La fraîcheur des brins d'herbe frôlait la peau des bras dénudés de l'infirmière, qui s'accordait quelques secondes de répit à regarder un ciel partiellement nuageux. Elle jetait de temps en temps des coups d'oeil sur ses progénitures, qui jouaient au ballon ensemble à quelques mètres d'elles. Les Lindley adoraient passer leur temps libre à l'extérieur. Ils avaient hâte de voir les températures chaudes revenir afin d'aller se baigner dans l'océan, à dompter les vagues et à démarrer une nouvelle collection de coquillages. Malgré ces instants de sérénité, l'infirmière était incapable de se vider totalement l'esprit. Toujours quelques tracas, une attention à porter sur quelque chose, ou quelqu'un. Toujours quelque chose à faire. L'infirmière n'avait pas véritablement le temps de se faire un travail sur soi, même si Anwar et Caelan persévéraient à lui offrir autant de temps libre que possible. Mais jusqu'ici, la belle brune fut incapable de faire le vide et de s'octroyer un véritable me time. Elle scrutait régulièrement l'écran de son téléphone portable pour savoir s'il y avait la moindre nouvelle du policier blessé dont elle s'occupait depuis plusieurs semaines déjà. Placé dans un coma artificiel dans le but de lui épargner d'horribles douleurs, plusieurs tentatives de réveils avaient été faites, mais se résultaient toujours par un visage grimaçant de douleurs et des gémissements à fendre le coeur de n'importe qui. Le ballon envoyé vers elle par son fils la sortit de ses sombres pensées. Bien sûr qu'il voulait qu'elle joue avec. Norah échangea un sourire malicieux avec lui avant de se lever et de le prendre dans ses bras, à lui faire basculer la tête à l'envers en toute prudence, ce qui le faisait éclater de rire. Aidan adorait les acrobaties. Il en faisait beaucoup lui-même lorsqu'il ne tombait pas à cause de sa maladresse quasi légendaire. Julie, sa fille, se mêlait au jeu pendant quelques minutes, avant de demander à jouer à nouveau au ballon, mais à trois cette fois-ci. La famille formait donc un triangle et chacun se lançait la balle de la manière dont ils voulaient. Il n'y avait pas de véritables règles. Aidan préférait la lancer aussi que possible (aussi haut qu'un garçon de quatre ans le pouvait), Julie préférait se concentrer sur la justesse de ses tirs et Norah se contentait de leur renvoyer la balle dans le but qu'ils n'aient pas trop de difficultés à la rattraper. Julie, n'ayant pas vraiment calculé la puissance de son tir, avait envoyé le ballon bien trop loin et bien trop haut pour qque son petit frère ait une chance de le rattraper. L'objet atterit bien plus loin sur l'herbe, et continuait de rouler sur plusieurs mètres avant d'être stoppé net par un pied chaussé. Sans se poser de questions, excité par l'enthousiasme du jeu, Aidan se précipitait vers son jeu en riant. La naïveté de son jeune âge ne lui permettait pas de faire attention, de lever les yeux pour voir qui avait eu la gentillesse de stopper sa balle avant qu'elle n'aille beaucoup trop loin. Peu sereine qu'il soit aussi loin d'elle et proche d'un inconnu, Norah fronçait les sourcils. "Aidan." l'appela-t-elle tout en se rapprochant d'un pas hâtif. Jusqu'à ce que l'infirmière réalise que l'inconnu ne l'était pas tant que ça. A dire vrai, jamais n'aurait-elle songé le revoir un jour. Mitchell, c'était bien ça ? Elle ne cachait pas sa surprise. Leur première discussion s'était plutôt mal terminé, le brun ayant mis les pieds dans le plat, sans que Norah ne sache que c'était purement intentionnel. "Merci beaucoup, Monsieur." avait répondu Aidan, qui avait alors longuement interrompu l'échange de regards qu'il y avait eu entre les deux adultes. Norah ne s'attendait certainement pas à le voir traîner dans un parc, encore moins pour rattraper le ballon d'un petit garçon de quatre ans. Celui-ci se rapprochait de la main de sa mère qu'elle lui tendait, pour y loger délicatement la sienne. "Bonjour." finit-elle par dire, toujours déroutée de recroiser son chemin. Elle avait supposé que ce ne serait qu'une seule rencontre, de celles qui paraissent insignifiantes. Un moment relativement plaisant, mais qui, aux yeux de Norah, n'allait certainement pas changer le cours de son existence. Et pourtant, le revoilà. "Vous avez sauvé la journée de mon fils. ll y tient beaucoup, à ce ballon." dit-elle avec un sourire amusé, tout en caressant la tignasse rousse de son bambin. Aidan, lui, regardait d'un air impressionné ce grand monsieur baraqué qui se tenait devant eux. Julie était restée à distance, non sans observer ce qu'il se passait de là où elle était. Disons que la fillette était suffisamment réfléchie pour savoir qu'il fallait toujours rester assez proche des affaires qu'ils avaient laissé dans l'herbe un peu plus loin. "Vous cherchez à investir dans l'immobilier dans le coin ?" lui demanda-t-elle alors afin d'un peu mieux amorcer une discussion qu'elle supposait être brève. "Si c'est le cas, ne rachetez juste pas le parc, les enfants adorent vraiment y aller." ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Bien qu'elle ne doutait pas qu'il en ait les moyens avec patrimoine immobilier.
Les affaires fleurissaient ces derniers temps, les billets prenaient place dans les coffres du club sans grand mal et pourtant j’avais toujours à travers la gorge la perte d’argent qui avait eu lieu durant mon séjour à l’ombre. J’avais déjà beaucoup perdu lorsque ces satané de flics m’étaient tombé dessus et le braquage qui en avait suivi avait affaibli le peu de ressources qui restait au club pour survivre. En cas de gros coup dur je pouvais toujours compter sur mon business personnel via l’immobilier, qui me permettait d’ailleurs de blanchir beaucoup d’argent sans que personne ne se doute de quoi que ce soit. Le seul inconvénient c’était que je n’avais pas liberté de sortir l’argent comme bon me semble, du moins sans faire les choses de façon légale par peur d’attirer le regard du fisc et je devais avouer que les avoir dans les pattes ne m’enchantais guère. Enfin bref. J’avais conscience que je n’allais pas récupérer l’argent volé, mais j’avais cette envie d’obtenir justice, à ma façon. La justice de ce pays ne punissait pas assez sévèrement les malfrats, la preuve j’étais dehors après un an de prison. Mon accord conclu avec l’inspecteur Zehri était sûrement l’événement qui m’avait le plus marqué ces derniers temps, qui l’aurait cru ? M’allié à des flics ripoux était chose courante, mais cet homme n’était pas du genre à se laisser acheter, oh non, son but précis était de mettre la main sur l’assassin de son collègue et c’est ce qui le motivais à travailler avec un homme comme moi. Il était de ce en qui je ne pouvais pas avoir confiance, bien que jusque-là il ne m’avait montré aucun signe de trahison, j’avais pris les devant en me procurant une petite garantie qui le ferait faillir s’il commençait à jouer le malin, en la présence de Norah, cette jeune femme ayant perdu son époux dans ce cambriolage. La cible parfaite pour faire chanter l’inspecteur si nécessaire uniquement, je n’avais pas spécialement envie de faire du mal à cette femme ou à ses enfants. D’ailleurs cela faisait déjà quelques jours que je ne m’étais pas manifesté dans sa vie et il était temps de passer à l’étape supérieur, je devais gagner sa confiance, c’était très important pour la suite et pour cela il n’y avait rien de plus intéressant que de jouer sur le terrain des enfants. Après des renseignements obtenus sur la position de la jeune femme, je n’avais pas tardé à enfourcher ma moto pour rejoindre au plus vite le parc dans lequel elle se trouvait avec sa fille et son fils.
J’abandonnais ma bécane aux abords du par cet avançant à pied à travers celui-ci, cherchant du regard la cible que je ne tardai pas à trouver. Gardant une certaine distance pour ne pas me faire repérer de suite, j’appréciait cette image de petite famille jouant ensemble au ballon, ça me donnait presque envie de faire demi-tour et de les laisser tranquille. Je sortais mon paquet de cigarette afin de m’en allumer une avant de me rappeler que je ne pouvais pas fumer ici, les panneaux étant bien présent pour me le rappeler. Fort heureusement, la situation devenu plus intéressante lorsque le fameux ballon fut perdu par le jeune garçon, roulant comme par hasard jusqu’à mes pieds, à croire que c’était fait exprès. Je le stoppais net avec mon pied tout en observant le petit courir vers moi pour venir le récupérer. Je m’accroupissais pour me retrouver à sa hauteur alors que mon regard se tourna vers Norah qui n’avait pas tardé à venir à notre rencontre, sûrement pour s’assurer que tout allait bien pour son fils. « Je t’en prie ! » Que je disais avec le sourire tout en lui tendant le ballon, revenant ensuite en position debout pour accueillir la jeune femme avec le sourire. « Norah ! Quelle surprise ! » Dis-je de façon très amicale. « Je suis ravi d’avoir fait une bonne action, surtout pour un petit garçon, pas si petit que ça. » Je faisais mon plus beau sourire au petit rouquin. « Aidan c’est ça ? » Demandais-je, connaissant parfaitement la réponse. « Quand j’étais plus jeune j’avais un ballon comme le sien et je pouvais passer des heures à y jouer avec mon frère, ça crée de très beau souvenir. » Que j’ajoutais toujours sur le même ton. « Je sors d’une visite et je me suis dit qu’en passant par le parc ça sera plus rapide pour rejoindre ma moto. » Je n’avais pas besoin de lui retourner la question, je n’étais pas aveugle pour savoir qu’elle passait du bon temps avec ses enfants. « Vous avez de la chance, je ne m’intéresse pas aux parc, ce sont des lieux beaucoup trop précieux pour les enfants et je n’ai aucune envie d’être celui qui les privent d’un lieu où jouer.» répondais-je avec un sourire à sa plaisanterie. « J’aimerai m’excuser pour la dernière fois, je ne voulais pas mettre les pieds dans le plat. » Ajoutais-je afin d’éloigner au maximum tout élément pouvant rendre la conversation gênante.
Il y avait toujours des périodes était un peu plus sur le qui-vive que d'autres. Une enquête qui le rendait nerveux parce qu'elle s'éternisait, parce que certaines preuves le contrariaient, parce que la situation était tendue... Les raisons étaient multiples, mais il n'entrait jamais dans les détails quand il rentrait à la maison. Une fois devant la porte de sa maison, il préférait laisser tout ça derrière lui, du moins, dans l'apparence. Parfois son esprit continuait de tourner à vive allure, à revisualiser sa journée afin de trouver un détail qu'il aurait potentiellement manqué. Mais il préférait amplement serrer ses enfants dans ses bras et se lover ensuite contre son épouse pendant de longues secondes et de sentir ainsi tous ses tracas virer aux oubliettes jusqu'à ce qu'il remette son badge le lendemain. Au moment où Norah croisait le regard de Mitchell, elle avait totalement oublié que, quelques années plus tôt, son feu mari lui avait quasiment ordonné de ne pas s'approcher du quartier dans lequel se trouvait le restaurant que dirigeait Strange. Cela remontait à plusieurs années et si elle en avait fait le rapprochement, peut-être qu'elle aurait contacté Anwar sans tarder. Seulement, elle ne s'en souvenait pas. En revanche, elle se souvenait parfaitement de l'indélicatesse du brun lorsqu'il avait mis les pieds dans le plat en parlant de Frank. Attitude qui avait coupé court à une conversation relativement agréable. "Une surprise, effectivement." répondit-elle avec un vague sourire, peu certaine de savoir si ladite surprise était agréable ou non. Norah tentait de le scanner d'un coup d'oeil, mais impossible pour elle de véritablement le cerner. Une partie d'elle l'appréciait, mais une infime partie de sa personne avait juste un léger soupçon. Rien d'extravagant, rien qui ne lui donnait raison d'être constamment sur la défensive. Cela ne l'empêchait pourtant pas de croiser les bras pendant quelques secondes. Le barbu se concentrait sur le deuxième enfant de Norah, dont il connaissait déjà le prénom. "C'est bien ça, oui." dit-elle en acquiesçant d'un signe de tête, avec un sourire. Ses enfants, c'était sa fierté, sa raison de vivre. Une source de bonheur intarissable malgré les journées complètes et même très denses. Quelque peu intimidé quand Mitchell lui adressait la parole, Aidan reculait de quelques pas jusqu'à ce qu'il se retrouve collé contre les jambes de sa mère. Celle-ci profitait de cette proximité pour glisser ses doigts dans ses cheveux roux. Il avait eu le droit à une petite coupe de cheveux il y avait quelques jours chez le coiffeur, il était adorable comme tout. Pas facile de dompter une telle tignasse – la même que Frank, qui lui, avait toujours préféré garder ses cheveux plutôt courts. Impressionné, le garçon n'osait pas sortir un mot devant lui. "Il a toujours préféré les activités extérieures." Aidan avait un besoin quotidien de se défouler, de courir partout, de tomber, de s'imaginer dans un univers spatial ou de pirates (ou un étrange mélange des deux) dans lequel il vivait d'incroyables aventures. Et à choisir, Norah préférait largement soigner ses bobos que de le voir coller à un écran à longueur de journée. Elle se doutait bien qu'elle allait devoir être confrontée à cette problématique bien assez tôt et que les voix allaient s'élever car chacun avait son petit caractère. "Mais peut-être qu'un jour, vous serez intéressé par ces grands espaces verts pour y bâtir un restaurant avec une terrasse immense." exagéra-t-elle, avec un sourire en coin. "Mais je pense qu'Aidan vous bouderait sévèrement si vous vous lanciez dans de tels projets. Il est sûrement content de savoir que vous n'y toucherez pas." Gardant précieusement sa balle entre ses bras, le garçon de quatre ans ne tenait soudainement plus en place (rien de bien surprenant), et invita sa soeur à le rejoindre pour reprendre leur jeu. Ils aimaient inventer leur propre règle et Julie prenait toujours un plaisir à les respecter à la lettre. Elle était très protectrice envers Aidan, c'était certain. Ensuite, Mitchell tenait à présenter ses excuses par rapport à paroles durant leur dernière rencontre. "Ce n'est rien." concéda-t-elle après avoir jeté un oeil sur ses deux enfants afin de retrouver le regard du criminel. "Ca reste un sujet particulièrement sensible pour moi." Il n'y avait pas un jour où Frank ne lui manquait pas. Sa présence, son sourire, la douceur de sa voix. "Vous ne pouviez pas savoir, après tout." A aucun moment Norah avait précisé qu'elle était veuve, que Frank était mort dans de terribles circonstances et que le coupable n'avait toujours pas été mis derrière les verrous. Elle se doutait bien qu'Anwar avait toujours son décès sur la conscience, qu'il pensait être désormais la personne à devoir protéger la famille que son ancien coéquipier laissait derrière lui. Tout comme le frère aîné de Norah, qui ne demandait que justice et désirait plus que tout mettre la main sur le salopard qui avait osé s'en prendre à son beau-frère. "Et ce n'est pas une histoire très joyeuse à raconter, ça plomberait assez rapidement l'ambiance." Norah n'aimait pas spécialement en parler. Elle ne voulait pas la pitié des autres, ni être harassée de questions venant d'une curiosité malsaine et morbide pour en connaître les détails plus glauques. Elle appréciait en revanche l'empathie et la patience de la plupart de ses proches et de ses collègues. "Il y a des fois où... J'adorerais passer le permis moto." L'idée lui était venue en tête plusieurs fois. Même quand Frank était vivant, ils envisageaient parfois de passer le permis et de faire un roadtrip quelque part. Mais ce genre de bolides était coûteux, et le papier pour être en droit de le rouler tout autant. Sauf que Norah était loin de rouler sur l'or et cette envie, elle l'avait mis dans un coin de sa tête, comme dans le tiroir d'une commode qui prenait désormais largement la poussière. "Vous faites partie de ces motards imprudents et inconscients qu'on finit par retrouver aux urgences ?" lui demanda-t-elle avec un sourire moqueur. "Juste pour savoir si je dois m'attendre à vous voir débarquer là-bas dans les prochains temps."
Le terrain sur lequel j’avais mis un pied était glissant, d’un moment à l’autre je pouvais être démasqué et mettre en péril mon plan pour m’assurer d’avoir une garantie face à l’inspecteur Zehri. Je n’espérai pas aller au bout de ce plan, la jeune femme ne méritait pas ça et ses enfants non plus, mais je devais protéger mes arrières ne pouvant pas faire confiance aveuglement à l’homme qui s’était finalement tourné vers moi pour retrouver l’homme ou les hommes qui avaient commis le braquage de l’épicerie. Je restai fort vigilant au fait que l’inspecteur pouvait me surprendre en compagnie de Norah et l’avertir de mon rang. Il romprait par la même occasion tout accord tenant entre nous et ferait sûrement son nécessaire pour me mettre à la place qu’il m’aurait réservé depuis belle lurette en prison. Tout se passait pour le moment pour le mieux et j’avais de la chance de ne pas être connu par la jeune femme. Son époux aurait bien pu lui faire part du restaurant et de ses gérants trempant dans de louches affaires et pourtant elle semblait tout ignorer. Un bon point pour moi. La situation me laissant penser que j’aurai eu le talent au cinéma, feintant le fait que ma rencontre avec la jeune femme dans ce parc était un hasard de façon très crédible était une prouesse digne d’un acteur venant d’Hollywood et je ne comptais pas m’arrêter là. Je m’intéressais aux enfant de mon interlocutrice, voulant paraître très amicale et avenant envers le jeune garçon, je l’observais retourner à ses occupations avant de retrouver le regard de Norah qui plaisantait sur le fait que je pourrais transformer un parc comme celui-ci en tout autre chose. Ce n’était pas mon but. Je n’étais pas baron de l’immobilier et mon objectif n’était pas d’être à la tête de tout Brisbane, loin de là. « Un restaurant avec une grande terrasse serait très tentant, mais j’irai plutôt le bâtir là-haut. » Répondais-je en pointant du doigt un building. « De nos jours il faut laisser la nature là ou elle est. » j’y avais pensé des fois à voir plus grand pour le restaurant, un projet qui ne déplairait pas à Alec, mais pour le moment Le club prenait beaucoup trop de place dans nos vies et j’y consacrais déjà toute ma vie.
J’avais à présent la confirmation que le sujet de son défunt mari était tabou, que c’était un sujet qu’elle ne voulait pas exploiter lors de conversations et encore moins avec un homme tout juste rencontré. Je savais que je pouvais m’en servir de cette information si ça devait devenir nécessaire, mais en attendant je la gardais dans un coin de ma tête, n’en rajoutant pas plus sur le sujet, mon but n’étant pas de me la mettre à dos, mais tout le contraire. « Je comprend. » Que je disais simplement avant de passer très vite à autre chose tout en observant ses deux enfants avec un sourire. « Ils sont plein d’énergie à cet âge là ! » Que je constatais.
La moto avait été comme une religion pour moi il fut un temps. J’avais considéré ma bécane comme un bijou précieux et la bichonnait chaque jour. C’était avant tout une passion, un plaisir de déambuler dans les rues avec le vent à contre sens. J’étais même parti pour en faire mon avenir, faisant des compétitions pouvant me rendre célèbre dans ce domaine. J’étais promu à un bel avenir, jusqu’au jour ou je perdis le contrôle. Je frôlais la blessure très grave et était privé de compétition. Je devais mettre une croix sur ce rêve qui grandissait en moi de jour en jour et devait me tourner vers autre chose, sans vraiment savoir à cette époque ce que ça allait être, ne me doutant pas une seule seconde que je serai à la tête d’un gang des années plus tard. Je n’avais pas abandonné cette passion pour autant, mais je contentais de me servir du véhicule à deux roue uniquement pour mon usage privé. Je ne faisais plus de course et je ne risquais plus ma vie, j’étais même devenu très prudent. « Vous devriez ! La sensation que ça procure est exceptionnelle ! » Dis-je en guise de réponse avec le sourire, un brin nostalgique à mes belles années. « Plus aujourd’hui. » Commençais-je en levant la tête vers le ciel avant de très vite reprendre. « Je faisais de la compétition étant plus jeune, J’ai eu un accident, j’aurai pu y rester et depuis j’utilise ma moto uniquement pour de court déplacement et toujours avec prudence ! » confiais-je en la regardant droit dans les yeux. « Sur le moment je m’étais juré de ne plus jamais remonter sur une bécane, mais je n’ai jamais été du genre à renoncer comme ça à une passion. » Je n’étais pas du genre à renoncer tout court à vrai dire. Lorsque j’avais une idée en tête il était difficile de me faire changer de cap. « Je pourrai vous emmener faire un tour à l’occasion si vous le souhaitez. » Que je lui proposais sans perdre le sourire, bien qu’elle refusera sûrement ma proposition puisque j’étais toujours un inconnu et que quiconque de raisonnable n’irait pas faire un tour en moto avec un homme tout juste rencontré. Pourtant, au fond, j’espérai qu’elle accepte, parce que malgré mon objectif à vouloir me la mettre dans la poche, il y avait quelque chose chez elle que j’appréciais.
Si Frank et Norah n'aimaient pas vraiment ramener le sujet du boulot à la maison, il y avait ces fois où le père de famille se devait de faire part de quelques informations pour garantir la sécurité de sa famille. Il restait très évasif et ne rentrait jamais dans les détails. Mais il ne parvenait pas à avoir la conscience tranquille durant son exercice s'il savait que la nuit où il était sur une mission, sa famille était en promenade dans le quartier voisin. D'habitude, Norah ne s'y opposait pas. Il y avait ce quelques fois où ça l'exaspérait, où elle lui disait qu'il devenait un peu paranoïaque à force de voir des horreurs au quotidien et il trouvait souvent un moyen de lui faire entendre raison. En temps normal, il n'aurait même pas le droit de lui dire d'éviter tel endroit, tel à quartier, à telle période de l'année. Mais il la savait intrépide, à aimer courir là où bon lui semblait et il craignait véritablement qu'elle ne soit mise en danger parce qu'il ne l'aurait pas prévenu. S'il lui était arrivé quoi que ce soit dans ces circonstances, il s'en serait voulu pour le reste de ses jours. Et voilà que la belle brune venait à rencontrer pour une deuxième fois dans sa vie d'un des plus grands patrons de la pègre et de la drogue. Frank devait se retourner dans sa tombe, à vouloir revenir d'entre les morts pour que Mitchell ne touche pas à un seul de ses cheveux. Seulement, Norah ignorait tout de ce côté sombre et extrêmement bien caché de Strange et rien ne lui permettait de deviner qui il était normalement. Pour le moment, il se faisait passer pour quelqu'un qui avait beaucoup d'ambition et qui n'avait vraisemblablement pas peur de faire les choses en grand. "Donc il faut s'attendre à en voir ouvrir un d'ici quelques mois ?" dit-elle en indiquant le haut de l'immeuble qu'il venait tout juste de lui montrer. Elle laissait échapper un rire discret. "Pour le peu que je vous connais, ça ne me surprendrait étrangement pas de vous." Du moins, si ce restaurant voyait le jour sur le toit de ce building et qu'elle apprenait que ça venait de lui, elle ne serait pas surprise. "Mais je ne vous pensais pas écolo." Là, par contre, il l'avait étonné. "Mais je ne peux qu'être d'accord avec vous. Je sais que Brisbane est une ville beaucoup plus verte comparé à d'autres, mais je suppose que c'est bien le cadet des soucis des barons de l'immobilier du coin." Pourtant l'ensemble de la population venait à se mobiliser de plus en plus pour la planète. Un autre débat dont Norah n'avait pas foncièrement envie de se lancer. Elle contribuait d'autant qu'elle le pouvait au recyclage et à l'économie d'énergie. Ayant enfin bien compris que parler de Frank était quelque chose à éviter et il ne s'épanchait donc pas davantage. Alors il se concentrait sur autre chose, de bien plus réjouissant et il ne s'agissait rien d'autre que l'énergie qu'avaient Julie et Aidan. "En effet. C'est difficile de les épuiser en bonne et due forme." plaisantait-elle en posant un regard bienveillant sur ses deux enfants. Ce n'était pas son objectif, de les épuiser pour espérer passer une bonne nuit ensuite. Comme tout enfant, ils avaient besoin de se dépenser, de transmettre leur joie de vivre en jouant, en courant partout, en riant fort pendant qu'ils se chamaillaient. Leur mère, quant à elle, parvenait enfin à retrouver l'énergie qui l'avait animée jusqu'à la perte de son mari. Elle avait certaines envies qu'elle avait laissé de côté depuis bien longtemps, ne trouvant ni le courage, ni l'intérêt, ni la motivation de se replonger dedans. Passer le permis moto en faisait partie. Norah n'y avait plus songé une seule fois depuis plusieurs années, mais de pouvoir en discuter avec Mitchell éveillait sensiblement (mais pas trop), cette envie là. Ce que Norah aurait considéré comme un hobby était en fait une véritable passion pour le brun et n'hésitait pas à se confier à ce sujet. "Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?" lui demanda-t-elle, par rapport à son accident. "C'est pas toujours facile de reprendre une passion qui a failli vous coûter la vie. Je suppose que ça doit être comme le vélo : plus vite on reprend, mieux c'est." Pas de syndrome post-traumatique en vue, bien que Mitchell semblait malgré limiter l'utilisation de sa bécane. Norah arquait un sourcil quand il lui proposait de l'emmener faire un tour. "Vous venez vraiment de proposer à une nana que vous avez juste vu deux fois faire un tour en moto avec vous ?" lui demanda-t-elle avec un large sourire, particulièrement surprise de son audace. "Continuez comme ça et je vais finir par me dire que vous cherchez à me draguer." Norah n'était pas dans un état mental idéal pour se convaincre qu'elle était toujours désirable. Ce n'était pas une question de confiance en soi. C'est juste que ce n'était pas dans ses cordes et qu'elle ne se voyait pas le devenir. Trop tôt, peu approprié, pas dans le mood pour. Norah avait une liste d'excuses particulièrement longue que personne ne forçait à énoncer. Ils savaient que c'était encore dur pour elle, qu'elle était toujours éperdument amoureuse de Frank bien qu'il n'était plus de ce monde depuis presque trois ans. "On m'a toujours dit de ne pas monter dans le véhicule d'un inconnu s'il me le proposait." le taquinait-elle avec un clin d'oeil. Remarque, cette règle était toujours d'actualité et la rappelait régulièrement à ses deux enfants. Tant que ce n'était effectivement pas pour de la drague, elle était pour. Sinon, elle lui ferait comprendre que ce n'est vraiment pas une bonne idée. Mieux vaut prévenir que guérir. "Mais de discuter moto avec vous m'a fait rappeler que j'avais pour projet de me lancer là-dedans. J'espère le pouvoir. Un jour." Seulement, désormais, son frein principal était les finances. Passer le permis moto était un luxe particulièrement onéreux, s'acheter une moto encore plus. Norah mettait depuis longtemps ses propres désirs au placard pour ne mettre en avant que ceux de ses enfants. Elle aurait été incapable de combler tout le monde de toute manière. "Peut-être que si vous me posez la question un peu plus tard, peut-être que je ne dirai pas non." dit-elle afin de répondre tout de même à sa proposition qu'elle avait laissé en suspend jusque là. Ne serait-ce que pour le plaisir des sensations que d'être sur une moto. Elle savait qu'elle allait savourer ce moment et se doutait qu'elle aurait un pincement au coeur de savoir qu'elle ne pouvait pas vraiment se le permettre. Norah continuait d'avoir ses enfants dans son champ de vision. "C'est quoi votre but ?" lui demandait-elle finalement, l'air de rien. La question voulait tout et rien dire et Mitchell aurait pu avoir quelques sueurs en pensant qu'elle avait cerné son petit ménage. "Avec votre patrimoine immobilier. Apparemment ça vous plaît d'investir ou de repérer des opportunités. En dehors de l'argent, ça vous rapporte quoi ?" précisa-t-elle en lui lançant un regard curieux. Norah s'était toujours demandée quelles étaient les motivations de ces personnes-là, qui voyaient et rêvaient de plus en plus grand. Encore plus curieux, selon elle, qu'il s'intéresse de près à une famille comme la sienne, qui n'avait rien de particulier si ce n'était le manque cruel d'un père et d'un mari qui ne reviendraient plus jamais.