Un mois. Ça faisait un mois maintenant qu’elle se réveillait avec, sous ses yeux, les dégâts du mur lui rappelant combien tout avait changé. La douleur s’était amoindrie – c’est ce qu’elle pensait en tout cas – depuis qu’elle lui avait écrit. Même si cette lettre il ne l’avait pas reçu, poser calmement ses ressentis sur le papier lui avait fait du bien. Extérioriser, même si elle aurait préféré lui en parler, c’était mieux que rien. Et puis, la lettre était revenue et elle s’était inquiétée tout en étant incapable de le texter ou de lui téléphoner pour savoir où il était, où il vivait désormais. Elle ne se l’était pas permise, elle ne voulait pas revenir comme un cheveu sur la soupe, la fleur au fusil comme si de rien était. Elle ne le voulait pas mais c’est ce qu’elle avait fait, avec un stupide texto au sujet d’un concours auquel ils avaient participé pour se marrer… et ces deux crétins avaient gagné. Le prétexte était trop beau pour être réel et elle en avait profité. Sa réponse lui assurait à peu près qu’il allait bien – il n’était pas mort dans une ruelle et il avait encore tous ses doigts, assez pour taper sur son téléphone en tout cas – mais ça ne suffisait pas à la brune. Elle avait besoin de lui parler et envie de le faire, envie de le voir aussi. Idiote qui avait fait tourner son monde autour de lui. Sous la colère et la tristesse, elle l’aimait toujours et elle ne niait pas la difficulté de vivre sans lui. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait eu envie de l’appeler pour lui raconter ses aventures, des plus réjouissantes aux plus stupides, pour passer des heures à lui parler et simplement rire. Putain ce que ça lui manquait de rire avec lui.
Elle ne le comprenait pas vraiment ce stress qu’elle ressentait et qui lui nouait l’estomac. Elle n’avait rien mangé de la journée, elle s’était shootée au café encore et encore. La journée avait été pénible à supporter tant elle était dans l’attente et tant elle se posait des questions. Quelle idée à la con de faire un vol de montgolfière en soirée aussi. Et c’est quand elle était arrivée sur les lieux, légèrement en retard, qu’elle avait compris. Le ballon était en train de se gonfler sous les yeux d’un Joseph immobile, qui l’attendait certainement. Rouge, un peu courbé. La toile se tendait pour former un cœur parfait. « Est-ce que tu te souvenais de ce détail ? Parce que moi non. » lui demandait-elle en arrivant à sa hauteur, n’osant même pas le regarder, le yeux fixés sur le ballon. Ce concours avait été destiné à un couple dans le cadre de la Saint Valentin. A gagner, un vol hivernement doux et romantique en montgolfière au-dessus d’une Brisbane plongée dans la lumière tamisée de la soirée, champagne et roses compris. Le stress qu’elle ressentait jusque-là se transformait gentiment en malaise. Est-ce qu’ils allaient vraiment devoir jouer les couples ou le mec aux commandes de la montgolfière s’en foutait comme de l’an 40 ? Putain… le mec de la montgolfière… Debbie était davantage venue pour parler, le vol n’était qu’un foutu prétexte pour entrer en contact avec le brun, mais elle n’avait pas pensé à ce type qui allait monter avec eux. Elle qui n’aimait pas étaler ses états d’âme tout court, elle n’allait sûrement pas le faire devant un inconnu. « Tu veux toujours le faire ? » C’était lâche mais elle remettait ce moment gênant entre les mains de Joseph. C’était à lui de prendre la décision d’y aller ou non. Le moment opportun pour enfin poser ses yeux sur lui et constater son effort vestimentaire. Pour le commun des mortels, une chemise à carreaux, un t-shirt blanc, un jean et des baskets, ce n’était rien de dingue. Avec Jo, quand ça concernait une chemise neuve, un t-shirt pas délavé et un jean non troué, même accompagnés de ses baskets fortement abîmées, ça restait grand. « Tu t’es fait beau pour notre conducteur ? » Blaguer, en dépit du sourire un peu crispé, c’était sa méthode pour tenter de détendre l’atmosphère. Un fail, très certainement.
Elle n’osait pas le regarder. Sûrement parce qu’elle-même sentait ses iris posées sur elle, comme s’ils ne s’étaient pas vus pendant des années et qu’il analysait les changements de son physique jusqu’aux plus minimes détails. Ça ne faisait qu’un mois mais l’impression d’éternité était là. Comme si son mensonge avait tout remis en cause, il devenait comme un inconnu avec qui la gêne était de mise. La réalité voulait surtout qu’elle craignait d’affronter son regard qui avait toujours réussi à la troubler et qui serait sûrement à même de lui faire mal aujourd’hui. C’était cette douleur qu’elle avait cru faire taire en écrivant la lettre qu’elle craignait le plus. Parce qu’elle avait assez souffert, parce qu’elle ne voulait pas rouvrir une plaie à peine cicatrisée (et encore), elle peinait à le regarder dans les yeux. Alors les siens, d’yeux, fixaient le ballon et elle se rendait compte de ce qui était en train de se tramer devant eux. Elle avait oublié toute cette mascarade de romantisme autour du vol, alors en bonne lâche qu’elle était, elle remettait le destin de cette soirée entre les mains de Joseph. « Si tu sais piloter un truc pareil et nous faire redescendre sur la plage et non dans la mer, je suis preneuse de l’idée. » De jeter le mec par-dessus bord. Même si c’était du domaine de la plaisanterie, ça n’en cachait pas moins la vérité : son désir de juste être avec Jo, quitte à vivre le moment de gêne le plus important de la planète, pour (essayer de) lui parler.
Pendant un instant, son regard était attiré par la blancheur de son t-shirt tranchant avec le foncé de sa chemise. Cet instant d’égarement était suffisant pour rencontrer ses yeux bleu océan, quelques secondes à peine, le temps de dériver sur ses fringues. Un croisement douloureux qui lui rappelait que c’était ce même regard qui lui avait menti pendant plus d’un an sans cligner une seule fois, sans vaciller une seule seconde. Elle se rendait compte, pendant ce court moment, qu’elle lui en voulait encore, que la lettre qu’elle avait couché sur le papier n’avait pas suffi pour la soulager, qu’elle serait peut-être incapable de lui parler finalement et que si elle en était capable, ses mots dépasseraient peut-être une fois de plus sa pensée et que ses larmes risquaient de couler alors qu’elle avait déjà trop pleuré. Ouais, ça faisait mal de ressentir tout ça à son égard alors elle taisait ses sentiments, comme d’habitude, elle les gardait pour elle et ne les laissaient pas transparaître pour mieux centrer la conversation sur lui et plus particulièrement sur son choix de vêtements. « Un vieux truc, ouais... » et elle tendait simplement le bras pour atteindre l’étiquette et l’enfoncer entre sa chemise et son t-shirt. « Ça serait bête de la perdre si tu comptes la rendre. » Qu’il la garde ou non, elle ne pouvait pas nier que ça lui faisait plaisir qu’il ait fait un effort.
Mais elle n’avait pas franchement le temps (ni le cœur) à lui dire qu’ils étaient abordés par l’organisateur à qui Debbie serrait naturellement la main quand ce dernier leur tendait. Sous l’impulsion de Joseph, la brune emboîtait le pas et montait à bord du véhicule volant sous le regard (et objectifs) des quelques badauds encore sur la plage, bien évidemment curieux et émus de ce qui se jouait là. Naturellement Debbie saluait le pilote qui les saluait en retour d’une façon fort particulière… Il tirait sur son espèce de manette et la flamme au-dessus d’eux se faisait plus intense et plus bruyante faisant sursauter Deborah. « Si je meurs pas d’une crise cardiaque avant qu’on revienne, rappelle-moi de me suicider en revenant pour avoir eu cette idée à la con de participer à ce concours. » Est-ce qu’elle commençait légèrement à flipper à l’idée de finir dans le ciel, suspendu par un putain de ballon alimenté par une flamme plus grande qu’eux avec comme seule sécurité un putain de gros panier en osier ? C’était fort possible et le pilote se faisait un plaisir de lui faire remarquer. « Tout va bien se passer et puis votre petit-ami est là, il va vous protéger n’est-ce pas ? » Il s’adressait plus ou moins à Joseph mais c’est Debbie qui prenait la parole. « Ce n’est pas mon mec ! Et il va me protéger de rien du tout parce qu’il… » parce qu’il est celui qui la fait souffrir le plus en ce moment et qu’elle n’a pas envie de se lover dans ses bras pour un sentiment de sécurité factice. « … laissez tomber. » Le regard du pilote dérivait alors vers Joseph et à l’expression de son visage, on devinait aisément qu’il semblait se dire qu’elle se traînait un sacré caractère la petite. « Si tout le monde est prêt, on y va alors. »
Elle ne savait pas comment s’y prendre et c’était le plus compliqué là-dedans. Elle aimerait savoir le faire mais elle avait trop l’habitude de fuir quand cela arrivait. Rattraper une amitié fortement fissurée. Faire face à la peine, la colère, la déception et la douleur que tout ça entraîne. Parler pour régler ce qui n’allait pas. Tout ça, elle n’en avait pas l’habitude, elle n’était pas douée parce que si fortement inexpérimentée. Elle se contentait de se tirer sans se retourner. C’est ce qu’elle avait fait avec Adorján, c’était aussi ce qu’elle avait fait avec son propre frère quand elle n’avait plus supporté son jugement du regard sur elle. Fuir était sa plus belle défense mais avec Jo, c’était différent. Il lui manquait trop cet enfoiré et si elle refusait de l’admettre, elle n’était pas vraiment capable de le fuir pour autant, elle n’était pas capable de vivre sans lui et de faire semblant que tout allait bien alors qu’une partie de son cœur était partie avec lui quand il avait claqué la porte de son appartement. Est-ce que c’était pour ça qu’elle s’était consciemment coincée avec lui dans les airs ? Pour se forcer à affronter ce qu’elle fuyait depuis des années ? Peut-être oui. Certainement. En y réfléchissant bien, qui mieux que Joseph était à même de lui faire faire une chose pareille ? Personne. Parce qu’elle avait toujours eu confiance en lui – à tort sur certains points, certes, mais c’était une minorité sur le reste – parce que, sûrement malgré lui, ils s’entraînaient l’un l’autre vers le haut. Si ce n’était pas avec lui qu’elle affrontait ses peines et ses colères au lieu de les ravaler, ça ne serait avec personne – sûrement parce que dans son esprit étriqué, personne d’autre ne méritait qu’elle en fasse l’effort. Sûrement parce que dans son cœur, personne d’autre n’avait une place aussi spéciale que celle possédée par Jo.
Mais elle parlait trop vite, Deborah. Sa langue se déliait plus rapidement que son esprit ne réfléchissait. Elle n’en restait pas moins blessée et incapable de cacher ses ressentis vis-à-vis du brun. Elle lui en voulait, beaucoup et ça s’entendait parce qu’elle n’était pas fichue de mentir. Mais ça s’entendait trop, trop fort, trop crûment, trop vite. Elle ne voulait pas de ça. Si elle était ici, ce n’était pas pour s’engueuler avec lui mais plus pour comprendre et essayer de savoir si elle se sentait capable de lui pardonner, essayer de faire un pas dans cette direction ou au moins l’envisager. Alors elle se taisait, un peu tard mais assez tôt pour ne pas regretter. Et puis la montgolfière avait pris son envol. L’amertume de Deborah laissait alors place à un stress, son bras s’enroulant naturellement autour d’un des énormes cordages qui reliait le panier et le ballon. Ses ongles s’y enfonçaient même un peu alors qu’elle préférait regarder l’horizon – magnifique soit dit en passant – que de regarder vraiment vers le bas. Stress naturel ou découverte du vertige, allez savoir, mais elle ne lâchait pas son petit coin, laissant l’occasion à Joseph de se rapprocher d’elle pour discuter. Atmosphère plus intime qu’elle ne l’aurait cru dans cet espace réduit accueillant pourtant trois personnes. Son regard se fixait un instant dans le sien et elle ignorait si le frisson qui venait de la parcourir était de son fait ou si c’était le vent qui s’engouffrait sous son pull trop court. Elle n’avait pas vraiment le temps de lui répondre que son souffle était coupé par l’irruption soudaine d’une rose entre eux. Ils avaient été prévenus, c’était un vol romantique… mais le pilote ne semblait pas avoir compris qu’ils n’étaient pas un couple… ou avait-il compris de travers, les pensant fâchés et tentant de les réconcilier ? Ce n’était pas impossible et Debra ne lui en tenait pas rigueur.
« Ça sera parfait, merci… » les sandwichs au homard. Déjà parce qu’elle n’avait jamais mangé de homard et qu’en gourmande qu’elle était, elle n’allait sûrement pas laisser l’occasion filer et puis ça lui permettrait de manger et on ne parle pas la bouche pleine, n’est-ce pas ? Un temps précieux de réflexion pour savoir quoi lui dire, comment lui dire, trouver les bons mots et surtout être capable de les dire – d’autant plus avec un mec dans leur dos qui avait forcément les oreilles qui traînaient. Sandwich en main, morceau en bouche, coupe de champagne dans une main – parce que s’il y avait à manger, il y avait forcément à boire – le rythme de sa mâchoire s’était calé sur le rythme de ses pensées : lent mais intense. Elle avait tant de choses à lui dire mais elle ne se sentait pas capable de trouver les bons mots pour les exprimer correctement. Son regard se perdait sur l’horizon comme Debra se noyait dans ses propres ressentis. Boomerang sévère qui lui revenait farouchement dans la tronche. Si elle se l’autorisait, elle se mettrait sûrement à chialer – encore – tant tout était mêlé, tant elle était perdue dans ce qu’elle ressentait. L’amer amour pour lui. La triste joie de le voir. C’était compliqué de poser des mots alors que tout semblait s’opposer, exactement comme ce qu’ils étaient ce soir : si proches physiquement mais si loin l’un de l’autre à la fois. « J’en ai marre, Jo. » Ça, en revanche, elle en était certaine. C’était sûrement les seuls mots qui reflétaient exactement son for intérieur. Elle en avait marre d’avoir mal, marre de lui en vouloir sans être à même de lui pardonner, marre de l’aimer sans pouvoir lui faire confiance à nouveau.
« Je veux juste... » que ça s’arrête, qu’ils reprennent de zéro sans pour autant effacer ce qui s’était passé. C’était compliqué, trop compliqué à gérer et elle se sentait trop observée, trop écoutée. Elle se pinçait l’intérieur de la joue, comme si elle retenait ses mots dans son souffle. « Tiens ça. » Elle donnait sa coupe de champagne et de sa main libre, elle attrapait son portable – duquel pendait ses écouteurs – dans la poche de son jean et le tendait au pilote après être rentrée dans la playlist. « Mettez ça. » Un ordre, clairement, qu’il ne cherchait pas à éviter. Ça lui importait peu d’entendre, il n’avait pas besoin de ça pour piloter son engin. Quand Debra était assurée qu’il ne les entendait plus – ou en tout cas, quand son esprit en était assez persuadé pour la décoincer – elle se tournait de nouveau vers le brun, reprenant sa coupe de champagne qu’elle finissait d’une traite comme pour se donner du courage. « Jo me manque. Celui qui m’écrivait, celui que j’ai rencontré à sa sortie de prison. Celui avec qui je pouvais parler de tout et rire de tout sans aucune gêne, sans avoir la sensation de marcher sur des œufs, sans avoir peur de dire un truc de travers qui pourrait le blesser et tout briser. Celui avec qui je pouvais me bourrer la gueule sans jugement. Celui avec qui j’arrivais à dormir en faisant parfaitement semblant qu’il n’y a aucune ambiguïté et aucun désir. Celui qui débarquait chez moi à pas d’heure sans avoir peur de me déranger parce qu’il savait qu’il ne me dérangeait jamais. Celui pour qui j’avais envie d’annuler un rendez-vous juste pour le voir et passer une bonne journée. C’est ce Jo qui me manque tous les jours. » Pas celui qui lui avait menti, pas celui qui refusait toute conversation un peu ambiguë parce que ça réveillait une jalousie chez lui qu’elle ne comprenait pas, pas celui qui avait détruit le mur de sa piaule qui ferait sûrement envoler sa caution au moment de rendre l’appartement. « J’ai envie de retrouver la complicité qu’on avait avant mais je ne sais pas si j’en serais capable parce que j’ai conscience que si je te redonne ma confiance, tu pourrais me briser comme jamais personne ne l’a fait et ça, ça me fait flipper plus que tout. » D’être incapable de se relever, d'être incapable d’avoir de nouveau confiance dans les relations humaines, c’est ce qu’elle craignait le plus.
Les opposés s’attirent et ils en étaient le parfait exemple. Contrairement à lui, Deborah n’avait jamais porté de masques, elle s’était toujours montrée telle qu’elle était vraiment. Quand bien même elle avait pu jouer aux dures, il la connaissait assez pour savoir qu’elle était un peu trop remplie de sensibilité. Quand bien même elle faisait preuve de je-m’en-foutisme, il savait qu’elle n’en était que plus impliquée et qu’elle s’efforçait juste de se protéger. Finalement, quand elle cherchait à se cacher, elle avait tellement été sincère avec lui dans ses lettres qu’il savait parfaitement ce que le masque cachait. Alors aujourd’hui, elle n’échappait pas à la règle, à cette sincérité qui transparaissait un peu trop sur son visage de poupée peinée. Il résumait la situation en des mots trop justes pour qu’ils ne résonnent pas comme d’amers regrets. Oui, évidemment qu’elle regrettait l’homme libre qu’il était, évidemment qu’elle aurait aimé le fréquenter plus longtemps. Son cœur l’avait cru, ses yeux avaient peut-être portés des œillères. Elle l’avait cru libre de ses démons bien plus longtemps qu’il ne l’avait été en réalité. Peut-être qu’au fond, elle qui ne l’avait jamais connu drogué jusqu’à la moelle – jusqu’à ce fameux soir de déchéance totale – avait eu la chance de fréquenter le véritable Joseph, le plus sobre possible qu’il avait pu être en sa présence. Elle avait eu l’opportunité d’être aux côtés de l’homme le plus libre qu’il pouvait être dans sa situation, même pendant ces quelques heures volées à son addiction. Elle avait eu ce privilège, parce que ça en était un quand il s’agissait d’une maladie si incontrôlable. Elle avait eu cette chance mais la déception du mensonge était si grande qu’elle ne parvenait pas à voir la situation dans ce sens. Elle était juste amère et triste de constater qu’il avait failli au principe même de l’amitié : l’honnêteté.
Néanmoins, elle le laissait s’exprimer sans le couper. Elle avait terriblement envie de lui dire que ce n’était pas s’arrêter de s’empoisonner qu’elle voulait mais c’était se soigner. Deux choses bien distinctes qu’elle serait pourtant incapable d’expliquer à l’oral. Son attention était braquée sur lui, ses oreilles étaient attentives à ses mots, aussi douloureux pouvaient-ils être. Elle avait la sensation, à travers ses dires, qu’il abandonnait le combat sans même avoir essayé, sans même avoir levé son arme. La solution de la facilité, le moins de sacrifice, l’absence de promesse de guérison parce qu’il ne la tiendra pas. Ça faisait mal à entendre. Son cœur se serrait et les larmes lui piquaient les yeux. Elle ne voulait pas pleurer, elle se l’était presque promis mais plus il parlait, plus elle comprenait que le Jo qu’elle avait connu n’existait plus et ne reviendrait pas. Cet ami en qui elle avait placé sa confiance, cet homme qu’elle avait eu en face d’elle à sa sortie de prison : envolé, disparu. Elle en pleurait parce qu’elle réalisait que c’était de lui dont elle avait besoin dans sa vie et qu’elle avait la sensation de le perdre, encore une fois. Il tuait ses espoirs dans l’œuf et si certains voyaient ça comme une bonne chose parce que ça lui éviterait une nouvelle déception, tout ce que Deborah voyait c’était un Joseph flou qu’elle quittait des yeux, incapable de le regarder davantage. Un hoquet de larmes coincé dans sa gorge l’empêchait de parler jusqu’à ce que, forcée par ses propres émotions, il finissait par se débloquer et faire couler cette faiblesse qu’elle s’évertuait tant à cacher avec les autres. Trop sincère avec lui, une fois de plus, elle n’était pas capable de retenir ses larmes et éclatait littéralement en sanglots, ceux d’une enfant perdue dans ses sentiments, ceux d’une adulte qui ne parvenait plus à en être une. L’éponge qu’elle était et qui avait tendance à tout absorbait débordait. Les larmes qu’elle essuyait maladroitement étaient remplacées par d’autres, s’alignant à une vitesse trop importante pour ne pas trahir ce qui était en train de se passer. Elle s’écroulait, psychologiquement. Comme si l’un de ses piliers mentaux avait foutu le camp, son équilibre était devenu précaire à l’annonce de l’abandon du combat et elle refusait de l’entendre.
« Essayer... » C’était le seul mot qui sortait de ses lèvres, déformé, murmuré entre deux larmes. Elle peinait à retrouver son calme, elle ne parvenait pas à trouver le souffle nécessaire pour s’exprimer et le courage pour le regarder en face. Ça durait une paire de minutes, celles qui ressemblaient un peu trop à l’éternité. « Ça ne sera jamais magique… J’ai besoin que tu essayes… je t’en prie… juste que tu essayes. » Pas guérir mais essayer de guérir, quitte à échouer. Elle en avait besoin pour se persuader que ce n’était pas perdu d’avance, qu’il avait fait l’effort de tenter parce qu’elle savait qu’il serait plus facilement pardonnable s’il essayait au lieu de s’avouer vaincu. Et d’instinct, elle s’était approchée de lui parce que si elle n’était pas capable de le regarder en étant dans cet état, elle était encore capable de se fondre dans ses bras pour s’y cacher et simplement le sentir contre elle. Ils étaient si loin l’un de l’autre mentalement ces temps-ci que de le sentir proche d’elle lui faisait paradoxalement du bien. A défaut d’être celui qui pouvait panser les blessures qu’il avait lui-même engendré, il pouvait la soutenir physiquement au creux de ses bras et simplement la laisser pleurer autant de temps qu’il était nécessaire pour évacuer. Et ça faisait du bien. Juste un instant volé, de ceux dont le temps ne se compte pas et elle finissait par se calmer, bercée par les battements du cœur du brun qui résonnaient contre les siens. Elle était triste et fatiguée. Elle pourrait s’endormir ainsi si l’endroit et le moment étaient appropriés tant elle n’avait pas ressenti cet apaisement depuis des semaines. Même le pilote avait disparu de son esprit. C’était juste eux et le silence qu’elle finissait par briser dans une confidence. « Tu me manques tellement, reviens-moi s’il te plait. »Promets-moi d’essayer avant de m’achever.« Je peux pas te forcer mais quoi qu’il en soit, je m’inquiète pour toi… » pour la drogue ou parce qu’elle ne savait même pas où il vivait en ce moment. Evidemment que ça l’inquiétait parce que c’était ce que tous les amis sont censés ressentir, n’est-ce pas ? « …alors si tu ne veux pas m’inquiéter, prends au moins la peine d’essayer. » Puis elle précisait un peu plus sa pensée, sa vérité même si ça lui brisait le cœur de l’avouer, le serrant un peu plus fort contre elle, comme pour se persuader que ça n’arriverait pas. « Je ne sais pas si je serais capable de te faire à nouveau confiance si je te sais sous influence. J’étais là quand tu es parti en vrille… tu ne peux pas me promettre de me faire aucun mal alors que tu n’es pas toi-même dans ces moments-là. » Ça serait comme donner sa confiance à un inconnu et ça, elle s’y refusait.
Elle avait peur, tout bêtement. Peur de le perdre, de se perdre avec lui. Il n’y avait pas que leur amitié qui était mise en péril mais la santé de Joseph également et si elle parvenait à s’imaginer se relever de leur amitié ébranlée mais toujours existante, non sans mal certes, elle n’imaginait pas le perdre tout court parce que la cocaïne aurait gagné le combat, l’envoyant tout droit entre quatre planches. Cet avenir-là, elle ne voulait pas le voir venir, ils en avaient bien assez vu des bribes le soir de son badtrip, celui-là même qui précède sûrement une overdose. Elle craignait pour sa vie, alors oui, elle voulait qu’il essaie, qu’il se sauve, qu’il donne tous les efforts pour ça, qu’elle puisse l’aider à sa hauteur dans les démarches, pourtant parfaitement consciente que ça n’allait pas être simple et très loin d’être gagné d’avance. Elle s’attendait à des échecs, à le retrouver complètement shooté au moindre problème qu’il pourrait rencontrer et qui l’affecterait trop. Elle était prête à le voir comme ça tant que ça leur donnait une chance de ne plus avoir peur. Parce qu’elle le sentait, au creux de ses bras, que lui aussi avait peur, que lui aussi pleurait pour diverses raisons. Ses membres tremblants, son baiser dans ses cheveux qui lui permettait de tout dire sans poser les mots. Ils se serraient l’un l’autre, se maintenaient debout avec deux espoirs différents et liés à la fois : que l’un essaie et que l’autre le pardonne d’avoir failli.
Et elle confiait, aussi. Elle lui avouait qu’elle doutait être capable de lui faire à nouveau confiance les yeux fermés comme elle l’avait fait jusqu’à maintenant. Un mensonge – ou une omission, appelez cela comme vous voulez – ne s’efface pas d’une promesse. Il resterait là, dans un coin de son crâne pendant un moment, à se demander à chaque fois si ses mots sont sincères, s’il lui dit pleinement la vérité ou s’il a encore d’autres choses à lui cacher d’aussi important. Comme maintenant où sa langue se déliait enfin et où le son de sa voix faisait vibrer ses tympans. Une partie d’elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire qu’il était parvenu à ne pas être sous influence en sa présence parce que ça lui permettait de conserver son petit secret. Un bon arrangement. Au fond, pourtant, elle savait très bien que c’était par amitié et respect pour elle qu’il ne s’était jamais montré complètement défait par la poudre blanche. Elle savait, quelque part, qu’il avait simplement cherché à la protéger de tout ça, à la protéger de cet aspect de sa vie peu reluisant et qui le ramenait à son passé de criminel pour ne pas la mêler à tout ça et ne garder que leur meilleur de leur amitié. Néanmoins, il allait falloir lui laisser du temps pour le réaliser pleinement.
« Ca me suffit amplement comme promesse. » Celle d’essayer, disait-elle la voix encore un peu chevrotante alors qu’il se détachait d’elle, gardant sa tête entre ses mains pour mieux l’observer. Ce n’était clairement pas son moment préféré. Elle était d’ailleurs bien incapable de le regarder dans les yeux à cet instant, préférant se focaliser sur la dernière larme qui coulait dans la barbe naissante du brun. « Arrête de pleurer, de nous deux, c’est moi la pleurnicheuse. » un sourire, un peu faible mais sincère, pour détendre l’atmosphère, alors que ses pouces glissaient sur ses joues pour essuyer les sillons. « J’ai toujours pas de tampon sur moi en plus, tu abuses, c’est jamais au bon moment. » En vérité, elle voulait qu’il ne s’arrête pas de pleurer, ou plus précisément, qu’il n’arrête jamais de lui montrer ce qu’il ressent vraiment, qu’il ne braque jamais ses sentiments, pas avec elle. La sincérité, la base de tout et elle souhaitait plus que jamais qu’ils puissent en faire preuve de nouveau, l’un comme l’autre.