Prim se retrouve coincée en plein dilemme : faire ce qu’elle veut en disant la vérité sur son métier à notre cousine, mais si elle choisit cette option elle risque de s’attirer les foudres de nos parents. Elle n’a déjà pas la meilleure des relations avec eux alors je peux comprendre sa réticence. Mais je pense qu’elle devrait prendre ce risque parce qu’après tout il s’agit de sa vie et c’est elle qui doit faire ses propres choix. Plus nos parents. Elle n’a plus dix ans. Surtout qu’elle m’avoue qu’elle aimerait en parler à Romy alors pour moi elle ne devrait pas hésiter. Et nos parents feront avec. Ils ont pas le choix. Primrose reste leur fille et je ne pense pas qu’ils puissent couper les ponts avec eux simplement parce qu’elle a décidé de dire à notre cousine qu’elle ne travaillait pas dans un restaurant. Et puis nos parents ne sont même pas obligés de le savoir après tout, non ? Romy pourrait rester discrète et ne pas en parler à ses parents j’en suis sûr. « Alors dis-lui. » Je lui réponds, comme si la solution était aussi simple que ça. « Au début elle risque peut-être de t’en vouloir parce que t’as attendu longtemps pour lui en parler, mais plus t’attends, plus tu t’exposes au risque qu’elle t’en veuille un peu plus. » Elle sait ce qu’elle veut c’est déjà ça. Maintenant il faut qu’elle trouve le courage de tout lui avouer. Mais sérieusement si elle a réussi à le dire à nos parents elle faire face à Romy ne devrait pas être très compliqué. Notre cousine c’est un amour et elle ne pourrait pas faire de mal à une mouche alors je pense qu’elle devrait bien s’en sortir. « J’aimerais juste être certaine que ça ne changera rien entre nous, mais évidemment je n’ai aucun moyen de le savoir à l’avance. » J’aimerais pouvoir la rassurer et lui dire qu’il n’y a pas de raison que cette révélation ne change quoique ce soit entre elles mais je ne peux pas lui mentir parce que je n’en sais rien. Peut-être que ça changerait tout entre elles, peut-être que Romy n’accepterait pas cette nouvelle partie de Prim. Mais honnêtement, ça m’étonnerait. « Ils détestent ce que je fais de ma vie, ce n’est peut-être pas moi toute entière qu’ils détestent mais c’est une partie de moi et ils n’arrivent pas à en faire abstraction. » Ils ne sont pas les seuls à détester ce qu’elle fait de sa vie. Moi non plus je ne suis pas d’accord avec les choix qu’elle a fait. Mais je pense que la différence c’est que moi j’ai fait des efforts pour passer au-dessus de tout ça alors qu’eux ne semblent pas prêts à quoique ce soit. « Tu devrais leur en parler tu sais. Leur dire qu’ils te manquent et que t’as besoin d’eux. Dis-leur ce que t’as sur le cœur. Quelque fois il suffit d’un peu de communication pour régler les choses. » C’est moi qui dit ça, sérieusement ? Je suis pas le meilleur quand il s’agit de parler à cœur ouvert de ce que je ressens mais pourtant j’ai souvent tendance à dire aux autres de le faire, parce que je sais que la communication c’est la solution à tout. J’ai juste beaucoup de mal à le faire moi-même.
J’en veux encore plus à Alex depuis que je sais qu’elle avait rencontré ma sœur et qu’elle n’a jamais daigné m’en parler. Ça peut paraître comme étant pas grand-chose, mais ça m’énerve. Ou bien c’est peut-être moi qui en fait de trop je ne sais pas. « On l’était toutes les deux, Caleb. » Oui mais j’ai envie d’en vouloir bien plus à Alex qu’à toi, Prim. Sûrement parce que je suis déjà en colère contre elle et que je n’ai aucunement envie de me mettre à dos ma sœur. Pas maintenant. On commence tout juste à se retrouver. « Je suis désolée mais j’ai vraiment du mal à te suivre, elle te fait du bien mais tu ne veux plus la revoir ? Comment elle peut te faire du bien en te faisant du mal ? » J’ai moi-même du mal à me comprendre en ce moment alors je ne suis vraiment pas étonné qu’elle ait du mal à me suivre. « C’est compliqué… » Je lui dis, presque d’un air complètement désespéré. En même temps elle ne peut pas comprendre parce qu’elle ne connait pas toute l’histoire. Et je lui en ai déjà trop dit, ou pas assez tout dépend de quel point de vue on parle. « Tu sais, ce n’est pas parce que je ne l’aime pas que tu dois me rassurer sur le fait que tu n’aies pas l’intention de la revoir. Tout ce que je veux c’est que tu sois heureux et je n’ai pas l’impression que ça t’enchante de la tenir à l’écart de ta vie. » Être heureux. Ça fait bien longtemps que je ne me suis pas réellement senti heureux. Plusieurs années même. C’est pas parce que mon deuil est fait que j’ai retrouvé le chemin du bonheur. Alors certes, je vais mieux et je me sens mieux qu’il y a même encore quelques mois. Mais non de là à dire que je suis heureux, non elle a raison ce n’est clairement pas le cas. « Peut-être que tu devrais commencer par lui laisser te donner l’explication que tu as refusé d’avoir ? Tu ne crois pas que ça changerait les choses ou au moins que ça te libérerait d’un poids ? Je ne dis pas qu’il faut nécessairement que tu lui laisses une chance, mais au moins que tu parviennes à évacuer ta colère. Tu ne pourras jamais tourner la page, sinon. » Je l’écoute parler mais je ne lui réponds pas tout de suite. Je lâche un long soupir tout en laissant ma tête retomber doucement dans mes mains. Je reste comme ça quelques secondes et mes mains remontent dans mes cheveux. « En fait y’a huit ans elle m’avait pas vraiment quitté. Un soir je suis rentré, elle avait pris toutes ses affaires et elle était partie. Et il y a une semaine elle m’a expliqué pourquoi elle a fui comme ça. » Je relève les yeux vers Primrose pour la regarder un instant. « Elle était enceinte. Elle a fait un déni de grossesse, et quand elle l’a appris elle en était déjà au cinquième mois. Elle voulait pas d’enfant et je sais pas, je crois qu’elle avait peur de ma réaction alors elle est partie sans rien me dire. Et du coup elle a laissé le bébé à l’adoption. C’est un garçon, il s’appelle Nathan et il aura huit ans dans trois mois. » Et c’est tout ce que je sais pour l’instant. Elle m’a donné une enveloppe dans laquelle il y a une lettre, dans laquelle il y aura apparemment toutes les réponses à mes questions. Mais je n’ai pas encore eu la force de la lire. Ni même d’ouvrir cette foutue enveloppe. J’ai du mal à comprendre comment on peut faire une chose pareille à une personne qu’on était censée aimer. L’adoption à la limite je peux le comprendre, elle n’avait que vingt-et-un an quand elle est tombée enceinte. Mais le fait de m’avoir tenu à l’écart de cette décision, ça, ça ne passe pas. J’étais tout aussi concerné qu’elle, non ? Si c’est moi le père de cet enfant. Mais Alex ne semble pas d’accord avec ça. Apparemment ma sœur elle aussi semble être en pleine période de doutes en ce moment alors je la questionne pour en savoir plus. « Oui, enfin non, c’est juste que j’ai rencontré un garçon à la fac et je crois que je l’aime vraiment bien mais c’est compliqué entre nous. Tout est toujours compliqué avec moi de toute façon. » Oh. Un garçon. C’est la première fois qu’elle me parle d’un garçon qui pourrait potentiellement lui plaire. Et elle le dit elle-même ; elle pense vraiment bien l’aimer. Je fronce les sourcils. « Pourquoi c’est compliqué entre vous ? » L’amour c’est pas censé être compliqué, ça devrait être simple. Comme ça l’était pour LV et moi. « J’espère que c’est un mec bien qui te traite comme tu le mérites. » Je ne peux pas m’en empêcher, après tout je reste un grand frère protecteur. Un peu trop protecteur peut-être. Mais je veux être sûr qu’elle ne soit pas tombée sur un connard qui ne la mérite pas.
Je sais que mon frère a raison et que je devrais faire mes propres choix au lieu de me baser sur ce que papa et maman ont cherché à m’imposer. D’ailleurs, je crois que je me cache derrière eux plus que je ne respecter leurs opinions. Après tout, ils ont déjà tellement de rancœur envers moi que je ne pense pas les décevoir encore plus, je pourrais donc totalement tout révéler à Romy sans que cela n’impacte notre relation qui n’est déjà pas au beau fixe. Le problème, c’est que tout révéler signifie m’exposer à une modification évidente de notre relation qui compte énormément pour moi. Comme mon frère, ma cousine a une grande place dans ma vie et sans elle, je ne suis pas certaine que la vie me paraisse aussi belle. J’ai des hauts et des bas, certes, mais je sais que je peux compter sur eux et ça rend les choses nettement plus faciles. Qu’est-ce que je ferais lorsque je devrais lui avouer que les trois-quarts de ce que je lui racontais étaient totalement faux ? Elle pensera que je n’ai jamais été honnête avec elle, que notre relation reposait uniquement sur un mensonge et elle voudra s’éloigner de moi. Le pire, c’est que je ne pourrais pas l’en blâmer. Cependant, Caleb a raison, je ne peux rien changer aux faits mais je peux m’assurer que le mensonge ne prenne pas encore plus d’ampleur, ça ne dépend que de moi, rien que de moi. « Je le fais, c’est promis, je vais juste attendre que le moment soit propice. » Il n’y aura jamais de moment propice en réalité et je le sais, parce que cette révélation va de toute façon jeter un froid entre nous alors que nous passerons un bon moment. Il va falloir que je me lance, tout simplement. « Je veux dire, je vais attendre qu’on passe un moment seules toutes les deux et je lui en parlerais. » Je viens de m’engager à tout dévoiler à ma cousine la prochaine fois que je me retrouverais en tête à tête avec elle. Je ne sais vraiment pas si l’idée est si bonne que ça mais je compte bien m’y tenir. Je dois me montrer courageuse, pour changer un peu, et s’il faut que je m’attire ses foudres pour commencer à mener une vie plus saine et qui ne soit pas construire qu’avec des événements inventés de toutes pièces, alors j’imagine que ça en vaut la peine. Evidemment, ça ne sera qu’un début, il y a tellement de choses que je cache à tellement de gens, mais il faut bien commencer quelque part. « Je crois que je vais commencer par Romy avant d’aller voir les parents, ça fait beaucoup trop en peu de temps, mais tu as raison, je crois que je devrais essayer de communiquer davantage avec eux, je suis juste déçue qu’ils n’aient pas eu l’initiative de le faire avant moi. » Après tout, ce sont eux les adultes censés me guider pour que je prenne les bons chemins, non ? Ce n’est pas parce que je suis devenue une adulte à mon tour que je n’ai pas besoin d’eux et de leurs conseils, c’est donc à eux de prendre l’initiative de me guider même si je ne leur demande plus de le faire. Je sais bien que c’est un peu trop facile et que si je voulais obtenir quelque chose de leur part, je ferais mieux de leur formuler mais ma fierté mal placée me joue encore des tours et comme me l’a si justement dit Alex, c’est à cause d’elle que je risque de finir seule.
J’aurais d’ailleurs préféré qu’Alex reste loin de notre conversation qui aurait dû être nettement plus joyeuse pour mon premier jour en tant que colocataire officielle de mon frère. Je suis heureuse et angoissée à l’idée d’emménager chez mon frère mais maintenant je suis encore plus angoissée à l’idée de croiser cette fille étrange et légèrement atteinte au détour d’un couloir. Malgré tout, j’essaie de minimiser notre altercation tout en restant honnête lorsque je la raconte à Caleb. Je ne veux pas ajouter un énième mensonge à la liste de ceux que j’ai déjà fait, il est important pour moi d’anticiper et de lui raconter ce qu’il s’est passé entre nous même si j’omets les détails qui pourraient s’avérer compromettants pour nous. « Je crois que ça va devenir la devise de la famille Anderson. » Car tout est compliqué chez nous, il n’y a jamais rien qui se déroule de manière simple et fluide, je crois, en tout cas pas pour mon frère et moi et nos drames respectifs bouleversent notre famille. La différence entre lui et moi, c’est que j’ai provoqué les emmerdes dans lesquelles je me suis fourré alors que lui a eu un comportement exemplaire et a eu à subir un événement extrêmement traumatisant. Enfin, un seul, c’est ce que je pensais jusqu’à maintenant et lorsqu’il enfouie sa tête dans ses mains, hésitant à reprendre la parole, j’ai l’impression que mon cœur loupe un battement et je comprends que les révélations qu’il s’apprête à faire ne seront pas à prendre à la légère. Toutefois, de tout ce que j’aurais pu imaginer, rien n’aurait pu être suffisamment grave pour égaler la vérité que me balance finalement mon frère. Mes yeux s’écarquillent et j’oublie presque de respirer alors qu’il m’explique qu’il a eu un bébé avec cette fille et qu’elle l’a donné à l’adoption sans même lui dire qu’elle était enceinte. Mon cœur se serre à l’idée que Caleb soit obligé de traverser un événement pareil deux ans après la mort de celle qui devait partager sa vie. Je le trouve fort malgré tout parce que quand je l’ai retrouvé un peu plus tôt, je n’aurais pas pu deviner qu’il traversait quelque chose d’aussi douloureux. Les mots me manquent, je ne sais pas vraiment quoi lui dire et je ne suis pas sûre que je puisse trouver les bons mots. « Wow. » Voilà ma première réaction et elle est encore bien en-dessous de ce que je ressens réellement. « Je… Wow… Je veux dire, ça a dû être un sacré choc… Je ne sais pas trop quoi te dire, je ne m’attendais pas à ça. » Je laisse le silence s’installer entre nous pendant une poignée de secondes, le temps de retrouver mes esprits et de réussir à mettre de l’ordre dans mon cerveau qui a du mal à assimiler toutes ces informations. « Tu… Tu as un enfant ? » Mon frère est papa, vraiment ? Est-ce qu’on peut vraiment lui donner ce titre alors qu’il n’a pas reconnu cet enfant, faute d’avoir connaissance de son existence ? Mon dieu, c’est beaucoup trop compliqué. « Je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça, je te connais, tu aurais bien réagi si elle te l’avait annoncé. » Mon frère est un nounours, tout le monde sait ça, et elle est encore une plus gros psychopathe que ce que je pensais. Quand je pense qu’elle m’a fait la morale sur mon attitude blessante envers mon frère en me regardant droit dans les yeux. Si je n’avais pas autant de haine, je pourrais lui rire au nez tellement c’est pathétique et déplacé. « Tu veux en savoir plus sur cet enfant ? » Il devrait vouloir en savoir plus, ce serait logique mais en même temps, c’est tellement dangereux de savoir qu’il y a ce petit Nathan dans la nature auquel il a donné la moitié de son ADN et auquel il aurait pu énormément s’attacher, j’ai peur qu’il en souffre énormément et qu’il ne s’en relève jamais. « Par contre, je retire ce que j’ai dit tout à l’heure, tu devrais rester loin, très loin de cette fille, c’est un poison. » Voilà des propos beaucoup moins modérés que précédemment mais je ne comprends même pas comment il peut de nouveau éprouver des sentiments pour une femme qui a commis un tel acte de trahison, c’est complètement surréaliste. Ma propre histoire d’amour – si on peut dire – fait pâle figure à côté de ce qu’il est en train de vivre et je me sens presque coupable de me confier à lui après tout ça. Malgré tout, je m’efforce de répondre aux questions que Caleb me pose, parce que ça me permet de me décharger d’un poids trop lourd à porter toute seule et que ça lui permet aussi de penser un peu à autre chose, l’espace d’un instant. « Il n’y a pas vraiment de place pour une relation dans ma vie, j’aurais beaucoup trop de choses à expliquer et je suis sûre que si je le fais il fuira… Tu m’as bien fuie toi alors que tu es mon frère, je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur sa réaction si je devais lui apprendre comment je gagne ma vie. » Encore pire si je parle de la prostitution, évidemment, mais je me garde bien de le préciser à Caleb. « Mais je l’aime vraiment bien et je crois que je lui plais aussi parce qu’on continue à… » Flirter ? Se tourner autour ? Ce sont des termes que je ne veux pas vraiment employer face à mon frère. « … Apprendre à se connaitre. » Je me suis embarquée dans quelque chose qui me dépasse. « Je ne sais pas trop quoi faire, je devrais sans doute mettre un terme à tout ça mais je n’en ai pas vraiment envie. » Et je n’ai surtout pas l’impression de le pouvoir et c’est bien ça le problème, je suis incapable de le repousser parce que je ne veux pas du tout le repousser. Toutefois, pour ce qui est des problèmes Caleb et son enfant caché gagnent la palme haut la main et je ne m’en remets toujours pas.
Attendre le bon moment pour dire la vérité à Romy. C’est ce que Primrose compte faire mais je ne suis pas sûr que le bon moment pour annoncer ce genre de chose existe vraiment. Tout ce que j’espère c’est qu’elle ne finira pas par changer d’avis et se dégonfler à la dernière minute parce que j’ai bien peur que c’est ce qui risque d’arriver. Plus elle attend plus elle risque d’avoir peur de faire face à Romy pour lui dire tout ça. Ce que je comprends. C’est pourquoi elle doit lui en parler et ça, le plus vite possible. Comme ça elle se sera débarrassée de ce secret qu’elle garde loin de notre cousine depuis toutes ces années. Elle risque de mal le prendre du début mais je ne doute pas qu’elle reviendra très vite vers elle et qu’elles redeviendront inséparables peu de temps après. « Je veux dire, je vais attendre qu’on passe un moment seules toutes les deux et je lui en parlerais. » J’acquiesce d’un petit signe de tête. Oui il vaut mieux qu’elle lui en parle quand elles seront seules toutes les deux et éviter de lui dire tout ça quand elles seront entourées de leurs amis dans un lieu bondé de monde. « Ça se passera bien t’en fais pas. Et puis on sait tous les deux que Romy c’est la personne la plus adorable de cette famille alors je pense vraiment que t’as pas de souci à te faire. » Et si je ne suis habituellement pas toujours très sûr de moi, là pour le coup je sais que j’ai raison. Romy est adorable, gentille et compréhensive alors il n’y a pas de raison que les choses se passent mal entre elles. Du moins je l’espère parce que dans le cas contraire je me sentirais coupable d’avoir poussé ma sœur si elles finissent par s’engueuler et ne plus jamais se reparler. « Je crois que je vais commencer par Romy avant d’aller voir les parents, ça fait beaucoup trop en peu de temps, mais tu as raison, je crois que je devrais essayer de communiquer davantage avec eux, je suis juste déçue qu’ils n’aient pas eu l’initiative de le faire avant moi. » Le truc c’est que dans la famille Anderson aucun d’entre nous n’est réellement doué pour la communication. Ce qui est vraiment dommage parce que je pense sincèrement que si on améliorait tous nos capacités en communication il y aurait beaucoup moins de tension dans la famille. « Tu sais tout aussi bien que moi qu’ils nous ont transmis à tous cette capacité qu’ils ont à tout garder pour eux sans faire part de nos sentiments. » J’aurais aimé hériter d’autres parties de leur ADN mais pourtant c’est bien ce trait de caractère qu’ils nous ont retransmis. Enfin pour Prim et moi du moins, mais je me rends compte que je suis incapable de dire si les jumelles sont des cas désespérés comme nous. Et je m’en veux parce qu’elles restent mes sœurs et que je les aime également, même si cette différence d’âge importante m’a toujours empêché de créer une vraie relation avec elles.
Au final on a pas parlé de son emménagement et des règles pendant très longtemps parce que voilà en train d’essayer de lui expliquer mon histoire avec Alex. Ça a toujours été compliqué entre nous mais quand on était ensemble elle m’avait rendu tellement heureux. Et le fait de sortir avec une fille qui était radicalement mon opposé sur bien des points avait eu un effet bénéfique sur moi ; elle m’avait aidé à prendre confiance en moi – et sachez que j’en avais vraiment besoin – et elle m’a aussi poussé à avoir plus d’assurance et ça aussi j’en avais réellement besoin. Je pense que si je suis l’homme que je suis aujourd’hui c’est en partie grâce à elle. Grâce aux bénéfices que notre relation a eu sur moi et à cause des souffrances qu’elle m’a fait endurer en partant de la sorte il y a huit ans. Je lui dis tout, je lui explique pour cette grossesse et d’adoption. J’ai encore beaucoup de mal à assimiler cette histoire et pour moi ça n’a aucun sens. Oui je sais elle m’a donné cette putain d’enveloppe dans laquelle je suis censé trouver toutes les réponses mais moi j’aurais aimé que pour une fois elle ne soit pas lâche et qu’elle ait le courage de m’apporter toutes les explications dont j’ai besoin. « Wow. » Sa première réaction est bien meilleure que la mienne. Moi je me suis contenté de lui demander confirmation sur le fait qu’elle prenait bien la pilule quand on était ensemble. Et j’ai enchaîné en lui disant que je n’avais aucune garantie d’être réellement celui qui l’avait mise enceinte. Donc oui, je lui ai dit que je pensais qu’elle me trompait. J’ai donc eu la pire des première réaction possible. « Je… Wow… Je veux dire, ça a dû être un sacré choc… Je ne sais pas trop quoi te dire, je ne m’attendais pas à ça. » Oui ça a été un choc et sur le coup je n’avais pas su quoi dire non plus. Ce qui explique ma réaction de bon gros boulet. « Tu…Tu as un enfant ? »Wow. C’est la première fois que j’entends cette phrase dite à voix haute et putain qu’est-ce que ça fait bizarre. « Je sais pas si je peux vraiment le considérer comme mon enfant. Il a sûrement été adopté, il a des parents. Il a un père qui l’a élevé qui l’aime et qui prend soin de lui. Mais cette personne c’est pas moi. » Parce qu’on ne m’en a pas laissé la possibilité tout simplement. Parce que je ne savais même pas que ma copine était enceinte. Elle est partie et m’a tenu à l’écart d’une décision qui ne regardait personne d’autre qu’elle et moi. Je n’arrive toujours pas à y croire. « Je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça, je te connais, tu aurais bien réagi si elle te l’avait annoncé. » Bien sûr que j’aurais bien réagi. J’aurais certainement été sous le choc, j’aurais paniqué, mais je n’aurais jamais mal réagi, je ne l’aurais jamais quitté parce que j’étais fou amoureux de cette fille et je ne pouvais pas imaginer une seule seconde ma vie sans elle à l’époque. « La connaissant elle va certainement encore me faire des monologues pour me dire à quel point elle ne regrette pas sa décision. Ou bien en essayant de justifier ses choix alors qu’elle n’a absolument aucune excuse. Rien ne peut excuser ce qu’elle m’a fait. » En soit, même si ça me fait mal l’adoption je peux le comprendre. Ce que je ne comprends ou ne tolère pas c’est qu’elle ne m’ait rien dit. Pour ça elle s’est comportée comme une garce. « Tu veux en savoir plus sur cet enfant ? » Les choses vont beaucoup trop vite pour moi. Je connais l’existence de cet enfant depuis seulement une semaine et je ne suis pas sûr de vouloir ni de pouvoir en apprendre plus sur lui. « Je sais pas. Il faudrait déjà que je réalise et que je digère cette nouvelle avant. » Avant quoi ? Avant rien du tout. Je ne vais rien faire et je vais laisser ce petit continuer le cours de sa vie. Parce qu’il n’a que huit ans et qu’il ne sait peut-être même pas que les personnes qui l’élèvent ne sont que ses parents adoptifs. « Par contre, je retire ce que j’ai dit tout à l’heure, tu devrais rester loin, très loin de cette fille, c’est un poison. » Et je ne peux qu’être d’accord avec elle. Je soupire une nouvelle fois. Je suis complètement perdu et cette histoire me dépasse complètement. Et je ne suis apparemment pas le seul parce que Prim commence à me parler d’un garçon qui semble vraiment lui plaire. C’est la première fois qu’elle me parle d’un garçon, alors je suppose que si elle le fait elle doit vraiment beaucoup l’aimer. J’ai plein de questions qui me viennent en tête ; comment s’appelle-t-il ? Est-ce que je le connais ? Quel âge a-t-il ? « Il n’y a pas vraiment de place pour une relation dans ma vie, j’aurais beaucoup trop de choses à expliquer et je suis sûre que si je le fais il fuira… Tu m’as bien fuie toi alors que tu es mon frère, je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur sa réaction si je devais lui apprendre comment je gagne ma vie. Mais je l’aime vraiment bien et je crois que je lui plais aussi parce qu’on continue à… Apprendre à se connaitre. Je ne sais pas trop quoi faire, je devrais sans doute mettre un terme à tout ça mais je n’en ai pas vraiment envie. » Je l’écoute sans interruption même quand elle fait des pauses de quelques secondes entre certaines de ses phrases. Et je me sens presque immédiatement coupable quand elle parle me dit que je l’ai fui. Le pire c’est que c’est vrai et que je ne peux pas le nier. « Oui mais tu peux pas lui mentir parce que là pour le coup tu peux être sûre qu’il le prendra mal et que quoiqu’il se passe entre vous tu l’auras gâché. L’honnêteté et la franchise, pour moi ce sont les choses les plus importantes dans une relation. Et si ce garçon te plait vraiment il faudra que tu lui dises la vérité. Tu peux pas commencer une relation avec quelqu’un en lui mentant dès le début, c’est pas comme ça que ça marche. Et s’il ne supporte pas la vérité et qu’il s’enfuit et bah ça voudra simplement dire qu’il te mérite pas. Et que tu trouveras mieux. » Je comprends tout à fait ses peurs et pour être tout à fait honnête je sais que je ne pourrais pas supporter moi-même que la fille qui me plait soit stripteaseuse. Je suis bien trop possessif et jaloux pour ça. « Tu mérites d’être heureuse Prim. » Et je ne veux pas qu’elle mette des freins à son bonheur simplement à cause de son métier. Ou bien sinon il reste une solution toujours plus simple ; démissionner et trouver un nouveau travail.
Je ne crois pas que Caleb soit réellement conscient de ce à quoi je m’expose en révélant mon secret – ou tout du moins une partie de mon secret – et ses arguments ne parviennent pas vraiment à me rassurer. Romy est évidemment adorable, mais ça fait plusieurs années que je lui mens en lui dissimulant ma véritable profession et en inventant ce métier de serveuse que je n’ai jamais exercé de sa vie. Je serais énervée aussi si j’étais à sa place et je ne m’attends absolument pas à ce qu’elle se montre compréhensive ou à ce qu’elle fasse preuve de clémence à mon égard. J’ai eu tort d’attendre aussi longtemps et maintenant, je sais que repousser l’échéance de quelques jours ne changera rien du tout, la réalité restera malgré tout douloureuse à encaisser et notre relation en pâtira. « Non, la personne la plus adorable de cette famille, c’est toi et tu l’as super mal pris, donc j’ai très peu d’espoir pour Romy. » Caleb, c’est le garçon gentil qui passe tout à tout le monde, c’est celui qui n’a pas de difficulté à pardonner, c’est celui qui voit le bon en chacun et c’est celui qui est très difficile à énerver tant il est calme de nature. Pourtant, j’ai réussi à le faire sortir de ses gonds et à l’éloigner de moi pendant de longs mois. Notre relation commence tout juste à redevenir comme avant, même si les non-dits persistent et persisteront encore un moment, alors je me demande combien de temps Romy mettra à revenir vers moi. Des mois ? Des années ? Peut-être que notre amitié ne sera plus jamais comme avant car même si nous sommes unies par les liens du sang avant tout, c’est bien des liens amicaux que nous avons tissés avec le temps et ce sont ces mêmes liens amicaux que je vais détruire en lui révélant tout ce qu’elle ne sait pas sur moi. Ma famille a une grande place dans ma vie, et ce n’est pas parce que je ne le montre pas que ce n’est pas le cas. Comme le dit si justement Caleb, on tient d’eux cette capacité à garder nos sentiments enfouis par peur de se montrer démonstratifs alors que ce n’est pas dans nos habitudes. « Ça craint, parce que parfois dire ce qu’on pense, ça aiderait à faire avancer les choses. » Nous sommes tellement doués pour ne rien dire et nous enfermer dans nos rancœurs, c’est triste. Le pire est que personne ne veut faire un pas vers l’autre et c’est dommage parce que tout aurait pu être différent si nous avions pris la peine d’échanger et de se confier ce que nous avons sur le cœur. Je reste persuadée qu’ils n’accepteront jamais mes choix de vie et c’est pour cette raison que je reste en retrait mais peut-être que si je les forçais à évoquer le sujet, je me rendrais compte que leur perception des choses est bien différente. Un jour, peut-être, j’aurais le courage de me lancer dans cette conversation qui me fait si peur mais pour le moment, ça me parait vraiment prématuré.
Finalement, mes petits problèmes paraissent bien insignifiants en comparaisons de ce que vient de me dire Caleb. J’aurais aimé avoir un discours apaisant, minimiser l’impact de cette révélation, lui faire comprendre que c’est quelque chose d’anodin et qu’il peut vivre avec mais j’en suis totalement incapable. Un enfant. Caleb a un enfant. Un petit être humain avec la moitié de son ADN a grandi pendant des années à plusieurs kilomètres de lui sans qu’il ait vent de son existence. Il doit être complètement dévasté. Je serais complètement dévastée dans sa situation, parce qu’il n’était pas au courant, parce qu’il subit cette vérité sur laquelle il n’a pas eu de prise, parce qu’il n’a pas le choix que d’accepter cette décision qui a été prise sans qu’il donne son consentement. Il doit se poser des milliers de questions, il doit en vouloir à la terre entière et particulièrement à Alex qui est la cause de ce nouveau malheur dont il n’avait vraiment pas besoin. A croire qu’il n’a pas eu assez de coups durs dans la vie pour qu’on vienne encore en rajouter une couche. Je n’arrive pas à croire qu’un garçon comme mon frère puisse subir tout ça, c’est vraiment injuste. « Tu as sûrement raison. » Je murmure, consciente qu’il dit vrai. Ce petit garçon est quelque part avec des parents qui l’aiment et qui l’ont élevé comme leur propre fils. Il ne peut donc pas avoir de place dans la vie de cet enfant, tout du moins je ne crois pas, mes connaissances sur la législation australienne me suffisent pour que je ne sois pas très optimiste quant à l’issue de ce combat. Quelle ironie, mon frère va avoir des problèmes familiaux et sa sœur s’est spécialisée dans le droit des affaires familiales. « Le problème, c’est que ce n’est pas toi qui as fait ce choix. » Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie mais il n’a pas l’air de bien réaliser ce qui lui arrive et je tiens à lui remettre la tête sur les épaules. Il a abandonné son enfant de manière involontaire parce qu’on a pris cette décision à sa place, c’est inhumain, personne n’a le droit de faire une chose pareille. Alex avait parfaitement le droit de ne pas être prête à être mère et de choisir de ne pas le devenir, mais elle n’avait aucunement le droit d’imposer cette décision à Caleb et j’espère qu’il a l’intention de le lui dire. Pour le moment, il a l’air perdu et déboussolé mais il ne peut pas juste accepter la situation et faire comme si tout cela ne s’était pas passé, ça va le ronger de l’intérieur. Il me rassure en avouant finalement que rien ne peut l’excuser et je suis parfaitement d’accord avec lui, ce qu’elle a fait est inexcusable et impardonnable. « Elle t’a vraiment dit qu’elle ne regrettait pas son choix ? Mais elle est malade ! » Je m’exclame vivement, incapable de comprendre comment elle a pu dire une chose pareille face à un père privé de sa paternité par son seul bon vouloir. Quelle connasse. Elle ne mérite même pas d’avoir le droit de l’approcher. Ma haine envers elle était déjà immense mais elle est de plus en plus forte au fur et à mesure que la conversation se déroule. Cette femme est monstrueuse. « Je comprends que tu aies besoin de temps Caleb, mais tu as le droit d’avoir les réponses aux questions que tu pourrais te poser, alors s’il-te-plait, quand tu ressentiras le besoin d’en savoir plus, ne reste pas dans l’ignorance. » C’est vraiment très important, j’espère qu’il ne va pas faire n’importe quoi et être encore plus malheureux, Alex ne mérite pas qu’il la préserve de quoi que ce soit.
Ma relation à moi n’est pas aussi compliquée que celle de mon frère, mais malgré tout, je peine à m’y retrouver moi aussi. Abel s’est montré patient avec moi, très patient, parce que j’ai passé mon temps à faire trois pas en avant puis cinq en arrière sans réussir à lui dire ce que je pensais vraiment. Je veux pouvoir suivre mon cœur et non mon cerveau qui me retient en me répétant que tout ceci est une mauvaise idée et que nous allons finir par en souffrir, mais je sais qu’il a raison et c’est pour cela que j’essaie – sans grand succès – de garder mes distances avec lui. « Je le sais que je ne peux pas lui mentir, mais j’ai peur de le perdre. » Je vais le perdre, c’est une certitude, parce qu’il va voir le visage de la vraie Primrose et que c’est du dégoût qu’il va ressentir et non pas cette attirance que nous ressentons mutuellement lorsque nous nous retrouvons face à face. « J’aimerais que ça soit aussi facile, mais je crois que j’aurais surtout dû faire en sorte qu’on n’en arrive pas là. Maintenant je sais que quoi qu’il se passe, l’un de nous deux en souffrira ou peut-être même qu’on en souffrira tous les deux. » Quel est le pourcentage de chances qu’il accepte celle que je suis et veuille poursuivre cette relation naissante ? Il est infime, je le sais et c’est bien ce qui me fait peur. Pourtant, je sais que Caleb a raison et que je devrais lui dire et le laisser prendre cette décision avant que notre histoire ne prenne trop d’ampleur. J’ai juste du mal à l’imaginer sortir de ma vie du jour au lendemain et encore plus à accepter qu’il n’en fasse plus jamais partie tant il a pris une place importante pour moi. « Je fais de mon mieux. » Je ne suis pas sûre de le mériter, non, mais j’essaie de m’en sortir comme je peux et de résoudre un à un les problèmes dans lesquels je me suis enfermée toute seule parce que je n’ai jamais été très douée pour faire les bons choix. Caleb ne peut pas comprendre parce qu’il ne sait pas tout mais un jour, je prendrais le temps de lui expliquer et j’espère que ce jour-là, je pourrais toujours l’appeler mon frère.
Je peux complètement comprendre les peurs de Prim quant au fait de révéler son secret à notre cousine mais je reste persuadé que cette révélation n’aura pas de gros impact sur leur relation. Pas sur le long terme du moins. Parce que oui, elle lui en voudra au début de lui avoir caché la vérité pendant plusieurs années mais je doute que ça dure très longtemps. Romy est adorable et elle comprendra certainement que Prim lui ait caché la vérité. Du moins elle finira par comprendre. Je n’en doute pas. « Non, la personne la plus adorable de cette famille, c’est toi et tu l’as super mal pris, donc j’ai très peu d’espoir pour Romy. » Mais je ne suis pas adorable, moi. C’est ce que j’ai envie de lui dire, mais au final je ne réagis pas à cette partie de sa phrase. Je ne me considère pas comme étant adorable, je suis juste gentil et compréhensif c’est tout. Enfin du moins je pense que je le suis et je l’espère. « Ouais mais moi je suis ton frère, c’est pas pareil. Et imaginer que sa petite sœur gagne sa vie en… » Je fronce les sourcils et secoue la tête comme pour me chasser ces images de la tête. De toute façon j’ai clairement pas envie d’imaginer ce genre de choses. C’est ma sœur. C’est dégueulasse. « Bref. C’est pas ça le sujet. » Et je ne suis pas sûr d’avoir envie de reparler de tout ça avec elle. Je ne comprends toujours pas ses choix, je ne les accepte pas non plus et pourtant c’est pas pour autant que je la rejette. Enfin dire que je ne la rejette plus serait sans doute plus approprié. Je l’accepte telle qu’elle est même s’il y a toujours cette partie d’elle que je n’aime pas et qui je pense, je ne pourrais jamais aimer. Je l’accepte comme ça et je ne lui demande pas de changer pour venir habiter avec moi. « Ça craint, parce que parfois dire ce qu’on pense, ça aiderait à faire avancer les choses. » Oh que oui, j’acquiesce d’un simple signe de tête ses dires, parce que je suis complètement d’accord. J’aimerais réussir à m’exprimer facilement, mais même à trente ans j’ai encore beaucoup de mal à parler à cœur ouvert de mes sentiments ou des émotions. Je suis plutôt du genre à tout garder pour moi. « Moi je sais qu'écrire, ça m’aide. J’ai un peu moins de mal à écrire ce que je ressens que le dire à voix haute. Tu peux toujours essayer. » Je lui dis tout en tournant la tête vers elle. Peut-être que c’est un truc de frère et sœur, j’en sais rien. Mais je sais qu’écrire pour moi c’est moins compliqué que parler. Et c’est même quelque chose que je préfère. Elle peut peut-être essayer d’écrire une lettre aux parents et je pourrai potentiellement leur donner la prochaine fois que je passerai les voir.
Apprendre qu’on a un enfant depuis huit ans ça change toute une vie je peux vous l’assurer. Ça fait maintenant une semaine que je suis au courant de l’existence de ce petit garçon et je ne m’y suis toujours pas fait. J’ai beaucoup de mal à me dire que quelque part, pas très loin très certainement, il y a un petit garçon partageant la moitié de mon patrimoine génétique. C’est ce que j’ai toujours voulu, un enfant. Et apparemment depuis toutes ces années j’en avais déjà un. Mais Alex avait pris la décision de ne rien me dire à ce sujet. Comme si ça ne me concernait pas. Mais pour faire un enfant on doit être deux, alors pour prendre ce genre de décision nous aurions dû être deux également. Et me dire que j’ai un garçon, mais que je ne pourrai jamais le voir ça me fait tellement mal. Je donnerai tout pour pouvoir le voir ne serait-ce qu’une fois. Mais je pense qu’essayer de prendre contact avec sa famille d’adoption ne serait pas très responsable de ma part et Primrose semble d’accord avec moi. « Le problème, c’est que ce n’est pas toi qui as fait ce choix. » Et je ne sais pas comment j’aurais réagi à l’annonce d’une grossesse non voulue à l’époque. Pas mal, ça c’est sûr. Est-ce que j’aurais voulu le garder ? Est-ce que j’aurais tout de suite accepté l’idée de l’adoption ? J’en ai aucune idée. « C’est bien ça le problème. Parce qu’en soit, le fait qu’elle se sentait pas prête à avoir un enfant ça je peux le comprendre. Mais elle m’a tenu à l’écart de tout ça comme si j’avais pas le droit de savoir et c’est ça le plus dur à encaisser. » En faisant ça elle m’a manqué de respect et elle m’a prouvé qu’elle n’avait aucun sentiment pour moi. Jamais je n’aurais pu lui faire une chose pareille, je l’aimais beaucoup trop pour ça. « Parce que légalement je suppose que j’ai aucun droit sur lui ? » Je lui pose la question même si je pense déjà connaître la réponse. Je suis quasiment sûr de n’avoir aucun droit sur ce petit garçon et même si j’en avais, il a une famille et il a déjà un père alors je n’ai absolument aucune place dans sa vie. « Elle t’a vraiment dit qu’elle ne regrettait pas son choix ? Mais elle est malade ! » Je ne sais pas si elle regrette réellement son choix. Si elle se rend compte qu’elle aurait dû m’en parler huit ans plus tôt, je ne sais pas non plus. Je pense. Ou du moins je l’espère vraiment. « Non, enfin…je pense pas qu’elle regrette son choix de l’avoir laissé à l’adoption. » Je dis ça mais en fait je n’en ai aucune idée. Parce qu’elle était beaucoup trop défoncée pour me dire quoique ce soit en fait. « Je comprends que tu aies besoin de temps Caleb, mais tu as le droit d’avoir les réponses aux questions que tu pourrais te poser, alors s’il-te-plait, quand tu ressentiras le besoin d’en savoir plus, ne reste pas dans l’ignorance. » Rester dans l’ignorance je sais que j’en serai incapable. Surtout pour un sujet aussi important. On parle d’un enfant, pas d’une super recette de cookies que je rêverais d’avoir. « Elle m’a donnée une lettre dans laquelle il y a apparemment toutes les explications. Je commencerai pas ça, et on verra pour le reste après. » Parce que je ne suis même pas sûr d’avoir envie de la revoir un jour. Je suis beaucoup trop en colère contre elle pour ça. Et croyez-moi, je ne suis pas quelqu’un qui se met en colère facilement.
Et pour la première fois ma sœur me parle d’un garçon et en l’écoutant me parler je me rends compte qu’elle semble vraiment beaucoup l’aimer. Une partie de moi est heureuse pour elle, parce qu’elle mérite plus que n’importe qui le bonheur et si ce garçon peut le lui apporter, moi je ne vais pas m’y opposer au contraire. Mais l’autre partie de moi est toujours un peu inquiète et espère sincèrement que ce garçon est quelqu’un de bien qui la traite – ou la traitera – comme elle le mérite. « Je le sais que je ne peux pas lui mentir, mais j’ai peur de le perdre. » Et je la comprends. Parce que moi, si la fille qui me plaît m’annonce qu’elle gagne sa vie en dansant à moitié nue dans un club de striptease, honnêtement je ne sais pas si je pourrais l’accepter. En amour je suis assez jaloux et possessif, alors ce genre de révélation ne passerait clairement pas avec moi. Mais peut-être que ce garçon est différent et je suis presque sûr que certains mecs ne seraient pas contre sortir avec une fille qui exerce le métier de ma sœur. Par contre, ça, je ne peux pas lui dire parce que c’est clairement pas rassurant. « Oui mais en lui mentant tu risques aussi de le perdre. Alors autant être honnête, non ? » Au moins si elle lui dit la vérité elle aura eu le mérite d’avoir été honnête avec lui et c’est quelque chose qu’il ne pourra pas lui reprocher. « J’aimerais que ça soit aussi facile, mais je crois que j’aurais surtout dû faire en sorte qu’on n’en arrive pas là. Maintenant je sais que quoi qu’il se passe, l’un de nous deux en souffrira ou peut-être même qu’on en souffrira tous les deux. » Je fronce légèrement les sourcils quand elle me dit qu’elle aurait dû faire en sorte qu’ils n’en arrivent pas là. Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Est-ce qu’elle est en train de me dire qu’elle aurait dû mettre des distances avec ce garçon pour éviter qu’elle ne tombe amoureuse de lui ? « Prim, ton travail devrait pas t’empêcher d’avoir une vie à côté. Toi aussi t’as le droit de tomber amoureuse et d’avoir une relation sérieuse avec un garçon. Et tu sais, je pense qu’il risque de le prendre encore plus mal s’il venait à l’apprendre par lui-même. » Et si son travail l’empêche de sortir avec le garçon qu’elle apprécie, et bien moi j’ai une solution très simple à lui proposer : la démission. Mais bon, elle sait ce que j’en pense et je lui en ai déjà parlé au moins un million de fois. Oui, je pense qu’elle devrait quitter son travail pour en trouver un plus sain, un travail qu’elle pourrait exercer en gardant tous ses habits.
Caleb peut me dire tout ce qu’il veut, j’ai bien conscience que révéler mon secret va être le début d’une série de problèmes encore plus importants que l’endettement avec lequel je me bats depuis que j’ai atteint l’âge de me soustraire à l’autorité parentale. Si je me suis habituée à mes soucis financiers et aux coups de téléphones fréquents du banquier, je ne suis pas sûre de vivre aussi bien le fait que ma famille me tourne le dos. Je sais pourtant que c’est exactement ce qu’il va se produire, que ce soit pour une semaine, trois mois ou toute la vie. Caleb tente une fois de plus de se justifier, mais il s’interrompt en cours de route, comprenant que nous en revenons toujours au sujet qui nous divise et pour lequel nous ne trouvons pas de solution. Je hausse les épaules sans répondre, acceptant que nous tournions cette page plutôt que de rouvrir ce livre sans fin qui n’aura probablement jamais de fin. J’adore mon frère, j’aimerais vraiment réussir à le rendre fier de moi, mais je sais que jamais je n’arriverais à lui faire accepter ma profession et je n’ose même pas imaginer ce qu’il dirait s’il apprenait que tout cela va bien au-delà d’une danse langoureuse en petite tenue. Heureusement pour moi, pour le moment, il ignore tout ça et je profite de ces moments pour que nos liens se resserrent encore et encore, comme si cela pouvait permettre que la vérité ne vienne pas tout détruire entre nous. Je vois bien qu’il fait de son mieux pour me venir en aide, pour que notre famille soit soudée de nouveau et que mes parents acceptent plus facilement mes décisions. S’il savait la bombe que je dissimule, il ne ferait pas autant d’efforts pour moi. Ses conseils sont touchants en plus, et ses idées loin d’être mauvaises. Je ne suis pas sûre d’être capable de mettre sur papier tout ce que je n’ose pas révéler mais que je devrais réellement dire. Je trouverais ça un peu lâche de ma part d’écrire mes secrets sur une lettre et de l’envoyer en priant pour que ma famille revienne vers moi par la suite. En plus, je crois que je serais vraiment angoissée de ne pas être là, à scruter la moindre de leur réaction, à préparer mes arguments de défense et à tout faire pour qu’ils ne finissent pas par me claquer la porte au nez. Bien sûr, tout cela, Caleb l’ignore, il pense que je veux simplement renouer avec tout le monde et non pas que j’ai encore des tonnes de choses à leur dire. Je soupire, presque en imaginant la bataille à venir et me contente de hocher la tête, approuvant silencieusement son idée en sachant pourtant que je ne la mettrais pas en pratique. Un jour, je lui expliquerais tout, je le sais et j’ai hâte d’avoir le courage nécessaire pour extérioriser tout ce que j’ai sur le cœur même si j’ai également très peu que cette révélation mette un point final à notre relation fraternelle. Je n’ai pas le choix, de toute façon, il le saura un jour et mieux vaut que ce soit par moi qu’il l’apprenne même si c’est sûrement la vérité la plus difficile que j’ai eu à prononcer.
Mon frère, lui, arrive à aborder les sujets compliqués puisqu’il me prouve encore une fois sa confiance en se livrant sur l’histoire sordide de son ex, histoire qui l’a d’ailleurs complètement bouleversé et c’est bien normal. Apprendre que ça fait huit ans qu’il est papa, ou plutôt huit ans qu’on lui a retiré son rôle de père sans lui demander son avis, ça fait un choc et je pense que beaucoup auraient été bien plus virulent que mon frère aujourd’hui. J’admire le calme dont il fait preuve mais je me doute bien qu’au fond de lui, il est loin d’être serein et son incapacité à poser des questions sur cet enfant le prouve. Il est perdu et je n’ai malheureusement pas la possibilité de lui apporter mon aide, seul mon soutien pourra lui être utile et encore, je n’en suis pas certaine compte tenu du fait que ma haine pour Alex obscurcit mon jugement. « Bien sûr que ça peut se comprendre, je ne sais même pas ce que je ferais si ça devait m’arriver, j’imagine qu’elle a pris la décision qui lui semblait la plus adaptée. Le souci, c’est que vous auriez dû la prendre ensemble cette décision, elle n’avait pas le droit de la prendre à ta place. » Il le sait, bien sûr, et il sait aussi qu’il n’a légalement aucun droit sur cet enfant parce que les années s’écoulent et qu’il s’expose à de longues procédures juridiques. Je secoue la tête, répondant d’abord silencieusement à sa question, déçue d’avoir à lui apporter cette mauvaise nouvelle. « Je ne connais pas les textes de loi par cœur, mais à mon avis tu devras faire un test de paternité pour prouver votre filiation, il faudra que ce test soit accepté par la famille de l’enfant et il faudra aussi que tu prouves que tu n’avais pas connaissance de son existence. Même si tu arrives à faire tout ça, si cet enfant a été adopté, il y a des chances que son père adoptif soit privilégié. Les juges pour enfants prennent des décisions en faveur des enfants, avant tout, et je pense qu’après huit ans passés près d’une famille qu’il considère comme la sienne, il est possible que le juge ne tranche pas en ta faveur, même si la biologie prouve que c’est bien ton enfant. » J’ignore quel est le délai légal pour contester une paternité mais j’imagine que toutes ces situations s’étudient au cas par cas. Bien sûr, si cet enfant va de famille d’accueil en famille d’accueil depuis sa naissance, les choses sont différentes et Caleb peut avoir toutes ses chances de renouer avec son fils, mais en cas d’adoption, j’ai de gros doutes à ce sujet. « S’il n’a pas été adopté, par contre, il y a des chances que la procédure aboutisse. » Ce qui ne la rendra pas moins longue et compliquée, bien sûr. « J’imagine que tu peux envisager de poursuivre Alex, également, après tout, ton préjudice demande réparation. » En d’autres termes, cette connasse doit payer pour avoir bouleversé la vie de mon frère parce qu’elle a pensé d’abord à sa propre personne avant de penser aux deux vies qui se trouvaient entre ses mains. Là encore, il me faudrait parcourir les différents textes de lois pour savoir exactement ce qu’il en est pour mon frère, mais s’il veut vraiment se battre, plusieurs voies sont à sa disposition, j’en suis certaine. En plus, cette connasse se vante d’avoir fait le bon choix, c’est vraiment pathétique. « Purée, elle a de la chance d’être tombée sur toi, j’en connais plus d’un qui auraient été très contents de lui coller la tête dans un mur après ça. » Mon frère est un gentil, certes, mais pour le coup, il est carrément trop gentil et là, ça risque vraiment de lui faire du tort s’il ne se secoue pas un peu. « Tu penses que tu vas avoir le courage de la lire, cette lettre ? » On ne va pas se mentir, il a l’air sacrément réfractaire à l’idée et je le comprends, évidemment, parce que n’importe qui aurait peur des réponses qu’il pourrait trouver à l’intérieur.
Pour ce qui est l’honnêteté, je n’ai malheureusement de conseils à donner à personne, même pas à Alex, même si mon mensonge à moi n’impacte pas d’autre vie que la mienne, finalement. Caleb a raison, je devrais prendre les devants et dire à Abel ce que je suis et ce que je fais de ma vie plutôt que de le laisser le découvrir à un moment durant lequel je ne serais sans doute pas préparée à argumenter en ma faveur. Le savoir ne m’aide pas, bien sûr, parce que j’ai encore envie de profiter de ces instants de légèreté qui nous sont offerts, de cette relation simple et agréable que nous commençons à développer et qui me rend heureuse, vraiment heureuse. Je me dis que plus j’attends et plus son attachement pour moi lui permettra de se rendre compte que je ne suis pas que cette fille qui n’a pas forcément toujours fait les bons choix et qui se retrouve enfermée malgré elle dans une profession qui ne lui ressemble pas vraiment. Je sais aussi que plus j’attends et plus il aura l’impression de s’être fait mener en bateau pendant toute notre relation alors que c’est loin d’être le cas. « Quand tu le dis, ça a l’air presque facile. J’aimerais tellement que ça le soit. » Et c’est loin d’être aussi évident que semble le prétendre Caleb parce qu’il y a toute cette partie prostitution qu’il ne connait pas et finalement, je suis à deux doigts de le lui dire, parce que soudainement, je ressens le besoin de partager ce secret avec quelqu’un et de ne plus être la seule à en porter le poids. Mais évidemment, comme d’habitude, je me tais, parce que j’ai trop peur de sa réaction et que mon emménagement n’ait finalement pas lieu parce qu’il sera trop en colère pour m’autoriser à rester chez lui. « Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas aussi simple que ça. » Comme pour Abel, j’essaie de lui faire entendre ce qu’il ne pourra jamais comprendre tant que je n’aurais pas prononcé les vrais mots, ceux qui font mal, ceux qui lui renverront ma réalité en plein visage. « Bon, je vais peut-être finir de ranger toutes ces valises, non ? » J’adopte un ton joyeux contrastant avec les sujets de conversations précédemment abordés. Aujourd’hui, c’est mon emménagement et j’ai donc décrété que c’était jour de fête, je ne perdrais pas mon sourire et je ferais tout pour redonner le sien à Caleb. J’ai encore du mal à me dire que nous allons vraiment cohabiter mais je suis sûre d’une chose, c’est que j’ai pris la bonne décision.
Aujourd’hui ma sœur emménage chez moi, ça devrait être une journée joyeuse je devrais être heureux de la voir poser ses bagages chez moi, mais pourtant j’ai du mal à m’en réjouir. Enfin bien sûr que si je suis content que ma sœur ait décidé d’accepter la proposition que je lui ai faite il y a quelques mois et je suis ravis de me dire que cette nouvelle cohabitation nous aidera certainement à passer plus de temps ensemble et à renforcer nos liens fraternels. Mais il y a pourtant cette histoire avec mon ex qui ne me quitte pas. On ne parle pas d’un petit mensonge de sa part. Malheureusement les raisons de son départ il y a huit ans auraient été plus faciles à pardonner à l’heure d’aujourd’hui si elle venait à m’avouer qu’elle était simplement tombée amoureuse d’un autre homme. Ça fait mal certes, mais ce sont des choses qui arrivent. Mais les explications qu’elle m’a données sont beaucoup plus dures à encaisser. Depuis bientôt huit ans j’ai un enfant, un petit garçon du nom de Nathan. Et je l’ai appris il y a une semaine. « Bien sûr que ça peut se comprendre, je ne sais même pas ce que je ferais si ça devait m’arriver, j’imagine qu’elle a pris la décision qui lui semblait la plus adaptée. Le souci, c’est que vous auriez dû la prendre ensemble cette décision, elle n’avait pas le droit de la prendre à ta place. » Oui c’est bien ça le vrai souci je ne peux qu’être d’accord avec elle. Je comprends le fait qu’Alex ne se sentait pas prête à être mère. Et je suppose que ce déni de grossesse n’a rien arrangé. Apprendre qu’elle portait un petit bout de cinq mois a dû être un véritable choc pour elle. Qu’elle ait eu besoin de prendre ses distances pendant quelques semaines, ça aussi je peux l’entendre. Mais elle n’est jamais revenue, et elle m’a tenue à l’écart d’une décision qu’on aurait dû prendre ensemble. Elle m’a retiré mon rôle de père, et je me doute très bien que jamais je ne pourrais récupérer ce statut auprès de cet enfant. « Je ne connais pas les textes de loi par cœur, mais à mon avis tu devras faire un test de paternité pour prouver votre filiation, il faudra que ce test soit accepté par la famille de l’enfant et il faudra aussi que tu prouves que tu n’avais pas connaissance de son existence. Même si tu arrives à faire tout ça, si cet enfant a été adopté, il y a des chances que son père adoptif soit privilégié. Les juges pour enfants prennent des décisions en faveur des enfants, avant tout, et je pense qu’après huit ans passés près d’une famille qu’il considère comme la sienne, il est possible que le juge ne tranche pas en ta faveur, même si la biologie prouve que c’est bien ton enfant. » Je l’écoute m’apporter les explications que je lui ai demandées et certains de ses mots me font terriblement mal. Elle parle de la famille de cet enfant, de son père et normalement, son père ça aurait dû être moi. J’aurais dû être sa famille aussi ou du moins en faire partie. Mais non. Alex a tout décidé pour moi. Et c’est pour cette raison que je ne suis pas sûr de pouvoir lui pardonner un jour. « S’il n’a pas été adopté, par contre, il y a des chances que la procédure aboutisse. » Un peu d’espoir dans toutes ces informations négatives qu’elle m’a apportées. Je me redresse et la regarde les sourcils légèrement froncés. « C’est vrai ? » Je lui demande avec une once d’espoir dans la voix. Mais par contre, les chances pour qu’il n’ait jamais été adopté sont certainement assez faibles. Ou du moins, je suppose. « J’imagine que tu peux envisager de poursuivre Alex, également, après tout, ton préjudice demande réparation. » La poursuivre en justice ? Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée ni que ça ne serve à quelque chose. Je secoue négativement la tête. « Non, non je peux pas faire ça. » Et je n’ai pas envie d’en arriver là non plus. Je vais simplement devoir me démerder et essayer de digérer cette bombe qu’elle m’a lancée. « Purée, elle a de la chance d’être tombée sur toi, j’en connais plus d’un qui auraient été très contents de lui coller la tête dans un mur après ça. » Sauf que moi je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas violent et je vais juste devoir apprendre à vivre avec cette information. J’aurais pu être papa moi aussi, mais elle en a décidé autrement pour moi. « Tu penses que tu vas avoir le courage de la lire, cette lettre ? » Je hausse les épaules, le regard un peu perdu dans le vide. « Oui je pense, mais pas maintenant. » Il faut déjà que je digère cette nouvelle.
Tout ne semble pas si simple pour ma sœur non plus parce qu’elle est apparemment tombée sous le charme d’un garçon et elle a peur de lui avouer la véritable nature de son métier. Elle semble complètement perdue, ce que je peux tout à fait comprendre. Si elle lui dit elle risque de le perdre mais si elle ne lui dit pas elle va s’enfoncer dans des mensonges et elle finira par le perdre aussi. Moi j’ai une solution toute simple à lui proposer : changer de métier. Tout simplement. Au moins elle n’a pas à lui mentir. « Quand tu le dis, ça a l’air presque facile. J’aimerais tellement que ça le soit. » J’ouvre la bouche pour lui répondre, je suis sur le point de lui dire pour la millième fois que c’était pourtant très simple et qu’il lui suffit de démissionner. Mais je me rétracte et je ne dis rien. Parce que c’est pas comme si je ne lui avais jamais dit et je me souviens de notre dernière conversation à ce propos. Elle m’avait dit que démissionner dans ce genre de milieu ce n’était pas si simple. Je ne sais pas ce qu’elle voulait dire par là mais en tout cas c’est assez inquiétant. Elle est donc prise au piège dans ce travail de merde et ne pourra jamais en sortir ? C’est à ça que va ressembler son futur ? Avocate le jour et strip-teaseuse la nuit ? Je ne supporte pas cette image de ma sœur. Elle mérite mieux. Tellement mieux et je ne suis même pas sûr qu’elle s’en rende compte. « Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas aussi simple que ça. » Je lâche un léger soupir. Pourquoi les choses sont de toute manière toujours compliquée comme ça ? Pourquoi est-ce que chez les Anderson on semble être incapable de faire les choses simplement ? « Je sais, je sais…» Je lui réponds, presque d’un air désespéré. Primrose ne doit pas mener une vie facile mais je pars du principe que c’est de sa faute et qu’elle l’a cherché en mettant un pied dans ce club de strip-tease dès le début. Elle devait savoir que ça compliquerait sa vie mais pourtant elle a décidé de l’ignorer. Ce que j’ai toujours beaucoup de mal à croire. « Bon, je vais peut-être finir de ranger toutes ces valises, non ? » Depuis tout à l’heure on parle encore et encore et elle ne s’est même pas encore réellement installée. J’acquiesce d’un signe de tête avant de me lever. « Ouais vas-y, je vais nous faire à manger pour ce soir. » Je ne sais même pas encore exactement ce que je vais pouvoir nous préparer mais c’est ça aussi la beauté de la cuisine, improviser et imaginer de toutes nouvelles recettes avec ce qu’on a dans nos placards. « Je suis vraiment content que tu sois là, Prim. » Je lui dis en lui souriant doucement. Et c’est sincère, j’espère qu’on ne pourra tirer de cette collocation que des choses positives et que ça puisse potentiellement raviver de bons souvenirs. Quand on était enfants tous les deux et que tout était tellement plus simple, aucun nuage à l’horizon. Le bon vieux temps. Mais en attendant ma sœur est partie vider ses valises dans sa chambre et moi j’ai déjà commencé à m’activer en cuisine. Aujourd’hui j’ai décidé qu’on allait oublier tous nos problèmes et simplement profiter de ce moment tous les deux.