When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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L’écran de son téléphone s’éteints sous ses doigts à peine a-t-il fini d’écrire, laissant un doute au flic quant au fait que le message envoyé à Anwar soit véritablement parti, mais plus habité par la flemme que par l’envie de découvrir si le destinataire allait – oui ou non – pouvoir lire le message, Lonnie avait fait retomber le portable dans sa poche avant de se diriger vers son bureau masqué par des dossiers et de nombreuses tasses de cafés à moitié vide qu’il cumulait devant l’ordinateur. Cette histoire d’incendie lui prenait tout son temps et son énergie, le laissant même avec des cauchemars horribles à base d’enfants brûlés qui le poursuivaient dans un couloir sans fin en hurlant à la mort. Empilant les tasses les unes dans les autres afin de libérer le plus d’espace possible Lonnie avait fait glisser les quelques photos prises lors de cette soirée macabre sur le bureau, évitant le plus possible la confrontation avec les petits corps calcinés que les pompiers avaient découvert dans les chambres et se concentrant sur l’élément inquiétant de cette affaire : les mômes n’avaient pas été réveillés ni par la fumée ni par les potentiels cris de la mère qui auraient dû les tirer du sommeil, du moins si la mère avait criée. Plissant les yeux pour essayer de distinguer quelques choses que les autres n’auraient pas vu, le café bien trop chaud lui brûlant la gorge à chaque gorgée, le flic avait tourné et retourné les photos entre ses mains sans rien trouver de plus qu’une sensation désagréable de malaise. Adams avait sans doute raison quand elle lui avait confié, plus sur le ton du secret que de la confession véritable, que quelque chose dans le comportement de la mère clochait. Reculant dans son siège Lonnie avait attrapé la copie de la déposition de la dite mère, prise quelques heures après son arrivée à l’hôpital pour soigner des brûlures minimes, afin de la relire pour la cent cinquantième fois en espérant y trouver un nouvel élément de réponse, en vain.
Il n’avait aucune raison de s’infliger ça, tout ce remue méninge concernant cette histoire n’allait que détruire un peu plus son sommeil déjà approximatif et le bleu ne pouvait pas se permettre de perdre les précieuses heures qu’il arrivait à gagner durant la nuit. Lassé il avait fini par abandonner le dossier sur un coin de la table avant d’avaler d’une traite le café devenue tiède, de toute façon il ne pourrait rien apprendre de plus sur l’affaire tant que Tad et le service de la morgue n’auraient pas fini d’inspecter les petits corps. Au cours du mois le commissariat avait été déserté, coupes budgétaires ou vacances improvisées pour les employés, il régnait une ambiance tranquille dans les différents bureaux que comptait l’établissement. Du moins assez tranquille pour que tout le monde remarque la soufflante que l’inspecteur Zehri avait reçue quelques jours plutôt dans l’espace tamisé du bureau du big boss qui n’avait pas retenu ses mots. Lonnie y avait assisté les bras ballants, incapable de trouver le courage nécessaire pour se rendre auprès de l’inspecteur sans passer pour une mouche à merde qui cherchait à tout connaître des petits secrets de son ami et collègue. Il n’avait jamais trouvé le bon moment pour faire irruption, mine de rien, dans le bureau d’Anwar afin de savoir ce qu’il c’était passé ce jour-là. Ça n’était pas ses ognons de toute façon, mais l’amitié qu’il portait à l’inspecteur le poussait de plus en plus à prendre son courage à deux mains pour venir frapper contre le bois de la porte, si il pouvait au moins apporter une oreille silencieuse mais attentive à Anwar le flic se devait d’essayer.
L’heure tant attendue de la fin de service avait sonnée pile poil alors que le bleu revenait du resto asiatique du coin avec un assortiment de plat préparés dont des assiettes végétarienne, pour le ‘sait-on jamais’ qui pouvait toujours lui retomber sur le coin de la figure si son choix n’avait été porté que sur des plats à base de viande. Frappant un coup sec sur la porte de sa main libre Lonnie avait attendu quelques secondes avant de faire son entrée dans le bureau de l’inspecteur qui n’abritait plus que sa silhouette filiforme, Patton ayant mis les voiles il y a une bonne heure déjà. « D’habitude je suis le préposé au café mais j’ai pensé, vu l’heure, il serait préférable de manger plutôt que de boire. » Avançant à tâtons dans la conversation le bleu avait déposé les sacs plastiques sur le bureau d’Anwar en attendant d’être invité à rester ou bien forcé de reprendre ses clics et ses clacs et de déguerpir au plus vite tant Anwar ne serait pas d’humeur à recevoir de la visite. « J’ai pris un peu de tout, dépendant de ton appétit et de tes envies. » Un moyen comme un autre pour Lonnie de préciser qu’il était dans le coin, si jamais son ami avait besoin d’un défouloir ou même juste d’un mec muet comme une carpe avec qui partager un morceau de canard laqué.
L’audition durait depuis plus de quatre heures désormais. Pas de pendule dans la salle d'interrogatoire pour l'attester – technique classe de désorientation – mais l’heure constatée furtivement sur l’écran de verrouillage de son téléphone lorsqu'Anwar avait pris le temps de s’enquérir de l’expéditeur, et du contenu du SMS qu’il venait de recevoir, faisait foi. « Mon client ne dira rien de plus et gardera le silence comme la loi l'y autorise. Être au mauvais endroit au mauvais moment ne constitue pas une preuve et vous n'avez aucun mobile solide pour justifier la poursuite de cette garde à vue. » Faisant claquer ses ongles manucurés contre la table, l’avocate leur avait offert un sourire vorace. « Si je peux me permettre, Maître, la seule personne à s’être retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment dans cette affaire, c’est la victime. » Croisant les bras, Anwar s’était appuyé sur le dossier de sa chaise tandis que Patton prenait le relais « Le silence n'a jamais été une stratégie payante, vous le savez. Et les messages instantanés contenus dans le téléphone portable de votre client attestent de ses opinions disons virulentes concernant l’homosexualité, qui elles constituent un mobile. » Assis aux côtés de son avocate, le gardé à vue ne disait rien, fixant d’un air imperturbable un point invisible sur le mur d'en face. « Vous confondez preuves et allégations, Lieutenant. Jamais le procureur ne vous suivra si vous vous entêtez dans cette direction. » Elle avait raison. Ils n’avaient rien, et derrière sa blondeur candide et son sourire éclatant l’avocate n’était pas née de la dernière pluie. Il n’y avait pas d’entre-deux avec les jeunes avocats, ils étaient soit des requins soit des chatons. « Vous êtes prêts à prendre le risque ? » Anwar jouait leur va-tout, mais c’était perdu d’avance. Ils n’obtiendraient rien, pas aujourd’hui du moins. « Les associations LGBT+ sont déjà sur le pied de guerre et s’apprêtent à crucifier votre client. Si vous n’avez rien de mieux que le silence à offrir comme justification, c’est la mort sociale assurée. » D’un mouvement de sourcil imperceptible, le concerné avait semblé jauger la situation, mais n’avait pas pipé mot, de même que son avocate. « Comme vous voudrez. » Ils auraient donc perdu quatre heures pour rien, ils n’avaient pas avancé d’un iota et Anwar savait déjà quelle serait la réponse du procureur lorsqu’il l’aurait au téléphone. Leur homme serait dehors dans deux heures, et leur enquête au point mort. « Cet enfoiré ne s’en tirera pas comme ça. » Les poings serrés et la veine sur son cou frémissant, Patton fulminait de tout ce qu’elle avait dû prendre sur elle durant l’interrogatoire. Et de tout ce qu’elle continuait de prendre sur elle pour ne pas perdre la face devant Anwar. « La vidéosurveillance ? » - « Banks voit avec eux, ils doivent nous rappeler. » - « Je vais les rappeler. » - « On verra demain, rentre chez toi. » Ne lui laissant pas le temps de protester il avait insisté « Lona, rentre chez toi. » Usant son prénom comme il se l’autorisait rarement. L’espace d’une seconde il s’était demandé si la laisser sur ce dossier était une bonne idée, et si le sujet ne la touchait pas de trop près – puis il s’était rendu compte que c’était l’hôpital se foutant de la charité, et il n’avait rien dit. Une partie de lui avait envie de raser les murs depuis son entrevue remarquée avec le grand manitou, mais il savait qu’actuellement la meilleure chose à faire pour lui était de tâcher de continuer à « faire comme d’habitude » et à donner le change coûte que coûte. Malgré quelques tentatives de Patton pour lui tirer les vers du nez s’étant soldé par une victoire d’Anwar, qui avait lâché quelques bribes d’informations comme on filait un os à un chien pour qu’il cesse de s’intéresser à ce qu’il y avait sur la table, le brun avait donc tâché de reprendre son boulot sans faire de vagues … En apparence. « Tu viens pas ? » Ayant verrouillé le tiroir dans lequel elle rangeait son holster, la policière avait enfilé sa veste et posé un regard interrogateur à son équipier, qui n’avait pas bougé de derrière son bureau. « J’ai de la paperasse à terminer. » La sentant suspicieuse, il avait ajouté « Rien à voir avec l’enquête. » À demi convaincue, elle ne s’était pour autant pas risquée à remettre sa parole en cause. Et Anwar ne mentait pas. Son Lieutenant parti, il avait néanmoins attendu un quart d’heure réglementaire au cas où elle reviendrait sur ses pas pour avoir oublié quelque chose – ses clefs, sa tête ou Dieu sait quoi d’autre – et seulement après il s’était autorisé à sortir d’un tiroir l’épaisse copie de dossier que lui avait fait parvenir Warrington la semaine précédente.
Absorbé par sa lecture, il avait fallu attendre qu’on frappe à la porte du bureau pour qu'Anwar ne lève le nez de son dossier et ne réalise la raideur qui s’était installée dans sa nuque. Affublé de son éternel air de ne pas vouloir déranger, Lonnie était apparu sur le seuil, l’odeur de nourriture asiatique parvenant à ses narines au moment où le « D’habitude je suis le préposé au café mais j’ai pensé, vu l’heure, il serait préférable de manger plutôt que de boire. » était parvenu à ses oreilles. À cet instant seulement l'inspecteur pris conscience que le message que lui avait envoyé Lonnie plus tôt dans l’après-midi lui était complément sorti de la tête. « J’ai pris un peu de tout, dépendant de ton appétit et de tes envies. » L’air absolument pas discret de marcher sur des œufs, le jeune homme avait fait quelques pas dans le bureau pour déposer ses victuailles, Anwar partagé entre le fait d’être occupé et celui de ne pas vouloir froisser Lonnie. Il n’était pas dupe, il savait que le sermon du boss avait fait le tour du poste de police et qu’il n’échapperait pas aux regards lourds de sens s’il acceptait de becter avec le jeune homme … Mais Lonnie était de bonne volonté, et pour ce qu’en avait entendu dire Anwar il était actuellement aux prises avec ce genre de dossiers qui ne vous aidait pas à bien dormir la nuit. Cela méritait bien un effort. « Excuse-moi, j’ai totalement oublié de répondre à ton message. J’étais en audition et après ça m’est sorti de la tête. » Referment d’un coup sec le dossier éparpillé devant lui, il l’avait rangé en vrac dans son tiroir et déconnecté sa session ouverte sur l'intranet de la police du Queensland. « Est-ce que tu as … » Jetant un œil au contenu du sac en posant sa question, ses doigts avait attrapé l’une des deux Tsingtao « T’es un vrai. » Une bière, à cet instant, il ne rêvait de rien de mieux. Décapsulant sa bouteille à l’aide de ses clefs de casier, il avait tendu cette dernière au jeune homme pour qu’il puisse en faire de même. « T’aimes tellement cet endroit que tu fais du rab, ou bien tu venais juste voir comment se porte le bonnet d'âne du poste ? » Autant mettre les pieds dans le plat directement plutôt que de traîner ça durant tout le repas. Le savon qu’on lui avait passé avait fait le tour du commissariat presque aussi vite que les rumeurs de coucheries entre collègues, et pour un peu Anwar en aurait presque été flatté. Bien que, non. « Ton enquête avance ? Tad m’a dit que vous aviez récupéré un dossier pas joli. » Manière polie de dire qu’on ne cultivait pas sa joie de vivre en examinant des corps calcinés, des corps d’enfants qui plus est. Lui n’aurait jamais pu travailler aux affaires familiales précisément pour ce genre de cas – pas s’il avait voulu conserver un semblant d’équilibre mental à côté.
When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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Lonnie se devait de faire la part des choses en érigeant de lui-même une barrière entre sa vie privée et sa vie professionnelle, pour se protéger d’une part et de l’autre pour éviter une situation de malaise avec l’un de ses collègues qui n’accepteraient pas les familiarités du petit bleu. Mais il était compliqué pour le flic de savoir Anwar devenu le mouton noir du commissariat, celui qui attire tous les regards et les chuchotements sur son passage. Il avait la tête des mauvais jours, l’inspecteur, et même si Lonnie avait tout d’abord essayé de ne pas en tenir compte et de faire comme si de rien n’était, il était de plus en plus dur pour ce dernier de rester les bras ballants devant cette situation qui l’attristait malgré tout. Zehri était un très bon flic et un ami sur lequel on pouvait compter en cas de pépin, là où Lonnie – ces derniers temps – avait été absorbé par son enquête mais aussi par sa vie personnelle, se comportant alors comme un ami médiocre pour l’inspecteur. Les bras chargés de victuailles récoltées dans le restaurant asiatique qui faisait l’angle de la rue Lonnie avait fait glisser sa veste contre le dossier de sa chaise avant de refermer le dossier grand ouvert sur son bureau. C’était toujours délicat de traiter la mort d’enfants, encore plus quand on avait des suspicions d’infanticide et que la mère et principalement témoin se refusait à parler. Hors de question de se servir des photos comme de dessous de verre, le flic avait donc rangé le dossier à sa place tout au-dessus de la pile avant de respirer un grand coup et de prendre son courage à deux mains pour frapper à la porte d’Anwar qui semblait absorbé par la lecture d’un dossier au nombre de pages important. Lonnie avait affiché un sourire craintif teinté d’une pointe de tristesse alors qu’il entrait dans le bureau de son ami, les sacs pleins à craquer dans les mains. Parce que quand le flic se mettait en mode full support il avait tendance à vider les étagères des supermarchés et les barquettes de bouffe, sans même penser aux pauvres clients qui passeraient derrière lui et qui n’auraient plus rien à se mettre sous la dent que des rouleaux de printemps agonisants. Il aurait tout de même pu attendre que l’inspecteur l’invite à entrer, mais Lonnie avait décidé de ne pas faire les choses dans les règles ce soir et n’avait même pas attendu le moindre signe de tête avant de s’engouffrer dans le bureau à l’atmosphère pesante. « Excuse moi, j’ai totalement oublié de répondre à ton message. J’étais en audition et après ça m’est sorti de la tête. » Balayant d’un geste de la main les paroles d’Anwar le bleu n’avait pas osé avouer qu’il attendait une réponse depuis le début de l’après-midi et que le manque total de signes de vie l’avait carrément fait flippé. « Arrêtes, pas de soucis, je peux totalement comprendre. Comment s’est déroulée l’audition ? » Faire diversion afin de ne pas plonger directement dans le sujet fâcheux avait toujours été l’une des petits techniques du Hartwell pour ne pas se faire griller tout de suite. Mais Zehri étant intelligent et le sujet ayant déjà fait le tour du commissariat il était compliqué de penser que Lonnie s’était rendu dans le bureau simplement pour faire la causette. Enfonçant ses mains dans ses poches après avoir déposé les sacs sur le bureau de l’inspecteur le bleu avait attendu gentiment le feu vert de son ami pour prendre place sur la chaise en face de lui, se dandinant comme un gamin avec une envie pressante. « Est-ce que tu as… » Sans même finir sa phrase Anwar avait tiré du sac les deux bières fraiches que Lonnie avait spécialement choisi en connaissance de cause. « T’es un vrai. » Hartwell avait simplement adressé un clin d’œil à l’inspecteur avant de prendre place sur la chaise face au bureau quand Anwar avait fait glissé une bière dans sa direction, signe qu’il pouvait rester et s’asseoir deux minutes plutôt que de rester debout comme un con. « Pour qui tu me prends voyons. » L’amour de la bière combiné aux cheveux roux qui s’entremêlait sur sa tête évoquant ses lointaines origines irlandaises que sa mère avait toujours mis en avant dans les repas de famille même sans y être invitée. « T’aimes tellement cet endroit que tu fais du rab, ou bien tu venais juste voir comment se porte le bonnet d’âne du poste ? » Il n’y avait pas quarante façons de l’annoncer de toute façon et, encore une fois, Anwar n’était pas débile, loin de là. Haussant les épaules avant de faire glisser une longue gorgée de bière dans sa gorge Lonnie avait déballé les nombreux plats soigneusement emballés sur la table, jetant son dévolu sur le porc au caramel qui débordait de l’une des barquettes. « Tu sais bien qu’ils m’attachent au radiateur avant de partir…» Dans une vague tentative pour faire descendre un peu la pression de la pièce Lonnie s’était osé à un sourire avant d’attraper entre deux doigts les baguettes chinoises et un morceau de porc. « Je suis venu voir comment se porte mon ami. » Et c’était là toute la différence entre les fouilles merde de ce commissariat et Lonnie qui s’inquiétait juste de voir Anwar débarquer tous les matins au boulot avec plus de bagages sous les yeux qu’un hôtel en pleine influence estivale. « Ton enquête avance ? Tad m’a dit que vous aviez récupéré un dossier pas joli. » Pas joli était un euphémisme et Lonnie avait arqué un sourcil tout en s’essuyant la bouche contre une serviette en papier qui prospérait dans le fonds des sacs. « Le dossier est délicat, on a encore du mal à démêler le vrai du faux là-dedans. Sans compter que la mère est bloquée sur le même discours et que le père est aux abonnés absents. » Il attendait juste de savoir ce que Tad avait pu tirer des pauvres petits corps tirés du feu. Ces gamins n’avaient rien fait, rien de mal, rien de mauvais, et se retrouvaient maintenant la pièce principale d’une enquête qui se verrait être plus que compliquée. « Pour le moment on est dans l’attente, mais même le pompier que j’ai vu le soir de l’incendie avait des doutes … » Lonnie affichait un visage de ‘on verra bien’ alors qu’il terminait déjà la première barquette, conscient que ce genre d’histoire avait tendance à couper l’appétit de ceux qui n’avaient pas l’habitude.
Anwar s’était toujours imposé de ne jamais ramener de travail chez lui, de ne pas sortir ses dossiers de son bureau et de ne pas transformer son salon ou sa chambre en « bureau bis » comme pouvaient le faire certains flics de sa connaissance – dont une majorité étaient divorcés, étonnamment. Mais ce qui partait à la base d’une bonne intention n’était plus aujourd’hui qu’une excuse destinée à se donner bonne conscience, puisque son fils désormais indépendant le brun tendait à traîner au bureau de plus en plus tard, d’y faire parfois un saut le week-end, et sans doute que s’il n’avait pas chez lui un perroquet qui nécessitait un minimum de soin et d’attention il ferait de son bureau son nouveau QG, caché derrière un amoncellement de cartons de nourriture à emporter et utilisant les douches des vestiaires au sous-sol comme son spa personnel. Si l’initiative de Lonnie ne lui avait pas fait lever le nez de son dossier il y avait donc fort à parier que l’inspecteur n’aurait quitté le commissariat que tard dans la soirée, et trouvé encore le goût de faire un crochet par le McTavish avant de rentrer chez lui ; Et il n’avait pas encore quitté le poste, certes, mais l’odeur de la nourriture asiatique venait de donner une nouvelle direction aux plans faits par son inconscient. Faisant signe qu’il n’y avait pas de mal lorsqu’Anwar s’était excusé de n’avoir plus pensé à répondre à son message, le jeune flic s’était fendu d’un « Arrêtes, pas de soucis, je peux totalement comprendre. Comment s’est déroulée l’audition ? » et le brun avait dodeliné la tête de manière dubitative pour illustrer le goût d’échec venu avec l’audition en question. « Pas terrible. Le type est muet comme une carpe et son avocate est une emmerdeuse. J’ai bien cru que Patton allait leur refaire le portrait à tous les deux. » Une façon de parler, bien entendu, car son équipière restait au demeurant quelqu’un de professionnel, et agresser un suspect n’était pas dans ses manières de faire. Reste qu’Anwar espérait que les résultats de la vidéosurveillance leur donneraient un peu plus de latitude le lendemain. Invitant son collègue à s’asseoir sur le siège laissé vacant par Lona, il s’était permis un coup d’œil dans les sacs de nourriture à la recherche de la sainte bière, Lonnie y allant d’un « Pour qui tu me prends voyons. » qui avait arraché un bref éclat de rire au brun avant qu’il ne décapsule sa propre bière et laisse le rouquin en faire autant. Après une journée entière à n’avaler que du café et des gummy bears, la Tsingtao avait des allures de nectar divin – et cela en disait long, pour quelqu’un d’aussi résolument athée qu’Anwar. Conscient malgré tout que le petit bleu n’était pas là par hasard, l’inspecteur leur avait évité de tourner autour du pot en mettant les pieds dans le plat une bonne fois pour toutes : pour l’heure il était le cancre du service, et il lui fallait attendre que quelqu’un d’autre fasse une bourde pour que le bonnet d’âne et les messes basses changent de destinataire. Il en avait toujours été ainsi, et en cela Anwar se désolait un peu tant un poste de police n’était parfois rien d’autre qu’une cour de lycée pour adultes. « Tu sais bien qu’ils m’attachent au radiateur avant de partir … » avait tout de même commencé par ironiser Lonnie, avant d’ajouter sur un ton plus sérieux « Je suis venu voir comment se porte mon ami. » arrachant au brun un sourire à mi-chemin entre l’amertume et la reconnaissance – reconnaissance parce qu’il savait l’inquiétude de Lonnie vide de toute arrière-pensée, et amertume parce que ce n’était normalement pas au petit bleu de s’inquiéter pour le vieux singe. « Boh, avait-il alors simplement commenté en haussant les épaules pour feindre l’indifférence, mieux vaut une bonne soufflante qu’une mise au placard. » Et on ne faisait pas d’omelette sans casser des œufs, après tout. « Maintenant tu sais ce qui arrive quand on met son nez dans les enquêtes des autres plutôt que de s’occuper des siennes. » Conseil qu’il lui avait sagement donné quelques mois plus tôt, mais qu’il avait à l’évidence omis d’appliquer à lui-même comme le voulait l’adage du Fais ce que je dis, fais pas ce que je fais. En témoignait, comme du fait qu’Anwar soit têtu comme un âne, le dossier des stups sagement rangé dans le tiroir de son bureau à l’instant même où Lonnie avait fait irruption dans son bureau. Cherchant sans doute à noyer le poisson, mais néanmoins sincèrement intéressé par la réponse, Anwar avait préféré botter en touche et renvoyer la balle au rouquin en le questionnant sur ses propres affaires, et plus particulièrement celle des gamins calcinés dans l’incendie de leur maison. De quoi lui provoquer un frisson le long de la colonne vertébrale. « Le dossier est délicat, on a encore du mal à démêler le vrai du faux là-dedans. Sans compter que la mère est bloquée sur le même discours et que le père est aux abonnés absents. » Était-ce le métier qui le rendait cynique ? Reste que le brun n’avait pas su retenir le « Classique. » que lui inspirait cette énonciation de faits, tristement banale dans un métier qui les faisait côtoyer la misère humaine à longueur de journées. « Pour le moment on est dans l’attente, mais même le pompier que j’ai vu le soir de l’incendie avait des doutes … » Parallèlement occupé à enrouler ses nouilles autour de ses baguettes, l’inspecteur s’était immobilisé en arquant un sourcil pour marquer sa surprise. « C’est déjà un miracle que tu aies obtenu l’avis officieux d’un pompier, t’as dû drôlement bien jouer ton coup. D’habitude c’est un peu comme les légistes et la scientifique, c’est pratiquement mission impossible de leur faire cracher une information autrement que par le biais d’un rapport officiel. » Et donc, fatalement, avec un délai parfois handicapant pour ceux qui devaient mener les investigations et pour qui le temps comptait affreusement. S’enfonçant un peu plus contre le dossier de son fauteuil, la barquette de nouilles dans une main, Anwar avait laissé passer quelques secondes avant de questionner « Tu penses que la mère est responsable, du coup ? » Il ne questionnait pas là les preuves accumulées – ou non – dans le dossier mais ce que lui dictait l’instinct de Lonnie. Les intuitions ne valaient peut-être rien devant un tribunal mais elles n’étaient pas inutiles pour autant ; Elles aidaient à maintenir un cap lorsque les faits seuls faisaient piétiner une enquête. Dieu sait que si Anwar ne s’était pas acharné à écouter son intuition, il se serait peut-être contenté de la mise sous les verrous de Noa Jacobs, et une innocente croupirait actuellement toujours en prison.
When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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Lonnie n'était jamais le premier à quitter le poste et avait pour habitude de regarder les gens partir les uns après les autres alors que sa pile de dossier ne faisait que grossier à vue d’œil. Certes il avait un appartement à retrouver tous les soirs et un chat à nourrir mais le bleu avait cette manie de toujours trouver quelque chose à faire en plus qui lui maintenais le cul vissé à la chaise. Alors il n'était pas rare de le voir traîner au bureau passé l'heure officielle, ce qui était plus rare c'était de voir l'inspecteur Zehri en faire de même et si Lonnie n'avait pas eu vent de la remontrance dont Anwar avait été la victime quelques jours plus tôt il serait grandement inquiété de savoir son ami encore présent sur les lieux. Mais les nouvelles se répandaient vite dans un commissariat peuplés de personnes n'ayant jamais quittés le stade de l'adolescence et qui prenaient un malin plaisir à répandre des rumeurs n'ayant aucun sens et pouvant facilement heurter ceux qu'elles visaient. Alors quand Lonnie avait frappé quelques petits coups contre la porte donnant accès au bureau d'Anwar c'était dans le but premier de savoir si l'inspecteur était passé du côté obscur de la force et songeait à claquer une lettre de démission cinglante sur le bureau de son supérieur, auquel cas le bleu aurait tenté de lui faire changer d'avis en avançant son argument phare, la bouffe chinoises dont l'odeur avait envahi l'espace en une poignée de secondes. Levant la tête de son dossier avant de le fermer histoire de paraître civilisé Anwar avait invité le flic à prendre place sur la chaise vide en face du bureau, donnant à Lonnie le droit de déballer les différents plats qu'il avait choisi et servaient de tampon entre lui et le Zehri au cas où ce dernier ne congédie le bleu d'un geste de la main. Lonnie avait, quant à lui, effacer les paroles de son ami comme on chasse une mouche alors qu'il excusait le manque de réponse à son message, l'audition étant un élément clé dans le boulot le bleu pouvait tout à fait comprendre le manque de retour. « Pas terrible. Le type est muet comme une carpe et son avocate est une emmerdeuse. J’ai bien cru que Patton allait leur refaire le portrait à tous les deux. » Si Lonnie devait une partie de sa carrière à une avocate il était tout de même assez vieux dans le métier pour savoir que les membres du barreau s'amusaient toujours à mettre des bâtons dans les roues des flics dès qu'ils en avaient l'occasion, nourrissant alors les pires railleries de la part des hommes et femmes en uniforme comme Patton à qui on devait retenir les mains pour ne pas qu'elle les serre autours d'un cou souvent surmonté d'une cravate hideuse. « Quelques fois je me dis que ça serait tellement simple de leur faire un croche pieds quand ils quittent la salle ... » Les mains dans les poches Lonnie avait levé les yeux vers le plafond pour miner l'homme rempli d'espoir alors qu'Anwar attaquait le sac à la recherche des deux bouteilles de bières que Lonnie avait pris soin de prendre avec lui. Sans chercher à combattre les clichés le bleu s'était même questionné de longues secondes quant à la nécessité de prendre des donuts dans le shop du coin, histoire de parfaire la bouffe asiatique d'un côté sucré. Le porc au caramel attaqué à la fourchette, parce qu'il aurait été ridicule de penser que Lonnie savait ce servir de baguettes, le bleu avait amorcé le sujet sensible par une blague avant de relever un regard plus sérieux vers son ami dont la moue reconnaissante s'effaça au bout de quelques secondes. « Boh, mieux vaut une bonne soufflante qu’une mise au placard. » Certes, mais ça n'était quand même pas la chose la plus agréable au monde, surtout lorsque tout le commissariat était au courant. « Maintenant tu sais ce qui arrive quand on met son nez dans les enquêtes des autres plutôt que de s’occuper des siennes. » Touché. Lonnie avait haussé un demi sourire sur ses lèvres non sans hocher la tête, conscient qu'Anwar avait appliqué le fameux 'fait ce que je dis, pas ce que je fais' mais qu'il gardait quand même en tête une envie d'épargner à Lonnie le même genre de situation. « Ils ont pas été trop durs avec toi ? » Parce que ça le faisait grandement chier que de savoir l'inspecteur dans une mauvaise passe comme ça, de un parce que le flic l'appréciait, de deux parce qu'Anwar avait la peau dure et que ce métier lui sied à merveille. « Et promis j'ai arrêté de faire l'idiot … Même que j'ai le droit à de vraies enquêtes maintenant, et ça sans savoir mal aux genoux. » C'était cliché, un poil sexiste, mais ça avait le don de le faire rire alors qu'il enfournait une énorme bouchée de nouilles sautées entre ses lèvres. Sautant du coq à l'âne pour ne pas en dévoiler plus sur les conditions qui l'avaient poussées à se retrouver dans cette situation Anwar avait évoqué le dossier sensible sur lequel Lonnie bossait de paire avec le légiste, offrant une opportunité au petit bleu de tirer des enseignements du vieux sage. « Classique. » Que l'inspecteur avait répondu aux explications d'un Hartwell plus passionné par la bouffe que par la mère de famille qui refusait de changer de discours. « Tu m'étonnes, ils ne peuvent pas simplement nous dire la vérité ? C'est chiant de devoir jouer à menteur menteur avec eux. » C'était la partie qu'il aimait le moins dans son boulot, simplement parce qu'il n'avait aucun talent pour dénicher la vérité sous le tas de mensonge, ce qui n'était pas forcément évidemment pour inspecteur. « Je sais que c'est la partie préférée de plusieurs gars ici mais moi j'ai juste de leur passer mon bras en travers de la gorge. » Parce qu'il était question d'enfants, de petits corps retrouvés calcinés dans des pyjamas assortis, et ça Lonnie n'arrivait toujours pas à le concevoir, ni lui ni Adams qui avait accepté de lui livrer les quelques informations dont elle avait eu vent ce soir là. « C’est déjà un miracle que tu aies obtenu l’avis officieux d’un pompier, t’as dû drôlement bien jouer ton coup. D’habitude c’est un peu comme les légistes et la scientifique, c’est pratiquement mission impossible de leur faire cracher une information autrement que par le biais d’un rapport officiel. » Hochant la tête à l'affirmative Lonnie avait tapoté les coins de sa bouche sur une serviette en papier avant d'avaler tout rond la grosse bouchée qu'il venait d'avaler. « J'avoue que sur ce coup là j'ai eu de la chance. Elle était réticente au début, c'est compréhensif, mais elle m'a pris en pitié quand elle à vu que j'avais du mal à respirer. » Premier incendie pour les pauvres poumons de fumeur de Lonnie, et première fois aussi qu'il obtenait les impressions à chaud d'un pompier sans avoir à jouer les petits toutou d'un de ses collègues plus franc du collier. « Tu penses que la mère est responsable, du coup ? » Croisant les bras sur sa poitrine Lonnie avait mis de côté la bouffe pour se concentrer sur les premières impressions qu'il avait de ce dossier plus que compliqué, et même si il ne pouvait rien avancer sans le rapport de Tad il n'en restait pas moins convaincu que la mère avait sa part d'ombre dans cette histoire. « Ce que je dis c'est que si ça avait été ma mère elle aurait retourné toute la maison pour venir me chercher, quitte à mourir en essayant. » Oui, Gail aurait été ce genre de mères, aucuns doutes à avoir. « Et là les pompiers ont retrouvés les gosses dans leurs lits, comme endormis. La mère clame qu'elle a tout tenté mais elle n'a aucunes traces sur les mains, aucunes coupures ou brûlures... » Il était plus que certains que la femme cachait des choses que les inspecteurs n'avaient pas encore réussi à creuser, et Lonnie pouvait sentir que le rapport de Tad ferait toute la différence. « C'est pas une coïncidence. » Le bleu avait pointé sa fourchette vers Anwar avant de repartir à l'assaut des nouilles sautées, cherchant la bonne façon de poser ses questions sans que Zehri ne se sente attaqué par la curiosité de Lonnie.
Il n’y avait rien de plus frustrant pour un enquêteur qu’une piste ou un interrogatoire qui terminaient en cul de sac. Et ça, les plus intelligents des mis en cause l’avaient bien compris, se murant dans un silence qui usait bien plus la patience de la police que n’importe quel mensonge pour tenter de se dédouaner ou emmener vers une piste erronée. De leur duo, Patton était à ce propos la moins patiente des deux – ce qui n’était pas peu dire quand on connaissait Anwar, et quand on savait qu’il avait toujours eu l’habitude avant son transfert aux homicides d’être celui qu’il fallait canaliser plutôt que l’inverse. Frank avait toujours eu plus de patience et de sang-froid que lui, question d’âge mais surtout question de tempérament, et désormais responsable des agissements de Lona, dont leurs grades respectifs en faisant le décisionnaire de leur binôme, il tentait avec plus ou moins de succès et de satisfaction de s’inspirer du savoir faire de feu son équipier, feu son ami. Pas un jour de travail ne passait sans que le brun ne se pose au moins une fois la question de « Que ferait Frank ? » et lorsque Lonnie avait commenté « Quelques fois je me dis que ça serait tellement simple de leur faire un croche pieds quand ils quittent la salle ... » sans doute Anwar s’était-il encore demandé la même chose avant de répondre « Mais on perdrait le goût du travail bien fait. » avec ce qu’il espérait faire passer pour un brin de sagesse policière. Pour autant, un croche-pied n’était pas la pire chose que l’inspecteur avait rêvé de faire non seulement à son suspect mais également à son avocate durant cet interrogatoire qui lui semblait avoir duré mille ans … Mais ça, il préférait le garder pour lui. Se consolant avec la bière brillamment amenée par un Lonnie qui savait comment le prendre par les sentiments – et il serait bien temps de s’inquiéter un autre jour du fait que les sentiments d'Anwar soient réveillés par une bouteille d'alcool – il avait entrepris de minimiser le caractère sérieux des remontrances dont il avait été la cible de manière tout sauf confidentielle, mais surtout l’impact qu’avait eu sur lui le fait d’être ainsi devenu le mauvais élève du poste de police. Un rôle certes temporaire, mais qu’il n’était jamais plaisant d'endosser, quelle qu’en soit la raison. « Ils ont pas été trop durs avec toi ? » s’en était tout de même inquiété Lonnie, et haussant les épaules en faisant un court instant mine d’être fasciné par ses germes de soja, Anwar avait relevé les yeux pour répondre avec une résignation un peu feinte « Durs oui. Trop, je ne pense pas. » On lui avait appris à ne pas discuter les décisions d’un supérieur devant un subordonné – et quand bien même Lonnie n’était pas que ça, il restait un subordonné. « Je savais à quoi je m'exposais, de toute façon. C’est pas comme si je ne connaissais pas les risques. » Il avait suffisamment fait la leçon au bleu à ce sujet voilà quelques temps, c'eut été malvenu de sa part de tenter de de trouver des excuses, quand bien même il ne regrettait pas ce qu’on lui reprochait. Et il continuait de se jeter dans la gueule du loup, mais là encore, il savait où il mettait les pieds et quels étaient les risques. « Et promis j'ai arrêté de faire l'idiot … Même que j'ai le droit à de vraies enquêtes maintenant, et ça sans avoir mal aux genoux. » Répondant à cela d’un sourire entendu, depuis toujours persuadé que ce jour était destiné à arriver – il déplorait seulement qu’il ait autant tardé, au risque de laisser pourrir des capacités qui heureusement étaient toujours là au bout du compte – Anwar avait profité sans vergogne de la perche involontairement tendue par Lonnie pour changer de sujet et questionner à propos de l’enquête dont, des dires de Tad, il avait hérité pour le meilleur et pour le pire. Exposant brièvement les faits, l’attention néanmoins portée sur son repas, le rouquin s’était lamenté presque comme un vieux de la vieille en lançant « Tu m'étonnes, ils ne peuvent pas simplement nous dire la vérité ? C'est chiant de devoir jouer à menteur-menteur avec eux. » par pure rhétorique. « Je sais que c'est la partie préférée de plusieurs gars ici mais moi j'ai juste de leur passer mon bras en travers de la gorge. » Terminant sa bouchée, l’inspecteur avait pointé ses baguettes dans la direction de Lonnie et avait annoncé d’un ton volontairement solennel « Félicitations, tu es officiellement l’un des nôtres à partir de maintenant. » parce qu’on était un vrai seulement après avoir pour la première fois eu l’envie même furtive d'étriper un suspect pour régler la question une bonne fois pour toutes. Mais Dieu merci, cela ne les empêchait pas de faire leur boulot correctement dans la réalité. Admiratif du fait que le rouquin soit parvenu à obtenir l’avis totalement officieux d’un pompier, il avait eu un quart de seconde de flottement lorsque Lonnie avait répondu « J'avoue que sur ce coup là j'ai eu de la chance. Elle était réticente au début, c'est compréhensif, mais elle m'a pris en pitié quand elle à vu que j'avais du mal à respirer. » mais de manière totalement injustifiée ; Des femmes pompiers il n’y en avait pas qu’une à Brisbane. Et il n’imaginait pas Lene comme le genre à s’attendrir ou avoir pitié de qui que ce soit, en réalité. « Mais c’est qu’il peut être fort utile, ce minois de jeune premier. » s’était-il au lieu de ça contenté de commenter le brun sur le ton de la boutade, tendant par la même occasion à alléger un peu la discussion pour contrebalancer l’horreur qui caractérisait le dossier. À ce sujet, Lonnie semblait d’ailleurs avoir sa propre opinion, et si Anwar avait questionné en donnant l’air d’enfoncer une porte ouverte ce n’était que pour mieux laisser au jeune flic le loisir de développer son point de vue un peu plus en détail. « Ce que je dis c'est que si ça avait été ma mère elle aurait retourné toute la maison pour venir me chercher, quitte à mourir en essayant. » Moins surpris qu’il n’aurait pu l’être, les secrets du genre n’en restant jamais bien longtemps et la situation de la mère Hartwell ayant finalement fait le tour du commissariat comme une trainée de poudre – sans que quiconque ne soit pour autant frontalement allé le mentionner au principal intéressé, l’espérait au moins Anwar – le brun l’avait laissé continuer sans l’interrompre. « Et là les pompiers ont retrouvés les gosses dans leurs lits, comme endormis. La mère clame qu'elle a tout tenté mais elle n'a aucune trace sur les mains, aucune coupure ou brûlure ... C'est pas une coïncidence. » Cela pouvait en effet laisser songeur, et l’inspecteur à ce sujet avait acquiescé comme pour signifier qu’il partageait ce point de vue. Pour autant, il n’avait pu résister à l’envie de creuser ailleurs, réflexe de flic sans doute, et questionnant d’abord « Et le psy qu'elle a vu, il en dit quoi ? » parce qu’il ne doutait pas qu’elle en avait vu un, question de procédure, il avait repris ensuite « Pour ce que j’en sais, les gens ont parfois des réactions qui défient toute logique, particulièrement quand ils sont soumis à un stress ou un traumatisme … » Marquant une pause, il avait reposé un instant sa barquette de nouilles. « Quand j’étais bleu, j’ai pris la plainte d’une femme qui avait été violée par un voisin de palier. Y’avait aucun doute là-dessus, y’avait un rapport du médecin, son copain est rentré entre temps et pouvait témoigner en sa faveur … et quand j’ai pris sa plainte elle était d’une froideur comme j’ai rarement vu. Elle m’a décrit tout ça sans aucune émotion, elle m’a fait la liste de ce qu’il lui avait fait seconde par seconde de la même manière qu’elle aurait pu me faire la liste de ses dernières courses. » Et sans doute que sans les témoignages et preuves matérielles pour corroborer, Anwar aurait douté. De sa sincérité, de l’authenticité des faits. « C’était pas la réaction ‘normale’ à laquelle tu t’attends de la part de quelqu’un qui vient de subir une agression de ce genre. De la même façon qu’on s’attend à autre chose que de la sidération de la part d’une mère dont les enfants sont en danger de mort. » Est-ce que Lonnie voyait où il venait en venir ? Réajustant sa position dans son fauteuil, Anwar avait attrapé l’une des deux barquettes de rouleaux de printemps – celle qui indiquait l’option végétarienne – avant de reprendre « Après, il y a quand même plus de chances qu’elle n’ait pas la conscience tranquille dans cette histoire, et c’est sans doute ton intuition qui est la bonne. J’essaye juste de me faire l’avocat du Diable. » Et son avocat à elle s’en chargerait de toute façon bien aussi à un moment ou un autre. Quant à Anwar il ne faisait que donner un avis, de manière totalement officieuse … Qu’on ne vienne pas encore l’accuser de mettre son nez dans les dossiers des autres.
When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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Lonnie avait l’impression de marcher sur des œufs en entrant dans le bureau de l’inspecteur pour prendre de ses nouvelles, conscient qu’il devait se présenter comme un ami et non pas comme l’une de ces fouines qui faisaient le pied de grue devant le bureau d’Anwar en espérant recueillir une information qui ferait vite fait le tour du commissariat. Pour autant qu’il avait très envie de connaître la position du Zehri sur cette histoire, un brin inquiet de savoir si il risquait de le voir avec un carton sous le bras un de ces quatre, le bleu n’avait cependant pas grand intérêt à se mettre son ami à dos en jouant le rôle du faux-cul venu simplement en quête de quelque chose de croustillant à partager avec les collègues. Anwar semblait ne rien avoir perdu de son calme, préférant éluder les questions alors qu’il partageait avec Lonnie les résultats peu fructueux de son interrogatoire qui avait plongé Patton dans une certaine rage. Ça n’était jamais agréable d’assister au petit jeu des suspects qui se pensaient toujours supérieurs aux flics et qui n’hésitaient pas à se pavaner devant leurs avocats payés une misère pour défendre un type qui avait tout du parfait délinquant. Si Lonnie arrivait encore à garder un semblant de calme face à cette situation c’était uniquement parce qu’il était rarement invité durant les interrogatoires, et les seules fois où il l’était le bleu essayait de faire passer au premier plan son envie de bien faire plutôt que celle de passer par-dessus la table pour foutre une gifle au petit con impétueux se croyant tout permis. « Mais on perdrait le goût du travail bien fait. » La réponse d’un vieux sage à un jeune lionceau. Lonnie avait hoché la tête non sans sourire devant les paroles de l’inspecteur qui traduisait une vérité certaine : il n’y avait pas meilleure sensation que celle de voir le visage du suspect se décomposer devant les preuves que l’on avait accumulées. Ça en était presque jouissif et certainement l’une des meilleures parties du boulot, petite satisfaction personnelle qui poussait encore plus loin les clichés sur les flics. « Ce que j’aime voir l’expression de panique dans leur yeux quand on a enfin toutes les réponses. » Un frisson exagéré lui parcourant l’échine Lonnie avait distribué les (trop) nombreux plats sur le table avant de prendre une expression de héros des temps modernes alors qu’Anwar se saisissait des bières que le bleu savaient nécessaires à cette soirée. Bien que l’inspecteur n’est pas forcément très envie d’en parler ni même le droit d’évoquer ce qu’il s’était dit entre lui et son supérieur, Lonnie avait simplement envie de faire taire la petite voix inquiète dans sa tête lui chuchotant qu’Anwar n’allait pas bien, du tout. Le bleu avait simplement besoin d’être rassuré, perdre un bon collègue était déjà un coup dur, perdre un ami et mentor l’était encore plus aux yeux du Hartwell. « Durs oui. Trop, je ne pense pas. » S’enfilant une belle portion de porc au caramel alors que l’inspecteur semblait plus intéressé par ses pousses de soja que part la sanction qui pourrait éventuellement lui tomber sur la tête. « Je savais à quoi je m’exposais de toute façon. C’est pas comme si je ne connaissais pas les risques. » C’était donc l’histoire de l’arroseur arrosé, et même si – dans d’autres circonstances moins inquiétantes – Lonnie aurait gentiment taquiné son ami sur le sujet, il n’était maintenant plus question d’enfoncer le couteau dans une plaie encore trop béante. « Le plus important c’est que tu sois encore là. Et je suis désolé que tu doives faire face à tous ces bruits de couloirs, ça doit pas être évident même pour toi. » Plongé dans la contemplation d’un grain de riz parfaitement ovale le bleu avait enfin relevé le regard vers Anwar, un sourire timide sur les lèvres alors qu’il évoquait maintenant sa nouvelle place au sein de son unité, une place qui lui convenait parfaitement puisqu’il y jouait un rôle plus important que celui de la mule à café. Et même si toutes les enquêtes n’étaient pas forcément le plus apaisantes et les plus merveilleuses, le bleu était déjà heureux de pouvoir en faire partie, hochant la tête à l’affirmative alors qu’Anwar évoquait le dossier tendu sur lequel il planchait en ce moment et qui se montrait bien compliqué tant la mère de famille ne voulait pas émettre la moindre parole. Se lamentant comme si il en avait le droit Lonnie avait soulevé le regard vers les baguettes tendues de l’inspecteur qui le félicitait de prendre enfin un peu de galon, même dans ses paroles. « Félicitations, tu es officiellement l’un des nôtres à partir de maintenant. » Contenant son sourire derrière une bouchée de nouilles sautées le flic n’avait pourtant pu s’empêcher d’exagérer une petite courbette. Maintenant adoubé par les bonnes paroles de son ami Lonnie n’avait plus qu’une seule chose à faire pour sortir de son trou de petit bleu, résoudre cette enquête avec brio. « Je suis si ému. » Pour seule parole alors que le bleu frottait sa bouche dans une serviette en papier, rappelant aussi à Anwar qu’il avait obtenu les impressions d’un pompier là où beaucoup se mangeaient des refus dans les dents avant même d’ouvrir la bouche pour poser une question. Oui, il avait eu de la chance, ou bien était-ce parce qu’elle avait pitié de lui et des poumons encrassés par la fumée, il pouvait y avoir de ça aussi. « Mais c’est qu’il est fort utile, ce minois de jeune premier. » Il l’était, du moins Lonnie faisait toujours en sorte de mettre en avant son côté ‘pieds dans le plat’ afin de s’attirer de la sympathie, et même si ça n’était pas toujours juste d’en profiter le bleu avait vite compris que son attitude un peu paumée attirait souvent la pitié des témoins et des potentiels alliés qu’il devait se faire. « Moi j’ai ça et toi tu as ton côté exotique … chacun son truc Zehri. » Que le flic s’était permis de répondre en sachant pertinemment que le tout se faisait sur le ton de la plaisanterie, consolant la discussion qu’ils engageaient tout de deux sur le dossier de ces pauvres gamins mort brûlés. La mère ne lâchait pas un mot, le père était toujours aux abonnés absents et les voisins semblaient avoir tous perdus la vue durant la nuit de l’incendie, en résumé rien ne facilitait la tâche des enquêteurs qui avaient désignés la mère comme principale suspecte. Parce qu’elle n’avait, sois disant, rien fait pour sauver ses enfants d’une mort certaine, là où n’importe quelle mère – Gail Hartwell y compris – se serait battu jusqu’au bout pour protéger sa chaire. « Et le psy qu’elle a vu, il en dit quoi ? » Avalant la dernière bouchée de son porc au caramel qu’Anwar n’aura même pas eu la chance de goûter Lonnie s’était raclé la gorge en cherchant dans ses souvenirs. « Il l’a décrit comme une personnalité dépressive mais elle refuse de lui parler à lui aussi. Dans le rapport le psy a écrit qu’il ne trouvait, pour le moment, aucuns points de corrélation entre la soit dite dépression de la mère et la mort des enfants. » En gros ils n’avaient rien de plus que leur instinct sur ce coup-là, et sans que la vision de Lonnie était biaisée par sa propre relation avec sa mère, restant persuadé que toutes les mères portaient un amour inconditionnel envers leur enfant. « Pour ce que j’en sais, les gens ont parfois des réactions qui défient toute logique, particulièrement quand ils sont soumis à un stress ou un traumatisme… » Pas venu là pour quérir des réponses de la part de l’inspecteur sur le dossier sensible qu’il était en train de traiter Lonnie écoutait cependant avec attention les remarques d’Anwar, lui qui avait plus de bouteille que le bleu et un avis extérieur par rapport à cette histoire. « Quand j’étais bleu, j’ai pris la plainte d’une femme qui avait été violée par un voisin de palier. Y’avait aucun doute là-dessus, y’avait un rapport du médecin, son copain est rentré entre temps et pouvait témoigner en sa faveur … et quand j’ai pris sa plainte elle était d’une froideur comme j’ai rarement vu. Elle m’a décrit tout ça sans aucune émotion, elle m’a fait la liste de ce qu’il lui avait fait seconde par seconde de la même manière qu’elle aurait pu me faire la liste de ses dernières courses. » Dans d’autres mots, il fallait toujours lever un doute sur les faits et gestes des principaux suspects pour ne pas se retrouver à envoyer la mauvaise personne en prison pour le reste de sa vie, une chose que Lonnie aurait bien du mal à encaisser si tel était le cas. « Je vois où tu veux en venir oui. » Pour seule réponse alors que l’inspecteur continuait sur sa lancée. « C’était pas la réaction ‘normale’ à laquelle tu t’attends de la part de quelqu’un qui vient de subir une agression de ce genre. De la même façon qu’on s’attend à autre chose que de la sidération de la part d’une mère dont les enfants sont en danger de mort. » Anwar s’était décalé sur son siège avant de saisir une barquette de rouleaux de printemps, laissant le bleu pantois face aux nouvelles interrogations maintenant présentes dans son esprit et dont il espérait s’être débarrassé après le premier entretien avec la mère qu’il avait tout de suite catégorisée comme coupable. « Sans doute que je me suis trop attendu à une réaction ‘normale’ comme tu dis, en prenant exemple sur ma vie personnelle plutôt que de charger un moyen de comprendre la raison de son silence. Je suis pas entré dans la baraque mais d’après les dires des pompiers rien ne bloquait le passage jusqu’au chambre, et la mère serait sortie d’elle-même au début de l’incendie. » Pas qu’il avait spécialement envie d’avoir raison sur coup Lonnie devait tout de même afficher un certain pragmatisme face à cette situation, même si l’inspecteur n’avait pas totalement tord dans ses paroles et que le bleu se promettait de faire plus attention aux réactions de la mère à partir de maintenant. « Après, il y a quand même plus de chances qu’elle n’ait pas la conscience tranquille dans cette histoire, et c’est sans doute ton intuition qui est la bonne. J’essaye juste de me faire l’avocat du diable. » Et c’était déjà bien mieux que le commis d’office qui n’avait pas réussi à rester éveillé durant l’interrogatoire, des traces évidentes d’une soirée mouvementée encore présentes sur le visage. « Dans le pire des cas je ferai un tour à la caserne, voir si Adams prend encore pitié de moi si jamais je lui annonce que j’en fais encore des cauchemars. » Elle n’avait pas franchement l’air de quelqu’un qui prendrait pitié de sa petite personne mais si le bleu se retrouvait bloqué dans cette situation il n’aurait pas d’autres choix que d’aller jouer les mendiants chez les pompiers, quitte à se faire refouler d’entrée de jeu.
Il n’irait pas jusqu’à en mettre sa main à couper, mais le brun avait la vague impression que Lonnie était nerveux ; Ou soucieux, il ne saurait pas vraiment dire. Tout comme il ne saurait pas dire si cet air de bête aux abois lui venait de tracas personnels ou de ce qui occupait actuellement ses journées de travail – une infime partie de lui avait même poussé Anwar à penser que le bleu puisse s’inquiéter pour lui, mais il avait eu vite fait de se raisonner. Le monde ne tournait pas autour de lui, et sans doute qu’une partie de cette sensation qu’il avait en passant dans les couloirs que l’on se répandait en messes basses à son sujet n’avait en réalité lieu que dans sa tête. Un aveu de culpabilité, diraient certains, et à raison. Qu’il soit venu là pour ça ou pour autre chose, Lonnie avait en tout cas risqué quelques questionnements à ce sujet, n’obtenant du brun que des réponses évasives visant à ne pas cracher sur le dos de leur hiérarchie commune et de ne pas renier les principes qu’il avait tenté de lui vendre quelques mois plus tôt. Malgré tout il n’aurait pas reproché au jeune homme de penser que c’était l’hôpital qui se foutait de la charité, mais s’il l’avait pensé Lonnie avait eu la délicatesse de ne pas le faire remarquer, y préférant un « Le plus important c’est que tu sois encore là. Et je suis désolé que tu doives faire face à tous ces bruits de couloirs, ça doit pas être évident même pour toi. » bienveillant qui avait arraché au brun un sourire mesuré, mais reconnaissant. Il se demandait bien ce qu’il devait comprendre par même pour toi, il doutait qu’il faille y voir une attaque, et pour le reste il avait secoué la tête et usé d’un ton volontairement caustique « Et comment que je suis encore là ! Tu ne penses quand même pas qu’on se débarrasse de moi aussi facilement ? » La prochaine fois c’est la porte, c’était pourtant les mots qu’avait utilisé le grand manitou ; Mais il ne pouvait s’agir que d’une formulation destinée à lui faire peur, pas vrai ? Il n’avait rien fait de suffisamment grave pour justifier un renvoi pur et simple des forces de l’ordre – pour l’instant. Toujours bien plus causant lorsqu’il était question des autres plutôt que de lui, l’inspecteur avait fait dévier la conversation vers Lonnie, pour se sortir d’un mauvais pas mais également parce qu’étaient remontés à ses oreilles les détails de l’enquête sur laquelle bossait le jeune policier – le genre de dossier qui ne laisserait pas insensible même un policier chevronné, raison pour laquelle Anwar s’était décidé à prendre la température, persuadé que son seul tort au bout du compte avait été de ne pas le faire plus tôt. Bien qu’il ait très vite appris à ne pas douter que Lonnie soit quelqu’un de dégourdi, il avait été un brin surpris d’apprendre que le jeune homme était parvenu à soutirer des informations à un pompier, eux d’habitude si prompts à utiliser leur droit de réserve dès que l’on se montrait trop curieux. « Moi j’ai ça et toi tu as ton côté exotique … chacun son truc Zehri. » Laissant échapper un léger rire, Anwar avait tendu sa bière en direction de celle du rouquin pour faire tinter leurs bouteilles l’une contre l’autre « Amen to that. » Picorant ensuite dans sa barquette, la bière descendant résolument plus vite que les nouilles néanmoins, il avait demandé des détails plus par volonté d’aider Lonnie à prendre du recul que par réelle intention d’influer sur le cours de l’enquête – ce n’était pas sa place. « Il l’a décrit comme une personnalité dépressive avait alors repris le jeune homme à propos du psy mais elle refuse de lui parler à lui aussi. Dans le rapport le psy a écrit qu’il ne trouvait, pour le moment, aucun point de corrélation entre la soit dite dépression de la mère et la mort des enfants. » Enroulant presque minutieusement ses nouilles autour de ses baguettes, Anwar avait acquiescé, se gardant bien d’ajouter qu’à ses yeux, l’avis d’un psy était de toute façon toujours à prendre avec des pincettes. Partageant néanmoins une bribe d’expérience avec le jeune homme, craignant de l’y perdre un peu mais obtenant un « Je vois où tu veux en venir oui. » qui l’avait persuadé d’aller au bout de son idée, se faisant l’avocat du Diable pour mieux souligner que la solution la plus évidente n’était pas toujours la bonne. « Sans doute que je me suis trop attendu à une réaction ‘normale’ comme tu dis, en prenant exemple sur ma vie personnelle plutôt que de charger un moyen de comprendre la raison de son silence. » Gardant un air impassible malgré la légère surprise quant au fait que Lonnie évoque de lui-même son propre schéma familial, l’inspecteur l’avait laissé continuer sans l’interrompre « Je suis pas entré dans la baraque mais d’après les dires des pompiers rien ne bloquait le passage jusqu’au chambre, et la mère serait sortie d’elle-même au début de l’incendie. Dans le pire des cas je ferai un tour à la caserne, voir si Adams prend encore pitié de moi si jamais je lui annonce que j’en fais encore des cauchemars. » Il lui avait alors fallu un effort surhumain pour ne pas avaler ses nouilles de travers, déglutir, et laisser passer une seconde ou deux pour véritablement avoir l’air innocent au moment de demander « Adams … Comme Lene Adams ? » Il n’aurait pu s’agir que d’une coïncidence, mais au regard que lui avancé lancé Lonnie en guise de réponse ce n’en était pas une. Quant à Anwar, il n’en était pas encore à assumer ses écarts et les questions qui suivraient, aussi avait-il botté en touche en ajoutant « Ma sœur est secrétaire dans sa caserne … On a quelques amis communs. » préservant sa bonne conscience en se disant qu’après tout, il ne s’agissait même pas d’un mensonge. « Tu en as fait ? Des cauchemars. » Il avait utilisé la notion de « encore » et le brun se posait donc raisonnablement la question. Il n’avait pas envisagé que d’avoir hérité de ce dossier puisse travailler autant Lonnie, mais maintenant il se disait qu’il avait bien fait de mettre le sujet sur le tapis. « J’ai cru comprendre que t’avais eu de la visite ici y’a quelques temps … du genre un peu houleuse. » Les bruits de couloir à nouveau, toujours eux. « Et loin de moi l’idée de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais si cette enquête te pèse et que tu dois gérer d’autres soucis à côté … Je sais pas, tu as pensé à prendre quelques jours, pour te vider la tête et penser à autre chose ? » Mais probablement que non. Lonnie tendait plus vers la catégorie de flics qui ne comptaient pas leurs heures et prenaient leurs congés réglementaires à reculons, que vers celle des flics qui racontaient avec impatience leurs futures vacances dans les Alpes australiennes. « Enfin, je ne t’en voudrais pas de ne pas suivre les conseils du bonhomme qui vient de se faire remonter les bretelles dans le bureau du principal et à qui on a collé une retenue. » Une vague histoire d’hôpital et de charité, pour ne pas changer là aussi. Faisant tourner un instant sa bière entre ses doigts, il en avait bu une longue gorgée avant de reposer sur le jeune homme un regard pensif. « Mon équipier a été tué en service y’a trois ans, quand j’étais encore aux stups. » Sans doute était-ce parce qu’il avait mauvaise conscience d’avoir effleuré au détour d’une phrase les soucis que Lonnie semblait avoir dans sa propre vie privée. Il se disait qu’il lui devait au moins un début de vérité en retour, bien qu’intimement persuadé que là-dessus aussi la rumeur avait déjà distillé son pollen. « J’ai promis à sa femme qu’on retrouverait le coupable. » Haussant les épaules, il s’était laissé retomber mollement contre le dossier de son siège. « Je sais. Erreur de débutant. » Faire une promesse ; Toujours une mauvaise idée.
When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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En aucun cas Lonnie ne voulait transmettre sa propre anxiété à l’inspecteur qui avait déjà énormément à penser et à faire dans ces temps compliqués où tout le commissariat restait persuadé qu’il allait devoir remballer ses affaires, un petit carton sous le bras. Pourtant le flic avait une angoisse profonde de voir son ami obligé de quitter ses fonctions à cause d’une erreur, et si Zehri faisait maintenant parti du paysage au sein du poste, personne ici n’était irremplaçable, à commencer par ceux dont les bêtises s’accumulaient malgré eux. Lonnie, sans doute un peu trop soucieux du bien-être des autres, avait donc passé une petite partie de sa soirée dans la file d’attente du restaurant chinois dans lequel il avait ses habitudes, et même si la bouffe n’était qu’une illusion de réconfort il aurait au moins la satisfaction de ne pas être venu les mains vides simplement pour faire la fouine auprès d’Awnar qui avait autre chose à faire de ses journées que de répondre aux questions implicites d’un regard noir. Survolant les questions pour ne pas non plus se retrouver avec toute la hiérarchie aux fesses l’inspecteur avait cependant rassuré le bleu quand à un départ précipité qui n’avait, pour le moment du moins, pas lieux d’être. Et ça avait tendance à rassurer un Lonnie qui n’était pas prêt à affronter un autre bouleversement dans sa vie après l’acceptation du fait que sa mère pourrait sortir de prison sous peu. Non, le flic avait besoin de stabilité au boulot et Anwar avait son rôle à jouer dans le quotidien du bleu qui voyait en l’inspecteur un très bon collègue mais aussi un ami digne de ce nom. « Et comment que je suis encore là ! Tu ne penses quand même pas qu’on se débarrasse de moi aussi facilement ? » Haussant un sourire sur lèvres en même temps que la fourchette débordante de nouilles chinoises Lonnie avait fini par acquiescer de la tête les paroles réconfortante du Zehri. « C’est les vieilles carnes ça, impossible de s’en débarrasser. » Anwar n’était pas énormément plus vieux que lui, du moins le bleu ne le rangeait pas dans la catégorie des vieux de la vieille dont les mots étaient valeurs de psaumes ici dans le commissariat, mais l’inspecteur avait tout de même de la bouteille et une très bonne capacité à faire son boulot. Rien d’inquiétant, donc. Du moins, Lonnie avait choisi de ne pas s’inquiéter plus que raison pour cette histoire, si Anwar était sereins alors il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs. Le sujet de conversation sautant d’un problème à un autre Lonnie ne s’était pas fait prier pour raconter les détails de son dernier dossier, une affaire assez importante pour que tout le monde trouve le moyen d’y rajouter son grain de sel. Pourtant le bleu était prêt à entendre les conseils de son ami sur cette histoire, lui qui avait de nombreuses fois assisté au désarroi d’un Lonnie trop souvent mis de côté avait bien à un droit de parole sur sa première véritable enquête entant que membre à part entière de son équipe. C’était du donnant donnant. La bouffe chinoise et la bière contre de précieux conseils. Ça l’avait fait sourire que d’entendre qu’il avait l’un de seuls à pouvoir soutirer des informations aux pompiers qui, d’habitude, préféraient se terrer dans le silence plutôt que d’avoir à bavarder avec les flics. Une vieille rancœur qui se démontrait bien pendant les matchs du rugby opposants le commissariat et la caserne. Lui avait ce minois de jeunot fraîchement sorti de l’école, Anwar cette part d’exotisme, chacun trouvait midi à sa porte. « Amen to that. » Oh oui, amen à toutes les choses qui pouvaient nous donner l’avantage, un visage de bébé flic comme un petit accent ensoleillé. « Il faut bien que j’utilise ce que le bon dieu m’a donné. » Et parce qu’il avait pris la barre de la trentaine en plein la gueule et qu’il avait encore du mal à se faire à l’idée d’être rentré dans la catégorie de ceux dont le dos craque au moindre mouvement, Lonnie s’étonnait toujours d’avoir encore un visage de gamin à qui on aurait donné le bon dieu sans confession. Il n’était maintenant plus question de parler des soucis de l’inspecteur mais bien du dossier sur lequel Lonnie bossait en ce moment et qui avait attiré par mal de regards et de commentaire. Chacun allant à sa petite phrase sur le véritable coupable de cette histoire sans même connaître tous les détails. Même le psy avait du mal à déchiffrer le silence de la mère qui n’avait pas laissé échapper la moindre parole depuis le début de son arrestation. C’était la loi du silence dans cette histoire, à celui qui craquerait en premier. A défaut de faire parler la mère de famille Lonnie aurait toujours l’occasion de retourner à la caserne afin de se servir de son doux visage pour faire craquer Adams, que ça soit de pitié ou par l’envie de le voir déguerpir de la caserne le plus vite possible. « Adams … Comme Lene Adams ? » Aucune idée, il n’avait pas été cherché son prénom dans la base de données pour avoir bonne conscience. Le flic avait avalé ce qu’il voulait être la dernière bouchée avant de se tamponner les lèvres avec un coin de serviette en papier. « Je ne connais pas son prénom. Une brune, pas très grande, le genre pas facilement abordable. » Du moins c’était l’impression qu’elle lui avait donné la première fois, entre deux crachats de poumons et une cigarette qui était resté éteinte au bout de ses lèvres. « Ma sœur est secrétaire dans sa caserne … On a quelques amis en commun. » Tant mieux pour Anwar mais le bleu n’avait aucune idée de la marche à adopter concernant cette réponse, se contentant de glisser sa bière entre ses lèvres pour en boire une gorgée. « C’est cool, je ne savais pas que tu avais une sœur. » A vrai dire il ignorait beaucoup de choses sur la vie de l’inspecteur mais Lonnie n’avait jamais été du genre à creuser la moindre information personnelle, lui qui détestait qu’un inconnu mette le nez dans sa vie privée. « Tu en as fait ? Des cauchemars. » Pour seule réponse le flic avait haussé les épaules, préférant garder sous silence les nuits sans sommeil et/ou cauchemardesques qui accentuaient les cernes sous ses yeux. « Ces derniers temps ça s’est calmé, mais j’ai dû me réveiller deux ou trois fois à cause de mauvais rêves à base de flammes vivantes. » Rien que l’évocation de ces petites flammes dansantes autours de son corps brûlant suffisait à lui donner des frissons. « J’ai cru comprendre que t’avais eu de la visite ici y’a quelque temps … du genre un peu houleuse. » Harvey était tout ce qu’il y avait de plus houleux, et Lonnie ne s’étonna même pas que sa discussion avec son frère dans la salle d’interrogatoire avait déjà fait le tour du poste. « Et loin de moi l’idée de me mêler ce qui ne me regarde pas, mais si cette enquête te pèse et que tu dois gérer d’autres soucis à côté… Je ne sais pas, tu as pensé à prendre quelques jours, pour te vider la tête et penser à autre chose ? » Lonnie avait fait passer son angoisse en arrachant l’étiquette de sa bière alors que son regard fuyait celui de l’inspecteur. Il ne voulait pas, n’avait jamais voulu même, faire passer ses soucis avant ceux de son ami qui avait décidemment très peu envie de parler de lui, mais Lonnie savait qu’il trouverait toujours une oreille en la présence d’Anwar. « C’était mon frère, la discussion houleuse. C’est la première fois qu’on se voit en quasiment vingt ans. On essaie de faire sortir ma mère de prison. » Net, propre, concis. Rien de plus que la vérité, dure et fragile, mais nécessaire à formuler pour le bleu qui n’avait pas envie d’embêter les autres avec ses propres problèmes. « Enfin, je ne t’en voudrais pas de ne pas suivre les conseils du bonhomme qui vient de se faire remonter les bretelles dans le bureau du principal et à qui on a collé une retenue. » Au moins il avait trouvé le moyen d’en rire, et ça faisait sourire le petit jeune dont les mains avaient arrêtées de trembler et de chercher à creuser dans le verre de la bouteille. « Ces derniers temps j’ai plus de facilité à être au boulot, et ça m’évite d’avoir à trop penser à ma mère et à sa possible libération. Alors tu sais, les vacances ça sera encore pour la prochaine fois. » Jusqu’à ce que Bates déclare en avoir marre de l’avoir toujours dans les pattes et ne l’envoie de force en congés qu’il passera avec un air bougon sur le visage. « Mon équipier a été tué en service y’a trois ans, quand j’étais encore aux stups. » Lonnie n’avait pas su répondre autrement que par une moue silencieuse qui aurait pu se traduire par ‘je suis désolé’, incapable de trouver les mots corrects dans ce genre de situation. « J’ai promis à sa femme qu’on retrouverait le coupable. Je sais. Erreur de débutant. » Au moins il en avait conscience, et Lonnie ne pouvait décidemment pas lui jeter la pierre après avoir rapporté chez le dossier d’Adam. « Tu dis ça à celui qui a promis à Leena de tout faire pour retrouver son frère. Alors je ne peux pas me permettre de te juger, ça serait mal vu. » La nourriture avait complètement refroidie sur la table et, de toute façon, l’estomac du bleu était maintenant noué. « Une mauvaise rencontre dans une ruelle ? » Pas qu’il avait envie de replonger Anwar dans un passé encore douloureux, mais il fallait bien que Lonnie endosse à son tour le rôle de l’oreille attentive pour un ami qui avait – peut-être – besoin d’en parler.
La discussion s’était enchaînée presque bon enfant, mais Anwar avait senti un ange passer lorsque les mots pompier et Adams avaient atterri dans la même phrase, lui donnant un taquet derrière la tête que seule sa culpabilité d’enchaîner ainsi les mensonges et les cachotteries pouvait avoir provoquée. Il le savait pourtant, que plus le temps passerait moins il pourrait continuer de faire l’autruche, parce qu’il rebasculerait dans la catégorie des obligations familiales à la pelle et que de la même façon que sa séance de réprimandes n’était plus un secret, ce nouvel accident de paternité ferait lui aussi le tour du commissariat et avec lui ragots et jugements de valeurs dont le brun se serait volontiers passé. A la mince description qu’il en avait fait – « Je ne connais pas son prénom. Une brune, pas très grande, le genre pas facilement abordable. » – l’inspecteur avait en tout cas eu la quasi-certitude qu’ils avaient tous les deux eu affaire à la même Adams, et trouvant une parade pour le justifier avec tellement d’aisance que Lili elle-même lui aurait jeté un regard sévère si elle avait été là, il avait vaguement hoché la tête lorsque Lonnie avait commenté « C’est cool, je ne savais pas que tu avais une sœur. » en retour. « Une cousine, en fait. » avait-il rectifié « J’ai été élevé par mon oncle. C’est une longue histoire. » Pas si longue en réalité, mais ce n’était pas le sujet et s’il y en avait bien un qu’Anwar détestait aborder c’était celui de son géniteur et de la façon dont il s’était débarrassé de lui comme d’un tas d’ordures pour l’envoyer vivre à des milliers de kilomètres. Interpellé par la formulation et par la façade désinvolte avec laquelle Lonnie avait tenté de composer, il avait questionné le jeune homme à propos de son sommeil d’un ton résolument concerné. « Ces derniers temps ça s’est calmé, mais j’ai dû me réveiller deux ou trois fois à cause de mauvais rêves à base de flammes vivantes. » Une grimace lui avait échappé, mais sans qu’il n’y voit quelque chose d’alarmant. Pour l’instant ça ne l’était pas. Cela ajoutait juste une couche supplémentaire à ce que les bruits de couloirs – les fameux – laissaient déjà entrevoir des choses que Lonnie avait à gérer actuellement. « C’était mon frère, la discussion houleuse. » De but en blanc, le voilà qui prenait les devants face aux tentatives d’Anwar de prendre des pincettes. « C’est la première fois qu’on se voit en quasiment vingt ans. On essaie de faire sortir ma mère de prison. » Inconsciemment, Anwar n’avait pu s’empêcher de tenter un rapide calcul pour jauger de la situation, sans pour autant faire mine de s’étonner de l’autre partie de la phrase. On ne faisait pas des pieds et des mains pour intégrer les affaires familiales aussi jeunes sans traîner des casseroles personnelles, c’était presque mathématique. « Ces derniers temps j’ai plus de facilité à être au boulot, et ça m’évite d’avoir à trop penser à ma mère et à sa possible libération. Alors tu sais, les vacances ça sera encore pour la prochaine fois. » Observant silencieusement Lonnie faire de la charpie avec l’étiquette de sa bière, le brun avait bu une gorgée de la sienne et pris quelques instants pour l’avaler avant de hocher la tête « Je comprends. » Que celui qui ne s’était jamais noyé dans le boulot pour ne pas penser au reste lui jette la première pierre. « Fais juste attention, d’ac ? Ça fait deux gros chevaux de bataille à dompter en simultané. » Lonnie était un bon flic et une bonne personne, Anwar n’avait pas envie qu’il lui arrive des bricoles. « J’ai toujours des bières au frais, si un jour t’as besoin d’une oreille. » Ça n’avait l’air de rien comme ça, mais rares étaient les collègues que l’inspecteur estimait suffisamment pour les envisager sous son toit. Il fallait être un ami plutôt qu’un simple camarade de travail, et parce qu’il avait su se hisser dans cette catégorie sans doute le brun avait consenti après quelques nouvelles secondes de réflexion à cracher le morceau sur ce qui avait, en premier lieu, amené Lonnie jusqu’à lui quand il aurait simplement pu rentrer chez lui comme une bonne partie du commissariat. Depuis qu’il avait été muté ici Anwar n’évoquait presque jamais Frank ; Ici ce n’était rien d’autre qu’un flic de plus tombé sous les risques de son métier, et le brun refusait que son ami ne soit plus qu’un nom sur une liste. Un nom sur une liste à qui l’on n’avait, pour le moment, toujours pas rendu justice et pour lequel son équipier avait fait une promesse peut-être vaine. « Tu dis ça à celui qui a promis à Leena de tout faire pour retrouver son frère. Alors je ne peux pas me permettre de te juger, ça serait mal vu. » S’armant d’un sourire résigné devant cette incapacité mutuelle à s’en tenir au plus basique des conseils, il avait acquiescé lorsque Lonnie avait demandé « Une mauvaise rencontre dans une ruelle ? » et rajouté d’un ton songeur « Quelque chose comme ça, oui … » Tristement banal, le genre de choses qui n’arrivaient qu’aux autres, jusqu’à ce qu’elles vous arrivent à vous. Faisant toujours sa bouteille entre ses doigts, il avait repris « C’était le soir d’Halloween, celui où y’a eu la tempête. » Celui-là, le soir qui avait fait les gros titres des journaux principalement parce que la grande roue de Redcliffe s’était écroulée sur des gens, et dont après coup chacun était encore capable de se rappeler ce qu’il faisait ce soir-là. « On devait pas bosser ce soir-là, mais avec Halloween il fallait des renforts de patrouille et bon, quelques heures supp ça n’avait jamais fait de mal à personne … » Jusqu’à ce jour-là, du moins. « On s’est pointés sur une suspicion de cambriolage dans une épicerie, on connaissait l’adresse. Le type était armé. » Rideau. Nul besoin de mentionner le pare-balle qui n’avait pas suffi, la raison pour laquelle ils connaissaient l’adresse, le rôle dramatique qu’avait joué la tempête ce soir-là en rendant peu à peu impossible la communication des radios et des téléphones, et l’ambulance qui ne serait jamais arrivée à temps même si Anwar avait pu la réclamer au lieu de traîner son ami jusqu’à sa voiture … Cela ne changeait rien à la finalité, et au fait que Frank était devenu un nom sur une liste. Un anonyme sur une plaque commémorative au milieu de dizaines d’autres. Marquant une pause plus longue qu'il ne l'aurait voulu, le brun avait chassé d'un revers de la tête les images désagréables qui lui revenaient à l'esprit, et haussé les épaules d'un air las. « Ce qui, en théorie, devrait faire de moi le meilleur témoin, à défaut d’être le mieux placé pour mener cette enquête. » Sauf que ce n’était pas le cas, et qu’à la culpabilité de n’avoir pas correctement couvert les arrières de son équipier s’ajoutait celle de n’avoir aucun témoignage utile à apporter. Random guy in random place, voilà tout ce qu’il était capable de dire du tueur de flic qui courrait dans la nature. « Enfin. » Laissant échapper un soupir, il s’était redressé sur son siège et avait terminé cul sec ce qu’il restait de sa bière. Il n’attendait de Lonnie ni solution ni idée lumineuse, au fond il ne faisait qu’apporter une explication au taquet que le grand manitou lui avait mis derrière les oreilles, ainsi le rouquin n’aurait pu à se poser la question sans oser la formuler.
When I wake up I'm afraid, somebody else might take my place. When I wake up I'm afraid, somebody else might end up being me. Keep on dreaming, don't stop giving, fight those demons. Sell your soul, not your whole self if they see you when you're sleeping, make them leave it And I can't even see if it's all there anymore so.
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Lonnie n’avait fait aucuns commentaires sur la façon qu’avait eue Anwar de passer à autre chose alors qu’il évoquait sa dernière collaboration avec les pompiers qui s’était soldée par un entretien off record avec Adams. L’inspecteur avait le droit d’entretenir son jardin secret et le bleu aucunement besoin d’aller farfouiller dans la vie de son ami simplement pour le plaisir, même si d’autres n’avaient pas autant de tact que lui. Le Zehri avait bien trop de chose à gérer en ce moment pour s’attarder sur les fabulations d’une bande de collègues avides de potins qui feraient mieux de s’intéresser à leur propres vies. Passant rapidement sur le sujet Lonnie avait tout de même arqué un sourcil à l’évocation d’une sœur que l’inspecteur avait utilisé pour faire diversion. Ayant lui-même des problèmes de famille plutôt imposant ces derniers temps il essayait de tirer le meilleur des situations des autres pour ne se retrouver piégé dans une dépression à peine la trentaine franchie. « Une cousine, en fait. » Qu’Anwar avait rectifié, attirant un simple hochement de tête chez son collègue. « J’ai été élevé par mon oncle. C’est une longue histoire. » Histoire qu’il garderait sous silence pour ne pas jouer les martyrs, un point que Lonnie avait vite compris tant il refermait la page de cet épisode qui n’avait pas lieu d’être évoqué ici. « J’espère qu’elle se termine bien. » Avalant d’une seule traire les dernières gouttes de sa bière le bleu avait passé une main sur son visage à l’évocation des longues nuits sans sommeil qui composaient maintenant son quotidien. C’était le plus dur à supporter. Tout ce poids sur les épaules qui finirait par le consumer s’il ne faisait pas un minimum attention. Si Romy avait été plus que compréhensive en lui laissant le temps suffisant pour s’en remettre le flic savait pertinemment qu’il ne devait pas laisser cette affaire empiéter sur son quotidien déjà bien assez tourmenté. Harvey, sa mère, le dossier sur lequel il était en train de bosser avec son équipe. Tout autant de choses qui rendaient le cocktail dangereux pour sa santé mentale. Lonnie avait passé en revue les différents points qui composaient sa vie dernière, pas parce qu’il avait envie de s’épancher sur le sujet, mais simplement parce qu’Anwar avait toujours été de bon conseils et qu’il avait besoin qu’on lui dise que tout irai bien. Il n’avait pas le temps de penser aux vacances même si on ne pouvait pas nier que ces dernières étaient nécessaire, mais le bleu avait toujours été du genre à croire que le choix de cette vie imposé avec lui toutes les conséquences. Du nombre d’heures de sommeil qu’il avait perdu jusqu’à ce nouveau malaise à chaque fois qu’il entendait une sirène de pompier au loin, tout le poussait dans ses retranchements et ça jouait énormément sur sa vie personnelle. « Je comprends. » Bien évidemment qu’il comprenait. L’inspecteur avait toujours été cette oreille attentive pleine de bonnes volontés vers qui Lonnie se tournait dès qu’il avait des questions ou des doutes. Plus qu’un mentor qui aurait pris sous son aile l’oisillon tombé du nid, Anwar était devenu un ami que le flic n’était pas prêt de laisser partir. « Fais juste attention, d’ac ? Ça fait deux gros chevaux de batailles à dompter en simultané. » D’un simple hochement de tête Lonnie avait fait la promesse de ne pas trop en faire, justement, et d’arrêter de croire qu’il serait toujours tout seul pour gérer ses problèmes. « T’en fais pas, je suis bien entouré dans ma vie personnelle. Ma copine est parfaite, elle m’aide beaucoup. » Parce qu’il fallait aussi voir le bon côté des choses, Lonnie avait réussi à trouver la balance parfaite entre une vie professionnelle constamment aux abois et une vie personnelle où la seule présence de Romy arrivait à calmer ses nerfs. « J’ai toujours des bières au frais, si un jour t’as besoin d’une oreille. » Cheers to that. Le bleu avait répondu par un sourire avant de s’étirer de tout son long sur la chaise de bureau, croulant maintenant sous le poids de la fatigue. « C’est pareil pour moi, tu le sais. » Anwar était plus privé que le Hartwell mais il y avait tout de même des moments où ce-dernier avait besoin de se confier, et quand le moment viendra Lonnie n’hésiterait pas une seule seconde avant d’enfiler son costume de parfait ami. Tout comme la discussion qui prenait maintenant le pas sur les autres, celle que le flic ne connaissait pas et qui ne faisait qu’amplifier un peu plus toute la compassion qu’il éprouvait pour l’inspecteur. Si le bleu n’avait pas eu assez de forces pour abandonner le dossier Adam alors il ne pouvait pas se permettre de juger les agissements d’Anwar pour qui toute cette histoire prenait des intonations différentes. Perde quelqu’un n’étais jamais chose aisée, perdre son binôme qui en connaissait plus sur votre vie que vos propres parents était la chose la plus difficile à affronter pour un flic. Lonnie ne pouvait que comprendre la tristesse dans la voix de l’inspecteur alors qu’il détaillait les évènements de cette nuit si particulière. « Quelque chose comme ça oui… » Un moment difficile à exprimer, qu’Anwar se rassure, le bleu ne lui en tiendrait pas rigueur si la conversation s’arrêtait maintenant. « C’était le soir d’Halloween, celui où il y a eu la tempête… » Un frisson avait parcouru l’échine du flic alors qu’il se remémorait à la perfection cette nuit d’enfer qui avait marqué à jamais les esprits des habitants de la ville. S’il n’y avait pas assisté concrètement Lonnie avait tout de même un tas de collègue pour lesquels cette soirée avait été semblable à un cauchemar. « On devait pas bosser ce soir-là, mais avec Halloween il fallait des renforts de patrouille et bon, quelques heures supp ça n’avait jamais fait de mal à personne… » Surtout quand on avait pris l’habitude de ne pas les compter. « On s’est pointés sur une suspicion de cambriolage dans une épicerie, on connaissait l’adresse. Le type était armé. » Fin, rideau. Sans même avoir entendu la fin du récit Lonnie comprenait que le pare-balle n’avait pas joué son rôle et que tout c’était arrêté net pour le binôme de l’inspecteur. « Je suis désolé. » Pour seule parole alors qu’il espérait ne pas avoir à vivre ça un jour, lui à qui l’on n’avait pas encore attribué de partenaire car trop nouveau, mais qui espérait pouvoir un jour comprendre cette relation si particulière. « Ce qui, en théorie, devrait faire le meilleur témoin à défaut d’être le mieux placé pour mener l’enquête. » Et c’était sans doute une bonne chose que l’on n’offre pas au Zehri l’opportunité de faire justice sur cette affaire, parce qu’il était impliqué et donc moins enclin à soulever les bonnes questions plutôt que de taper dans le tas. « Comment il s’appelait ? » Histoire de pouvoir poser le regard sur sa plaque commémorative en priant pour que tout se passe bien lui là où il est, mais aussi pour montrer à Anwar qu’il n’en avait pas rien à faire de cette histoire. « Enfin. » Chassant la discussion d’un haussement d’épaule l’inspecteur avait descendu sa bière, laissant assez temps à Lonnie pour remettre au propre les cartons de bouffe vides sur le bureau. « Et dire qu’à l’académie ils font pour nous vendre ce métier et nous en mettre plein les yeux. » Ironiquement le bleu avait soulevé ses épaules avant d’hausser un maigre sourire sur ses lèvres. « Mais est-ce qu’on aurait vraiment envie de faire quelque chose d’autre ? » Tout deux savaient que la réponse était non, et qu’une fois plongés dans ce corps de métier on finissait par ne plus pouvoir le quitter. « Je serais sûrement en taule si j’étais pas devenu flic. » Il ne fallait pas se voiler la face, Lonnie avait eu une enfance compliquée qui aurait très bien pu le faire basculer de l’autre côté de la barrière en un rien de temps.
La remarque de Lonnie lui avait donné à réfléchir un quart de seconde, et au bout du compte Anwar n’avait rien trouvé à rajouter lorsque le jeune homme lui avait répondu « J’espère qu’elle se termine bien. » aussi s’était-il contenté d’un sourire énigmatique qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi. Bien qu’il n’ait que très peu de souvenirs de ses premières années de vie dans le Penjab, l’inspecteur n’avait pas le moindre doute quant au fait qu’il avait hérité de la plus heureuse des versions qu’aurait pu être sa vie en étant recueilli par son oncle presque au pied levé. Parfois il lui arrivait de se demander quelle aurait été sa vie s’il n’en avait pas été ainsi, si son père n’avait pas eu d’autre choix que de le garder – ou de le mettre à la rue – mais généralement cela ne durait pas assez longtemps pour qu’il élabore des scénarios trop poussés à ce sujet … Anwar n’était pas le genre à se nourrir de Et si … et si ses relations avec son oncle et sa tante n’étaient aujourd’hui pas idylliques elles étaient ce qu’elles étaient, et il avait appris à s’en contenter et à tenter d’en tirer le meilleur parti. Une philosophie d’autant plus importante à garder en tête alors qu’il cherchait le meilleur moment pour leur annoncer sa nouvelle paternité à venir et s’attendait déjà à recevoir son lot de remarques acerbes et de regards réprobateurs, qu’il ne pourrait qu’accepter sans broncher puisque se sachant les mériter au moins un peu. Et parce qu’il était sans surprise beaucoup plus simple d’apporter des solutions aux problèmes d’autrui qu’à ses propres problèmes, Anwar n’avait pas manqué de distiller à Lonnie des conseils qu’il n’était pas capable d’appliquer lui-même, mais qu’il distribuait pourtant avec une infinie conviction. « T’en fais pas, je suis bien entouré dans ma vie personnelle. » lui avait alors assuré le rouquin, ajoutant « Ma copine est parfaite, elle m’aide beaucoup. » l’air de rien et arrachant à Anwar, faute d’un commentaire qui n’avait sans doute pas lieu d’être, un sourire bienveillant et un hochement de tête approbateur. Le bleu avait suivi ses conseils quant au fait de ne pas oublier de vivre pour autre-chose que son boulot, et le brun ne pouvait pas en être plus satisfait.
Trinquant à la santé de cet accord tacite qu’ils venaient de passer au nom de la bière et du saint houblon, et peu importe que leurs bouteilles soient déjà à moitié vides, l’inspecteur avait fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur, et accordé à Lonnie un brin des explications qu’il était venu quémander sans toutefois oser les réclamer de but en blanc. Personne n’avait envie d’avouer ne pas suivre les conseils qu’il distribuait à autrui, Anwar ne faisait pas exception, et s’il acceptait donc d’admettre ses actions il n’encourageait pas pour autant le jeune homme à suivre son exemple – diablement mauvais, pour le coup. Il avait fait une promesse qu’il n’aurait pas dû faire, et vécu un drame qu’il n’aurait pas dû vivre. Que personne ne devrait vivre, et qu’il souhaitait à Lonnie de ne jamais expérimenter lui non plus ; Celui d’assister impuissant au spectacle de la vie qui s’échappait d’un être auquel on était attaché, et de tous les souvenirs qu'Anwar gardait de cette nuit-là, le dernier regard que lui avait lancé Frank était celui qui l’empêchait encore certains soirs de trouver le sommeil. « Je suis désolé. » Bien qu'Anwar ait cessé de répondre à ce refrain trop de fois entendu, il était reconnaissant à Lonnie de ne pas réclamer plus de détails – sordides. « Comment il s’appelait ? » Laissant passer une seconde de flottement, qui lui avait semblé durer une éternité, le brun avait murmuré « Frank. » d’abord d’une voix éteinte, puis s’était senti obligé de répéter « Il s'appelait Frank. » une seconde fois, parce que Frank méritait mieux qu’une mention faiblarde et tremblante de son nom. « C’était pas simplement un bon flic, c’était … C’était vraiment quelqu’un de bien. » Mais Lonnie n’en aurait jamais la preuve et devrait se contenter de le croire sur parole, rendant la question quelque peu stérile. Laissant échapper un soupir, Anwar avait haussé les épaules et terminé sa bière sans faire de commentaire supplémentaire ; Il en avait assez de ressasser, il l’avait fait durant suffisamment longtemps. Maintenant il avait besoin d’agir.
Le rouquin avait profité du moment de flottement pour débarrasser vaguement le bureau, entassant les cartons de nourriture vides (ou presque) dans les sacs qui avaient servi à les amener en premier lieu, puis haussant les épaules avec la visible volonté d’alléger la conversation « Et dire qu’à l’académie ils font pour nous vendre ce métier et nous en mettre plein les yeux. » C’était vrai. Pour autant tenter de les plomber n’aurait probablement pas eu d’effet différent, car l’académie était peuplée d’une majorité d’idéalistes persuadés de participer à changer le monde, et très justement le jeune homme avait ajouté « Mais est-ce qu’on aurait vraiment envie de faire quelque chose d’autre ? » arrachant au passage un sourire songeur à Anwar. « Mon tout premier équipier n’arrêtait pas de me dire : tu sais que tu es un vrai flic le jour où tu réalises que tu ne saurais plus être autre chose. C’était un vieux briscard, on n’était pas d’accord sur tout, mais là-dessus je pense qu’il avait raison. » Et comme souvent c’était le genre de conseil à la mords-moi le nœud dont on ne comprenait la profondeur que bien des années après. Le vieux bonhomme avait rejoint le cimetière lui aussi, deux pontages n’ayant pas empêché son cœur de finir par lui faire défaut, mais le brun avait précieusement gardé cette maxime dans un coin de sa tête. Un peu de but en blanc, Lonnie avait fini par confier « Je serais sûrement en taule si j’étais pas devenu flic. » et plutôt que de s’en étonner l’inspecteur avait joué de fatalisme « Ouais, il parait que la frontière est souvent fine entre les deux … » Cela semblait paradoxal, et en même temps pas tellement. Et Lonnie possédait sans en avoir conscience quelque chose qu’Anwar aurait rêvé d’avoir « Une chance pour nous que tu aies décidé de pencher du bon côté de la balance … C’est plus rare qu’on ne le pense, ceux qui entrent ici avec une vraie vocation. Souvent elle vient après. » Anwar faisait partie de cette catégorie-là, ceux des flics à l’être devenus un peu par hasard, parce que l’occasion s’était présentée et que l’académie avait bien voulu de lui. Il aurait pu être n’importe quoi d’autre, au fond, mais rien ne l’aurait sans doute jamais pris autant aux tripes que ce métier qu’il avait appris à aimer. « Tu devrais rentrer, ta dulcinée va s’impatienter. » Offrant un sourire léger, il donnait au rouquin une occasion de prendre congé, tandis que dans son tiroir le dossier dans lequel il avait le nez avant cet interlude repas attendait d’être rouvert. « J’ai encore de la paperasse à finir. » Un mensonge qui n’en était pas vraiment un. Avant que le jeune homme ne passe la porte néanmoins Anwar l’avait interpelé une dernière fois « Lonnie ? Merci. »