Elle était déjà à la ferme Lily. Elle donnait vie à cette maison macabre et sordide par son sourire et sa bonne humeur afin de changer les idées à sa mère pendant que Cyril râlait de ne pas trouver sa canne à pêche. La jeune femme l’aidait à la trouver et une fois fait, elle retournait auprès de sa mère pour lui prendre la main. « On va devoir y aller maman. C’est l’heure. » Elle n’avait aucun espoir en la venue de Joseph, tant pis. Elle avait fait son devoir de sœur et même si l’envie de le voir était plus qu’important pour elle, le stress n’était pas l’émotion à ramener lors d’une séance de chimiothérapie. Elle aurait pu le prévenir bien plus tôt que ça, Lily. Ca faisait au moins deux voire trois mois qu’ils étaient au courant de sa pathologie et que la fille parfaite emmenait sa mère à chacun de ses rendez-vous, nombreux étaient-ils quand Cyril ne daignait pas lever un petit doigt pour l’aider ne serait-ce qu’à transporter les courses dans ses plus grands moments de fatigue. Et malgré tout, Lily continuait à parler au père, à lui sourire et à jouer les modèles quand à l’Eglise, le pater était invité à prendre la parole. Lily se lève pour rejoindre son manteau et celui de sa mère, direction son pick-up où elle aide sa mère à s’installer et elle démarre enfin. Les conversations se font rares, ne tournent pas autour du frère disparu, elle augmente le volume de la musique pour briser le silence et chaque bonne intention allait trop loin malgré tout. Elle avait demandé à sa supérieure des jours de congés pour soutenir Marie et elle avait accepté sans problème. La famille catholique Keegan, bien trop connu pour être décrié.
Elle tenait le bras de sa mère qui avait du mal à marcher, Lily et elle souriait à toutes les infirmières, aides-soignants, médecins qu’elle avait fini par connaître à force de venir en ces lieux. Elle installait sa mère et son oncologue approchait pour lui faire part d’une mauvaise nouvelle. « Ce sera le traitement de la dernière chance, madame Keegan.. Je suis désolée, le cancer grandit bien trop vite. » Des mots faciles à comprendre et Lily se fige. Et si elle devait se retrouver seule avec son père ? La mère était cette petite lumière quand elle était trop terrifiée des regards paternels et il était déjà quatorze heures, Joseph n’était pas là. Tant pis. Elle ne le rappellerait pas à l’ordre, c’était inutile. La main de Marie dans celle de Lily, la séance commençait enfin et la conversation tournait autour du tournoi de carte que l’association catholique de belote allait organiser. Des banalités inutiles. Puis soudainement, sans attendre, un bruit infernal qui déboulait dans la salle de chimio et un Joseph qui détonait avec le cadre très calme. Lily se fendit d’un sourire immense mais aucun signe pour leur mère. Un peu de peine malgré tout, elle était au milieu des deux membres de la même famille qui ne se parlaient plus. « Salut Jo. Commence au moins par la politesse. » Et elle leva les yeux au ciel en plongeant sa main dans sa poche pour en sortir son portefeuille où l’échographie de son fils perdu s’y trouvait en ouvrant l’accessoire. Elle cachait rapidement le cliché en le retournant et ouvrait le compartiment à pièce pour lui en offrir. « Ca sera un café noir pour moi. Sans sucre. » Il lui pompait du fric, elle pouvait bien réclamer quelque chose. Puis elle se tournait vers sa mère. « Tu veux quelque chose maman ? A boire, à manger ? » - « De l’eau, chérie s’il te plait. » Lily se tournait alors vers Joseph. « Et une bouteille d’eau. » Et elle reprenait la lecture de son bouquin.
C’était des tensions qui étaient inutiles à Marie, la mère Keegan. Elle n’avait pas l’occasion de retrouver ses enfants réunis, cela fait des années même et voilà qu’ils se retrouvaient enfin pour un moment triste et de peine. Lily, en attendant, continuait à lire son petit bouquin qu’elle lisait au moins une fois par semaine. En une heure, il était torché et c’était tellement enivrant qu’elle ne le lâchait jamais, comme un mantra explicatif de ce qu’elle souhaitait faire de son cerveau et ses désirs. Elle regardait sa mère du coin de l’œil qui ne cessait d’admirer, parce que c’était le bon mot, son fils perdu à tout jamais. Lily ne savait pas quoi penser de cette situation, ni ne savait comment appréhender son frère et elle n’avait pas envie de le faire fuir d’une manière ou d’une autre mais ce dernier revenait avec le café et la bouteille d’eau et Lily l’enleva rapidement de ses mains afin qu’il évite de se blesser plus qu’il ne l’était déjà. Intérieurement, songeait-elle. La respiration normale, il ne se gênait pas pour être impoli en balançant le fait qu’elle le buvait comme leur père. Enfin… son père, vu que Joseph avait l’air de croire qu’ils ne faisaient pas partie de la même famille. Mais que pouvait-elle dire, elle, la sœur qui avait tout vu sans lever le petit doigt ? Elle n’avait pas le droit, trop honteuse, alors elle subissait les attaques sans les contrer trop violemment. Elle méritait ce traitement, elle l’avait abandonné et il avait pris la décision de partir. Elle était seule fautive de tout ça. Elle se tournait vers lui, parlait bas, ne voulait pas contrarier sa mère. « Oui, c’est la seule chose. » C’était faux. Elle avait récupéré son mauvais caractère, ses manies à vouloir un endroit de vie impeccable aussi et ce café noir. Exactement comme Joseph le décrivait. Comme Cyril. Mais elle ne voulait pas de tension. Pour que ça se passe bien, pour que Marie ne soit pas envahie par de mauvaises ondes. Le placebo avait une part importante dans la guérison d’un patient. Elle se redressait légèrement pour venir ralentir l’arrivée de produit dans le corps de Marie car elle voyait sa mère fatiguer trop vite et elle se rasseyait en tentant de reprendre sa lecture. Elle ne lisait plus les mots, elle les survolait en tentant de garder son calme. Ca allait durer au moins quatre heures, heureusement qu’elle avait récupéré d’autres bouquins. Et en parlant de livre, Joseph l’interrogeait sur sa lecture. « Le livre du voyage de Bernard Werber. Tu connais ? » Son livre de chevet. Et quand elle fermait les yeux, elle partait dans un hangar à avion, sur une plaine verte et fraîche où la journée, il ne faisait pas plus de vingt-cinq degrés. Il était là, son paradis mental. Mais seuls les lecteurs avertis de ce bouquin pouvaient comprendre cette référence ce petit monde dans l’esprit. Puis finalement, maman Keegan prit la parole pour justifier de leur ressemblance, avec le regard pétillant de tendresse. Elle avait une femme soumise, Marie. Comme Lily avec Joshua. Alors au final, elle comprenait la position dans laquelle elle avait été. Sauf que personne n’était au courant et ce n’était pas ni l’endroit ni le lieu pour en parler. Lily serrait les doigts de sa mère avec amour et gentillesse, sans trop lui faire mal puis elle se tournait vers son grand frère qui semblait d’humeur à faire du sarcasme. Sauf que Lily ne voulait pas l’être, sarcastique. « Désolée d’être ta sœur hein. » Et tristement, elle s’en voulait. Elle culpabilisait comme jamais. Il aurait aimé ne jamais avoir fais partie de cette famille, ça la comprenait elle aussi, non ? Elle soupirait légèrement en fermant son bouquin. « Ca va durer au moins quatre heures, Joseph. Tu comptes être sarcastique pendant tout ce temps ? »
Lily aurait souhaité une vie différente. Elle jalousait son frère depuis tant d’années pour avoir si contrer le système que ça la rongeait mais elle ne pouvait rien dire. Quel genre d’adulte était-elle si elle en était encore à envier les autres pour exister ? Mais c’était il y a plusieurs années qu’elle avait arrêté de vivre en même temps que Max. Et là elle avait décidé de fonctionner comme un robot parfaitement calibré pour que les portes du paradis s’ouvrent à elle, toujours aimable, toujours souriante, toujours invisible, ne jamais attirer l’attention au risque de croiser le chemin d’un démon. Mais le Diable n’était pas sous Terre dans les limbes, il s’était caché dans chaque mot d’amour que Joshua avait pu lui dire et elle l’avait affronté sans jamais réussir à le combattre. C’était peut-être un cadeau de Dieu de l’avoir mis sur la mauvaise route et provoquer l’accident de moto… mais était-ce Dieu qui l’avait envoyé à Lily ? Comme une leçon pour avoir laissé son frère souffrir et accuser des coups d’un Cyril violent et patriarcale au plus haut point ? Lily regardait sa mère et voyait les mêmes traits sur le visage qu’elle avait eu pendant des années. A être partie du domicile familial, elle avait laissé le loup avec la chèvre et Lily s’en voulait. Au final, à quoi cela avait servi ? A part offrir à Marie un cancer dont elle ne survivrait pas ? La jeune Keegan était au centre des conflits et si elle ne recevait pas les coups directement à cette époque-là, elle en était le principal témoin qui ne levait pas le petit doigt. Par peur. Par terreur même. Elle était pétrifiée à chaque fois. Elle s’était dis que les coups à l’école avaient été sa punition mais… l’arrivée de Joshua lui avait confirmé qu’il était là pour la soigner de ses pêchés. Joseph se foutait au final de sa lecture et elle marquait la page de son livre avec un marque-page tout droit venu et tamponné de l’Eglise où elle allait actuellement. Puis finalement, Joseph se braque et elle panique un peu intérieurement, elle ne veut pas de ça et elle tente de garder contenance. « Excuse-moi Joseph, je ne voulais pas être désa… » mais c’est Marie qui prend la parole et Lily sait qu’elle n’aurait pas du parler, la mère. Parce que Joseph ne la voit pas comme elle, elle la voit. C’était une situation délicate et douloureuse pour tout le monde. La réponse de Joseph fuse comme un missile en plein cœur. Si pour Lily, c’était signe de souffrance, pour une mère mourante ça devait être pire. Et elle avait failli l’être, Lily, mère. Son corps parle pour elle et… la claque tape sur le visage de Joseph. Elle ne peut pas. Pas à Marie. Pas à cette femme qui n’a pas eu d’autres choix que de croire qu’elle ne valait rien face à un mari violent. Comme elle. Et bon Dieu qu’elle comprenait sa mère désormais. Elle ne justifierait jamais les actes de Cyril mais excusait les comportements de Marie. Lily se redresse d’un coup. « Dégage Joseph, dégage putain ! On est dans un hôpital ici, pas dans un squat de junkie ! » Et elle reste debout, comme un rempart entre sa mère et son frère. Si elle passait les vacances de Noël, c’était un miracle mais avec Joseph qui l’insultait de cette manière, elle n’allait sûrement pas finir l’été. « Rentre chez toi, Joseph, je n’aurais jamais du te contacter. » C’était faux, bordel. Il lui manquait tous les jours mais là n’était ni l’endroit ni le lieu pour régler des comptes.