Jim était aussi odieux qu’ivrogne, et les deux conditions étaient en général étrangement liées. Petit homme rabougri, à l’âge défiguré par l’alcool, il venait quotidiennement s’accouder au comptoir du bar pour noyer son chagrin et faire étalage de son machisme. Scarlett contribuait à son déclin sans se sentir coupable pour autant, et s’étonnait chaque fois de le trouver plus tassé et incohérent chaque jour. Elle trouvait pourtant les conversations avec lui d’un incroyable divertissement, et se complaisait toujours à répondre à ses remarques provocatrices par des insultes qui semblaient le réjouir, voire même le faire jouir tout court. Matt les surveillait souvent du coin de l’œil, d’un air à la fois amusé et inquiet, comme s’il craignait à chaque instant que Scar puisse bondir de l’autre côté du bar et plaquer l’homme abject au sol pour le ruer de coups. C’était une idée qui, quoique pas totalement irréaliste, n’avait pas traversé l’esprit de la jeune femme, apaisée par l’évidente tristesse d’une vie monotone que le pauvre homme tentait vraisemblablement d’oublier dans une consommation excessive de bière pression. Ce soir-là, Scarlett était particulièrement coopérative et serviable, une anomalie qui n’était pas passé inaperçue du côté de Matt, qui ne perdait jamais une occasion de la taquiner. Elle se contentait de hocher les épaules avec une mine ingénue qui lui collait si mal à la peau. C’était un jeu pour lequel ils ne s’embarrassaient plus à compter les points. Sa vie n’était pourtant pas plus agréable que d’ordinaire, mais la pression énorme qu’elle transposait toujours plus sur Matt avait fini par lui donner des allures de routine. Pour une fois, elle avait l’impression d’être à flot, et se surprenait à être beaucoup moins à cran que lors de ses mois de galère, à jongler entre semblant d’amabilité au bar et innocence lascive devant la caméra. Derrière ses railleries Matt intercalait des compliments déguisés, juste assez subtils pour ne pas enjoindre la jeune femme à se reposer sur ses lauriers. Scar n’y voyait que du feu, et elle badinait comme rarement, toujours avec des gestes tendres qu’elle ne se voyait même plus faire. Du moins jusqu’à ce qu’une voix familière ne perce le brouhaha, comme un rappel strident que la débauche n’était jamais très loin. Jill s’avança conquérante jusqu’au bar, comme si le fait que son frère en soit propriétaire lui octroyait un quelconque traitement de faveur. Et elle avait raison, parce que Scar ne se fit pas prier pour lui verser elle-même un verre de coca qu’elle noya généreusement dans le rhum. « T’as pris quoi avant de venir ? Je croyais qu’on devait toujours être à égalité pour commencer une soirée ! » déclara-t-elle faussement offusqué de constater que, depuis le temps qu’elle était revenue, Jill n’avait pas compris qu’elle et son frère travaillaient ensemble. « Je bosse ici je te rappelle. Donc ça fait genre 10 mois que je suis là. » précisa-t-elle tandis que son amie s’enfilait déjà son verre à une vitesse qu’elle ne pouvait concurrencer, en prenant soin d’ignorer ses allusions à peine subtiles sur la relation qu’elle espérait secrètement la voir entretenir avec son frère. La soirée s’annonçait festive, limite excessive. Mais l’excès était le propre de Jill, et Scarlett avait appris à composer avec les humeurs passionnées de son amie. Ni une ni deux Scar avait détaché son tablier qu’elle abandonna dans les bras ballants de son patron. Il avait été prévenu, et Scarlett ne se confondit à peine en explications. « Je passe le relais, c’est girls night ce soir ! » et d’embarquer la main de Jill pour l’extirper de la moiteur du bar, très certainement pour aller respirer un air tout aussi chargé en transpiration et effluves d’alcool. Bras dessus bras dessous, les deux jeunes femmes se dirigèrent victorieuses vers une destination encore inconnue. « Bon, faut se trouver un plan de fou. Ça fait trop longtemps !

Jill était d'une intensité que personne n'avait jamais réussi à dompter. Sans trop se poser de questions, mais tout de même alarmée par les quelques réminiscences de leurs abus de jeunesse, Scar la suivait en trépignant. Son amie figurait dans ses meilleurs souvenirs autant que ses meilleures absences de souvenirs, et même si Scarlett se targuait d'avoir changé, elle était rassurée de constater que Jill demeurait la même. Une vague d'énergie inexorable qui emportait tout sur son passage, à commencer par les quelques élans de maturité de la cadette des Warren, heureuse de pouvoir souffler un peu sans se soucier des conséquences. De toute évidence Jill avait débuté la soirée de façon précoce, et les quelques infos qu'elle avait bien pu glaner étaient déjà relayées à l'arrière de son cerveau. Elle était déterminée à faire la fête, ce qui n'était pas pour déplaire à Scarlett, bien ravie de ne pas devoir se défendre sur le genre d'intimité qu'elle entretenait avec son frère au quotidien. Vivre sous le même toit sans coucher, c'était inconcevable selon la tempête McGrath, et bizarrement d'autant plus lorsqu'il s'agissait de son frère. Elle avoua bien vite ses méfaits, et aussi les failles de sa mémoire, ce qui amusa Scar plus que ça ne la vexa. Cette dernière gloussa à la remarque de son amie, qui avait sans doute oublié également que tous les membres de sa famille ne se valaient pas. « Oh tu dirais pas ça si tu avais ton père comme patron. » ironisa-t-elle en le fixant d'un air taquin. Pour autant Jill avait raison. Matt était le patron idéal, et bien plus encore pour la femme constellée de défauts qu'elle était. D'autres en avaient fait les frais et n'avaient pas fait preuve d'autant de patience. Il l'employait et la logeait. C'était un saint à ses yeux, avant d'être un ami cher. Jill acquiesça rapidement, mais c'était bien la première fois qu'elle était à court de plans. « Je sais pas, t'as pas un pote DJ qui mixe à une soirée dans le coin ? » demanda-t-elle, surprise et narquoise à la fois. Leur pérégrinations les menèrent bientôt sur les rives du fleuve, où les gens profitaient de la fraîcheur de la soirée pour s'enivrer d'alcool et de musique. Elles passèrent près d'un arbre, et Scar ordonna à son amie de faire une halte. « Attends je peux pas me trimbaler habillée comme ça. » dit-elle en signifiant ses guenilles de serveuse. Quoique pour beaucoup ce serait déjà bien assez, Scar ne pouvait se contenter de ce pantalon en cuir et de ce top tout à fait basique qui ne mettait pas ses seins assez en valeur. Et puis elle portait des chaussures plates. Des chaussures plates ! Elle déposa son sac au sol et s'appuya contre l'arbre pour se déchausser, avant d'extirper des escarpins noirs et un chemisier façon satin, tandis que Jill l'observait interloquée. « Bah quoi, tu sais bien que je suis toujours parée pour l'occasion. » expliqua-t-elle en troquant son top, sans se soucier une seconde de se montrer en soutif devant des yeux qui passeraient par là. « Et c'est pas avec ce haut que je vais me faire payer des verres. J'ai des escarpins dans mon sac, pas de place pour un porte-monnaie. Faut faire des choix dans la vie. » Et Jill approuverait sans doute les siens.

« Matt ne donne pas d'ordres, ils donne des consignes. » corrigea-t-elle, fière de se donner des airs sages alors qu'elle savait aussi que cette citation était trop bien ficelée pour venir d'elle. Cela dit Scarlett partageait sans trop de mal la révulsion de son amie à l'idée d'être la subalterne de son aîné maintenant qu'elles étaient en âge de contester légitimement leur autorité. Elle s'imaginait très mal faire le larbin de Marius, quand bien même il consentirait à lui offrir un salaire bien plus attractif que celui dont elle bénéficiait en tant que serveuse. L'argent n'achetait pas sa dignité. Enfin, quand ça arrangeait bien son égo... car Tommy lui dirait certainement le contraire, même s'il n'osait plus aborder le sujet tabou de ses activités frivoles devant sa webcam. Jill déroula la liste de leurs options tandis que Scarlett achevait de parfaire son look en se peignant les lèvres à l'aide du reflet de son portable. Le mépris qu'elle afficha pour les soirées étudiantes était sans doute plus un coup de bluff qu'un véritable revirement des ses principes, mais Scar se contenta d'opiner. Au fond, elle était assez d'accord pour dire qu'elles méritaient mieux qu'une soirée de beuverie qui se terminerait de façon précoce dans un appartement trop petit pour qu'elles ne puissent profiter d'un petit déjeuner à l’œil le lendemain matin. « T'es magnifique ma chérie, avec ça on rentrerait même au Berghain. » déclara-t-elle avec une once d'exagération, même si elle était juste assez narcissique pour trouver qu'elle et Jill faisaient une sacrée paire. « Putain moi aussi ! Et pourtant on m'a payé des tournées. » Jill la connaissait assez pour ne pas trouver cette remarque totalement absurde. La serveuse qui se faisait payer des coups. C'était l'illustration parfaite de l'opportunisme dont Scarlett pouvait faire preuve sans le moindre scrupule. « Ah mais attends... » dit-elle en fouillant à nouveau dans son sac enchanté pour en extirper une flasque de whisky. « Au bon temps ! » s'exclama-t-elle avant de boire une bonne lampée, et de tendre le reste à sa comparse. Elles arrivèrent bientôt vers un yacht stationné au large des berges, certainement moyennant une bonne liasse de billets plutôt que pour de nobles desseins. La musique battait son plein à l'intérieur, et Scar soupçonnait les cachetons de passer de main en main avec autant d'abondance que l'alcool. Deux silhouettes masculines s'approchaient au loin, et Scarlett barra la route de son amie pour ne pas s'approcher trop près de la passerelle. « Bon c'est maintenant ou jamais. » avisa-t-elle en bombant ses seins et secouant la tête pour dégager ses cheveux derrière ses épaules avec sensualité. La jeune femme était aussi douée pour deviner des personnalités que pour en tirer profit. Et il ne fallait pas beaucoup de talent pour entrevoir ce qui se cachait derrière ces polos et ces chaussures bateaux. Deux jeunes richards qui se croyaient assez irrésistibles pour se payer leur compagnie, et qui imaginaient les deux femmes assez dociles pour finir dans leurs lits. Scarlett espérait bien leur donner raison tout de suite pour pouvoir au moins profiter de leur naïveté. « Salut les gars. » dit-elle en se dandinant comme une ingénue. « On est un peu perdues, vous savez pas où on peut faire la fête dans le coin ? » Ou comment jouer à la fille facile pour parvenir à ses fins. Après tout, elle ne faisait que se servir des préjugés misogynes dont elle était inéluctablement victime.

Jill marche à la vitesse de celle de Scarlett. Elles se sont vite échappées pour profiter de leur soirée au maximum. Ca lui a manqué les virées avec son amie de longue date. Et elles parlent du boulot, Scarlett travaille au DBD et Jill ne se voit absolument pas travailler avec son frère, mais la remarque de la brune la fait sourire. "Peut-être que je débarquerai un jour pour bosser là-bas, on se verrait tout le temps comme ça." un clin d'oeil. Mais pour l'instant elle aime bien son job, ce n'est pas très reluisant mais le monde de la nuit est celui qu'elle aime le plus. Et elle faisait des fêtes d'enfer avec les clients du bar à strip-tease. Et pas mal d'argent aussi, bien plus d'argent que si elle travaillait pour son frère. "Nous deux, habillées comme ça, on nous refusera nul part." elles le savaient les deux femmes qu'avec leurs atouts, elles pouvaient entrer dans les meilleures soirées de la ville. "Chanceuse, moi c'est mon frère qui m'a offert ma tournée !" Jill lève les yeux au ciel et soupire un peu. Elle compte bien remédier à ça et se faire payer une tonne d'alcool par tous les mecs qu'elle trouvera à son goût. Elles avancent et se baladent sur le port. C'est assez long, et il n'y a pas vraiment de bruits aux alentours. Mais Scarlett remarque quelque chose et se place devant Jill. Elle fait comme son amie et replace sa poitrine et ses cheveux. Elle la connaissait la Scarlett qui avait repéré sa proie, et elle avait confiance en le jugement de la jeune femme. Un sourire carnassier sur les lèvres et Jill trinque avec son amie en buvant une gorgée de whisky. Et un sourire niais se plante sur son visage quand elle s'agrippe au bras de Scarlett pour rejoindre deux inconnus. "On est pas d'ici, on cherche de la compagnie pour nous éclater ce soir."  Jill mordille sa lèvre inférieure. Elle sait exactement quoi faire, et comment le faire. C'est presque trop facile, presque ennuyeux quand on y réfléchit bien. "Deux filles comme vous seules dans la coin ?" Jill hoche la tête, et fait la moue."C'est une tragédie non ?" elle se détache de son amie pour capter le regard de celui qui a l'air de la reluquer un peu plus que l'autre. "Vous aimez les bateaux les filles ?" Jill ne détourne pas le regard mais elle hoche la tête. Le bras du type passe autour de l'épaule de Jill et elle envoie un clin d'oeil à Scarlett. Que la soirée commence. 

Ensemble, les deux jeunes femmes irradiaient. Scarlett avait presque failli oublier cette euphorie que lui procurait leurs soirées de débauche. Leurs corps en mouvement avaient un effet aérodynamique. Un déferlement d'érotisme et de conviction qui terrassait n'importe quelle volonté masculine. Jill fit preuve du même aplomb présomptueux, et Scar ne put s'empêcher d'opiner avec un regard lubrique et complaisant. Individuellement, on leur refusait rarement quelque chose. A deux, on ne leur refusait rien. Comme deux coqs en rut elles bombèrent la poitrine, et la lueur d'audace dans leurs yeux s'intensifia. En dépit de leur évidente naïveté, leurs deux victimes n'étaient pas si désagréables à convaincre. Les deux hommes étaient grands. L'un était charpenté tandis que l'autre, sans avoir l'air frêle, avait une allure raffinée jusqu'au bout de sa moustache. Scarlett avait choisi sa cible, et contre toute attente elle laissa le plus baraqué à Jill, car elle devinait dans les yeux du plus petit une ambition dominatrice. Cette dernière surenchérit, et Scar aurait pu jurer qu'elle avait essayé de singer un accent étranger. Difficilement elle s'était retenu de rire, et profita de ses quelques instants de silence pour jouer la potiche, enroulant ses cheveux autour de ses doigts. Quelques mots de plus et les harpies resserrèrent leur emprise, toutes griffes vernies dehors. Scarlett étira un sourire carnassier, et dans ses yeux pétillait une joie candide, lorsqu'on les questionna de façon rhétorique sur leur amour des bateaux. Si elle devait être franche, elle n'en avait aucun foutue idée, mais elle devait avouer avoir une folle envie de le découvrir. « On adooore les bateaux ! » s'exclama-t-elle d'une seule voix, sachant pertinemment que Jill ne lui en voudrait pas de lui avoir coupé l'herbe sous le pied. On les invita à les suivre, et les deux femmes s'exécutèrent aussitôt, talonnant les deux hommes après avoir échangé entre elle une œillade complice et ravie. Le vigile s'écarta comme la mer rouge devant Moïse sur leur passage, et Scar se retint de pouffer de triomphe. Les fumeurs se massaient sur le pont, crachant par-dessus la rambarde leurs nuages toxiques que la brune huma allègrement en chemin, avant de s'engouffrer au cœur de la fête. Sans surprise l'intérieur du bateau était somptueux, et l'ambiance aussi dépravée que dans ses fabulations. Des dalles lumineuses et colorées jonchaient le sol pour délimiter la piste de danse, et au fond les invités se pressaient au bar. Scarlett attrapa à la volée une coupe de champagne qu'une serveuse offrait de façon un peu trop ostentatoire sur un plateau argenté. Elle hocha les épaules face à l'incrédulité de Jill, avant de l'engloutir d'une seule traite. Que c'était bon d'être riche. Et ce champagne avait un goût aussi savoureux qu'il était gratuit. Entreprenante, Scarlett attira son amie avec elle sur la piste, non sans avoir commandé des rafraîchissements au préalable. « Les garçons, on va danser. Vous allez nous chercher à boire ? » Et elles disparaissaient déjà dans la marée humaine comme deux poissons dans l'eau.

La soirée commençait bien. Elles étaient de nouveau toutes les deux à faire des tas de projets sur ce qu’elles allaient pouvoir faire de leur longue nuit. Bar, boite ? Bien trop simple pour Scarlett et Jill. Alors elles se retrouvent sur le port, à chercher la meilleure des idées pour passer une soirée et une nuit de folie. Et, bingo, un bateau. Il n’y a que les gens riches qui font des soirées sur ce genre de yacht. Alors Jill affiche son plus beau sourire en s’accrochant au bras de Scarlett. Elles vont entrer dans cette soirée. Parce qu’elles ont toujours tout ce qu’elles veulent les deux jeunes femmes.

Les 2 types sont sur le pont. Et elles ont leurs proies les deux brunes, c’est déjà trop tard pour eux, et ils ne le savent même pas. Elles sourient, elles chantonnent, elles utilisent les voix les plus niaises qu’elles ont en banque. Ca marche toujours très bien, presque trop bien. En moins de 5 minutes elles sont sur le fameux bateau. Alcool gratuit, fête jusqu’au petit matin, tout ce qu’elles voulaient pour ce soir. Jill regarde son amie avec son plus beau sourire. Quelques minutes plus tard, Jill lève les yeux au ciel quand Scarlett se retrouve avec un verre de champagne à la main. Mais, bien évidemment, elle fait la même chose. Et en moins de 10 secondes le verre est déjà fini. Elles pourraient sûrement vider à elle deux tout l’alcool qu’ils ont prévu pour la soirée.

Et elle se fait entraîner dans la foule par son amie. Elles finiront peut-être pas revoir ces deux mecs charmants, mais, pour le moment, elles comptent bien se déhancher sur la piste de danse. “C’était presque trop facile.” Elle hausse un sourcil en se rapprochant un peu de la brune pour que sa voix passe par dessus la musique. “Tu leurs as dit de ramener la boisson la plus alcoolisée qu’ils ont sur ce bateau ?”  

La piste de danse s'embrasait sous leurs pieds. Les effluves d'alcool et de transpiration se mêlaient déjà dans l'air, formant un cocktail primitif que Scarlett trouvait dangereusement aphrodisiaque, si bien qu'elle lorgna autour d'elle en quête d'un corps avec lequel communier. Leurs regards admiratifs se promenaient d'un recoin à l'autre du bateau pour s'imprégner à jamais de cette ivresse mondaine à laquelle elles étaient peu habituées. Tous ces gens transpiraient l'argent jusque dans les coutures de leurs vêtements. Les robes à sequins et chemises ajustées criaient à la jeunesse dorée de Brisbane. Un nuage d'euphorie flottait par-dessus les projecteurs, et les dalles lumineuses changeaient de couleur à en faire jalouser un épileptique. L'une contre l'autre, les deux amies se mouvaient lascivement au rythme de la musique dans l'attente impatiente de leurs rafraîchissements. « Merde, tu crois qu'ils vont nous amener des cocktails de fillettes ? S'ils font ça je les butte. » répondit-elle en se penchant à son tour à l'oreille de Jill, les mains en paravent autour de sa bouche. A côté d'elles, des sachets s'échangeaient discrètement d'une main à l'autre. Les comprimés multicolores l'appelaient, et Scar se risqua à dévisager ceux qui en profitaient avec une lueur de supplication dans les yeux. « Vous avez pas un peu de cam pour deux amatrices ? » demanda-t-elle ingénue à sa voisine, demie portion aux cheveux courts décolorés. La drogue était distribuée librement, à en juger par l'intensité avec laquelle les gens dodelinaient de la tête au gré des basses. La jeune fille, à peine sortie de l'adolescence, chercha l'approbation dans le regard de ses amis. Pendue à sa réponse, Scarlett avait retenu son souffle. Après quelques secondes d'un flottement insoutenable, elle s'avisa de leur faire l'inventaire de ce qu'elle avait en rayon. « MD, C, LSD... » déroula-t-elle tandis que Scar jeta une œillade avide à sa comparse. « Tu en dis quoi ? » interrogea-t-elle pour laisser à Jill l'embarras du choix. Toutes ces lettres lui semblaient aussi affriolantes qu'elle connaissait leurs effets sur le bout des ongles, et si certaines lui parlaient plus que d'autres, elle n'avait pas envie de bouder son plaisir. Les deux hommes se matérialisèrent bientôt à côté d'elles, les mains chargées de pintes de bière. C'était bien assez pour contenter Scarlett, même si elle les soupçonnait d'être un peu radins sur le prix qu'ils étaient disposés à dépenser pour leurs services. Elles valaient bien du champagne plutôt que de la bière. « Trop cool, merci les gars ! » s'exclama-t-elle en s'emparant sans scrupule de sa pinte, et d'en avaler une gorgée généreuse. Elle lécha sensuellement la mousse qui lui recouvrait le lèvre supérieure, sans plus leur accorder la moindre attention. Maintenant, elles devaient se faire désirer, et à en juger par l'insistance avec laquelle ils avaient envie de s'imbriquer, leur technique portait leurs fruits.

Elle danse déjà à se donner des vertiges Jill. Elle rit à gorge déployée et les deux femmes attirent déjà les regards de la moitié de l’assemblée. Un vrai bonheur. Elle s’amuse à faire des clins d’oeil, elle joue de son regard et de ses hanches quand un mec avec sa copine la regarde un peu trop longtemps. Et surtout, elle reste proche de Scar avec qui elle sait déjà qu’elle va passer une soirée mémorable. Elles parlent déjà d’alcool, elles sont bien trop sobre pour une heure si tardive, il va falloir remédier à ça tout de suite. Elles attendent parce que 2 types doivent leur ramener à boire. Ils sont terriblement long et Jill commence à s’impatienter alors qu’elle attire l’attention de Scarlett pour lui crier quelques mots à l’oreille pour passer au dessus de la musique. “Si ils reviennent avec un cocktail on peut toujours leur verser sur la tronche.” Mais elles risqueraient de se faire virer du bateau et ce serait dommage pas vrai ?

Des sachets s’échangent, les pilules et la poudre passent de main en main et Jill capte le regard malicieux de Scarlett, elles ont le même idée, bien évidemment, comme toujours. Et la brune pose la question en première alors que Jill sourit en analysant déjà la marchandise. Elle est connaisseuse, et elle compte bien ne pas se faire avoir même si c’est gratuit. “MD” Elle lui demande son avis en connaissant déjà sûrement la réponse. Jill a toujours eu ses préférences, et Scarlett le sait. Alors elle attrape rapidement une pilule, et la soirée commencera vraiment quand elles les auront avalé. Les deux types arrivent avec des bières et Jill sourit de nouveau, le sourire le plus niais qu’elle ait en banque. Elle boit quasiment la moitié de sa bière alors qu’un des type se place déjà derrière elle. Elles se feront désirer, parce que c’est ce qu’elles font de mieux. Elle se pose de nouveau à l’oreille de son amie. “J’en ai pris deux.” Et elle ouvre la main pour montrer les deux pilules.  

Les regards qu'on leur jetait avec insistance auraient très bien pu être dédaigneux s'ils n'étaient pas essentiellement masculins. Scarlett était encore assez perspicace pour comprendre qu'elle et Jill passaient pour des bêtes curieuses avant tout parce qu'elles n'avaient jamais foulé cette piste, et pourtant elle s'amusait de ce pouvoir d'attractivité sans la moindre parcimonie. Leurs dégaines aguicheuses détonaient bien plus que leur cupidité dans cette orgie d’opulence. Elles buvaient à l’œil grâce à des promesses tacites qu'elles se réservaient le droit de rompre, et profitaient même de le drogue qui s'échangeait à profusion comme on leur aurait offert des bonbons dans un Uber. Scar n'avait pas le moindre scrupule à leur arracher un argent qu'ils ne comptaient de toute évidence pas, et pouvait au moins se décharger d'une potentielle déception au cas où l'ecstasy serait de mauvaise qualité. Car c'était sur cette pilule que Jill avait porté son choix. Choix qu'elle avait aussitôt approuvé d'un petit rictus, après avoir tout de même remercié leur fournisseuse d'un geste un peu candide de la tête. Elle tourna le dos, tandis que Jill lui révéla le trésor qu'elle avait dérobé à la volée au creux de sa main. Elle éclata d'un rire triomphant qu'elle s'efforça de contenir aussitôt. « Bon choix, je valide. » déclara-t-elle en picorant dans la paume de son amie, et de lui tendre sa pinte pour trinquer à cette première victoire. Même si elles n'avaient foncièrement pas besoin de stimulant pour se montrer sociables et tactiles, elles aimaient se satisfaire de leur surenchère d'excès. Elles rentraient rarement bredouilles de leurs escapades hasardeuses, et ne s'arrêtaient que lorsqu'on le décidait à leur place. Faire preuve de raison n'avait jamais été dans leurs habitudes. A leur apogée elles avaient même enchaîné des jours et des jours de débauche, à se retrouver entraînées jusqu'à Sydney pour profiter de villas certes démesurées, mais qui ne justifiaient pas tant de kilomètres. Leurs limites étaient extensibles, si on excluait leurs quelques fausses routes. Des catastrophes tout juste évitées, des situations à écoper d'un passage aux urgences pour leur rappeler un peu cruellement qu'elles étaient vulnérables. Il n'y avait que dans ces moments extrêmes qu'elles se sentaient vivantes, et c'était paradoxalement dans les moments les moins contrôlables qu'elles avaient la sensation d'avoir le plus d'emprise sur leur vie. Ensemble elles déposèrent la pilule sur leur langue avant de l'ingurgiter avec une bonne goulée de bière. L'effet ne serait pas immédiat, et elles avaient largement le temps de se lancer leurs traditionnels défis. « Action ou action. » cria-t-elle à son amie qui était déjà noyée dans une transe communicative. « Tu dois revenir avec le t-shirt du DJ. » provoqua-t-elle en signifiant du menton l'homme aux bras tatoués qui surplombait la piste. A en juger par la taille de ses biceps, il n'aurait pas de mal à s'exhiber devant ce parterre de mains déchaînées. Quant à elle, elle comptait bien divertir ces messieurs pour se faire payer au moins quelques verres supplémentaires.

”C’est quand même moins drôle quand on a pas besoin de les voler.” Mais elle met quand même la pilule sous sa langue Jill. Impatiente de ressentir tous les effets que la drogue va lui procurer. Mais c’est plus amusant quand elles sont obligées de voler un dealeur, ou quand elles doivent chercher les bons mecs pendant toute une soirée pour qu’ils acceptent de payer les consommations. Jill sourit, elle se sent à sa place ici, avec Scarlett. Et elle ne regrette absolument pas d’être revenue à Brisbane. Elle aurait dû revenir plus tôt au lieu de continuer à pourrir à Londres. Elle a détesté cette ville presque pendant toutes les années où elle y était. Elle a tenu plus ou moins bien le coup quand Matt et Ginny étaient encore avec elle. Mais quand ils sont partis, c’était la descente aux enfers. Elle a bien fait de revenir à Brisbane, elle ne serait sûrement plus en vie aujourd’hui si elle ne l’avait pas fait.

Et elles attendent que les effets commencent à arriver. Elle ne sait pas exactement ce qu’elle a pris Jill, alors elle ne saurait pas dire combien de temps elles vont attendre. Alors autant qu’elles s’occupent. Et elles fonctionnent de la même manière les deux brunes, depuis des années déjà. Elle s’enfoncent à deux, et elles aiment ça à un point inimaginable. C’est malsain, dangereux, mais c’est ce qui met du piment dans la vie non ? Et c’est exactement ce qu’elles cherchent, jusqu’au jour où elles trouveront leurs limites. Le jeu est lancé. “Trop facile !” Et elle s’élance pour grimper sur l’estrade à côté du DJ. Elle glisse à son oreille à quel point il est beau, et qu’il a l’air musclé. Les mecs sont souvent très cons. Et au bout de seulement 5 minutes il se retrouve sans son tee-shirt pour l’offrir à Jill en guise de souvenir. “Et voilà !” Elle passe le tee-shirt devant le nez de son amie. La tête de Jill commence à tourner, mélange d’alcool qui lui fait déjà un peu d’effet. “Tu dois revenir avec un sachet complet de la drogue que tu veux. On pourra toujours les revendre en descendant de ce bateau.”  

Les yeux rieurs, Scarlett avait suivi la trajectoire intrépide de son amie. Il fallait rarement supplier Jill pour l’embarquer dans ce genre de frasques. Elle disparut un instant dans la marée humaine pour émerger quelques mètres plus loin, tendant la main avec tellement d’aplomb qu’on la porta presque à bout de bras sur l’estrade. Scar quant à elle continuait de se dandiner au gré de la musique. Son verre, qui se vidait à vue d’œil, était érigé en bouclier. Les deux gars qui leur avaient servi de porte d’entrée n’avaient pas bougé d’un poil, et faisaient mine de se divertir entre eux alors qu’il n’attendaient en vérité qu’un peu d’attention de leur part. Elle tourna la tête au moment où Jill s’afficha aux côtés du DJ, mais aurait pu deviner l’expression incrédule que leur visage avait affiché face à tant d’ingratitude. Même s’il avait l’air d’apprécier la compagnie, le maître de la soirée n’était de toute évidence pas si facilement influençable. L’effort que Jill avait dû déployer pour lui arracher son t-shirt lui avait paru aussi long que laborieux. La connaissant, elle avait même peut-être oublié pourquoi elle s’était retrouvée là-haut, et s’était perdue dans ces échanges d’une banalité lamentable qu’on s’infligeait parfois en s’égosillant par-dessus la musique. Scarlett s’impatienta rapidement, et son sourire de défi se transforma en moue. Le regard vissé sur Jill, elle n’était plus si enthousiaste dans les pas de danse qu’elle exécutait plutôt pour se justifier d’être en plein milieu de la piste que par simple plaisir. Après quelques minutes qui s’étaient égrenées au ralenti, Jill repartit victorieuse et Scar ne put se résoudre à la blâmer d’avoir pris la tâche à cœur. Elle roula des yeux quand le t-shirt fut brandi devant elle comme un trophée, incapable de contenir un sourire fier. « Épatant. » avait-elle déclaré un peu sarcastique, d’autant plus que le défi que lui avait lancé son amie en retour avait relevé le niveau. Elle hocha les épaules sans dire un mot, et tourna les talons vraisemblablement résolue à ne pas revenir bredouille. L’alcool commençait à tambouriner dans sa tête, et sans doute que l’effet à retardement de la drogue se mêlait à sa confusion. Elle avança en quête d’une proie, le regard balayant l’intérieur luxueux du yacht comme une sonde à métaux. Droite, puis gauche. Rapidement son esprit s’embruma, et la soirée se poursuivit dans la plus totale obscurité.