses pour lesquelles le flic avait une grande disposition. « Ce dossier peut-être ? » Tapotant de l'index le dossier cartonné que Tad avait fait glissé sur le bois quelques minutes plus tôt Lonnie lança un regard perplexe à son ami avant de faire taire la voix dans sa tête qui le suppliait lourdement de soulever la première page afin de découvrir si oui ou non l'incendie avait bien tué ces gamins, ou bien si les enquêteurs devaient se porter sur une autre piste.
Ce n’était pas courant que de voir Tad tirer la gueule. Il avait donné l’habitude de son sourire idiot et de son optimisme à toute épreuve, sauf qu’à devoir rédiger des rapports et parce qu’il avait pris l’habitude d’autopsier que des morts naturelles, il ne s’était pas préparé à la violence que représentent les homicides et surtout à la dureté qui va de pair avec des infanticides. L’homme en lui, le presque père d’un gamin de quatorze ans, avait pris une douche froide et réalisé qu’au-delà de la curiosité scientifique qui l’accompagnait dans sa vie professionnelle se cache un aspect plus humain, une cause plus digne en même temps tellement tristement réelle qu’il en est abattu. On avait tenté de le mettre en garde sur tout, il avait écouté que d’une oreille en assurer s’être préparé mais là, il s’en rend compte : il ne l’était pas. La bière arrive à peine à pallier le choc et plus il boit, plus il se dit qu’il y’a de grandes chances qu’il renvoie le breuvage. « Une pression, s’il vous plait. » enchaine Lonnie aussitôt après avoir été invité par Tad. Ce dernier essaie une pointe d’humeur en faisant référence à leur rencontre pour détendre un peu l’atmosphère, ou lui-même. « Pas de raison pour que celui-ci se retrouve au sous-sol tout de suite. » Non, et il espère que c’est le cas de chaque dossier qu’il rédige parce qu’autrement il pourrait y mettre moins de cœur. Enfin, sauf pour les homicides vus que ce rapport-là, il sera utilisé en cours de justice. Un honneur dont il se rend compte seulement maintenant. « Trop important. » ajoute t-il en murmurant sans se douter de l’importance justement qu’aura cette affaire. « Tu m’étonnes, ton message est tombé pile poil. » Lonnie approuve l’appel à l’aide, Tad n‘ajoute rien. Cela commence à être compliqué pour lui de continuer à garder la face tout en sachant ses conclusions qui demeurent entre quelques feuilles de papiers kraft. « Quelque chose qui ne va pas au boulot ? » La question présente est de savoir s’il doit tout lui dire ou non, si l’annonce doit venir de lui ou s’il doit le laisser lire le rapport. Les autopsies que Tad a réalisé resteront gravées en lui et fait que les enquêtes soient confidentielles, il ne sait comment agir. Bien sûr, faut que ça sorte mais est-ce que là, au beau milieu d’un bar, c’est l’endroit. « Ce dossier peut-être ? » A croire que Lonnie s’amuse avec ses nerfs. « Je suis en train d’hésiter entre me bourrer la gueule pour oublier ce que j’ai conclu, ou vomir toutes mes tripes jusqu’à ce que je me sente trop mal pour penser à ça. » explique Tad en posant son doigt sur le dossier et d’un air sérieux, ce qui est assez perturbant parce que les fois où s’est arrivée dans sa vie se comptent sur les doigts d’une main. « Ce n’était pas un accident. C’est tout ce que je peux te dire. » Il sait qu’il y’a des questions de présomption d’innocence et tutti quanti, mais les enfants ont été assassinés et une seule personne était sur place pour le faire.
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Lonnie avait l’habitude du sourire un peu trop idiot de Tad et de ses réflexions absurdes sur la vie et le boulot, le légiste ayant ce sens de l’humour acéré dont le flic manquait cruellement ainsi qu’une vision particulière du monde qui avait toujours fait sourire un Hartwell un peu trop pincé dans ses vêtements d’adulte. Mais là, alors qu’il entrait dans le bar et faisait face à la moue décontenancée de Tad dont le sourire avait fini par mourir sur ses lèvres avant même d’avoir vécu une vie convenable, Lonnie c’était pris une énorme claque dans la gueule. Oui, les gens autour de lui avaient le droit d’aller mal. Non, il ne fallait pas en faire tout un foin en forçant les autres à se confier s’ils n’en avaient pas envie. Appuyé contre le bar le bleu avait commandé une bière pression en espérant se faire servir autre chose que de la pisse de kangourou que certains barmen aiment appeler « bière biologique ». La tête des mauvais jours, le regard un peu distant et la voix cassée de Cooper ne faisaient que renforcer le flic dans l’idée que quelque chose de grave était arrivé à son ami, et ça lui faisait mal au cœur de savoir quelqu’un qu’il appréciait aussi troublé, surtout que Tad n’avait jamais été le dernier pour dédramatiser une conversation ou une situation stressante, trouvant toujours le trait d’humour adéquat pour faire sourire ceux qui avaient la mort dans l’âme. Lonnie aurait voulu lui presse l’épaule un peu, lui faire comprendre qu’il n’avait pas besoin de parler pour être compris, mais leur amitié n’en était encore qu’au début et il ne voulait pas brusquer le légiste sous peine de ne le voir prendre la porte avant même que le flic n’avale une gorgée de sa bière. Le dossier sous les doigts, le papier kraft lui brûlant presque les empreintes tant le sujet était lourd de conséquences, Lonnie avait avalé la première gorgée de la première bière, conscient que si Tad en avait besoin il se ferait un plaisir de payer la prochaine tournée et toutes celles qui suivront. « Je suis en train d’hésiter entre me bourrer la gueule pour oublier ce que j’ai conclu, ou vomir toutes mes tripes jusqu’à ce que je me sentes trop mal pour penser à ça. » Arquant un sourcil devant les paroles de son ami Lonnie avait hésité de longues secondes, le papier irritant entre les mains, à soulever juste un peu la première page pour voir les notes du légiste. Le feu avait été si puissant que les corps calcinés des jeunes enfants en étaient méconnaissables, et ça devait vraiment foutre la gerbe que d’observer ces tout petits corps sur une table d’opération froide en sachant qu’ils avaient – un jour – mangés du sable dans un parc en souriant. « Tout ce que tu veux. Le fric est tombé, les billets sont propres et bien lisses et la bière est fraîche … et si tu as besoin de vomir je te tiendrai les cheveux au-dessus d’une plaque d’égout. » Lonnie avait haussé un maigre sourire sur ses lèvres avant de repousser le dossier loin de ses doigts brûlants, car peu importe les résultats du légiste, c’était d’un ami dont Tad avait besoin ce soir et non pas d’un flic emprisonné dans une histoire d’infanticide. « Ce n’était pas un accident. C’est tout ce que je peux te dire. » Elle était donc là, la raison de ce visage décomposé normalement si joyeux. Et si Lonnie aurait normalement éprouvé un sentiment d’injustice et de dégoût profond il n’en était rien ce soir, du moins il essayait de l’expulser dans un coin de son esprit qui renfermait toutes les questions qu’il avait à ce sujet mais qu’il ne servait à rien de poser ce soir. « Ok … on s’en doutait un peu même si on avait pas envie de le voir. » Avalant une nouvelle gorgée de sa bière Lonnie avait déposé son portable contre le comptoir et l’avait éteint d’une main avant de remonter les manches de sa chemise. « Écoutes tu en parles si tu as envie, t’es obligé de rien et je t’en tiendrai pas rigueur si tu ne le fais pas... » Il se rappelait de sa première fois avec un infanticide, la tristesse que l’on ressent ne disparait jamais malgré les efforts. « C’est injuste et dégueulasse, et t’as une sensation horrible de cendres dans la bouche … mais il faut se dire qu’on finira bien par mettre la main sur la personne qui as fait ça… » Du moins il l’espérait.
Il avait beau avoir reçu plusieurs avertissements à ne pas trop prendre les choses à cœur, sa nature n’avait pas réussi à le protéger contre le coup moral qu’il avait pris et si sa raison n’arrêtait pas de lui répéter qu’il serait toute sa vie impuissant contre ce type d’évènement (parce que jamais au grand jamais, Tad ne sera omniscient) il ne pouvait lutter contre cette sensibilité qui le mettait K.O. . Il avait mis fin à une carrière naissante en chirurgie à cause de ce trait de caractère, se sachant totalement incapable de ne pas poser sur ses épaules la mort probable d’un patient et même si cette dernière n’était pas de son fait direct et là, ce qu’il est en train de se dire c’est que même le domaine où il exerce actuellement pourrait être trop dur pour son équilibre mental. La réflexion se fait intense et se voir sur son visage. Parce qu’il a des impératif, il prévient Lonnie que son rapport est prêt et se rassure de savoir que c’est le bleu qui gère ce cas, Tad sait qu’avec un autre policier, ça n’aurait pas être pareil. Ils sont peu à avoir gardé leurs âmes sensibles et face à cette situation, Tad ne peut pas le blâmer de s’être blinder face à la réalité afin de conserver un semblant de pieds sur Terre. Finalement, Tad n’avait pas tardé à confesser son état d’esprit à son nouvel ami. Lonnie avait ce fond de bonté et de sensibilité qui faisait que Tad n’allait pas rougir d’avoir à avouer que oui, cette histoire lui retourne l’estomac et que bien évidemment, il ne sera plus jamais comme avant. Il n’avait jamais autopsié d’enfant et espérait n’avoir plus jamais à pratiquer cet exercice. « Tout ce que tu veux. Le fric est tombé, les billets sont propres et bien lisses et la bière est fraîche … et si tu as besoin de vomir je te tiendrai les cheveux au-dessus d’une plaque d’égout. » La proposition de Lonnie lui fait esquisser un bref sourire là où d’ordinaire, il aurait lancé une blague sur sa longue chevelure inexistante. Ce n’était pas certain que noyer sa prise de tête actuelle dans l’alcool soit une bonne nouvelle mais on n’avait pas encore réussi à inventerquelque chose de plus efficace pour faire oublier aux gens les mauvaises nouvelles. Enfin, rien qui ne soit légal et comme nos deux héros sont dans les forces de l’ordre. « Ok … on s’en doutait un peu même si on avait pas envie de le voir. » admet Lonnie alors que Tad crache enfin le morceau sur ce qui le chiffonne. Si les enfants étaient décédés dans un simple incendie, Tad aurait blâmé la terre entière mais ce serait calmé face au fait qu’on ne peut rien contre les éléments et la fatalité mais ses conclusions amenaient à un meurtre. Les prélèvements effectués sur les poumons des enfants – enfin ce qu’il en restait – avaient mis en relief qu’ils n’avaient pas respiré de fumée et qu’ils n’étaient pas décédé par asphyxie comme il l’aurait fallu. « J’imagine que c’est parce qu’il y’avait le doute qu’ils se sont retrouvés sur ma table. » observe Tad les yeux fixés sur le verre. . « Écoutes tu en parles si tu as envie, t’es obligé de rien et je t’en tiendrai pas rigueur si tu ne le fais pas... » L’informe Lonnie, ce que Tad apprécie même s’il sait que peu importe la discussion peut être difficile, la garder pour lui ne le fera que mariner encore plus et là, ce qui lui faut, c’est que ça sorte. « C’est injuste et dégueulasse, et t’as une sensation horrible de cendres dans la bouche … mais il faut se dire qu’on finira bien par mettre la main sur la personne qui a fait ça… » C’est ce qu’il peut se dire et Lonnie a raison, il y’a toujours cette maigre consolation bien que, pour qu’elle soit effective, il faut aussi que le cas soit résolu. Cependant, Tad devait surtout faire face au fait qu’on peut tuer des mômes. Qu’un adulte peut faire ça. Et surtout, qu’il peut faire et aller jusqu’à brûler des corps. « C’est juste que, j’arrive pas à me dire que je saurais faire le métier sans m’impliquer. A l’hôpital, j’arrivais à me dire que les gens que j’opérais, leur heure avait sonné. Mais là, c’est autre chose. On se retrouve face à ce que l’humain fait de pire et au final, on est impuissants. J’arrive pas à me consoler du fait qu’à défaut de prévenir, on peut punir. » Parce que c’était ça, Tad aurait voulu faire une différence et finalement, il n’aide personne.
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Les semaines à venir seraient cruciales dans cette affaire qu’aucune des équipes ne comprenaient encore complètement. Lonnie n’en était pas à son coup d’essai avec ce genre de dossier compliqué à traiter, mais pour Tad c’était une première que d’avoir à se retrouver face aux deux petits corps sans vie que les pompiers avaient extraits du feu. Trop jeunes pour être ainsi tirés à la vie, trop petits pour comprendre le drame familial qui avait dû se jouer entre les murs de leur maison. Le flic ne pouvait que comprendre les difficultés rencontrées durant ces dernières semaines, et s’il devait se mettre en retrait pour laisser au légiste un part de chagrin et de culpabilité inévitable, alors Lonnie était prêt à sacrifier son foi et des heures de sommeil simplement pour être un ami digne de ce nom. Depuis leur première rencontre dans la salle des archives le Hartwell avait éprouvé une certaine sympathie envers Tad qui avait à cœur de bien faire, rappelant au flic les débuts fracassants d’une carrière qui avait démarrée par une très longue session de bizutage et de messes basses. Le légiste avait quitté une vie d’hôpital pour un autre domaine, en pensant sans doute qu’il arriverait à faire la part des choses dans son boulot. Mais ça n’était jamais si évident que de se retrouver face à des énigmes qui nous empêchaient de dormir et qui remuaient cette sensation horrible de mal-être et d’abandon. Tad pourrait en parler, si il souhaitait seulement, et quand même Lonnie essayait de dédramatiser la situation en promettant à son ami une soirée riche en alcool afin d’oublier toutes les emmerdes de ce dossier qui n’avait pas fini de leur filer des sueurs froides. La main sur la pinte le flic avait invité le légiste à se joindre à lui en lui promettant d’être son fournisseur officiel s’il en avait le cœur et l’envie. Du cœur il le faudrait bien accrocher pour affronter la vérité, le fait que les deux gamins n’étaient pas morts dans l’incendie de leur maison mais bien dans des circonstances autres sur lesquelles les flics devaient maintenant faire toute la lumière. « J’imagine que c’est parce qu’il y avait un doute qu’ils se sont retrouvés sur ma table. » Il imaginait bien oui. Lonnie avait simplement hoché la tête en avalant une grande gorgée de sa bière, conscient que les prochains mots qui sortiraient de sa bouche devraient être les bons. « Effectivement, on avait un doute. » Un doute qui s’était maintenant transformé en vérité qui allait alimenter pas mal de nuits blanches pour le Hartwell qui prenait se dossier très (trop) à cœur. « La mère a sans doute un rôle à jouer dans tout ça mais on essaie de ne pas tirer les alarmes trop vite. » Parce qu’il pouvait y avoir beaucoup de raison à la mort de ces gamins, et si blâmer la mère était sans doute la bonne chose à faire (du moins la sensation présente dans les tripes du bleu), il fallait tout de même évoquer toutes les pistes avant de tirer des conclusions hâtives. Cette sensation d’injustice n’allait pas disparaître, pas aujourd’hui en tout cas, ni même demain quand le légiste retourna dans son antre pour effectuer les derniers hommages aux deux petits corps. Rien de tout ça ne disparaîtra vraiment jamais. Profondément ancré dans l’esprit de Tad cette sensation allait pourtant s’atténuer avec le temps, et ça Lonnie lui en faisait la promesse alors qu’il déclarait être une bonne oreille si jamais son ami avait besoin de parler ou de se plaindre. Se retirer un peu de peine pour la partager avec des gens qui comprennent, qui ne juge pas, tout ça était l’une des solutions pour éviter de se retrouver avec des cauchemars horribles pendant des semaines. « C’est juste que, j’arrive pas à me dire que je saurais faire le métier sans m’impliquer. A l’hôpital, j’arrivais à me dire que les gens que j’opérais, leur heure avait sonnée. Mais là, c’est autre chose. On se retrouve face à ce que l’humain fait de pire et au final, on est impuissant. J’arrive pas à me consoler du fait qu’à défaut de prévenir, on peut punir. » Les paroles du légiste étaient pleine de sens, pleine aussi ce cette impression néfaste de ne pas pouvoir en faire plus, de ne plus être simplement un humain doué de compassion mais un pion dans la machine judiciaire qui finirait bien par faire son boulot, en bien comme en mal. Les lèvres pincées, une main frottant son front pour éliminer les signes de fatigue et de tension, Lonnie avait fait glisser le dossier loin d’eux sur sa gauche pour ne plus avoir à en supporter la vision. « Ma première affaire c’était une gamine de six ans qu’on a retrouvé noyée dans la rivière derrière chez elle. » Il n’était encore qu’un tout petit bleu à l’époque, les mains tenant si fermement son carnet qu’elles avaient rougies sous la pression et le nez encore coulant des larmes qu’il avait retenu. « Son père avait pleuré toutes les larmes de son corps durant l’interrogatoire en prétextant que c’était le voisin qui avait fait ça, une vieille histoire de jalousie. » Le flic avait terminé sa bière, levé le doigt pour commander une nouvelle tournée, et si Tad n’avait pas le cœur à boire alors il s’en chargerait tout seul. « Quand on a interrogé le voisin il nous a donné des preuves plutôt solides contre le père, et tout le monde se renvoyait la balle dans cette histoire. Moi je voulais juste savoir la vérité et j’étais tellement, tellement en colère que mon coéquipier m’a fait sortir de la salle pour ne pas que j’explose. » Les doigts serrés sur la bière le flic avait détourné le regard pour fixer son ami qui n’avait sans doute pas besoin d’entendre cette histoire mais qui se trouvait être le témoin malheureux d’un Hartwell tentant son possible pour lui faire voir un peu d’espoir dans tout ça. « La gamine avait tué par un vagabond de passage dans le quartier. » Et ça Lonnie n’avait jamais voulu l’entendre, encore aujourd’hui. « Là où je veux en venir, c’est que même si tu te dis que tu réussiras jamais à passer outre tout ça, il y a toujours quelqu’un qui a besoin d’entendre la vérité. » Les grands-parents des gamins attendaient une réponse, histoire de faire leur deuil.
C’est une claque assez monumentale que l’italien arrive à se prendre dans la tronche. Cela dit, c’est surtout de sa faute à lui et de sa tendance à croire que tout peut être rose alors que ce n’est généralement pas le cas. Il pensait faire son métier pour servir un but louable mais la vérité, c’est que lui comme l’ensemble des forces de l’ordre ne sont là que pour guérir – et encore quand c’est possible – plutôt que prévenir et face à cette réalité, il reste impuissant. C’est la vérité qui est difficile à digérer pour lui et qui l’assomme ce soir. Les évènements auront voulu que ce as de conscience surviennent après une histoire aussi dramatique que le dossier que tient Lonnie entre ses doigts. « Effectivement, on avait un doute. » confirme le bleu alors que Tad redoutait le pire. Bien sûr, il interviendra toujours si suspicion de meurtre. Il le savait, mais le vivre est autre chose. « La mère a sans doute un rôle à jouer dans tout ça mais on essaie de ne pas tirer les alarmes trop vite. » Il acquiesce, ne sachant quoi répondre à Lonnie. Il ne peut pas demander des détails sur l’enquête et le faire parler, ça serait l’amener quelque part à détruire cette impartialité qu’il doit avoir s’il ne veut pas de vice de forme. Au lieu de ça, il reprend un coup à boire, repars dans ses pensées avant de la matérialiser à haute voix. Il ne peut pas garder ce sentiment d’injustice enfermé même si Lonnie ne lui apportera pas la solution à ce problème, ce qu’il cherche juste, c’est à sentir qu’il n’est pas tout seul à être dégouté. « Ma première affaire c’était une gamine de six ans qu’on a retrouvé noyée dans la rivière derrière chez elle. » raconte le bleu, obtenant de ce fait le silence de Tad. « Son père avait pleuré toutes les larmes de son corps durant l’interrogatoire en prétextant que c’était le voisin qui avait fait ça, une vieille histoire de jalousie. » Dis comme ça, là où Lonnie veut en venir n’apparait pas de façon clairvoyante qui amènerait un éclair de génie. Est-ce que toutefois le jeune homme aura la solution qui fait passer la pilule ? « Quand on a interrogé le voisin il nous a donné des preuves plutôt solides contre le père, et tout le monde se renvoyait la balle dans cette histoire. Moi je voulais juste savoir la vérité et j’étais tellement, tellement en colère que mon coéquipier m’a fait sortir de la salle pour ne pas que j’explose. » Lonnie coupe le suspense assez rapidement. « La gamine avait tué par un vagabond de passage dans le quartier. » Et Tad garde le même regard, invitant son ami à annoncer la finalité de cette histoire. « Là où je veux en venir, c’est que même si tu te dis que tu réussiras jamais à passer outre tout ça, il y a toujours quelqu’un qui a besoin d’entendre la vérité. » Tad reste muet, il réfléchit et Lonnie a raison, quelqu’un aura toujours besoin qu’il vienne panser des plaies en amenant la vérité parce que le pire, c’est de ne pas savoir mais ce n’était pas ce qu’il attendait de tout ça. Il aurait juste voulu arrêter tout en empêchant des mauvaises personnes d’agir. « Tu as raison, ça me satisfait pas mais à défaut de refaire le monde, je vais devoir m’en contenter je suppose. » Il finit par avaler d’une traite le reste de sa bière. « Ce sera à moi de me mettre en accord avec ma conscience sur le fait de vivre du malheur des autres. Tout l’monde semble y arriver de toute. » ajoute t-il avant de reprendre sa veste. « Je vais rentrer je pense, j’ai besoin de cogiter. Bonne chance pour ton enquête, j’espère que tu sauras démêler tout ça. » dit-il en tendant la main pour un check avant de s’en aller.