Jour + 2500 depuis la fin du monde.
Joyeux anniversaire.
En quelques sortes.
C’est un jour rond. C’est cool les jours ronds.
Ca fait 7 ans.

Gabriel a six ans, lui. Il est né peu après le début de l’apocalypse. Il est né quand son père est mort, ou en tout cas quand elle n’a plus jamais eu de ses nouvelles. Elle sait qu’il ne les aurait jamais abandonnés tout comme elle sait qu’il est mort. Tout le monde finit par mourir de toute façon, ça arrive. Même ceux qu’elle aime. Surtout ceux qu’elle aime. Tim est un nom sur une liste bien trop longue à laquelle seul son enfant semble avoir réchappé. Les débuts étaient difficiles, à se sauver tant elle même qu’un nourrisson, à trouver de quoi le nourrir et de quoi le soigner. Heureusement que tout est arrivé sans prévenir et que personne ne voulait vraiment des produits pour enfants à ce moment à de l’apocalypse, alors la blonde a tout raflé et ainsi son fils a pu survivre. Ils ne sont restés que tous les deux, éloignés du reste du monde, parqués près d’Ayers Rock, aussi loin de la civilisation que possible. Elle lui a appris à reconnaître les constellations, à écrire de manière assez hasardeuse, à compter. Par dessus tout elle lui a appris à craindre les autres, à sauver sa vie sans jamais attendre sa génitrice, à reconnaître les Z les plus dangereux. Le nom de Bambi résonne dans sa tête en même temps que “mort”, bien loin de la douce image de biche avec laquelle Charlie avait grandi. Il s’agissait d’un autre monde, d’une autre mentalité. Il s’agissait de se soucier de l’environnement, de vouloir aller sur la Lune ou sur Mars, de rêver de grand. Désormais il s’agit seulement de survivre à défaut de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre dans la vie. Si Gabriel n’avait pas été là, sûrement que la blonde se serait laissée mourir au sommet de l’Uluru, attendant seulement que son heure arrive et que la Faucheuse ne l’accueille.
Pourtant aujourd’hui ils ont besoin de vivre, de trouver quelque chose de plus consistant à se mettre sous la dent et la seule manière d’y arriver est de retourner en ville. Charlie a attendu que le jour se lève, elle s’y rend avec son fils dès les premières lueurs du soleil. C’est dangereux, la ville. Moins dangereux que de le laisser seul. Il n’a que six ans et c’est donc son instinct maternel qui la pousse à le mettre derrière et elle le tenir entre ses mains lorsqu’une femme pointe un fusil en leur direction. “On veut pas d’problème. On vous laisse et on continue notre chemin, personne tue personne.” Oh mais quel magnifique plan, Charlie. Personne n’y aurait pensé.

Gabriel garde ses mains posées sur les cuisses de sa mère et cette dernière garde ses mains près de ses épaules pour l’empêcher de prendre des initiatives aussi peu censées qu’aurait pu le faire sa mère. Il risque néanmoins un coup de tête, elle sent sa joue frôler sa cuisse. Il est curieux mais pas vraiment aventureux. Elle lui a appris à ne pas l’être et de toutes les choses qu’elle voulait lui apprendre, la peur du reste du monde n’en faisait pas partie. Elle n’aurait jamais imaginé élever la chair de sa chair dans la peur. Le coeur de la blonde bat la chamade, ses jambes fuselées restent fermement ancrées dans le sol de peur que tout ne se dérobe. Elle ose un soupir de soulagement lorsqu’elle dit ne pas vouloir les tuer mais ne relâche pas totalement la pression pour autant. Mentir est si facile. Seulement quelques mots et tout peut basculer. L’arme s’abaisse et les bras de Charlie finissent par sa décrisper légèrement, pas assez pour qu’elle laisse Gabriel s’avancer. Il est l’être humain auquel elle tient le plus dans ce monde, bien avant elle même. Pour rien au monde elle ne risquerait de lui faire perdre le moindre de ses cheveux bruns. Les cheveux de son père. Les yeux de sa mère. Comme elle l’avait tant rêvé. Comme ils l’avaient tant rêvé. “Tu tiens genre une citadelle ? Je veux pas te spoiler le truc mais on est pas les méchants de l’histoire.” L’humour reste encore et toujours sa seule ligne de défense, elle qui a pris quelques muscles mais surtout perdu beaucoup de poids durant toutes ces années de survie intense. Toutes ces heures passées devant Man vs. Wild se sont avérées inutiles. C’est aussi la seule manière pour elle de jauger la personne à laquelle elle doit faire face. Son arme est peut être baissée mais en une seule seconde elle peut le relever et la viser elle ou Gabriel. En une seconde elle peut faire d’eux des morts ou des zombies, selon où elle vise. “On connaît pas de Noah. Recule ton arme s’il te plaît.” La Charlie de l’autre monde se serait donnée corps et âme dans la recherche de cet être qu’elle ne connait même pas, seulement par pure pitié et empathie. “On voulait pas aller là bas de toute façon, on est juste … de passage.” Mensonge, oui. Elle préfère ne pas lui avouer qu’elle avait comme seule intention d'empiéter sur ce qui semble être le territoire de la brune.

La première impression qu’elle se fait de l’inconnue réside dans une méfiance totale. Au delà de l’arme, bien au delà de l’arme. Son rire n’y change rien, ne fait qu’accentuer encore plus ses doutes envers elle. Plus personne en rigole désormais puisqu’il n’y a plus matière à. Personne n’aurait rigolé sur cette phrase lancée d’un ton pourtant si sérieux et qui n’avait nullement vocation à créer un rire. Elle parait si franche, pourtant, mais ses questions ne font rien pour arranger la méfiance de la blonde. Ce genre de questions se posent sans arrêt mais personne n’y répond jamais. Cela fait parti de la routine désormais. Avant elle aurait sauté les deux pieds dedans, expliqué qu’elle n’était qu’avec son fils âgé de six ans et qu’ils n’avaient personne d’autre. Et ç’aurait été le moment où elle aurait sorti un poignard de sa poche arrière et tué la mère avant de s’occuper du fils et de réserver ce doux repas pour les semaines à venir. Voilà la vie que l’Humanité vit désormais. “On est un groupe, on s’est tous séparés pour quelques minutes.” Quelques années aurait la bonne réponse pour la blonde qui a bien erré en groupe fût un temps, un moment dont Gabriel ne peut même pas se souvenir tellement il est ancien. Ce sont eux qui l’ont aidé à venir au monde, eux aussi qui leur ont demandé de les quitter pour ne pas avoir une bouche inutile à nourrir. Ca ne ramène pas de nourriture, un nourrisson.
La brune lève les mains en l’air, Charlie en profite pour reculer l’arme d’elles deux par un coup de pied bien placé. Pas d’arme, pas de peur. Pas de peur, pas d’actions précipitées et inconscientes. Sauf que la peur ne les quitte jamais, maintenant, pas même lorsque Charlie a un rire nerveux à l’évocation de sa crédulité. Oui, on lui a déjà dit qu’elle mentait mal, malheureusement. Heureusement, elle évite de répondre quoi que ce soit à ces quelques mots, peu désireuse de la laisser la connaître davantage.

Pourtant la brune se montre plus rapide que prévu, venant ramasser son arme pour non pas tirer sur la petite famille mais derrière eux, en plein sur un zombie. Charlie tente de garder un air sérieux mais l’enchaînement rapide la fait sursauter alors que le monstre aurait pu s’en prendre à Gabriel avant elle. La blonde ordonne à ce dernier de rester en retrait, de faire “comme maman t’a appris” pour scruter les environs et se laisse ensuite emporter à la suite de l’inconnue, pour le bon et le pire. Surtout le pire. “Je t’en dois une. Je t’aide pour ça et après on se sépare, on sera quitte.” Et elles seront seules à nouveau, chacune à leur manière, parce que c’est le monde qui le leur impose désormais. "Ton nom ?"

Impossible de lui faire confiance. Ni à elle ni à qui que ce soit d'autre sur cette terre. La confiance est un concept dépasse désormais, on parle seulement d'une méfiance un peu moins forte. Jamais personne ne laisserait quelqu'un d'autre avoir sa vie entre ses mains, le laisser maître de son destin. L'enfer ne fait plus peur à aucune ère humain maintenant qu'ils y vivent tous. Le soleil lui même a pris une teinte rouge lors de ses dernières années, à tel point que Gabriel ne la croit pas lorsqu'elle parle de son temps à elle dans lequel le soleil était jaune et les morts ... Morts.
La blonde ne sait pas quoi penser de l'autre femme dont elle trouve les répliques extrêmement puériles. Comme si aucun être humain n'en avait tué un autre, que ce soit dans ce monde ou le précédent. Les hommes se tient entre eux depuis toujours et cela ne changera certainement pas d'un simple claquement de doigts. Elle pourrait être prise d'une pulsion meurtrière et les tuer par simple plaisir. Ca arrive, ce genre de choses. Encore aujourd'hui. Surtout aujourd'hui.

Vexée, Charlie répond du tac au tac à la remarque rabzissante de la brune. "On s'en sort très bien jusque là." Ce n'est pas parce qu'elle a un air angélique qu'elle est forcément un ange. Elle peut se défendre. Elle sait se défendre. Been there. Done that. Elle a fait d'horribles choses dans le seul but de survivre. L'inconnue n'a pas le droit de la juger si facilement, pas même si elle lui donne son patronyme de façon si detachee. Se méfier de Jillian, compris.
Elle tend un fruit au garçonnet qui l'attrape de ses doigts encore pottelés. Il n'ose cependant pas la manger, tend un regard inquiet à sa mère qui hoche la tête en sa direction, lui accordant ainsi l'autorisation de manger un peu. Charlie. Lui c'est Gabriel. Le laissant manger le fruit, elle commence à aider la femme à rassembler ses affaires. "Faut amener tout ça où ? Tu vis seule ?" Solitude rime avec folie. Le monde rime avec folie, aussi.

La blonde accepte mal ses remarques, ses mots qu’elle choisit bien trop mal pour avoir l’espoir de paraître avenante. “Bizarre” de réussir à élever un enfant. Il n’y a rien de bizarre là dedans, seulement beaucoup abnégation et de patience. Ce n’était déjà pas facile dans l’ancien monde et ça l’est devenu encore moins maintenant, pourtant Gabriel est bien vivant et en bonne santé ; alors non, cela n’a rien de bizarre. “Depuis le début.” Les quelques mois passés en groupe ne comptent pas, surtout au vue de la manière dont ils les ont bien vite abandonnés, elle et son fils. C’est comme s’ils n’avaient jamais existé et sans doute aurait-elle préféré que ce soit le cas. Elle aurait vécu seule, aurait appris à survivre seule et n’aurait pas connu ce que c’est que de placer tout ses espoirs en quelqu’un pour qu’il les brise plus facilement dans la paume de sa main. Pourtant, entre les deux femmes il s’agit toujours d’un pas en avant et de deux en arrière et voilà que la brune se la joue moralisatrice, chose que Charlie déteste bien évidemment. “Si t’avais pas été là j’aurais tué cette chose moi même.” Le combat de coq, le combat d’ego, celle qui aura le dernier mot même si ce dernier ne fait plus aucun sens. Elles ont toutes les deux raisons, toutes les deux tort. Chacune commence aussi à compter sur la présence de l’autre pour redonner un peu de sens à sa vie et cela ne semble pas être chose aisée. L’esprit nomade de Jillian est au moins une chose qui la rassure. Il faut se mouvoir en permanence pour avoir une chance de survie, ne pas s’habituer au confort d’un seul endroit. La nourriture bouge, le monde bouge avec et les zombies derrière. Le cycle de la vie revisité. “C’est pas n’importe quel enfant. C’est le mien.” Et il vaut toute la compagnie du monde. “On vit tous les deux, ouais.” elle finit par avouer en chuchotant presque, alors que Gabriel se barbouille le visage avec le fruit offert par la jeune femme. “Tu comptes me faire passer un interrogatoire ou on peut prendre tes affaires et se casser ? Loin de moi l’idée de vouloir être au plus loin de ces choses, mais, ouais, c’est l’but.”

Oui ça fait long sept ans, merci Nostradamus, qu’aurait bien pu faire l’humanité sans cette brillante intervention de ta part ? Ses interventions agacent la blonde qui a perdu toute notion de sympathie avec le temps. Elle n’est plus cette étudiante ingénue qu’elle a été, maintenant elle est une survivante comme le monde n’en connaît pas assez malheureusement. L’Australie est un vaste pays dans lequel il est aisé de ne croiser aucune âme qui vive pendant des années à tel point que Gabriel a d’avantage vu de morts que de vivants et jamais elle n’aurait souhaité une telle vie pour son enfant. Pourtant elle arrive à canaliser sa rage bouillonnante contre l’inconnue et ramasse quelques une de ses affaires en silence, ne perdant pas une seule occasion d’en tâter les poches pour tenter de trouver une arme. Gabriel aussi veut aider, elle lui donne donc un petit sac à lui aussi et le trio se met en route tant bien que mal, entre deux remarques acerbes des femmes. Heureusement qu’elle les a sauvé en tuant ce zombie sinon elle serait repartie aussitôt, là laissant là elle et son foutu fusil qu’elle emmène partout, elle et ses foutus réflexions de merde.
Charlie avance prudemment, un pas derrière Jillian, vérifiant constamment les alentours avec la peur au ventre de tomber dans une embuscade. Le trajet se fait long, trop long pour elle qui n’avait rien prévu de tout cela. Gabriel se retrouve derrière elles, à la traîne, à de trop nombreuses reprises à son goût. Il se fatigue vite, n’a pas l’habitude de la marche. Le chemin arénacé n’arrange rien à leur périple, leurs pieds s’enfonçant toujours plus rapidement dans le sable. Ce même sable qui vole dans leurs yeux et entre leurs habits. Quelle idée de merde que de créer une ville si près de la plage.
“Monte en premier.” La blonde ordonne, trouvant que le coup du verger et de sa petite cabane au beau milieu de nulle part a quelques airs d’irréel. Des airs de traquenard. Un groupe les attend peut être en haut, armé jusqu’aux dents. Ou une branche pourrie. Ou un champignon mortel. Vaut mieux risquer la vie d’inconnus, c’est plus safe comme elle le dit elle même.

Jillian arrête d’être une connasse pendant un instant et pose les quetsions qui fâchent. Ce sont ces mêmes questions dont personne n’a réellement envie de connaître la réponse parce que ça ferait mal de l’entendre à voix haute. Elles savent toutes les deux que c’en est de même pour le reste du monde, pourtant, se l’avouer reviendrait à perdre tout espoir et elles ne peuvent pas se le permettre. L’espoir est leur seul moteur, la seule chose qui les pousse à continuer de cherche de quoi survivre quelques heures de plus dans le seul but de connaître un avenir meilleur, un jour. Peut être. Avec un peu d’espoir. Beaucoup trop d’espoir pour que ce ne soit crédible. “J’espère pas.” qu’elle se contente de dire, parce qu’au fond elle préfère éviter de répondre à la question. Si le monde entier n’avait pas succombé, on serait venu les sauver. Quelqu’un serait venu, en sept ans. Personne ne l’a fait. Ils sont tous morts. Voilà ce que ça veut dire. Même Charlie l’optimiste n’a plus aucun espoir et elle se contente de souffler doucement.
Jillian monte, ses affaires suivent et c’est enfin au tour de Charlie qui veut vérifier que tout va bien avant de faire monter son fils. Son regard se pose dans le petite cabane abandonnée, elle en tête le sol qui a l’air encore solide et en vient à la conclusion que ça pourrait être bien pire que ça. Elle redescend à son tour, enjoint Gabriel à monter sur l’échelle tout en prenant garde à ce qu’il ne tombe pas, l’aidant parfois à reprendre ses appuis sur les barres de bois. “On reste ce soir. Après on se sépare.” La seule raison de son changement de décision c’est Gabriel, bien sûr, quoi d’autre ? Elle ne donnera jamais sa confiance à cette inconnue ni à un aucun autre. “Tu penses quoi toi ? Pour le reste du monde ?”

Encore heureux qu’elle peut faire ce qu’elle veut. Il ne manquerait plus que Jillian soit une folle psychopathe en manque d’attention et qu’elle les force tous les deux à rester dans leur tour de bois (à défaut d’avoir la tour d’ivoire). Hors de question. Une nuit de sommeil à peu près en sécurité et tous les deux reprendront leur route aprce que c’est ainsi que va la vie. Gabriel ne parle pas, comme elle lui a répété tant de fois de ne jamais rien dire à personne d’autre que sa mère. Ne rien dire pour survivre, la laisser décider de leur destin pour le meilleur comme pour le pire. Même si l’inconnue leur laisse sous entendre qu’ils peuvent rester plus longtemps, rien n’est moins sûr dans l’esprit de Charlie. La confiance est devenu quelque chose de surperflu et ce n’est pas parce qu’elles ont fait cinquante mètres ensemble qu’elles vont devenir les meilleures amies du monde. Le problème est surtout que si Charlie se trompe elle ne met pas seulement sa vie en danger mais celle de son enfant aussi.
La blonde installe le chérubin dans un angle, se pose près de lui tout en positionnant son sac sous ses jambes. Toute sa vie est condensée dans ce simple sac et elle ne compte pas fermer les deux yeux cette nuit. Un vol est si vite arrivé, un coup de couteau aussi, un enlèvement encore plus. Cela ne l’empêche pas de faire la discussion à la seule personne adulte qu’elle ait vu depuis longtemps, cependant. Cela n’engage à rien. ”T’as regardé trop d’films. Ca n’arrive que dans les films. Ou alors on est vraiment dans la merde.” Impossible pour la blonde que d’aligner deux mots sans se moquer de son interlocutrice, c’est plus fort qu’elle. Son attention se reporte sur Gabriel et elle vient caresser ses cheveux un instant. ”Il sait lire, écrire, compter. Il a appris les constellations pour pouvoir se repérer.” Elle n’en dévoile pas trop, qui sait le moins sait le plus. ”Tu as un enfant ? Tu en avais un ?” Sses doigts se perdent maintenant dans le cou de son fils, le caressant doucement.