Je me sens perdue, déchirée.
Entre ma raison qui me supplie de refuser toute demande d’aide, de présenter le dossier avec les vrais résultats afin de protéger les carrières de mon équipe – et la mienne, quitte à anéantir celles de mes deux confrères et amis au passage.
Et entre mon cœur qui me demande de vérifier une dernière fois auprès de ces foutus commanditaires de la contre-expertise si je peux travailler avec les personnes de mon choix pour, éventuellement, songer à devenir complices.
J’aurais préféré ne jamais entendre parler de tout ça, mais je suis dans la confidence maintenant, et il me faut faire un choix.
Je décide, pour le moment, d’écouter mon cœur. Mon regain d’espoir manque pourtant de se faire écraser par les mots d’un homme qui n’en a plus depuis ce matin. Depuis qu’on lui a confirmé que son rapport ne serait pas le dernier. Depuis qu’il a compris qu’il s’est professionnellement détruit en publiant un tissu de mensonges.
« Ils sont plus gros que nous. Ils feront ce qu'ils voudront. Ils détruiront ce qu'ils voudront, et on aura pas d'autre choix que de regarder faire. »J’aimerais lui dire ce que je pense en cet instant précis.
Ce n’est pas encore terminé. Pourtant, je me retiens. Ce serait lui sous-entendre (
leur sous-entendre) que c’est mon cœur qui a pris le dessus sur ma raison, et ce n’est pas tout à fait vrai. Pas encore. Il a gagné une bataille, mais il lui reste à gagner la guerre. Car je ne sais pas si je suis réellement prête à les soutenir, quand bien même je le pourrais. Et puis, la décision reviendrait aussi à ceux qui travailleraient avec moi.
Je leur demande de m’attendre et m’éloigne un peu avant de coller le portable à mon oreille. La conversation est plus courte et plus facile que ce à quoi je m’attendais. Je raccroche en réalisant que mon hypothèse de tout à l’heure était sans doute complètement fausse. D’ordinaire maître de mes émotions et pleine de sang-froid, j’avais perdu toute logique à cause de cette situation inattendue, et m’étais laissée happer par la pire des théories : celle du complot. Une chose est sûre, je ne manque pas d’imagination.
Le bon côté, c’est que si je décide de les aider et que ça tourne au vinaigre, je pourrais certainement me reconvertir dans l’écriture de thrillers.Je reviens auprès d’eux, de leurs visages fermés. Caelan est toujours debout, les mains dans les poches, aux côtés de Jasper qui s’est assis sur le banc.
« Il se trouve que je me suis un peu enflammée. » Je commence, l’air un chouïa contrit.
« Je leur ai dit que je refusais d’ouvrir les dossiers qu’ils m’ont envoyé. Que je travaillerai avec mon équipe et personne d’autre. Que ce n’était pas négociable. » Je hausse les épaules.
« Très franchement, j’imaginais davantage de résistance. Mais ils ont tout de suite accepté. Ils ont dit qu’ils pensaient simplement me faciliter la tâche en présélectionnant des profils. Que le choix me revient, point. » A l’intérieur de moi, le combat fait toujours rage entre les deux concurrents. Je soupire et plonge mon regard tour à tour dans celui de Caelan puis de Jasper.
« Comme je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas seule dans cette histoire. Au labo, ils vont forcément se rendre compte de vos faux résultats. Je ne peux pas les leur cacher puisqu’ils sont officiels et que notre boulot est de les comparer aux nôtres… » Je laisse passer une courte seconde de silence.
« Je vais leur en parler. On va en discuter ensemble, comme une équipe se doit de le faire, et… Et je vous tiendrai au courant de ce qu’il en ressortira. » Je préfère néanmoins les mettre en garde.
« Je ne peux pas vous garantir qu’ils accepteront de vous aider compte tenu des éventuelles conséquences, mais… » J’hésite entre les deux chemins qui s’ouvrent à moi avant de m’élancer sur l’un d’eux, espérant ne pas trébucher en cours de route.
« Je vous promets que je ferai le maximum. Pour vous et… pour notre côte. » Voilà, c’est dit.
Finalement, ça ne fait plus aucun doute : c’est le cœur qui vient de remporter la victoire.
@Caelan Leckie &
@Jasper Wickham ---- SUJET TERMINE ----