Ca fait deux semaines que c’est le rush dans les bureaux de ABC. Un rythme de travail imposé par toutes l’actualité du Queensland et plus largement de l’Australie. Il y avait des périodes plus tranquilles mais là, il fallait avoir les yeux et les oreilles partout et j’avais demandé à mes équipes de ne passer à côté d’aucune nouvelles importante. ABC devait être sur le coup tout le temps et nos concurrents n’avaient pas intérêt d’avoir une information avant nous.
Je ne pouvais pas me plaindre de leur travail en ce moment, j’avoue que je n’ai pas grand-chose à redire et ce malgré toute la pression que l’on peut sentir.
« Asher, j’aurai besoin que tu relises toutes ces chroniques. » j’entre dans son petit bureau adjacent au mien avec un dossier assez épais dans les mains. Lorsque j’avais bien trop de papier à décortiquer, je demandais à Asher, mon assistant, d’en faire un premier tri. Je lui faisais confiance pour connaitre mes attentes et la ligne éditorial de ABC. Il me mettait de côté les bons, et viraient ceux qui ne méritaient pas d’être pris en compte. Puis, à mon tour, je relisais sa sélection, parfois, il se plantait, mais souvent, il visait juste. S’il y avait bien une chose pour laquelle je pouvais lui faire confiance, c’était ça. Par contre, le laisser faire les cafés, jamais…
« Qu’est ce que tu fais ? » je le vois s’agiter, vider son bureau, si j’en crois ce que mes yeux m’envoient en signale… « nettoyage de printemps ? » ce que j’espère. Mais j’avais surtout l’impression qu’il comptait quitter son poste sans préavis. Pourquoi faut-il toujours que lorsque les choses se passent bien, quelqu’un ai ce besoin d’équilibrer la balance avec des ennuis qui me tombent dessus ? Je pose le dossier sur son bureau. « Pour demain. » autrement dit : tu n’as surement pas intérêt à partir maintenant Asher Baxton.

Tous les jours c’est pire que la veille. Tu sais pas pourquoi tu t’imposes ça. Au début tu pensais que c’était la meilleure idée. Quand Hassan a réussi à te faire entrer dans cette boîte, c’était le piston de l’année. C’était ton ticket pour une vie normale. Comme tout le monde. Sauf que c’est pas toi. Etre devant un bureau toute la journée ou être le chien d’une connasse, c’est vraiment pas fait pour toi. T’as tenu un an. Ton penchant pour la boisson s’est empiré aussi pendant un an. Tous les soirs. C’est systématique. Après le boulot tu vas boire. Et puis t’as commencé à squatter le DBD, et puis tu t’es pris un job à temps partiel là bas. Ca t’a aidé à tenir. Parce que les bars, c’est ton truc. T’as bossé dans des bars et des pubs pendant des années aux débuts du groupe. La musique ne paie pas assez quand on commence. Sur la fin t’étais bien. Mais il a fallut que Trevor fuck up tout. Et toi t’es là. Un jour de plus. Devant ce putain de bureau. T’es encore hangover de la veille. T’es pas bien du tout. T’es arrivé en retard. Hier t’étais parti plus tôt. T’as mille truc à faire. T’es dépassé. T’as pas envie. C’est surtout ça. Pas envie de forcer. Pas envie de faire bien. Pas envie d’entrer dans le moule. « Asher, j’aurai besoin que tu relises toutes ces chroniques. »  Et tu sais pas pourquoi t’étais sûr qu’elle était en meeting toute la matinée cette conne. Mais non. Elle est là et sa voix te perce les oreilles comme si c’était un putain de couteau aiguisé. Tu te lèves. Tu veux te tirer. Tu veux plus ça. C’est un supplice. Tu veux la claquer, elle et sa voix nasillarde. Tu veux lui faire un high five avec une brique et dans ses dents. « Qu’est ce que tu fais ? » Ah ouais apparemment t’es en train de partir. Apparemment t’es vraiment en train de le faire. Tu n’as pas juste pensé. Tu agis aussi. « nettoyage de printemps ? » Parce qu’en plus tu prends le temps de remettre deux trucs en place. Deux trucs perso. Faut pas déconner. Des papiers que t’avais laissé trainer qui sont en rapport avec le DBD.  « Pour demain. » Elle a rien compris la conne. Tu la regardes dans les yeux un bref instant.

« Je démissionne. »

Au moins c’est clair. Et t’es déjà en train de tourner les talons après avoir recup les deux papiers que t’avais imprimé un peu plus tôt dans la semaine qui étaient au milieu de ton bordel.

 Je suis dans le déni total en déposant ce dossier sur le bureau d’Asher ou plutôt, j’ai foi en mon pouvoir de persuasion. Il va se calmer, il va s’asseoir et il va lire toutes ces chroniques qu’il me faut pour demain… ne fais pas l’idiot Asher. Nos regards se croisent enfin. « Je démissionne. » je secoue la tête. Est-ce que quelqu’un dans ce pays a déjà appris le droit du travail à tous ces merdeux qui se croient au dessus de tout ? Tous ces petits cons qui pensent qu’ils peuvent, parce qu’ils sont frustrés ou parce qu’ils n’ont pas ce qu’ils veulent ou qu’ils ont ratés leurs vies. « Ça ne se passe pas comme ça Asher. » Je le retiens puisqu’il semble avoir oublié qu’il avait un contrat et qu’il l’avait signé à son arrivée. «  Y a un préavis. Que tu veuille prendre tes cliques et tes claques c’est une chose, mais que tu puisse le faire quand tu l’as décidé, c’en est une autre. » je m’agace fortement. « Vous en avez pas assez d’être égoïste et de penser qu’à votre petite personne ? » ca fait écho au départ de Nathan pour qui je n’avais pas été si pointilleuse puisque je ne pouvais pas l’encadrer. Son départ était le bienvenue mais ce n’était pas le cas pour Asher. J’ai besoin de lui maintenant et il va s’arrêter ici pour terminer son travail. « Si tu pars, consides que tu fais un abandon de poste. Tu n'auras aucune indemnité par la suite. Je peux te griller pour une autre recherche d’emploi. Les nouvelles vont vites chez les recruteurs… » je tente, je promets que je tente de garder mon calme, mais c’en est trop. « La machine a café ne marche plus ? Tes conditions de travail sont vraiment si difficiles ? Bienvenue dans le monde du travail… du vrai. » que je lâche connaissant son passé de soit disant rock star que seule une poignée de fans attardés connaissaient. « Maintenant, tant que je n'ai pas de lettre sur mon bureau, tu te met au travail. »

« Ça ne se passe pas comme ça Asher. » Elle te fou la rage x 1000 avec cette simple phrase. Tu l’écoutes pas. Elle parle, mais t’es en train de vriller complet et t’écoutes rien du tout. Vaut mieux pas pour son bien à elle vu l’état dans lequel tu es juste avec ces quelques mots qui t’ont mis le feu aux poudres. Tu sais pas pourquoi tu t’es arrêté dans ton élan alors que si tu restes là tu vas juste dire un truc que tu vas regretter. Ou pire. Faire un truc. Parce que t’es encore assez alcoolisé de la veille, si tu te fais tester là tu vas être dans la merde. C’est sûr. Au moins t’as pas de drogue dans le sang parce que généralement tu fais plus ces trucs là. Généralement. Parce que Levi s’y apprête. Et si Levi le fait, toi aussi. Parce que tu le suis. Parce que t’aimes ça. Parce que tu perds toute raison quand il s’agit de lui. Parce que j’aime ça surtout. Ouais. Tu n’es pas raisonnable quand il est là tu te laisses aller à tes désirs les plus profonds… Trop souvent… Il est le diable en personne et c’est pour ça que tu l’aimes autant. « Maintenant, tant que je n'ai pas de lettre sur mon bureau, tu te met au travail. » Elle a pas fini de parler apparemment elle. Et tu secoues la tête. Tu dis rien. Tu tournes les talons et tu sors de là ou tu vas lui en mettre une en pleine face et ça, ça risque de vraiment te mettre dans la merde. Là vaut mieux que tu te tires. Que tu fasses rien. Que tu dises rien. Je veux lui en mettre une dans la gueule. T’en as trop envie, tu marches plus vite pour pouvoir aller frapper le premier truc que tu trouves loin d’ici. T’as besoin de te défouler. J’ai besoin de boire un verre aussi.

Est-ce qu’il vient vraiment de passer le pas de la porte et de me tourner le dos sans même me répondre ? Je crois bien que oui. J’y crois pas. S’il a décidé de jouer au rebelle, qu’il fasse, mais ailleurs. Pas sous ma direction, pas quand il travaille pour moi. Je sors à mon tour de son bureau, le suis du regard, et marche sur ses pas, le voyant marcher franchement, décidé. Qu’est ce qui peut bien lui arriver ? « C’est quoi ton foutu problème ? » Manque de confiance en lui ? Baisse de l’estime de soi ? Ego masculin touché d’être dirigé par une femme ? J’étais pas là pour jouer au psychologue et régler ses soucis. « Si tu pars, considère ça comme un abandon de poste. Et j’suis pas prête à signer ton licenciement de sitôt, ce qui veut dire qu’officiellement, tu bosses encore pour ABC, ce qui veut dire qu’officiellement, tu vas avoir des problèmes pour chercher du taf ailleurs. » je croise les bras, tente le tout pour le tout. « et si j’te licencie, se sera pour faute grave et j’te promets que le prochain employeur qui m’appelle pour savoir si t’es quelqu’un de fiable, j’vais pas manquer de lui dire que t’es un petit merdeux qui pense qu’à lui ! » parce que j’avais besoin de lui, besoin de ses compétences là et que s’il partait, c’est moi qui me trouvait dans la merde. Même si des personnes prêtes à travailler, j’en avais plein sous le coude, des CV à la pelle, c’est maintenant que j’avais besoin qu’il me lise ces chroniques, pas dans une heure ou deux, pas demain… maintenant. Et s’il dégage ce soir, c’est autre chose. Qu’il finisse au moins sa foutu journée. « C’était pas la peine de venir ou de te déranger pour ça. Si tu pars, tu prendras rendez vous pour récupérer tes affaires. Et on vérifiera ce que t’emporte avec toi. J’ai absolument pas confiance en toi. » qui sait ce qu’il pourrait garder sur un clé USB, quels dossiers il pourrait glisser dans son sac, quels articles il pourrait envoyé à nos concurrents. Il veut jouer, moi aussi.

Elle te suit. Elle croit qu’elle peut t’arrêter. Elle peut toujours essayer mais rien ne fonctionnera. Elle a pas compris que c’est pour son bien que t’es en train de fuir. Elle mérite juste des briques en pleine face. Rien que cette image te fait du bien mais non. Tu feras rien. Tu sais que ça en résulterait en de gros problème et t’as beau être enragé, t’as passé assez de nuits au poste pour savoir ce qui peut être retenu contre toi ou non. Là, même si c’est elle qui provoque rien que de part son existence, si tu lèves un tant soit peu la main sur elle, c’est fini. T’es au fond du trou pour tu ne sais combien de temps. T’es tellement sûr qu’elle a des connexions en plus et qu’elle s’en servirait pour que tu te manges le prix le plus fort. Nope. Tu tombes dans dans ce piège, tu l’entends qui parle mais tu n’écoutes rien. Tu avances. Rien que tu avances encore et toujours. Tu t’éloignes de cette envie de lui emplâtrer la gueule. Tu as tellement accumulé depuis que t’as mis les pieds dans ces locaux le premier jour. Tu sais au fond que c’est pas totalement sa faute à elle. T’étais pas dans ton élément ici. C’est pas ta vie. C’est pas toi du tout. Et le fait qu’elle te mette mal à l’aise de par sa simple présence n’a pas aidé et tu mets toute ta réaction actuelle sur son dos. Parce qu’elle représente ce boulot ici. C’est elle la figure d’autorité que tu dois écouter tous les jours depuis un an. Comment t’as tenu Asher ? Je sais pas. Parce que clairement là t’es en train de péter un gros cable. Tout ce que tu as gardé en toi depuis ces longs mois. Comment t’as tenu Asher ? Je sais pas. Mais là c’est fini. Tu mets un pied dehors et l’air sur ton visage te donne l’impression d’être libéré pour du bon. Un poids s’enlève de tes épaules. Tu remettras plus jamais les pieds ici.

Il me répond toujours pas, je suis transparente, insonore, je sais pas, ca m’rend dingue qu’il me calcule pas comme ça. Il avance, déterminé vers la sortie de ABC, comme si chaque mot que je prononçais n’avaient aucune importance. Asher se moque totalement de moi et il pouvait être sûre que je n’allais pas laisser passer ça. « La sécurité aura ordre de ne plus te laisser entrer ici. » il doit s’en foutre totalement, mais j’arrive à cours d’arguments. Je le suis à la trace, je suis son ombre jusqu’à cette porte qui s’ouvre devant lui. Hors de question que je mette un pied dehors ensuite. « Tu le regretteras Baxton ! » Chacun des jours de son préavis sera décompté de sa fiche de paie, pas question d’être payé alors qu’il nous la met totalement à l’envers. La porte se referme devant moi alors qu’il semble être déjà bien loin. « Merdeux ! » que je laisse échapper entre mes lèvres alors qu’il n’est plus en mesure de m’entendre. Merdeux, le mot était faible.
Je retourne dans son bureau pour aller mettre à la poubelle tout ce qu’il y avait laissé, peu importe son attachement à ces objets dont je n’ai jamais compris le sens pour lui. Il n’avait, de toutes façons, pas à ramener des effets personnels sur son lieu de travail. Je décroche son téléphone pour appeler la personne en charge de l’entretiens des espaces de travail. « Paul bonjour, merci d’envoyer quelqu’un au bureau 210 ABC Radio pour un ménage de printemps. » que je demande en glissant mon doigt sur le bureau poussiéreux. « au plus vite, merci. » je raccroche, et retourne à mon travail avec ma pile de dossier sous le bras… je n’avais plus qu’à trouvé quelqu’un qui pourrait faire le travail à sa place et en urgence.